Résumé Nous proposons dans cet article théorique d’identifier les bases d’un « dialogue possible » entre les SIC et les Sciences Cognitives dans un contexte de Transformation Numérique (TN) des organisations. L’évolution des problématiques de recherche, liées à la conception de systèmes, est passée d’une vision « techno-centrée » à une vision « centrée usagers ». La notion de numérique n’est plus subordonnée à la technique, laissant ainsi la place à une ouverture vers le domaine des SHS. À travers des argumentations d’ordres théoriques, en nous appuyant sur l’apport de l’interdisciplinarité, nous proposons d’identifier les lignes directrices d’un croisement de regards. Nous partirons du postulat qu’une vision interdisciplinaire apportera une lecture info-communicationnelle plus adaptée avec la réalité et la vitesse à laquelle le numérique s’invite dans nos sociétés contemporaines. - Les SIC et la nécessité d’un regard interdisciplinaire Les études liées au numérique sont impactées par la rapide évolution de notre écosystème. L’approche interdisciplinaire s’impose dès lors que les phénomènes étudiés sont sujets à forte variation. Nous entendons par interdisciplinarité « le transfert des méthodes d’une discipline à l’autre » (Basarab, 2011). L’emploi de l’interdisciplinarité est mobilisé par l’articulation entre des approches issues de plusieurs disciplines et qui doit répondre à des critères de cohérence et de pertinence (Fondin, 2005). Ce positionnement nécessite « un socle épistémologique commun » (Tchuente et al, 2011). L’interdisciplinarité s’est imposée « autour des objets info-communicationnels » permettant à la discipline d’asseoir sa « légitimité académique » (Couzinet, Marteleto, 2021) et « voit collaborer entre elles les disciplines » (Le Coadic, 1984). Il s’agit de « la perspective qui s’est progressivement imposée à une majorité de chercheurs en SIC » (Miège, 2000), créant ainsi une « discipline aux frontières mouvantes » (Guyot, 2004). - Les SIC et la question de la TN des organisations Depuis plusieurs décennies, le numérique constitue le point d’ancrage et l’objet scientifique de nombreux travaux de recherches en SIC. La recherche en SIC, autour du numérique, s’inscrivent dans des thématiques diverses et variées, nous citons : les logiques d’appropriations, d’acceptations et de rapports sociaux au sein des dispositifs numériques (Jouët, 2000 ; Proulx, 2006 ; Breton, Proulx, 2002) ; la diversité des travaux, autour des besoins, des usages et des pratiques qui ont permis de consolider l’assise théorique des recherches sur la TN (Perriault, 1989 ; Meyriat, 1993 ; Le Coadic, 1997 ; Peraya, 1999 ; Jeanneret, 2000 ; Miège, 2000 ; Polity, 2000 ; Fondin, 2001 ; Chartron, 2001 ; Simonnot, 2006 ; Ihadjadene, Favier, 2009 ; Chaudiron, Ihadjadene, 2004 ). À l’époque où le numérique était associé exclusivement à l’informatique, les travaux se focalisaient essentiellement sur le développement des IHM et, de fait, les médiations étaient purement techniques. De nos jours, la question de la TN s’oriente vers les démarches « centrées usagers », à travers le développement de « l’expérience utilisateur ». - La convergence entre les SIC et les Sciences Cognitives : pour une lecture info-communicationnelle Dans les recherches en SIC, « le paradigme orienté-usagers » accorde une attention particulière aux besoins réels des usagers, à leurs comportements, tout en prenant en compte les environnements (Foucaut et al., 1995) et les « modes de vie des usagers » (Laulan, 1995). Dans la conception de Systèmes de Recherche d’Information, ce paradigme s’intéresse à l’étude des besoins d’information et à la satisfaction des usagers (Chaudiron, Ihadjadene, 2004 ; Thivant, Bouzidi, 2005). Dans la littérature anglo-saxonne, plusieurs modèles ont permis de « croiser » des regards issus des SIC et des Sciences Cognitives, nous citons l’intégration : de la dimension cognitive et affective dans le processus de RI (Kuhlthau, 1993) ; des paramètres cognitifs et des jugements des usagers (Belkin, 1980) ; de l’espace cognitif, de l’environnement social et organisationnel (Ingwersen, 1996) ; de l’interactivité avec le système (Bates, 1981) ; du comportement informationnel de l’usager (Wilson, 1996). La mutation de l’étude de la TN a permis d’intégrer des approches issues de l’ergonomie, en particulier la question de « l’expérience utilisateurs » qui permet de capitaliser les expériences des utilisateurs, en vue de proposer des systèmes performants et ce dès la conception d’un SI. En SIC la question de l’expérience utilisateur « met l’accent sur les processus de création d’idées et intègre les utilisateurs finaux dans une logique de co-création » (CPDirSIC, 2018). Nous citons les travaux qui portent sur « l’ergonomie de l’interface, le ressenti émotionnel, la relation avec le producteur » (Boustany et al., 2013), « l’évaluation de l’interaction Humain-Système » (Mollard et al., 2012). De plus, « il s’agit des conduites humaines, comprenant des interactions entre un individu et autrui », et du côté de l’ergonomie, il serait question d’examiner les processus d’interactions « dans l’objectif d’optimiser le bien-être humain et la performance globale de ce système » (Rivière et al., 2020). L’évolution des usages du numérique a fait apparaître des approches en ergonomie (Human Factors) (Jauréguiberry, Proulx, 2011). Les démarches permettent de rendre les systèmes plus performants à travers « l’utilité, de l’utilisabilité […] et de l’accessibilité » (Mollard et al., 2012). L’apport des Sciences Cognitives, au regard des SIC, est d’inscrire tout projet de conception de SI du point de vue de l’usager, de son appropriation du dispositif, et non pas en se focalisant exclusivement sur les performances techniques. L’usager est considéré comme un « co-concepteur », dès lors qu’il participe au cycle de développement du dispositif, de l’identification des besoins du projet, jusqu’à sa conception, sa mise en &oelig;uvre et son évaluation. L’évolution du numérique facilite l’accès à de nouveaux environnements qui modifient les comportements des usagers à divers niveaux dont le « niveau cognitif », lié à la diversification des ressources documentaires et l’augmentation de la masse d’information (Dinet, 2009). La notion de design centré-utilisateur s’est fortement développée en IHM (Norman, Draper, 1986). Cette évolution a permis un déplacement des « applications spécialisées » vers des « systèmes interactifs grand public » (Barcenilla, Bastien, 2009). La conception de systèmes répond plus aux besoins des utilisateurs (tests utilisateurs) qu’aux aspects purement techniques, permettant de mesurer l’utilisabilité du système (tests utilisateurs) (Baccino et al., 2005 ; Nogier, 2008). Avec la profusion du numérique, de nouveaux usages se développent, nécessitant de tenir compte, en plus des aspects info-communicationnels, de tout l’écosystème « cognitif » des usagers des TIC. Aborder la question du numérique sous l’angle des SIC et des Sciences Cognitives permet notamment de « faire converger » les deux volets « Information » et « Communication », entre recherche d’information et pratiques cognitives, entre exploitation des TIC et création de sens... L’inscription dans une approche interdisciplinaire permet de ne pas aborder la question de la TN sous l’angle exclusif des procédures automatiques et techniques. Ceci est rendu possible à travers la prise en considération des pratiques qualifiées d’info-communicationnelles et des activités des usagers, qu’elles soient, par exemple, langagières, cognitives, individuelles, collectives, sociales ou professionnelles.