<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Ces derniers mois, les outils d’IA générative pour la production de contenus visuels ont fait leur entrée dans les pratiques communicationnelles. Si Midjourney ou Dall-E (pour ne citer que les principaux) paraissaient réservés à des contextes privés et récréatifs, il n’y a désormais aucun doute sur leur capacité à accompagner des usages professionnels. Selon certains discours, la publicité, l’édition, la communication interne ou le design ne pourront bientôt plus s’en passer. Ces outils fascinent, seraient innovants et inventifs, habiles à générer du contenu de qualité de façon rapide et par n’importe qui, pour peu qu’il maîtrise les règles du <i>prompting</i>.</span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Ces nouveaux </span></span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">« partenaires créatifs », <span style="color:black">s’imposant à travers une culture visuelle et informationnelle (Allard, 2021), produisent quelque chose de stupéfiant, qui nous rend cependant aveugles à leurs prétentions sur les représentations des figures du corps, dont celles de l’émotion. Il y a une ambition des outils d’IA à représenter le vivant (Devillers, 2020) en général et l’émotion en particulier. Les créations contemporaines, et les figurations du corps qu’elles proposent semblent de plus en plus vraisemblables. En outre, les émotions sont un motif des discours portés par ces outils : elles sont présentes dans les visuels promotionnels, dans les <i>guidelines</i>, ou encore, dans sa sollicitation même, le corps est capté par ces dispositifs. </span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">La prétention des IA à produire des « con » « figurations » de l’émotion — elles les font avec l’utilisateur, selon ses instructions — engage une réflexion sur les conditions de génération de ces contenus et ce qu’ils impliquent au regard des rapports entre humains et non humains en contexte professionnel et marchand. Interroger la question affective en perspective des outils d’IA générative revient à se demander dans quelle mesure les outils d’IA con-figurent l’émotion humaine.</span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Cela requiert une analyse sur trois niveaux : celui du geste de <i>prompting</i>, de son inscription dans des activités professionnelles à visée créative et des circulations de ses productions dans le monde social. Finalement, ces outils servent les ambitions des industries du web ou du logiciel à capitaliser le corps, qu’il soit présenté à l’écran, mis en activité devant son clavier ou ému face à un contenu visuel (Martin-Juchat, 2008). </span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un projet LabCom (financement ANR) développant des méthodes incluant des questions de design de représentations des affects dans les productions. Dans le cadre de ce LabCom, qui cherche plus précisément à développer une méthode d’usage responsable des émotions par le design en communication, nous avons testé certaines IA génératives. C’est en essayant de faire produire par ces IA du contenu chargé plus ou moins affectivement que s’est posée la nécessité d’interroger les contours et les modalités de ces co-conceptions.</span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">Pour étayer notre réflexion, nous avons formulé</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> trois hypothèses à partir d’une étude de cas. Une de ses étapes demande de représenter un concept « innovant ». Il s’est agi de concevoir et de développer des supports de représentations de ce concept impliquant la mise au travail d’IA génératives. La méthodologie peut alors être qualifiée de socio et sémio-technique, d’expérimentale et de critique (Treleani, 2015). Elle alterne en effet ces expérimentations et une approche sémio-discursive de l’architexte (Jeanneret et Souchier, 2005) de Dall-E 3, de ses <i>guidelines</i> et des discours de « bonnes pratiques » qui l’entourent. Nous ouvrirons ponctuellement à d’autres dispositifs afin de renforcer ou nuancer l’analyse.</span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">À partir de l’explicitation de notre étude de cas, nous verrons d’abord que la représentation de l’émotion et des affects par les outils d’IA générative repose sur des conceptions stéréotypées que ces outils naturalisent (1). Ceux-ci fonctionnent par invention et simplification autour de stéréotypes, ou du stéréotypable sémiotiquement. D’une part leur théorie de l’émotion est figée et culturellement ancrée : elle reproduit des biais repérables et identifiables (Davat, 2023). D’autre part il y a, pour ces outils, une sorte d’évidence de ce que sont le corps et ses figures, qu’ils participent à naturaliser. Les représentations qui en découlent relèvent de catégories appauvries des émotions et des affects.</span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Puis, nous verrons que le « geste d’écriture » de l’émotion est traversé par des enjeux de pouvoir, masqués par des jeux d’illusion et d’enchantement (Winkin, 2002) (2). Le geste du <i>prompt</i> et son résultat (la production d’un ou de plusieurs visuels), </span></span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">sont soumis à des enjeux de pouvoir sur les corps, les pratiques d’écriture et d’auctorialité (Souchier <i>et al.,</i> 2019). Ce geste en effet doit se mouler dans une certaine énonciation (Cooren, 2010), imposée par l’architexte</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">. Ces contraintes sont atténuées par une ingénierie de l’enchantement et une idéologie de la créativité qui soutiennent l’expérience, la rendant indolore et séduisante pour celui qui le réalise.</span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Enfin, ces outils prescrivent un format d’écriture qui repose sur de la co-opération, cognitive et axiologique (3). La technique se présente comme agent presque humain avec lequel il faut composer (Ménissier, 2021), ayant une personnalité, un talent, et une manière de travailler. En outre, en acceptant de jouer le jeu (Lambert, 2013) de l’architexte, l’utilisateur ajuste ses propres représentations, par concessions et bricolages, et laisse ces dispositifs déterminer les systèmes de valeurs que ces productions vont véhiculer. <i>In fine</i>, ils imposent et conditionnent certaines représentations qui impliquent de faire coller les affects (</span></span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:">Hochschild</span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:115%"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">, 2017) à des formats sémiotiques. Accepter, sans les discuter, les règles imposées par ces outils reviendrait à consentir que la fabrique du signe soit déléguée à des machines ayant leur propre axiologie. L’alchimie du sens, tout comme la complexité des émotions, se trouveraient neutralisées par ces nouvelles co-opérations.</span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"> </p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><b><span arial="" style="font-family:">Bibliographie indicative</span></b></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">Allard</span></span><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">, L. (2021). L’art peut-il résister aux robots et à l’intelligence artificielle ?. <i>NECTART</i>, 12, 146-153. </span></span><a href="https://doi.org/10.3917/nect.012.0146" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">https://doi.org/10.3917/nect.012.0146</span></span></a><span arial="" style="font-family:">.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">Cooren</span></span><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">, F. (2010). Ventriloquie, performativité et communication: Ou comment fait-on parler les choses. <i>Réseaux</i>, 163, 33-54<span style="color:#323232">. </span></span></span><a href="https://doi.org/10.3917/res.163.0033" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">https://doi.org/10.3917/res.163.0033</span></span></a><span arial="" style="font-family:">.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Davat, A. (2023). Biais, intelligence artificielle et technosolutionnisme, Éthique, politique, religions, n° 22, 67-83.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">Devillers, L. (2020). <i>Les Robots émotionnels. Santé, surveillance, sexualité… : et l’éthique dans tout ça ?</i> », Éditions de l’Observatoire.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:12pt"><span style="background:white"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="font-size:11.0pt"><span arial="" style="font-family:">Garmon, I.</span></span><span style="font-size:11.0pt"><span arial="" style="font-family:"> et Candel, É. (2021). Matérialité, formes et pouvoirs de la « représentationnalité » numérique. Approche épistémologique de la représentation par le Web contemporain et ses interfaces tactiles. <em><span arial="" style="font-family:">Interfaces numériques</span></em>, 10(1). </span></span><a href="https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.4551" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span style="font-size:11.0pt"><span arial="" style="font-family:">https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.4551</span></span></a><span style="font-size:11.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:#4b575f">. </span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Hochschild, A. R. (2017). <i>Le prix des sentiments. Au cœur du travail émotionnel</i>, La Découverte, Paris, 2017.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Jeanneret, Y. et Souchier, E. (2005). L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran. <i>Communication & Langages</i>. Vol. 145, n° 1, 3‑15.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Lambert, F. (2013) <i>Je sais bien mais quand même : essai pour une sémiotique des images et de la croyance</i>. Paris : Éd. Non standard. Collection SIC, 02.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Le Moënne, C. (2008). La « question organisationnelle » pour les sciences de l’information et de la communication. <i>Les Cahiers de la SFSIC.</i> N° 3, juin.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">Martin-Juchat</span></span><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">, F. (2008). <i>Le corps et les médias: La chair éprouvée par les médias et les espaces sociaux</i>. De Boeck Supérieur.</span></span> </span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Masure, A. (2017). <i>Design et humanités numériques</i>. Paris, France : Éditions B42. Collection Esthétique des données, 01.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">Ménissier, T. (2021). Confiance en l’intelligence artificielle et autorité des machines. <i>Storia e Politica</i>, 2021, 13 (2), 264-287.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Souchier, E., Candel É., Gomez-Mejia, G. et Jeanne-Perrier, V. (2019). <i>Le numérique comme écriture : théories et méthodes d’analyse</i>. Paris : </span></span></span></span><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Armand Colin.</span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Treleani, M. (2015). Une sémiotique critique du numérique est-elle possible ? [En ligne]. Disponible à l’adresse : </span><a href="https://hal.univ-lille.fr/hal-01702608" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:blue">https://hal.univ-lille.fr/hal-01702608</span></span></a></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Vitali-Rosati, M. (2016). Qu’est-ce que l’éditorialisation ? <i>Sens public</i> [En ligne]. Disponible à l’adresse : </span><a href="http://sens-public.org/articles/1184/" style="color:#0563c1; text-decoration:underline"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:blue">http://sens-public.org/articles/1184/</span></span></a></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span arial="" style="font-family:">Winkin, Y. (2002). Propositions pour une anthropologie de l’enchantement. In : RASSE, Paul, Midol, Nancy et TRIKI, Fathi. <i>Unité-Diversité. Les identités culturelles dans le jeu de la mondialisation</i>. Paris, L’Harmattan, 2002, 133-143. </span></span></span></span></p>