<h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">T&eacute;moignage et enseignement de la litt&eacute;rature</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Affirmons-le d&rsquo;embl&eacute;e&nbsp;: Jean Norton</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Cru n&rsquo;est ni un bluffeur, ni un faible d&rsquo;esprit, ni un ignorant, encore moins un &laquo;&nbsp;p&eacute;dant p&eacute;dagogue am&eacute;ricain&nbsp;&raquo; en mati&egrave;re litt&eacute;raire<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a>. M&ecirc;me si, depuis sa parution en 1929, <i>T&eacute;moins</i> n&rsquo;a pas manqu&eacute; de lui attirer r&eacute;guli&egrave;rement des consid&eacute;rations plus ou moins am&egrave;nes concernant sa pr&eacute;tendue ignorance des arcanes de la cr&eacute;ation, nous esp&eacute;rons montrer au contraire &agrave; quel point la nature de son projet engage un questionnement passionnant pour une th&eacute;orie de la litt&eacute;rature. Bien plus, aussi hasardeux que cela puisse para&icirc;tre, si l&rsquo;&oelig;uvre de Cru s&rsquo;av&egrave;re un instrument essentiel pour analyser les enjeux d&rsquo;une d&eacute;finition du litt&eacute;raire, elle permet &eacute;galement de mani&egrave;re p&eacute;n&eacute;trante de comprendre l&rsquo;id&eacute;ologie de ce qui est enseign&eacute; comme tel dans les classes. Pour cela, il faut se pencher sur la fa&ccedil;on dont l&rsquo;&eacute;cole avec ses choix, ses valeurs, la promotion d&rsquo;un patrimoine culturel se confronte aux grands traumatismes historiques qui ont boulevers&eacute; les soci&eacute;t&eacute;s du XX<sup>e&nbsp;</sup>si&egrave;cle. Or, l&rsquo;analyse des corpus de textes &eacute;tudi&eacute;s dans les cours de fran&ccedil;ais r&eacute;v&egrave;le non pas l&rsquo;occultation pure et simple des &eacute;v&eacute;nements, mais l&rsquo;importance h&eacute;g&eacute;monique de la fiction pour les &eacute;voquer. Pourquoi pr&eacute;f&egrave;re-t-on C&eacute;line, son Bardamu et son <span style="letter-spacing:.3pt">G&eacute;n&eacute;ral des Entrayes, plut&ocirc;t que P&eacute;zard</span> ou Lintier&nbsp;? Pourquoi privil&eacute;gier Barbusse, Dorgel&egrave;s, deux t&eacute;moins m&eacute;diocres dans le classement de <i>T&eacute;moins&nbsp;</i>? S&rsquo;interroger sur la raison de ces choix am&egrave;ne &agrave; consid&eacute;rer la litt&eacute;rarit&eacute; valoris&eacute;e dans l&rsquo;enseignement non pas comme un &eacute;tat de fait intemporel relevant uniquement de l&rsquo;esth&eacute;tique, mais comme un produit de l&rsquo;histoire, objet d&rsquo;une lutte id&eacute;ologique<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a>. Et, si l&rsquo;on peut consid&eacute;rer qu&rsquo;il est hasardeux, voire illusoire, de chercher une d&eacute;finition de la litt&eacute;rature<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a>, il n&rsquo;en reste pas moins que dans le cadre institutionnel de l&rsquo;&eacute;cole la question a du sens, car elle permet de mettre l&rsquo;accent sur la construction sociale de la litt&eacute;rature enseign&eacute;e. Ainsi, en nous fondant sur le constat que les &oelig;uvres des t&eacute;moins figurent de mani&egrave;re tr&egrave;s marginale dans les corpus &eacute;tudi&eacute;s tout au long de la scolarit&eacute; et en consid&eacute;rant la mani&egrave;re dont elles sont abord&eacute;es, nous pouvons avancer l&rsquo;hypoth&egrave;se qu&rsquo;elles sont un outil pr&eacute;cieux pour mieux comprendre les enjeux des savoirs scolaires.</span></span></span></span></p> <h2 style="text-align: justify; text-indent: 8.5pt;"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">&laquo; Emp&ecirc;tr&eacute; dans des histoires &raquo;<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a></span></span></span></b><b>&nbsp;</b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Cru aborde de mani&egrave;re passionnante les liens entre l&rsquo;art et une th&eacute;orie de l&rsquo;action. Il rel&egrave;ve en particulier la mani&egrave;re dont un individu peut s&rsquo;ali&eacute;ner dans une vision du monde ordonn&eacute;e par l&rsquo;esth&eacute;tique &ndash;</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">litt&eacute;raire en l&rsquo;occurrence. D&egrave;s les premiers jours de la guerre, il cherche &agrave; comprendre les raisons d&rsquo;un traumatisme qui va radicalement changer le sens de sa vie. L&rsquo;analyse qu&rsquo;il en fait n&rsquo;&eacute;dulcore &eacute;videmment pas le d&eacute;cha&icirc;nement de violence caus&eacute; par les techniques modernes de combat &laquo;&nbsp;le choc brutal des formidables r&eacute;alit&eacute;s &raquo;,&nbsp;mais, d&eacute;j&agrave;, il pose la question de la s&eacute;miotisation de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement. Les mots utilis&eacute;s dans l&rsquo;incipit de <i>T&eacute;moins</i> expriment avec force l&rsquo;ampleur du bouleversement qui r&eacute;duit en miettes sa</span>&nbsp;<i><span style="letter-spacing:-.1pt">&laquo; conception livresque&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><b><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></b></a></span></i><span style="letter-spacing:-.1pt"> de la bataille. Bien plus que la pleine conscience de l&rsquo;efficacit&eacute; meurtri&egrave;re du mat&eacute;riel, c&rsquo;est la destruction des repr&eacute;sentations qui retient son attention. Ces premiers jours le laissent hagard, en proie &agrave; un d&eacute;sarroi total. Cru parle &laquo;&nbsp;d&rsquo;une initiation tragique&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Sur le courage, le patriotisme, le sacrifice, la mort, on nous avait tromp&eacute;s, et aux premi&egrave;res balles nous reconnaissions tout &agrave; coup le mensonge de l&rsquo;anecdote, de l&rsquo;histoire, de la litt&eacute;rature, de l&rsquo;art, des bavardages de v&eacute;t&eacute;rans et des discours officiels. Ce que nous voyions, ce que nous &eacute;prouvions n&rsquo;avait rien de commun avec ce que nous attendions d&rsquo;apr&egrave;s tout ce que nous avions lu, tout ce qu&rsquo;on nous avait dit&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a></span>. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une rupture &eacute;pist&eacute;mologique qui subvertit des savoirs jusqu&rsquo;alors porteurs de r&eacute;ponses intellectuelles coh&eacute;rentes et rationnelles<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a>. La mise en question de la connaissance livresque responsable de l&rsquo;ignorance frappe particuli&egrave;rement dans ce propos. L&rsquo;effarement ne se traduit pas pour autant par le nihilisme ou la paralysie de toute pens&eacute;e. Au contraire, tr&egrave;s vite, d&egrave;s que cela devient possible, Cru est pris d&rsquo;une fr&eacute;n&eacute;sie de lecture, d&rsquo;un besoin de comprendre qui le pr&eacute;servent, dit-il, du cafard. Il &eacute;tudie les techniques des armes, les questions d&rsquo;histoire militaire, puis il d&eacute;couvre </span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">&laquo;&nbsp;</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">vers la fin</span></span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">&nbsp;1915, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">les premiers r&eacute;cits de guerre par [ses] propres fr&egrave;res d&rsquo;armes</span></span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt"> [&hellip;]&nbsp;&raquo;.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt"> Il &eacute;crit&nbsp;: &laquo; D&egrave;s lors [&hellip;], je m&rsquo;int&eacute;ressai particuli&egrave;rement aux t&eacute;moignages de combattants [&hellip;].</span></span></span>&nbsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Quelle</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.2pt">&eacute;tait la nature de leur exp&eacute;rience et les avait-elle amen&eacute;s</span> <span style="letter-spacing:-.2pt">&agrave;</span> <span style="letter-spacing:-.2pt">des conclusions que j&rsquo;entrevoyais apr&egrave;s les avoir vainement cherch&eacute;es dans les livres. [&hellip;] Pendant notre attaque de fin juin 1916 &agrave; Verdun sur le versant est du ravin des Vignes, j&rsquo;avais dans ma musette <i>Sous Verdun</i> de Genevoix et <i>Ma Pi&egrave;ce</i> de Paul Lintier&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Peu &agrave; peu, une place essentielle va &ecirc;tre accord&eacute;e &agrave; la litt&eacute;rature dans cette critique de la m&eacute;connaissance de la guerre. Le terme &laquo;&nbsp;emp&ecirc;tr&eacute;&nbsp;&raquo; que nous empruntons ici &agrave; Wilhelm Schapp cherche &agrave; mettre l&rsquo;accent sur l&rsquo;inad&eacute;quation du legs s&eacute;miotique re&ccedil;u par chaque t&eacute;moin pour comprendre et agir en des circonstances aussi exceptionnelles. Prendre une d&eacute;cision engage des actes en fonction d&rsquo;un savoir sur la guerre qui a &eacute;t&eacute; consid&eacute;r&eacute; par les g&eacute;n&eacute;rations pr&eacute;c&eacute;dentes comme digne d&rsquo;&ecirc;tre retenu, racont&eacute;, parfois glorifi&eacute;, mais qui en l&rsquo;occurrence s&rsquo;av&egrave;re aberrant et funeste. L&rsquo;expression &laquo;&nbsp;emp&ecirc;trement&nbsp;&raquo; revient &agrave; indiquer que certains usages de la litt&eacute;rature ont jou&eacute; un r&ocirc;le d&eacute;cisif dans la d&eacute;route des rep&egrave;res, des certitudes, de la confiance. Les r&eacute;alit&eacute;s de la guerre ont entra&icirc;n&eacute; chez certains une profonde remise en cause de cet h&eacute;ritage et en cons&eacute;quence un questionnement des pouvoirs de <i>la</i> litt&eacute;rature. Ils ont d&ucirc; en somme s&rsquo;en d&eacute;p&ecirc;trer.</span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">Rendre compte d&rsquo;un &eacute;v&eacute;nement&nbsp;</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Le t&eacute;moin ne se pr&eacute;sente pas face aux faits, en sujet souverain n&rsquo;ayant qu&rsquo;&agrave; choisir son mode d&rsquo;expression et &agrave; puiser ici et l&agrave; dans une palette infinie les chatoiements de son style. Pour Jean-Paul Bronckart, les mondes repr&eacute;sent&eacute;s sont &agrave; la fois d&eacute;pendants de la s&eacute;mantique de la langue utilis&eacute;e et orient&eacute;s par les &laquo;&nbsp;s&eacute;mantisations particuli&egrave;res&nbsp;&raquo; des &laquo;&nbsp;genres de textes en usage&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a>. Ils sont donc le r&eacute;sultat de la s&eacute;dimentation des textes produits par les g&eacute;n&eacute;rations pr&eacute;c&eacute;dentes dans leur prise en compte de leur monde physique et social. Cet architexte et les mod&egrave;les de genre disponibles d&eacute;terminent les repr&eacute;sentations d&rsquo;un locuteur, ce qu&rsquo;il est possible de dire et de penser de mani&egrave;re &agrave; s&rsquo;adapter &agrave; une situation particuli&egrave;re. La dimension historique de ce ph&eacute;nom&egrave;ne se renforce encore si l&rsquo;on ajoute que les genres sont des &eacute;tats de texte provisoirement ad&eacute;quats et stables et qu&rsquo;ils sont donc vou&eacute;s &agrave; se transformer, car leur efficacit&eacute; sera remise en question en fonction de nouvelles activit&eacute;s humaines qui devront &agrave; leur tour &ecirc;tre formul&eacute;es.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">L&rsquo;h&eacute;ritage des genres de textes s&rsquo;av&egrave;re ainsi un facteur d&eacute;cisif pour appr&eacute;cier l&rsquo;amplitude des initiatives possibles d&rsquo;un t&eacute;moin de la Grande Guerre. En effet, avant m&ecirc;me la manifestation du premier t&eacute;moignage &eacute;crit, il est important de s&rsquo;interroger sur les conditions de possibilit&eacute; de ce genre de textes, genre encore absent en ao&ucirc;t 1914, mais qui allait progressivement se d&eacute;gager des diverses mani&egrave;res de s&eacute;miotiser la guerre pour devenir &agrave; son tour l&rsquo;h&eacute;ritage des t&eacute;moins de la seconde partie du XX<sup>e</sup></span></span></span><sup>&nbsp;</sup><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">si&egrave;cle. Ajoutons encore que l&rsquo;ad&eacute;quation du genre avec le but vis&eacute;, son caract&egrave;re appropri&eacute; ou inappropri&eacute;, peuvent faire l&rsquo;objet de luttes id&eacute;ologiques majeures, car il s&rsquo;agit avant tout de la l&eacute;gitimation d&rsquo;une vision du monde et de sa r&eacute;alit&eacute;. Par la suite, les rivalit&eacute;s et les transactions seront oubli&eacute;es au profit de la position victorieuse et dominante, m&ecirc;me si la m&eacute;moire tente de garder vivant le d&eacute;saccord originel, m&ecirc;me si l&rsquo;histoire en fait un objet d&rsquo;&eacute;tude avec son &eacute;pist&eacute;mologie propre. Dans la configuration &laquo;&nbsp;des proc&eacute;dures qui permettent le contr&ocirc;le des discours&nbsp;&raquo;, Foucault signale celles qui permettent de &laquo;&nbsp;d&eacute;terminer les conditions de leur mise en jeu, d&rsquo;imposer aux individus qui les tiennent un certain nombre de r&egrave;gles et ainsi de ne pas permettre &agrave; tout le monde d&rsquo;avoir acc&egrave;s &agrave; eux. Rar&eacute;faction [&hellip;] des sujets parlants&nbsp;; nul n&rsquo;entrera dans l&rsquo;ordre du discours s&rsquo;il ne satisfait &agrave; certaines exigences ou s&rsquo;il n&rsquo;est, d&rsquo;entr&eacute;e de jeu, qualifi&eacute; pour le faire. Plus pr&eacute;cis&eacute;ment toutes les r&eacute;gions du discours ne sont pas &eacute;galement ouvertes et p&eacute;n&eacute;trables&nbsp;; certaines sont hautement d&eacute;fendues (diff&eacute;renci&eacute;es et diff&eacute;renciantes) tandis que d&rsquo;autres paraissent presque ouvertes &agrave; tout vent et mises sans restriction pr&eacute;alable &agrave; la disposition de chaque sujet parlant&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref10"></a><a href="#_ftn10"><sup><span style="color:black">[10]</span></sup></a>. La r&eacute;gion du discours sur la guerre est une de celles o&ugrave; la lutte est la plus virulente de par ses implications politiques. De nombreuses voix en effet pr&eacute;tendent &agrave; l&rsquo;expression de la v&eacute;rit&eacute;&nbsp;: t&eacute;moins, politiciens, historiens, journalistes, associations d&rsquo;anciens combattants. Cru y prend sa part quand il discr&eacute;dite certains ouvrages pourtant c&eacute;l&egrave;bres comme ceux de Barbusse, Dorgel&egrave;s et Remarque. Il s&rsquo;agit de faire pi&egrave;ce &agrave; une repr&eacute;sentation de la guerre, renforc&eacute;e par le prestige symbolique de l&rsquo;institution litt&eacute;raire, en lui opposant une autre voix &ndash;&nbsp;et un nouveau genre. La lutte pour la d&eacute;finition du genre est d&eacute;cisive, il est capital de pr&eacute;ciser le cadre de sa pertinence pour en pr&eacute;server toute la force et l&rsquo;efficacit&eacute;. Le classement op&eacute;r&eacute; par Cru participe ainsi d&rsquo;une strat&eacute;gie argumentative, car certains textes ne </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">doivent pas pouvoir pr&eacute;tendre au statut de t&eacute;moignage. Renoncer &agrave; la rigueur et &agrave; la qualit&eacute; de l&rsquo;attestation compro<span style="letter-spacing:-.1pt">met gravement l&rsquo;engagement politique et &eacute;thique, c&rsquo;est-&agrave;-dire le fondement de l&rsquo;utilit&eacute; sociale du t&eacute;moignage, son essence m&ecirc;me.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;&acirc;pret&eacute; du combat pour la v&eacute;rit&eacute; tient en grande partie &agrave; l&rsquo;importance symbolique accord&eacute;e &agrave; la parole du t&eacute;moin. La transmission du savoir repose sur un pr&eacute;suppos&eacute; de loyaut&eacute;, car une suspicion permanente rendrait insupportable la vie en soci&eacute;t&eacute;. C&rsquo;est bien l&agrave; que se situe le point nodal entre le genre et une pratique sociale, ce qui explique pourquoi Cru se montre si tenace&nbsp;: il ne s&rsquo;agit pas de relever de simples erreurs factuelles par plaisir maniaque, mais d&rsquo;essayer de donner une teneur &agrave; l&rsquo;intertexte qui aura des cons&eacute;quences &eacute;thiques, philosophiques et politiques pour les futures g&eacute;n&eacute;rations. Il choisit en ce sens un extrait du t&eacute;moignage de Galtier-Boissi&egrave;re&nbsp;: &laquo;&nbsp;non pas la sc&egrave;ne glorieuse des r&eacute;cits menteurs, mais la sc&egrave;ne atroce o&ugrave; une belle troupe, lanc&eacute;e &agrave; corps perdu par des chefs nourris de l&eacute;gendes, finissait par s&rsquo;&eacute;crouler &agrave; cinquante m&egrave;tres de l&rsquo;ennemi sous les feux crois&eacute;s des mitrailleuses. Cette description est la plus compl&egrave;te, la plus vraie qu&rsquo;on ait jamais faite d&rsquo;un assaut &agrave; la ba&iuml;onnette&nbsp;: elle est poignante, elle est cruelle, elle fait mal &agrave; lire. Elle devrait &ecirc;tre lue par tous les Fran&ccedil;ais pour les garder des illusions&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref11"></a><a href="#_ftn11"><sup><span style="color:black">[11]</span></sup></a>. C&rsquo;est l&agrave; la volont&eacute; d&rsquo;un pacifiste qui ira jusqu&rsquo;&agrave; d&eacute;noncer ceux qui font du mauvais pacifisme avec de bons sentiments. Cru reproche par exemple &agrave; Barbusse d&rsquo;avoir galvaud&eacute; son t&eacute;moignage en ins&eacute;rant des types de discours pr&eacute;sum&eacute;s litt&eacute;raires dont, pour de multiples raisons, il n&rsquo;a pas su ou voulu se d&eacute;tacher et qui vont &agrave; l&rsquo;encontre d&rsquo;une d&eacute;nonciation efficace de la guerre. La qualit&eacute; du t&eacute;moignage selon Cru s&rsquo;&eacute;value donc &agrave; la capacit&eacute; d&rsquo;engager une r&eacute;flexion critique sur l&rsquo;acceptation ou le refus de certaines actions discursives. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une sorte d&rsquo;asc&egrave;se intellectuelle qui vise &agrave; se lib&eacute;rer d&rsquo;un legs encombrant et inad&eacute;quat. Il faut en effet prendre acte de la distorsion qu&rsquo;il y avait entre les r&eacute;alit&eacute;s d&rsquo;un conflit in&eacute;dit et la repr&eacute;sentation de la guerre que se faisaient les militaires avant le d&eacute;but des hostilit&eacute;s &ndash;&nbsp;et qui, perdurant encore longtemps, causa d&rsquo;innombrables morts. Cru insiste sur la tension entre les modalit&eacute;s traditionnelles de narrer, celles qui ont fait leurs preuves dans un temps d&eacute;sormais r&eacute;volu et l&rsquo;exp&eacute;rience fondatrice et traumatisante du pr&eacute;sent et il se lance dans un &eacute;loge appuy&eacute; des poilus lucides sur leur h&eacute;ritage. C&rsquo;est, dit-il, &laquo;&nbsp;un miracle de probit&eacute; &raquo; &laquo;&nbsp;ou plut&ocirc;t c&rsquo;en serait un si l&rsquo;on ignorait l&rsquo;action d&rsquo;un agent contraire &agrave; la tradition, et qui a fait pr&eacute;valoir la v&eacute;rit&eacute;.</span></span>&nbsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;horreur inspir&eacute;e par la guerre a eu pour effet d&rsquo;&eacute;veiller chez quelques combattants un d&eacute;sir passionn&eacute; de crier la v&eacute;rit&eacute;</span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">, </span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">malgr&eacute; tout et malgr&eacute; tous, afin de d&eacute;mentir la tradition qu&rsquo;ils avaient honte d&rsquo;avoir jadis accept&eacute;e avant leur arriv&eacute;e au feu [&hellip;]. Mais la retenue de leur style, la probe simplicit&eacute; de leurs r&eacute;cits, nuisit &agrave; la reconnaissance de leur m&eacute;rite, et leur voix discr&egrave;te <span style="letter-spacing:-.2pt">se trouva</span> <span style="letter-spacing:-.2pt">&eacute;touff&eacute;e dans le tumulte des vantardises h&eacute;ro&iuml;ques ou des d&eacute;nonciations sensationnelles &raquo; </span></span></span><a name="_ftnref12"></a><a href="#_ftn12"><sup><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">[12]</span></span></span></sup></a><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">. Certains</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> t&eacute;moins se trouvent donc plus avanc&eacute;s dans le processus de formation d&rsquo;un nouveau genre li&eacute; &agrave; une nouvelle situation historique. Dans <i>T&eacute;moins</i>, il s&rsquo;agit de ceux class&eacute;s dans le groupe&nbsp;I, les plus &eacute;loign&eacute;s &eacute;tant ceux du groupe&nbsp;VI. On constate que ces derniers (ainsi que ceux des groupes&nbsp;IV et V) &laquo;&nbsp;bonifient&nbsp;&raquo; leurs &oelig;uvres de ces signes conventionnels qui d&eacute;terminent le degr&eacute; de litt&eacute;rarit&eacute; per&ccedil;ue par le lecteur.</span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">Intoxication</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le t&eacute;moin se trouve ainsi pris dans un environnement s&eacute;miotique satur&eacute; de textes r&eacute;put&eacute;s litt&eacute;raires, au point que Charlotte Lacoste d&rsquo;une formule &eacute;vocatrice parle d&rsquo;une v&eacute;ritable &laquo;&nbsp;intoxication&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref13"></a><a href="#_ftn13"><sup><span style="color:black">[13]</span></sup></a>. Pour s&rsquo;en pr&eacute;munir, Cru &eacute;difie une po&eacute;tique que l&rsquo;on peut tenter de synth&eacute;tiser. Si l&rsquo;on proc&egrave;de &agrave; une recherche automatique du morph&egrave;me &laquo;&nbsp;litt&eacute;ra&nbsp;&raquo; dans <i>T&eacute;moins</i>, de mani&egrave;re &agrave; trouver les r&eacute;f&eacute;rences explicites &agrave; &laquo;&nbsp;litt&eacute;rature, litt&eacute;raire, litt&eacute;rateur&nbsp;&raquo; (environ 400), et si l&rsquo;on y ajoute les occurrences des t&eacute;moins souvent cit&eacute;s pour leur exemplarit&eacute; (125 concernent Maurice Genevoix, <span style="letter-spacing:-.1pt">114 Paul Lintier, 90 Andr&eacute; P&eacute;zard, 68 Roland Dorgel&egrave;s, 162 Henri Barbusse</span>, 52 Jean des Vignes Rouges<a name="_ftnref14"></a><a href="#_ftn14"><sup><span style="color:black">[14]</span></sup></a>), on obtient une tendance certes sommaire, mais malgr&eacute; tout significative des composantes d&rsquo;un art testimonial. En voici quelques exemples</span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">&nbsp;:</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> l&rsquo;&eacute;criture du bon t&eacute;moignage se distingue par sa concision et sa sobri&eacute;t&eacute; (p.&nbsp;99), son exactitude attest&eacute;e par les dates et les noms propres (pp.&nbsp;85, 145, 224, 287), par sa simplicit&eacute; (pp.&nbsp;99, 105) qui, loin d&rsquo;&ecirc;tre le r&eacute;sultat d&rsquo;une pauvret&eacute; de moyens intellectuels, est consid&eacute;r&eacute;e par Cru comme &eacute;tant la manifestation la plus &eacute;labor&eacute;e, la plus artiste de l&rsquo;&eacute;criture testimoniale (pp.&nbsp;207, 364). Dans la m&ecirc;me veine, l&rsquo;authenticit&eacute; est li&eacute;e au r&eacute;alisme rendu par le parler des soldats pr&eacute;servant la v&eacute;rit&eacute; essentielle de leur vocabulaire (p.&nbsp;146) et garantie par l&rsquo;usage des carnets (P&eacute;zard, Delvert, p.<i>&nbsp;</i>123), dans lesquels sont consign&eacute;es des notations prises sur le vif (p.&nbsp;94)&nbsp;. Alors que les mauvais t&eacute;moins apparaissent bien souvent obs&eacute;d&eacute;s par les Muses ou dame Litt&eacute;rature (p.&nbsp;342), la forme litt&eacute;raire ne <span style="letter-spacing:-.2pt">doit &ecirc;tre qu&rsquo;un moyen pour rendre sensible aux non-combattants la v&eacute;rit&eacute; psychologique (p.&nbsp;147), particuli&egrave;rement celle ayant trait &agrave; la hantise de la mort (p.&nbsp;181)&nbsp;; il est alors possible d&rsquo;esp&eacute;rer un chef d&rsquo;&oelig;uvre de reconstitution (p.&nbsp;153), &eacute;loign&eacute; de tout sensationnel</span>, de tout suspense narratif, de toute h&eacute;ro&iuml;sation au sens corn&eacute;lien du terme (p.&nbsp;315).</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&Agrave; l&rsquo;inverse, la &laquo;&nbsp;litt&eacute;rature &agrave; effet&nbsp;&raquo; (pp.&nbsp;85, 110) se caract&eacute;rise avant tout par sa d&eacute;magogie&nbsp;: elle cherche &agrave; s&eacute;duire au d&eacute;triment de la valeur documentaire (p.</span></span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&nbsp;1</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">55). L&rsquo;art testimonial ne peut que p&acirc;tir du &laquo;&nbsp;sens du m&eacute;tier&nbsp;des litt&eacute;rateurs&nbsp;&raquo;</span></span></span><i> </i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">(p.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">89), dont le but prioritaire est de plaire en sacrifiant tout &agrave; la litt&eacute;rature (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">588), c&rsquo;est-&agrave;-dire en privil&eacute;giant sans discernement les multiples proc&eacute;d&eacute;s de l&rsquo;art quitte &agrave; tirer un trait sur l&rsquo;essentielle dimension &eacute;thique du t&eacute;moignage. Cru &eacute;pingle au fil des pages l&rsquo;usage des proc&eacute;d&eacute;s hyperboliques, les phrases &agrave; effet (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">99), grandiloquentes (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">287), le brio (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">265), les formules pleines d&rsquo;esprit (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">265), le vague intentionnel qui interdit toute v&eacute;rification tant topographique que chronologique (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">591), la litt&eacute;rature purement verbale (p.</span></span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&nbsp;6</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">50), les dialogues alertes et pittoresques (p.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">315), savoureux (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">554), l&rsquo;usage abusif de l&rsquo;argot (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">564), les trouvailles de style (p.&nbsp;431) relevant des registres apocalyptique ou &eacute;pique (pp.&nbsp;101/562), souvent associ&eacute;s &agrave; une mystique de la guerre (p.&nbsp;652). Une autre d&eacute;rive de la recherche du sensationnel (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">117) se manifeste avec la pr&eacute;dilection pour le morbide (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">117), la description de l&rsquo;horreur anatomique (p.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">161), les tableaux d&eacute;taill&eacute;s</span> <span style="letter-spacing:-.1pt">jusqu&rsquo;au sadisme, macabres et psychologiquement faux (pp.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">559, 425). Ajoutons l&rsquo;imagination&nbsp;d&eacute;brid&eacute;e, les anecdotes diverses, le piquant des r&eacute;cits (pp.</span>&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">265, 360), l&rsquo;influence de la tradition litt&eacute;raire, et enfin, adapt&eacute;es au go&ucirc;t du jour, les techniques de tension narrative propres aux romans &agrave; succ&egrave;s</span></span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&nbsp;:</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> aventures, proc&egrave;s des embusqu&eacute;s</span></span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">ex&eacute;cutions capitales, histoires d&rsquo;espions (p.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&nbsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">360).</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Ce rapide r&eacute;sum&eacute; montre de mani&egrave;re explicite que les modalit&eacute;s de la transmission du savoir combattant int&eacute;ressent au plus haut point l&rsquo;auteur de <i>T&eacute;moins. </i>Il l&rsquo;affirme d&rsquo;ailleurs sans ambigu&iuml;t&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Si nous, combattants, nous pouvions peindre notre guerre avec assez de v&eacute;rit&eacute; et d&rsquo;art pour que les hommes de demain, nous lisant, &eacute;prouvent mentalement des souffrances assez identiques &agrave; celles que nous avons &eacute;prouv&eacute;es r&eacute;ellement, alors le probl&egrave;me de la paix permanente serait r&eacute;solu, la guerre deviendrait impossible, non pas mat&eacute;riellement, bien mieux&nbsp;: impossible &agrave; concevoir, &agrave; accepter dans l&rsquo;esprit&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref15"></a><a href="#_ftn15"><sup><span style="color:black">[15]</span></sup></a>. Cette citation, parlant de v&eacute;rit&eacute; et d&rsquo;art, convient de la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;un travail d&rsquo;&eacute;criture. Cru ne c&egrave;de pas &agrave; l&rsquo;illusion d&rsquo;une transparence du langage qui permettrait d&rsquo;acc&eacute;der au fait brut et l&rsquo;expression &laquo;&nbsp;assez identiques&nbsp;&raquo; est de ce point de vue, significative, car elle prend en compte la diff&eacute;rence existentielle entre ceux qui ont r&eacute;ellement risqu&eacute; leur vie au front et les autres. Le t&eacute;moignage donne forc&eacute;ment un point de vue sur les faits. La r&eacute;flexion sur la possibilit&eacute; m&ecirc;me de partager l&rsquo;exp&eacute;rience et sur la meilleure fa&ccedil;on de le faire sont donc constitutives de la nature scripturaire du t&eacute;moignage. On trouve d&rsquo;ailleurs trace de cette pr&eacute;occupation dans une conf&eacute;rence prononc&eacute;e par Cru le 16 novembre 1930 au si&egrave;ge parisien de l&rsquo;Union pour la v&eacute;rit&eacute;. Le document &eacute;voquant l&rsquo;expos&eacute; de Cru et l&rsquo;entretien qui l&rsquo;a suivi pr&eacute;sente l&rsquo;avantage de synth&eacute;tiser sa pens&eacute;e</span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">&thinsp;<a name="_ftnref16"></a><a href="#_ftn16"><sup><span style="color:black">[16]</span></sup></a>&nbsp;;</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> le point&nbsp;VII nous int&eacute;resse particuli&egrave;rement puisqu&rsquo;il traite des artifices litt&eacute;raires. Leur absence est une condition pour la v&eacute;racit&eacute; du t&eacute;moignage. Or on constate, conviction confirm&eacute;e par les occurrences relev&eacute;es dans <i>T&eacute;moins</i>, que les artifices pour Cru ne renvoient pas &agrave; la litt&eacute;rarit&eacute; en g&eacute;n&eacute;ral<a name="_ftnref17"></a><a href="#_ftn17"><sup><span style="color:black">[17]</span></sup></a>. Ses r&eacute;serves concernent exclusivement une litt&eacute;rarit&eacute; ostentatoire qui recherche le sensationnel propre &agrave; captiver le lecteur&nbsp;: sc&egrave;nes &agrave; forte tension narrative (p&eacute;rip&eacute;ties rocambolesques, chutes &agrave; effet), couleur locale (pittoresque du macabre, du langage argotique), lieux communs sur le soldat, volont&eacute; de tracer un portrait haut en couleur<a name="_ftnref18"></a><a href="#_ftn18"><sup><span style="color:black">[18]</span></sup></a>, virtuosit&eacute; stylistique, mais dans le sens de l&rsquo;emphase, de l&rsquo;hyperbole, de la m&eacute;taphore au service d&rsquo;images au fort pouvoir &eacute;motionnel.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Or, un genre &eacute;tant quasiment toujours compos&eacute; de plusieurs types de discours, Bronckart avance l&rsquo;id&eacute;e que l&rsquo;on puisse distinguer &laquo;&nbsp;dans les textes relevant d&rsquo;un m&ecirc;me genre, d&rsquo;une part un type de discours dominant ou majeur, et d&rsquo;autre part des types de discours domin&eacute;s ou mineurs&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref19"></a><a href="#_ftn19"><sup><span style="color:black">[19]</span></sup></a>. Dans le cas des t&eacute;moignages, cela signifie que la vis&eacute;e du genre pr&eacute;dominante (global) peut &ecirc;tre tributaire des types de discours (local) qui peuvent parasiter ou au contraire servir les promesses documentaires et &eacute;thiques. En fonction de l&rsquo;intentionnalit&eacute; du genre, on peut comme le fait Cru d&eacute;cider que certaines &oelig;uvres s&rsquo;approchent ou s&rsquo;&eacute;loignent d&rsquo;un id&eacute;al type. La volont&eacute; affich&eacute;e n&rsquo;est en effet pas une garantie, ainsi <i>Le Feu</i> est pr&eacute;sent&eacute; dans l&rsquo;&eacute;dition originale comme un roman, avec une indication entre parenth&egrave;ses &laquo;&nbsp;Journal d&rsquo;une escouade&nbsp;&raquo;, or l&rsquo;intention de Barbusse &eacute;tant bien de t&eacute;moigner, les deux genres par leurs finalit&eacute;s sont antinomiques</span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">. </span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&Agrave; la lecture des qualit&eacute;s que Cru trouve au genre du journal, on comprend mieux pourquoi la pr&eacute;tention de Barbusse consistant &agrave; pr&eacute;senter son livre comme tel a pu l&rsquo;irriter</span></span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">&nbsp;:</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> &laquo;&nbsp;[Les] journaux [&hellip;] constituent les documents les plus int&eacute;ressants, les plus caract&eacute;ristiques, les plus utiles. Sans faire tort aux pens&eacute;es ni &agrave; la psychologie, un bon journal contient plus de pr&eacute;cisions et moins de litt&eacute;rature &agrave; effet. [&hellip;] Par d&eacute;finition le journal poss&egrave;de une exactitude fondamentale&nbsp;: celle des dates. Elle entra&icirc;ne d&rsquo;autres pr&eacute;cisions&nbsp;: quand on situe le fait ou le sentiment dans le temps on est amen&eacute; &agrave; le situer dans le lieu (topographie), puis dans le milieu (noms d&rsquo;unit&eacute;s, de chefs, de camarades). En th&eacute;orie le journal est esclave des dates&nbsp;; en fait cet esclavage est la meilleure des disciplines. <span style="letter-spacing:-.2pt">Les dates constituent un cadre, un plan, elles emp&ecirc;chent l&rsquo;adoption d&rsquo;un plan artificiel et fantaisiste&nbsp;&raquo;</span></span></span>&thinsp;<a name="_ftnref20"></a><a href="#_ftn20"><sup><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">[20]</span></span></span></sup></a><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">. De ce point de vue, la mention &laquo;&nbsp;journal&nbsp;&raquo; sur la page de titre du livre de Barbusse rel&egrave;ve bien de l&rsquo;abus, voire de l&rsquo;imposture</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica">Cru soutient qu&rsquo;une certaine esth&eacute;tique litt&eacute;raire (qui ne se r&eacute;sume pas &agrave; <i>la</i> litt&eacute;rature) a servi concr&egrave;tement &agrave; justifier la guerre, sa conduite, sa n&eacute;cessit&eacute;, le fait que des hommes aient accept&eacute; de sacrifier leurs vies, le fait que d&rsquo;autres soient l&eacute;gitim&eacute;s &agrave; sacrifier celle d&rsquo;autrui. L&rsquo;esth&eacute;tique n&rsquo;est pas un jeu gratuit, elle n&rsquo;engage certes que ceux qui y croient, mais <i>T&eacute;moins</i> montre que nombreux ont &eacute;t&eacute; ceux qui lui ont accord&eacute; du cr&eacute;dit au m&ecirc;me titre qu&rsquo;&agrave; des id&eacute;ologies politiques ou religieuses. Il n&rsquo;est donc pas inutile de la confronter &agrave; ses responsabilit&eacute;s, et une telle r&eacute;flexion, gr&acirc;ce aux t&eacute;moignages, pourrait avoir du sens dans les cours de litt&eacute;rature de l&rsquo;enseignement secondaire. Comment mieux conclure sur ce point qu&rsquo;en citant les propos de Daniel Mornet, combattant des tranch&eacute;es lui aussi&nbsp;? &laquo;&nbsp;On fait de l&rsquo;&eacute;pop&eacute;e avec ce qui fut simplement la volont&eacute; sombre et r&eacute;sign&eacute;e de ne pas s&rsquo;abandonner et de vivre [&hellip;]. La vraie guerre, M. Cru a bien montr&eacute; ce qu&rsquo;elle fut pour la plupart de ceux qui l&rsquo;ont gagn&eacute;e, quand on s&rsquo;en tient aux t&eacute;moins vrais. Il l&rsquo;a ramen&eacute;, dans son chapitre&nbsp;V&thinsp;<a name="_ftnref21"></a><a href="#_ftn21"><sup><span style="color:blue">[21]</span></sup></a>, &agrave; son image petitement hideuse et mesquinement f&eacute;roce, &agrave; son aspect de machine sans &acirc;me, &agrave; la chose subie, &agrave; tout ce qui est l&rsquo;oppos&eacute; du vertige ardent. Je ne sais rien de plus fort et, dans leur sobri&eacute;t&eacute;, de plus &eacute;mouvant que ces quelques articles o&ugrave; M. Cru d&eacute;chire les oripeaux et fait taire les fanfares. Et il est vrai que si partout, toujours [&hellip;], on enseignait, d&rsquo;apr&egrave;s M. Cru, ce que fut cette guerre, il n&rsquo;y aurait jamais personne pour songer &agrave; faire une autre guerre.&nbsp;&raquo;</span><span dir="RTL" new="" roman="" style="font-family:" times=""> &nbsp;<a name="_ftnref22"></a><a href="#_ftn22"><sup><span style="color:blue">[22]</span></sup></a></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> L&rsquo;expression est d&rsquo;Henri Barbusse, ulc&eacute;r&eacute; par les critiques de Cru. Voir Jean Norton Cru, <i>T&eacute;moins. Essai d&rsquo;analyse et de critique des souvenirs de combattants &eacute;dit&eacute;s en fran&ccedil;ais de 1915 &agrave; 1928,</i> pr&eacute;face et postface de Fr&eacute;d&eacute;ric Rousseau, Presses universitaires de Nancy, coll. &laquo;&nbsp;T&eacute;moins et t&eacute;moignages</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-size:9.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&nbsp;&raquo;</span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">, 2006 [1<sup>re</sup> &eacute;d. Paris, Les &Eacute;tincelles, 1929], p.&nbsp;S72.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Cet article s&rsquo;int&eacute;resse plus particuli&egrave;rement &agrave; l&rsquo;&eacute;laboration et &agrave; la justification de ces savoirs. Il faut toutefois se garder d&rsquo;une vision fauss&eacute;e de la transposition didactique pour laquelle l&rsquo;enseignement de la litt&eacute;rature h&eacute;rite des corpus de textes comme on h&eacute;rite d&rsquo;un bien enrichi au fil des si&egrave;cles par des auteurs, patrimoine comment&eacute; par la recherche acad&eacute;mique et enfin s&eacute;lectionn&eacute; et rendu pr&eacute;sentable pour les &eacute;l&egrave;ves. Cette vision applicationniste a &eacute;t&eacute; critiqu&eacute;e (Voir Jean-Paul Bronckart et Bernard Schneuwly, <i>La Didactique du fran&ccedil;ais langue maternelle. L&rsquo;&eacute;mergence d&rsquo;une utopie indispensable. </i>&Eacute;ducation et Recherche, 13, 1991, pp.&nbsp;8-26 et Yves <span style="letter-spacing:-.15pt">Chevallard, <i>Les savoirs enseign&eacute;s et leurs formes scolaires de transmission. Un point de vue didactique</i>, 1997, URL</span></span></span><b><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-size:9.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="letter-spacing:-.15pt">&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:-.15pt"> http://yves.chevallard.free.fr/spip/spip/article.php3?id_article=30<u><span style="color:blue">,</span></u></span></span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> consult&eacute; le 15 juin 2015). &Agrave; une conception de l&rsquo;h&eacute;ritage m&eacute;canique et subie, on peut opposer la puissance cr&eacute;atrice de l&rsquo;&eacute;cole et la mani&egrave;re dont elle transpose une organisation prax&eacute;ologique caract&eacute;ristique d&rsquo;un champ litt&eacute;raire ext&eacute;rieur &agrave; elle, consacre des &oelig;uvres, s&eacute;lectionne des extraits pour les transformer en objets &agrave; enseigner et enseign&eacute;s. Donner tout son poids &agrave; l&rsquo;institution scolaire n&rsquo;est pas seulement un d&eacute;placement de point de vue sur un m&ecirc;me objet&nbsp;; c&rsquo;est adopter une strat&eacute;gie argumentative diff&eacute;rente qui modifie radicalement sa perception, en l&rsquo;occurrence ce qu&rsquo;il est convenu de consid&eacute;rer comme &eacute;tant de la litt&eacute;rature. Les r&eacute;flexions th&eacute;oriques propres au litt&eacute;raire en sont in&eacute;vitablement affect&eacute;es. Pour la dimension proprement didactique de l&rsquo;usage de t&eacute;moignages dans les classes, on peut se reporter &agrave; Christophe Ronveaux et Bruno V&eacute;drines, &laquo;&nbsp;M&eacute;moires en concurrence. T&eacute;moignages et chef d&rsquo;&oelig;uvre patrimonial&nbsp;&raquo;, <i>in</i> Marie-France Bishop et Anissa Belhadjin (dir.), <i>Les Patrimoines litt&eacute;raires &agrave; l&rsquo;&eacute;cole,</i> Paris, Honor&eacute; Champion, 2015&nbsp;; Christophe Ronveaux et Bruno V&eacute;drines, &laquo;&nbsp;S&rsquo;impliquer dans la fiction ou comprendre l&rsquo;an&eacute;antissement&nbsp;?&nbsp;&raquo;, <i>in</i> Jean- Louis Dumortier, Veronica Granata, Philippe Raxhon et Julien Van Beveren (dir.), <i>Devoir de m&eacute;moire et pouvoir des fictions</i>, Dyptique/Presses universitaires de Namur, 2015. Pour la formation intellectuelle des t&eacute;moins, voir Bruno V&eacute;drines, &laquo;&nbsp;Litt&eacute;rature et erreur historiographique&nbsp;&raquo; (URL</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-size:9.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&nbsp;:</span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> http://ecoleclio.hypotheses.org/244) et Bruno V&eacute;drines, &laquo;&nbsp;La formation scolaire et litt&eacute;raire des t&eacute;moins de la Grande Guerre&nbsp;&raquo; (&agrave; para&icirc;tre, URL</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-size:9.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&nbsp;:</span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> http://ecoleclio.hypotheses.org).</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Voir G&eacute;rard Genette, <i>Fiction et diction</i>, Paris, Seuil, 2004.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Le terme &laquo;&nbsp;emp&ecirc;tr&eacute;&nbsp;&raquo; du titre de cet article renvoie au philosophe Wilhelm Schapp et &agrave; son ouvrage <i>Emp&ecirc;tr&eacute; dans des histoires. L&rsquo;&ecirc;tre de l&rsquo;homme et de la chose</i>, Paris, Cerf, 1992). Pour une analyse de sa pens&eacute;e en dialogue avec celle de Ric&oelig;ur, on peut lire un article de son traducteur Jean Greisch (Jean Greisch, <i>Emp&ecirc;trement et intrigue. Une ph&eacute;nom&eacute;nologie pure de la narrativit&eacute; est-elle concevable&nbsp;</i>? 1992, URL&thinsp;: <u><span style="color:blue">http://www.vox-poetica.org/t/pas/greisch.html, consult&eacute; le 15 juin 2015). </span></u>Sans entrer dans les d&eacute;tails et la discussion d&rsquo;une approche ph&eacute;nom&eacute;nologique, il est int&eacute;ressant de noter que la singularit&eacute; de la th&egrave;se de Schapp tient au fait qu&rsquo;on ne peut concevoir l&rsquo;&ecirc;tre hors d&rsquo;un emp&ecirc;trement originaire dans des histoires (terme pris dans un sens tr&egrave;s large) et qu&rsquo;il pose comme principe leur pr&eacute;&eacute;minence dans notre compr&eacute;hension du monde. La cons&eacute;quence en est que chaque individu incarne cet h&eacute;ritage, en est form&eacute;, avant de le transmettre ou de s&rsquo;y opposer.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>T&eacute;moins</i>, <i>op.cit., </i>p.&nbsp;2.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid</i>., p.&nbsp;14.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Il n&rsquo;est pas le seul. Voir, dans <i>T&eacute;moins</i>,<i> </i>la notice sur<i> </i>Galtier-Boissi&egrave;re (<i>Ibid</i>., p.&nbsp;139).</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[8]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>T&eacute;moins, op. cit.,</i> p.&nbsp;3.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[9]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.05pt">Jean-Paul Bronckart, </span><i>Activit&eacute; langagi&egrave;re, textes et discours, </i><span style="letter-spacing:-.05pt">Lausanne, Delachaux et Niestl&eacute;, 1996, p.&nbsp;37.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn10"></a><a href="#_ftnref10"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[10]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Michel Foucault, <i>L&rsquo;ordre du discours,</i> Paris, Gallimard, 1971, p.&nbsp;38.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn11"></a><a href="#_ftnref11"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[11]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>T&eacute;moins, op. cit.,</i> p.&nbsp;140.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn12"></a><a href="#_ftnref12"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[12]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Jean Norton Cru, <i>Du t&eacute;moignage</i>, Edition&nbsp;Jean-Jacques Pauvert, [Premi&egrave;re &eacute;dition en 1930, Paris, Gallimard], p.&nbsp;129.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn13"></a><a href="#_ftnref13"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[13]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Charlotte Lacoste, <i>Le t&eacute;moignage comme genre litt&eacute;raire en France de 1914 &agrave; nos jours, </i>Th&egrave;se de Doctorat, Universit&eacute; Paris Ouest Nanterre La D&eacute;fense et Universit&eacute; Paris&nbsp;VII Vincennes Saint-Denis, 2011, p.&nbsp;89.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn14"></a><a href="#_ftnref14"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[14]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Cette liste, &eacute;chantillon tr&egrave;s restreint parmi les quelque 250&nbsp;auteurs recens&eacute;s, n&rsquo;est pas totalement arbitraire dans la mesure o&ugrave; les t&eacute;moins retenus rassemblent les principales caract&eacute;ristiques du mod&egrave;le pour les trois premiers (class&eacute;s I) et de l&rsquo;anti-mod&egrave;le pour les trois derniers (class&eacute;s IV et V).</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn15"></a><a href="#_ftnref15"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[15]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>T&eacute;moins, op. cit.,</i> p.&nbsp;366.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn16"></a><a href="#_ftnref16"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[16]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>T&eacute;moins, op. cit.,</i>p.&nbsp;S171.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn17"></a><a href="#_ftnref17"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[17]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid</i>., p.&nbsp;180 et p.&nbsp;S174.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn18"></a><a href="#_ftnref18"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[18]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> Ces caract&eacute;ristiques s&rsquo;appliquent au <i>Feu</i> et &agrave; sa recherche syst&eacute;matique du trait original, de la difformit&eacute;, de l&rsquo;exception. Ce souci de maintenir une tension narrative est en contradiction avec ce qu&rsquo;&eacute;crit Lintier sur la n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;&eacute;voquer la &laquo;&nbsp;fastidieuse uniformit&eacute;&nbsp;&raquo; comme garantie d&rsquo;un bon t&eacute;moignage. Voir Paul Lintier, <i>Le Tube&nbsp;1233, </i>Paris, Librairie Plon, 1917, p.&nbsp;277.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn19"></a><a href="#_ftnref19"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[19]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.05pt">Jean-Paul Bronckart, </span><i>Activit&eacute; langagi&egrave;re..., op.cit</i>., p.&nbsp;86.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn20"></a><a href="#_ftnref20"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[20]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>T&eacute;moins, op. cit.,</i> p.&nbsp;85.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn21"></a><a href="#_ftnref21"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[21]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <i>Ibid</i>., p.&nbsp;27.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn22"></a><a href="#_ftnref22"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[22]</span></span></span></sup></a> <i><span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">Ibid</span></span></i><span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica">., p.&nbsp;S93.</span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p>