Résumé: Le commerce équitable est apparu pour permettre aux organisations de petits producteurs du Sud d’accéder aux marchés et d’améliorer leurs pratiques de production ainsi que leur performance économique dans une logique de développement durable (Bisaillon, Gendron, Turcotte, 2005, Makita, 2016). D’une part la performance économique, sociale et écologique des producteurs locaux s’inscrit dans un territoire spécifique, d’autre part elle contribue à la performance globale du commerce équitable à l’échelle internationale (Dragusanu, Giovannucci, Nunn, 2014), voire à son existence même, car il dépend in fine de sa crédibilité auprès des consommateurs (Wang, Chen, 2019, Konuk, 2019). Les études d’impact du commerce équitable (Vagneron et Roquigny, 2010, Dammert et Mohan, 2015) constituent alors un enjeu stratégique majeur pour son existence et son développement d’un point de vue local, national et international. Ces études se sont surtout focalisées sur les effets directs auprès des petits producteurs engagés dans le commerce équitable, et ce courant de recherche perdure (Parvarthi, Waibel, 2016). D’           autres approches se sont plus focalisées sur la capacité du commerce équitable à transformer les relations socio-économiques dont il est conçu comme une alternative (Staricco, 2016). L’objectif de cet article se situe à la croisée des deux : il s’agit, à partir d’une enquête effectuée sur plusieurs années auprès d’un groupement de coopératives de production d’huile d’argan au Maroc, de montrer que l’évaluation des effets directs de la certification ne suffit pas à évaluer les capacités de transformation du commerce équitable, et d’autre part que ces capacités de transformation échappent au contrôle de la certification. Cet article est issu d’une recherche effectuée sur les effets de la certification commerce équitable sur la performance des organisations de producteurs et ses conséquences sur le développement local dans le territoire de l’arganier au Maroc. La recherche se place à l’échelle d’un groupement de coopératives de production d’huile d’argan engagées dans le commerce équitable. C’est donc une organisation d’organisations de petits producteurs. Dans un premier temps, un état de l’art sur les études d’impact du commerce équitable permet de dresser un tableau des principales recherches effectuées et de leurs résultats. Dans un deuxième temps, l’article présente le terrain étudié, puis, en se plaçant à l’échelle d’un groupement de coopératives, il évalue les effets du processus de certification commerce équitable à la fois à l’échelle du groupement et sur le territoire de l’arganier. Il les compare aux résultats des études recensées dans l’état de l’art. Dans un troisième temps, l’article montre qu’au-delà de ces effets, la certification conduit les petits producteurs locaux engagés dans le commerce équitable à associer à la recherche du profit (qui constituait initialement leur unique préoccupation) la prise de conscience qu’ils deviennent partie prenante de l’aménagement du territoire dans une logique de développement durable et à s’intégrer dans des réseaux en émergence. Si la certification commerce équitable a des effets positifs sur la performance organisationnelle, économique et sociale des coopératives et de leur groupement, en même temps elle modifie le rôle du groupement non seulement en termes d’organisation des coopératives, mais encore en tant que partie prenante dans l’aménagement du territoire. Ce phénomène élargit de fait son rôle en l’intégrant dans des réseaux en émergence, et montre que l’évaluation des effets locaux du commerce équitable sur les petits producteurs et sur le développement du territoire à partir des critères du commerce équitable ne permet d’appréhender que partiellement les enjeux des transformations en cours. En conclusion, cette recherche invite à s’interroger sur la continuité ou la rupture que constitue par rapport à la certification commerce équitable l’émergence d’une prise en charge par les acteurs locaux d’enjeux durables à l’échelle de leur territoire. Références Bibliographiques Bisaillon V., Gendron C., Turcotte M. (2005), Commerce équitable comme vecteur de développement durable ?, Nouvelles pratiques sociales, 18 (1), 73–89. Dragusanu R., Giovannucci D., Nunn N. (2014), The Economics of Fair Trade, Journal of Economic Perspectives, 28 (3), 217-236. Dammert A. C., Mohan, S. (2015), Journal of Economic Surveys, 29 (5), 855–868. Konuk F., Consumers' willingness to buy and willingness to pay for fair trade food: The influence of consciousness for fair consumption, environmental concern, trust and innovativeness, Food Research International, 120, 141-147. Makita R. (2016), A Role of Fair Trade certification for Environmental Sustainability, Journal of Agricultural and Environmental Ethics, 29 (2),185-201. Parvarthi P., Waibel, H. (2016), World Development, 77, 206–220. Shih-Tse Wang E., Chen Y. (2019), Effects of perceived justice of fair trade organizations on consumers’ T purchase intention toward fair trade products, Journal of Retailing and Consumer Services, 50, 56-72. Staricco J. (2017), Transforming or Reproducing Conventional Socioeconomic Relations? Introducing a Regulationist Framework for the Assessment of Fairtrade, World Development, 93, 206–218. Vagneron I., Roquigny S. (2010), Cartographie & analyse des études d’impact du commerce équitable, Montpellier: Cirad UMR MOISA.