Cet article propose de revenir sur les collections étudiées au sein de deux projets relevant des Web archive Studies (WARCnet et AWAC2), en prêtant une attention particulière à la représentation des pays du pourtour méditerranéen dans les traces ainsi conservées.             Le 25 avril 2020, au c&oelig;ur du premier confinement en Europe, un collectif de chercheurs de l’Université de Genève a lancé un appel dans Libération visant à conserver les traces publiées en ligne afin de permettre l’édification d’une « mémoire ordinaire de l’extraordinaire<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[1]</a> ». Les signataires invitent à la plus grande vigilance quant au risque de surreprésentation ou d’invisibilisation de groupes sociaux que pourraient entrainer les choix d’archivage. L’argumentaire illustre une prise de conscience du caractère patrimonial des traces publiées en ligne, y compris s’agissant des contenus vernaculaires, le web étant perçu comme l’environnement privilégié pour la prise de parole de groupes sociaux dominés ou marginalisés. Le texte témoigne du chemin parcouru depuis les premières initiatives confidentielles d’archivage du Web nées à la fin des années 1990, et mises en place dans plusieurs États au début des années 2000, encouragées par l’UNESCO à travers la « Charte pour le patrimoine numérique » de 2003. En France, la Bibliothèque nationale de France (BnF) et l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) ont conduit des expérimentations en ce sens dès 2002, avant de disposer du cadre juridique fixé par le dépôt légal du web créé par la loi DADVSI en 2006.  Ces institutions participent à la dynamique internationale structurée autour de l’International Internet Preservation Consortium (2006) et travaillent en collaboration avec des chercheurs en histoire, en sociologie, ou en sciences de l’information et de la communication. Face à la pandémie, cette communauté en pleine essor, préoccupée par les modalités de collecte et d’analyse de ces « archives pas comme les autres » (Musiani et al., 2019) a ainsi impulsé plusieurs projets autour de l’archivage des traces liées au coronavirus.             Dans cet article, je prendrai pour exemple les projets auxquels j’ai participé, en tant qu’historienne des usages mémoriels en ligne mobilisant les archives du web comme source dans mes travaux depuis une dizaine d’années.  Il s’agit d’abord du projet WARCnet (Web ARChive studies network researching web domains and events), lancé au début de l’année 2020 par des chercheurs pionniers dans la réflexion sur les archives du web en sciences humaines et sociales. Coordonné par le Pr. Niels Brügger (Université de Aarhus), épaulé par les Pr. Valérie Schafer (Université du Luxembourg) et Jane Winters (Université de Londres), le projet regroupe une centaine d’individus, membres de plusieurs universités et de huit institutions d’archive.   L’objectif initial est « de promouvoir une recherche internationale afin d’étudier l'histoire des domaines web et des événements transnationaux sur le web, en s'appuyant sur le patrimoine culturel numérique de plus en plus important conservé dans les archives web nationales<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[2]</a> ». Lors du lancement du projet, divers événements avaient été retenus collectivement comme objets d’étude : les commémorations, les compétitions sportives, ou encore l’Europ Pride. Pris en plein c&oelig;ur de la pandémie à laquelle nous étions tous confrontés personnellement et professionnellement, le projet s’est naturellement orienté vers l’étude des collections archivées autour du coronavirus. Outre l’analyse des conditions de la collecte à travers des interviews et l’édification d’analyse, nous avons obtenu une collection de données archivées par les différentes institutions membres de WARCnet (Royal Danish Library, BnF, NSL (National Széchényi Library, Hungary), IIPC, BnL, KB (Koninklijke Bibliotheek, Pays-Bas), UKWA (UK Web Archive). Ce travail a débouché sur un second projet porté par Valérie Schafer et financé par l’Université d’Ottawa, intitulé « Analysing Web Archives of the COVID-19 Crisis<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[3]</a> » qui doit permettre d’approfondir l’étude de ces données, grâce aux outils du programme The Archive Unleashed (Ruest et al., 2020). Ces recherches permettent de dresser un état des lieux des sites et des contenus ayant été collectés par les différentes institutions, mais aussi d’enrichir l’indispensable réflexion épistémologique et méthodologique liée à l’usage des archives du web en SHS (Gebeil, 2021).             En tant qu’historienne ayant travaillé sur les archives du web de l’INA et de la BnF afin d’étudier la mise en visibilité des mémoires de l’immigration maghrébine et des mouvements sociaux sur le web dans les années 2000, je m’intéresserai plus particulièrement dans cet article à la représentation des sphères web du bassin méditerranéen dans les collections des projets WARCnet et AWAC2. La patrimonialisation du web est une dynamique principalement impulsée depuis les pays anglo-saxons et européens, même si ces dernières années la Chine, la Corée du Sud, ou encore la Malaisie ont développé des systèmes d’archivage. Or en Méditerranée, l’archivage du web reste balbutiant, y compris au sein d’États membres de l’Union Européenne (Italie, Espagne), et constitue pourtant un enjeu historique et géopolitique majeur<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[4]</a>. Dans ces conditions, le risque de perte des traces publiées en ligne durant la pandémie qui a particulièrement frappé les pays arabes du bassin méditerranéen, est élevé. Marquées par l’histoire coloniale et postcoloniale, déjà fragilisées d’un point de vue économique et politique, les expériences numériques vécues par les sociétés les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée sont alors en proie avec le risque d’invisibilisation, faute de collecte systématique. Face à ce constat alarmant, des contenus ont toutefois déjà été identifiés dans les collections étudiées au sein des projets WARCnet et AWAC2. Cet article interrogera donc la part des contenus issues des sphères web méditerranéennes dans ces collections : Quelle quantité de données a été archivée ? De quel type de contenus s’agit-il (sites web, blogs, réseaux sociaux etc.) ? Quels émetteurs en sont à l’origine (institutions, individus) ? Quelles sont les perspectives envisageables permettant de renforcer la sauvegarde de ces traces ? En explorant une collection marginale dans une vaste entreprise d’archivage, cet article entend éclairer le processus de patrimonialisation numérique lié à la pandémie, tout en interrogeant les limites induites par sa gouvernance, plus particulièrement sa capacité à reproduire les inégalités à l’échelle du bassin méditerranéen.             Références bibliographiques   Brügger, N., & Milligan, I. (Eds.). (2018). The SAGE handbook of web history. Sage. Brügger, N., & Schroeder, R. (Eds.). (2017). The web as history: Using web archives to understand the past and the present. UCL Press. Gebeil, S. (2021). Website story : Histoire, mémoires et archives du web. INA. Musiani, F., & Schafer, V. (2016). Digital heritage and heritagization. RESET. Recherches en sciences sociales sur Internet, (6). Musiani, F., Paloque-Bergès, C., Schafer, V., & G. Thierry, B. 2019. Qu’est-ce qu’une archive du web ? Marseille : OpenEdition Press. doi :10.4000/books.oep.8713 Ruest, N., Lin, J., Milligan, I., & Fritz, S. (2020). The archives unleashed project: Technology, process, and community to improve scholarly access to web archives. Proceedings of the ACM/IEEE Joint Conference on Digital Libraries in 2020, 157‑166. <a href="https://doi.org/10.1145/3383583.3398513" style="color:#0563c1; text-decoration:underline">https://doi.org/10.1145/3383583.3398513</a> Schafer, V., & Thierry, B. (2015). L’ogre et la Toile. Le rendez-vous de l’histoire et des archives du Web. Socio. La nouvelle revue des sciences sociales, (4), 75-95.   <div>  <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <a href="#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[1]</a> Myriam Piguet et Caroline Montebello, « Covid-19 : pour une mémoire ordinaire de l’extraordinaire – Tribune », Libération, 20 avril 2020, https://www.liberation.fr/debats/2020/04/25/covid-19-pour-une-memoire-ordinaire-de-l-extraordinaire_1786299/ </div> <div id="ftn2"> <a href="#_ftnref2" name="_ftn2" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[2]</a> Site du projet WARCnet, consulté le 08.11.2021, <a href="https://cc.au.dk/en/warcnet/about/" style="color:#0563c1; text-decoration:underline">https://cc.au.dk/en/warcnet/about/</a> </div> <div id="ftn3"> <a href="#_ftnref3" name="_ftn3" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[3]</a>  <a href="https://netpreserveblog.wordpress.com/2021/11/02/analysing-web-archives-of-the-covid-19-crisis-through-the-iipc-collaborative-collection-early-findings-and-further-research-questions/" style="color:#0563c1; text-decoration:underline">https://netpreserveblog.wordpress.com/2021/11/02/analysing-web-archives-of-the-covid-19-crisis-through-the-iipc-collaborative-collection-early-findings-and-further-research-questions/</a> </div> <div id="ftn4"> <a href="#_ftnref4" name="_ftn4" style="color:#0563c1; text-decoration:underline" title="">[4]</a> Sophie Gebeil, « Archiver les traces numériques en Méditerranée, un défi aux multiples enjeux », The Conversation France, 19 juillet 2019. </div> </div>