<h3>Contexte et questionnement</h3> Les IA génératives ont bousculé, de manière récente et fulgurante, la plupart des sphères de la société contemporaine, et notamment les tâches quotidiennes, les activités cognitives et intellectuelles, les activités créatives et culturelles (Ganascia, 2017), ou encore les pratiques sociales (Petit, 2021) et les pratiques professionnelles (Alcantara et al., 2020). Ce phénomène, récent et total, interroge ainsi l’ensemble des acteurs du corps social, sur la place à accorder à ces nouveaux outils, la connaissance à en avoir, la régulation à opérer, afin que ces derniers soient compris, appropriés et mobilisés le plus efficacement et le plus sûrement possible. Dans le présent propos, nous avons choisi de nous centrer sur un secteur particulièrement secoué par les IA : le secteur de l’éducation (Balacheff, Vivet, 1994 ; Holmes, Tuomi, 2022; Romero et al., 2023), et plus précisément celui de l’enseignement universitaire. Nous proposons d’étudier les incidences que peuvent avoir les IA génératives dans les pratiques des étudiants et des enseignants universitaires. Nous souhaitons in fine esquisser un ensemble de pistes permettant d’intégrer les IA de façon pertinente et constructive dans l’enseignement supérieur. <h3>Méthodologie</h3> Afin d’étayer notre propos, nous prenons appui sur une démarche empirico-inductive, articulant deux recueils de données complémentaires, menés au sein du département Information-Communication de l’UPV de Montpellier. Le premier est un sondage réalisé, en janvier 2023, auprès des 373 étudiants de L1. Celui-ci a consisté à interroger les étudiants sur les IA en général, et sur le recours aux IA dans l’enseignement supérieur. Outre ce sondage, notre propos prend appui sur deux expérimentations pédagogiques. En effet, nous avons pris en considération les pistes formulées par les étudiants (via le sondage) pour intégrer une IA (Chat GPT) dans deux de nos enseignements : PREO - PRatiques de l'Écrit et de l’Oral (conduite de projet-métier amenant les étudiants de L1 à s’informer sur un métier et à préparer une interview avec un professionnel exerçant ce métier) et PDP - Pratiques de la publicité (atelier publicitaire amenant les étudiants de L2 à concevoir, chaque semaine, en équipe, une création publicitaire de format différent : print, audio, vidéo, numérique…). Durant ces expérimentations, nous avons pris soin de consigner, dans un journal de bord, tous les événements marquant le passage à ces “nouvelles-versions-avec-IA” (observations, difficultés, réflexions, réajustements, points de vue exprimés par les étudiants en classe ou lors des évaluations de l’enseignement). Pour ce qui est de l’analyse des données, nous avons procédé à une analyse de contenu thématique (Paillé et Mucchielli, 2005), afin de faire émerger progressivement, à partir du matériau recueilli (questionnaire et journal de bord), les implications que peuvent avoir les IA dans les pratiques des étudiants et des enseignants. <h3>Résultats</h3> L’enquête menée auprès des étudiants nous a appris que ces derniers avaient déjà majoritairement utilisé des IA (à 92%), le plus souvent ChatGPT (à 71%), et principalement pour “s’informer”, “trouver des idées”, “de l’inspiration”, et “passer à la rédaction”. Dans ce sondage, les étudiants ont pointé la nécessité de “lever les tabous” sur les IA à l’université, et de les intégrer dans les enseignements, en “démarrage” d’activités pédagogiques par exemple, afin de “sensibiliser concrètement les étudiants à leur potentiel et à leurs dangers”. A partir de ces pistes, nous avons intégré ChatGPT dans nos cours PREO et PDP : nous l’avons mobilisé comme starter de séance, en demandant aux étudiants de l’utiliser pour trouver des informations et des idées (en PREO: pour leur interview-métier, et en PDP : pour leur création publicitaire). Cette intégration de ChatGPT en starter de séance nous a permis de dynamiser le cours, de créer une situation d’apprentissage stimulante, en utilisant l’IA comme un incubateur d’idées, débloquant parfois les démarrages difficiles. En outre, ce scénario nous a permis de sensibiliser les étudiants à certains atouts des IA (capacité à traiter un grand nombre de données, à offrir en un temps très court une synthèse structurée sur un sujet…), mais également à certaines de leurs limites (informations standardisées et nécessité de mobiliser leur capacité de réflexion, leur créativité, pour challenger ces informations standardisées, et concevoir des productions plus poussées, plus critiques, plus originales, plus personnalisées…). Notre scénario pédagogique nous a en outre donné l’opportunité de sensibiliser les apprenants à des usages d’IA qui pourraient s’avérer discutables, voire condamnables (non vérification des sources, copier-coller, plagiat, non-respect de propriété intellectuelle…). Ainsi, nous n’avons pas assimilé exclusivement les IA à des dérives ou des sanctions, mais nous nous sommes employées à instiller dans nos enseignements une dynamique d’éducation aux IA (Alexandre et al., 2023), afin d’aiguiser l’esprit critique des étudiants, et leur permettre de développer des usages éclairés, raisonnés, réfléchis et responsables. Nous avons cherché à leur faire comprendre que les IA ne sont ni strictement exemptes d’atouts, ni strictement exemptes de failles, mais peuvent être ou devenir des technologies starters, à utiliser avec prudence et intelligence. Nous avons ainsi pensé une intégration “éducative” des IA, durable, capable de répondre aux besoins des étudiants “sans mettre en danger leur processus d’appropriation et de création de connaissance, leur esprit critique et leur réflexivité” (COSSI, 24). Plus largement, nos expérimentations ont révélé, selon nous, la nécessité de penser l’intégration d’IA dans une dynamique circulaire, dans laquelle enseignants et étudiants sont bilatéralement interdépendants. D’une part, l’intégration d’IA s’est avérée, pour nous, indissociable d’une concertation des étudiants : nous avons consulté les étudiants (en amont et en aval de cette intégration) afin de concevoir une ingénierie en phase avec leurs attentes. D’autre part, l’éducation des étudiants aux IA s’est révélée consubstantielle de notre propre éducation aux IA : nous avons dû nous éduquer aux IA (former nos connaissances, notre esprit critique) (Karsenti, 2018) afin d’être en mesure d’éduquer, à leur tour, les étudiants aux IA. Ces éléments soulignent l’intérêt de penser l’intégration des IA dans une dynamique circulaire, info-communicationnelle (Boukacem-Zeghmouri, Dillaerts, 2018), dans laquelle les pratiques des enseignants et des étudiants s’enrichissent et s’alimentent mutuellement. <h3>Références bibliographiques</h3> Alcantara, C., Charest, F., Lavigne, A. (2020). IA et communication des organisations. Communication & management, vol. 17, n°2, 5-8. Alexandre, F., Comte, M.H., Lagarrigue, A., Viéville, T. (2023). L’IA pour mieux apprendre et appréhender l’IA. Enseigner et apprendre à l’ère de l’IA. 56-62. Balacheff, N., Vivet, M. (1994). Didactique et IA. Recherche en didactique des mathématiques, 9-42. Boukacem-Zeghmouri, C., Dillaerts, H (2018). Information scientifique et diffusion des savoirs : entre fragmentations et intermédiaires. RFSIC [En ligne], 15. COSSI (2024), Appel à communication. Ganascia, J.G (2017). IA : Vers une domination programmée ?. Le Cavalier Bleu. Holmes, W., Tuomi, I. (2022). State of the art and practice in AI in education. EJE, 57, 542-570. Karsenti, T. (2018). IA en éducation : L’urgence de préparer les futurs enseignants aujourd’hui pour l’école de demain ?. Formation et profession, 26(3), 112-119. Petit, L. (2021). Les SHS et les SIC au défi de l’IA. Communication, technologies et développement [en ligne], 10. Paillé, P., Mucchielli, A. (2005). L’analyse qualitative en SHS. A.Colin Romero, M., Heiser, L., Lepage, A. (2023). Enseigner et apprendre à l’ère de l’IA: acculturation, intégration et usages créatifs de l’IA en éducation: livre blanc. MENJ.