<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">La &laquo;&nbsp;lib&eacute;ration&nbsp;&raquo; des camps de concentration et des centres de mise &agrave; mort nazis constitua le dernier chapitre multiforme de cette histoire, d&rsquo;autant plus difficile &agrave; d&eacute;finir qu&rsquo;il engloba, au cours de la derni&egrave;re ann&eacute;e de la guerre, les &laquo;&nbsp;&eacute;vacuations&nbsp;&raquo; des camps par les autorit&eacute;s nazies, qui d&eacute;g&eacute;n&eacute;r&egrave;rent en &laquo;&nbsp;marches de la mort&nbsp;&raquo; durant les quatre derniers mois du conflit mondial. Ces &eacute;v&eacute;nements, qui tendirent progressivement &agrave; abolir les fronti&egrave;res entre le processus g&eacute;nocidaire proprement dit et le ph&eacute;nom&egrave;ne concentrationnaire, rest&egrave;rent d&rsquo;autant plus difficiles &agrave; appr&eacute;hender qu&rsquo;ils ne suscit&egrave;rent pas, initialement, un int&eacute;r&ecirc;t particulier chez les premiers historiens de la Solution finale et du syst&egrave;me concentrationnaire, comme Reitlinger, Hilberg ou Friedl&auml;nder. Faute d&rsquo;une v&eacute;ritable prise en consid&eacute;ration de la sp&eacute;cificit&eacute; de ces &eacute;v&eacute;nements, ces auteurs eurent en effet tendance &agrave; se contenter de les ins&eacute;rer dans l&rsquo;histoire globale de l&rsquo;&eacute;croulement du III<sup>e</sup>&nbsp;Reich, dans l&rsquo;histoire de la soci&eacute;t&eacute; de l&rsquo;effondrement, et cautionn&egrave;rent ainsi, un peu trop rapidement, les analyses fournies pendant la guerre par les services secrets alli&eacute;s. Celles-ci s&rsquo;apparentaient d&eacute;j&agrave; &agrave; une approche que l&rsquo;on pourrait qualifier par anticipation de structuraliste&nbsp;: l&rsquo;envol de la mortalit&eacute;, qui devait entra&icirc;ner la disparition d&rsquo;au moins un tiers des quelque 700</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">000&nbsp;d&eacute;tenus recens&eacute;s dans les KZ<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a> au d&eacute;but du mois de janvier&nbsp;1945, et les actes meurtriers, qui se multipli&egrave;rent au cours des derniers mois &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur des camps comme <span style="letter-spacing:-.1pt">dans les convois d&rsquo;&eacute;vacuation, devaient</span> &ecirc;tre rapport&eacute;s au chaos g&eacute;n&eacute;ral dans lequel sombra le III<sup>e</sup>&nbsp;Reich&nbsp;: la paralysie progressive de l&rsquo;appareil policier de r&eacute;pression, la rupture des cha&icirc;nes de commandement, en attendant la fuite ou la disparition des plus hauts responsables, les difficult&eacute;s <span style="letter-spacing:.1pt">croissantes du ravitaillement sur fond de paralysie des transports, ou encore l&rsquo;entassement des d&eacute;tenus dans des camps surpeupl&eacute;s, favorable au d&eacute;veloppement</span> des &eacute;pid&eacute;mies au sein d&rsquo;une population concentrationnaire affaiblie par des privations de toutes sortes. Mais il appara&icirc;t aujourd&rsquo;hui que, m&ecirc;me si ces facteurs constitu&egrave;rent effectivement le d&eacute;cor du drame final, ils n&rsquo;en demeurent pas moins un peu trop insuffisants et sommaires pour appr&eacute;hender de mani&egrave;re plus approfondie la connaissance de ces &eacute;v&eacute;nements, qui eurent leur propre coh&eacute;rence, non r&eacute;ductible au simple effet de l&rsquo;effondrement du r&eacute;gime nazi. Ce dernier chapitre s&rsquo;inscrivit &agrave; part enti&egrave;re tant dans l&rsquo;histoire du g&eacute;nocide des juifs que dans celle du syst&egrave;me concentrationnaire, il permet de d&eacute;voiler aussi l&rsquo;&eacute;tat de la soci&eacute;t&eacute; allemande au terme de douze ann&eacute;es de dictature et de propagande nazies, et il pr&eacute;sente, par cons&eacute;quent, des implications quant &agrave; la compr&eacute;hension de l&rsquo;histoire du nazisme et de la m&eacute;moire des camps. Les cinq articles r&eacute;unis dans ce dossier t&eacute;moignent ainsi de ce renouvellement historiographique, dans trois directions distinctes et compl&eacute;mentaires&nbsp;: l&rsquo;approfondissement de la connaissance des marches de la mort, la mise en &eacute;vidence des processus fort complexes de la &laquo;&nbsp;lib&eacute;ration&nbsp;&raquo; des KZ de l&rsquo;<i>Altreich</i> et de l&rsquo;Autriche au printemps 1945 &agrave; travers une comparaison des destin&eacute;es dissemblables des r&eacute;seaux concentrationnaires de Neuengamme et de Mauthausen, et la sortie de l&rsquo;univers concentrationnaire caract&eacute;ris&eacute;e, entre autres, par les tensions contradictoires entre les n&eacute;cessit&eacute;s de l&rsquo;oubli et du t&eacute;moignage.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.4pt">L&rsquo;important article de Daniel Blatman, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">sp&eacute;cialement traduit en langue fran</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&ccedil;aise pour ce dossier, apporte un &eacute;clairage tr&egrave;s neuf sur les &eacute;vacuations et les marches de la mort, longtemps document&eacute;es exclusivement par les <span style="letter-spacing:.1pt">seuls tribunaux mais par trop n&eacute;glig&eacute;es par l&rsquo;historiographie. Au niveau du processus d&eacute;cisionnaire, c&rsquo;est l&rsquo;ordre d&rsquo;Himmler du 17&nbsp;juin 1944 qui attribua aux chefs sup&eacute;rieurs de la police et de la SS <i>(HSSPF)</i> les pleins pouvoirs sur les KZ en cas d&rsquo;approche des arm&eacute;es alli&eacute;es. Les premi&egrave;res &eacute;vacuations se d&eacute;roul&egrave;rent donc, &agrave; l&rsquo;est comme &agrave; l&rsquo;ouest de la zone de domination allemande en Europe, &agrave; l&rsquo;&eacute;t&eacute; et &agrave; l&rsquo;automne 1944, y compris &agrave; Auschwitz d&eacute;j&agrave; partiellement &eacute;vacu&eacute; au d&eacute;but du mois de janvier&nbsp;1945. Au printemps 1945, l&rsquo;ordre d&rsquo;Himmler du 17&nbsp;juin 1944 restait encore valable lorsque les Alli&eacute;s atteignirent le c&oelig;ur de l&rsquo;<i>Altreich</i>, mais les cha&icirc;nes de commandement sembl&egrave;rent alors se brouiller&nbsp;: d&rsquo;une part les commandants des diff&eacute;rents camps &eacute;taient assez peu d&eacute;sireux de prendre des initiatives, et d&rsquo;autre part les d&eacute;tenus repr&eacute;sentaient d&eacute;sormais un atout entre les mains du RFSS Himmler dans ses vaines tentatives de n&eacute;gociations avec les Occidentaux, par l&rsquo;interm&eacute;diaire du chef de la Croix-Rouge su&eacute;doise, le comte Folke Bernadotte. Le sort des concentrationnaires devint alors tributaire des m&eacute;andres sinueux et tortueux de la politique personnelle d&rsquo;Himmler. Mais la conclusion de Daniel Blatman reste &agrave; ce propos tout &agrave; fait explicite&nbsp;: aucun ordre visant &agrave; l&rsquo;ex&eacute;cution des </span>d&eacute;tenus dans les KZ, dans l&rsquo;&eacute;ventualit&eacute; o&ugrave; ceux-ci ne pourraient &ecirc;tre &eacute;vacu&eacute;s, ne fut donn&eacute;. En fait, comme d&rsquo;autres &eacute;tudes l&rsquo;ont montr&eacute;<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a>, les cha&icirc;nes de commandement au sein de l&rsquo;appareil r&eacute;pressif policier au cours des derniers mois de la guerre se caract&eacute;ris&egrave;rent par un double processus de d&eacute;centralisation et de d&eacute;l&eacute;gation des pouvoirs, ce que les &eacute;vacuations et les marches de la mort vinrent parfaitement illustrer. Tout au bout du processus de d&eacute;l&eacute;gation de l&rsquo;autorit&eacute;, le sort des concentrationnaires dans les marches de la mort en vint &agrave; d&eacute;pendre des simples gardiens, parmi lesquels de nombreux civils trop &acirc;g&eacute;s pour &ecirc;tre mobilis&eacute;s sous les drapeaux qui, dans le chaos des &eacute;vacuations, se retrouv&egrave;rent aussi abandonn&eacute;s &agrave; leur sort que les d&eacute;tenus dont ils avaient la charge. Mais les actes criminels qui se multipli&egrave;rent alors ne furent pas la seule cons&eacute;quence de la panique g&eacute;n&eacute;rale et de la volont&eacute; des gardiens de se d&eacute;barrasser de prisonniers devenus encombrants &agrave; l&rsquo;approche des arm&eacute;es alli&eacute;es&nbsp;: ils traduisirent aussi un v&eacute;ritable consensus id&eacute;ologique au sein d&rsquo;une population civile fa&ccedil;onn&eacute;e par la propagande d&rsquo;un r&eacute;gime qui lui avait appris &agrave; voir dans ces prisonniers, qui n&#39;&eacute;taient plus consid&eacute;r&eacute;s comme des &ecirc;tres humains, un groupe <span style="letter-spacing:.2pt">de meurtriers particuli&egrave;rement mena&ccedil;ants, violents et dangereux. Le fanatisme id&eacute;ologique des gardiens rejoignait ainsi le calcul plus opportuniste consistant &agrave; ne pas tomber vivant entre les mains de l&rsquo;ennemi. Les convois d&rsquo;&eacute;vacuation et les marches de la mort t&eacute;moign&egrave;rent ainsi du d&eacute;bordement</span> de la violence au sein de la soci&eacute;t&eacute; allemande dans la derni&egrave;re p&eacute;riode de la guerre, au terme de douze ann&eacute;es de dictature&nbsp;: les meurtriers en uniforme &eacute;taient rejoints par des meurtriers en civil, les uns et les autres n&rsquo;avaient plus de mal &agrave; s&rsquo;entendre, alors que la particularit&eacute; ethnique ou raciale de leurs victimes tendait &agrave; s&rsquo;estomper &agrave; leurs yeux, m&ecirc;me si les juifs restaient plus particuli&egrave;rement expos&eacute;s.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Detlef Garbe analyse pour sa part l&rsquo;&eacute;vacuation du r&eacute;seau concentrationnaire de Neuengamme, qui dura six semaines de la fin du mois de mars au d&eacute;but du mois de mai&nbsp;1945. On comprend bien &agrave; le lire quelle fut la complexit&eacute; multiforme de cette op&eacute;ration&nbsp;: l&rsquo;&eacute;vacuation progressive des camps annexes du r&eacute;seau au fur et &agrave; mesure de la progression des Anglo-Saxons entre le Rhin et l&rsquo;Elbe, le regroupement de ces d&eacute;tenus &eacute;vacu&eacute;s dans le camp central puis dans des camps de rassemblement, qui &eacute;taient en fait de v&eacute;ritables mouroirs &agrave; l&rsquo;image de Bergen-Belsen, le regroupement &agrave; Neuengamme puis la lib&eacute;ration anticip&eacute;e des d&eacute;tenus scandinaves en provenance de tout le syst&egrave;me concentrationnaire, &agrave; la suite des tractations entre Himmler et le comte Bernadotte, l&rsquo;ex&eacute;cution par les SS de d&eacute;tenus politiques que les autorit&eacute;s nazies n&rsquo;entendaient pas laisser survivre &agrave; leur propre disparition et, pour finir, l&rsquo;&eacute;vacuation du camp central <span style="letter-spacing:-.2pt">de Neuengamme, le seul camp cen</span>tral de l&rsquo;<i>Altreich</i> qui fut enti&egrave;rement &eacute;vacu&eacute; avant l&rsquo;arriv&eacute;e des Alli&eacute;s<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a>. Ses occupants furent ensuite transf&eacute;r&eacute;s dans le port de L&uuml;beck, puis embarqu&eacute;s sur des navires &agrave; bord desquels la plupart devaient p&eacute;rir au terme de cette pitoyable odyss&eacute;e, &agrave; la suite du bombardement du &laquo;&nbsp;Cap Arcona&nbsp;&raquo; et du &laquo;&nbsp;Thielbek&nbsp;&raquo; par la Royal Air Force le 3&nbsp;mai 1945. L&rsquo;exemple de Neuengamme, qui n&rsquo;est d&rsquo;ailleurs nullement unique en son genre, prouve combien la fronti&egrave;re entre la vie et la mort, l&rsquo;extermination et la lib&eacute;ration fut mince au sein de la soci&eacute;t&eacute; concentrationnaire dans les derni&egrave;res semaines de la guerre, au moment o&ugrave; les lib&eacute;rations anticip&eacute;es de d&eacute;tenus coexistaient avec les massacres d&rsquo;autres intern&eacute;s. <span style="text-transform:uppercase">&agrave;</span> Hambourg, sous l&rsquo;influence d&rsquo;Albert Speer et des responsables de l&rsquo;industrie, le <i>HSSPF</i> Nordsee et le <i>Gauleiter</i> Kaufmann d&eacute;cid&egrave;rent de remettre la ville aux Anglais sans combattre. Les patrons de l&rsquo;industrie &eacute;taient d&eacute;sormais avant tout d&eacute;sireux de se d&eacute;barrasser des d&eacute;tenus, dont ils avaient jusqu&rsquo;alors exploit&eacute; la force de travail&nbsp;: leur responsabilit&eacute; dans la trag&eacute;die finale du &laquo;&nbsp;Cap Arcona&nbsp;&raquo; et du &laquo;&nbsp;Thielbek&nbsp;&raquo; reste donc enti&egrave;re.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase"><span style="letter-spacing:-.2pt">&agrave;</span></span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt"> la diff&eacute;rence du r&eacute;seau concentrationnaire de Neuengamme, celui de Mauthausen ne fut qu&rsquo;en partie &eacute;vacu&eacute;, dans le cas des camps annexes de l&rsquo;agglom&eacute;ration viennoise et du Bas-Danube. Les camps du Haut-Danube, principalement le triangle Mauthausen</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">-Gusen-Ebensee, rest&egrave;rent occup&eacute;s jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;arriv&eacute;e des d&eacute;tachements de la 3<sup>e</sup> arm&eacute;e am&eacute;ricaine les 5 et 6&nbsp;mai 1945. On peut donc parler &agrave; ce propos d&rsquo;une v&eacute;ritable lib&eacute;ration de la population concentrationnaire, nullement exempte au demeurant, comme dans les autres KZ, d&rsquo;un envol de la mortalit&eacute; et d&rsquo;une multiplication des assassinats de d&eacute;tenus, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du camp central comme dans les convois d&rsquo;&eacute;vacuation des d&eacute;tenus des camps annexes du Bas-Danube. Peter Kuon, romaniste &agrave; l&rsquo;universit&eacute; de Salzbourg et sp&eacute;cialiste reconnu de l&rsquo;&eacute;tude des t&eacute;moignages sur la d&eacute;portation politique<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a>, s&rsquo;est int&eacute;ress&eacute; pour sa part &agrave; la repr&eacute;sentation de la lib&eacute;ration du camp central de Mauthausen dans les &eacute;crits des survivants fran&ccedil;ais. Par suite des lib&eacute;rations anticip&eacute;es de d&eacute;tenus fran&ccedil;ais et occidentaux par la Croix-Rouge dans les derniers jours du mois d&rsquo;avril&nbsp;1945, ne restaient plus alors au camp central que des survivants malades ou trop faibles pour jouer un r&ocirc;le actif &agrave; la lib&eacute;ration&nbsp;: les Fran&ccedil;ais lib&eacute;r&eacute;s n&rsquo;avaient donc pas une histoire tr&egrave;s glorieuse &agrave; raconter. Mais dans le corpus des vingt-six t&eacute;moignages &eacute;crits qu&rsquo;il a pu analyser, Peter Kuon a constat&eacute; que l&rsquo;&eacute;pisode de la lib&eacute;ration du camp est &eacute;voqu&eacute; aussi bien par les t&eacute;moins directs de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement que par des d&eacute;tenus qui avaient &eacute;t&eacute; &eacute;vacu&eacute;s &agrave; la fin du mois d&rsquo;avril&nbsp;1945. Or, ces derniers, en particulier l&rsquo;&eacute;crivain communiste Pierre Daix dans <i>La Derni&egrave;re Forteresse</i> (1950), et l&rsquo;historien Michel de Bo&uuml;ard dans un article pionnier sur Mauthausen de 1954, ont contribu&eacute; &agrave; la construction d&rsquo;un r&eacute;cit mythique, dont la pierre angulaire est constitu&eacute;e par la relation d&rsquo;une v&eacute;ritable bataille entre l&rsquo;appareil militaire international des d&eacute;tenus du camp, sous l&rsquo;autorit&eacute; du comit&eacute; international, et les SS qui auraient tent&eacute; de revenir en force dans le camp central dans la nuit du 5 au 6&nbsp;mai 1945. Le r&eacute;cit romanc&eacute; de Pierre Daix porte en particulier les stigmates de la Guerre froide en mettant unilat&eacute;ralement en valeur l&rsquo;action du comit&eacute; international, domin&eacute; par les communistes, et en critiquant injustement les Am&eacute;ricains, rendus seuls responsables de la pagaille et de la catastrophe humanitaire. En fait, comme le montre Peter Kuon, c&rsquo;est le souci de faire sens qui a conduit Pierre Daix et Michel de Bo&uuml;ard &agrave; produire un r&eacute;cit mythique &agrave; pr&eacute;tention collective, alors que dire l&rsquo;impuissance du &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo;, qui fut la r&eacute;alit&eacute; que connurent la plupart des rescap&eacute;s du collectif fran&ccedil;ais au moment de la lib&eacute;ration du camp, reste une entreprise beaucoup plus d&eacute;licate. Si les d&eacute;tenus des camps du <span style="letter-spacing:-.1pt">Haut-Danube firent donc l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;une v&eacute;ritable lib&eacute;ration, qui ne signifia d&rsquo;ailleurs pourtant pas pour eux le retour imm&eacute;diat de la libert&eacute; et la fin de la catastrophe humanitaire, les d&eacute;tenus du camp annexe de Melk connurent</span> au contraire les affres de l&rsquo;&eacute;vacuation, en cinq convois qui partirent du 11 au <span style="letter-spacing:-.1pt">15&nbsp;avril 1945 &agrave; destination du camp central de Mauthausen et du camp annexe d&rsquo;Ebensee. Alexander Prenninger</span> est revenu sur les &eacute;v&eacute;nements traumatisants qui marqu&egrave;rent la m&eacute;moire des rescap&eacute;s. Il y eut au d&eacute;part des rumeurs d&rsquo;assassinats par gaz des d&eacute;tenus, dans les galeries souterraines du projet Quarz. Puis l&rsquo;espoir de la survie revint. Il appara&icirc;t en d&eacute;finitive que le choix des moyens de transport fut d&eacute;terminant&nbsp;: les convois en train ou en p&eacute;niche, pour remonter le cours du fleuve jusqu&rsquo;au Haut-Danube, ont en effet laiss&eacute; des souvenirs beaucoup moins forts que les marches forc&eacute;es, associ&eacute;es &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience des tentatives de fuite, des ex&eacute;cutions sommaires, de la faim, de la soif et du froid. L&rsquo;arriv&eacute;e &agrave; Ebensee fut &agrave; la source de nouvelles d&eacute;sillusions. Pour beaucoup d&rsquo;anciens de Melk, qui avaient d&eacute;j&agrave; derri&egrave;re eux une longue exp&eacute;rience concentrationnaire, ce nouveau lieu leur apparaissait pire que tous les pr&eacute;c&eacute;dents. Des actes de cannibalisme y furent attest&eacute;s. L&rsquo;envol de la mortalit&eacute;, &agrave; partir du mois d&rsquo;avril&nbsp;1945, transforma Ebensee en un v&eacute;ritable mouroir, dans lequel l&rsquo;arriv&eacute;e des Am&eacute;ricains, le 6&nbsp;mai, ne devait pas mettre imm&eacute;diatement un terme &agrave; la catastrophe humanitaire.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Mais la lib&eacute;ration de camps signifia aussi le retour des rescap&eacute;s &agrave; une existence &laquo;&nbsp;normale&nbsp;&raquo;. <span style="text-transform:uppercase">&agrave;</span> la suite de la publication de leur ouvrage<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a>, <span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>ric <span style="letter-spacing:-.1pt">Monnier et Brigitte Exchaquet-Monnier</span> se sont int&eacute;ress&eacute;s au sort d&rsquo;un groupe de rescap&eacute;es fran&ccedil;aises, qui, &agrave; l&rsquo;initiative de l&rsquo;ADIR<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a>, furent accueillies en Suisse dans les ann&eacute;es 1945-1947 pour des s&eacute;jours de convalescence. Notons au passage que cette situation pr&eacute;sente un caract&egrave;re assez exceptionnel car nombre de rescap&eacute;s ne b&eacute;n&eacute;fici&egrave;rent pas de tels soins &agrave; leur retour des camps. La hi&eacute;rarchie qui structurait le groupe des Fran&ccedil;aises &eacute;tait alors tributaire de l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie des d&eacute;port&eacute;es r&eacute;sistantes&nbsp;: les r&eacute;sis<span style="letter-spacing:-.1pt">tantes &eacute;taient alors assimil&eacute;es &agrave; des h&eacute;ro&iuml;nes, &agrave; un moindre degr&eacute; que les hommes cependant. Lorsque la censure fut d&eacute;finitivement lev&eacute;e en Suisse, &agrave; la mi-juin 1945, la presse, ou plus exactement des femmes journalistes s&rsquo;int&eacute;ress&egrave;rent aux anciennes d&eacute;tenues fran&ccedil;aises pr&eacute;sentes sur leur territoire. Celles-ci se retrouvaient alors tiraill&eacute;es entre les exigences contradictoires de l&rsquo;oubli et du t&eacute;moignage. Il existait dans le public </span>un v&eacute;ritable besoin de savoir, doubl&eacute; d&rsquo;une volont&eacute; de lutter contre l&rsquo;oubli, qui risquait de nourrir le ventre encore f&eacute;cond&hellip; Nombre des rescap&eacute;es fran&ccedil;aises choisirent cependant de garder le silence, souvent par modestie, en consid&eacute;ration du caract&egrave;re &agrave; leurs yeux subalterne des t&acirc;ches accomplies au service de l&rsquo;arm&eacute;e des ombres. Certaines sortirent de leur silence dans les ann&eacute;es 1980, face &agrave; la menace n&eacute;gationniste.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica">Nous esp&eacute;rons qu&rsquo;au terme de la lecture de ce dossier le lecteur averti prendra bien conscience de la complexit&eacute; du processus douloureux de la &laquo;&nbsp;lib&eacute;ration&nbsp;&raquo; des camps de concentration et de centres de mise &agrave; mort nazis. De multiples champs disciplinaires apportent en permanence des &eacute;clairages renouvel&eacute;s, qui permettent d&rsquo;approfondir la connaissance de ce domaine de recherches toujours f&eacute;cond en ce 70<sup>e</sup>&nbsp;anniversaire.</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.05pt">KZ : <i>Konzentrationslager</i> (camp de concentration).</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[2]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.05pt">Voir Elisabeth Thalhofer, <i>Entgrenzung der Gewalt. Gestapo-Lager in der Endphase des Dritten Reiches, </i>Pader-born, Munich, Vienne, Zurich, Ferdinand Sch&ouml;ningh, 2010.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Cette &eacute;vacuation, avant l&rsquo;arriv&eacute;e des forces britanniques, permit aux SS de faire dispara&icirc;tre une grande partie des traces de leurs crimes &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du camp central. Elle n&rsquo;est donc pas rest&eacute;e sans cons&eacute;quences sur le manque de visibilit&eacute; ult&eacute;rieur de Neuengamme dans la m&eacute;moire concentrationnaire.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Peter Kuon, <i>L&rsquo;<span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>criture des revenants. Lecture de t&eacute;moignages de la d&eacute;portation politique, </i>Paris, Kim&eacute;, 2013.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.05pt">&Eacute;ric Monnier, Brigitte Exchaquet-Monnier, <i>Retour &agrave; la vie : l&rsquo;accueil en Suisse romande d&rsquo;anciennes d&eacute;port&eacute;es </i></span><i>fran&ccedil;aises de la R&eacute;sistance, 1945-1947, </i>Neuch&acirc;tel, Alphil, 2013.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> ADIR : Association nationale des anciennes d&eacute;port&eacute;es et intern&eacute;es de la R&eacute;sistance.</span></span></span></span></p>