<h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">UNE INITIATIVE PARTAG&Eacute;E</span></span></span></b></span></span></h2> <p align="right" style="text-align:right; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;&OElig;dipe ne commence &agrave; voir clair</span></span></span><br /> <span style="font-size:10.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">que lorsqu&rsquo;il est aveugle.&nbsp;&raquo;</span><br /> <span style="color:black">Jean Cocteau</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Rien, n&rsquo;&ecirc;tre rien, c&rsquo;est ne plus &ecirc;tre. Ni objet&nbsp;; ni chose&nbsp;; ni bien meuble. C&rsquo;est s&ucirc;rement n&rsquo;&ecirc;tre plus humain, ou avoir perdu son humanit&eacute;&nbsp;: corps organique d&eacute;pouill&eacute; de la possession de son corps. C&rsquo;est &ecirc;tre sans existence, inconsistant, en voie de d&eacute;composition. Indigne. N&rsquo;&ecirc;tre plus pour n&rsquo;avoir plus &agrave; &ecirc;tre. Cela revient &agrave; laisser une place vide, un espace trou&eacute; qui aspire &agrave; &ecirc;tre habit&eacute;&nbsp;: statut perdu&nbsp;; objet perdu&nbsp;; un d&eacute;chet pour pitchipo&iuml;&nbsp;! Aujourd&rsquo;hui encore, apr&egrave;s la boucherie d&rsquo;hier puis la fine charcuterie qui a succ&eacute;d&eacute;, le statut juridique du corps humain reste ind&eacute;termin&eacute;&nbsp;; il est encore &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de d&eacute;chet que sacralise &agrave; peine la s&eacute;pulture<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Tous ces points, ceux surtout de notre ignorance et de nos interrogations, nous avons pu les partager avec des d&eacute;port&eacute;s au sein de la Fondation pour la m&eacute;moire de la d&eacute;portation (FMD), tous volontaires et inform&eacute;s que nous entreprenions une d&eacute;marche qui devait n&eacute;cessairement &ecirc;tre partag&eacute;e. Nous ne savions pas ce que nous cherchions. Eux non plus&nbsp;! Ce qu&rsquo;ils savaient, en revanche, &eacute;tait notre conviction qu&rsquo;ils &eacute;taient d&eacute;tenteurs d&rsquo;un savoir ou d&rsquo;une exp&eacute;rience qu&rsquo;ils ignoraient d&eacute;tenir ou ne savaient pas trop bien formuler. Et que cette exp&eacute;rience avait encore une valeur aujourd&rsquo;hui.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le vide, lui, est un renvoi discret au math&eacute;maticien S.&nbsp;Loyd<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a>, cr&eacute;ateur du jeu de Taquin, un jeu de combinaison, soit d&rsquo;un carr&eacute; empli de petits carr&eacute;s portant des chiffres ou des lettres avec une case manquante, une case vide permettant la circulation des autres lettres. Le manque &eacute;tant &agrave; l&rsquo;origine du mouvement conduisant de nombreux psychanalystes (dans leurs inclinaisons &agrave; l&rsquo;universel) &agrave; s&rsquo;interroger sur les risques de &laquo;&nbsp;manquer de manque&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire de prendre le risque de s&rsquo;enfermer dans l&rsquo;immobilit&eacute; &agrave; vouloir tout contr&ocirc;ler, &agrave; s&rsquo;empresser de tout combler. Nous avons donc opt&eacute; pour la devise du tailleur de pierre, celle qui consiste &agrave; regarder, &agrave; observer, &agrave; se p&eacute;n&eacute;trer de l&rsquo;objet et &agrave; entrer dans la case vide. &Agrave; se loger dans la case manquante<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a> comme on se niche au c&oelig;ur de la pierre pour en d&eacute;celer la fragilit&eacute;, en suivre le parcours et se projeter avec elle, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de l&rsquo;&eacute;difice de pierre tout entier, pour trouver une place qui saura m&eacute;nager la fai<span style="letter-spacing:.1pt">blesse du mat&eacute;riau tout en confortant l&rsquo;ensemble. Voire en lui restituant, &agrave; cet ensemble, toute sa noblesse. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment l&agrave;, &agrave; cet endroit qu&rsquo;intervient le Rorschach, notre machine &agrave; dire ce qui n&rsquo;est pas dicible&nbsp;; instrument</span> par excellence &agrave; transmettre le non-dit, justement par un non-dit qui emprunte de curieux moyens, que la plupart jugent&nbsp; &laquo; plut&ocirc;t bizarre &raquo; tout en paraissant appr&eacute;cier cette bizarrerie, si on s&rsquo;en tient &agrave; leur engagement et &agrave; leur spontan&eacute;it&eacute;.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Ce Rorschach, chacune des dix planches qui le constitue, vient successivement occuper la case vide pour faire surgir un mot, des phrases, des sentiments, des impressions, des refus, des mouvements qui se rapportent &agrave; ce qui ne peut &ecirc;tre dit. Et qu&rsquo;on appelle les revenants de l&rsquo;histoire&nbsp;; des revenants, dans notre approche, qui sont les cl&eacute;s de compr&eacute;hension des rapports que les d&eacute;port&eacute;s entretiennent avec leur corps ou avec celui d&rsquo;autrui. Aussi avec les corps institutionnels, les corps concentrationnaires et les corps de l&rsquo;<span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>tat&nbsp;: l&rsquo;esprit de corps en quelque sorte. Par ces utilisations, et bien qu&rsquo;il soit un &laquo;&nbsp;test&nbsp;&raquo; mondialement connu<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a> &ndash;&nbsp;il n&rsquo;est pas un &laquo;&nbsp;test mental&nbsp;&raquo; ou ne s&rsquo;y r&eacute;duit pas, bien qu&rsquo;un nombre important de personnes aient eu &agrave; le conna&icirc;tre au d&eacute;cours de situations vari&eacute;es ayant jalonn&eacute; leur itin&eacute;raire, y compris en situation personnelle, professionnelle, militaire&nbsp;&ndash;, il est parfois pr&eacute;sent&eacute; comme un test objectif de personnalit&eacute; o&ugrave; l&rsquo;on sent bien que les multiples d&eacute;finitions qui lui sont accord&eacute;es traduisent en fait les int&eacute;r&ecirc;ts d&rsquo;une &eacute;cole et les besoins d&rsquo;une population. Les id&eacute;ologies d&rsquo;une r&eacute;gion ou celles d&rsquo;un pays, les inclinaisons de pens&eacute;e et les engagements &agrave; lire dans les postures politiques qui se sont succ&eacute;d&eacute;es depuis ses premi&egrave;res &eacute;bauches de 1910-1920. Sans &ecirc;tre un imposteur, il poss&egrave;de les caract&eacute;ristiques du test mental&nbsp;: fid&eacute;lit&eacute;, sensibilit&eacute;, validit&eacute;, selon qu&rsquo;on s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; la mesure<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a>, aux cadres du test de personnalit&eacute; avec cotation et n&eacute;cessit&eacute; de restitution sur le terrain des r&eacute;actions &eacute;motionnelles et de la subjectivit&eacute; &ndash; le type de r&eacute;sonance intime<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a> ou aux &eacute;l&eacute;ments qui constituent la construction freudienne<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a> &ndash; et qu&rsquo;on s&rsquo;appuie sur les concepts de projection, d&rsquo;introjection, d&rsquo;identification, de diff&eacute;renciation, de limites, mais plus encore et surtout sur les circonstances venant lib&eacute;rer le pulsionnel (m&eacute;canismes de d&eacute;fense). Ces &eacute;l&eacute;ments font partie du climat dans lequel, au cours des temps, le Rorschach a pu grandir et se d&eacute;velopper. Il r&eacute;siste, &agrave; l&rsquo;instar des d&eacute;port&eacute;s, aux ph&eacute;nom&egrave;nes de colonisation dont il a pu &ecirc;tre victime. Ou pour le dire autrement, en s&rsquo;opposant ou en se d&eacute;fendant de toutes les tentatives de la raison pour assigner au silence la d&eacute;raison, l&rsquo;inventivit&eacute; avec </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">son cort&egrave;ge d&rsquo;impr&eacute;vu-inattendu ou ses brouillages du code&nbsp;: &eacute;pilepsie<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a>, schizophr&eacute;nie<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a>, d&eacute;pression<a name="_ftnref10"></a><a href="#_ftn10"><sup><span style="color:black">[10]</span></sup></a>. Dire de cette &eacute;preuve qu&rsquo;elle est de guidance<a name="_ftnref11"></a><a href="#_ftn11"><sup><span style="color:black">[11]</span></sup></a> n&rsquo;enl&egrave;ve rien au fait qu&rsquo;elle soit un instrument de r&eacute;sistance dans lequel les d&eacute;port&eacute;s ont pu se reconna&icirc;tre<span style="letter-spacing:.1pt">.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">En dehors de toutes consid&eacute;rations autres que cliniques, ce Rorschach</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> reste, selon Loosli Ust&eacute;ri<a name="_ftnref12"></a><a href="#_ftn12"><sup><span style="color:black">[12]</span></sup></a>, une &eacute;preuve d&rsquo;interpr&eacute;tation de &laquo;&nbsp;formes fortuites&nbsp;&raquo;, une &eacute;preuve qui consiste en une pr&eacute;sentation, &agrave; des sujets r&eacute;put&eacute;s en bonne sant&eacute;, d&rsquo;une s&eacute;rie de dix taches d&rsquo;encre dans un ordre et une position donn&eacute;e. Ces taches sont toutes sym&eacute;triques. Cinq sont gris-noir&nbsp;; deux sont grises et rouge vif et trois sont multicolores. Il n&rsquo;y a pas de bonne ni de mauvaise r&eacute;ponse. Le professionnel se contente de noter les mots sp&eacute;cifiques, le discours tenu, les mimiques, les expressions, la gestuelle et les postures du corps humain. De noter, en somme, ce qui fait la silhouette du d&eacute;port&eacute; en cause. On voit ainsi, dans ce travail &agrave; trois, comment la personne s&rsquo;organise vis-&agrave;-vis de toutes ses sollicitations&nbsp;: travail sur la forme que le fortuit sugg&egrave;re, travail sur les &eacute;motions que les couleurs convoquent, travail aussi de re-contextualisation portant sur les interpr&eacute;tations que la mani&egrave;re d&rsquo;&ecirc;tre du professionnel induit. On peut, ce faisant, rappeler les travaux des biotechnologies qui peuvent servir d&rsquo;appui &agrave; ce que pressentait H.&nbsp;Rorschach, que &laquo;&nbsp;des choses corporelles&nbsp;&raquo; pouvaient vivre au dehors du corps et pouvaient aussi contribuer &agrave; ses m&eacute;tamorphoses. Le corps &eacute;tant en perp&eacute;tuel changement face et &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;un univers en constant changement. Ceci introduit la question de l&rsquo;incorporel agissant, dont les d&eacute;port&eacute;s, c&rsquo;est mon hypoth&egrave;se, sont l&rsquo;incarnation.</span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">LA TRANSMISSION PAR LE NON-DIT</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Au terme de cette triple approche, combinatoire avec la question du manque dans le jeu de Taquin&nbsp;; psychologique avec l&rsquo;introjection-projection de/dans la pierre, sp&eacute;cifique &agrave; la devise du tailleur de pierre&nbsp;; le Rorschach, enfin, avec ses formes fortuites ouvrant au symbolique, j&rsquo;ai essay&eacute; de rendre perceptible en dix images libres d&rsquo;interpr&eacute;tations les symboliques corporelles auxquelles les d&eacute;port&eacute;s pouvaient &ecirc;tre attach&eacute;s, sortes de points d&rsquo;appuis auxquels ils pensaient devoir la vie. Allusions &agrave; une nouvelle naissance, &agrave; une &laquo;&nbsp;revivance&nbsp;&raquo; dont ils savent si bien parler, mais avec des mots dont nous n&rsquo;avons pas toujours la cl&eacute; et qui les d&eacute;concertent eux-m&ecirc;mes. Cela les conduit-il &agrave; se taire en se demandant dans quel univers ils fonctionnent ou peuvent bien fonctionner&nbsp;?</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Peut-on rappeler que le symbole est un concept, c&rsquo;est-&agrave;-dire la repr&eacute;sentation des relations entre le sens premier du symbole comme repr&eacute;sentation de l&rsquo;absent, de l&rsquo;imperceptible ou du non repr&eacute;sentable. La repr&eacute;sentation d&eacute;signe &eacute;tymologiquement l&rsquo;action de replacer et, dans notre perspective, celle aussi de remplacer ou d&rsquo;avoir procuration, &ecirc;tre &agrave; la place de, parler en son nom et place. Le drapeau illustre assez bien cette d&eacute;finition du symbole en cela qu&rsquo;il est &agrave; la fois la repr&eacute;sentation et son symbole. Il est le symbole d&rsquo;un peuple ou d&rsquo;un pays&nbsp;; d&rsquo;une &eacute;quipe ou d&rsquo;une arm&eacute;e, ce qui anime et fait marcher. Le Rorschach, comme repr&eacute;sentation, devient le symbole de la case vide dans le jeu de taquin, ou devient encore l&rsquo;indicible du d&eacute;port&eacute;. II est, en tout cas, ce Rorschach, la repr&eacute;sentation mat&eacute;rielle d&rsquo;une chose abstraite comme la mort ou la vie, qui se nourrit aussi d&rsquo;impressions, auditives ou visuelles sinon olfactives&nbsp;: repr&eacute;sentation d&rsquo;un objet par le moyen d&rsquo;une impression d&rsquo;odeurs&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&agrave;, en bas, de la fourrure&nbsp;&raquo; (Pl IV&nbsp;: &laquo;&nbsp;&ccedil;a sent une dr&ocirc;le d&rsquo;odeur. J&rsquo;avais 10 ans&hellip;&nbsp;&raquo;), perceptions qui renvoient &agrave; l&rsquo;enfance et ressurgissent dans un temps d&eacute;cal&eacute;. Par ce d&eacute;calage dans la dur&eacute;e, on entre dans le retour vers les origines, vers de l&rsquo;ancien, vers un primordial qui touche &agrave; l&rsquo;initiation, c&rsquo;est-&agrave;-dire aux m&eacute;tamorphoses. Autant de postures qui pourraient donner aux &eacute;v&eacute;nements v&eacute;cus par les lib&eacute;r&eacute;s des camps comme aux &eacute;v&eacute;nements v&eacute;cus par les lib&eacute;r&eacute;s de l&rsquo;Occupation une forme initiatique centr&eacute;e sur la perte et sur la mort. Il serait alors possible d&rsquo;avancer que la transmission par le non-dit correspond &agrave; une &eacute;tape initiatique consistant &agrave; transmettre des repr&eacute;sentations.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Dans cette perspective, construite de toutes pi&egrave;ces, et avec cet argument majeur d&acute;une ignorance partag&eacute;e entre les protagonistes, la m&eacute;thode, inspir&eacute;e de cette situation paradoxale de la r&eacute;ponse normale adapt&eacute;e &agrave; une situation anormale, pose plus de questions qu&rsquo;elle n&rsquo;apporte de r&eacute;ponses. Mais ces questions m&eacute;ritent d&rsquo;&ecirc;tre mises &agrave; jour et de se voir pos&eacute;es car elles int&eacute;ressent l&rsquo;avenir de la d&eacute;portation et concernent ce que n&rsquo;ont pu en faire les d&eacute;port&eacute;s et ce dont vont h&eacute;riter les descendants de ces d&eacute;portations-transportations. Ce dont ils vont h&eacute;riter, ou se voir transmettre, ce sont des interrogations crisp&eacute;es autant qu&rsquo;anxieuses, ce sont des questionnements organis&eacute;s autour de ce qui fait l&rsquo;humain dans l&rsquo;homme, c&rsquo;est-&agrave;-dire ce qui fait sa dignit&eacute; par le fait de pouvoir s&rsquo;opposer &agrave; toutes tentatives d&rsquo;appropriation et de manipulation de son corps.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Faire face et r&eacute;pondre ou se conformer &agrave; cette exigence de rester ma&icirc;tre de soi-m&ecirc;me correspond, dans cette perspective, &agrave; rendre sensible un objet absent (ou un concept) au moyen d&rsquo;une image, d&rsquo;un signe (pictogramme, diagramme, symbole ou embl&egrave;me&hellip;) qui devient la repr&eacute;sentation mat&eacute;rielle de quelque chose d&rsquo;immat&eacute;riel&nbsp;: la repr&eacute;sentation mat&eacute;rielle, par une figure, d&rsquo;une chose abstraite. Les propositions d&rsquo;images se succ&eacute;dant montre bien que ces repr&eacute;sentations, d&eacute;clench&eacute;es et rappel&eacute;es par ces images, ne correspondent pas &agrave; un spectacle, au spectacle qu&rsquo;on se donne &agrave; soi sur la sc&egrave;ne de la consultation, celle de l&rsquo;entretien ou sur la sc&egrave;ne du monde. <span style="letter-spacing:-.1pt">Un spectacle qui se d&eacute;roule sous le regard du th&eacute;rapeute, du consultant ou sous celui du spectateur, puise dans l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;on s&rsquo;en fait et vient activer les capacit&eacute;s d&rsquo;&eacute;laboration des d&eacute;port&eacute;s qui se pr&ecirc;tent &agrave; cette exp&eacute;rience. En cela, cette triple d&eacute;marche incluant le Rorschach permet de transmettre, par procuration, des repr&eacute;sentations auditives, visuelles, des impressions olfactives&hellip; &laquo;&nbsp;L&agrave;, dans le gris vert (Pl&nbsp;:&nbsp;8) la soupe aux choux. Un sentiment de tendresse, de chaleur&hellip; ce soir-l&agrave;.&nbsp;&raquo; On assiste ainsi &agrave; une sorte de retour sur soi, de renvoi aux origines fortement &eacute;vocateur de ce que convoquent l&rsquo;initiation comme point de rassemblement des repr&eacute;sentations. Transmettre par le non-dit, transmettre ce qui n&rsquo;est pas dicible ni m&ecirc;me repr&eacute;sentable revient &agrave; transmettre des repr&eacute;sentations comme voies(x) d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; un autre monde&nbsp;: celui du symbolique.</span></span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">LE RAPPORT AU SYMBOLIQUE</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Cette sc&eacute;nographie psychologique en trois &eacute;tapes a permis de donner une signification &agrave; l&rsquo;impossible &agrave; dire des d&eacute;port&eacute;s, de comprendre mieux les limites de leurs &eacute;prouv&eacute;s et de leurs ressentis et, surtout, de voir comment ces non-dits pouvaient pr&eacute;parer une sorte d&rsquo;initiation pour acc&eacute;der &agrave; ce qui s&rsquo;apparente &agrave; une m&eacute;tamorphose. &Agrave; une d&eacute;couverte mise en mots dans le &laquo;&nbsp;Je est un autre&nbsp;&raquo; rimbaldien<a name="_ftnref13"></a><a href="#_ftn13"><sup><span style="color:black">[13]</span></sup></a>, &agrave; cet impossible, &agrave; cet incroyable, &agrave; cet inou&iuml; &agrave; penser, c&rsquo;est-&agrave;-dire aux m&eacute;canismes instinctivo-pulsionnels. &Agrave; ce que les experts des n&eacute;vroses traumatiques de guerre nomment &laquo;&nbsp;capacit&eacute;s de coping&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref14"></a><a href="#_ftn14"><sup><span style="color:black">[14]</span></sup></a> et que les d&eacute;port&eacute;s rangent sous la rubrique des &laquo;&nbsp;terrhorrifications&nbsp;&raquo;, soit encore des r&eacute;ponses d&eacute;raisonnables face &agrave; des situations d&eacute;raisonnables pour revenir &agrave; la raison. Soit un d&eacute;tour par la d&eacute;raison pour parvenir &agrave; la raison, un d&eacute;tour dont les d&eacute;port&eacute;s furent les initiateurs en passant du stade de la peur de la mort pour conserver la vie, &agrave; la peur de la vie pour prot&eacute;ger la mort ou pour pr&eacute;server sa dignit&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire pour sauvegarder ce qu&rsquo;il y a d&rsquo;humain dans le vivant assign&eacute; au silence. Ce sont ces paradoxes, ces situations insolites, cet intransmissible de l&rsquo;inou&iuml; avec lesquels se prom&egrave;nent les d&eacute;port&eacute;s des camps. Ces aspects, enferm&eacute;s dans le mutisme, sont susceptibles de venir &eacute;clairer ce vaste mouvement de suicide altruiste que d&eacute;couvrent, sous la pouss&eacute;e djihadiste, nos soci&eacute;t&eacute;s occidentales. Ce rappel de l&rsquo;hier d&eacute;port&eacute; d&eacute;chire la cape d&rsquo;invisibilit&eacute; dont est envelopp&eacute; le &laquo;&nbsp;c&rsquo;est pas possible&nbsp;&raquo;, ce voile du d&eacute;ni qui a pu s&eacute;parer les d&eacute;port&eacute;s de leurs proches de leurs ascendants et descendants, de leurs h&eacute;ritiers. O&ugrave; l&rsquo;on observe, dans ces moments forts et non repr&eacute;sentables, chez les d&eacute;port&eacute;s volontaires, une confusion entre l&rsquo;instinctuel et le pulsionnel, une confusion qui tient de la survie, une confusion entre corps et pens&eacute;e&nbsp;; entre n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;ignorer ce corps douloureux pour pr&eacute;server la pens&eacute;e et n&eacute;cessit&eacute; de le respecter, ce corps-l&agrave;, pour se prot&eacute;ger de la souffrance psychique.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Peut-on mettre sur le m&ecirc;me plan le silence des corps d&eacute;port&eacute;s avec celui des camps&nbsp;? L&rsquo;histoire parle des camps de d&eacute;port&eacute;s&nbsp;; peu de celle des corps d&eacute;port&eacute;s ou de d&eacute;port&eacute;s. Quant &agrave; la m&eacute;decine, elle para&icirc;t les avoir n&eacute;glig&eacute;s ou, tout au moins, avoir conc&eacute;d&eacute; de r&eacute;duire les souffrances psychiques et les corps malmen&eacute;s aux ph&eacute;nom&egrave;nes de douleur et &agrave; la symptomatologie somatique. En somme, la r&eacute;duction du psychique au biologique pourrait, pour partie, rendre compte du silence des d&eacute;port&eacute;s sur leurs apports &agrave; la compr&eacute;hension des violences contemporaines.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Il est des choses qui peuvent &ecirc;tre entendues. Et d&rsquo;autres beaucoup moins. R&eacute;pondre &agrave; une question d&rsquo;ordre psychologique par un argument du m&ecirc;me registre n&rsquo;est pas entendable. Il y est g&eacute;n&eacute;ralement r&eacute;pondu par un argument biologique. Sur ce terrain, les d&eacute;port&eacute;s ont appris &agrave; se taire. Ce qui a trait au symbolique a d&ucirc; c&eacute;der devant le r&eacute;el et les principes furent rel&eacute;gu&eacute;s aux rangs du d&eacute;risoire par ceux qui imposaient les contraintes. Paradoxalement, ce d&eacute;risoire devint l&rsquo;arme de r&eacute;sistance des d&eacute;port&eacute;s dans les camps. Or, ces personnes qui ont su accepter de participer &agrave; nos travaux sont des sujets r&eacute;put&eacute;s en bonne sant&eacute; physique et psychologique. Ils ont parl&eacute;, dans notre dispositif, une langue de devant la mort, la langue du silence de ceux qui avaient franchi le Rubicon&nbsp;: &laquo;&nbsp;avec mon copain de baraquement, mort du typhus, on rigole bien les jours de comm&eacute;moration. On met notre pyjama ray&eacute;. Le pantalon, c&rsquo;est le mien, la veste c&rsquo;est la sienne. Et on nous voit tous les deux sous l&rsquo;Arc de Triomphe&hellip;&nbsp;&raquo; (en planche&nbsp;10). Il voyait &laquo;&nbsp;la Tour Eiffel. Cette tour montait jusqu&rsquo;au Trocad&eacute;ro, empruntait l&rsquo;avenue Kl&eacute;ber et d&eacute;bouchait sur l&rsquo;Arc de Triomphe pour prendre sa place&nbsp;&raquo;. La langue est ici celle du &laquo; apr&egrave;s la mort&nbsp;&raquo;, celle de ceux qui n&rsquo;en sont pas revenus et qui usent de curieux d&eacute;tours pour se faire entendre et susciter des interrogations&nbsp;:</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">1.&nbsp;qui croire, et quoi croire&nbsp;? (ouvrant les portes de l&rsquo;interpr&eacute;tation)</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">2.&nbsp;quoi comprendre, et comment y parvenir&nbsp;? (ouvrant les portes de l&rsquo;identification)</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">3.&nbsp;qui suis-je&nbsp;? (ouvrant les portes de la crise identitaire. Concilier l&rsquo;intime et le collectif).</span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">CONCLUSION</span></span></span></b></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Il serait vain, pr&eacute;matur&eacute; et bien pr&eacute;somptueux de pr&eacute;tendre conclure sur cette mise en place d&rsquo;un cadre dans lequel notre rencontre avec les d&eacute;port&eacute;s volontaires a pu se d&eacute;rouler. Un cadre fond&eacute; sur une ignorance r&eacute;ciproque et ouvert &agrave; l&rsquo;inattendu, celui de la surprise et de la complicit&eacute; sur ce qu&rsquo;il convient de garder silencieux&nbsp;:</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">1.&nbsp;l&rsquo;horreur et le carnage qui ne peuvent se dire en aucun code ou se transmettre par les voies habituelles</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">2.&nbsp;conserver le masque des convenances plut&ocirc;t qu&rsquo;admettre de vivre dans un autre univers, et selon un code qui vient brouiller celui du &laquo; vivre ensemble &raquo; propre &agrave; la population qui voulait bien les accueillir</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">3.&nbsp;conviction d&rsquo;une incompr&eacute;hension r&eacute;ciproque, source d&rsquo;un malentendu au quotidien, entre les institutions d&rsquo;&Eacute;tat, l&rsquo;institution familiale et les initiatives individuelles ou sociales.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">De fa&ccedil;on impr&eacute;vue, ce qui a pu se profiler au d&eacute;cours de ces temps d&rsquo;intenses projection-introjection fut la mise en perspective de leur r&eacute;el quotidien autour de la souffrance-douleur d&rsquo;un corps &eacute;puis&eacute;, d&rsquo;une part, avec un recours quasi constant &agrave; la fonction symbolique qu&rsquo;ils pensaient &ecirc;tre la leur, d&rsquo;autre part. En cela, et avec pudeur sinon crainte, ils nous invitaient &agrave; passer de &laquo; la vie des morts parmi les vivants &raquo; &agrave; celle des vivants parmi les morts, en restaurant, ce faisant, la fonction symbolique d&eacute;clinante tout en montrant combien cette fonction avait pu les tenir debout et les maintenir vivant malgr&eacute; l&rsquo;acceptation de la mort de ce corps embarrassant.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Le deuxi&egrave;me corps de E. Kantorowicz<a name="_ftnref15"></a><a href="#_ftn15"><sup><span style="color:black">[15]</span></sup></a> prend ici toute sa signification &laquo;&nbsp; le roi est mort, vive le roi&nbsp;&raquo; ou, plus proche de nous, Fran&ccedil;ois Mitterrand est mort, vive la fonction pr&eacute;sidentielle&nbsp;! Les d&eacute;port&eacute;s ne savent plus tr&egrave;s bien la valeur de telles d&eacute;clarations aujourd&rsquo;hui. Ce qu&rsquo;ils savent, en revanche, c&rsquo;est la valeur des symboles dans lesquels ils vivent depuis leur retour, celle de ces symboles qui les rassemblent en faisant d&rsquo;eux des &eacute;trangers dans le monde contemporain, c&rsquo;est-&agrave;-dire des inclassables portant haut la banni&egrave;re de la droiture et de la solidarit&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">La valeur de ces symboles tourne autour de la pr&eacute;valence de l&rsquo;immat&eacute;riel sur le mat&eacute;riel, de l&rsquo;incorporel sur le corporel, de l&rsquo;indicible sur ce qui est proclam&eacute;, du silence et du recul sur le bavardage et la r&eacute;action. Ces notions rendent mieux compte de la distance qu&rsquo;on peut observer entre les h&eacute;ritiers de la d&eacute;portation et leurs parents d&eacute;port&eacute;s, de cette absence de communication que les premiers plus que les seconds d&eacute;plorent, en se d&eacute;tournant des engagements de leurs ascendants. Ils paraissent pr&ecirc;ter &agrave; ces d&eacute;port&eacute;s un savoir que les int&eacute;ress&eacute;s eux-m&ecirc;mes ignorent d&eacute;tenir, avec cette pr&eacute;cision cependant que ces h&eacute;ritiers sont convaincus que ce savoir leur est dissimul&eacute; &agrave; dessein. Pour exprimer les choses plus clairement, ces &eacute;trangers que sont les d&eacute;port&eacute;s le sont par le fait de cette sacralisation dans laquelle les m&eacute;moriaux comme les comm&eacute;morations les ont enferm&eacute;s. Ils sont devenus, avant terme, des morts parmi les vivants.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">De ce point de vue, l&rsquo;approche pose des probl&egrave;mes difficiles &agrave; envisager, &agrave; la fois aux psychologues et aux psychanalystes. Difficiles en cela qu&rsquo;il s&rsquo;agit de deux mondes distincts&nbsp;: celui des symboles et celui des faits. Est-il seulement acceptable de comparer ce qui n&rsquo;est pas comparable, ou d&rsquo;appr&eacute;cier avec ce que l&rsquo;on sait des choses qu&rsquo;on ne conna&icirc;t pas. Une invite en somme, &agrave; repenser ce que nous savons des th&eacute;ories traumatiques. Les d&eacute;port&eacute;s nous am&egrave;nent sur un terrain psychologique nouveau, un terrain qui oblige &agrave; se demander ce que nous savons des rapports que chacun d&rsquo;entre nous entretient avec son corps, avec le corps d&rsquo;autrui, avec les corps institutionnels et ceux de l&rsquo;<span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>tat, &agrave; se demander ce que nous savons de l&rsquo;esprit de corps pourtant si bien d&eacute;velopp&eacute; par les fondations de d&eacute;port&eacute;s.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Ce moment de passage a pu rappeler l&rsquo;initiation philosophique des anciennes &eacute;coles de pens&eacute;e, soit un temps de tourisme dans la vie int&eacute;rieure d&rsquo;un monde ant&eacute;rieur. Autant d&rsquo;arguments donnant corps au pr&eacute;sent par le canal des symboles. Ce temps fait des d&eacute;port&eacute;s &agrave; la fois les miroirs et les m&eacute;moires qui rel&egrave;vent de la deuxi&egrave;me personne, c&rsquo;est-&agrave;-dire du deuxi&egrave;me corps.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Une modeste visite dans les sous-sols du m&eacute;morial de Caen donne consistance &agrave; ce deuxi&egrave;me corps. Les richesses qu&rsquo;il enferme apportent avec notre travail (tout au moins le croyons-nous) une approche tout &agrave; fait singuli&egrave;re &agrave; la compr&eacute;hension des ph&eacute;nom&egrave;nes de violences contemporaines, une compr&eacute;hension dont nous nous privons dans une p&eacute;riode, pourtant, o&ugrave; l&rsquo;exp&eacute;rience d&eacute;port&eacute;e pourrait donner une bonne vision du rapport au corps et &agrave; la mort qu&rsquo;entretiennent les terroristes, adeptes du suicide altruiste. Et la question pos&eacute;e reste de se demander ce que nous avons fait de l&rsquo;exp&eacute;rience des d&eacute;port&eacute;s, sinon de la sceller dans le marbre.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">On voudrait solliciter les chercheurs en &eacute;pig&eacute;n&eacute;tique et les inviter &agrave; nous dire s&rsquo;il est possible de souffrir des trag&eacute;dies v&eacute;cues par nos anciens, d&rsquo;une part, et de bien vouloir nous &eacute;clairer sur cette &eacute;ventuelle transmission qu&rsquo;on pourrait appeler transmission par le non-dit, d&rsquo;autre part. Car chacun peut accepter cette question&nbsp;: est-il concevable que le silence puisse se transmettre ou soit v&eacute;hicule de cette transmission&nbsp;? Ces questions se sont impos&eacute;es d&rsquo;embl&eacute;e lorsqu&rsquo;on s&rsquo;est efforc&eacute; de mettre en place un mod&egrave;le conceptuel (notre dispositif) qui permette de surmonter la barri&egrave;re du silence des d&eacute;port&eacute;s ou celles de nos cat&eacute;gories de pens&eacute;e. En acceptant qu&rsquo;un m&ecirc;me &eacute;v&eacute;nement suscite des points de vue diff&eacute;rents selon les lieux, la langue, les valeurs&hellip; d&rsquo;o&ugrave; et avec lesquels il est regard&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica">Un symbole n&rsquo;a de valeur que par ce qu&rsquo;il exprime ou par ce qu&rsquo;il &eacute;voque. Et cela vaut pour la psychoth&eacute;rapie, qui a uniquement une valeur dans ce qu&rsquo;elle lib&egrave;re ou met au travail chez l&rsquo;analysant. Ce que nous appelons &laquo;&nbsp;clinique des effets produits&nbsp;&raquo;, et qui nous introduit dans un autre monde, nous fait acc&eacute;der &agrave; une autre cat&eacute;gorie de pens&eacute;e. Le monde des symboles auquel eurent recours les d&eacute;port&eacute;s au temps de leur d&eacute;portation, celui de leur &laquo; revivance&nbsp;&raquo;, de leur seconde naissance, et qui les distingue nettement de leurs h&eacute;ritiers, ou encore de leur premier corps pour reprendre les termes de Kantorowicz &agrave; propos du corps du roi.</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> J.-P. Baud, <i>L&rsquo;Affaire de la main vol&eacute;e. Une histoire juridique du corps, </i>Paris, Seuil.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> S. Loyd, <i>Le Jeu de Tamgram,</i> 1903. Popularisation du jeu de Taquin en 1891. Ce puzzle de Sam Loyd est un damier de 4 cases comportant 15 pions num&eacute;rot&eacute;s de 1 &agrave; 15, ces pions ne peuvent se d&eacute;placer sur un plateau seulement par glissement dans l&rsquo;unique case vide &agrave; un moment donn&eacute;. Ce jouet math&eacute;matique fut surtout connu par les &eacute;l&egrave;ves des classes primaires durant les ann&eacute;es 1960, notamment pour l&rsquo;apprentissage de l&rsquo;alphabet et de l&rsquo;&eacute;criture.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> D. Cru et J. Oury, &laquo; Louper la fa&ccedil;ade &raquo;, <i>Chim&egrave;res,</i> n&deg; 84, &laquo; Avec Jean Oury &raquo;, Toulouse, <span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>r&egrave;s, 2014.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> H.F. Ellenberger, <i>Les Mouvements de lib&eacute;ration mythique et autres essais sur l&rsquo;histoire de la psychiatrie,</i> Montr&eacute;al, <span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>d. Quinze, 1978, &laquo;&nbsp;La vie et l&rsquo;&oelig;uvre de Hermann Rorschach (1884-1922)&nbsp;&raquo;[&laquo;&nbsp;The life and word of Hermann Rorschach&nbsp;&raquo;, <i>The Bulletin of the Menninger Clinic</i>, 1954], in <i>Les M&eacute;decines de l&rsquo;&acirc;me : essais d&rsquo;histoire de la folie et des gu&eacute;risons psychiques,</i> Paris, Fayard, 1995.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> P. Pichot, <i>Les Tests mentaux, </i>Paris, PUF, Coll. Que sais-je, 1954.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> N. Rausch de Traubenberg, <i>La Pratique du Rorschach,&nbsp;</i>Paris, PUF, coll. Le Psychologue, 1973.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> C. Chabert, <i>Le Rorschach en clinique adulte, </i>Paris, Dunod, 1983.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[8]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> F. Minkowska, <i>Le Rorschach &agrave; la recherche du monde des formes, </i>Paris, Descl&eacute;e de Brouwer, Biblioth&egrave;que neuropsychiatrique de langue fran&ccedil;aise, 1956.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[9]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> R.M. Palem, <i>Le Rorschach des schizophr&egrave;nes,</i> Paris, <span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>d. universitaires, 1969.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn10"></a><a href="#_ftnref10"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[10]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> J. Lighezzolo et C. de Tichey, &laquo; &Agrave; propos de la d&eacute;pression m&eacute;lancolique. Contribution du test de Rorschach en passation classique&raquo;, in <i>Psychologie m&eacute;dicale, </i>16, 14, pp. 2&thinsp;241-2&thinsp;450.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn11"></a><a href="#_ftnref11"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[11]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> O. Douville (dir.), <i>Les M&eacute;thodes cliniques en psychologie,</i> Paris, Dunod, 2006.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn12"></a><a href="#_ftnref12"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[12]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> M. Loosli-Usteri, <i>Manuel pratique du test de Rorschach,</i> Paris, Hermann, 1969.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn13"></a><a href="#_ftnref13"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[13]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> A. Rimbaud,<i> &OElig;uvres compl&egrave;tes, </i>Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2004, Correspondances, lettre &agrave; Georges Izambard, Charleville, 13 mai 1871, p. 224.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn14"></a><a href="#_ftnref14"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[14]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> C. Barrois, <i>Les N&eacute;vroses traumatiques. Le psychoth&eacute;rapeute face aux d&eacute;tresses des chocs psychiques,</i> Paris, Dunod, coll. Psychisme, 1988.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn15"></a><a href="#_ftnref15"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:blue">[15]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"> <span style="letter-spacing:-.2pt">E. Kantorowicz, <i>&OElig;uvres. Les deux corps du roi. Essai sur la th&eacute;ologie politique au Moyen <span style="text-transform:uppercase">&acirc;</span>ge,</i> Paris, Gallimard, coll. Quarto, 2000, pp. 645-1217. Le premier corps est le corps anatomique et le deuxi&egrave;me, le corps symbolique.</span></span></span></span></span></p>