<p>La réflexion proposée s'appuie sur une thèse de doctorat soutenue en 2023, portant sur l'amélioration de la prévention des troubles du sommeil. Cette recherche vise en partie à questionner l'intérêt des applications de santé mobile pour améliorer le sommeil. Nous proposons ici de développer une réflexion critique sur les usages des dispositifs de santé mobile dans le champ du sommeil, et de présenter l'approche en contextes de la conception de ces objets qui en découle. </p>
<p>La prévalence de l'insomnie en France et dans le monde est « unanimement élevée » (Royant-Parola et al., 2017, p. 1.). Le champ est marqué par un décalage entre le nombre de personnes touchées et le peu de solutions proposées en termes de prise en charge (Ibid.). Depuis plusieurs années, les professionnels du secteur interpellent les acteurs de la santé publique sur l'importance de l'éducation à la santé. Les bénéfices d'une meilleure hygiène de sommeil pourraient profiter à une large partie de la population qui souffre d'une mauvaise qualité de vie en lien avec des habitudes néfastes pour le sommeil (Giordanella, 2006). Dans le champ du sommeil, déjà sous-considéré par rapport à d'autres problématiques de santé publique (Léger et Bourdillon, 2019), le dispositif préventif existant est très limité (Ibid.). </p>
<p>En parallèle, certains secteurs s'intéressent de près au sommeil et ses troubles : depuis quelques années, les applications mobiles (comprenant ou non un objet connecté) connaissent un développement exponentiel dans le champ du bien-être (CNOM, 2015). Au vu du manque d'accompagnement dont souffrent les personnes atteintes de troubles du sommeil, les usages de ces applications se multiplient. Elles représentent en effet un moyen d'obtenir et de diffuser des informations, voire d'organiser le suivi personnalisé des usager.es. Dans le champ de la prévention, ces dispositifs sont perçus depuis plusieurs années déjà comme un axe de transformation majeur (Kivits et al., 2009), car les usages des applications mobiles peuvent inciter au changement de comportement pour encourager des habitudes considérées comme saines (Arruabarrena, 2022). </p>
<p>Dans ce contexte, nous avons mené une enquête à la méthodologie croisée entre les Sciences de l'Information et de la Communication et le Design. Celle-ci visait à analyser les dispositifs préventifs existants, à identifier les usages concrets de ces applications mobiles pour le sommeil, ainsi qu'à projeter des usages potentiels, en s'appuyant sur des méthodes créatives et visuelles (Catoir-Brisson, 2018). Nous avons ainsi réalisé une quarantaine d'entretiens, des phases d'observation en ligne et sur le terrain (notamment en CHU et auprès d'une association de patients), ainsi qu'une analyse de corpus d'applications mobiles. </p>
<p>Notre analyse démontre la motivation des citoyen.nes à s'informer et à améliorer leur sommeil, au vu de l'impact négatif que l'insomnie peut avoir sur leur vie. Ce désir de compréhension et de participation active au maintien de sa santé confirme l'intérêt potentiel de dispositifs d'information et d'auto-suivi. Nos données soulignent toutefois que dans le domaine du sommeil, dont le vécu est très subjectif, des risques existent vis-à-vis de l'usage préventif (car non accompagné) de certaines fonctionnalités des applications, notamment la mesure automatisée. En effet, le cercle vicieux associé aux troubles du sommeil comprend une focalisation sur la durée du sommeil (Van Den Bulck, 2022), élément sur lequel portent principalement les applications de santé mobile dans ce secteur. De plus, l'accessibilité financière des objets connectés peut constituer un frein, tout comme le niveau de littératie numérique permettant d'interpréter des données chiffrées, dont la précision peut également être questionnée. </p>
<p>Face à ces constats, nous avons mobilisé une approche de codesign (Sanders, Strappers, 2008) afin d'ouvrir un espace de réflexion critique sur l'usage de la santé mobile en prévention. Nous avons organisé différents ateliers collaboratifs en vue de mettre en lien les acteurs concernés sur ce sujet, et de définir les conditions dans lesquelles ces objets technologiques pourraient intervenir de façon pertinente. L'approche en contextes du codesign de dispositifs préventifs en santé que nous avons développée s'oppose au solutionnisme technologique, qui reviendrait à proposer une application mobile comme solution ultime aux problèmes de sommeil. Elle tient compte des différentes dimensions d'un dispositif préventif, celle des outils de communication et leur contenu, et celle des interactions autour de ces outils, au sein de différents espaces de communication identifiés. </p>
<p>Ce travail s'accompagne d'une réflexion sur l'apport du codesign aux stratégies de santé publique ; considérant le manque de pertinence de certains dispositifs existants. Ainsi, notre approche exploratoire ouvre la voie aux méthodes ancrées dans le terrain, visant une meilleure intégration des citoyen.nes à la conception de plans dont ils et elles sont les bénéficiaires. Cette dynamique collaborative paraît d'autant plus importante au vu de l'enjeu que représente le développement des technologies numériques et de l'intelligence artificielle en santé. </p>
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<p>Bibliographie </p>
<p>Arruabarrena, B. (2022). Objets connectés : Penser les enjeux des technologies connectées sous l’angle de la médiation infocommunicationnelle. tic&société, Vol. 15,</p>
<p>N° 1-2 | 2ème semestre 2021-1er semestre 2022, Art. Vol. 15, N° 1-2 | 2ème semestre 2021-1er semestre 2022. https://doi.org/10.4000/ticetsociete.6262</p>
<p>Catoir-Brisson, M.-J. (2018). L’innovation en santé : Apports et limites des méthodes créatives dans une recherche-projet sur le sommeil. Création, créativité, médiations, Vol 2, 316‑329. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01841755</p>
<p>Conseil National de l'Ordre des Médecins (CNOM) (2015). Santé connectée. De la esanté à la santé connectée. Le Livre Blanc du Conseil National de l'Ordre des Médecins.</p>
<p>https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/externalpackage/edition/lu5yh9/medecins-sante-connectee.pdf</p>
<p>Giordanella, J. P. (2006). Rapport sur le thème du sommeil. Ministère de la Santé et des Solidarités. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-5.pdf</p>
<p>Kivits, J., Lavielle, C., & Thoër, C. (2009). Internet et santé publique : Comprendre les pratiques, partager les expériences, discuter les enjeux. Sante Publique, 21(hs2), 5-12.</p>
<p>Léger D., Bourdillon F. (2019) Le déclin du temps de sommeil en France n’est pas une fatalité. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire. (8-9):146-8</p>
<p>http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/8-9/pdf/2019_8-9_0.pdf</p>
<p>Royant-Parola, S., Brion, A., & Poirot, I. (2017). Prise en charge de l’insomnie : Guide pratique. Elsevier Health Sciences.</p>
<p>Sanders, E. B.-N., & Stappers, P. J. (2008). Co-creation and the new landscapes of design. CoDesign, 4(1), 5‑18. https://doi.org/10.1080/15710880701875068</p>
<p>Van den Bulck, J. (2022). Chronorexia and Orthosomnia: Towards the development of scales to measure unhealthy obsessions with sleep. Sleep Medicine, 100, S29.</p>
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