Notre équipe pédagogique et de recherche travaille dans le cadre de l’enseignement de l’architecture numérique au sein d’une faculté d’architecture belge. Dans ce cadre, et sensibles aux évolutions technologiques pour les tester dans le cadre de notre enseignement, nous avons vu arriver en 2022 les IA génératives (IAG) d’images complétées ensuite par l’émergence des modèles de langage qui nous ont profondément interpelés. Après la sortie publique en novembre 2022, nous avons décidé d’immédiatement faire interagir nos étudiants avec ces nouvelles formes de production graphiques pour étudier les différentes interactions entre l’idée, la conception et la production architecturale. Nous avons développé une démarche de construction sémantique et logique pour permettre aux étudiants d’appréhender une nouvelle forme d’expression graphique à travers la synthèse du langage. Notre démarche opportuniste s’inscrit néanmoins plus largement dans le questionnement de l’usage des outils numériques dans le domaine de la conception architecturale qui renvoie à la dichotomie entre l’appréhension des nouveaux outils numériques présents en tout ou partie dans les agences depuis les années 1990 et pourtant confronté à un enseignement qui n’a que peu changé depuis la création du modèle des Beaux-Arts. L’IAG semble néanmoins être un déclencheur déterminant d’une transformation profonde des modes opératoires (Kee et al., 2024). Pour étayer ce constat, nous avons analysé la manière dont l’IA générative (texte et images) a été intégrée dans certaines agences d’architecture aux USA et dans les pays germaniques. Des chercheurs-praticiens tels Matsys<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:#467886; text-decoration:underline" title="">[1]</a> (Andrew Kudless, prof. à l’université de Houston), Mécanoo<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" style="color:#467886; text-decoration:underline" title="">[2]</a> (Francine Houben) (« L’intelligence artificielle s’infiltre chez les architectes », 2023) .Dans le même temps, la recherche sur ces questions est étudiée selon diverses approches culturelles (expositions) ou rédactionnelles, tel le symposium Architecture after AI à l’université d’Austin (février 2023, Texas). Ces analyses « à chaud » dans le monde culturel anglo-saxon et germanique des agences d’architectures montrent également une pression des maitres d’ouvrages quant à la capacité de chacun qu’offrent les IAG à rédiger un prompt pour exprimer une idée par une image. Dans ce contexte se pose dès aujourd’hui l’essentialisme du métier d’architecte dans l’acte de concevoir, jusqu’alors unique maitre de son &oelig;uvre à travers son dessin comme transmission de son savoir constitutif de l’expression de son &oelig;uvre jusqu’à la réalisation. De nouveaux questionnements sur les temporalités du projet et le rôle des acteurs semblent donc se poser avec l’arrivée des IA génératives. Au-delà des questions d’adaptabilité des étudiants à distinguer les pensées des idées qui pourront se formaliser en objets réels, l’ethnologue M. Ferraris exprime à travers la machine conversationnelle (le smartphone) (Ferraris, 2006) une déconstruction sémantique catégorisée par les objets existants, idéaux et ex-existants (Meinong, 1915). Dans ce contexte, la démarche initiée à la sortie des modèles de langage nous questionne sur la déconstruction des modes de pensées ontologiques de la conception à travers les phases traditionnelles du projet d’architecture qui constitue aujourd’hui un carcan restrictif face à l’offre algorithmique qui semble ouvrir de nouvelles opportunités dialectiques au démarrage du projet. Un questionnement qui s’appuie sur la théorie phénoménologique ou ontologique de l’intentionnalité que posent Smith et Mulligan (Mulligan & Smith, 1986) précisant que les objets imaginés sont tout autant réels ou réalistes par leur intentionnalité, développée ici par des étudiants en architecture et aujourd’hui matérialisée à travers les IA génératives en quelques secondes. Une nouvelle temporalité qui offre une multitude de possibilités d’expressions graphiques itératives et donne aux objets imaginaires le qualificatif « réel » (Seron, 2011) par la qualité du prompt entre deux compositions génératives. Face à ce constat, notre démarche pédagogique a dû nécessairement se structurer en proposant aux étudiants une trame initiale qui balise les étapes majeures du processus et les résultats attendus. L’analyse de l’expérience démontre une appropriation de ce schéma de base par les différents groupes d’étudiant en intégrant des objectifs nouveaux comme la fiabilisation du mode de construction sémantique des prompts. La fiabilisation a pris la forme d’un travail sémantique pour construire des prompts permettant de générer des images qui retranscrivent des ambiances urbaines proches de la réalité de la ville étudiée. Cette phase de validation a développé une augmentation du niveau de confiance auprès des étudiants vis-à-vis des l’IAG exploitées. Cette confiance est un élément indispensable dans le cadre d’un accompagnement d’activités créatives. (Épisode 79 - Chat GPT et architecture, 2023) <div>   <img height="410" src="https://www.numerev.com/img/ck_6_1_image.png" width="943" />     Fig 1 : Processus initial d’intégration des IAG proposée par l'équipe pédagogique   Enfin, notre démarche se poursuit actuellement avec le même mode opératoire. Une seconde année qui montre d’ores et déjà une évolution notable de la facilité avec laquelle nos étudiants ont intégré l’adaptation sémantique nécessaire aux modes de langages des différents SML pour transférer les idées en images. Un constat qui sera abouti méthodologiquement au moment de la restitution complète de l’article (juin 2024).   Nous clôturerons cette réflexion par une analyse critique des expérimentations réalisées durant les deux dernières années. Une ébauche de la réflexion a été menée dans le cadre d’un travail de fin d’études dirigé par un des auteurs. Nous allons proposer une cartographie des différents modes d’appropriation et d’exploitation des IAG par les étudiants et une confrontation avec les attentes des activités d’idéation du projet d’architecture (temporalités, niveaux d’interactions et biais) (Palaia, 2023).   Bibliographie <h1 style="text-align:justify; text-indent:0cm"> </h1> Épisode 79—Chat GPT et architecture. (2023, novembre 8). https://soundcloud.com/mumons/episode-79-chat-gpt-et-architecture Ferraris, M. (2006). T’es où ?  : Ontologie du téléphone mobile (Albin Michel). Kee, T., Kuys, B., & King, R. (2024). Generative Artificial Intelligence to Enhance Architecture Education to Develop Digital Literacy and Holistic Competency. Journal of Artificial Intelligence in Architecture, 3(1), Art. 1. https://doi.org/10.24002/jarina.v3i1.8347 L’intelligence artificielle s’infiltre chez les architectes. (2023, décembre 25). Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/12/25/l-intelligence-artificielle-s-infiltre-chez-les-architectes_6207658_3246.html Meinong, A. (1915). Über Möglichkeit und Warscheinlichkeit. Barth. Mulligan, K., & Smith, B. (1986). A relational theory of the act. Topoi, 5(2), 115‑130. https://doi.org/10.1007/BF00139225 Palaia, A. (2023). When Artificial Intelligence becomes creative collaborator : Redefining the role of the architect. [TFE]. Université de Mons. Seron, D. (2011). Théorie relationnelle et théorie phénoménale de l’intentionnalité. In Analyse et ontologie : Le renouveau de la métaphysique dans la tradition analytique (p. 39‑70). Vrin. <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:#467886; text-decoration:underline" title="">[1]</a> <a href="https://www.matsys.design/" style="color:#467886; text-decoration:underline">https://www.matsys.design/</a> </div> <div id="ftn2"> <a href="#_ftnref2" name="_ftn2" style="color:#467886; text-decoration:underline" title="">[2]</a> <a href="https://www.mecanoo.nl/" style="color:#467886; text-decoration:underline">https://www.mecanoo.nl/</a> </div> </div>