<p>Le marché des guitares et des basses dites électriques est caractérisé à la fois par la brièveté de son histoire et la rapidité de son développement, tant sur le plan technique que d’un point de vue économique. Ayant accompagné l’essor des musiques amplifiées et du marché du disque à partir de la seconde moitié du XXe siècle, ces instruments ont contribué à élargir la palette de sonorités à la disposition des artistes et des producteurs, à engendrer de nouvelles pratiques et de nouveaux styles musicaux (Séguret, 2002 ; Dumoulin et Simon, 2008). Aujourd’hui les différents acteurs de ce marché sont tous confrontés, à des degrés variables, aux enjeux de la durabilité et aux conséquences de l’anthropocène (Bonneuil et Fressoz, 2013). En dépit de l’existence d’alternatives, le bois demeure le composant principal et essentiel de ces productions, tant pour ses qualités mécaniques qu’esthétiques.</p>
<p>La surexploitation de ressources forestières, la nature des relations entre pays producteurs et importateurs, l’impact environnemental et social du commerce du bois sont autant d’éléments qui façonnent le cadre dans lequel s’inscrivent les choix opérés par les artisans et les industriels de la lutherie électrique. De façon concomitante, l’usage de composants chimiques, de métaux et de matière plastique, la consommation d’énergie, l’impact du transport et de la distribution des produits finis pèsent également sur l’empreinte environnementale de ces productions. Faute d’alternatives ou de leviers d’actions clairement identifiés, peu de fabricants ont intégré ces considérations environnementales dans leurs processus de production autrement que sous la forme de contraintes toujours plus présentes.</p>
<p>L’expression d’une « sensibilité environnementale » reste marginale dans ce secteur, alors que la naturalité - par ses représentations et ses matérialisations - est omniprésente dans le rapport des musiciens aux instruments (Ballereau et al, 2018). Dans quelle(s) mesure(s) l’adoption d’une démarche centrée sur la durabilité permettrait-elle de reconsidérer les modes de production tout en conciliant des impératifs contradictoires ? Comment les usagers concernés perçoivent-ils ces questions ? Comment font-elles sens du point de vue des pratiques artistiques ? Peuvent-elles s’inscrire dans une stratégie de communication ? </p>
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Dans le cadre du projet [Nom du projet], dont l’objet est de questionner les rapports entre arts, pratiques culturelles et transition socio-écologique, nous avons mené une étude de cas portant sur la société allemande [Société], premier fabricant européen de basses électriques, mondialement connu. Les questions environnementales ont depuis les années 90, joué un rôle majeur son organisation et le développement de de sa production. Les raisons, que nous exposerons dans une contribution longue, en sont multifactorielles et à la fois structurelles et conjoncturelles. Certifiée neutre en matière d’émission carbone en 2012, [Société] affiche depuis son statut de « <em>première entreprise industrielle dé-carbonée du secteur de la musique</em> », engagée dans une démarche de développement durable portée par une production « <em>verte </em>» préservant le climat. Une importante campagne de communication portant sur cet engament a été menée entre 2012 et 2015. Notre étude, relevant du champ des Sciences de l’Information et de la Communication, s’intéresse particulièrement aux représentations, discours et objets relatifs aux notions de naturalité et de durabilité mobilisés par [Société] dans sa communication, ainsi qu’à leurs modalités de réception, d’interprétation et de circulation au sein de communautés de musiciens. Pour cela nous nous appuyons sur une méthodologie hybride combinant entretiens semi-directifs (fondateur et dirigeant, employés, distributeurs, musiciens amateurs et professionnels), observation sur le lieu de production, analyse de contenus en ligne sur un forum en ligne et analyse de documents (publicités, catalogues…).</p>
<p>Nous proposons, après une contextualisation et une mise en perspective des principaux éléments marquants du développement de l’entreprise, d’analyser le positionnement parfois ambivalent de [Société] entre préservation et valorisation des ressources naturelles, production de masse et hyperpersonnalisation, recherche d’innovation et affichage de traditions, nature et technologie. Ce positionnement trouve un écho variable dans les communautés de musiciens, clients actuels ou potentiels, au sein desquelles les préoccupations liées à la durabilité, bien que présentes, n’apparaissent pas déterminantes. Autant de facteurs qui permettent d’éclairer les conditions d’opérationnalisation des enjeux de la durabilité et de leur inscription dans la chaîne de valeur de l’organisation. Enfin, nous présenterons les difficultés relatives à la médiatisation des actions menées en ce sens, les conduisant in fine à certaines formes d’invisibilité dans le but d’en garantir la pérennité.</p>
<p>Bibliographie</p>
<p>Ballereau V., Pirolli F., Reboud S., Ribac F., Sinapi C., <em>Pour une géologie des instruments de musique</em>. Registres : Revue d'études théâtrales, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2018, Des expériences artistiques au prisme du développement durable, pp.151-180.<br />
Bonneuil, C., Fressoz, J.-B., <em>L'événement anthropocène : la Terre, l'histoire et nous</em>, Paris, 2013, Seuil.<br />
Dumoulin, R., Simon, E., « <em>Quand l’innovation est un désavantage concurrentiel, le cas de la guitare électrique</em> », Gestion 2000, n°3, 2008, p. 147–165.<br />
Paté, A., Le Carrou J.-N., Teissier, F., Fabre, B., <em>Monitoring of the making process of handcrafted electric guitar</em>, 2014, Proceedings of the International Symposium on Musical Acoustics,p/ 301-306. <br />
Séguret, C., L’univers des guitares, Paris, 2002, Solar.<br />
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