<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">La p&eacute;riode post-guerre froide a vu une spectaculaire multiplication des conflits violents<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a>. On tient g&eacute;n&eacute;ralement le continent africain pour un th&eacute;&acirc;tre typique de ce devenir end&eacute;mique de la violence politique, et ses ressortissants pour des victimes privil&eacute;gi&eacute;es des politiques migratoires de plus en plus r&eacute;pressives et s&eacute;lectives du Nord<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a>. Ce texte prendra pour point de d&eacute;part la g&eacute;n&eacute;alogie de la violence en contexte africain que proposent les penseurs politiques Achille Mbembe et Sidi Mohammed Barkat. Ils ont cherch&eacute; &agrave; d&eacute;finir le statut de zones o&ugrave; le droit semble mis en &eacute;chec, et les existences humaines paraissent avoir perdu toute valeur aux yeux des &Eacute;tats. De telles zones (territoriales aussi bien que juridiques), qui balancent sans cesse entre la loi et son exception, entre civilit&eacute; et &eacute;tat de nature, semblent d&eacute;fier la philosophie du droit moderne qui avait conceptualis&eacute; ces situations comme rigoureusement exclusives les unes des autres.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Pour engager cette r&eacute;flexion, on suivra la voie d&rsquo;une &laquo;&nbsp;forme diagnostique de la pens&eacute;e politique&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a> qui, plut&ocirc;t que de soumettre le r&eacute;el &agrave; la question depuis des crit&egrave;res de surplomb, cherchera &agrave; en exposer la logique propre, pensant la politique &agrave; partir d&rsquo;elle-m&ecirc;me. On examinera tout d&rsquo;abord comment la notion d&rsquo;exception fut r&eacute;appropri&eacute;e par les deux th&eacute;oriciens&nbsp;; ce concept sera dans un second temps &eacute;clair&eacute; par un examen des r&eacute;appropriations de l&rsquo;&oelig;uvre de Carl Schmitt qu&rsquo;il suppose&nbsp;; on verra enfin, &agrave; l&rsquo;examen de situations postcoloniales africaines, pourquoi la notion d&rsquo;exception a perdu aujourd&rsquo;hui de sa pertinence analytique. On sugg&eacute;rera qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;approche normative toujours en arri&egrave;re-plan de la bipartition entre la loi et son exception pourrait profitablement se substituer une approche critique, prenant acte de la privatisation et de la dispersion contemporaines de la l&eacute;gitimit&eacute; du souverain.</span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">L&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception colonial</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">C&rsquo;est depuis le d&eacute;but des ann&eacute;es 2000 que l&rsquo;on peut voir, notamment dans les travaux du penseur politique camerounais Achille Mbembe et du philosophe alg&eacute;rien Sidi Mohammed Barkat, le concept d&rsquo;exception mobilis&eacute; pour d&eacute;crire des modes de gouvernementalit&eacute; relatifs &agrave; la colonisation de l&rsquo;Afrique et &agrave; certains nouveaux usages du pouvoir et de la violence, post&eacute;rieurs aux ind&eacute;pendances. Malgr&eacute; des diff&eacute;rences m&eacute;thodologiques, les travaux de ces deux auteurs s&rsquo;appuient sur un m&ecirc;me souci d&rsquo;identifier le concept de souverainet&eacute; caract&eacute;ristique du colonialisme moderne. Pour Mbembe, qui fait &eacute;cho &agrave; certains cours de Michel Foucault, la souverainet&eacute; rel&egrave;ve d&rsquo;un pouvoir de d&eacute;cision concernant </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.05pt">la vie et la mort&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je d&eacute;finis </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">d&rsquo;abord la souverainet&eacute; comme le droit de tuer.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a> En cons&eacute;quence, la singularit&eacute; de la souverainet&eacute; coloniale ne peut &ecirc;tre d&eacute;gag&eacute;e qu&rsquo;en identifiant la conception particuli&egrave;re du droit de vie et de mort sur laquelle elle se fonde. Sa sp&eacute;cificit&eacute; tient en ce qu&rsquo;elle &eacute;tablit des &eacute;conomies diff&eacute;rentielles complexes d&rsquo;exposition &agrave; la mort, justifi&eacute;e par des crit&egrave;res se voulant anthropologiques. Elle suppose donc une classification des groupes humains telle que l&rsquo;anticipation de la mort devient le trait qui caract&eacute;rise essentiellement leurs vies et, partant, constitue le crit&egrave;re qui les distingue. Ce rapport privil&eacute;gi&eacute; &agrave; ce qui, dans la vie, annonce la mort, d&eacute;finit en propre les politiques raciales. Les XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cles en ont vu de nombreuses formes&nbsp;: de l&rsquo;extermination &agrave; l&rsquo;apartheid, en passant par l&rsquo;&eacute;valuation d&rsquo;aptitudes &agrave; la survie (comme dans le darwinisme social) ou, <i>a contrario</i>, l&rsquo;injonction &agrave; la prise de soin et &agrave; la culture d&rsquo;une lign&eacute;e de cong&eacute;n&egrave;res<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a>. L&rsquo;exception, en ce sens, d&eacute;signe une situation d&rsquo;exposition au risque de la mort nettement plus importante que celle qui caract&eacute;rise la situation normale dont elle se distingue. Le souverain est celui qui, administrant le droit et son exception, r&eacute;partit les corps dans des espaces caract&eacute;ris&eacute;s par des expositions distinctes au risque de la mort.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">L&rsquo;indig&eacute;nat est l&rsquo;un des produits de ce mode particulier de souverainet&eacute;. Il est, souligne Achille Mbembe, le statut invent&eacute; pour d&eacute;signer le sujet du commandement colonial<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a>. L&rsquo;indig&egrave;ne est celui dont la vie m&ecirc;me est investie par la souverainet&eacute; selon une modalit&eacute; in&eacute;dite, que Barkat d&eacute;finit comme &laquo;&nbsp;la conjonction d&rsquo;un corps et d&rsquo;un dispositif juridique qui a pr&eacute;cis&eacute;ment pour r&eacute;sultat d&rsquo;emprisonner ce corps dans un r&eacute;gime d&rsquo;exception&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a>. Ce r&eacute;gime, pour recourir aux cat&eacute;gories &eacute;clairantes que proposait Jean Am&eacute;ry, ne rel&egrave;ve ni de la guerre, o&ugrave; le but ultime des bellig&eacute;rants est la survie, ni du camp d&rsquo;extermination, o&ugrave; chaque prisonnier est ultimement vou&eacute; &agrave; la mort<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a>. Ces deux situations ont en commun de requ&eacute;rir l&rsquo;existence dans une certaine direction, de la destiner. Certes, les multiples dimensions de la vie quotidienne ne sauraient s&rsquo;y r&eacute;duire, mais elles demeurent marqu&eacute;es par ce <i>telos</i>, ce but, qu&rsquo;implique d&eacute;j&agrave; l&rsquo;incarc&eacute;ration au front ou derri&egrave;re les grillages d&rsquo;un camp. Or, comme l&rsquo;&eacute;crivait avec esprit Hannah Arendt &agrave; ce propos, la route de l&rsquo;enfer peut fort bien n&rsquo;&ecirc;tre pav&eacute;e d&rsquo;aucune intention du tout<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a>&nbsp;; la condition d&rsquo;indig&egrave;ne cristallise cette absence d&rsquo;intention en une indiff&eacute;renciation de la vie et de la mort. Elle est sans but d&eacute;termin&eacute;&nbsp;; la mort ou la vie de l&rsquo;indig&egrave;ne sont &eacute;galement tenues pour d&eacute;nu&eacute;es de cons&eacute;quence.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Si une telle situation peut &ecirc;tre, comme le laissent entendre Barkat et Mbembe, assimil&eacute;e &agrave; une forme sp&eacute;cifique d&rsquo;exception, c&rsquo;est peut-&ecirc;tre &agrave; l&rsquo;aune de la d&eacute;finition qu&rsquo;en donne le philosophe italien Giorgio Agamben, pour qui l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception &laquo;&nbsp;introduit dans le droit une zone d&rsquo;anomie, afin de rendre possible la normation effective du r&eacute;el&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref10"></a><a href="#_ftn10"><sup><span style="color:black">[10]</span></sup></a>. Le probl&egrave;me est donc en premier lieu de savoir, dans le cas de la colonisation de l&rsquo;Afrique, de quelle zone il s&rsquo;agit et secondement de quelle norme se soutient son &eacute;rection. On voit l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; qui travaille la notion d&rsquo;exception d&egrave;s lors qu&rsquo;elle est ainsi tordue pour embrasser la situation coloniale africaine. La colonie est un territoire, une zone conquise, qui se caract&eacute;rise par sa subordination juridique &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la m&eacute;tropole dont elle d&eacute;pend. Mais cette d&eacute;pendance se manifeste pr&eacute;cis&eacute;ment par une &laquo;&nbsp;raret&eacute;&nbsp;&raquo; du l&eacute;gislatif, au profit d&rsquo;un gouvernement par d&eacute;crets, dont la gestion est laiss&eacute;e &agrave; la discr&eacute;tion des administrateurs coloniaux. &Agrave; cette intensification radicale d&rsquo;une souverainet&eacute; territorialis&eacute;e de la forme la plus traditionnelle (l&rsquo;administrateur, pour d&eacute;tourner la fameuse d&eacute;finition de Jean Bodin, ne tient rien, apr&egrave;s <span style="letter-spacing:-.1pt">la M&eacute;tropole, que de l&rsquo;&eacute;p&eacute;e) se su</span>perpose le probl&egrave;me des d&eacute;finitions raciales des sujets de ce pouvoir, qui conduit Barkat &agrave; parler de corps d&rsquo;exception plut&ocirc;t que d&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception. La zone d&rsquo;anomie dont se soutiendrait le droit, ce pourrait aussi bien &ecirc;tre la colonie que les corps m&ecirc;mes des colonis&eacute;s. Ce clignotement repr&eacute;sente un d&eacute;fi pour la notion classique d&rsquo;exception, dont les cons&eacute;quences restent &agrave; mesurer. C&rsquo;est pourquoi l&rsquo;on va maintenant proposer, &agrave; partir de la th&eacute;orie politique contemporaine qui lui est la plus largement associ&eacute;e, celle de Carl Schmitt, une lecture des torsions et des renversements successifs qu&rsquo;elle a d&ucirc; subir pour fonder la description d&rsquo;un &eacute;tat d&rsquo;exception colonial.</span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">Carl Schmitt contre lui-m&ecirc;me ou l&rsquo;exception excentr&eacute;e</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&Agrave; partir de ces r&eacute;flexions liminaires, on peut revenir sur les origines du concept d&rsquo;exception en circulation dans la philosophie contemporaine avec un &oelig;il neuf. Et l&rsquo;on ne saurait faire, dans ce cadre, l&rsquo;&eacute;conomie d&rsquo;une confrontation avec Schmitt. Sa pens&eacute;e servira de base &agrave; une syst&eacute;matisation de la th&eacute;orie de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception colonial telle que la formulent Barkat et Mbembe. Certes, un tel point de d&eacute;part ne va pas sans poser son lot de probl&egrave;mes&nbsp;: comme l&rsquo;a soulign&eacute; Jean-Fran&ccedil;ois Kerv&eacute;gan, &agrave; partir de 1933 Schmitt fait explicitement de l&rsquo;homog&eacute;n&eacute;it&eacute; et de la puret&eacute; raciale le but de la politique<a name="_ftnref11"></a><a href="#_ftn11"><sup><span style="color:black">[11]</span></sup></a>. Mais c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment dans l&rsquo;objectif d&rsquo;en d&eacute;voiler l&rsquo;aveuglement colonialiste, qui parach&egrave;ve le racialisme qu&rsquo;il d&eacute;veloppa depuis son adh&eacute;sion au national-socialisme, que la conceptualit&eacute; schmittienne sera ici r&eacute;investie.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">On verra que le concept (et l&rsquo;on parle bien d&rsquo;un concept, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;un mode de formalisation du r&eacute;el, non d&rsquo;un mot ou d&rsquo;une expression&nbsp;: il convient ici de se garder de tout nominalisme) d&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception doit subir deux d&eacute;placements depuis la formulation qu&rsquo;en donne Schmitt dans sa premi&egrave;re <i>Th&eacute;ologie politique</i> de 1922 pour aboutir &agrave; l&rsquo;usage qu&rsquo;en fait la pens&eacute;e politique africaine actuelle. Le premier de ces d&eacute;placements consistera en une localisation g&eacute;ographique de l&rsquo;exception. D&eacute;signant tout d&rsquo;abord une situation temporelle, il se change en description d&rsquo;une territorialit&eacute; pour d&eacute;finir les terres &laquo;&nbsp;libres&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire colonisables, &eacute;voqu&eacute;es dans <i>Le Nomos de la terre</i> en 1950. Enfin, la d&eacute;construction des arguments de ce dernier ouvrage en d&eacute;voile le fond &laquo;&nbsp;existentiel&nbsp;&raquo;, d&eacute;pendant de pr&eacute;suppos&eacute;s anthropologiques racistes.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Dans sa premi&egrave;re <i>Th&eacute;ologie politique</i>, Schmitt convoque l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;exception pour en d&eacute;finir l&rsquo;instauration comme une <i>d&eacute;cision</i> &ndash; geste dans lequel il reconna&icirc;t l&rsquo;attribut essentiel du souverain. Si c&rsquo;est une ambition d&rsquo;identifier ainsi, au principe m&ecirc;me de l&rsquo;&Eacute;tat, une dimension irr&eacute;ductiblement subjective qui motive sa recherche, on peut <span style="letter-spacing:-.1pt">&eacute;galement noter qu&rsquo;un th&egrave;me comme celui de la suspension, de fait tempo</span>raire, de l&rsquo;ordre normatif installe le probl&egrave;me de l&rsquo;exception dans la dimension du temps. L&rsquo;exception est une brisure de la continuit&eacute; de la norme dans un espace homog&egrave;ne. Ce n&rsquo;est pas &agrave; cette conception temporelle et formelle de l&rsquo;exception que se r&eacute;f&egrave;rent les th&eacute;oriciens africains. Or, tout se passe comme si un d&eacute;placement <span style="letter-spacing:-.3pt">s&rsquo;op&eacute;rait, dont l&rsquo;&oelig;uvre m&ecirc;me de Schmitt</span> demeure le terrain. Et ce premier d&eacute;placement va briser l&rsquo;homog&eacute;n&eacute;it&eacute; de l&rsquo;espace &eacute;tatique, constamment pr&eacute;suppos&eacute; par le concept temporel de l&rsquo;exception, pour d&eacute;crire un espace-monde cliv&eacute;.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">C&rsquo;est &agrave; partir de l&rsquo;id&eacute;e selon laquelle &laquo;&nbsp;la r&egrave;gle ne vit que par l&rsquo;exception&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref12"></a><a href="#_ftn12"><sup><span style="color:black">[12]</span></sup></a> que ce concept peut &ecirc;tre r&eacute;inject&eacute; dans un autre pan du travail de Schmitt&nbsp;: sa r&eacute;flexion sur le droit public europ&eacute;en et les relations internationales. L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;un tel d&eacute;placement est de montrer comment l&rsquo;Europe moderne se d&eacute;finit essentiellement par rapport &agrave; ses fronti&egrave;res externes, tout comme la loi g&eacute;n&eacute;rale se d&eacute;finissait par rapport &agrave; l&rsquo;exception dans la <i>Th&eacute;ologie politique</i>. L&rsquo;analogie est d&rsquo;autant plus tentante que les fronti&egrave;res de l&rsquo;Europe dans</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> le <i>jus publicum europaeum</i>, dont Schmitt se fait le g&eacute;n&eacute;alogiste et le d&eacute;fenseur dans <i>Le Nomos de la terre</i>, sont &eacute;galement celles de la loi. Pour Schmitt, en effet, le monde est travers&eacute; par des &laquo;&nbsp;lignes globales&nbsp;&raquo; qui le scandent, le divisant entre, d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, les territoires administr&eacute;s par un &Eacute;tat souverain et dont les fronti&egrave;res sont donc intangibles, garanties dans leur int&eacute;grit&eacute; et, de l&rsquo;autre, des terres dites libres, c&rsquo;est-&agrave;-dire librement offertes &agrave; la colonisation europ&eacute;enne. En France, au d&eacute;but du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, on parle, &agrave; propos de l&rsquo;Afrique, de &laquo;&nbsp;territoires sans ma&icirc;tres&nbsp;&raquo;&nbsp;; on suppose ainsi que des &laquo;&nbsp;territoires non organis&eacute;s, qui, ne connaissant pas une organisation politique comparable &agrave; celle qui pr&eacute;vaut en Occident, peuvent &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;s comme ouverts &agrave; l&rsquo;occupation coloniale&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref13"></a><a href="#_ftn13"><sup><span style="color:black">[13]</span></sup></a>. Le privil&egrave;ge de l&rsquo;Europe consisterait ainsi en sa capacit&eacute; &agrave; effectuer des <i>prises de terres</i>, des appropriations de territoires non europ&eacute;ens, situ&eacute;s par-del&agrave; les lignes globales. L&rsquo;Europe serait le lieu de la guerre r&eacute;gl&eacute;e entre &Eacute;tats d&rsquo;&eacute;gale l&eacute;gitimit&eacute;, alors que le reste de monde est d&eacute;fini comme un ensemble de terres de conqu&ecirc;tes o&ugrave; r&egrave;gne l&rsquo;exception au droit, qui n&rsquo;est qu&rsquo;europ&eacute;en<a name="_ftnref14"></a><a href="#_ftn14"><sup><span style="color:black">[14]</span></sup></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Ce qui va conduire au second d&eacute;placement, c&rsquo;est que l&rsquo;existence sur son territoire d&rsquo;&Eacute;tats souverains modernes n&rsquo;est pas l&rsquo;ultime argument qui motive, aux yeux de Schmitt, le privil&egrave;ge du vieux continent. En de&ccedil;&agrave; du raisonnement juridique se d&eacute;ploie en effet un syst&egrave;me de repr&eacute;sentations anthropologiques, qui le fonde <span style="letter-spacing:.1pt">et en d&eacute;termine les orientations. Toujours l&rsquo;argument quant &agrave; l&rsquo;inexistence d&rsquo;&Eacute;tats am&eacute;ricains ou africains se redouble de propos quant &agrave; &laquo;&nbsp;des peuples exempts de toute civilisation&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref15"></a><a href="#_ftn15"><sup><span style="color:black">[15]</span></sup></a>. Ainsi, l&rsquo;existence m&ecirc;me de l&rsquo;&Eacute;tat finit par ap</span>para&icirc;tre comme un effet d&eacute;riv&eacute; de la sup&eacute;riorit&eacute; de l&rsquo;esprit europ&eacute;en, seul capable de <i>d&eacute;couvrir</i> des terres ultramarines &ndash; fussent-elles d&eacute;j&agrave; habit&eacute;es. C&rsquo;est que la d&eacute;couverte est une op&eacute;ration qui proc&egrave;de de &laquo;&nbsp;la force cognitive propre &agrave; la rationalit&eacute; de l&rsquo;Europe chr&eacute;tienne&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref16"></a><a href="#_ftn16"><sup><span style="color:black">[16]</span></sup></a>. Les relev&eacute;s cartographiques r&eacute;alis&eacute;s par les Europ&eacute;ens, sans &eacute;quivalent chez les autochtones, en seraient l&rsquo;attestation &agrave; la fois tellurique et abstraite (il s&rsquo;agit certes d&rsquo;un rapport &agrave; la terre, mais d&rsquo;un rapport m&eacute;diatis&eacute; et intellectualis&eacute;). C&rsquo;est bien de l&rsquo;&eacute;minence d&rsquo;un certain mode d&rsquo;exister, dont l&rsquo;&Eacute;tat moderne n&rsquo;est que l&rsquo;une des &eacute;manations, que Schmitt fait d&eacute;river le privil&egrave;ge europ&eacute;en. Privil&egrave;ge dont l&rsquo;attribut essentiel consiste &agrave; vider symboliquement, pour ne pas dire fantasmatiquement, les territoires non europ&eacute;ens de leurs occupants en les d&eacute;cr&eacute;tant libres et sans ma&icirc;tres.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Ce d&eacute;ni signale que ce n&rsquo;est pas d&rsquo;abord une prise de terres qui fonde l&rsquo;ordre juridique colonial&nbsp;: cette derni&egrave;re doit avoir pour pr&eacute;alable une <i>prise de vies</i>. En d&rsquo;autres termes, il faut qu&rsquo;une capture raciste de la vie indig&egrave;ne, condition de possibilit&eacute; de sa destruction ou de sa domestication, ait eu lieu pour qu&rsquo;une prise de terres puisse &ecirc;tre l&eacute;gitimement mise en &oelig;uvre. Pour que les peuples extra-europ&eacute;ens soient per&ccedil;us comme colonisables, il est n&eacute;cessaire qu&rsquo;ils aient auparavant &eacute;t&eacute; d&eacute;finis comme barbares. La caract&eacute;risation de leur existence comme indigne pr&eacute;c&egrave;de logiquement la qualification de leur terre comme libre. &Agrave; suivre les conclusions explicitement formul&eacute;es par Schmitt, c&rsquo;est la souverainet&eacute; sur un territoire, acquise gr&acirc;ce &agrave; une prise de terres, qui donne acc&egrave;s au pouvoir sur les corps. Mais une correction, d&rsquo;orientation postcoloniale, de sa th&eacute;orie conduit &agrave; une inversion de cette formulation&nbsp;: c&rsquo;est une prise de pouvoir souveraine sur les corps, sur les vivants, qui seule peut rendre possible l&rsquo;appropriation territoriale.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Paradoxalement, ce d&eacute;placement ne trahit que partiellement la pens&eacute;e de Schmitt qui admet volontiers la plurivocit&eacute; de la notion de &laquo;&nbsp;prise&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;histoire universelle est une histoire du progr&egrave;s &ndash; ou peut-&ecirc;tre seulement de la transformation &ndash; des moyens et des m&eacute;thodes de la prise&nbsp;: de la prise de terres des temps nomades et f&eacute;odaux-agraires et des prises de mers des XVI<sup>e</sup> et XVII<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cles, aux prises industrielles de l&rsquo;&eacute;poque industrielle et technique avec leur distinction entre r&eacute;gions d&eacute;velopp&eacute;es et non d&eacute;velopp&eacute;es, jusqu&rsquo;aux prises de l&rsquo;espace a&eacute;rien du pr&eacute;sent.&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref17"></a><a href="#_ftn17"><sup><span style="color:black">[17]</span></sup></a> L&rsquo;hypoth&egrave;se que l&rsquo;on va finalement proposer pour penser la situation postcoloniale pr&eacute;sente, c&rsquo;est qu&rsquo;un troisi&egrave;me et ultime d&eacute;placement du concept d&rsquo;exception est n&eacute;cessaire, menant vers un quatri&egrave;me moment, apr&egrave;s ceux de la temporalit&eacute;, de la spatialisation et enfin de l&rsquo;existence. Un moment qui conduira par-del&agrave; la loi et son exception. Et sa caract&eacute;ristique essentielle sera moins le progr&egrave;s, ou m&ecirc;me la transformation, des modalit&eacute;s de la prise que son incontr&ocirc;lable et prot&eacute;iforme prolif&eacute;ration.</span></span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">L&rsquo;exception privatis&eacute;e</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">L&rsquo;examen de la pens&eacute;e de Carl </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Schmitt a montr&eacute; que le statut exceptionnel des territoires extra-europ&eacute;ens</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> ayant rendu leur colonisation possible reposait, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque du <i>jus publicum europaeum</i>, sur une diff&eacute;rence g&eacute;ographique. Mais aussi que la cat&eacute;gorisation raciale de leurs habitants avait &eacute;t&eacute; la condition de l&rsquo;attribution de ce statut. On va maintenant voir comment, dans la situation postcoloniale africaine, les cons&eacute;quences de la structure centre/p&eacute;riph&eacute;rie se sont diffract&eacute;es en une multitude de statuts et de micro-r&eacute;gimes de souverainet&eacute;. <span style="letter-spacing:-.2pt">Sans remettre en cause une d&eacute;pendance &eacute;conomique qui perdure vis-&agrave;-vis du Nord, cette pluralit&eacute; montre le caract&egrave;re ambigu, disparate et diff&eacute;renci&eacute; des effets du retrait d&rsquo;une domination politique directe au profit de ce que Mbembe nommait, dans <i>De la Postcolonie,</i> un &laquo;&nbsp;gouvernement priv&eacute; indirect</span>&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">De nombreux pays africains ont eu &agrave; subir ce que, depuis mars&nbsp;1980, la Banque mondiale (BM) qualifie de programmes d&rsquo;&laquo;&nbsp;ajustement structurel&nbsp;&raquo;. Ces politiques &eacute;conomiques, impos&eacute;es par la BM et le Fonds mon&eacute;taire international (FMI) comme condition &agrave; l&rsquo;octroi d&rsquo;aides et de pr&ecirc;ts aux nations demandeuses, impliquent l&rsquo;application de changements drastiques &agrave; la structure m&ecirc;me des &Eacute;tats. Tels qu&rsquo;ils furent con&ccedil;us dans les ann&eacute;es 1970 pour &ecirc;tre appliqu&eacute;s dans des pays comme la Jama&iuml;que, ces programmes pr&eacute;voyaient de d&eacute;valuer la monnaie pour privil&eacute;gier l&rsquo;exportation, de pr&eacute;venir toute hausse des salaires pour &eacute;viter une demande trop importante de biens import&eacute;s, de r&eacute;duire l&rsquo;intervention de l&rsquo;&Eacute;tat dans l&rsquo;&eacute;conomie, de liquider le secteur public pour favoriser le priv&eacute; (et, partant, d&rsquo;abandonner les quelques bribes d&rsquo;&Eacute;tat-providence existantes) et, enfin, de diminuer la <span style="letter-spacing:-.1pt">masse mon&eacute;taire ainsi que d&rsquo;augmenter les taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t<a name="_ftnref18"></a><a href="#_ftn18"><sup><span style="color:black">[18]</span></sup></a>. Dans le contexte africain s&rsquo;y ajoutent des exigences de r&eacute;formes politiques, telles que la fin des partis nationaux uniques ainsi que les avait notamment th&eacute;oris&eacute;s le pr&eacute;sident tanzanien Julius Nyerere.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Ces r&eacute;formes &eacute;conomiques et politiques, assimil&eacute;es &agrave; une d&eacute;mocratisation, furent d&rsquo;embl&eacute;e par&eacute;es de tous les m&eacute;rites moraux par les gouvernements charg&eacute;s de les mettre en &oelig;uvre, associ&eacute;es &agrave; une libert&eacute; enfin conquise et &agrave; l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;une nouvelle &eacute;thique<a name="_ftnref19"></a><a href="#_ftn19"><sup><span style="color:black">[19]</span></sup></a>. Mais elles acqui&egrave;rent rapidement une fonction perverse&nbsp;: les institutions supranationales disposent alors, en effet, d&rsquo;une autorit&eacute; qui sape la souverainet&eacute; des &Eacute;tats en leur imposant leurs conditions&nbsp;; mais ce sont les gouvernements &eacute;lus qui sont comptables des cons&eacute;quences de l&rsquo;ajustement et bl&acirc;m&eacute;s par les citoyens quand survient une d&eacute;gradation de l&rsquo;&eacute;conomie nationale. Ils se voient donc t&ocirc;t ou tard supplant&eacute;s, &agrave; la faveur du jeune syst&egrave;me &eacute;lectoral, par leurs anciens opposants qui, confront&eacute;s aux exigences du FMI et de la BM, n&rsquo;ont d&rsquo;autre choix que de poursuivre le travail de leurs pr&eacute;d&eacute;cesseurs, quand bien m&ecirc;me ils en d&eacute;non&ccedil;aient nagu&egrave;re les effets d&eacute;sastreux.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Car si les politiques d&rsquo;ajustement structurel finirent invariablement par d&eacute;clencher le m&eacute;contentement des populations, c&rsquo;est qu&rsquo;elles connurent g&eacute;n&eacute;ralement des &eacute;checs spectaculaires. Plusieurs facteurs l&rsquo;expliquent, mais un fait &eacute;vident est qu&rsquo;ainsi amput&eacute;s et rendus insolvables, ces &Eacute;tats rachitiques deviennent incapables d&rsquo;assurer les compromis sociaux indispensables au passage &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie de march&eacute; voulu par les organismes financiers, et <i>a fortiori</i> d&rsquo;assurer le seul maintien de l&rsquo;ordre public. Pour le dire en deux mots&nbsp;: selon la th&eacute;orie n&eacute;olib&eacute;rale, la derni&egrave;re fonction d&eacute;volue &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat est l&rsquo;usage de la violence l&eacute;gitime &ndash; mais il se r&eacute;v&egrave;le incapable d&rsquo;en faire valoir le monopole sur des pans entiers de son territoire. En outre, et contrairement &agrave; la doctrine du FMI, ce ne sont pas les &Eacute;tats dits &laquo;&nbsp;stables&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;d&eacute;mocratiques&nbsp;&raquo; qui attirent le plus de capitaux &eacute;trangers, mais les &Eacute;tats corrompus et d&eacute;chir&eacute;s par la guerre civile comme a pu l&rsquo;&ecirc;tre l&rsquo;Angola entre&nbsp;1975 et&nbsp;2002<a name="_ftnref20"></a><a href="#_ftn20"><sup><span style="color:black">[20]</span></sup></a>. C&rsquo;est paradoxalement en transformant les pays en champ de bataille qu&rsquo;on peut esp&eacute;rer attirer des capitaux, qui ne sont pas de nature &agrave; profiter aux populations. L&rsquo;expliquer requiert de recourir &agrave; la notion de <i>privatisation de l&rsquo;exception</i>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">N&rsquo;en d&eacute;plaise &agrave; Schmitt, certaines colonies africaines &ndash;&nbsp;c&rsquo;est le cas de la Zambie&nbsp;&ndash; ne furent pas prises par des forces arm&eacute;es nationales, directement aux ordres d&rsquo;un &Eacute;tat souverain, mais par des entreprises multinationales (en l&rsquo;esp&egrave;ce, la British South Africa Company) dot&eacute;es d&rsquo;arm&eacute;es &agrave; leurs ordres. Il y a une longue histoire de la souverainet&eacute; priv&eacute;e en Afrique (on peut penser &agrave; la possession en nom propre de l&rsquo;&Eacute;tat ind&eacute;pendant du Congo par le roi L&eacute;opold II de Belgique) qui peut contribuer &agrave; une meilleure compr&eacute;hension de la situation pr&eacute;sente. L&rsquo;enclosure d&rsquo;un territoire par quelque firme, sa protection au moyen d&rsquo;arm&eacute;es priv&eacute;es<a name="_ftnref21"></a><a href="#_ftn21"><sup><span style="color:black">[21]</span></sup></a>, parfois flanqu&eacute;es de membres des forces de l&rsquo;ordre nationales mises &agrave; leur disposition, est un mode de gouvernementalit&eacute; qui complexifie l&rsquo;alternative tranch&eacute;e entre la loi et son exception. S&rsquo;y av&egrave;re en effet la forme hybride d&rsquo;une privatisation, et donc d&rsquo;une dispersion, de pr&eacute;rogatives traditionnellement &eacute;tatiques. D&rsquo;autant que de telles op&eacute;rations sont, par exemple, imit&eacute;es par certaines ONG de protection de la nature, qui n&rsquo;h&eacute;sitent pas &agrave; &laquo;&nbsp;d&eacute;socialiser&nbsp;&raquo; des zones &agrave; prot&eacute;ger gr&acirc;ce &agrave; des mercenaires, quitte &agrave; occasionner des d&eacute;placements de <span style="letter-spacing:-.1pt">populations d&eacute;munies<a name="_ftnref22"></a><a href="#_ftn22"><sup><span style="color:black">[22]</span></sup></a>. Mais plus volontiers</span> que les parcs naturels, ce sont les zones d&rsquo;extraction min&eacute;rale qui se voient prises et soustraites &agrave; l&rsquo;ordre juridique commun. On voit, dans ce mod&egrave;le &agrave; l&rsquo;angolaise, &laquo;&nbsp;non pas des &Eacute;tats-nations d&eacute;veloppant les ressources nationales, mais des carr&eacute;s enclav&eacute;s, riches en ressources min&eacute;rales, efficacement exploit&eacute;s par des firmes priv&eacute;es flexibles, dont la s&eacute;curit&eacute; est assur&eacute;e &agrave; la demande par des soci&eacute;t&eacute;s sp&eacute;cialis&eacute;es, pendant que la clique des &eacute;lites, nominalement d&eacute;tentrices de la souverainet&eacute;, certifient la l&eacute;galit&eacute; de l&rsquo;entreprise et sa l&eacute;gitimit&eacute; internationale en &eacute;change d&rsquo;une <span style="letter-spacing:-.1pt">part du g&acirc;teau&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref23"></a><a href="#_ftn23"><sup><span style="color:black">[23]</span></sup></a>. Ainsi, la s&eacute;curit&eacute; n&rsquo;est plus affaire de souverainet&eacute; nationale, mais de gestion priv&eacute;e de zones d&eacute;limit&eacute;es. Ce qui peut rebuter les grandes multinationales attire des soci&eacute;t&eacute;s de taille plus r&eacute;duite qui agiront &agrave; leurs ordres en tant que prestataires</span> de services. Ces terrains d&rsquo;extraction min&eacute;rale sont de v&eacute;ritables territoires d&rsquo;exception priv&eacute;s&nbsp;: &agrave; la fois bien mieux int&eacute;gr&eacute;s &agrave; l&rsquo;&eacute;conomie mondialis&eacute;e que l&rsquo;ensemble du territoire national et fortement d&eacute;connect&eacute;s du reste de la soci&eacute;t&eacute; et de la vie locale&nbsp;&ndash; soit qu&rsquo;il s&rsquo;agisse d&rsquo;extraction <i>off-shore</i>, soit qu&rsquo;il s&rsquo;agisse de zones transform&eacute;es en forteresses avec l&rsquo;aide de soci&eacute;t&eacute;s militaires priv&eacute;es.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Ce devenir mol&eacute;culaire et cibl&eacute; des prises de terres marque une rupture avec l&rsquo;accaparement de grands espaces caract&eacute;ristique du colonialisme moderne, mais t&eacute;moigne &eacute;galement d&rsquo;une continuit&eacute;. De m&ecirc;me, les prises de vies se sont transform&eacute;es mais n&rsquo;ont pas disparu. Pour r&eacute;sumer la transformation de la fonction de l&rsquo;&Eacute;tat cons&eacute;cutive aux politiques d&rsquo;ajustement structurel, les anthropologues Jean et John Comaroff en d&eacute;gagent trois traits. Premi&egrave;rement, l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;une citoyennet&eacute; de plus en plus conditionnelle, chacun &eacute;tant d&eacute;sormais soumis au partage de l&rsquo;autochtone et de l&rsquo;&eacute;tranger. Deuxi&egrave;mement, des fronti&egrave;res soumises &agrave; un <i>double-bind&nbsp;</i>: &agrave; la fois ouvertes pour les capitaux et les individus dot&eacute;s de passeports &laquo;&nbsp;puissants&nbsp;&raquo;, &eacute;mis par des pays occidentaux et permettant d&rsquo;acc&eacute;der sans visa &agrave; de nombreux territoires, et ferm&eacute;es aux migrants du Sud. Enfin, comme on l&rsquo;a d&eacute;j&agrave; dit, de nombreuses actions politiques et sociales dont d&eacute;l&eacute;gu&eacute;es &agrave; des acteurs priv&eacute;s<a name="_ftnref24"></a><a href="#_ftn24"><sup><span style="color:black">[24]</span></sup></a>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">La coupure entre les revenus de l&rsquo;extraction et la soci&eacute;t&eacute;, comme la cession du monopole de la s&eacute;curit&eacute; int&eacute;rieure &agrave; des prestataires priv&eacute;s au champ d&rsquo;action born&eacute;, ont contribu&eacute; &agrave; l&rsquo;apparition d&rsquo;autres pouvoirs et d&rsquo;autres modes de gouvernement des zones tenues pour improductives par les firmes transnationales. Elles sont ainsi ouvertes &agrave; la captation par des organisations criminelles. Ces mafias, comme y insistent Jean et John Comaroff, imitent la ritualit&eacute; juridique, adoptent des simulacres de droit ou m&ecirc;me de constitution et de citoyennet&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;ce d&eacute;doublement, cette copr&eacute;sence de la loi et du d&eacute;sordre, a sa propre g&eacute;ographie, une g&eacute;ographie de souverainet&eacute;s continues et enchev&ecirc;tr&eacute;es&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref25"></a><a href="#_ftn25"><sup><span style="color:black">[25]</span></sup></a>. Walter Benjamin avait analys&eacute; que, faisant perdre &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat le monopole de la violence, le &laquo;&nbsp;grand&nbsp;&raquo; bandit pouvait incarner la menace d&rsquo;une fondation d&rsquo;un ordre juridique concurrent<a name="_ftnref26"></a><a href="#_ftn26"><sup><span style="color:black">[26]</span></sup></a> de celui de l&rsquo;&Eacute;tat l&eacute;gitime. La privatisation de l&rsquo;exception est annonciatrice d&rsquo;une sorte d&rsquo;extension de la concurrence au champ de la souverainet&eacute;. Ce n&rsquo;est alors plus la naissance, comme dans le paradigme national, ni l&rsquo;action politique et l&rsquo;agir communicationnel, comme dans le paradigme d&rsquo;une d&eacute;mocratie d&eacute;lib&eacute;rative, qui d&eacute;terminent la participation &agrave; une entit&eacute; politique. Il s&rsquo;agit d&rsquo;&eacute;valuer, en fonction des besoins de son organisation, quels b&eacute;n&eacute;fices sont &agrave; tirer d&rsquo;un espace quasi souverain donn&eacute;. Si l&rsquo;Afrique fait figure de r&eacute;v&eacute;lateur, il faut se garder de tenir le continent pour un ailleurs exotique. Une organisation telle que l&rsquo;&Eacute;tat islamique, au d&eacute;part multinationale criminelle, a pour objectif d&eacute;clar&eacute; de b&acirc;tir une souverainet&eacute; sur les ruines d&rsquo;&Eacute;tats fant&ocirc;mes en faillite, d&eacute;truits par l&rsquo;accumulation des guerres. D&egrave;s lors que toute monopolisation de la violence devient impossible, la concurrence des l&eacute;gitimit&eacute;s y suppl&eacute;e, r&eacute;duisant la discrimination de la loi et de son exception &agrave; un quasi-effet de perspectives. Une all&eacute;geance, d&egrave;s lors, ne saurait plus &ecirc;tre le seul fait d&rsquo;une autorit&eacute; h&eacute;rit&eacute;e (puisque les l&eacute;gitimit&eacute;s des h&eacute;ritages eux-m&ecirc;mes sont mises en concurrence), mais seulement d&rsquo;engagements en fonction de besoins et d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts, d&rsquo;id&eacute;ologies et de croyances.</span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">Conclusion&nbsp;: Par-del&agrave; la loi et son exception</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Peut-&ecirc;tre l&rsquo;exemple africain invite-t-il la pens&eacute;e politique &agrave; envisager la question de la souverainet&eacute; par-del&agrave; l&rsquo;opposition de la loi et de l&rsquo;exception. L&rsquo;&eacute;trange &laquo;&nbsp;d&eacute;p&eacute;rissement&nbsp;&raquo; de l&rsquo;&Eacute;tat qu&rsquo;a connu le continent dans la p&eacute;riode postcoloniale a vu l&rsquo;apparition d&rsquo;une multiplicit&eacute; de r&eacute;gimes enchev&ecirc;tr&eacute;s <span style="letter-spacing:-.3pt">d&rsquo;exposition &agrave; la mort, et de souverainet&eacute;s dont la l&eacute;gitimit&eacute; pouvait provenir des sources les plus diverses. D&eacute;cr&eacute;ter</span> <i>a priori</i> qu&#39;elles sont les ordres l&eacute;gitimes tient de la gageure, car les crit&egrave;res d&rsquo;&eacute;valuation dont nous disposons participent eux-m&ecirc;mes d&rsquo;un monde en train de s&rsquo;effacer et ont ainsi perdu toute neutralit&eacute; analytique, et m&ecirc;me la notion, toujours tautologique, de &laquo;&nbsp;l&eacute;gitimisme&nbsp;&raquo; devient inop&eacute;rante. Il semble n&eacute;cessaire, face &agrave; cette impossibilit&eacute; des approches normatives de la th&eacute;orie politique, de r&eacute;habiliter la d&eacute;marche critique, qui d&eacute;ploie ses crit&egrave;res d&rsquo;&eacute;valuation depuis la finitude <span style="letter-spacing:-.1pt">de la situation m&ecirc;me. C&rsquo;est l&rsquo;une des le&ccedil;ons des &oelig;uvres de Mbembe et Barkat,</span> qui semblent nous inviter &agrave; revisiter une notion marxiste, qui fonde l&rsquo;approche de la Th&eacute;orie critique&nbsp;: la notion d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts. Comme l&rsquo;&eacute;crivait Lukacs, &laquo;&nbsp;c&rsquo;est, pour le prol&eacute;tariat, un besoin vital, une question de vie ou de mort que d&rsquo;atteindre &agrave; la vision la plus parfaitement claire de sa situation de classe&nbsp;&raquo;</span></span>&thinsp;<a name="_ftnref27"></a><a href="#_ftn27"><sup><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[27]</span></span></sup></a><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">. L&rsquo;exception n&rsquo;est pas &agrave; d&eacute;finir par rapport &agrave; la loi, mais par rapport au p&eacute;ril de la violence. On ne peut plus gu&egrave;re partir de la souverainet&eacute; pour identifier des r&eacute;gimes d&rsquo;exposition &agrave; la mort&nbsp;: c&rsquo;est le mouvement inverse qui est pertinent.&nbsp;Il faut r&eacute;incarner la th&eacute;orie politique, la replacer dans la continuit&eacute; des int&eacute;r&ecirc;ts des populations frapp&eacute;es de plein fouet par les violences exceptionnelles que peuvent abriter des ordres juridiques. La pens&eacute;e politique doit redevenir critique, c&rsquo;est-&agrave;-dire envisager le monde actuel &agrave; partir des questions de vie ou de mort qui le structurent.</span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[1]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Earl Coneth-Morgan, <i>Collective political violence</i>, Londres et New-York, Routledge, 2004.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> &Eacute;tienne Balibar et al., <i>Sans-papiers&nbsp;: l&rsquo;archa&iuml;sme fatal</i>, Paris, La D&eacute;couverte, 1999&nbsp;; Dani&egrave;le Lochak, <i>Face aux migrants&nbsp;: &Eacute;tat de droit ou &eacute;tat de si&egrave;ge&nbsp;?</i>, Paris, Textuel, 2007.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[3]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.15pt">Hans Sluga, <i>Politics and the search for the common good</i>, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p.&nbsp;7.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Achille Mbembe, &laquo;&nbsp;N&eacute;cropolitique&nbsp;&raquo;, in <i>Raisons Politiques</i>, n&deg; 21, Paris, Presses de Sciences Po, 2006, p. 30&nbsp;; voir aussi&nbsp;: Michel Foucault, <i>Il faut d&eacute;fendre la soci&eacute;t&eacute;. Cours au Coll&egrave;ge de France (1976), </i>Paris, Gallimard-Seuil, 1997.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Elsa Dorlin, <i>La Matrice de la race </i>(2006), Paris, La D&eacute;couverte, 2009, pp. 274-275.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Achille Mbembe, <i>De La Postcolonie</i>,<i> </i>Paris, Karthala, 2000, pp. 46-47.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Sidi Mohammed Barkat, <i>Le Corps d&rsquo;exception</i>, Paris, &Eacute;ditions Amsterdam, 2005, p. 72.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[8]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Jean Am&eacute;ry, <i>Par-del&agrave; le Crime et le Ch&acirc;timent</i> (1966), trad. Fran&ccedil;oise Wuilmart, Arles, Actes Sud, 1995, p.&nbsp;49.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[9]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Hannah Arendt, <i>L&rsquo;Imp&eacute;rialisme </i>(1951), trad. Martine Leiris et H&eacute;l&egrave;ne Frappat, Paris, Seuil, 2002, pp. 8-9.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn10"></a><a href="#_ftnref10"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[10]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Giorgio Agamben, <i>L&rsquo;&Eacute;tat d&rsquo;exception</i>, trad. </span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Jo&euml;l Gayraud, Paris, Seuil, 2003, p. 64.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn11"></a><a href="#_ftnref11"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[11]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Jean-Fran&ccedil;ois Kerv&eacute;gan, <i>Que Faire de Carl Schmitt&nbsp;?</i>, Paris, Gallimard, 2011, p. 33.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn12"></a><a href="#_ftnref12"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[12]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="font-variant:small-caps">C</span>arl Schmitt, <i>Th&eacute;ologie politique</i>, trad. Jean-Louis Schlegel, Paris, Gallimard, 1988, p. 25.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn13"></a><a href="#_ftnref13"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[13]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Dino Costantini, <i>Mission civilisatrice. Le r&ocirc;le de l&rsquo;histoire coloniale dans la construction de l&rsquo;identit&eacute; politique fran&ccedil;aise</i>, trad. Juliette Ferdinand, Paris, La D&eacute;couverte, 2008, p. 104.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn14"></a><a href="#_ftnref14"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[14]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Carl Schmitt, <i>Le Nomos de la terre</i> (1950), trad. Lilyane Deroche-Gurcel, Paris, Presses Universitaires de France, 2012, p. 171.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn15"></a><a href="#_ftnref15"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[15]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid.</i>, p. 198.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn16"></a><a href="#_ftnref16"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[16]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid.</i>, p. 132.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn17"></a><a href="#_ftnref17"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[17]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Carl Schmitt, &laquo;&nbsp;Prendre / partager / pa&icirc;tre&nbsp;&raquo; (1953), <i>La Guerre civile mondiale</i>, trad. C&eacute;line Jouin, Paris, &Egrave;re, 2007, p. 63.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn18"></a><a href="#_ftnref18"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[18]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Vijay Prashad, <i>Les Nations obscures. Une histoire populaire du tiers monde </i>(2007), trad. </span></span><span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Marianne Champagne, Montr&eacute;al, &Eacute;cosoci&eacute;t&eacute;, 2009, pp. 291-292.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn19"></a><a href="#_ftnref19"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[19]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Jean Comaroff et John Comaroff, &laquo;&nbsp;Law and disorder in the postcolony&nbsp;: an introduction&nbsp;&raquo;, in&nbsp;Jean Comaroff et John Comaroff (dir.), <i>Law and disorder in the Postcolony</i>, Chicago et Londres, Chicago University Press, 2006, p. 4.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn20"></a><a href="#_ftnref20"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[20]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">James Ferguson, <i>Global Shadows. Africa in the Neoliberal World Order</i>, Durham et Londres, Duke University Press, 2006, pp. 196-197.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn21"></a><a href="#_ftnref21"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[21]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> &laquo;&nbsp;Certaines soci&eacute;t&eacute;s priv&eacute;es interviennent ainsi de mani&egrave;re &agrave; peine voil&eacute;e pour des entreprises de lobbying, d&rsquo;extraction mini&egrave;re diamantif&egrave;re ou p&eacute;troli&egrave;re, dans des pays instables comme, dans les ann&eacute;es 1990, la Sierra Leone, l&rsquo;Angola ou la R&eacute;publique d&eacute;mocratique du Congo (ex-Za&iuml;re). Leur implication dans le jeu n&eacute;buleux et immoral de certaines multinationales contribue d&rsquo;ailleurs au prolongement des conflits.&nbsp;&raquo; Pascal Le Pautremat, &laquo;&nbsp;Mercenariat et soci&eacute;t&eacute;s militaires priv&eacute;es&nbsp;: expressions divergentes de la privatisation des conflits&nbsp;?&nbsp;&raquo;,&nbsp; in <i>Inflexions</i>, n&deg; 5, 2007, p. 144.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn22"></a><a href="#_ftnref22"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[22]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">James Ferguson, <i>Global Shadows</i>, <i>op. cit.</i>, pp. 46-47.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn23"></a><a href="#_ftnref23"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[23]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid.</i>, p. 204, nous traduisons.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn24"></a><a href="#_ftnref24"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[24]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Jean Comaroff et John Comaroff, <i>Zombies et fronti&egrave;res &agrave; l&rsquo;&egrave;re n&eacute;olib&eacute;rale</i>, trad. </span></span><span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">J&eacute;r&ocirc;me David, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2010, pp. 80-84.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn25"></a><a href="#_ftnref25"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[25]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Jean Comaroff et John Comaroff, &laquo;&nbsp;Law and disorder in the postcolony&nbsp;: an introduction&nbsp;&raquo;, <i>art. cit.</i>, p. 34.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn26"></a><a href="#_ftnref26"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[26]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Walter Benjamin, <i>Critique de la violence</i> (1921), trad. Nicole Casanova, Paris, Payot, 2012, p. 68.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn27"></a><a href="#_ftnref27"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[27]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Georg Lukacs, <i>Histoire et conscience de classe</i> (1923), trad. Kostas Axelos et Jacqueline Bois, Paris, Minuit, 1960, p. 40.</span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p>