<h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">LA R&Eacute;PUBLIQUE SE CHERCHE UN PR&Eacute;SIDENT</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">C&rsquo;est devenu un lieu commun de dire que l&rsquo;&eacute;ph&eacute;m&egrave;re r&eacute;publique de Weimar (1919-1933), cette tentative d&eacute;mocratique entre deux empires, fut une r&eacute;publique sans r&eacute;publicains. Incapable de se d&eacute;tacher de l&rsquo;&Eacute;tat monarchique de Guillaume&nbsp;II, qui avait entra&icirc;n&eacute; l&rsquo;Allemagne dans la Premi&egrave;re Guerre mondiale, incapable de mettre en cause, malgr&eacute; la d&eacute;faite, la responsabilit&eacute; de ses &eacute;lites dirigeantes ou alors, pr&eacute;cis&eacute;ment, d&rsquo;assumer cette d&eacute;faite et de transformer de fond en comble la politique nationale et internationale du pays. Le 25&nbsp;f&eacute;vrier 1925, le premier pr&eacute;sident de la R&eacute;publique &ndash; que par inertie on continuait &agrave; appeler le &laquo;&nbsp;Reich&nbsp;&raquo; &ndash;, le social-d&eacute;mocrate Friedrich Ebert<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a> d&eacute;c&eacute;dait inopin&eacute;ment. Ce dernier n&rsquo;&eacute;tait jamais parvenu &agrave; s&rsquo;imposer et il avait d&ucirc; mener jusqu&rsquo;&agrave; 173&nbsp;proc&egrave;s en diffamation. Le choix de son successeur allait se r&eacute;v&eacute;ler comme une &eacute;preuve probatoire, &agrave; tout le moins sur le plan symbolique, et l&rsquo;on sait le r&ocirc;le privil&eacute;gi&eacute; de tels moments dans l&rsquo;histoire. Le candidat &eacute;tait &eacute;lu&nbsp;&agrave; la majorit&eacute; absolue au premier tour&nbsp;; &agrave; d&eacute;faut, &agrave; la majorit&eacute; relative au second. Le premier tour se d&eacute;roula le 29&nbsp;mars. Le candidat des nationalistes conservateurs, Karl Jarres <i>(Deutsche Volkspartei),</i> obtint 38,8&nbsp;% des voix, suivi du candidat socialiste Otto Braun, ministre-pr&eacute;sident du Land de Prusse, avec 29&nbsp;%, et de celui du Centre catholique, Wilhelm Marx, avec 14,5&nbsp;%. Tous ces partis avaient d&eacute;j&agrave; collabor&eacute; dans divers gouvernements. Le parti socialiste, se rendant compte que son candidat ne pourrait s&rsquo;imposer au second tour, appela ses &eacute;lecteurs &agrave; reporter leurs voix sur le <i>Zentrum </i>de Marx&nbsp;; le parti lib&eacute;ral d&eacute;mocratique <i>(Deutsche Demokratische Partei),</i> qui avait engrang&eacute; environ 5,8&nbsp;%, fit de m&ecirc;me. Les voix restantes s&rsquo;&eacute;taient partag&eacute;es entre le parti communiste (7&nbsp;%) et la droite bavaroise (3,7&nbsp;%), le solde, n&eacute;gligeable, s&rsquo;&eacute;tant port&eacute; sur le candidat nazi Ludendorff, fortement discr&eacute;dit&eacute; par sa participation au putsch manqu&eacute; d&rsquo;Hitler (9&nbsp;novembre 1923) &ndash; et ce, bien que la justice bavaroise n&rsquo;ait pas os&eacute; le condamner. Du c&ocirc;t&eacute; des partis de droite, Karl Jarres, qui avait &eacute;t&eacute; ministre et m&ecirc;me vice-chancelier pendant plus d&rsquo;un an, paraissait avoir fait le plein des voix au premier tour&nbsp;; ses chances de l&rsquo;emporter au second semblaient donc minces. On se r&eacute;solut alors &agrave; tenter &agrave; droite un grand coup de d&eacute;&nbsp;: pr&eacute;senter aux suffrages le seul repr&eacute;sentant de l&rsquo;ancien r&eacute;gime dont la popularit&eacute; &eacute;tait demeur&eacute;e intacte, le mar&eacute;chal Paul von Hindenburg. Pour convaincre le vieil homme de 78&nbsp;ans de quitter sa retraite et la culture des roses de son jardin, on d&eacute;p&ecirc;cha chez lui un homme de sa caste, le grand-amiral Alfred von Tirpitz, cr&eacute;ateur de la marine de guerre, repr&eacute;sentant de l&rsquo;aile nationaliste la plus hostile aux r&eacute;parations de guerre, le parti national du peuple allemand<i> (Deutschnationale Volkspartei).</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt">Les hasards de l&rsquo;histoire, plus qu&rsquo;un </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">talent quelconque, avaient hiss&eacute; Hindenburg</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> &agrave; la hauteur d&rsquo;un mythe national. Le vieil homme incarnait &ndash;&nbsp;&ocirc; paradoxe&nbsp;&ndash; le militarisme prussien sous des dehors grand-paternels. S&rsquo;&eacute;tant port&eacute; volontaire pour reprendre du service actif en 1914, il avait couvert de son autorit&eacute; la victoire pr&eacute;par&eacute;e par ses subordonn&eacute;s et remport&eacute;e sur l&rsquo;arm&eacute;e russe entre le 27 et le 29&nbsp;ao&ucirc;t 1914, quelques semaines &agrave; peine apr&egrave;s l&rsquo;ouverture des hostilit&eacute;s. La l&eacute;gende dor&eacute;e du chef invincible et lib&eacute;rateur de la Prusse orientale se r&eacute;pandit rapidement. On pr&ecirc;te au g&eacute;n&eacute;ral Ludendorff, le v&eacute;ritable strat&egrave;ge de la bataille, d&rsquo;avoir imm&eacute;diatement associ&eacute; ce succ&egrave;s au nom de l&rsquo;un des villages avoisinants, &agrave; proximit&eacute; duquel les chevaliers teutoniques avaient &eacute;t&eacute; vaincus en 1410 par les arm&eacute;es polonaise et lithuanienne. Cette revanche moderne, pr&eacute;lude &agrave; la reconqu&ecirc;te d&rsquo;un espace vital &agrave; l&rsquo;est, entra alors avec fracas dans l&rsquo;histoire allemande sous le nom de bataille de Tannenberg. Je reviendrai plus loin sur le destin exceptionnel &ndash;&nbsp;un v&eacute;ritable cas d&rsquo;&eacute;cole&nbsp;&ndash; de ce symbole savamment construit, entretenu et habilement exploit&eacute; ult&eacute;rieurement par le &laquo;&nbsp;petit caporal&nbsp;&raquo; qui se hissa sur les &eacute;paules du &laquo;&nbsp;grand mar&eacute;chal&nbsp;&raquo;. Sept mois avant qu&rsquo;Hindenburg ne se pr&eacute;sente &agrave; l&rsquo;&eacute;lection pr&eacute;sidentielle, il venait, pour le dixi&egrave;me anniversaire de la bataille, de poser la premi&egrave;re pierre d&rsquo;un gigantesque m&eacute;morial national, r&eacute;sultat d&rsquo;un concours auquel avaient pris part 385&nbsp;architectes dont les projets furent expos&eacute;s au mus&eacute;e des universit&eacute;s techniques de Berlin. En d&eacute;couvrant le projet des laur&eacute;ats, le mar&eacute;chal se serait content&eacute; de leur dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Votre travail est excellent&nbsp;!&nbsp;&raquo;, pour &eacute;voquer ensuite devant eux ses souvenirs de Solferino (voir note 10). Mais revenons &agrave; notre propos. Au second tour de l&rsquo;&eacute;lection pr&eacute;sidentielle, <span style="letter-spacing:-.2pt">le 26 avril, la droite gagna son pari&nbsp;: Hindenburg obtenait 48,3&nbsp;% des suffrages contre 45,3&nbsp;% au candidat des partis socialiste, d&eacute;mocratique et du </span><span style="letter-spacing:-.3pt">centre. L&rsquo;&laquo;&nbsp;effet Hindenburg&nbsp;&raquo; avait port&eacute; ses fruits. Des historiens (voir note&nbsp;3) </span><span style="letter-spacing:-.2pt">accusent aujourd&rsquo;hui l&rsquo;&laquo;&nbsp;aveuglement&nbsp;&raquo; politique du parti communiste</span> qui avait maintenu son candidat au second tour (6,4&nbsp;%). Cette vision r&eacute;trospective m&eacute;caniste ne tient aucun compte du d&eacute;roulement des &eacute;v&egrave;nements depuis la fin de la guerre ni du foss&eacute; profond que cette derni&egrave;re avait creus&eacute; entre les partis ouvriers. Elle ignore pour le surplus que le second tour avait mobilis&eacute; 3,5&nbsp;millions d&rsquo;&eacute;lecteurs suppl&eacute;mentaires et que rien ne permet de pr&eacute;juger du comportement des &eacute;lecteurs communistes si un mot d&rsquo;ordre bien improbable de ralliement &agrave; l&rsquo;adversaire d&rsquo;Hindenburg leur avait &eacute;t&eacute; adress&eacute;. Que l&rsquo;&eacute;lection du mar&eacute;chal ait &eacute;t&eacute; un cinglant &eacute;chec pour la r&eacute;publique ne fait pas l&rsquo;ombre d&rsquo;un doute. L&rsquo;influent r&eacute;dacteur en chef et &eacute;ditorialiste du <i>Berliner Tageblatt</i>, Theodor Wolff, &eacute;crivit au lendemain de l&rsquo;&eacute;v&egrave;nement&nbsp;: &laquo;&nbsp;Que peut-on bien faire d&rsquo;un peuple qui n&rsquo;apprend rien de ses malheurs et qui se laisse toujours &agrave; nouveau, pour la dixi&egrave;me ou douzi&egrave;me fois, mettre le licou et mener par les m&ecirc;mes&nbsp;?&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <h2 style="text-align: justify; text-indent: 8.5pt;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">DE DREYFUS &Agrave; LESSING</span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Comment un homme solitaire se retrouve-t-il soudain au c&oelig;ur de l&rsquo;actualit&eacute;, dans l&rsquo;&oelig;il d&rsquo;un cyclone politique, oblig&eacute; de jouer un r&ocirc;le que seuls ses adversaires l&rsquo;ont contraint &agrave; assumer&nbsp;? On s&rsquo;est souvent pos&eacute; la question au terme de l&rsquo;affaire Dreyfus<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a>. L&rsquo;homme fut-il &agrave; la hauteur des enjeux dont il &eacute;tait devenu malgr&eacute; lui le symbole&nbsp;? Sans comparer leurs deux personnalit&eacute;s ni les circonstances qui les ont forg&eacute;es, la m&ecirc;me interrogation s&rsquo;applique &agrave; Theodor Lessing, charg&eacute; de cours de philosophie &agrave; l&rsquo;universit&eacute; technique de Hanovre, pouss&eacute; soudainement sur le devant de la sc&egrave;ne par l&rsquo;exploitation politique sans scrupule de son opposition publique &agrave; la candidature d&rsquo;Hindenburg, son <span style="letter-spacing:.3pt">compatriote qu&rsquo;il conna&icirc;t bien, et dont son p&egrave;re a &eacute;t&eacute; occasionnellement le m&eacute;decin. Lessing se rappellera d&rsquo;autant plus naturellement l&rsquo;affaire Dreyfus que celle-ci appartient d&eacute;sormais &agrave; l&rsquo;histoire europ&eacute;enne&nbsp;; dans la France victorieuse en 1918 elle appartient au pass&eacute; et le capitaine r&eacute;habilit&eacute; est nomm&eacute; lieutenant-colonel. L&rsquo;affaire</span> Lessing <span style="letter-spacing:-.1pt">commence. L&rsquo;homme ne conna&icirc;tra heureusement jamais le sort tragique </span>des ann&eacute;es de bagne de Dreyfus ni l&rsquo;in<span style="letter-spacing:-.1pt">terminable combat pour son honneur bafou&eacute;. Mais l&rsquo;histoire qui n&rsquo;est jamais avare de contradictions fera de la cabale mont&eacute;e contre Lessing le pr&eacute;lude &agrave; son assassinat&nbsp;; l&acirc;chement abattu en ao&ucirc;t&nbsp;1933 par de petits nervis nazis, il meurt deux ans avant celui qui avait avant-guerre scind&eacute; en deux blocs inconciliables la soci&eacute;t&eacute; fran&ccedil;aise.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Les ravages de l&rsquo;antis&eacute;mitisme rapprochent in&eacute;vitablement les deux cas. Une bonne d&eacute;cennie de mensonges et de calomnies avaient rendu plausible aux yeux de l&rsquo;opinion fran&ccedil;aise la </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">d&eacute;gradation pour trahison du capitaine Dreyfus. L&rsquo;antis&eacute;mitisme politique allemand, n&eacute; vers 1880, raviv&eacute; <span style="letter-spacing:-.1pt">durant la guerre et surtout apr&egrave;s la d&eacute;faite, allait faire le lit du cas Les</span>sing. Celui-ci est n&eacute; &agrave; Hanovre en 1872 dans une famille juive ais&eacute;e et int&eacute;gr&eacute;e de longue date dans cette ville rattach&eacute;e depuis peu &agrave; la Prusse. L&agrave;, m&ecirc;me un Juif de bonne famille bourgeoise assimil&eacute;e n&rsquo;aurait pu, comme Dreyfus, devenir officier&nbsp;; la carri&egrave;re militaire, comme l&rsquo;administration ou l&rsquo;enseignement restent des privil&egrave;ges jalousement gard&eacute;s. Les jeunes Juifs de bonne famille se pr&eacute;cipitent d&rsquo;autant plus volontiers dans toutes les professions &laquo;&nbsp;modernes&nbsp;&raquo;, ouvertes, m&ecirc;me si leurs d&eacute;bouch&eacute;s sont hasardeux et la concurrence f&eacute;roce pour s&rsquo;y tailler une place. En r&eacute;bellion contre les siens autant que contre la discipline d&rsquo;une Prusse conformiste et militaris&eacute;e, Lessing mettra longtemps &agrave; trouver sa voie entre m&eacute;decine, psychologie, litt&eacute;rature, p&eacute;dagogie nouvelle, critique et journalisme, jusqu&rsquo;&agrave; ce que la Premi&egrave;re Guerre mondiale &eacute;branle toutes ses convictions et le pr&eacute;cipite, en contestataire pacifiste, socialiste et anarchiste dans une remise en cause fondamentale de cette soci&eacute;t&eacute; capitaliste moderne dont il est indirectement le produit. Prend forme alors cette philosophie &laquo;&nbsp;en tant qu&rsquo;action&nbsp;&raquo;, engag&eacute;e mais sceptique, qu&rsquo;il d&eacute;veloppera vers la cinquantaine, m&ucirc;ri par l&rsquo;exp&eacute;rience de la guerre et du chaos qui la prolonge. <span style="letter-spacing:-.1pt">Sa situation de charg&eacute; de cours dans une universit&eacute; technique que la philosophie int&eacute;resse peu demeure pr&eacute;caire</span>. Il &eacute;crit, donne des conf&eacute;rences et fournit la presse en feuilletons litt&eacute;raires. Une affaire <span style="letter-spacing:-.2pt">criminelle hors du commun, dont il rend compte dans un grand quotidien tch&egrave;que de langue allemande, le <i>Prager</i></span><i> Tagblatt</i>, lui vaut de premiers ennuis au sein de son universit&eacute;&nbsp;: est-il digne de sa fonction et de sa mission d&rsquo;&eacute;ducateur de s&rsquo;occuper de la lie de la soci&eacute;t&eacute; et surtout de s&rsquo;immiscer de fa&ccedil;on critique dans le travail de la police et de la justice&nbsp;? L&rsquo;affaire en question n&rsquo;est pas banale, et tellement r&eacute;v&eacute;latrice du climat social de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre et de l&rsquo;inflation, que notre philosophe et psychologue l&rsquo;a &eacute;rig&eacute;e en exemple et s&rsquo;insurge contre la mani&egrave;re dont elle est men&eacute;e. Fritz Haarmann, pervers sexuel, et son complice Hans Grans se voient accus&eacute;s d&rsquo;au moins 27 assassinats de jeunes gens disparus, dont il appara&icirc;tra qu&rsquo;ils ont &eacute;t&eacute; tu&eacute;s et d&eacute;pec&eacute;s entre janvier 1923 et juin 1924. L&rsquo;enqu&ecirc;te r&eacute;v&egrave;le rapidement les d&eacute;faillances<span style="letter-spacing:-.2pt"> de l&rsquo;appareil policier qui employait Haarmann</span> comme mouchard et indicateur dans les milieux interlopes du quartier de la gare&nbsp;: prostitution et trafics en tous genres, de viande notamment, ce qui dissimulera pour un temps l&rsquo;activit&eacute; macabre du meurtrier. Durant le proc&egrave;s, Lessing se voir retirer son accr&eacute;ditation de presse pour avoir critiqu&eacute; le tribunal et les experts appel&eacute;s &agrave; la barre&nbsp;; il soup&ccedil;onne au surplus les magistrats de vouloir apaiser l&rsquo;opinion en faisant ex&eacute;cuter rapidement les accus&eacute;s. L&rsquo;universit&eacute;, sous la pression des professeurs et &eacute;tudiants de droite, entame une proc&eacute;dure disciplinaire en vue de sanctionner son attitude. C&rsquo;est sur ces entrefaites que para&icirc;t dans le m&ecirc;me journal pragois le portrait psychologique qu&rsquo;il dresse du mar&eacute;chal &agrave; la veille de son &eacute;lection. De ce singulier rapprochement va na&icirc;tre un v&eacute;ritable complot aux dimensions nationales. L&rsquo;intellectuel juif Lessing, critique des valeurs les plus sacr&eacute;es de la nation allemande, y servira de bouc &eacute;missaire id&eacute;al. R&eacute;sumons ici les traits essentiels de cette &eacute;tude de caract&egrave;re particuli&egrave;rement pertinente.</span></span></span></span></p> <h2 style="text-align: justify; text-indent: 8.5pt;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">UN CRIME DE L&Egrave;SE-MAJEST&Eacute;</span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Avec le recul dont nous disposons, l&rsquo;article du fin psychologue Lessing anticipe le r&ocirc;le politique que l&rsquo;entourage du futur pr&eacute;sident lui fera jouer. &laquo;&nbsp;Bismarck a eu sur lui-m&ecirc;me, &eacute;crit Lessing, cette belle expression&nbsp;: &ldquo;Je suis parfaitement conscient d&rsquo;en &ecirc;tre rest&eacute; &agrave; un certain stade de mon &eacute;volution.&rdquo; Hindenburg n&rsquo;avait pas besoin de cela. La nature l&rsquo;a con&ccedil;u si simple, si droit et si &eacute;vident qu&rsquo;il ne restait plus rien &agrave; d&eacute;velopper&nbsp;; sauf le d&eacute;ploiement innocent de pr&eacute;jug&eacute;s inn&eacute;s. Allemand, Prussien, chr&eacute;tien, monarchiste, soldat, camarade, appartenant selon le mode de vie et l&rsquo;allure &agrave; la couche sociale nette et de bon aloi qui trouve ses normes dans le &ldquo;Petit Gotha&rdquo; et dans le &ldquo;Protocole du Rang&rdquo;, tout cela de mani&egrave;re aussi naturelle et incontestable que tout homme qui ne le sentirait pas appara&icirc;trait comme un Chinois ou un adorateur de Bouddha.&nbsp;[&hellip;] Quel homme conviendrait mieux comme f&eacute;tiche, comme statue, comme symbole&nbsp;? Quand le Hanovre &eacute;tait encore un royaume dont le monarque r&eacute;sidait en permanence en Angleterre, son tr&ocirc;ne vide le repr&eacute;sentait &agrave; la Cour, et pendant des g&eacute;n&eacute;rations la noblesse welche venait d&eacute;filer chaque dimanche et faire sa r&eacute;v&eacute;rence devant son si&egrave;ge inoccup&eacute;. On n&rsquo;y pla&ccedil;ait m&ecirc;me pas une poup&eacute;e symbolique&hellip;&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Lessing, qui fut un temps enseignant int&eacute;rimaire, rappelle ensuite comment, &agrave; l&rsquo;occasion de l&rsquo;anniversaire de la bataille de Tannenberg, la jeunesse des &eacute;coles d&eacute;filait devant le mar&eacute;chal&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je donnerais beaucoup pour revivre cet instant&nbsp;; ce m&eacute;lange de sentiments, de comique et d&rsquo;&eacute;motion, de solitude compl&egrave;te et de fusion avec tous les enfants, cette folle exub&eacute;rance et cette d&eacute;f&eacute;rence sacr&eacute;e&nbsp;; et surtout ma stupeur, car je n&rsquo;aurais jamais cru possible un tel degr&eacute; d&rsquo;infantilisme.&nbsp;Hindenburg (nous &eacute;tions les yeux dans les yeux) disait avec conviction&nbsp;: &ldquo;<span style="letter-spacing:.3pt">L&rsquo;A</span>llemagne se trouve dans un marasme profond. Les temps splendides de l&rsquo;empereur et de ses h&eacute;ros ne sont plus. Mais les enfants qui chantent ici le <i>Deutschland &uuml;ber alles</i>, ces enfants sont appel&eacute;s &agrave; renouveler le Reich ancien. Ils vaincront le monstre, la r&eacute;volution. Ils verront le retour du temps glorieux, des grandes guerres victorieuses. Et vous, Messieurs les Ma&icirc;tres, vous portez la belle mission d&rsquo;&eacute;duquer les enfants dans ce sens.&rdquo; (Les garnements me poussaient et ricanaient.) &ldquo;Et vous, mes chers &eacute;l&egrave;ves, vous entrerez comme vos anc&ecirc;tres victorieux dans Paris. Je ne vivrai plus ce moment. Je serai alors pr&egrave;s de Dieu. Mais du ciel, je jetterai mon regard sur vous, je me r&eacute;jouirai de vos exploits et je vous b&eacute;nirai.&rdquo;&nbsp;&raquo; On citerait volontiers le texte entier de Lessing, mais venons-en &agrave; l&rsquo;essentiel, sa conclusion pr&eacute;monitoire.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;L&rsquo;observateur des choses humaines d&eacute;couvre dans ce ph&eacute;nom&egrave;ne toute la joie que s&rsquo;autorise cette vie enferm&eacute;e dans ses limites &eacute;troites et na&iuml;vement assum&eacute;es. Une nature transparente, fonci&egrave;rement honn&ecirc;te et fiable, sans fausset&eacute; ni questionnement. Et c&rsquo;est aussi ainsi qu&rsquo;il appara&icirc;t au miroir de ses &quot;Souvenirs&quot;. Mais l&rsquo;on se gardera bien de ce jugement&nbsp;: voici un homme d&rsquo;un seul tenant. Je ne parlerai pas de l&rsquo;inhumanit&eacute; et de l&rsquo;&eacute;go&iuml;sme d&rsquo;une si na&iuml;ve fatuit&eacute;. Car &agrave; partir du moment o&ugrave; le plus apolitique de tous les hommes est utilis&eacute; politiquement, c&rsquo;est de bien autre chose qu&rsquo;il s&rsquo;agit&nbsp;: cet homme est l&rsquo;image m&ecirc;me de &ldquo;l&rsquo;homme au service de&rdquo;. Il n&rsquo;y a pas chez lui la moindre amorce d&rsquo;une personnalit&eacute; qui pense, juge et d&eacute;cide par elle-m&ecirc;me. L&rsquo;essentiel chez lui est toujours le r&egrave;glement, la tradition, le consensus, &ldquo;que l&rsquo;on doit quand m&ecirc;me bien&rdquo;, &ldquo;que l&rsquo;on ne peut quand m&ecirc;me pas&rdquo;. Un bon et &ldquo;fid&egrave;le saint-bernard&rdquo;, un &ldquo;fid&egrave;le Eckart&rdquo;, &ldquo;un bon gardien&rdquo;, mais seulement tant qu&rsquo;un homme sage est l&agrave; pour le tenir &agrave; son service et le dresser &agrave; rapporter&nbsp;; laiss&eacute; en libert&eacute;, il deviendrait un loup &eacute;gar&eacute;. Une nature comme celle d&rsquo;Hindenburg demandera jusqu&rsquo;au bout&nbsp;: o&ugrave; puis-je servir&nbsp;? Il est certainement bouleversant et touchant que pendant la guerre mondiale l&rsquo;une des pires et des plus malfaisantes natures de l&rsquo;histoire universelle ait pu utiliser au service de son ambition personnelle et de sa volont&eacute; de pouvoir un homme parmi les plus simples et les plus cr&eacute;dules, tout cela sous le drapeau de l&rsquo;id&eacute;e nationale.&nbsp;&raquo;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Nous voici donc parvenus au c&oelig;ur de la mise en garde du philosophe&nbsp;: qui et quels int&eacute;r&ecirc;ts se tiennent-ils derri&egrave;re ce tr&ocirc;ne vide, derri&egrave;re ce symbole fait tout entier de na&iuml;ve apparence&nbsp;? Le lecteur du moment ne pouvait s&rsquo;y m&eacute;prendre&nbsp;: Ludendorff&nbsp;! L&rsquo;histoire, cependant, nous r&eacute;servait Hitler, contre lequel &ndash;&nbsp;ironie supr&ecirc;me&nbsp;&ndash; Ludendorff mit en garde le vieux mar&eacute;chal dans une lettre demeur&eacute;e c&eacute;l&egrave;bre<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a>. M&ecirc;me s&rsquo;il s&rsquo;&eacute;tait tromp&eacute; sur la personne du futur dictateur, Lessing avait justement conclu&nbsp;: &laquo;&nbsp;Selon Platon, les philosophes devraient guider les peuples. Mais ce n&rsquo;est pas un philosophe qui montera sur le tr&ocirc;ne en la personne de Hindenburg. Rien qu&rsquo;un symbole repr&eacute;sentatif, un point d&rsquo;interrogation, un z&eacute;ro. On pourrait se dire&nbsp;: &ldquo;Mieux vaut un z&eacute;ro tout rond qu&rsquo;un N&eacute;ron.&rdquo; <span style="letter-spacing:-.1pt">Mais l&rsquo;histoire nous enseigne, h&eacute;las,</span> que derri&egrave;re un z&eacute;ro tout rond se cache toujours un futur N&eacute;ron.&nbsp;&raquo;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le lendemain du second tour, Oskar, fils du mar&eacute;chal, &eacute;veilla son p&egrave;re &agrave; sept heures du matin pour lui annoncer son succ&egrave;s. &laquo;&nbsp;Si c&rsquo;est tout ce que tu as &agrave; me dire, pourquoi me r&eacute;veilles-tu si t&ocirc;t&nbsp;? &Agrave; huit heures le r&eacute;sultat aurait &eacute;t&eacute; le m&ecirc;me.&nbsp;&raquo; Et il se rendormit&nbsp;?<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a> D&egrave;s que la victoire &eacute;lectorale d&rsquo;Hindenburg fut connue, un cort&egrave;ge aux flambeaux parcourut sa ville de r&eacute;sidence, auquel participa tout ce que Hanovre compte de notables, de partis, de corporations, d&rsquo;organisations sportives et militaires de droite, qui se sont mobilis&eacute;s pour l&rsquo;accueillir en triomphe. Le nouveau pr&eacute;sident est <span style="letter-spacing:.1pt">fait docteur <i>honoris causa </i>de l&rsquo;universi</span>t&eacute; dans laquelle Lessing enseigne. Un journal reproduit l&rsquo;article trouv&eacute; dans le <i>Prager Tagblatt. </i>Un &laquo;&nbsp;comit&eacute; de lutte contre Lessing&nbsp;&raquo; se forme pour obtenir son renvoi. Ses cours sont boycott&eacute;s. Pressions et menaces physiques aboutissent &agrave; une suspension de fait de son enseignement, pendant laquelle s&rsquo;engage une &eacute;preuve de force politique&nbsp;: Lessing, bien d&eacute;cid&eacute; &agrave; assurer sa d&eacute;fense, est soutenu par ceux des socialistes ou des intellectuels <span style="letter-spacing:.1pt">qui ont bien saisi l&rsquo;enjeu du conflit&nbsp;: la libert&eacute; d&rsquo;opinion et d&rsquo;expression. Une ann&eacute;e scolaire ne suffit pas &agrave; apaiser la tension. &Agrave; la reprise des cours </span>en mai 1926, quatre &agrave; cinq cents &eacute;tudiants <span style="letter-spacing:.2pt">arm&eacute;s de b&acirc;tons emp&ecirc;chent l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; son enseignement. Le 8 juin, un train sp&eacute;cial &ndash;&nbsp;r&eacute;serv&eacute; selon toute vraisemblance par le magnat de la </span><span style="letter-spacing:.1pt">presse et pr&eacute;sident du parti national du peuple allemand <i>(Deutschnationale Volkspartei),</i> Alfred Hugenberg&nbsp;&ndash;</span><span style="letter-spacing:.2pt"> attend les &eacute;tudiants pour se rendre &agrave; Braunschweig, </span>o&ugrave; ils menacent de s&rsquo;inscrire dans une universit&eacute; dont le rectorat les soutient. Il s&rsquo;agit de faire plier le gouvernement socialiste du Land de Prusse, pouvoir de tutelle de l&rsquo;universit&eacute; de Hanovre. Le 19 juin, un compromis jug&eacute; honorable par l&rsquo;int&eacute;ress&eacute; transforme sa charge de cours en mandat de chercheur. S&rsquo;il lui permet de reprendre une activit&eacute; en mettant fin &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve qui l&rsquo;a profond&eacute;ment affect&eacute; physiquement et moralement, il ne cl&ocirc;t pas l&rsquo;&laquo;&nbsp;affaire Lessing&nbsp;&raquo;. Les nazis ne l&rsquo;ont pas effac&eacute; de leur arsenal de propagande. Apr&egrave;s la crise de 1929, quand ils repartent &agrave; l&rsquo;assaut du pouvoir, Goebbels, accus&eacute; &agrave; son tour de diffamation du pr&eacute;sident de la R&eacute;publique, forgea le lien imaginaire que Lessing aurait tiss&eacute; entre le criminel Haarmann et Hindenburg&nbsp;; il aurait ainsi d&eacute;clar&eacute; pour sa propre d&eacute;fense&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;historien juif, le professeur Lessing, a compar&eacute; dans la presse &eacute;trang&egrave;re Monsieur le Pr&eacute;sident du Reich au meurtrier en s&eacute;rie Haarmann, ce dont les &eacute;tudiants nationalistes l&rsquo;ont ch&acirc;ti&eacute;, mais qui a &eacute;t&eacute; r&eacute;compens&eacute; par un contrat de chercheur sign&eacute; par un minist&egrave;re marxiste.&nbsp;&raquo; Ce que Lessing contesta publiquement en d&eacute;tail, terminant sa r&eacute;ponse dans une importante revue culturelle par cette remarque pertinente&nbsp;: &laquo;&nbsp;Imaginez maintenant ce qui risque de se passer&nbsp;: dans l&rsquo;histoire culturelle, dans celle des religions et des opinions, on trouve de nombreux clich&eacute;s historiques, l&rsquo;image de Socrate, par exemple, r&eacute;sum&eacute;e en quelques lignes transmises par des contemporains. Qui nous garantit qu&rsquo;il n&rsquo;en ira pas de m&ecirc;me avec la transmission d&rsquo;une pelote d&rsquo;associations comme celle que j&rsquo;&eacute;voquais plus haut&nbsp;? S&rsquo;il devait arriver que rien ne subsiste de moi que cette phrase du discours du Dr Goebbels, comme il n&rsquo;est rien rest&eacute; d&rsquo;autre de Catalina que le discours de Cic&eacute;ron, quelle horreur&nbsp;! Et dire que certains combattent encore le scepticisme de mon livre&nbsp;: &ldquo;L&rsquo;histoire, ou donner du sens &agrave; ce qui n&rsquo;en a pas&rdquo;.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;assassinat de Lessing s&rsquo;inscrit dans la longue liste des actes criminels qui ont accompagn&eacute; l&rsquo;arriv&eacute;e des nazis au pouvoir. C&rsquo;est dans l&rsquo;entourage de <span style="letter-spacing:-.1pt">Hindenburg et sous son patronage qu&rsquo;ils entrent dans la politique allemande qu&rsquo;ils investiront progressivement et pour douze ans. Le 2 mars </span>1933, Lessing et sa fille Ruth parvien<span style="letter-spacing:-.1pt">nent &agrave; gagner la Tch&eacute;coslovaquie. </span>Il <span style="letter-spacing:-.1pt">assiste le 23 ao&ucirc;t, &agrave; Prague, &agrave; l&rsquo;ouverture du 18<sup>e</sup>&nbsp;congr&egrave;s sioniste. Le 25 ao&ucirc;t, </span>il est officiellement d&eacute;chu de sa nationalit&eacute; allemande. Sa t&ecirc;te est mise &agrave; prix. La maison de Marienbad dans laquelle il s&rsquo;est install&eacute; est surveill&eacute;e par des Sud&egrave;tes nazis&nbsp;; le 30&nbsp;ao&ucirc;t au soir, il y est assassin&eacute; de deux balles dans la t&ecirc;te. Les meurtriers passent la fronti&egrave;re proche. Dans la Journ&eacute;e du parti de septembre 1933, la premi&egrave;re depuis la prise de pouvoir, Goebbels <span style="letter-spacing:-.1pt">fit une allusion &agrave; ces gens dont il n&rsquo;est pas &eacute;tonnant que la R&eacute;volution allemande doive se d&eacute;barrasser. Rosenberg,</span> r&eacute;&eacute;ditant un portrait qu&rsquo;il avait trac&eacute; de Lessing en 1927, se contenta d&rsquo;une l&acirc;che note en bas de page&nbsp;: &laquo;&nbsp;En 1933, Lessing s&rsquo;enfuit &agrave; Prague et continua &agrave; exciter l&rsquo;opinion contre le Reich allemand. Il fut abattu chez lui par des auteurs inconnus.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <h2 style="text-align: justify; text-indent: 8.5pt;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">TANNENBERG, CE SYMBOLE</span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;architecte que je fus ne r&eacute;siste pas &agrave; l&rsquo;interpr&eacute;tation de ce monumental symbole du culte de Hindenburg que devint le m&eacute;morial de Tannenberg. C&rsquo;est &agrave; pr&eacute;sent en tant que pr&eacute;sident de la R&eacute;publique qu&rsquo;il l&rsquo;inaugure le 18&nbsp;septembre 1927 par un discours dont le texte sera coul&eacute; dans une plaque de bronze&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;accusation, selon laquelle l&rsquo;Allemagne serait la cause de la plus grande de toutes les guerres, nous la rejetons, le peuple allemand dans toutes ses composantes la rejette unanimement. Ni l&rsquo;envie, ni la haine ni la soif de conqu&ecirc;tes ne nous ont mis les armes &agrave; la main. Bien au contraire, la guerre fut ce moyen ultime de nous affirmer au prix de lourds sacrifices face &agrave; un monde d&rsquo;ennemis. C&rsquo;est le c&oelig;ur pur que nous sommes partis pour la d&eacute;fense de la patrie, et c&rsquo;est avec des mains pures que l&rsquo;arm&eacute;e a tenu l&rsquo;&eacute;p&eacute;e. L&rsquo;Allemagne est dispos&eacute;e &agrave; tout instant &agrave; en apporter la preuve devant des juges impartiaux.&nbsp;&raquo; Le premier anniversaire de la bataille apr&egrave;s la nomination d&rsquo;Hitler comme chancelier, le 27 ao&ucirc;t 1933, un vibrant hommage au mar&eacute;chal lui fut &eacute;videmment rendu par le nouveau r&eacute;gime. Hindenburg meurt le 2&nbsp;ao&ucirc;t 1934 et il est inhum&eacute; le 7 &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur du m&eacute;morial. De gigantesques travaux de transformation de la cour <span style="letter-spacing:-.1pt">int&eacute;rieure s&rsquo;entament alors, sous la supervision d&rsquo;Hitler, toujours f&eacute;ru d&rsquo;architecture et de grandiose mise en sc&egrave;ne. &Agrave; leur ach&egrave;vement, le 2&nbsp;octobre 1935, un nouveau sarcophage est plac&eacute; dans la crypte. Hitler y prend la parole devant les troupes des diff&eacute;rentes</span> armes&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;ensevelissement de ce grand Allemand dans les murailles de ce puissant monument &agrave; la bataille lui donne un sacre particulier et l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve en un lieu saint de la nation.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Ce m&eacute;morial qui devait consacrer la naissance du Reich de mille ans concr&eacute;tise assez bien l&rsquo;id&eacute;ologie de cette &laquo;&nbsp;r&eacute;volution conservatrice&nbsp;&raquo;. Au-dessus de l&rsquo;entr&eacute;e de la crypte du mar&eacute;chal fut plac&eacute; un gigantesque bloc de granit &ndash; &laquo;&nbsp;Car seule la pierre la plus dure venue des origines devrait trouver son application dans un monument con&ccedil;u pour l&rsquo;&eacute;ternit&eacute;.&nbsp;&raquo; (G.&nbsp;Buchheit, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">voir note 10). Le colosse fut donc extrait par les moyens les plus modernes d&rsquo;une carri&egrave;re de Prusse orientale. Mais l&rsquo;&eacute;ternit&eacute; ne devait pas &ecirc;tre accord&eacute;e au m&eacute;morial&nbsp;; il ne subsista que dix-huit ans. En janvier 1945, l&rsquo;arm&eacute;e en d&eacute;route organisa l&rsquo;&eacute;vacuation des d&eacute;pouilles de Hindenburg et de sa femme et fit sauter certaines des huit tours de la construction. Le reste fut ult&eacute;rieurement dynamit&eacute; par l&rsquo;arm&eacute;e polonaise. Le site reprit son nom polonais&nbsp;: Olsztynek. Un nouveau monument fut &eacute;rig&eacute; sur cet emplacement, un rappel de la victoire de 1410 sur les chevaliers teutoniques. &Eacute;ternel balancier de l&rsquo;histoire&nbsp;? Jusques &agrave; quand&nbsp;?<a name="_ftnref10"></a><a href="#_ftn10"><sup><span style="color:black">[10]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p><img height="563" src="https://www.numerev.com/img/ck_419_14_8_Aron_Capture d’écran 2020-12-15 à 11.35.192.png" width="389" /></p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Ebert, Friedrich (1871-1925), pr&eacute;sident de la R&eacute;publique de 1919 &agrave; 1925.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[2]</span></span></span></sup></a> <span lang="DE" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Cit&eacute; dans&nbsp;Hagen Schulze, <i>Weimar, Deutschland 1917-1933,</i> Berlin, Siedler Verlag, 1982, p.</span></span>&nbsp;<span lang="DE" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">296.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Voir notamment Jean Denis Bredin, <i>L&rsquo;Affaire</i>, Julliard, Paris, 1983. <span style="letter-spacing:-.05pt">La comparaison de &laquo;&nbsp;l&rsquo;affaire Lessing&nbsp;&raquo; avec son homologue fran&ccedil;ais s&rsquo;est impos&eacute;e par la mani&egrave;re dont elle avait &eacute;galement cliv&eacute; le pays.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Prager Tagblatt,</i> n&deg; 97, 25 avril 1925, p. 3. Traduction&nbsp;: J. Aron. Ce journal, digitalis&eacute;, est accessible sur le site de la Biblioth&egrave;que nationale d&rsquo;Autriche (&Ouml;NB)&nbsp;: http://anno.onb.ac.at/cgi-content/anno?aid=aid=ptb&amp;datum=prager</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[5]</span></span></span></sup></a> <span lang="DE" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.15pt">Ludendorff &agrave; Hindenburg, le 1<sup>er</sup> f&eacute;vrier 1933&nbsp;: </span></span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.15pt">&laquo; En nommant Hitler chancelier du Reich, vous avez livr&eacute; notre sainte patrie allemande &agrave; l&rsquo;un des plus grands d&eacute;magogues de tous les temps. Je vous pr&eacute;dis solennellement que cet homme n&eacute;faste pr&eacute;cipitera notre empire dans l&rsquo;ab&icirc;me et notre nation dans une incroyable mis&egrave;re. Les g&eacute;n&eacute;rations &agrave; venir vous maudiront pour cela dans votre tombe.&nbsp;&raquo; In</span></span></span><i>&nbsp;</i><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.15pt">Hagen Schulze, <i>Weimar..., op. cit., </i>p. 410.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> L&rsquo;anecdote est tellement significative que de nombreux historiens l&rsquo;ont rapport&eacute;e, dont Hagen Schulze, <i><span style="letter-spacing:-.15pt">Weimar...,</span></i> <i>op. cit.</i>, p.&nbsp;296.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.15pt">Theodor Lessing, &laquo;&nbsp;&Agrave; propos d&rsquo;une d&eacute;claration du Dr Goebbels&nbsp;&raquo;, in <i>Das Tagebuch</i>, 11<sup>e</sup> ann&eacute;e, cahier 42/1930, p. 1</span>&thinsp;<span style="letter-spacing:-.15pt">692. </span></span></span><span lang="DE" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.15pt">Comme la plupart des feuilletons de Lessing, ce texte est repris dans les recueils suivants&nbsp;: Theodor Lessing, <i>Ich warf eine Flaschenpost ins Eismeer der Geschichte</i>, Essays und Feuilletons herausgegeben und eingeleitet von Rainer Marwedel, Munich, Luchterhand, 1986&nbsp;; Theodor Lessing, <i>Wortmeldungen eines Unerschrockenen</i>, Leipzig, Weimar, Gustav Kiepenheuer, 1987&nbsp;; Theodor Lessing, <i>Wir machen nicht mit!, Schriften gegen den Nationalismus und zur Judenfrage, </i>Br&ecirc;me, Donat, 1997. </span></span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.15pt">La bibliographie de Lessing &eacute;tant trop abondante, nous renvoyons ici&nbsp;&agrave; celle &eacute;tablie par l&rsquo;universit&eacute; de Potsdam&nbsp;: www.uni-potsdam.de/db/lessing/material.html</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[8]</span></span></span></sup></a> <span lang="DE" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Alfred Rosenberg, <i>Novemberk&ouml;pfe</i>, Berlin, 1939.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:#0563c1">[9]</span></span></span></sup></a> <span lang="DE" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Reproduit dans l&rsquo;ouvrage illustr&eacute; que publie l&rsquo;un des historiens officiels du r&eacute;gime, Gert Buchheit, <i>Das Reichsehrenmal Tannenberg, seine Entstehung, seine endg&uuml;ltige Gestaltung und seine Einzelkunstwerke, </i>Munich, Verlag Knorr &amp; Hirth, 1936.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn10"></a><a href="#_ftnref10"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[10]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> L&rsquo;&eacute;tat actuel du lieu est visible sur le site <a href="http://www.ordensland.de/Tannenberg/tannenberg.html"><span style="color:#0563c1">www.ordensland.de/Tannenberg/tannenberg.html</span></a></span></span></span></span></span></p>