<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Les dispositifs dits de « quantification de soi » (Dagiral et al., 2019) - outils de <i>self-tracking</i> conçus Outre-Atlantique pour quantifier individuellement son activité corporelle - s’associent depuis une quinzaine d’années au système de santé français : le projet du numérique en santé répond aux révolutions permises par l’Intelligence Artificielle (IA) (Villani, 2018), qui, d’une part, offrent de nouvelles perspectives de soins (dispositifs de télésanté, prévention personnalisée, médecine prédictive, etc.) et, d’autre part, appellent explicitement à une participation de tous les acteurs (professionnels de santé comme citoyens) à nourrir cette IA par l’apport systématisé de données personnelles de santé, afin qu’elle alimente en retour les savoirs en santé dont l’Etat dispose. Au milieu de ces enjeux : le patient, premier bénéficiaire des données en santé qu’il génère par le biais d’une montre, d’une balance connectée ou d’un capteur de glycémie. Alors que des études phénoménologiques montrent l’impact des images médicales du corps sur le vécu de la maladie et du corps par le patient (Legrand, 2016), qu’en est-il du sujet surveillant sa maladie chronique ? La confrontation automatisée et répétée à des indices purement quantitatifs de l’état de son propre ne promet-elle pas d’accentuer à même le souci de soi (Foucault, 1997) la conscience d’un corps-objet, d’un corps morcelé ou d’une santé soumise à la seule « paramétrie » médicale (Hesbeen, 1999 ; Sicard, 2007) ? A l’inverse, si toute mesure implique une schématisation de l’objet mesuré (Dagognet, 1993), à quelles conditions la réduction iconique induite par la numérisation peut-elle permettre une compréhension holiste de son vécu, une symbolisation de sa maladie ou encore un équilibre entre contrôle de soi-même et sentiment de bien-être ?</span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:"><b>Question</b></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Comment la quantification de soi influence-t-elle l’expérience corporelle des patients et avec quelles répercussions sur le vécu de leur maladie chronique ?</span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:"><b>Méthode</b></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Notre enquête, qualitative, comprend 32 entretiens semi-directifs. Pour 22 d’entre eux<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></span></span></span></span></span></span></a>, nous avons choisi de nous concentrer sur trois formes d’appareils relativement démocratisés aujourd’hui : le capteur connecté de la glycémie, la montre connectée avec fonction ECG et le pèse personne connecté avec impédancemétrie. Nous nous sommes donc respectivement entretenue avec des personnes diabétiques (insulinodépendantes), souffrant de problèmes cardiaques (fibrillation auriculaire, tachycardie) ou de surpoids et d’obésité. 4 entretiens tests auprès de patients refusant les outils connectés ont été réalisés afin de pouvoir nuancer, de façon somme toute hypothétique, les apports proprement dus aux outils numériques dans la surveillance de sa santé. </span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Le panel est composé de 14 hommes et de 19 femmes âgés de 16 à 74 ans, résidant en France métropolitaine et en Belgique. </span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Nous avons retranscrit intégralement chaque entretien et procédé à une analyse thématique du discours. </span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:"><b>Cadre théorique</b></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Nous nous appuierons sur la distinction phénoménologique opérée entre <i>Leib</i> et <i>Körper. </i>Le « <b>corps vécu</b> » désigne le corps comme support d’accès au monde : c’est le régime des sensations, de la perception. La seconde traduction, <i>Körper</i>, désigne le <b>corps vivant</b>, objet relevant de la compréhension scientifique, anatomique, produit de l’objectivation pure dont nous pensons que la quantification de soi accentue la présence. Bien qu’il ne saurait véritablement y avoir d’expérience d’un corps objet qui me serait extérieur et étranger. Il nous semble néanmoins utile de mobiliser cette distinction théorique pour questionner les modes de construction du sujet à l’aune de sa quantification : que se passe-t-il quand le sujet se confronte à une numérisation et à un diagnostic médical de son propre corps ? Selon quelles nuances, variations et au sein de quel spectre s’articulent réellement la pensée du corps vivant (ici, quantifié) et l’expérience du corps vécu (siège des impressions, des sensations, du sentiment de mal-être ou de bien-être) ? Comment les usages de quantification de soi promettent de colorer différemment cette tension productive du sujet entre expérience du corps comme objet et expérience du corps comme rapport immédiat au monde ?</span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:"><b>Résultats</b></span></span></span></p>
<p style="text-indent:-18pt; margin-left:48px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">- Le <i>design</i> de la courbe d’évolution renvoie à un <b>imaginaire de la progression</b> qui mobilise les souvenirs et les affects du sujet. Alors qu’il se confronte à une image grapho-numérique exprimant fortement le corps vivant, celle-ci apparaît faire de la place au corps vécu en traduisant toute une <i>expérience</i> de la maladie. Des discours amalgament les mouvements de la courbe et le « je » de l’élocution, comme si le sujet s’identifiait aux mouvements reportés par la courbe. Les possibilités d’identification du sujet au mouvement retranscrit par la courbe peut toutefois s’avérer à double tranchant et aller jusqu’à renforcer la pensée d’une santé qui échappe à tout contrôle ;</span></span></span></p>
<p style="text-indent:-18pt; margin-left:48px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">- La courbe apparaît comme un design qui permet un rapport plutôt qualitatif à soi, il permet même à certains enquêtés de <b>se détacher des chiffres</b> en préférant consulter un graphique </span></span></span></p>
<p style="text-indent:-18pt; margin-left:48px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">- Le format numérique de la courbe permet sa visualisation selon différentes abscisses (sur la journée, la semaine ou même le mois). Des enquêtés se font au jour le jour une image inquiétante de l’évolution de leur santé, mais, dès lors qu’ils prennent de la distance en dézoomer la courbe, ils sont amenés à <b><i>relativiser</i> les aléas de leur santé</b> et à se projeter plus sereinement dans l’après. Là encore, se confronter au corps vivant peut, selon certains choix de visualisation et de <i>design,</i> impacter positivement le vécu de la maladie ; </span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px; margin-left:48px"> </p>
<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:"><b>Bibliographie</b></span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Dagiral, É., Licoppe, C., Martin, O., & Pharabod, A.-S. (2019). Le Quantified Self en question(s). <i>Reseaux</i>, <i>216</i>(4), 17‑54.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Dagognet, F. (1993). <i>Réflexions sur la mesure</i>. Encre marine.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Foucault, M. (1997). <i>Histoire de la sexualité. 3 : Le souci de soi</i>. Gallimard. (Œuvre originale publiée en 1984).</span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"> </p>
<p class="MsoBibliography" style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Hesbeen, W. (1999). Le Caring est-il prendre soin ? <i>Perspective soignante</i>, <i>4</i>, 30‑48.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Legrand, D. (2016). The Body and Its Image in the Clinical Encounter. In D. O. Dahlstrom, W. Hopp, & A. Elpidorou, <i>Philosophy of mind and phenomenology : Conceptual and empirical approaches</i> (p. 79‑95). Routledge.</span></span></span></p>
<p class="MsoBibliography" style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span calibri="" style="font-family:">Sicard, D. (2007). La médecine sans le corps : Quelques notes sur la relégation du corps. <i>Les Cahiers du Centre Georges Canguilhem</i>, <i>N° 1</i>(1), 133‑137.</span></span></span></p>
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<hr align="left" size="1" width="33%" />
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<p class="MsoFootnoteText" style="text-align:justify; text-indent:1cm"><span style="font-size:10pt"><span aptos="" style="font-family:"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:107%"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></span></span></span></span></a><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> Phase centrale des entretiens, ayant succédé à une phase exploratoire auprès de six personnes utilisant des outils connectés pour la santé, tous objectifs confondus (optimisation, routinisation, surveillance), suivant le</span> <span new="" roman="" style="font-family:" times="">triptyque mis en évidence dans l’étude Pharabod, A.-S., Nikolski, V., & Granjon, F. (2013, <i>op.cit.</i>). </span></span></span></p>
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