<p><strong><strong><strong>Abstract :&nbsp;</strong></strong></strong>The comparison of several contexts of knowledge-building activities sheds light on the effects of the integration of standards that may not fit to social standards circulating in non-formal contexts. These contradictions have effects on the sustainability of information practices.&nbsp;</p> <p><strong><strong>Keywords :&nbsp;</strong></strong>standard, standardization, digital uses, education&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p> <h2><a id="t1"></a>INTRODUCTION</h2> <p>Pour ce num&eacute;ro, nous proposons de faire un retour sur l&rsquo;analyse des effets de la norme dans les contextes de construction de connaissance et dans une perspective de durabilit&eacute; de l&rsquo;information. La norme peut d&eacute;signer une forme institu&eacute;e, un document. Ainsi, G&eacute;rard Regimbeau (2013), dans un fameux num&eacute;ro de la revue Herm&egrave;s consacr&eacute; aux classements, d&eacute;finit la norme comme&nbsp;<i>&laquo;&nbsp;un document de r&eacute;f&eacute;rence dans un domaine ou un secteur d&rsquo;activit&eacute;s donn&eacute;, pr&eacute;sentant comme particularit&eacute; de proposer un &eacute;tat scientifique, technologique et professionnel au moment de sa diffusion dans le secteur concern&eacute;.&nbsp;&raquo;&nbsp;</i>Il ajoute qu&rsquo;elle indique les conditions &agrave; respecter pour que les m&eacute;thodes ou moyens d&eacute;crits soient reproductibles, &nbsp;qu&rsquo;elle est le r&eacute;sultat d&rsquo;une reconnaissance et qu&rsquo;elle organise les pratiques et les syst&egrave;mes de repr&eacute;sentations des individus. Mais la norme d&eacute;signe aussi un &eacute;l&eacute;ment du cadre de l&rsquo;exp&eacute;rience sociale, int&eacute;rioris&eacute; par les individus, mis en &oelig;uvre de fa&ccedil;ons diverses en fonction des situations et des interactions. Ainsi, Christian Le Mo&euml;nne (2006) distingue les normes anthropologiques, qui structurent la capacit&eacute; des hommes &agrave; produire d&rsquo;autres normes, des normes techniques, qui sont le r&eacute;sultat de processus de n&eacute;gociations.</p> <p>Qu&rsquo;elle soit technique ou sociale, la normalisation vise la stabilisation d&rsquo;usages, de comportements ou de techniques, autant dans l&rsquo;espace social que dans le temps. La norme est essentielle dans la soci&eacute;t&eacute; de l&rsquo;information, et un processus de normalisation s&rsquo;est mis en place de fa&ccedil;on massive avec les d&eacute;veloppements des techniques d&rsquo;industrialisation des productions et des connaissances. Elle produit un&nbsp;r&eacute;f&eacute;rentiel commun &agrave; la fois explicite et n&eacute;goci&eacute;, qui tend vers une homog&eacute;n&eacute;isation des m&eacute;thodes de construction et de traitement du savoir. David Rochefort l&rsquo;a soulign&eacute;, la norme est g&eacute;n&eacute;tiquement associ&eacute;e &agrave; la durabilit&eacute;, et la normalisation &agrave; un souci de d&eacute;veloppement durable, puisqu&rsquo;elle vise &agrave; mettre en place les conditions de la stabilit&eacute; de proc&eacute;dures &agrave; partir d&rsquo;un accord de ceux qui les mettent en &oelig;uvre. Il n&rsquo;est pas inutile de revenir ici sur la gen&egrave;se de l&rsquo;usage du concept de durabilit&eacute;, dans le rapport Brundtland (1987, 43) qui l&rsquo;utilise pour qualifier un mode de d&eacute;veloppement souhaitable&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>le d&eacute;veloppement durable est un d&eacute;veloppement qui r&eacute;pond aux besoins pr&eacute;sents sans compromettre la capacit&eacute; des g&eacute;n&eacute;rations futures &agrave; satisfaire les leurs</i>&nbsp;&raquo;. Comme l&rsquo;a indiqu&eacute; Camille Capelle, la notion initialement utilis&eacute;e de&nbsp;<i>sustainability</i>&nbsp;est plus int&eacute;ressante que sa traduction fran&ccedil;aise, puisqu&rsquo;elle fait r&eacute;f&eacute;rence, non seulement au temps, mais aussi aux dimensions sociales et politiques.</p> <p>Dans le domaine de la construction des connaissances, dans le cadre de l&rsquo;&eacute;ducation ou de la formation, qui retient particuli&egrave;rement notre attention, la norme est centrale, &agrave; l&rsquo;instar de la grammaire qui s&rsquo;impose au dix-huiti&egrave;me si&egrave;cle &agrave; l&rsquo;&eacute;cole. Dans la mesure o&ugrave; la norme vise la stabilisation dans le temps, la construction d&rsquo;un sens partag&eacute;, et une forme de contrainte accept&eacute;e car collectivement construite, elle semble indispensable pour que la durabilit&eacute; de l&rsquo;information s&rsquo;&eacute;tende sur celle des connaissances. Jacques Perriault l&rsquo;a longuement analys&eacute; &agrave; propos de la norme num&eacute;rique dans le domaine des apprentissages. Le&nbsp;<i>knowledge management</i>&nbsp;correspond &eacute;galement &agrave; une activit&eacute; ing&eacute;nierique de normalisation et d&rsquo;industrialisation de la connaissance en vue de favoriser les apprentissages en milieu professionnel. Pourtant, dans certains contextes, la norme est v&eacute;cue comme une pure contrainte, soit &eacute;thiquement ou socialement inacceptable, soit trop &eacute;loign&eacute;e des pratiques r&eacute;elles, soit trop floue, pour &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme partageable dans l&rsquo;ordre des repr&eacute;sentations et r&eacute;ellement institu&eacute;e dans l&rsquo;ordre des pratiques.</p> <p>R&eacute;fl&eacute;chir &agrave; la place de la norme et de la normalisation dans les pratiques informationnelles en contexte de construction de connaissances nous conduit &agrave; nous int&eacute;resser &agrave; des situations diverses et des activit&eacute;s r&eacute;elles. Reprenant plusieurs projets de recherches que nous avons men&eacute;s dans l&rsquo;&eacute;quipe RUDII de l&rsquo;IMS, autour du lien entre pratiques informationnelles et constructions de connaissances dans des contextes &eacute;ducatifs ou professionnels, nous proposons de revenir sur cette question de la norme pour examiner les conditions dans lesquelles celle-ci ouvre vraiment une perspective de durabilit&eacute;, et celles dans lesquelles elle en constitue une limitation. Nous pr&eacute;ciserons dans un premier temps les contextes &eacute;pist&eacute;mologique et pratique de cette proposition, reviendrons sur la vari&eacute;t&eacute; des effets de la norme dans les situations d&rsquo;apprentissage, pour proposer enfin une analyse des conditions d&rsquo;usages de la norme pour une information durable dans la mesure o&ugrave; elle facilite la construction de connaissances.</p> <h2><a id="t2"></a>NORMES EN CONTEXTES</h2> <p>Avant d&rsquo;examiner les contextes de recherche, il est n&eacute;cessaire de proposer un cadre conceptuel &agrave; la question de la norme.</p> <h3>Des questions d&rsquo;&eacute;pist&eacute;mologie&nbsp;: normes insitutionnelles et normes sociales</h3> <p>La norme peut &ecirc;tre d&eacute;finie comme &laquo;&nbsp;<i>un document &eacute;tabli par consensus et approuv&eacute; par un organisme reconnu, qui fournit, pour des usages communs et r&eacute;p&eacute;t&eacute;s, des r&egrave;gles, des lignes directrices ou des caract&eacute;ristiques, pour des activit&eacute;s ou leurs r&eacute;sultats, garantissant un niveau d&rsquo;ordre optimal dans un contexte donn&eacute;&nbsp;</i>&raquo; (Cacaly, 1997).&nbsp;Cette d&eacute;finition tr&egrave;s formelle correspond &agrave; l&rsquo;activit&eacute; des organismes de normalisation. Mais &agrave; c&ocirc;t&eacute; des normes institutionnalis&eacute;es, il est n&eacute;cessaire de prendre en consid&eacute;ration les normes informelles qui ne s&rsquo;incarnent pas dans des documents mais dans des pratiques. Eric Prairat (2014) en donne une d&eacute;finition tr&egrave;s large en consid&eacute;rant la norme comme une r&eacute;gularit&eacute; contraignante, partag&eacute;e et institu&eacute;e, et montre que norme, r&egrave;gle et usage sont tr&egrave;s proches, la r&egrave;gle comprenant une dimension prescriptive plus forte (et une sanction juridique), l&rsquo;usage une dimension sociale plus affirm&eacute;e. On pourrait ajouter que la convention est &eacute;galement institu&eacute;e et partag&eacute;e mais son efficacit&eacute; repose sur la confiance plus que sur la contrainte. L&rsquo;activit&eacute; normative et de normalisation correspond &agrave; un besoin, &agrave; un moment donn&eacute;, de stabilisation, d&rsquo;homog&eacute;n&eacute;isation et de reproduction, qui a pour effet de garantir la stabilit&eacute;, la r&eacute;gularit&eacute; et la pr&eacute;dictibilit&eacute; des actions. Sylvain Auroux (1997) rappelle l&rsquo;importance fondamentale de la norme dans la linguistique. La grammaire est arch&eacute;typale comme discours normatif sur la langue et pratique sociale de normalisation qui consiste, pour des experts, &agrave; d&eacute;cider &agrave; un moment donn&eacute; de ce qui doit constituer un bon usage. Cette normalisation a une vocation de clarification et d&rsquo;am&eacute;lioration des transactions et de la communication en supprimant la diversit&eacute; des formes et des variantes dans les comportements langagiers. L&rsquo;activit&eacute; de normalisation a &eacute;videmment une dimension politique puisqu&rsquo;elle est exerc&eacute;e par un groupe qui, &agrave; un moment donn&eacute;, peut imposer son interpr&eacute;tation &agrave; tous, ma&icirc;triser et contr&ocirc;ler la communication &agrave; travers le souci de stabilisation des formes. Michel Foucault (1976) consid&egrave;re que la soci&eacute;t&eacute; contemporaine est articul&eacute;e sur la norme qui a pris le relai du droit. La norme est sociale, elle partage les individus dans un processus de normalisation qui est l&rsquo;expression du pouvoir.</p> <p>La norme se caract&eacute;rise par son processus de fabrication, &agrave; la fois collectif et relevant d&rsquo;une n&eacute;gociation dont Jacques Perriault rappelle qu&rsquo;elle doit aboutir &agrave; un consensus, et par son objectif d&rsquo;organisation des pratiques professionnelles et des modes de production dans une vis&eacute;e de rationalisation et d&rsquo;uniformisation. Moktar Ben Henda et Henri Hudrisier (2013) indiquent que la norme ne jouit pas en France d&rsquo;une bonne r&eacute;putation, associ&eacute;e &agrave; la contrainte, voire &agrave; la violence, symbolique ou r&eacute;elle, dans la tradition de Michel Foucault. Chez ce dernier (2004, 59), la norme correspond &agrave; un mod&egrave;le qui s&rsquo;impose aux individus, &laquo;&nbsp;<i>la normalisation disciplinaire consiste &agrave; poser d&rsquo;abord un mod&egrave;le, un mod&egrave;le optimal qui est construit en fonction d&rsquo;un certain r&eacute;sultat, et l&rsquo;op&eacute;ration de la normalisation disciplinaire consiste &agrave; essayer de rendre les gens, les gestes, les actes conformes &agrave; ce mod&egrave;le, le normal &eacute;tant pr&eacute;cis&eacute;ment ce qui est capable de se conformer &agrave; cette norme et l&rsquo;anormal, ce qui n&rsquo;en est pas capable&nbsp;</i>&raquo;. Cependant, la norme n&rsquo;est pas seulement, pour lui, une violence sur des individus suppos&eacute;s intrins&egrave;quement autonomes, mais aussi une modalit&eacute; d&rsquo;action qui conf&egrave;re aux individus un pouvoir d&rsquo;action. Ainsi, pour Pierre Marcherey (2014, 14), qui a &eacute;tudi&eacute; les normes dans l&rsquo;&oelig;uvre de Foucault, &laquo;&nbsp;<i>celles-ci sollicitent, elles proposent, elles incitent, elles pr&eacute;voient, elles planifient, ce qui se traduit par le fait qu&rsquo;elles lancent une demande et qu&rsquo;elles d&eacute;finissent un programme &agrave; remplir qui simultan&eacute;ment d&eacute;livre les crit&egrave;res de la reconnaissance, c&rsquo;est-&agrave;-dire de la disposition &agrave; &ecirc;tre &lsquo;conforme&rsquo;, en occupant la place &agrave; laquelle on est destin&eacute; [&hellip;] &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du champ o&ugrave; leur action se d&eacute;ploie&nbsp;</i>&raquo;. Ce souci de conformit&eacute; agit par rapport &agrave; un mod&egrave;le qu&rsquo;il revient &agrave; la communaut&eacute; de d&eacute;finir dans des processus qui peuvent &ecirc;tre r&eacute;gis par des formes de pouvoir. C&rsquo;est ce qui incite &agrave; d&eacute;noncer la norme comme une violence symbolique dans les classifications du normal et de l&rsquo;anormal, et dans des expressions comme &laquo;&nbsp;h&eacute;t&eacute;ronormativit&eacute;&nbsp;&raquo; qui d&eacute;noncent la totalitarisme de la pens&eacute;e des genres dans nos soci&eacute;t&eacute;s. Au-del&agrave; de ces interpr&eacute;tations qui font de la d&eacute;nonciation de la norme un outil de critique sociale ou politique, on retiendra quelques conditions d&rsquo;existence de la norme&nbsp;: une forme, mat&eacute;rielle (documentaire) ou symbolique, un processus de n&eacute;gociation, un objectif d&rsquo;homog&eacute;n&eacute;isation et de stabilisation des pratiques au regard de valeurs qui leur sont assign&eacute;es, donc d&rsquo;un syst&egrave;me de valeur qui fournit des crit&egrave;res d&rsquo;&eacute;valuation.</p> <h3><b>Des questions pragmatiques&nbsp;: saisir la place des normes dans les pratiques informationnelles en contexte d&rsquo;apprentissage</b></h3> <p>Les repr&eacute;sentations que les acteurs se font de leur r&ocirc;le, de leur mission, de leurs comp&eacute;tences, influent sur leurs pratiques, que l&rsquo;on peut consid&eacute;rer, avec Sch&ouml;n (1994), comme une &ldquo;<i>conversation avec la situation</i>&rdquo; dans laquelle s&rsquo;imposent ces normes per&ccedil;ues ou impos&eacute;es, visibles ou cach&eacute;es, interp&eacute;t&eacute;es, n&eacute;goci&eacute;es, &eacute;cart&eacute;es ou survaloris&eacute;es. La normativit&eacute; nous rappelle que l&rsquo;acteur, en situation d&rsquo;apprentissage, doit &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; dans le cadre social d&rsquo;une communaut&eacute; professionnelle formelle, mais aussi parfois d&rsquo;une communaut&eacute; de pratique particuli&egrave;re, dans le cas de certains professionnels ou enseignants, qui inscrivent leurs pratiques dans une perspective un peu d&eacute;cal&eacute;e, valorisante quand elle est reconnue, de leur identit&eacute; et de leur professionnalit&eacute;.</p> <p>La pratique se situe dans un dispositif institutionnel (la classe, l&rsquo;&eacute;tablissement, le syst&egrave;me &eacute;ducatif, l&rsquo;atelier&hellip;) mais aussi dans un &eacute;cosyst&egrave;me plus vaste qui comprend des &eacute;l&eacute;ments d&rsquo;information disparates, des documents, des normes, des r&eacute;seaux, des interactions, des outils. Dans un contexte marqu&eacute; par l&rsquo;objet technique, l&rsquo;usage d&eacute;signe soit l&rsquo;utilisation d&rsquo;un objet &agrave; des fins pr&eacute;cises, soit un ensemble de pratiques que l&rsquo;anciennet&eacute; rend normales. Il n&rsquo;a de sens que contextualis&eacute;, comme le note Jacques Perriault, et concerne aussi bien l&rsquo;action - le fait de se servir d&rsquo;un objet, les pratiques sociales, la valeur que l&rsquo;individu projette dans son activit&eacute;. Ainsi, il nous semble important de ne pas isoler un &eacute;l&eacute;ment du processus de construction de connaissances &agrave; partir d&rsquo;information, mais de consid&eacute;rer l&rsquo;&eacute;cosyst&egrave;me informationnel structur&eacute; &agrave; partir d&rsquo;un environnement global dans lequel les individus sont immerg&eacute;s, et en interaction permanente avec des objets informationnels (techniques, documents, objets nomades&hellip;), des m&eacute;thodes (recherche d&rsquo;information, veille, curation&hellip;) et des modes d&rsquo;organisation (centrip&egrave;te, &agrave; management fort, communautaire,&hellip;) (Liqu&egrave;te, Lehmans, 2015). La notion d&rsquo;&eacute;cosyst&egrave;me est particuli&egrave;rement int&eacute;ressante dans la consid&eacute;ration de la durabilit&eacute;, parce qu&rsquo;elle &eacute;vite d&rsquo;isoler les &eacute;l&eacute;ments et implique la complexit&eacute; sans pr&eacute;juger de l&rsquo;&eacute;quilibre. Nous proposons donc de consid&eacute;rer la question des normes dans les pratiques informationnelles en tenant compte de&nbsp;:<br /> &nbsp;</p> <ul> <li>Une situation qui engage l&rsquo;acteur selon des modalit&eacute;s comprenant un but, une temporalit&eacute;, un rapport aux connaissances, &agrave; la technique, des liens sociaux, le sentiment de comp&eacute;tence&nbsp;;</li> <li>Des repr&eacute;sentations partag&eacute;es ou divergentes&nbsp;;</li> <li>Des usages profanes ou prescrits de techniques et d&rsquo;informations&nbsp;;</li> <li>Des comportements construits &agrave; partir de normes d&rsquo;action&nbsp;;</li> <li>Des attitudes compos&eacute;es &agrave; partir de normes de valeurs&nbsp;;</li> <li>Un &eacute;cosyst&egrave;me informationnel.</li> </ul> <h3><strong>La comparaison d&rsquo;une pluralit&eacute; de contextes</strong></h3> <p>Nous avons choisi pour cette conclusion de revenir sur plusieurs recherches qui, au-del&agrave; de l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; des contextes, partagent une interrogation sur la place des pratiques informationnelles dans la construction de connaissances. D&rsquo;un point de vue th&eacute;orique, nous ancrons notre travail d&rsquo;&eacute;quipe dans une perspective socioconstructiviste, o&ugrave; sont pris en consid&eacute;ration un ensemble d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments interrogeant le processus de construction de savoir partag&eacute; au sein de communaut&eacute;s ou construit par des apprenants. Cette approche consid&egrave;re des formes diverses de culture informationnelle, dans lesquelles des formats d&rsquo;information sont &eacute;labor&eacute;s et mis en circulation entre les pairs selon des trajectoires particuli&egrave;res (Maurel, Bouchard, 2013). Les connaissances sont consid&eacute;r&eacute;es comme des &eacute;l&eacute;ments du r&eacute;el socialement construit par les membres d&rsquo;une communaut&eacute; ou d&rsquo;un groupe, &agrave; travers leur propre exp&eacute;rience en cours d&rsquo;acitivit&eacute;s. Cette probl&eacute;matique nous conduit &agrave; identifier les sources privil&eacute;gi&eacute;es par les acteurs, les modes de partage de la recherche puis de validation de l&rsquo;information, les crit&egrave;res de s&eacute;lection et les formes de r&eacute;&eacute;criture puis de diffusion/stockage utilis&eacute;s. Nous tentons d&rsquo;appr&eacute;hender, dans des contextes d&rsquo;&eacute;mergence de l&rsquo;information partag&eacute;e, la possibilit&eacute; de co-construire des dispositifs de gestion, de partage et d&rsquo;organisation des connaissances. Nabil Ben Abdallah (2012) montre que les &eacute;tudes sur les pratiques informationnelles sont souvent focalis&eacute;es sur les individus et n&eacute;gligent la dimension collaborative de l&rsquo;activit&eacute; informationnelle. La th&eacute;orie de l&rsquo;activit&eacute; d&rsquo;Engestr&ouml;m permet de r&eacute;introduire cette dimension dans les observations, en prenant en compte les interactions entre les individus au sein de collectifs ainsi qu&rsquo;entre les collectifs et les artefacts.</p> <p>L&rsquo;&eacute;quipe de recherche du laboratoire RUDII (Repr&eacute;sentations, usages, d&eacute;veloppements, ing&eacute;nieries de l&rsquo;information) s&rsquo;est int&eacute;ress&eacute;e &agrave; diff&eacute;rents contextes depuis quelques ann&eacute;es pour analyser l&rsquo;&eacute;mergence de pratiques et de strat&eacute;gies informationnelles, communicationnelles et de gestion des connaissances, notamment dans des contextes &laquo;&nbsp;innovants&nbsp;&raquo; ou tout au moins marqu&eacute;s par les usages de dispositifs num&eacute;riques. &Agrave; partir du rep&eacute;rage et d&rsquo;une mod&eacute;lisation des pratiques informationnelles, nous interrogeons dans ces contextes les processus de construction de connaissances, la possibilit&eacute; de produire des outils ou des modalit&eacute;s d&rsquo;accompagnement de cette construction, notamment en inversant l&rsquo;approche dominante qui consiste &agrave; proposer des outils cl&eacute;s en mains. Nous consid&eacute;rons que dans certains contextes, comme celui de l&rsquo;&eacute;cole, cette approche conna&icirc;t des limites importantes qui se sont traduites par les &eacute;checs relatifs des politiques d&rsquo;&eacute;quipements, notamment autour du num&eacute;rique, sans consid&eacute;ration des pratiques informationnelles et des processus cognitifs r&eacute;els. Le probl&egrave;me est aujourd&rsquo;hui que la dimension &laquo; num&eacute;rique &raquo; est survaloris&eacute;e dans les discours institutionnels et politiques, parce qu&rsquo;elle se traduit tr&egrave;s concr&egrave;tement par des investissements financiers en mat&eacute;riel d&rsquo;une part, qui donnent un visibilit&eacute; certaine aux politiques, en ressources et services d&rsquo;autre part, qui donnent une l&eacute;gitimit&eacute; aux institutions et &agrave; certains secteurs de la culture et de l&rsquo;&eacute;dition. La question de l&rsquo;usage de ces investissements dans l&rsquo;&eacute;ducation et de la formation n&rsquo;est pas vraiment abord&eacute;e de front aujourd&rsquo;hui dans les programmes ni dans les dispositifs normatifs d&rsquo;&eacute;valuation comme le B2I et le C2I qui se sont r&eacute;v&eacute;l&eacute;s formels et d&eacute;cevants.</p> <p>Les recherches, d&rsquo;un point de vue m&eacute;thodologique, reposent sur une approche anthropologique bas&eacute;e sur l&rsquo;observation en contexte et un approche sociologique, &agrave; partir d&rsquo;enqu&ecirc;tes permettant d&rsquo;analyser les contextes, les pratiques, les repr&eacute;sentations. Des entretiens semi-directifs men&eacute;s aupr&egrave;s des acteurs dans une approche s&eacute;mio-pragmatique visent &agrave; rep&eacute;rer les composants et les dynamiques de la construction de la connaissance. Une approche documentaire permet d&rsquo;analyser les syst&egrave;mes d&rsquo;information personnels et collectifs. Enfin, une approche communicationnelle des espaces et des &eacute;cosyst&egrave;mes informationnels utilis&eacute;s par les acteurs permet d&rsquo;identifier des actes de construction sociale de la r&eacute;alit&eacute; (Austin, 1970) &agrave; travers les th&eacute;matiques, le vocabulaire, les structures s&eacute;miotiques des discours, les agencements de l&rsquo;information, des dispositifs socio-techniques et des documents. Les entretiens semi-directifs permettent de capter les besoins informationnels et documentaires, d&rsquo;observer la fa&ccedil;on dont les acteurs recherchent l&rsquo;information, la g&egrave;rent, la traitent et la diffusent.</p> <p>Nous revenons sur quatre contextes de recherches dans lesquels il nous a sembl&eacute; int&eacute;ressant de prendre en consid&eacute;ration la question de la norme, par rapport &agrave; l&rsquo;activit&eacute; &agrave; laquelle elle se ref&egrave;re et au contexte dans lequel elle s&rsquo;applique.</p> <h2><a id="t3"></a>LA NORME COMME PARTAGE : LA CONDITION DE LA CONSTRUCTION DE CONNAISSANCES</h2> <p>Le processus qui aboutit &agrave; la cr&eacute;ation de normes peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme partie int&eacute;grante de la construction d&rsquo;apprentissages &agrave; partir de l&rsquo;information disponible dans un domaine. C&rsquo;est ce que rev&egrave;lent deux contextes, celui des &eacute;coconstructeurs, et celui des FabLabs.</p> <h3>Norme et &eacute;volution des strat&eacute;gies d&rsquo;apprentissage&nbsp;</h3> <p>Dans le contexte des FabLabs qui fait l&rsquo;objet d&rsquo;un projet de recherche E-Fran &laquo;&nbsp;Perseverons&nbsp;&raquo;, et dans le cadre d&rsquo;une observation qui n&rsquo;&eacute;tait pas centr&eacute;e sur les pratiques informationnelles mais sur les conditions de la pers&eacute;v&eacute;rance dans les apprentissages, on voit &eacute;merger des formes de normalisation qui ont un double objectif de socialisation et d&rsquo;apprentissage. Le &laquo; laboratoire de fabrication&raquo; (qui ne peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme FabLab qu&rsquo;avec la charte du MIT impuls&eacute;e par Neil Gershenfeld) est un lieu ouvert au public o&ugrave; sont mis &agrave; disposition toutes sortes d&rsquo;outils, notamment des machines-outils (imprimante 3D, d&eacute;coupeuse laser, etc.) pilot&eacute;es par ordinateur, avec des donn&eacute;es stock&eacute;es sur des plateformes collaboratives, en vue de concevoir et de r&eacute;aliser des objets. Sa caract&eacute;ristique principale est son ouverture. Il s&rsquo;adresse aux entrepreneurs, aux designers, aux artistes, aux bricoleurs, aux joueurs, aux &eacute;tudiants ou aux &laquo;&nbsp;hackers&nbsp;&raquo;, &agrave; tous ceux qui ont des projets de fabrication, des besoins d&rsquo;outils, et qui souhaitent passer rapidement de la phase de conception &agrave; la phase de prototypage, de mise au point, de d&eacute;ploiement d&rsquo;objets dans un cadre collectif. Les stagiaires qui viennent mener des projets de fabrication, dans un espace collaboratif, ouvert, qui rompt avec les environnements d&rsquo;apprentissage qu&rsquo;ils ont exp&eacute;riment&eacute;s dans leur scolarit&eacute;, apprennent tr&egrave;s rapidement &agrave; travailler avec l&rsquo;information, en faisant des recherches autour de leur projet, en cherchant des guides et des modes d&rsquo;emploi, tout en sollicitant les autres participants au FabLab. Ils apprennent &eacute;galement &agrave; communiquer en documentant leur projet, pour garder la trace du processus de construction, de l&rsquo;activit&eacute;, et des sp&eacute;cifications techniques de la production pour pouvoir y revenir en cas de probl&egrave;me.</p> <p>Dans ce contexte tr&egrave;s technique, ils entrent dans des proc&eacute;dures normalis&eacute;es dont ils exp&eacute;rimentent personnellement et concr&egrave;tement l&rsquo;efficacit&eacute;, puisqu&rsquo;elles conditionnent l&rsquo;usage de la documentation qu&rsquo;ils consultent. Les normes en question concernent la plateforme utilis&eacute;e, la description de l&rsquo;activit&eacute;, la fr&eacute;quence de stockage des informations etc. M&ecirc;me les novices expliquent l&rsquo;importance de cette activit&eacute; normalis&eacute;e pour la conservation, le partage et la distribution sociale des proc&eacute;dures techniques. Ils d&eacute;crivent cette importance comme conditionnant la durabilit&eacute; de l&rsquo;activit&eacute; dans le FabLab. La normalisation des techniques et des proc&eacute;dures correspond &agrave; une forme de normalisation sociale propre au FabLab, dans lequel les apprentissages ne se font pas avec un enseignant mais entre pairs. Dans ce contexte du FabLab, ce n&rsquo;est pas l&rsquo;environnement technique qui conditionne cette effectivit&eacute; et cette acceptabilit&eacute; de la norme, voire la participation des apprenants &agrave; sa cr&eacute;ation, mais la situation sociale. Ainsi, dans un contexte scolaire inspir&eacute; du FabLab dans un lyc&eacute;e, pour la mise en place de projets de fabrication et l&rsquo;utilisation d&rsquo;un environnement technique, la norme n&rsquo;a plus du tout la m&ecirc;me valeur, elle est v&eacute;cue comme une contrainte sans int&eacute;r&ecirc;t pour les &eacute;l&egrave;ves qui d&eacute;laissent la n&eacute;cessit&eacute; de documenter leur projet s&rsquo;ils ne sont pas encourag&eacute;s ou contraints par l&rsquo;enseignant.</p> <h3>Norme et institution de pratiques nouvelles&nbsp;: le cas des donn&eacute;es ouvertes</h3> <p>Un second contexte nous semble int&eacute;ressant &agrave; mobiliser pour examiner la question des normes, celui des donn&eacute;es ouvertes, qui constitue &eacute;galement le champ de recherche de Valentyna Dymytrova. Celle-ci a expliqu&eacute; dans quelle mesure le projet d&rsquo;ouverture des donn&eacute;es se situe dans la perspective des communs de la connaissance et &eacute;videmment d&rsquo;un d&eacute;veloppement durable du partage de l&rsquo;information. Pour qu&rsquo;un jeu de donn&eacute;es ouvertes soit utilisable, il doit correspondre &agrave; des exigences de format, de standard et de licence qui sont incontournables. On est ici dans le cas des normes num&eacute;riques pr&eacute;cis&eacute;ment d&eacute;crites par Jacques Perriault, et qui conditionnent l&rsquo;interop&eacute;rabilit&eacute; des syst&egrave;mes. Les remarques de Valentyna Dymytrova rejoignent tout &agrave; fait les r&eacute;sultats de la recherche que nous avons men&eacute;e en Nouvelle Aquitaine. La normalisation est au c&oelig;ur des r&egrave;gles de la gouvernance et de l&rsquo;utilisabilit&eacute; des donn&eacute;es ouvertes dans les contextes professionnels ou d&rsquo;apprentissage. Les diffuseurs de donn&eacute;es le savent et travaillent sur la gouvernance de l&rsquo;information principalement autour de la normalisation des pratiques professionnelles autour des donn&eacute;es pour leur diffusion. L&rsquo;ouverture des donn&eacute;es, au-del&agrave; des objectifs de transparence, de participation et d&rsquo;innovation, a un premier effet tr&egrave;s concret de remise en question des pratiques h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes de services qui travaillaient &laquo;&nbsp;en silos&nbsp;&raquo; dans les collectivit&eacute;s territoriales notamment, vers une uniformisation et la constitution d&rsquo;&eacute;cosyt&egrave;mes plus ouverts. Certains agents des collectivit&eacute;s que nous avons interrog&eacute;s se mobilisent tr&egrave;s pr&eacute;cis&eacute;ment dans ce travail de normalisation.</p> <p>Ainsi, pour un responsable d&rsquo;un collectivit&eacute; territoriale dans la r&eacute;gion Nouvelle Aquitaine, sensibilis&eacute; par son parcours professionnel d&rsquo;archiviste,&nbsp;<i>&laquo;&nbsp;on a aussi particip&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;un manuel de bonnes pratiques, qu&rsquo;on a men&eacute; avec une soci&eacute;t&eacute; du coin qui est sp&eacute;cialis&eacute;e dans tout ce qui est normalisation, qualit&eacute;, standard. C&rsquo;est l&rsquo;id&eacute;e qui avait &eacute;merg&eacute; d&rsquo;un BarCamp &agrave; Bordeaux, un forum ouvert, donc on a class&eacute; 72 bonnes pratiques dans 12 th&eacute;matiques, trois niveaux, qui devaient guider tous les producteurs de donn&eacute;es, animateurs de portails, pour savoir un peu comment mener une bonne politique de publications open data. Et de l&agrave;, j&rsquo;ai travaill&eacute; avec le W3C, qui est un organisme de normalisation internationale sur le standard DCAT, qui est un standard de description de jeux de donn&eacute;es ouverts, qui du coup est pass&eacute; du W3C &agrave; la commission europ&eacute;enne et ils en ont fait un profil d&rsquo;impl&eacute;mentation&hellip;&nbsp;&raquo;.&nbsp;</i>Tous les agents qui s&rsquo;impliquent dans l&rsquo;ouverture des donn&eacute;es &eacute;voquent la question de la normalisation</p> <p>Ce travail de normalisation, non seulement modifie les pratiques informationnelles des diff&eacute;rents services, mais cr&eacute;e &eacute;galement de nouveaux services li&eacute;s au cycle de vie de la donn&eacute;e. Ainsi, toujours dans la r&eacute;gion Aquitaine, l&rsquo;ouverture du portail de donn&eacute;es ouvertes &laquo;&nbsp;<i>a &eacute;t&eacute; l&rsquo;opportunit&eacute; de cr&eacute;er cette Direction Innovation Am&eacute;nagement Num&eacute;rique, et ce service de la valorisation de la donn&eacute;e qui a pour ambition de rendre exploitable et d&rsquo;exploiter tout notre patrimoine de donn&eacute;es de la collectivit&eacute;. Rendre exploitable, c&rsquo;est mieux structurer nos syst&egrave;mes d&rsquo;informations, le normaliser, s&rsquo;assurer, qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&eacute;chelle nationale, on utilise tous les m&ecirc;mes nomenclatures pour nos bases de donn&eacute;es parce qu&rsquo;on a tous le m&ecirc;me m&eacute;tier, au final, entre les diff&eacute;rentes collectivit&eacute;s</i>...&nbsp;&raquo;.</p> <p>La normalisation est transparente pour les utilisateurs, qui, de leur c&ocirc;t&eacute;, ne per&ccedil;oivent pas l&rsquo;importance des normes pour l&rsquo;utilisabilit&eacute; mais sont centr&eacute;s sur l&rsquo;accessibilit&eacute; des donn&eacute;es et l&rsquo;accompagnement des usages. Certains, comme cet enseignant en sciences &eacute;conomiques, sont conscients des probl&egrave;mes que pose l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; des formats de donn&eacute;es en l&rsquo;absence de normes&nbsp;:&nbsp;<i>&laquo;&nbsp;Ces donn&eacute;es ouvertes, sont pour moi, des donn&eacute;es qui ont une licence qui leur permet de pouvoir &ecirc;tre exploit&eacute;es et donc, il faut une politique volontariste pour la diffusion de ces donn&eacute;es...avec un enjeu, aussi, qui est un enjeu technique, c&rsquo;est-&agrave;-dire que...elles peuvent &ecirc;tre publi&eacute;es sous un format qui peut &ecirc;tre tr&egrave;s diff&eacute;rents les uns des autres...et donc, il faut avoir aussi la capacit&eacute; de pouvoir traiter cette information disparate, h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne.&nbsp;&raquo;&nbsp;</i>Les donn&eacute;es ouvertes sont encore peu utilis&eacute;es en contexte scolaire, parce qu&rsquo;elles exigent des manipulations qui prennent du temps, des formes d&rsquo;accompagnement et de m&eacute;diation qui sont encore en construction. Surtout, elles rel&egrave;vent de normes complexes et nombreuses qui ne sont pas vraiment perceptibles ni comprises dans le syst&egrave;me scolaire.</p> <p>Dans ces deux cas, la norme cr&eacute;&eacute;e est une condition de la construction de connaissances. Les responsables des FabLabs et les agents des collectivit&eacute;s territoriales sont des militants et proposent des solutions alternatives ou innovantes, mais leurs modes de fonctionnement appellent la cr&eacute;ation de normes qui sont des conditions de dialogue, d&rsquo;interop&eacute;rabilit&eacute; et de communication. Ces normes sont d&rsquo;autant plus efficaces qu&rsquo;elles sont construites donc accept&eacute;es par les membres de la communaut&eacute;. Ce n&rsquo;est pas le cas des normes impos&eacute;es.</p> <h2><a id="t4"></a>LA NORME COMME CONTRAINTE : LES LIMITES DE LA DURABILIT&Eacute; DE LA CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES</h2> <h3><b>Limites des normes et &eacute;volution du r&eacute;pertoire dans les communaut&eacute;s de pratique</b></h3> <p>La norme occupe une place centrale dans la gestion des connaissances, traditionnellement situ&eacute;e dans le contexte d&rsquo;organisations (Ermine, 2003) qui disposent de moyens humains, techniques et &eacute;conomiques importants. Elle repose sur une logique d&rsquo;industrialisation de la connaissance. Elle aboutit &agrave; des formes de r&eacute;gulation &agrave; travers un appareillage contraignant qui canalise et organise la circulation de l&rsquo;information en emp&ecirc;chant des formes multiples de distribution. Elle est, dans ses formes industrialis&eacute;es, peu accessible aux entreprises de petite taille ou unipersonnelles qui travaillent en r&eacute;seau dans le cadre de communaut&eacute;s de pratique ou d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t. Elle confine les pratiques professionnelles et les processus de construction &agrave; un cadre &eacute;conomique et non &eacute;cologique de la connaissance. Dans ce sens, on peut consid&eacute;rer que les normes forment une limite &agrave; une cr&eacute;ation et consid&eacute;ration des connaissances dans une perspective durable et soutenable.</p> <p>Dans le domaine professionnel, dans le cadre d&rsquo;un projet men&eacute; avec le Conseil r&eacute;gional d&rsquo;Aquitaine entre 2012 et 2015, nous nous sommes int&eacute;ress&eacute;s aux r&eacute;seaux d&rsquo;acteurs formant autour de la th&eacute;matique de l&rsquo;&eacute;cocontruction une communaut&eacute; de pratique : architectes et toutes les professions du secteur de la construction et de l&rsquo;urbanisme qui travaillent dans des structures individuelles ou de taille r&eacute;duite, dont l&rsquo;intervention sur l&rsquo;espace physique et social a des cons&eacute;quences lourdes sur l&rsquo;environnement, et qui axent leur activit&eacute; sur la ma&icirc;trise de cet impact. Ces professions, au-del&agrave; de la diversit&eacute; des cultures professionnelles ou corporatistes qui les caract&eacute;rise (du point de vue des formations, des langages, des r&eacute;f&eacute;rences th&eacute;oriques, &eacute;thiques, pratiques, des normes, des gestes, des outillage&hellip;) ont &eacute;t&eacute; tr&egrave;s t&ocirc;t touch&eacute;es par la question de la durabilit&eacute;, autant dans l&rsquo;&eacute;volution de la r&eacute;glementation que dans celle des techniques. Les circuits de l&rsquo;information sur l&rsquo;environnement qu&rsquo;elles empruntent sont complexes, li&eacute;s &agrave; la r&eacute;glementation, &agrave; la recherche scientifique, aux industries, aux groupes de pression. Les int&eacute;r&ecirc;ts &eacute;conomiques en jeu sont importants &agrave; cause du poids financier du secteur du b&acirc;timent et des travaux publics, et contraints par des normes qui encadrent fortement les activit&eacute;s de construction. L&rsquo;information scientifique et technique, principalement normative, dans ces r&eacute;seaux professionnels, acquiert une importance strat&eacute;gique grandissante, parce que les probl&eacute;matiques environnementales constituent un enjeu social, politique et &eacute;conomique majeur. Ils ne sont pourtant pas encadr&eacute;s par une organisation, en tant que professionnels de l&rsquo;&laquo;&eacute;co-construction &raquo; militants visant de tr&egrave;s petits march&eacute;s, professionnels de l&rsquo;&laquo;&eacute;co-conception&raquo; qui int&egrave;grent la question environnementale dans son ensemble, avec des pratiques de conception instrument&eacute;e (par des logiciels, le recours &agrave; des r&eacute;f&eacute;rentiels communs, la collaboration avec des bureaux d&rsquo;&eacute;tudes sp&eacute;cialis&eacute;s), dont certains formalisent la pr&eacute;occupation environnementale par une d&eacute;marche certificative plut&ocirc;t li&eacute;e aux exigences des march&eacute;s. Au niveau des petites entreprises, les fiches produits et les DTU (documents techniques unifi&eacute;s) r&eacute;pondent aux besoins d&rsquo;une information fortement normalis&eacute;e et indispensable mais dont l&rsquo;acc&egrave;s est co&ucirc;teux, et le champ d&rsquo;intervention incomplet, puisque de nombreux mat&eacute;riaux utilis&eacute;s en &eacute;co-conception sont innovants et ne font pas encore l&rsquo;objet d&rsquo;une certification. L&rsquo;information les concernant ne satisfait pas les crit&egrave;res fondamentaux de la maturit&eacute; de l&rsquo;information que sont la certitude, la pr&eacute;cision, la stabilit&eacute;, l&rsquo;actualisation et la compl&eacute;tude (Grebici, Rieu, Blanco, 2003). Leur utilisation repr&eacute;sente donc un risque pour les acteurs, risque qu&rsquo;ils ont besoin d&rsquo;&eacute;valuer notamment au regard des normes qui consituent une contrainte in&eacute;vitable.</p> <p>L&rsquo;&eacute;tude de ces communaut&eacute;s &eacute;mergentes permet de questionner l&rsquo;approche formelle de l&rsquo;information, de la documentation et de la gestion des connaissances dans une logique institutionnelle. En effet, les mod&egrave;les existants pr&eacute;sentent l&rsquo;inconv&eacute;nient d&rsquo;&ecirc;tre normatifs par l&rsquo;intention prescriptive de pratiques informationnelles orient&eacute;es vers l&rsquo;information professionnelle &laquo; officielle &raquo; li&eacute;e aux organisations et aux outils qu&rsquo;elles utilisent. Ces communaut&eacute;s font &eacute;merger des pratiques informationnelles h&eacute;t&eacute;rodoxes par rapport au milieu professionnel, et n&eacute;anmoins efficaces dans la construction collective et la diffusion de savoirs. Des processus instituants s&rsquo;&eacute;laborent autour de pratiques plurielles, individuelles et collectives de d&eacute;finition, d&rsquo;accessibilit&eacute; et d&rsquo;exploitation des informations. Dans ce contexte, les normes sont d&eacute;crites soit comme un ensemble de documents indispensables mais tr&egrave;s co&ucirc;teux, du fait de la sp&eacute;cificit&eacute; du secteur, soit comme une contrainte contre laquelle les professionnels luttent dans la mesure du possible, parce qu&rsquo;ils cherchent des voies alternatives aux normes de construction.</p> <p>Ainsi pour un charpentier qui se r&eacute;unit avec d&rsquo;autres professionnels, &laquo;&nbsp;<i>beaucoup d&rsquo;entreprises l&rsquo;ignorent compl&egrave;tement, je m&rsquo;aper&ccedil;ois, quand je discute avec des coll&egrave;gues, m&ecirc;me &agrave; la CAPEB des gens qui ont pass&eacute; le label &eacute;co-artisan, ils sont &agrave; la demande parce que y&rsquo;a tellement de choses et ils sont un peu&hellip;, ils savent plus trop. Bien s&ucirc;r y&rsquo;a les grosses entreprises qui sont structur&eacute;es, elles vont suivre les normes et tout &ccedil;a, mais beaucoup dans le petit artisanat puisque vous travaillez dans le petit artisanat, y&rsquo;a beaucoup de gens qui arrivent qui veulent faire beaucoup de choses mais qui ont pas les infos. &raquo;&nbsp;</i>Pour un architecte &eacute;galement, &laquo;&nbsp;<i>les DTU c&rsquo;est les directives techniques unifi&eacute;es, (&hellip;) c&rsquo;est ce qui pr&eacute;cise toutes les normes de mise en &oelig;uvre en fait des diff&eacute;rents mat&eacute;riaux, mani&egrave;res de faire et je pense que si y&rsquo;avait vraiment un travail &agrave; faire dans le b&acirc;timent &ccedil;a serait l&agrave;-dessus, sur l&rsquo;accessibilit&eacute; &agrave; ces normes-l&agrave;. Et sur l&rsquo;ergonomie des supports.]&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;par exemple les DTU vous les commandez, alors c&rsquo;est &ccedil;a le truc qui est fabuleux parce que, ce sont des normes c&rsquo;est impos&eacute; et c&rsquo;est syst&eacute;matiquement vendu, et c&rsquo;est vendu tr&egrave;s cher.&nbsp;&raquo;</i></p> <p>Pourtant, ils parviennent &agrave; retrouver des formes de normalisation, autant dans leurs pratiques informationnelles que dans les documents en circulation dans leur communaut&eacute;, &agrave; travers l&rsquo;utilisation d&rsquo;objets-fronti&egrave;res comme le tableur dont les cat&eacute;gories sont n&eacute;goci&eacute;es et stabilis&eacute;es dans la gestion des phases d&rsquo;un projet, ou de serveurs partag&eacute;s. La n&eacute;gociation est r&eacute;alis&eacute;e dans l&rsquo;entreprise entre les architectes par exemple, sous l&rsquo;impulsion du chef de projet, et avec l&rsquo;ext&eacute;rieur dans les relations avec les ma&icirc;tres d&rsquo;ouvrage et les entreprises partenaires. Les documents de travail sont ainsi normalis&eacute;s, tout en devenant des moyens de mutualisation de connaissances et de comp&eacute;tences, voire d&rsquo;innovation. De nouvelles normes et formes documentaires peuvent appara&icirc;tre et modifier le r&eacute;pertoire de la communaut&eacute;, avec des effets sur les interactions en son sein. Dans ce contexte de communaut&eacute; de pratique, la norme concerne essentiellement le comportement informationnel des individus et fonde les relations de confiance (Cohendet, Diani, 2005). Ces formes d&rsquo;organisation permettent de compenser partiellement par des voies de communication parall&egrave;les la difficult&eacute; d&rsquo;acc&egrave;s aux normes. Le travail autour de la norme met &agrave; jour des formes de participation et de conversation pour faire face &agrave; la complexit&eacute;.</p> <h3><b>Les contradictions entre norme scolaire et norme sociale dans les pratiques de classe avec le num&eacute;rique</b></h3> <p>Le projet de recherche sur la perception des risques num&eacute;riques par les enseignants nouvellement entr&eacute;s dans le m&eacute;tier a &eacute;t&eacute; l&rsquo;occasion d&rsquo;investir leurs pratiques informationnelles et p&eacute;dagogiques avec le num&eacute;rique. Dans l&rsquo;institution scolaire, la norme structure le syst&egrave;me mais l&rsquo;interroge aussi, et les postures des individus face &agrave; cette norme varient, de l&rsquo;appropriation au contournement.</p> <p><em>IDENTIFIER la norme ad&eacute;quate</em></p> <p>La question de la normativit&eacute; occupe le devant de la sc&egrave;ne des pr&eacute;occupations des enseignants qui sont soumis &agrave; une injonction institutionnelle d&rsquo;utiliser des outils num&eacute;riques et de former les &eacute;l&egrave;ves &agrave; la culture num&eacute;rique sans avoir le sentiment de disposer des comp&eacute;tences suffisantes pour identifier pr&eacute;cis&eacute;ment ce qui devrait relever de la norme et de leur d&eacute;ontologie, tiraill&eacute;s entre ce qui d&eacute;pend de la norme scolaire et de la norme sociale. Ce qui interpelle pr&eacute;cis&eacute;ment de nombreux enseignants dans cette tentative de saisir et de ma&icirc;triser la norme ad&eacute;quate, c&rsquo;est la porosit&eacute; des mondes impos&eacute;e par le num&eacute;rique. Entre pratiques professionnelles qui doivent respecter le cadre normatif tr&egrave;s contraignant de l&rsquo;&eacute;cole et pratiques priv&eacute;es des &eacute;l&egrave;ves et d&rsquo;eux-m&ecirc;mes, le num&eacute;rique instille des zones de flou ou de frottement et fait &eacute;merger des contradictions. Certains des interview&eacute;s utilisent un grand nombre d&rsquo;expressions relevant du registre du normatif (<i>je dois, il faut</i>). La norme d&eacute;signe ce que le syst&egrave;me impose, et elle est ext&eacute;rieure et d&rsquo;autant plus contraignante qu&rsquo;elle contredit souvent les valeurs personnelles. Ces remarques dans le cadre du projet E-Risk confirment celles que nous avions faites dans le cadre de l&rsquo;ANR Translit<a href="https://www.revue-cossi.info/numeros/n-5-2018-processus-normalisation-durabilite-information/733-5-2018-lehmans#ftn1" id="ftnref1" name="_ftnref1">[1]</a>&nbsp;pour les &eacute;l&egrave;ves.</p> <p>La premi&egrave;re difficult&eacute; rel&egrave;ve de l&rsquo;identification de la norme d&rsquo;&eacute;quipement et de comportement. &laquo; Le num&eacute;rique &raquo; est d&rsquo;abord d&eacute;fini par les enseignants comme un ensemble d&rsquo;outils, de technologies aux promesses annonc&eacute;es mais pas toujours tenues. Ainsi, pour un professeur des &eacute;coles&nbsp;<i>de Rouen,&nbsp;</i>&laquo;&nbsp;<i>ce qui m&rsquo;a interpell&eacute;e, c&rsquo;est que la th&eacute;orie est super et que la pratique est assez compliqu&eacute;e, parce que on n&rsquo;a pas les moyens sur place de mettre en place ce qu&rsquo;on aimerait pouvoir faire en fait.&nbsp;&raquo;</i>.</p> <p>Entre cette norme qui s&rsquo;impose et la r&eacute;alit&eacute; du terrain que ces enseignants d&eacute;couvrent, le foss&eacute; est parfois important. Pourtant, pour tous, le num&eacute;rique &agrave; l&rsquo;&eacute;cole rel&egrave;ve de la norme, et au-del&agrave;, de l&rsquo;injonction institutionnelle, une obligation, une contrainte, en d&eacute;calage par rapport aux pratiques r&eacute;elles des enseignants du point de vue p&eacute;dagogique, et des &eacute;l&egrave;ves du point de vue de leurs pratiques de loisirs et de communication. L&rsquo;identifiication de la norme &eacute;ducative est donc tr&egrave;s floue, les enseignants sont perdus entre des r&eacute;f&eacute;rentiels de comp&eacute;tences qui exigent d&rsquo;eux qu&rsquo;ils d&eacute;veloppent la culture num&eacute;rique de leurs &eacute;l&egrave;ves, et une perception tr&egrave;s n&eacute;bulleuse de ce que repr&eacute;sente cette culture num&eacute;rique.</p> <p>&nbsp;</p> <p><em>FAIRE avec une norme d&eacute;cal&eacute;e</em></p> <p>Les enseignants mentionnent tous les injonctions institutionnelles comme les incitant &nbsp;&agrave; utiliser le num&eacute;rique mais disent &eacute;galement que ces utilisations &laquo;obligatoires &raquo; sont d&eacute;cal&eacute;es, inutiles, ne correspondent pas aux besoins des &eacute;l&egrave;ves et &agrave; la r&eacute;alit&eacute; de terrain. Ils ont le sentiment de perdre leur temps avec les injonctions normatives. Pour une enseignante d&rsquo;anglais &laquo;&nbsp;<i>ce n&rsquo;est pas seulement l&rsquo;aspect technique qui ralentit tout mais aussi l&rsquo;aspect proc&eacute;dural &nbsp;et presque institutionnel en fait. On nous demande de fonctionner d&rsquo;une mani&egrave;re tr&egrave;s pr&eacute;cise qui ne correspond pas forc&eacute;ment &nbsp;la r&eacute;alit&eacute; de terrain et aux besoins des &eacute;l&egrave;ves tout simplement. Et aux besoins des professeurs aussi d&rsquo;ailleurs &raquo;.</i>&nbsp;&laquo; Il<i>&nbsp;y a une lourdeur num&eacute;rique proc&eacute;durale&nbsp;</i>&raquo;. Pour une enseignante de lettres , &laquo;&nbsp;&nbsp;<i>Il y a beaucoup, beaucoup d&rsquo;artifices je trouve, il y a une d&eacute;marche tr&egrave;s artificielle, euh&hellip; c&rsquo;est excessif la fa&ccedil;on dont on veut&hellip; dont on cherche &agrave; nous l&rsquo;imposer, &agrave; vouloir le mettre je trouve au c&oelig;ur de nos pratiques.&nbsp;&raquo;.&nbsp;</i>Elle exprime un sentiment de contradiction entre une demande politique et sociale forte d&rsquo;usage du num&eacute;rique et des m&eacute;susages scolaires. Pour une jeune professeur des &eacute;coles &laquo;&nbsp;<i>ah mon Dieu c&#39;est une &eacute;preuve pour moi&nbsp;!&nbsp;&raquo; de dire, je dois&hellip; je dois bien faire attention que ce que je fais ce soit dans le programme. Bon apr&egrave;s, on peut toujours d&eacute;vier &eacute;videmment, mais j&#39;ai pig&eacute; que le jour o&ugrave; on est inspect&eacute;, faut vraiment pouvoir justifier ce qu&#39;on fait et dire que oui oui, &ccedil;a correspond bien &agrave; ce qu&#39;on attend de nous. (&hellip;) C&#39;est que il faut arriver dans un syst&egrave;me, avec les moyens qu&#39;on nous donne, (&hellip;) on n&rsquo;a pas forc&eacute;ment les moyens. Et une fois que je me sens pr&ecirc;te, eh bah pouf je rechange&nbsp;! Et &ccedil;a, c&#39;est quelque chose de frustrant je pense.&nbsp;&raquo;</i></p> <p>&nbsp;</p> <p><em>CONCILIER norme scolaire et sociale</em></p> <p>Et pour beaucoup, le num&eacute;rique est v&eacute;cu comme une pratique intime qui renvoie &agrave; la vie personnelle et familiale,&nbsp;<i>une pratique &laquo; naturelle &raquo;, in&eacute;vitable, de la vie</i>&nbsp;(professeur de SVT), avec laquelle &laquo;&nbsp;<i>chacun fait un peu ce qu&rsquo;il veut quoi&nbsp;&raquo; (professeur de math&eacute;matiques).</i>&nbsp;Cette triple r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la norme technologique qui appelle des comp&eacute;tences sp&eacute;cifiques et une formation, &agrave; la norme institutionnelle qui pose des contraintes fortes, et &agrave; l&rsquo;intimit&eacute; &laquo;&nbsp;hors norme&nbsp;&raquo; qui cr&eacute;e des zones de porosit&eacute; entre la vie et l&rsquo;&eacute;cole, montre &agrave; quel point les repr&eacute;sentations du num&eacute;rique chez les enseignants sont duales. &laquo; Le num&eacute;rique &raquo; renvoie au monde technique et au monde social, place l&rsquo;&eacute;cole dans une situation de contradiction, les enseignants dans l&rsquo;incertitude normative. La norme explicite elle-m&ecirc;me est parfois v&eacute;cue par les jeunes enseignants comme une difficult&eacute; dans sa mise en &oelig;uvre. Les normes juridiques et les pratiques sociales sont parfois contradictoires. Ainsi, une enseignante d&rsquo;anglais t&eacute;moigne de la rigidit&eacute; d&rsquo;un chef d&rsquo;&eacute;tablissement qui refuse toute utilisation des r&eacute;seaux socio-num&eacute;riques, m&ecirc;me en voyage scolaire, rigidit&eacute; qu&rsquo;elle d&eacute;plore mais subit, et qui la place en porte-&agrave;-faux par rapport aux parents. Ceux-ci trouveraient normal d&rsquo;avoir des nouvelles de leurs enfants via les r&eacute;seaux sociaux. M&ecirc;me par rapport &agrave; ses propres valeurs, qui l&rsquo;incitent &agrave; utiliser des outils de communication partag&eacute;s, l&rsquo;enseignante est tiraill&eacute;e.</p> <p>Le num&eacute;rique cr&eacute;e donc un lien &eacute;troit entre la vie priv&eacute;e, l&rsquo;intime, l&rsquo;exp&eacute;rience personnelle, heureuse ou douloureuse, et la vie professionnelle. La fa&ccedil;on d&rsquo;en parler est donc souvent plac&eacute;e sur le registre de l&rsquo;affectif plus que du cognitif et du rationnel, avec la repr&eacute;sentation d&rsquo;une rupture entre cette approche spontan&eacute;e, affective, li&eacute;e &agrave; la vie priv&eacute;e, et les injonctions institutionnelles d&eacute;crites comme d&eacute;cal&eacute;es, inadapt&eacute;es. Une r&eacute;f&eacute;rence technologique &laquo; froide &raquo; introduit donc dans les repr&eacute;sentations et les discours sur l&rsquo;&eacute;cole des &eacute;l&eacute;ments &laquo; chauds &raquo;, affectifs, intimes. Ces &eacute;l&eacute;ments li&eacute;s aux affects cr&eacute;ent &eacute;galement un sentiment de responsabilit&eacute; par rapport aux risques, autant chez les plus jeunes que l&rsquo;on craint de voir exposer &agrave; des contenus choquants, que chez les adolescents que l&rsquo;on voit d&eacute;sarm&eacute;s face &agrave; des normes sociales inacceptables, comme l&rsquo;injonction de l&rsquo;exposition de soi. &nbsp;Mais dans cette prise en charge d&rsquo;une responsabilit&eacute; particuli&egrave;re, l&rsquo;institution appara&icirc;t encore en d&eacute;calage, puisqu&rsquo;en posant des interdits sur les pratiques sociales du num&eacute;rique, elle emp&ecirc;che les enseignants de dialoguer sur les pratiques des &eacute;l&egrave;ves en leur imposant des formes d&rsquo;auto-censure. Une enseignante de gestion&nbsp;a r&eacute;solu la question&nbsp;: &laquo;&nbsp;&nbsp;<i>il y a tellement d&rsquo;outils sur Internet qu&rsquo;on peut utiliser pour leur montrer que &ccedil;a marche pas ou qu&rsquo;il faut faire attention. Moi je leur fais, r&eacute;guli&egrave;rement, je projette au tableau, je prends Google et je tape le pr&eacute;nom et le nom de famille de chaque &eacute;l&egrave;ve et on voit sur la premi&egrave;re page tout ce qu&rsquo;on trouve.&nbsp;&raquo;.</i></p> <p>Les r&eacute;seaux socio-num&eacute;riques posent donc particuli&egrave;rement un probl&egrave;me. La question se pose de savoir si, en travaillant sur les r&eacute;seaux socio-num&eacute;riques &agrave; l&rsquo;&eacute;cole, on sort du cadre. C&rsquo;est ce qu&rsquo;affirme une enseignante d&rsquo;espagnol&nbsp;: &laquo;&nbsp;Mais sinon apr&egrave;s pour communiquer avec eux, non. Parce que l&agrave; (&hellip;) je trouve qu&rsquo;on sort du cadre (&hellip;) l&agrave; on passe dans le cadre du loisir enfin c&rsquo;est autre chose pour moi (&hellip;) je vois pas comment l&rsquo;int&eacute;grer v&eacute;ritablement &agrave; mes s&eacute;quences, enfin vous voyez &agrave; l&rsquo;organisation, au projet p&eacute;dagogique je vois pas.&nbsp;&raquo; La connaissance du &laquo;&nbsp;cadre&nbsp;&raquo; est d&rsquo;ailleurs impr&eacute;cise&nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;est vrai bon je pense qu&rsquo;on n&rsquo;est pas tous dans les clous c&rsquo;est vrai que&hellip; enfin je pense qu&rsquo;il y a des choses qu&rsquo;on fait qui sont certainement &agrave; la limite de la l&eacute;galit&eacute;. &laquo;&nbsp;</p> <p>La norme s&rsquo;&eacute;nonce dans un cadre qui pose des limites contraignantes &agrave; l&rsquo;activit&eacute;. Pour une enseignante d&rsquo;anglais &laquo;&nbsp;&nbsp;<i>Je pense que c&rsquo;est la question de la limite qui fait peur. Si on utilise Twitter en classe il faut poser &eacute;norm&eacute;ment de limites, il faut un mod&eacute;rateur il faut peut-&ecirc;tre changer le mot de passe r&eacute;guli&egrave;rement ou voil&agrave; vraiment poser un cadre parce que effectivement on a facilement aucune limite sur les r&eacute;seaux sociaux et &ccedil;a donne, &ccedil;a donne des, des choses comme le harc&egrave;lement, comme enfin tout d&eacute;passement moral en fait ou bien immoral.&nbsp;</i>Pour cet enseignant de SVT, &laquo;&nbsp;<i>Alors les r&eacute;seaux sociaux, &agrave; mon avis faut pas les bannir mais faut les utiliser correctement, c&rsquo;est &nbsp;&agrave; dire que quand on est enseignant, &agrave; mon avis on n&rsquo;ajoute pas ses &eacute;l&egrave;ves m&ecirc;me sur un compte secondaire sur Facebook, enfin Facebook, c&rsquo;est&hellip; c&rsquo;est la&hellip; c&rsquo;est notre vie publique enfin non pardon &nbsp;notre vie priv&eacute;e qui peut &ecirc;tre rendue publique. &laquo;&nbsp;</i>C&rsquo;est du c&ocirc;t&eacute; de cet implicite que les choses se compliquent&nbsp;: ainsi, par exemple, la r&eacute;partition des r&ocirc;les entre la famille et l&rsquo;&eacute;cole n&rsquo;est plus claire dans l&rsquo;&eacute;ducation au num&eacute;rique. Une enseignante d&rsquo;arts plastiques ne voit pas le r&ocirc;le qu&rsquo;elle peut jouer dans l&rsquo;&eacute;ducation au num&eacute;rique, qu&rsquo;elle assigne aux parents, tout en s&rsquo;interrogeant, &agrave; l&rsquo;occasion de l&rsquo;entretien, sur la pertinence de ses propos.</p> <p>&nbsp;</p> <p><em>REPONDRE aux injonctions paradoxales</em></p> <p>Ainsi, pour les enseignants, l&rsquo;injonction du num&eacute;rique contient un certain nombre de contradictions normatives (entre la norme scolaire, pas toujours clairement identifi&eacute;e, et les normes sociales) et les place en difficult&eacute; par rapport &agrave; leur agir professionnel. Pour un professeur de math&eacute;matiques, &laquo;&nbsp;(&hellip;) puisque c&rsquo;est au programme, faut que je fasse le programme. Mais euh&hellip; ils ont de telles lacunes sur des notions de base, que&hellip; je trouve que c&rsquo;est euh&hellip; inappropri&eacute; ou en tout cas on n&rsquo;a pas suffisamment expliqu&eacute; ce qu&rsquo;on en attendait r&eacute;ellement pour que&hellip; je sache quoi en faire.&nbsp;&raquo; Pour cet autre enseignant de math&eacute;matiques, &agrave; propos de l&rsquo;algorithmique&nbsp;&laquo;&nbsp; m&ecirc;me si vous aimez l&rsquo;algorithmique, comme c&rsquo;est pas&hellip; dans l&rsquo;&eacute;cosyst&egrave;me de&hellip; nos pr&eacute;occupations, ben voil&agrave; c&rsquo;est&hellip; Moi je pense que tant que &ccedil;a sera pas d&eacute;tach&eacute;, &ccedil;a sera pas convaincant quoi&nbsp;&raquo;. Ces enseignants t&eacute;moignent d&rsquo;un sentiment de difficult&eacute;, voire de perte des rep&egrave;res, parce qu&rsquo;ils sont tiraill&eacute;s entre des injonctions normatives &agrave; enseigner et une difficult&eacute; &agrave; identifier autour de quoi &eacute;duquer et avec quels moyens. Pour cet enseignant en h&ocirc;tellerie, &laquo;&nbsp;on sait plus &eacute;crire&hellip; ils savent plus &eacute;crire et pas r&eacute;ellement&hellip; ils savent plus lire et plus &eacute;crire. Alors moi j&rsquo;entendais d&eacute;j&agrave; &ccedil;a &agrave; mon &eacute;poque, mais l&agrave; r&eacute;ellement, en 1&egrave;re, moi j&rsquo;ai des&hellip; j&rsquo;ai, j&rsquo;ai une jeune qui sait pas lire. Je l&rsquo;ai fait lire devant tout le monde, (&hellip;). Enfin c&rsquo;est pas normal. Donc&hellip; donc&hellip; ben oui, prendre un livre, c&rsquo;est quand m&ecirc;me mieux que d&#39;aller sur Internet et regarder tout et n&rsquo;importe quoi, les vid&eacute;os qui abrutissent le peuple, je vous dirais&nbsp;&raquo;. Les paradoxes des injonctions sont mis en relief par cet enseignant&nbsp;: ce qu&rsquo;il doit faire, la norme, est souvent cit&eacute; comme contraire &agrave; ce que le bon sens lui commande de faire. Pour un enseignant de lettres, &laquo;&nbsp;Je leur laisse utiliser leur t&eacute;l&eacute;phone portable d&rsquo;abord parce qu&rsquo;ils en ont chacun un ce qui est pas le cas par exemple pour des tablettes ou un ordinateur (&hellip;) Ensuite je leur laisse utiliser pour de la recherche (&hellip;) ce qui est tr&egrave;s int&eacute;ressant par exemple c&rsquo;est pour avoir un tableau en couleur, pour avoir la d&eacute;finition d&rsquo;un mot, l&rsquo;orthographe d&rsquo;un mot, voil&agrave; donc pour tout &ccedil;a, une recherche sur une biographie d&rsquo;un auteur, pour tout &ccedil;a ils peuvent utiliser dans le cadre du cours euh&hellip; la m&ecirc;me chose en latin ou en&hellip; alors en grec&hellip; j&rsquo;ai l&rsquo;impression que l&rsquo;&eacute;cran est v&eacute;ritablement un &eacute;cran entre le cerveau et la main.&nbsp;&raquo;. De la m&ecirc;me fa&ccedil;on, pour un autre enseignant de lettres, le fait de devoir remplir un cahier de textes num&eacute;rique, ou un fiche de pr&eacute;sence, repr&eacute;sente un obstacle &agrave; un exercice fluide de son m&eacute;tier d&rsquo;enseignant, et le met dans une position de justification par rapport aux parents et aux &eacute;l&egrave;ves. A l&rsquo;inverse, il souhaiterait lui aussi laisser les &eacute;l&egrave;ves utiliser leur t&eacute;l&eacute;phone portable, pratique interdite&nbsp;: &laquo;&nbsp;la difficult&eacute; que j&rsquo;ai c&rsquo;est qu&rsquo;on me le reproche parce que c&rsquo;est interdit par le r&egrave;glement int&eacute;rieur, &ccedil;a doit rester dans les sacs, &nbsp;(&hellip;) si toi tu les autorises en classe comment veux-tu que nous ensuite les &eacute;l&egrave;ves comprennent qu&rsquo;on veuille leur interdire&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p> <p>&nbsp;</p> <p><em>COMPRENDRE les cadres</em></p> <p>Ainsi, le num&eacute;rique r&eacute;interroge la norme scolaire, autant la norme explicite qui s&rsquo;exprime dans les r&egrave;gles juridiques et les programmes, que la norme implicite qui traverse la conception que chaque enseignant se fait de son m&eacute;tier, &agrave; l&rsquo;issue de ses &eacute;tudes, de sa formation, avec sa propre exp&eacute;rience sociale. Pour cette enseignante d&rsquo;anglais, l&rsquo;&eacute;ducation aux usages num&eacute;riques est incluse dans sa mission d&rsquo;enseignante&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>On est &eacute;ducateurs avant tout. Donc je pense qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;unisson, le message il vient d&rsquo;en haut et il est normal, il faut qu&rsquo;on le relaie sans cesse.&nbsp;&raquo; .</i></p> <p>&nbsp;</p> <p>Ainsi, de nombreux enseignants ont des pratiques num&eacute;riques tr&egrave;s proches de celles de leurs &eacute;l&egrave;ves, utilisant les RSN, t&eacute;l&eacute;chargeant des ressources sans se soucier de propri&eacute;t&eacute; intellectuelle. L&agrave; encore, le num&eacute;rique fait advenir des contradictions entre usages sociaux, discours attendu et perception de la norme. Pour certains cependant comme cette enseignante d&rsquo;anglais, il faut &ecirc;tre coh&eacute;rent&nbsp;: &laquo;&nbsp;&nbsp;<i>il faut &ecirc;tre irr&eacute;prochable soi-m&ecirc;me avant de pr&ocirc;ner l&rsquo;irr&eacute;prochabilit&eacute;. (&hellip;) je fais pas n&rsquo;importe quoi, en tout cas &ccedil;a, j&rsquo;ai mis un point d&rsquo;honneur l&agrave; dessus, y&rsquo;a pas&hellip; pas de t&eacute;l&eacute;chargement ill&eacute;gal chez moi par exemple. (&hellip;) Je paye pour ceux qui payent pas je suppose (rires) mais moi je peux me regarder dans le miroir et je&hellip; je fais rien de mal.</i>&nbsp;&laquo;&nbsp;</p> <h3>La norme comme limite et dynamique de la construction de connaissances&nbsp;: pour une approche culturelle et dynamique de l&rsquo;information dans une perspective durable</h3> <p>Dans le contexte scolaire, &agrave; travers plusieurs projets de recherche, comme dans les contextes professionnels, le constat de l&rsquo;inad&eacute;quation de l&rsquo;application d&rsquo;une conception norm&eacute;e des pratiques informationnelles aux n&eacute;cessit&eacute;s de la construction des connaissances s&rsquo;est confirm&eacute;. Anne Cordier a &eacute;t&eacute; l&rsquo;une des premi&egrave;res &agrave; mettre l&rsquo;accent sur les &eacute;carts entre les pratiques informationnelles spontan&eacute;es, non formelles, mais efficaces des adolescents &ndash; comme la recherche en dehors du logiciel documentaire, via le moteur de recherche Google, ou via les images sur Youtube&ndash; et des proc&eacute;dures rigides impos&eacute;es par les professionnels de l&rsquo;information en milieu &eacute;ducatif, soucieux de conserver la ma&icirc;trise des dispositifs techniques et les pratiques informationnelles qui leur sont li&eacute;es (Cordier, 2011). La m&eacute;diation qui justifie le travail du professionnel devient ainsi un obstacle quand elle est enferm&eacute;e dans un cadre normatif qui ne prend pas en consid&eacute;ration les pratiques non formelles des apprenants. La norme doit ainsi &ecirc;tre int&eacute;gr&eacute;e dans le caract&egrave;re &laquo;&nbsp;apprenant&nbsp;&raquo; des organisations, l&rsquo;apprenance pouvant se d&eacute;finir comme comme &laquo;&nbsp;un ensemble durable de dispositions favorables &agrave; l&rsquo;action d&rsquo;apprendre dans toutes les situations formelles et informelles, de fa&ccedil;on exp&eacute;rientielle ou didactique, autodirig&eacute;e ou non, intentionnelle ou fortuite&nbsp;&raquo; (Carr&eacute;, Lebelle, 2009).</p> <p>Nous retrouvons ici la question de la durabilit&eacute;. Pour que la construction de connaissances soit durable, l&rsquo;organisation qui la porte doit permettre des interactions et l&rsquo;&eacute;mergence de formes de cognition distribu&eacute;e et de m&eacute;diation qui passent &eacute;ventuellement par une dynamique de normalisation mais peuvent chercher &agrave; s&rsquo;affranchir des normes existantes. L&rsquo;organisation apprenante est reliante (Morin, 1990), elle permet que se construisent des liens entre des univers diff&eacute;rents, au-del&agrave; des cloisonnements disciplinaires et norm&eacute;s. Elle exige une certaine flexibilit&eacute; cognitive et l&rsquo;acceptation de la complexit&eacute; de la part des ses membres. Elle doit permettre la cr&eacute;ation d&rsquo;environnements informationnels qui accompagnent le processus de participation et la structuration de la pratique au sein des groupes. Dans les entreprises et dans les organismes publics, cette prise en compte de la dimension participative dans le processus d&rsquo;information et d&rsquo;apprentissage, jusque dans l&rsquo;association des usagers &agrave; la r&eacute;flexion sur les projets, peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme une condition de durabilit&eacute;, m&ecirc;me si la fa&ccedil;on de l&rsquo;organiser n&rsquo;est pas syst&eacute;matique, donc pas encore con&ccedil;ue comme une norme. Toute la difficult&eacute; dans la durabilit&eacute; r&eacute;side ainsi dans l&rsquo;&eacute;quilibre entre la n&eacute;cessit&eacute; de stabiliser les outils et les pratiques d&rsquo;une part, de s&rsquo;adapter &agrave; la diversit&eacute; des pratiques sociales r&eacute;elles, d&rsquo;autre part. La normalisation r&eacute;pond &agrave; la premi&egrave;re exigence, mais doit s&rsquo;accomoder de proc&eacute;dures de management ou de gouvernance qui prennent en consid&eacute;ration la seconde. C&rsquo;est ce que montre notamment Yrj&ouml; Engestr&ouml;m (2011), soulignant les contradictions entre les outils, dont la logique repose sur des normes bas&eacute;es sur des contextes ferm&eacute;s et des individus experts, et les fa&ccedil;ons r&eacute;elles dont les individus s&rsquo;emparent de ces outils dans le cours de l&rsquo;action.</p> <h2><a id="t5"></a>CONCLUSION</h2> <p>Une conception &laquo; &eacute;cologique &raquo; ou durable de l&rsquo;information &agrave; partir des &eacute;cosyst&egrave;mes informationnels met n&eacute;cessairement en lien l&rsquo;activit&eacute; des individus avec l&rsquo;&eacute;volution du contexte. Cette durabilit&eacute; ne repose pas seulement sur la ma&icirc;trise des syst&egrave;mes d&rsquo;information ou des normes d&rsquo;usages. Elle peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme un processus complexe qui comprend les dimensions techniques, cognitives, &eacute;motionnelles, sociales, permettant la construction du sens &agrave; partir de l&rsquo;information, pens&eacute;es comme cycliques et non lin&eacute;aires. La norme, dans cette perspective, est partie int&eacute;grante de la culture de l&rsquo;information. La conscience de l&rsquo;existence et de l&rsquo;importance de normes, la capacit&eacute; &agrave; les mettre en application, &eacute;ventuellement &agrave; les critiquer, mais aussi &agrave; participer &agrave; leur processus de fabrication, sont des &eacute;l&eacute;ments constitutifs de cette culture dans une perspective durable. Plut&ocirc;t que la norme elle-m&ecirc;me, c&rsquo;est la dynamique de normalisation participative (partag&eacute;e, sous forme d&rsquo;enqu&ecirc;te) qui peut &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme susceptible de favoriser la durabilit&eacute; des pratiques informationnelles dans une perspective de construction de connaissances. Parce qu&rsquo;elle comprend une forme d&rsquo;accord sur les proc&eacute;dures et les valeurs partag&eacute;es. Pour que cela soit efficace, la norme doit contenir les conditions de son propre changement.<b>&nbsp;</b></p> <h2><a id="t6"></a><a id="t6"></a>BIBLIOGRAPHIE</h2> <p>Auroux, Sylvain (1998).&nbsp;<i>La raison, le langage et les normes.&nbsp;</i>&nbsp;Paris, Presses Universitaires de France.</p> <p>Borde, Jean-Michel, Alain&nbsp;Vaucelle, Hudrisier, Henri&nbsp; (2014). &nbsp;La normalisation&nbsp;: dynamique opaque ou bonne gouvernance mondiale&nbsp;?,&nbsp;<i>Pens&eacute;e plurielle</i>, 36, 2, p. 9-35.</p> <p>Cacaly, Serge (dir.) (1997).&nbsp;<i>Dictionnaire encyclop&eacute;dique de l&rsquo;information et de la documentation</i>, Paris, Nathan.</p> <p>Cardon, Dominique (2012) La d&eacute;mocratie Internet. Entretien avec Dominique Cardon,&nbsp;<i>Transversalit&eacute;s</i>, 123-3, p. 65-73.</p> <p>Cohendet, Patrick, Diani, Morad (2005). La notion d&rsquo;activit&eacute; par face au paradigme &eacute;conomique de l&rsquo;organisation : une perspective d&rsquo;interpr&eacute;tation en termes de communaut&eacute; &raquo; in&nbsp;<i>Entre connaissance et organisation : l&rsquo;activit&eacute; collective</i>. Paris, La D&eacute;couverte, p. 161-186.</p> <p>Cordier, Anne (2011). Imaginaires, repr&eacute;sentations, pratiques formelles et non formelles de la recherche d&rsquo;information sur Internet&nbsp;: Le cas d&rsquo;&eacute;l&egrave;ves de 6&egrave;me et de professeurs documentalistes.&nbsp;<i>Th&egrave;se de Doctorat en Sciences de l&rsquo;Information et de la Communication, sous la direction de &Eacute;ric Delamotte et Vincent Liqu&egrave;te</i>, Lille 3. Disponible sur&nbsp;:&nbsp;<a href="http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/73/76/37/PDF/THESE_Volume_1.pdf">http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/73/76/37/PDF/THESE_Volume_1.pdf</a></p> <p>Engestr&ouml;m, Yrj&ouml; (2011). Th&eacute;orie de l&#39;Activit&eacute; et Management,&nbsp;<i>Management &amp; Avenir</i>, 42, 2, p. 170-182.</p> <p>Foucault, Michel (2004),&nbsp;<i>S&eacute;curit&eacute;, Territoire, Population. 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Paris, Presses des Mines.</p> <p>Macherey, Pierre (2014),&nbsp;<i>Le Sujet des normes.&nbsp;</i>Editions Amsterdam.</p> <p>Morin, Edgar (1990).&nbsp;<i>Introduction &agrave; la pens&eacute;e complexe</i>. Paris, ESF.</p> <p>Le Mo&euml;nne, Christian (2005). &laquo;Normes&raquo;, in COMMISSION FRAN&Ccedil;AISE POUR L&#39;UNESCO,&nbsp;<i>La &quot;Soci&eacute;t&eacute; de l&#39;information&quot; : glossaire critique</i>, Paris, La Documentation fran&ccedil;aise, p. 113-114.</p> <p>Prairat, Eirick&nbsp;(2014). L&rsquo;approche par les normes professionnelles&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Recherche et formation</i>, 75, p. 81-94.</p> <p>R&eacute;gimbeau, G&eacute;rard (2013). Petit glossaire des notions centrales de ce num&eacute;ro.&nbsp;<i>Herm&egrave;s, La Revue</i>, 66,(2), p. 18.</p> <p>Sch&ouml;n, D. (1994)&nbsp;<i>Le praticien r&eacute;flexif. &Agrave; la recherche du savoir cach&eacute; dans l&#39;agir professionnel</i>. Montr&eacute;al, &Eacute;ditions Logiques.</p> <p>&nbsp;</p> <hr size="1" width="33%" /> <p><a href="https://www.revue-cossi.info/numeros/n-5-2018-processus-normalisation-durabilite-information/733-5-2018-lehmans#ftnref1" id="ftn1">[1]</a>&nbsp;Voir&nbsp;<a href="https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/sic_01552095/">https://hal-lara.archives-ouvertes.fr/sic_01552095/</a></p>