<h3>Texte</h3>
<h2 class="cossi---titre-1-western"><span style="page-break-before:always">Introduction</span></h2>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Depuis 2020, et la <font color="#000000">première collection créée par « l’intelligence artificielle »</font><sup><font color="#000000"><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote1sym" name="sdendnote1anc"><sup>i</sup></a></font></sup><font color="#000000">, </font>plusieurs acteurs industriels se sont positionnés sur le créneau de la génération artificielle de <i>design</i> de pièces de mode en amont de leur fabrication. Ces entreprises, de taille généralement réduite, proposent des dispositifs d’intelligence artificielle générative (DIAG) conçus et mis en œuvre en fonction des demandes expresses de leurs clients, soit des entreprises de création et de confection vestimentaire et de petite maroquinerie qui les intègrent aux phases de conception (<i>design</i> et prototypage) de leur procès de production. Nous avons constitué en cas d’étude certaines d’entre elles afin de comprendre les finalités, manifestes et latentes, qu’elles conféraient aux dispositifs produits ainsi que les représentations du rapport entre « intelligence artificielle » et « créativité » qui leur étaient sous-jacentes. Nous avons ainsi abordé ces dispositifs et leur implémentation comme des points de jonction, des moments de rencontre entre deux « mondes sociaux » – celui de la « <i>tech</i> » et celui de la « <i>fashion</i> » (selon l’autodésignation indigène) – régis par leurs logiques propres, leurs conventions respectives, leurs régimes de croyances et de valeurs (Becker, 1985 ; Clarke, 1991). Ce qui nous est apparu opportun dans le cadre de ce dossier « Intelligence(s) artificielle(s) générative(s) et Créativité(s) » est que la définition légitime, ou tout du moins en vigueur, de la « créativité » est précisément le terrain premier de cette rencontre. En effet, la créativité est la valeur/compétence cardinale au sein des industries de la mode et c’est l’exercice de cette compétence qui est appelé à être modifié par le recours aux DIAG. Dès lors, préalablement à leur adoption au sein du processus de conception, se joue un dialogue sur ce qui fait création, sur ce qui manifeste la créativité, sur les apports potentiels du dispositif au processus, sur le partage entre ce qui relève de l’humain et ce qui est produit algorithmiquement, etc. Au cœur de ce dialogue, se joue l’ambivalence de l’outil qui peut être envisagé comme un prolongement du geste créatif ou comme sa négation, la créativité apparaissant alors comme déléguée à la machine reléguant l’équipe de conception à un rôle de « superviseur <i>process </i>». En cela, les possibilités de l’intégration des DIAG au sein des filières mode et textile<sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote2sym" name="sdendnote2anc"><sup>ii</sup></a></sup> ne s’envisage pas à l’unique aune de leur performance, mais elles sont aussi foncièrement dépendantes de la congruence des valeurs et représentations sociales que portent les discours qui les accompagnent avec celles présentes au sein du « monde » considéré.</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Telle est, tout du moins, notre hypothèse de départ. Celle-ci s’appuie sur nombre de travaux ayant établi que la technicisation et l’idéologisation sont des processus qui vont de pair, l’instrumentation ne se déployant que sur un socle idéel favorable (voir, entre autres, Moeglin, 1998 ; Sclove 2003 ; Feenberg, 2004).</p>
<h3 class="cossi---titre-2-western">Éléments méthodologiques</h3>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Nous avons donc souhaité mettre à l’épreuve cette hypothèse dans le cadre d’une étude exploratoire appliquée au « monde » de la mode et réalisée à partir de paroles d’acteurs récoltées dans des contextes variés.</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">L’étude s’est réalisée en trois temps. Le premier a consisté en une recherche documentaire portant sur un corpus de 99 articles longs (plus de 1000 mots) comprenant le syntagme « intelligence artificielle générative » et publiés dans la presse professionnelle de mode (<i>Business of Fashion</i>, <i>Vogue Business</i>, <i>Fashion Network</i>) entre le 10 octobre 2023 et 15 février 2024. Ce travail nous a permis d’identifier des acteurs « phare » du secteur et plus particulièrement des entreprises produisant des « systèmes d’IA » et les valorisant en tant que prestataires auprès d’entreprises de mode. Nous avons ensuite établi des « fiches d’identité » de 21 cas d’études, à partir d’informations disponibles sur leurs sites institutionnels et, quelquefois, sur le site des marques-commanditaires avec qui elles collaborent.</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Une deuxième phase s’est amorcée par la participation à deux webinaires professionnels organisés par des médias spécialisés dans « l’e-commerce » et le « <i>marketing digital</i> » et s’est prolongée par la participation à deux conférences consacrées à l’intelligence artificielle générative et la mode, la première organisée par la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, la seconde par <i>Business of Fashion</i>. Ces observations ont permis de mieux comprendre les pratiques des acteurs au travers d’une mise en récit particulière, considérant que le public était exclusivement composé de prospects, de partenaires, de concurrents et de journalistes spécialisés. Ces temps d’échanges entre professionnels ont constitué autant de scène d’énonciations d’espoirs et d’intérêts mais aussi d’inquiétudes et d’interrogations face à des innovations perçues <i>a priori</i> comme « disruptives ».</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Un dernier temps a été consacré à la passation puis l’analyse d’entretiens semi-directifs conduits avec les concepteurs et dirigeants des principales entreprises-prestataires en France (9 entretiens menés entre janvier et mai 2024, en visioconférence). Il s’est agi de recueillir des paroles portant directement sur leurs activités, des rapports entretenus avec les marques-commanditaires et avec les « équipes créatives » de celles-ci. C’est ce matériau qui est mobilisé et analysé en profondeur au cours de cette étude, les deux moments antérieurs servant surtout à élaborer les questions de recherche puis le guide d’entretien. La confidentialité étant requise, nous avons anonymisé les personnes interrogées, que nous avons consignées dans la liste ci-après.</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western"><img src="https://www.numerev.com/img/ck_20_1_bullich tableau 1.png" style="width:100%; height:118%" /></p>
<p align="center"><span style="line-height:100%"><span style="orphans:0"><span style="widows:0"><font style="font-size:12pt"><font size="3"><span style="font-style:normal"><span style="background:#ffffff">Tableau 1. Liste des personnes interrogées</span></span></font></font></span></span></span></p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Le nombre de personnes interrogées étant très limité, l’étude ne peut avoir qu’un caractère exploratoire et, à l’évidence, elle ne comprend aucune prétention à la montée en généralité ni à la représentativité. Elle permet néanmoins d’entamer une investigation sur ce que l’IA générative « fait » à la mode du point de vue des pratiques, considérant que, pour le moment, peu de travaux ont traité de cette question (émergente au demeurant). En effet, si l’on met de côté les travaux, relativement nombreux, des informaticiens qui l’abordent du point de vue de la conception des dispositifs (depuis ceux, précurseurs, de Sbai <i>et al.</i>, 2019), nous n’avons trouvé qu’un seul article abordant la question des mutations des métiers sous l’effet de ceux-ci (Särmäkari & Vänskä, 2021). Or, c’est précisément ce qui nous intéresse ici. Toutefois, cette question sera examinée par le prisme des discours qui conduisent à l’adoption des DIAG : en amont de l’attention portée aux dispositifs en propre et aux pratiques associées, ce sont donc les arguments qui participent à leur présentation et leur promotion qui sont au cœur de notre étude. Plus précisément, nous nous intéressons aux ressorts de l’adhésion qu’ils sont censés produire, en nous centrant sur la question de la créativité et de ses représentations.</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Cet article se focalisera sur deux aspects qui en constitueront les deux parties : les conditions et modalités de rencontre entre les acteurs du « monde » de la mode et ceux proposant des « solutions numériques » à leur endroit dans un premier temps ; les stratégies discursives employées pour favoriser leur adoption, dans un second.</p>
<h2 class="cossi---titre-1-western">La rencontre de deux « mondes »</h2>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Cette rencontre entre « monde » de l’art et de la création et « monde » du numérique, plus spécifiquement les professionnels de l’extraction et du traitement des données s’observe depuis plus d’une dizaine d’année dans quasiment toutes les filières d’industries culturelles et créatives (Bullich, 2016b). Les filières mode et textile ne présente à cet égard aucune particularité. Cependant, le recours aux données dans un premier temps puis au DIAG ensuite s’inscrit dans un contexte industriel particulier, marqué notamment par une désaffection des investisseurs au niveau mondial, une polarisation des acteurs de la production et de la distribution, entre « géants » multinationaux et petits producteurs locaux, et un avivement de la concurrence internationale, sur le créneau de « l’<i>ultra fast fashion </i>»<sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote3sym" name="sdendnote3anc"><sup>iii</sup></a></sup> notamment. Une première vague d’adoption de dispositifs couplant extraction de données massives et leur traitement algorithmique permettant une conduite de la production « par les données » a eu lieu au mitan de la décennie 2010. En réponse à un environnement économique marqué par l’incertitude et, déjà, en pleine mutation, les finalités premières de ces dispositifs ont principalement concerné la détection des signaux faibles, potentiellement annonciateurs de tendances <font style="font-size:11pt"><font size="3">(Mengyun & Van Dyk, 2016)</font></font>, puis la gestion de la relation client<font style="font-size:11pt"><font size="3">. Ils ont également été dévolus à l’automatisation de la veille concurrentielle ainsi qu’à des applications plus logistiques (gestion des achats et des stocks notamment). Foncièrement, ces dispositifs avaient une visée prédictive : il s’agissait, par l’acquisition de données et leur traitement, d’anticiper actions et réactions des différents intervenants des filières mode et textile : des fournisseurs aux consommateurs, des partenaires comme des concurrents.</font></font></p>
<h3 class="cossi---titre-2-western">Avant-garde et « évangélistes »</h3>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">L’arrivée des DIAG dans la création de mode est conventionnellement rapportée à des gestes fondateurs : celui de la collaboration Robbie Barrat et Acne Studio évoquée en introduction, puis en 2023, la campagne <font color="#333333"><font face="Helvetica, serif"><font style="font-size:13pt"><font size="3"><span style="background:#ffffff">« Futuro Optimisto » </span></font></font></font></font>de Casablanca Paris réalisée par le photographe Luke Nugent et exclusivement composée d’images générées numériquement à partir des pièces réelles de la marque, le défilé newyorkais de Marc Jacob dont le livret fut entièrement rédigée par ChatGPT, ou la première « AI FashionWeek » organisé par la Maison Meta qui rassemblât les collections virtuelles de plus de 400 <i>designers</i> internationaux. Si ces initiatives ressortissent plus de l’expérimentation, voire du « coup » médiatique, que de la recherche d’innovation industrielle, elles amorcent néanmoins un mouvement d’attraction vers de nouveaux dispositifs techniques et ouvrent, grâce à un ensemble de concrétisations, de nouvelles voies au sein du monde de la mode : « l’IA » est désormais envisagée comme un outil non plus à destination exclusive des gestionnaires, mais à celle des créateurs également. Outre ces actions ponctuelles mais abondamment relayées médiatiquement, ce changement de conception est aussi le fruit d’un important travail « d’évangélisation »<sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote4sym" name="sdendnote4anc"><sup>iv</sup></a></sup> (Evans <i>et al</i>., 2006) menée par des entrepreneurs proposant des DIAG et destinées à la fois à « sensibiliser », voire convertir, des prospects à ces « nouvelles technologies » : « <i>en fait, on s'est aperçu qu'il y avait un secteur qui réagissait plus vite et qui avait plus d'enjeux à intégrer ce type de techno, c'était le secteur de la mode et actuellement, le travail commercial passe surtout par ce travail de vulgarisation</i>» [PR1]. Il s’agit de faire connaître ces dispositifs en favorisant d’emblée la pratique : « <i>dans les ateliers de sensibilisation, ce qu'on dit et ce qu'on répète, c'est : "appropriez-vous l'outil, utilisez l'outil"</i> » [PR3] ; <font color="#000000">« </font><font color="#000000"><i>ce que je fais, c'est plutôt directement une formation à l'usage des prompts par exemple, amener les équipes à avoir une certaine littéracie de l’IA</i></font><font color="#000000"> » [PR4]</font></p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Outre ces moments de formations, dans le cadre de webinaires ou d’ateliers de découverte, « l’évangélisation » se réalise aussi lors d’événements fédérateurs comme les salons professionnels ou les festivals (p. ex. Première Vision, Les Rencontres internationales de la mode) généralement organisés par des association interprofessionnelles (Le DÉFI, la Fédération de la Haute Couture et de la Mode) voire par des médias professionnels (p. ex. <i>Business of Fashion</i>). Elle passe enfin par des actions de promotion en direction des entreprises prospectes : « <i>c’est ce qu'on fait beaucoup en ce moment : des pitchs, notamment au niveau des comités de direction</i> » <font color="#000000">[PR3]. Dans ce cadre, il s’agit de mener « </font><font color="#000000"><i>des activités d'acculturation, afin de rendre ces technologies compréhensibles à des personnes qui ne les connaissent pas mais qui sont intéressées</i></font><font color="#000000"> » et d’insister sur la nécessité de formation à de nouvelles compétences métier [PR8]. L’accueil qui est fait à ces proposition varie en fonction du statut du prospect : </font>« <i>Pour les grandes maisons, l’IA est un tabou pour l'instant, on en parle pas du tout même s'ils l'utilisent, on sent que les directions artistiques sont très très très très frileuses à l'idée de parler d'IA. Mais sur le premium et sur le grand public, ça y est, ça arrive et l’IA va devenir très présente</i> » [PR3]. Le propos est confirmé par un autre entrepreneur : « <font color="#000000"><i>quand on regarde des marques de luxe, c'est très difficile de leur vendre quoi que ce soit, même quand on a un pied dedans et qu’on s'est parlé, qu’on se connait, c’est encore très axé, dans les discours, sur l’artisanat, même si c’est de l’enfumage</i></font><font color="#000000"> » [PR4].</font> La sensibilité à ces innovations intégrant le processus créatif est donc présentée, selon notre interprétation, comme manifestant un « rapport de champ » (Bourdieu, 1980 ; 1992) : les « vieilles » maisons dominantes demeurent réticentes à communiquer sur un possible usage de DIAG, là où certains « <i>challengers</i> » ou « <i>outsiders</i> », généralement présents sur des segments de marché moins prestigieux, le mettent en avant (p. ex. : The Kooples, G-Star, Desigual, <i>etc</i>).</p>
<h3 class="western">La convergence des « paradigmes »</h3>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Ce travail « d’évangélisation », visant à l’instauration d’un « climat de confiance » préalable indispensable à l’échange économique (Mangematin, Thuderoz, 2003), s’inscrit dans un contexte idéel régi par une référence hégémonique : la créativité. Cette notion, centrale de longue date dans les milieux artistiques, est instituée depuis plus récemment par les discours managériaux et les politiques publiques en « levier de croissance », dans des sociétés dont les économies sont dépeintes comme « en transition » (Hesmondhalgh, Pratt, 2005). Si le phénomène n’est pas nouveau, la référence à la créativité s’imposant dans les entreprises américaines dès l’après-guerre (Andonova, 2021), il s’est significativement amplifié depuis deux décennies : le « tournant créatif », c’est-à-dire la reconfiguration du travail et des organisations productives au regard de cette valeur/compétence, constitue ainsi un stade contemporain prégnant de l’évolution « post-industrielle » (Andonova, Kogan, 2017). En cela, certains auteurs considèrent « la créativité » comme au fondement d’un « paradigme sociétal »<sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote5sym" name="sdendnote5anc"><sup>v</sup></a></sup>, c’est-à-dire comme « instrument d’une transformation générale des systèmes et circuits de valorisation » (Moeglin, 2019, §4 ; voir aussi : Bouquillion <i>et al</i>., 2013), sans que les discours qui la portent n’en énoncent pourtant de définition rigoureuse, consensuelle et stabilisée.</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Il en va de même pour « l’intelligence artificielle ». Promue comme une « technologie à usage général » capable de transformer l’économie dans son ensemble (Raus, 2022), elle instancie un « paradigme technologique », c’est-à-dire qu’elle est consacrée comme matrice d’innovations techniques majeures et interdépendantes (Dosi, 1982). Malgré le consensus sur l’inadéquation du terme « intelligence » et la critique récurrente des usages du syntagme qui amalgame un très vaste ensemble de dispositifs hétérogènes et de pratiques éparses (voir p. ex. <i>Réseaux</i>, no 240), « intelligence artificielle » fonctionne socialement moins comme un signifiant univoque que comme une « bannière fédératrice » pour un nombre croissant d’acteurs qui valorise symboliquement leurs productions par ce biais (Petit, 2021). Ainsi, comme pour la « créativité », la référence à « l’intelligence artificielle » bénéficie de la « force du flou » selon la formule de Luc Boltanski (1982), agrégeant des acteurs aux activités et intérêts divers mais qui souscrivent tous à une vision très schumpétérienne du développement économique par l’innovation technique et sociale (Schumpeter, 2023).</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">C’est d’ailleurs ici le point de jonction principale entre les deux notions : outre leur définition évanescente et la plasticité de leurs usages sociaux, elles partagent donc d’être présentée et perçue comme des moteurs de croissance dans des systèmes économiques en reconfiguration. Le rapprochement ne se justifie toutefois pas uniquement par cette finalité économique commune. En effet, informatique et créativité sont très précocement pensées de concert ouvrant dès 1956 un champ de recherche nommé « <i>computational creativity</i> » (Farchy, Denis, 2020). Il n'apparaît donc pas surprenant que les DIAG aient, très tôt également, été proposés dans le cadre d’applications de « créativité assistée » ou carrément présentés comme des « outils créatifs » (Luce, 2019). L’épithète est ici décisifn car contrairement aux dispositifs « prédictifs » destinés aux gestionnaires, commerciaux et logisticiens, la nouvelle génération de systèmes « génératifs » est foncièrement dévolue aux métiers de la création : <font color="#000000">« </font><font color="#000000"><i>Pour les artistes de la </i></font><font color="#000000">Creative Economy</font><font color="#000000"><i>, c’est absolument majeur et je pense qu’au niveau de l'I.A., on est aujourd'hui dans une marche en avant pour laquelle il n'y aura pas de retour en arrière</i></font><font color="#000000"> » [PR5] ; « </font><font color="#000000"><i>on avait jusque-là des IA prédictives et maintenant on a des IA génératives et on le voit : on a vraiment franchi un cap pour le </i></font><font color="#000000">design » [PR3] On retrouve dans ces verbatims les </font><font color="#000000"><i>topoï</i></font><font color="#000000"> de l’inéluctabilité et de l’irréversibilité des avancées techniques mais aussi le rapprochement entre création et technique de pointe. À plusieurs reprises, les promoteurs des DIAG que nous avons interrogés les inscrivent dans les appareillages conceptuels des approches rationalisant la création : </font>« <i>Pour nous, c'est une technologie qui vient muscler la "confiance créative". C’est une notion qui a été théorisée […] dans le design thinking, […] et qui se rapporte à la capacité à trouver de nouvelles idées, les formuler et les mettre en place</i> » [PR8] ; « <i>oui, ce qu’ont fait ce sont des "facilitateurs d’idéation", on réinvente les </i>moodboards<i> mais en mieux, en plus efficaces</i> » [PR1]. Les DIAG procèdent donc d’une <font color="#000000">pensée de l’ingénierie de la création, concrétisent la sophistication des instruments de prototypage et sont appelés à favoriser l’émergence d’une « </font><font color="#000000"><i>industrie et de processus de fabrication plus agiles</i></font><font color="#000000"> [en référence aux « méthodes agiles »]. </font><font color="#000000"><i>L’IA va changer et modifier nos façons de de communiquer et interagir. Je pense qu'on est vraiment toujours au début</i></font><font color="#000000"> » [PR6].</font></p>
<h3 class="western">Produire un langage commun et des opérateurs de translation</h3>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Ce rapprochement entre les deux « mondes » s’est amorcé dès les années 1980 et s’est signifié par la locution indigène de « <i>Fashion Tech</i> ». Au cours de la décennie 2010, la circulation médiatique de cette appellation comme le nombre d’acteurs s’en réclamant ont connu un essor remarquable, sous l’impulsion des techniques numériques. Les entreprises de « <i>Fashion Tech</i> » (ou « technomode » selon les préconisations du ministère de la culture<sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote6sym" name="sdendnote6anc"><sup>vi</sup></a></sup>) se déploient depuis dans un nombre croissant de domaines : l’automatisation et la robotique, l’impression 3D et la réalité augmentée, les NFT et la <i>blockchain</i>, le metaverse et les vestiaires virtuels, etc. Les DIAG s’inscrivent donc dans une tendance lourde à la numérisation de la production et des pratiques dont ils seraient les avatars les plus sophistiqués et, désormais, largement demandés : « <i>les entreprises </i>[de mode]<i> ont vite perçu l’intérêt de passer à une "smart tech" propulsée par une IA qui soit performante et adaptée aux besoins de chacune </i>» [PR5].</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Dans la description de leur activité, les producteurs de ces « solutions sur mesure » insistent sur une première étape, cruciale, se rapportant à la définition d’un « vocabulaire commun » et de sa traduction en code. Les DIAG fonctionnent en effet comme des « <i>shifters</i> » (selon le terme de R. Barthes, 1967), c’est-à-dire des opérateurs de translation qui permettent de passer d’un langage à un autre, en l’occurrence d’un énoncé langagier à une représentation visuelle, par le truchement du code informatique. Le traitement qu’ils confèrent aux « <i>inputs</i> » procède ainsi d’une double conversion qui fait passer de l’idée aux mots écrits dans le prompt, puis de ces inscriptions aux représentations visuelles générées numériquement. La constitution de ces opérateurs et donc la maîtrise des différents codes associés est au cœur de la performance finale du dispositif, c’est-à-dire sa capacité à produire des propositions pertinentes. Cependant, cette performance est aussi foncièrement dépendante de la qualité des « <i>datasets</i> », aussi bien ceux permettant l’entraînement originel que ceux à la base de la synthèse des images en « <i>outputs</i> » (des « créations transitoires » pourrait-on dire, en référence ici aussi à R. Barthes, 1967), et cette qualité résulte en grande partie de la précision et de la formalisation du « taggage ». Ce travail où l’on confère des attributs descriptifs à chaque élément des images intégrant les bases de données est donc primordial et procède de l’intégration du « vocabulaire métier » tel qu’employé par les équipes créatives. Il est donc nécessaire de créer des espaces d’échanges afin de favoriser une compréhension mutuelle et d’élaborer les qualifications au fondement des opérateurs de translation : <font color="#000000">« </font><font color="#000000"><i>Pendant 4 mois, on a travaillé à se rapprocher constamment des intuitions des créatifs et des responsables stratégiques, comprendre ce qu’ils voulaient et comment ils le formulaient. L’IA arrive ensuite</i></font><font color="#000000"> » [PR8] ; « </font><font color="#000000"><i>l</i></font><i>a saisie du vocabulaire métier et des intentions créatives, c’est la base ; après, on est dans une logique de traduction. Si vous n'avez pas de styliste, en l'occurrence, là, sur la mode, qui soit capable de prompter correctement un visuel, vous n’aurez pas une restitution des IA satisfaisante</i> » [PR2]. Ce « dialogue créatif » est donc déterminant. <font color="#000000">Il s’agit non seulement d’apprendre les termes techniques de l’industrie (p. ex. les méthodes de couture) mais aussi les qualifications stylistiques (p. ex. « </font><font color="#000000"><i>quiet luxury</i></font><font color="#000000"> ») et les vocables propres aux maisons commanditaires : </font>« [Les designers]<i> vont dialoguer avec des IA, ils vont décrire leurs idées et l’IA va pouvoir dessiner à leur place </i>[…]<i> On les a aidés à venir pré qualifier la data avec leurs propres mots. On les a donc accompagnés sur la qualification de la data. Eux ils nous ont accompagnés sur la qualification des IA</i>. » [PR1]. Ce moment de médiation et de collaboration est d’autant plus important que les interfaces sont décrites comme assez frustres (même si des progrès sont constatés), que le langage d’inscription est (évidemment) l’anglais<sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote7sym" name="sdendnote7anc"><sup>vii</sup></a></sup> et que les « solutions » proposées nécessitent la rédaction d’un prompt positif et celle d’un prompt négatif (sur le principe des <font color="#000000"><span style="background:#ffffff">réseaux antagonistes génératifs). L’enjeu de la qualification, de la concordance sur les termes et de leur translation en code puis en éléments visuels est donc capital, et l’on constate alors que le </span></font><font color="#000000">savoir-faire dépend foncièrement d’un savoir-nommer.</font></p>
<h2 class="cossi---titre-1-western">Discours de promotion, discours de prévention</h2>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Dans les industries du textile et de la mode, les rapports de l’humain et de la machine ont fréquemment été source de conflits ou, tout du moins, présentés comme antagoniques : on peut évoquer la révolte, sanglante, des luddites, ouvriers du textile anglais qui, entre 1811 et 1817, détruisirent systématiquement les métiers à tisser de plus en plus perfectionnés qui, nécessitant une main d’œuvre moins qualifiée, favorisaient la baisse des salaires (Binfield, 2006) ou, plus récemment, Christian Dior qui affirmait, dans une phrase devenue célèbre, que « la haute couture est un monde où les machines ne pourront jamais remplacer la main qui coupe, le doigt qui se pique ». Cette tension, de longue date donc, parcourt le « monde » de la mode et en constitue probablement l’un des traits structurants au regard de deux catégories économiques prévalentes : le travail et la valeur. En effet, outre, les enjeux, toujours actuels, de division des tâches entre la main d’œuvre et la machine, ces rapports conditionne également la construction de la valeur, la définition de « ce qui vaut ». L’incarnation de la griffe est ainsi au fondement de cette construction pour les pièces de Haute Couture (Bourdieu, Delsaut, 1975 ; Barrère, Santagata, 2005) ou de la « mode de créateur » (Simmenauer, 2022). Les « grands noms » « font » les collections et, partant, contribuent de façon prépondérante à l’établissement de leur cours sur les marchés, tant symboliques qu’économiques. C’est donc l’individu – concrètement le directeur artistique – qui individualise chaque pièce et lui confère, ce faisant, un statut particulier reconnu socialement et économiquement. Dans la confection industrielle, ce principe de « singularité » (Karpik, 2007) est lié à la marque et s’incarne plus volontiers dans des égéries, raison pour laquelle nous avons laissé ce segment de côté <sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote8sym" name="sdendnote8anc"><sup>viii</sup></a></sup>.</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Le rôle central que joue « le créateur » apparait donc <i>a priori</i> comme un frein à des dispositifs qui précisément, favorisent la délégation de son activité à la machine. En minorant son rôle dans la création, les DIAG ne risquent-ils pas d’assécher une des sources de valeur des produits et, par conséquent, de déstabiliser l’ensemble de l’organisation productive et marchande ?</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Pour se prémunir contre de telles interrogations et garantir la viabilité de leur offre commerciale, les entrepreneurs rencontrés ont fourbi des arguments qui se déclinent en deux volets : la promotion des atouts des DIAG, la prévention des réticences des « équipes créatives » à les utiliser.</p>
<h3 class="western">L’optimisation du procès de production comme promesse première</h3>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Les gains de productivité sont au cœur de la promesse faite par les concepteurs et promoteurs de DIAG. Les arguments économiques dominent ainsi dans les présentations commerciales et discours d’escorte mais le terme « automatisation », autrefois systématiquement mis en avant pour promouvoir les dispositifs couplant données massives et traitement algorithmique dans les industries culturelles et créatives (Bullich, 2016a), a laissé la place à celui « d’accélération », suggérant probablement moins la substitution de la machine à l’homme : « <i>c’est là qu’il y a la grosse plus-value : c'est rapide. On vient optimiser un workflow de production, on améliore l’efficacité de toute la chaîne de production</i> » [PR2] ; « <i>il y</i><font color="#000000"><i> a vraiment une logique de gain de temps et ce sont les équipes de </i></font><font color="#000000">designers</font><font color="#000000"><i>, les créatifs qui sont au cœur de notre industrie peuvent le plus en bénéficier</i></font><font color="#000000"> » [PR9]. Or, pour les acteurs des filières mode et textile, la vitesse de production est cruciale pour la commercialisation : « </font><i>l’objectif c’est d'aller le plus vite possible pour être au plus proche de la tendance, pour que le produit, quand il arrive en boutique, ne soit pas déconnecté d’une tendance qui aurait disparu</i> » [PR1]. <font color="#000000">Cette accélération est également présentée comme le fruit d’une meilleure coordination des équipes : « </font><font color="#000000"><i>on voit justement comment ça va changer les interactions, et on va gagner beaucoup de temps en discutant sur des projets tout de suite visualisables : on sait où on va</i></font><font color="#000000"> » [PR4] ; « </font><font color="#000000"><i>ça favorise le dialogue avec les directeurs de marque, les équipes marketing, les responsables de production voire les distributeurs, les </i></font><font color="#000000">retailers</font><font color="#000000"><i>, etc.</i></font><font color="#000000"> » [PR8]. </font>Par ailleurs, les concepteurs de DIAG insistent sur l’abaissement des coûts de production : « <i>ça vient démultiplier le potentiel d'un seul designer qui passe énormément de temps en fait à développer, générer, créer des prototypes et beaucoup sont mis au tiroir, ce qui donne lieu à beaucoup de fatigue humaine et qui représente aussi pour l'entreprise des investissements à perte.</i> » [PR8] ; « <i>on s'est rendu compte que pour trouver une bonne idée, il y avait beaucoup de travaux à exécuter et beaucoup de choses sont écartées… Ça, pour les boîtes, c’est super coûteux</i> » [PR4]. Certains insistent également sur la réduction de l’incertitude, au cœur des « économies créatives » (Caves, 2000), que permettrait les DIAG : « <i>il y a une entreprise de luxe qui nous a demandé de pré-tester une de ces collections en amont auprès de ses responsables de magasins, des plannings merchandisers… Pré-tester les collections avant même de les produire, avant même de les lancer techniquement, ça fait potentiellement gagner beaucoup de temps et de cash, et je parle pas des gains de stock par ailleurs</i> » [PR3] ; « <font color="#000000"><i>on est forcément dans une logique d'efficacité, de </i></font><font color="#000000">design</font><font color="#000000"><i> beaucoup plus rapide, de temporalité extrêmement réduite, mais l’enjeu de désirabilité reste très important aussi : proposer des projets qui correspondent à ce que cherchent les collaborateurs sans avoir besoin de vraiment faire de prototypes » </i></font><font color="#000000">[PR8]. </font><font color="#000000">Un dernier critère de performance fréquemment mis en avant est le coût abordable des « solutions techniques » proposées : </font>« <i>la tech est accessible : on est sur des niveaux de 20000 euros, c’est rien, et avec un impact financier qui va être colossal</i> » [PR3].</p>
<h3 class="western">L’atténuation des craintes par l’analogie</h3>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Les considérations économiques, bien que premières, s’insèrent dans des discours qui visent également à contrer une défiance <i>a priori</i>. Ils s’appuient, pour ce faire, sur des arguments favorisant un sentiment de familiarité avec l’innovation. Contrairement à nombre d’articles (plus d’un tiers) de notre corpus qui annoncent une énième révolution technologique dans les filières mode et textile, les concepteurs des dispositifs étudiés restent très mesurés, préférant à la rhétorique de la rupture celle de l’incrémentation. Ils inscrivent ainsi les DIAG dans le temps long de l’évolution technique des métiers ou des pratiques (y compris hors mode) et procèdent par analogie : « <i>l’IA, c’est comme les fichiers Excel, c’est une façon d’utiliser la data mais ça ne remplace pas des métiers, ça les fait évoluer</i> » [PR5] ; « <i>c'est un outil en fait, exactement comme Photoshop est un outil ou comme une machine à coudre, c'est juste une façon d'aller plus vite et pour moins cher</i> » [PR9]. Ce <i>topos</i> de « l’outil » est systématique et inscrit les DIAG dans une histoire des pratiques créatives : « <i>l’IA est un outil, un instrument de création, je ne le vois pas différemment d’autres outils</i> » [PR1]. Les parallèles se font également au regard d’autres domaines artistiques <font color="#000000">: </font>« <i>dans l'histoire de l'art, il y a plein d'artistes dans les années 50-60, qui ont utilisé les ordinateurs ou des nouvelles technologies pour créer et puis s'interroger sur la place de la machine</i> » [PR4]<font color="#000000"> ; « </font><font color="#000000"><i>dans les années 80 l'échantillonnage numérique a enthousiasmé les gens mais a fait peur aussi : il y en avait déjà qui disait que les musiciens allaient disparaître, et, évidemment, ça n'a pas été le cas</i></font><font color="#000000"> » [PR3]. </font>De façon attendue, la photographie est l’élément de comparaison le plus mobilisé et nous l’avons retrouvé dans tous les entretiens sauf deux : « <i>c</i><font color="#000000"><i>'est un outil, c'est pas un médium </i></font><font color="#000000">[contrairement à la photographie]</font><font color="#000000"><i> mais c’est vrai que dans les débats autour de l'IA, on a beaucoup comparé l'émergence de cet outil avec l'apparition de la photographie</i></font><font color="#000000"> » [PR4] ; </font>« <i>avant il y avait l'argentique, maintenant, il y a le numérique et souvenez-vous les levées de bouclier au début. Et aujourd’hui on voit une explosion de la photo et tout le monde est photographe… Voilà, ça se transforme, c'est comme ça et ce sera sûrement pareil avec l’IA</i> » [PR2] ; « <i>c'est très très compliqué de savoir l'impact que </i>[l’IA]<i> va avoir dans les années à venir. C'est comme la photo, hein, on craignait que ça fasse disparaître la peinture et puis non, ça a donné quelque chose d’autre</i> » [PR1]. Le « ceci ne tuera pas cela »<sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote9sym" name="sdendnote9anc"><sup>ix</sup></a></sup> observable dans le dernier verbatim est un motif récurrent qui contribue à normaliser l’inédit, tout comme l’inscription précoce dans une profondeur historique <font color="#000000">: </font><font color="#000000"><i>« Pour les créatifs, ça remplace pas les anciennes méthodes de travail. On crée un outil, avec eux, qui s’ajoute à ceux qu’ils utilisent déjà depuis longtemps </i></font><font color="#000000">» [PR6] ; « </font><font color="#000000"><i>ces outils qui paraissent extraordinaires aujourd'hui nous semblerons totalement banals dans très peu de temps</i></font><font color="#000000"> » [PR5]. Enfin, l’atténuation de craintes </font><font color="#000000"><i>a priori</i></font><font color="#000000"> passe également par l’emphase humoristique, l’exagération dont le ridicule a une visée lénifiante : « </font><font color="#000000"><i>il y a tout ceux qui ont des réticences parce que, bon, il y a cet imaginaire collectif : "c’est la machine qui prend le pouvoir"… Alors on dit tout de suite que, nous, c’est pas Skynet</i></font><font color="#000000"> </font><sup><font color="#000000"><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote10sym" name="sdendnote10anc"><sup>x</sup></a></font></sup><font color="#000000">» [PR1] ; « </font><font color="#000000"><i>on explique qu’on peut se faire plaisir avec l’IA, surtout si les moyens suivent… Et que personne ne deviendra esclave des machines </i></font><font color="#000000">»</font><font color="#000000"><i> </i></font><font color="#000000">[PR3]. L’ensemble de ces discours d’escorte cherchent donc à contenir, par des analogies rassurantes, une appréhension qui est tout de même nettement perçue par ceux qui les tiennent. Le paragraphe suivant vise à éclairer les arguments supplémentaires destinés à désamorcer, non plus uniquement des inquiétudes flottantes mais des critiques plus affirmées voire des oppositions en germe. </font></p>
<h3 class="western">La neutralisation des résistances escomptées</h3>
<p class="cossi---corps-de-texte-western"><font color="#000000">L’imaginaire, tenace, de la compétition de la machine contre l’humain, de l’affirmation de la première au détriment du second, transparut nettement dans les questions adressées aux promoteurs des DIAG par les participants aux webinaires et conférences que nous avons observées. Ceux-là avaient toutefois manifestement anticipé ce type de réactions et préparé un contre-argumentaire adéquat</font><sup><font color="#000000"><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote11sym" name="sdendnote11anc"><sup>xi</sup></a></font></sup><font color="#000000">. En évitant les discours angéliques ou excessivement promissifs, </font>les promoteurs font preuve d’un irénisme certain, en reconnaissant volontiers les limites de leurs « outils » ou les dangers afférents : « <font color="#000000"><i>il y a des risques de paupérisation, il y a des risques de pertes d'emploi… Mais il y a aussi des formidables opportunités qui sont ouvertes par l'IA</i></font><font color="#000000"> » [PR6] ; « </font><font color="#000000"><i>l'automatisation des métiers qui ne sont pas créatifs, là, je pense qu'il y a une vraie menace, mais les métiers de création, où on a besoin de sensibilité, ne peuvent pas être remplacés par des robots</i></font><font color="#000000"> » [PR9]</font>. De manière prégnante, les discours s’appuient sur l’idée de complémentarité « homme-machine » pour vanter les atouts des DIAG. Un premier argument est, paradoxalement, lié à l’incomplétude de la machine : « <i>l’IA ne crée pas, elle n’a pas de volonté, ni de vision, elle a toujours besoin des choix d’un directeur artistique</i> » [PR1] ; <font color="#000000">« </font><font color="#000000"><i>est-ce que l'idée d'une substitution de l'artiste par l'IA est un phantasme ? Oui, complètement. La tech, elle ne sait rien faire d’elle-même, elle est au service des ambitions, des objectifs, des buts des DA </i></font><font color="#000000">[Directeurs artistiques] » [PR3]. Le deuxième argument porte sur la division technique du travail. « L’outil » est présenté comme au service </font>de l’humain, il prend en charge le rébarbatif, le répétitif, le sans intérêt afin que les équipes créatives puissent se concentrer sur la quintessence du métier, à savoir la création et la décision (esthétiques et stratégiques) : « <i>sur les tâches un peu répétitives sur des questions de synthèse, de traduction, de brainstorming, l’outil permet en effet d'accélérer et d'optimiser. Mais ensuite, sur le côté plus noble de la création, c’est le créateur qui a la main : il peut vraiment se concentrer sur cette étape d'exploration, de recherche, de raisonnement, de mise en forme et de développement de l'idée</i> » [PR8] ; « <i>c'est une combinaison de raisonnements, donc des raisonnements humains et des raisonnements logiciels. C'est une alchimie entre intuition et prévision et c’est cette alchimie qui permet aux entreprises d'être hyper pertinentes</i> » [PR5]. Fréquemment, les DIAG sont présentés comme des « assistants style » [PR1] ou des « assistants <i>design</i> »<sup><a class="sdendnoteanc" href="#sdendnote12sym" name="sdendnote12anc"><sup>xii</sup></a></sup>, s’inscrivant ainsi dans la continuité des « <i>virtual assistants</i> » qui ont investi le « monde » de la mode depuis au moins une décennie : <font color="#000000">« </font><font color="#000000"><i>nos produits ne sont pas faits pour remplacer des jobs en fait, ce sont des assistants qui viennent au service des équipes métier</i></font><font color="#000000"> » [PR5]. Le terme « assistant » connote à l’évidence une position subalterne et une fonction ancillaire : « </font><font color="#000000"><i>on propose des assistants numériques pour venir stimuler la créativité. Alors, oui, bien sûr, il y a la peur du remplacement, mais c'est surtout une perte de contrôle qui dérangent plus profondément, et avec notre accompagnement, ça n’arrive pas</i></font><font color="#000000"> » [PR8]. Au final, p</font>ar l’ostentation discursive du couple complémentarité/assistance, il s’agit d’invisibiliser celui de substitut/délégation et ainsi prévenir des résistances attendues. Cette stratégie s’avère d’autant plus efficace, ainsi que nous avons pu le constater lors des événements publics, que plusieurs de ces promoteurs se présentent comme à la confluence des deux « mondes », à la fois « créateurs » et « experts tech ». Cette « <i>double casquette</i> » [PR4] favorise le dialogue et l’écoute par la mobilisation de référents communs ou de signes de connivences (« <i>ça, c’est des trucs que les </i>designers<i> peuvent comprendre, hein</i> <i>?</i>» [PR1]) et contribue à atténuer la perception, réelle ou illusoire, de la menace.</p>
<h2 class="cossi---titre-1-western">Conclusion</h2>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">L’aphorisme latin qui donne le titre à l’article entend refléter ce qui nous est apparu comme le sens dominant des discours concourant à la production d’adhésion des DIAG, celui de la continuité : la manière est nouvelle, pas la matière. Malgré le caractère indéniablement innovant des dispositifs, malgré les pratiques qu’ils vont renouveler, les fins et finalités restent les mêmes : la création et l’expression de la créativité. Pour des raisons de place allouée ici, nous avons laissé de côté tout un pan de paroles d’acteurs portant exclusivement sur le geste artistique et sa reconfiguration sous l’effet de ces dispositifs. Celles-ci vont néanmoins dans la même direction : malgré des discours vantant à l’unisson « l’élargissement du champ des possibles » que permettraient les DIAG, la tonalité générale reste de l’ordre de l’incrémentation, du changement de niveau et non de nature : ce qui est souligné est moins le différent que le mieux, le nouveau que le mélioratif. C’est donc en s’appuyant sur la persistance des représentations de ce qui fait la création en mode, en participant même à leur renforcement, que ces discours cherchent à générer de l’assentiment.</p>
<p class="cossi---corps-de-texte-western">Y parviennent-ils ? En l’absence d’une étude de réception, nous ne pouvons répondre à cette question, bien que l’existence même d’un marché des DIAG dans les filières mode et textile atteste d’une certaine réussite. Pour autant, il serait bien présomptueux de faire à ce stade des hypothèses sur son futur : la plupart des entreprises étudiées sont des <i>start-ups</i>, souples mais fragiles, dont certaines évoluent au sein « monde » de la mode depuis des années alors que d’autres y sont venues récemment, par opportunisme, et cet engouement pour « l’IA » n’est peut-être qu’une « mode dans la mode ». Elles bénéficient néanmoins d’un contexte favorable à l’heure actuelle, foncièrement lié à la convergence des « paradigmes » évoqués ci-avant et qui conduit à un effacement de l’opposition, artificielle mais pourtant structurante dans les « mondes » de la création, entre le règne de la fonctionnalité et de l’efficacité, la conception du progrès par l’innovation technique, d’une part, et le règne de l’esthétique et de la communicabilité universelle, incarnée dans la figure de l’artiste « démiurge », créateur tout puissant d’univers symboliques, de l’autre. La mutation des représentations sociales de la « créativité » explique très probablement l’effacement de cette dichotomie mais, plus encore, il nous apparaît qu’on peut la rapporter directement aux pratiques créatrices telles qu’observables dans le « monde » de la mode : la création n’y est jamais le fruit, purement mental, du génie individuel ; elle procède nécessairement d’une activité distribuée, de séquences normées et d’une instrumentation déjà sophistiquée. Les « équipes créatives » savent que la création <i>ex nihilo</i> est un mythe pour profanes, que le caractère collectif du travail est une condition première de son aboutissement et que les gestes doivent être équipés pour être réellement productifs. L’opposition apparaît donc, à l’épreuve des faits, d’un simplisme pernicieux, et si les discours étudiés ne sont pas exempts d’accents technicistes, il serait grossier et réducteur de les rapporter à une vision strictement prométhéenne : jamais ils ne confèrent aux DIAG une agentivité excessive ni n’expriment une fétichisation de cette « intelligence » qui serait artificielle. Ils contribuent cependant à la production d’un imaginaire de « ce que peut » la technique, de sa capacité à pénétrer toutes les sphères de l’activité humaine. Dans une autre phrase fréquemment reprise, Christian Dior statuait que « la couture est, au temps des machines, un des derniers refuges de l’humain, du personnel, de l’inimitable ». Plus maintenant, assurément.</p>
<h2 class="cossi---titre-1-western">Bibliographie</h2>
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<p class="cossi---corps-de-texte-western">Simmenauer, B. (2022). Manières de faire des modes. <i>Communications</i>, n° 111, 129-138.</p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote1anc" name="sdendnote1sym">i</a><sup></sup> Celle-ci est généralement rapportée à Robbie Barrat, artiste américain spécialiste du numérique et pionnier quant à l’intégration des dispositifs d’intelligence artificielle dans les arts plastiques. Il a inspiré une collection pour Acne Studio, une marque de vêtement et accessoire de luxe suédoise, à partir d’esquisses réalisées en noir et blanc par un réseau neuronal. Celles-ci ont ensuite été retravaillé par l’équipe créative de la maison scandinave, puis une collection a été mise en fabrication et présentée lors de la « Fashion Week » de Paris en 2020.</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote2anc" name="sdendnote2sym">ii</a><sup></sup> Afin de circonscrire notre objet d’étude, nous utiliserons préférentiellement la notion de « monde », qui comprend des individus en interaction suivant un ensemble de normes et de règles plus ou moins formelles, suivant des finalités et intérêts qui ne sont pas forcément compatibles, suivant des croyances ou logiques d’action différenciées, mais dont les pratiques concourent toute à une activité « cardinale » commune (Becker, 1985 ; Clarke, 1991). Nous mobiliserons quelquefois la notion de « filière », issue de l’économie agro-industrielle et qui désigne l’organisation spécifique de la production, l’enchaînement d’actions nécessaires pour transformer des matériaux bruts en un bien consommé (Davies, Goldberg, 1957), afin de connoter la dimension économique et productive des activités considérées.</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote3anc" name="sdendnote3sym">iii</a><sup></sup> Stratégie de production de vêtements et accessoires à très bas coûts, en quantité relativement limitée et sur des périodes très courtes, et commercialisés à bas prix exclusivement sur Internet. Le parangon de cette stratégie est l’entreprise chinoise Shein.</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote4anc" name="sdendnote4sym">iv</a><sup></sup> Cette acception du terme « d’évangélisation », employé couramment dans les secteurs de l’informatique et des télécommunications depuis les années 1990, est attribuée à Guy Kawasaki, qui définit, par le recours à celui-ci, la mission de « prêche de la bonne parole », « d’annonce des bonnes nouvelles », c’est-à-dire la promotion des innovations destinées « à changer la vie », qu’il conduit pour Apple dès 1983 (Kawasaki, 2015).</span></p>
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<p class="cossi---corps-de-texte-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote5anc" name="sdendnote5sym">v</a><sup><font style="font-size:10pt"><font size="2"> </font></font></sup><font style="font-size:10pt"><font size="2">« Paradigme » s’entend ici au sens de Thomas Kuhn (1983, p. 238) « l’ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné ».</font></font></span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote6anc" name="sdendnote6sym">vi</a><sup></sup> https://www.culture.fr/franceterme/terme/CULT729#:~:text=D%C3%A9finition,la%20mode%20utilisant%20ces%20techniques.</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote7anc" name="sdendnote7sym">vii</a><sup></sup> La plupart des grands modèles de langages ont été entraînés sur des textes et des qualifications anglophones.</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote8anc" name="sdendnote8sym">viii</a><sup></sup> Les entreprises que nous avons inclues dans nos cas d’études proposent toute une offre commerciale sur le segment de la demi-couture ou de la « mode de créateur ».</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote9anc" name="sdendnote9sym">ix</a><sup></sup> Pour une explicitation de cette expression, voir : (Merzeau, 1998).</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote10anc" name="sdendnote10sym">x</a><sup></sup> Skynet est l’intelligence artificielle fictionnelle qui cherche à détruire l’humanité dans les films, séries, jeux vidéo et bandes dessinées de la franchise <i>Terminator</i>.</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote11anc" name="sdendnote11sym">xi</a><sup></sup> À une exception près, les discours d’escorte et argumentaires promotionnels que nous avons entendus nous sont apparus très bien construits et très bien « exécutés », fruit d’une indéniable préparation et de nombreuses présentations dans un cadre professionnel comme nous l’ont expliqué leurs énonciateurs. En outre, nous avons retrouvé au sein d’articles de notre corpus de la presse professionnelle, certaines idées ou éléments de langage énoncés par les mêmes personnes en entretien ou dans le cadre des manifestations publiques observées, ce qui manifeste une nouvelle fois le caractère « figé » de ces discours qui sont « re-présentés » en de multiples occasions.</span></p>
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<p class="sdendnote-western"><span style="page-break-before:always"><a class="sdendnotesym" href="https://numerev.com/imprim_article.php?ecriture=8592&mode_eval=dble#sdendnote12anc" name="sdendnote12sym">xii</a><sup></sup> Une des sociétés précurseur dans la conception de DIAG pour la mode s’est ainsi nommée AiDA, pour « <i>AI-based Interactive Design Assistant</i> ».</span></p>
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