Nos systèmes de santé actuels font preuve d’un appui accentué sur l’agentivité des patients et sur les technologies numériques, dans le but de pallier les lacunes du tissu sanitaire et d’alléger les contraintes pesant sur lui (Parrini-Alemanno & Vigouroux-Zugasti, 2023). L’usage des technologies pour la santé, notamment avec la présence de l’intelligence artificielle, tendent également vont de pair avec une posture transhumaniste, les technologies ayant en effet la capacité de dépasser les limites du corps, à augmenter ce dernier. Dans une certaine mesure, elles visent à contrevenir à la dégradation du corps (Bour, 2019) et à agir de manière préventive sur la santé. Ainsi, au-delà de la prise de relai des technologies pour pallier les défaillances du système de santé dans un principe de médecine des 4P, il semble que l’intelligence artificielle tende à offrir un nouveau paradigme de la santé et de la corporéité. De nombreux chercheurs (Moschetta, 2019 ; Le Breton 2018 ; Tapia, 2018, Bour, 2019, etc.) s’interrogent sur l’approche que les technologies numériques de santé font du corps : écologie du corps, marchandisation du corps, corps pensant, savoir expérientiel, body hacking, etc. C’est finalement l’enjeu du design du corps qui est questionné, ainsi que celui du degré de liberté de chacun à disposer de son corps pour y apporter les modifications nécessaires à l’assouvissement des désirs de chacun. Nous souhaitons ici étudier ces promesses transhumanistes, portées par les technologies de santé, au regard de l’approche posthumaniste questionnant la place accordée à la dimension du vivant dans une société largement dominée par l’IA et par les technologies numériques. Le posthumanisme est ici entendu comme « une réflexion […] concernant la place et l’avenir de l’homme dans la biosphère à l’ère de l’algoricene » (Damour et Doat, 2018). Cette posture s’intéresse ainsi aux relations entretenues par l’homme avec les éléments qui l’entourent, qu’ils soient humains, non humains ou technologiques, dans un contexte largement dominé par le recours aux algorithmes et aux technologies. En quoi le rapport au monde, à son propre corps et à celui des autres peut-il influencer la santé d’un individu et de quelle manière s’entrelace-t-elle avec la technologie ? L’enjeu ici est de comprendre comment les acteurs du secteur procèdent pour allier technique et environnement global dans le maintien de la santé, de la qualité des soins, de la prévention et de la performance des organisations. Pour ce faire, nous avons réuni et réexaminé trois terrains de recherche précédemment menés, à partir d’une posture qualitative, cumulant une cinquantaine d’entretiens et focus group et des observations participantes. Nous avons ainsi enquêté à la fois auprès d’organisations pluridisciplinaires de santé, de professionnels de santé des patients, notamment aînés et porteurs d’handicaps lourds. Il nous semblait pertinent d’investiguer les usages « projetés » des technologies et leurs promesses attenantes, en les mettant en vis-à-vis avec les usages réels issus du terrain. Les résultats de nos différentes enquêtent mettent en lumière que la dimension vivante, sensible, qu’elle soit humaine ou non humaine, joue un rôle prépondérant, à la fois dans l’appropriation des technologies numériques, mais également dans le processus de soin, qu’il soit préventif ou palliatif. Si les promesses transhumanistes s’avèrent au bout du compte souvent décevantes pour les usagers, il s’avère que les technologies numériques font l’objet d’usage détournés, afin de servir des buts sociaux et organisationnels, qu’ils soient individuels ou collectifs.   Bour, S. (2019). Le corps augmenté, nouveau lieu d’expression de soi. Les conceptions transhumanistes du corps humain. In Le corps des transhumains (p. 31‑56). Érès. Damour, F., & Doat, D. (2018). Transhumanisme : Quel avenir pour l’humanité ? Le Cavalier Bleu Editions Le Breton, D. (2013a). Chapitre 7. Le vieillissement intolérable : Le corps défait. In Anthropologie du corps et de la modernité: Vol. 6e éd. (p.209‑223). Presses Universitaires de France  Le Breton, D. (2018). Des corps hypermodernes. Connexions, 110(2), 87‑98. Magnin, T. (2019). La mesure humaine dans le post et le transhumanisme. Revue d’éthique et de théologie morale, 303(3), 53‑68 Moschetta, J.-M. (2019). Penser le corps augmenté à partir du concept de « corps spirituel ». Revue d’éthique et de théologie morale, 302(2), 59‑72 Taïeb, E. (2020). Transhumanisme et santé parfaite. Quaderni, 99‑100(1), 125‑135. Tapia, C. (2018). Le corps dans la culture hypermoderne. Représentations et valeurs. Connexions, 110(2), 11‑24