<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Sarah Kofman &eacute;crit en 1987 dans <i>Paroles suffoqu&eacute;es </i>: &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Sur Auschwitz et apr&egrave;s Auschwitz, pas de r&eacute;cit possible, si par r&eacute;cit l&rsquo;on entend : raconter une histoire d&rsquo;&eacute;v&eacute;nements faisant sens.</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo;<a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a> Mais les r&eacute;cits n&rsquo;ont pas manqu&eacute; et se sont m&ecirc;me multipli&eacute;s<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a> posant et reposant sans cesse au lecteur deux questions : celle de la l&eacute;gitimit&eacute; de la repr&eacute;sentation de l&rsquo;extermination et celle de la nature de son fonctionnement scriptural.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">On se souviendra ici de Jean Cayrol</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> et de Georges Perec. Le premier, en 1953 d&eacute;j&agrave;, avan&ccedil;ant : &laquo; Une bonne intrigue concentrationnaire, un bourreau-maison, quelques squelettes, <span style="letter-spacing:-.1pt">une l&eacute;g&egrave;re fum&eacute;e de Krema au-dessus </span>de tout cela et nous pouvons avoir le prochain best-seller qui fera fr&eacute;mir l&rsquo;Ancien et le Nouveau Monde. Car il se passe quelque chose de significatif que nous devons signaler. Le camp de concentration est devenu une image, une fiction, une fable. C&rsquo;en est fini des t&eacute;moignages d&rsquo;hommes stup&eacute;faits par ce qu&rsquo;ils avaient v&eacute;cu.</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo;<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></a></span></span><sup>&thinsp;</sup><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">; le second soulignant, dix ans plus tard, chez Robert Antelme &agrave; propos de la <i>cr&eacute;ation litt&eacute;raire</i> dans <i>L&rsquo;Esp&egrave;ce humaine </i>qu&rsquo;elle articule les traits suivants : &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">organisation de la mati&egrave;re sensible, invention d&rsquo;un style, d&eacute;couverte d&rsquo;un certain type de relations entre les &eacute;l&eacute;ments du r&eacute;cit, hi&eacute;rarchisation, int&eacute;gration, progression, brisant l&rsquo;image imm&eacute;diate et inop&eacute;rante que l&rsquo;on se fait de la r&eacute;alit&eacute; concentrationnaire &raquo;<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a></span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black">.</span></span>&thinsp;</span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Je souhaite donc donner un modeste &eacute;cho &agrave; ce qu&rsquo;il est advenu de ces prises de position, cat&eacute;goriques &agrave; juste titre, en tentant de mesurer, &agrave; travers un corpus d&rsquo;exemples repr&eacute;sentatifs et de qualit&eacute;s contrast&eacute;es, limit&eacute; en l&rsquo;occurrence &agrave; des romans fran&ccedil;ais du XX<sup>e</sup> si&egrave;cle finissant et du XXI<sup>e</sup> d&eacute;butant, comment un inhumain litt&eacute;ralement inou&iuml; et in&eacute;dit a pu &eacute;ventuellement r&eacute;ussir &agrave; &ecirc;tre mis en relation sp&eacute;cifique et pertinente avec ce qui rel&egrave;verait d&rsquo;une compr&eacute;hension par l&rsquo;humain.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Je commencerai par des fictions situ&eacute;es, pour l&rsquo;essentiel, au c&oelig;ur m&ecirc;me du syst&egrave;me concentrationnaire et dont elles reprennent nombre d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments constitutifs reconnus.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Avec <i>Kinderzimmer </i>(Actes Sud, 2013), Valentine Goby donne &agrave; lire une &eacute;vocation d&rsquo;une tension angoissante car fond&eacute;e sur la r&eacute;alit&eacute; la plus crue et d&eacute;montant avec une pr&eacute;cision implacable les al&eacute;as et les paradoxes d&rsquo;une vie &agrave; la fois constamment menac&eacute;e et compromise et susceptible n&eacute;anmoins de continuer.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">En voici la trame r&eacute;v&eacute;latrice.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Mila, jeune r&eacute;sistante fran&ccedil;aise et enceinte de trois mois, arrive en avril 1944 au camp de Ravensbr&uuml;ck o&ugrave; elle d&eacute;couvre l&rsquo;existence paradoxale d&rsquo;une pouponni&egrave;re. Elle est affect&eacute;e au d&eacute;chargement des wagons dans lesquels s&rsquo;entassent les butins des pillages op&eacute;r&eacute;s par les Allemands en Europe mais r&eacute;ussit &agrave; changer d&rsquo;activit&eacute; en se faisant affecter dans un atelier de couture jusqu&rsquo;&agrave; son accouchement d&rsquo;un petit gar&ccedil;on qu&rsquo;elle appelle James. Les enfants de la pouponni&egrave;re qui disparaissent plus rapidement que d&rsquo;autres permettent &agrave; ceux-ci de subsister quelque peu gr&acirc;ce &agrave; la r&eacute;cup&eacute;ration de t&eacute;t&eacute;es de m&egrave;res diff&eacute;rentes. James meurt et est remplac&eacute; par le petit Sacha. Transf&eacute;r&eacute;s dans une ferme voisine du camp, Mila et Sacha survivent jusqu&rsquo;&agrave; la lib&eacute;ration des lieux par les Russes en 1945. Recueillis par la Croix-Rouge, ils arrivent au Lutetia, Mila pouvant reprendre son vrai nom, Suzanne Langlois, et se trouvant en mesure &agrave; pr&eacute;sent d&rsquo;adopter Sacha. Elle ne lui racontera la vraie histoire que vingt ans apr&egrave;s<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Ainsi que l&rsquo;affirme Simone Veil dans la pr&eacute;face qu&rsquo;elle a donn&eacute;e &agrave; <i>L&rsquo;Etoile noire </i>(Oh! Editions, 2006) de Michelle Maillet, &laquo;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">ce roman (...) r&eacute;ussit &agrave; aborder la question de la pr&eacute;sence des Noirs dans les camps nazis et &agrave; traiter de la Shoah, avec en arri&egrave;re-plan, la m&eacute;moire de l&rsquo;esclavage, sans tomber pour autant dans le pi&egrave;ge d&rsquo;une rivalit&eacute; des m&eacute;moires qui irait de pair avec une hi&eacute;rarchisation des souffrances &raquo; (p. II).</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt">On peut en effet suivre ce fil significatif &agrave; travers le destin de Sidonie, une Noire martiniquaise qui travaille &agrave; Bordeaux chez une dame fran&ccedil;aise juive, avec ses deux enfants jumeaux, une fillette, Nicaise et un gar&ccedil;onnet, D&eacute;sir&eacute; rafl&eacute;s un matin et d&eacute;port&eacute;s &agrave; Auschwitz. Arriv&eacute;s l&agrave;, femmes et hommes sont s&eacute;par&eacute;s et la petite Nicaise meurt d&rsquo;&eacute;puisement tandis que Sidonie est embarqu&eacute;e pour Ravensbr&uuml;ck dont elle m&egrave;ne l&rsquo;atroce existence et qu&rsquo;elle essaye de consigner dans un petit carnet. Elle est envoy&eacute;e finalement &agrave; Mauthausen.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase"><span style="letter-spacing:.2pt">&eacute;</span></span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">mile Brami, auteur d&rsquo;<i>Histoire de la poup&eacute;e </i>(<span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>criture, 2000), prend d&eacute;lib&eacute;</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">r&eacute;ment le parti de remettre en cause son propre livre, disant que l&rsquo;oubli emportera tout puisqu&rsquo;il n&rsquo;est capable de fournir &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">que la pauvre tautologie d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; effroyable</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo; (p.</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">24). Il y reviendra &agrave; plusieurs reprises dans l&rsquo;ouvrage, scandant et interrompant de la sorte son d&eacute;roulement tout entier mais, ce faisant et paradoxalement, mettant par l&agrave; &eacute;galement en &eacute;vidence le caract&egrave;re sp&eacute;cifique d&rsquo;une souffrance dont on ne sort pas et comme rapport&eacute;e en double.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Cette poup&eacute;e de bois est celle que le p&egrave;re de la jeune Maria lui avait fabriqu&eacute;e &agrave; Kielce, au temps du ghetto, qu&rsquo;elle avait pu emporter jusqu&rsquo;au camp et garder sur place, elle avait 13</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">ans. C&rsquo;est donc la vie de la jeune fille apr&egrave;s son arriv&eacute;e avec son p&egrave;re, lequel est imm&eacute;diatement gaz&eacute;, qui nous est racont&eacute;e. Cette vie la voit livr&eacute;e &agrave; la prostitution dans le bordel du camp avant d&rsquo;&ecirc;tre lib&eacute;r&eacute;e par les troupes sovi&eacute;tiques. Elle regagne Kielce en juin 1946 o&ugrave; elle &eacute;chappe au pogrom, rejoint la France et part pour Tunis dans les ann&eacute;es 50 o&ugrave; elle est mal re&ccedil;ue par ailleurs. Elle y rencontre l&rsquo;auteur enfant et lui fait cadeau de sa poup&eacute;e avant de se suicider dans le golfe de la ville. La mer rejettera son corps quelques semaines plus tard.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">C&rsquo;est quasiment un r&eacute;cit en prose po&eacute;tique mais &ocirc; combien impressionnante qu&rsquo;Antoine Choplin pr&eacute;sente avec <i>Une For&ecirc;t d&rsquo;arbres creux </i>(La Fosse aux ours, 2015) tant le tragique en est sobre et d&eacute;pouill&eacute;. L&rsquo;intrigue se noue dans le ghetto de Terezin situ&eacute; au c&oelig;ur de ladite for&ecirc;t</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt"> et o&ugrave; arrive le dessinateur </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.5pt">Bedrich Fritta (1906-1944). Il est enga</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">g&eacute; avec d&rsquo;autres, architectes et graphistes, pour am&eacute;nager les b&acirc;timents du lieu et construire, entre autres, un crematorium. Entre-temps, la nuit, ces hommes essaient de rendre compte par des dessins et des peintures qu&rsquo;il dissimulent, la vraie r&eacute;alit&eacute; de l&rsquo;endroit pour qu&rsquo;elle soit (re)connue un jour. Mais la cachette est d&eacute;couverte. Ils sont amen&eacute;s en train.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Je poursuivrai par trois illustrations de la pr&eacute;sence du camp apr&egrave;s sa disparition factuelle et historique.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">&nbsp;Est-il possible de vivre &laquo;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">normalement</span></span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">&raquo; apr&egrave;s la guerre lorsqu&rsquo;on a r&eacute;sist&eacute; personnellement comme Allemand au nazisme mais qu&rsquo;un tr&egrave;s proche, en l&rsquo;occurrence un fils, en est marqu&eacute; de mani&egrave;re ind&eacute;l&eacute;bile ? C&rsquo;est la question dont traite Oriane Jeancourt Galignani dans <i>Hadamar </i>(Grasset et Fasquelle, 2017).</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">&agrave;</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> la fin de 1945, le camp de Dachau est lib&eacute;r&eacute;. Franz M&uuml;nz, r&eacute;sistant <span style="letter-spacing:.1pt">allemand donc et opposant au III<sup>e</sup> Reich en sort</span>, regagnant d&rsquo;abord sa maison de L&uuml;gendorf, sa ville natale, et se <span style="letter-spacing:.1pt">mettant &agrave; la recherche de son fils</span> Kasper qui fut inscrit un temps aux Jeunesses hitl&eacute;riennes. C&rsquo;est &agrave; L&uuml;gendorf qu&rsquo;il apprend l&rsquo;existence de l&rsquo;h&ocirc;pital d&rsquo;Hadamar dans lequel Kasper pourrait travailler ou avoir travaill&eacute;. Hadamar est une institution qui regroupait les schizophr&egrave;nes, les handicap&eacute;s mentaux et, depuis 1943, des enfants demi-juifs ayant &eacute;chapp&eacute; &agrave; Nuremberg. C&rsquo;est, en r&eacute;alit&eacute;, &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">le lieu o&ugrave; <span style="letter-spacing:-.1pt">l&rsquo;autre chose a commenc&eacute;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&raquo; (p. 127), </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">un centre d&rsquo;euthanasie dont ceux qui en d&eacute;pendent sont gaz&eacute;s et incin&eacute;r&eacute;s. Un officier des lib&eacute;rateurs am&eacute;ricains, l<span style="letter-spacing:-.1pt">e capitaine Wilson, qui conna&icirc;t Hadamar </span>et l&rsquo;adresse de Kasper, promet &agrave; Franz de les remettre en pr&eacute;sence si ce dernier accepte, en tant qu&rsquo;Allemand non nazi, de d&eacute;crire les lieux et les faits av&eacute;r&eacute;s dans le d&eacute;tail de leurs &eacute;pouvantables r&eacute;alit&eacute;s, les Am&eacute;ricains souhaitant organiser le proc&egrave;s des principaux bourreaux d&rsquo;Hadamar. Deux de ceux-ci sont arr&ecirc;t&eacute;s et interrog&eacute;s sur leurs cruelles pratiques et Franz apprend ainsi au passage ce que son fils a fait. Il refuse d&egrave;s lors d&rsquo;&eacute;crire le texte promis pour le proc&egrave;s, revoit son fils qui lui raconte les actes commis avec la <i>Hitlerjugend</i> et lui apprend qu&rsquo;il est devenu exclusivement tailleur de bois. Difficile donc, voire impossible, de d&eacute;dramatiser ou de suspendre, f&ucirc;t-ce un temps et m&ecirc;me pour des raisons &eacute;thiques, la pr&eacute;sence de telles vicissitudes...</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Un autre cas de figure douloureux succ&eacute;dant imm&eacute;diatement aux ann&eacute;es dramatiques, mais ici du c&ocirc;t&eacute; fran&ccedil;ais et non sans analogie cependant avec le </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">r&eacute;cit pr&eacute;c&eacute;dent, est celui qu&rsquo;Elena Costa</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> expose dans <i>Daniel Avner a disparu </i>(Gallimard, 2015). Ce dernier est le seul &agrave; ne pas avoir &eacute;t&eacute; pris dans la rafle qui a enlev&eacute; sa grand-m&egrave;re, ses parents et sa s&oelig;ur</span></span></span><i> </i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">disparus &agrave; Auschwitz. <span style="text-transform:uppercase">&agrave;</span> partir de 1946, il a 13 ans, son grand-p&egrave;re le contraint d&rsquo;aller les attendre tous les jours &agrave; l&rsquo;h&ocirc;tel Lutetia que rejoignent les rescap&eacute;s des camps. Contrainte il y a en effet, le vieil homme n&rsquo;acceptant pas qu&rsquo;il ait surv&eacute;cu, le rouant de coups de ceinture et de r&egrave;gle, le traitant aussi de <i>Sonderkommando.</i> Daniel accepte cette violence au nom du souvenir qu&rsquo;il veut pr&eacute;server tout en entrant n&eacute;anmoins, au fil du temps, dans une existence ordinaire, par exemple se mariant et devenant p&egrave;re. Mais son incapacit&eacute; &agrave; s&rsquo;accepter comme survivant rena&icirc;t et la persistance de son sentiment de culpabilit&eacute; le conduit m&ecirc;me &agrave; rompre tout contact avec son fils, lequel se trouve ainsi &agrave; son tour plong&eacute; dans l&rsquo;obscurit&eacute;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;action de <i>L&rsquo;Origine de la violence</i> (Le Passage <span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>ditions, 2009) de Fabrice Humbert, largement post&eacute;rieure cette fois &agrave; la p&eacute;riode-cl&eacute;, est une incarnation possible de la cruelle &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">banalit&eacute; du mal</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo; &agrave; travers les liens du sang et la d&eacute;couverte de d&eacute;mesures initiales transmises ensuite en h&eacute;ritage.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">Dans le cadre d&rsquo;une visite au camp de Buchenwald avec ses &eacute;l&egrave;ves, un jeune enseignant avise dans une salle </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">d&rsquo;exposition la photographie d&rsquo;un prisonnier ressemblant tr&egrave;s fort &agrave; son p&egrave;re. Il en parle &agrave; son retour et entame des recherches qui d&eacute;bouchent sur l&rsquo;identit&eacute; du d&eacute;tenu &agrave; savoir David Wagner, son grand-p&egrave;re mort sur place et dont il entreprend de faire revivre le nom et le </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">destin. Se trouve ainsi reconstitu&eacute; <span style="letter-spacing:.1pt">l&rsquo;univers concentrationnaire avec ses tenants et aboutissants servant de r&eacute;f&eacute;rences et de toile de fond aux aventures de tous ordres des Fabre-</span><span style="letter-spacing:-.3pt">Wagner, berceau et famille du narrateur<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></a></span><span style="letter-spacing:-.1pt">.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Si les livres signal&eacute;s jusqu&rsquo;ici mettent en sc&egrave;ne de mani&egrave;re acceptable les th&egrave;mes et motifs abord&eacute;s, des figurations discutables, &agrave; des degr&eacute;s divers naturellement, existent aussi. J&rsquo;ai retenu celles qui suivent en ce qu&rsquo;elles &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">exploitent</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo; le sujet de plus en plus gratuitement.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Le titre m&ecirc;me du roman d</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black">&#39;</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">ric Paradisi, <i>Blond cendr&eacute; </i>(Jean-Claude Latt&egrave;s, 2014), entend non seulement renvoyer &agrave; une r&eacute;alit&eacute; concentrationnaire re&ccedil;ue, la chevelure, mais tout aussi pr&eacute;cis&eacute;ment au m&eacute;tier de coiffeur qu&rsquo;exerce dans le ghetto de Rome Maurizio, l&rsquo;un des principaux protagonistes juifs de l&rsquo;histoire, ce st&eacute;r&eacute;otype se doublant, me semble-t-il, d&rsquo;un usage limite du qualifiant <i>cendr&eacute;</i>. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">C&rsquo;est l&agrave; que Maurizio rencontre Alba, r&eacute;sistante communiste engag&eacute;e, et qu&rsquo;ils tombent amoureux. Les nazis ayant succ&eacute;d&eacute; aux fascistes, il se retrouve &agrave; Auschwitz tandis qu&rsquo;elle est arr&ecirc;t&eacute;e, tortur&eacute;e et tu&eacute;e. Arriv&eacute; au camp et immatricul&eacute;, Maurizio y devient barbier, coiffant et r&eacute;cup&eacute;rant les cheveux dans les entassements de cadavres. Le temps passant, se mettent en place les marches de la mort, la sortie du camp et le retour &agrave; Rome o&ugrave; il reprend son m&eacute;tier. Sur place il est amen&eacute; &agrave; recroiser l&rsquo;un des miliciens qui ont tu&eacute; Alba et &agrave; l&rsquo;&eacute;gorger dans un parc public. Justice ainsi rendue, il s&rsquo;exile &agrave; Buenos-Aires o&ugrave; il ouvre un salon r&eacute;serv&eacute; aux femmes, se marie et se convertit au catholicisme, au terme donc d&rsquo;un itin&eacute;raire &eacute;difiant.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Ravensbr&uuml;ck mon amour</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> (L&rsquo;Atelier Mos&eacute;su, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">2015) de </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Stanislas Petrosky atteint un tel degr&eacute; de cruaut&eacute; exacerb&eacute;e et m&eacute;canique que le texte touche &agrave; l&rsquo;invraisemblable, le crayon de son person</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">nage principal, l&rsquo;artiste Gunther Frazentich, cens&eacute; sans doute par ailleurs servir utilement d&rsquo;alibi &agrave; ce d&eacute;cha&icirc;nement n&rsquo;y parvenant pas vraiment,</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.2pt">m&ecirc;me s&rsquo;il se montre de bonne foi</span></span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">En 1938, le r&eacute;gime nazi d&eacute;cide de construire une sorte de prison, qui constituera plus tard le camp de Ravensbr&uuml;ck destin&eacute; particuli&egrave;rement aux femmes, et, pour ce faire, enr&ocirc;le des travailleurs de la r&eacute;gion. Le jeune Gunther est engag&eacute; comme ouvrier et quand le camp se met &agrave; &laquo;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">fonctionner</span></span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&raquo;, il y devient <i>Kapo</i>. Il entreprend alors de </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">dessiner la vie se d&eacute;roulant dans ces lieux avec, surtout, son lot de violences. Reconnu et appr&eacute;ci&eacute; par l&rsquo;<i>Oberaufseherin</i></span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Mandl, la cheffe des gardiennes, il se m&eacute;tamorphose en illustrateur officiel du camp. Il dresse d&egrave;s lors un v&eacute;ritable catalogue d&rsquo;horreurs et de souffrances </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">de tous ordres qu&rsquo;il va trier et classer lorsqu&rsquo;il commence &agrave; envisager un r&ocirc;le de t&eacute;moin. Trois ans s&rsquo;&eacute;coulent ainsi au cours desquels il r&eacute;ussit &eacute;galement &agrave; camoufler des s&eacute;ries de dessins dans un mur int&eacute;rieur en construction</span></span><span dir="RTL" lang="AR-YE" style="font-family:&quot;Times New Roman&quot;"><span style="color:black">.</span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Tomb&eacute; amoureux d&rsquo;Edna, une d&eacute;port&eacute;e juive fran&ccedil;aise, il conna&icirc;t des moments heureux tout en continuant &agrave; dessiner et &agrave; peindre, par exemple Himmler ou les enfants de la <i>Kinderzimmer.</i> Son activit&eacute; faisant des envieux, il est parfois maltrait&eacute; mais ses r&eacute;alisations &eacute;tant indispensables, par exemple celle d&rsquo;un atlas m&eacute;dical des dissections, il s&rsquo;en tire malgr&eacute; tout. En avril 1945, les Russes mettent fin au camp<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a>.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Daniel Zimmermann, dans <i>L&rsquo;Anus du monde </i>(Le Cherche-Midi, 1996), fait arpenter &agrave; Fran&ccedil;ois Katz, h&eacute;ros d<span style="letter-spacing:-.1pt">e son roman, l&rsquo;espace-type Drancy-</span>Auschwitz-Treblinka. Il s&rsquo;agit pour lui, frais &eacute;moulu de Normale et rafl&eacute; presque par hasard &agrave; Paris, d&rsquo;y survivre. On voit ainsi se d&eacute;rouler une mani&egrave;re de <i>Bildungsroman</i> puisque le jeune homme du d&eacute;but qui faisait l&rsquo;impasse sur son appartenance juive, &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">juif en rien</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo; comme il dit et non circoncis, demande &agrave; l&rsquo;&ecirc;tre &agrave; la derni&egrave;re page, &agrave; la veille de l&rsquo;insurrection du camp de Treblinka. Dans l&rsquo;intervalle s&rsquo;inscrivent les aventures de cette figure embl&eacute;matique du bien, r&eacute;sistant aux avanies des forces du mal car dou&eacute;, outre de comp&eacute;tences intellectuelles extraordinaires, d&rsquo;un coup d&rsquo;archet salvateur, circonstance qui transforme en plat lieu commun le paradoxe re&ccedil;u et reconnu de l&rsquo;exploitation des musiciens d&eacute;port&eacute;s, l&rsquo;ensemble de ces caract&eacute;ristiques lui permettant de devenir l&rsquo;assistant du <span style="letter-spacing:-.1pt">Dr Mengele. Je pointerai encore l&rsquo;utilisation qui est faite de <i>L&rsquo;Enfer </i>de Dante, simultan&eacute;ment analogon de la situation fondamentale et facteur de scansion du r&eacute;cit, fournissant ainsi l&rsquo;occasion de citations et de rencontres cultiv&eacute;es entre le chef de bloc et son prisonnier. </span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Acide sulfurique </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">(Albin Michel, 2005) d&rsquo;Am&eacute;lie Nothomb met en sc&egrave;ne un jeu de t&eacute;l&eacute;r&eacute;alit&eacute; b&eacute;n&eacute;ficiant d&rsquo;audiences records et qui s&rsquo;appelle &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Concentration</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo; parce que calqu&eacute; sur les pratiques des camps. Se retrouvent donc transpos&eacute;es un certain nombre de situations se voulant conformes : transports dans des wagons &agrave; bestiaux, kapos hurlants, s&eacute;lections dans des files diff&eacute;rentes, musiques de Schubert et de Saint-Sa&euml;ns, d&eacute;sappointement indiqu&eacute; en creux de ce que la t&eacute;l&eacute;vision ne puisse transmettre les odeurs et le froid. Il reste n&eacute;anmoins &agrave; la narratrice, alors que l&rsquo;arm&eacute;e encercle finalement le lieu du tournage, la chance et le pouvoir de m&eacute;tamorphoser Primo Levi en Pietro Livi alias le kapo EPJ 327, de surcro&icirc;t amoureux s&eacute;ducteur et beau parleur<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a>...</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Pour compl&eacute;ter ce panorama succinct, strictement consacr&eacute; au camp en tant que tel, je ferai encore</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:.1pt">r&eacute;f&eacute;rence</span> <span style="letter-spacing:.1pt">&agrave;</span> <span style="letter-spacing:.1pt">deux illustrations apparent&eacute;es en quelque sorte de biais</span> <span style="letter-spacing:.1pt">&agrave;</span> <span style="letter-spacing:.1pt">notre sujet mais convergeant singuli&egrave;rement avec lui.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">C&rsquo;est la m&eacute;moire du mal &agrave; travers celle de la Shoah, m&ecirc;me si ce dernier mot n&rsquo;est jamais prononc&eacute;, qui se trouve au centre du r&eacute;cit de Philippe Claudel, <i>Le Rapport de Brodeck </i>(Stock, 2007), celle aussi de l&rsquo;ordinaire humain &agrave; travers la vie d&rsquo;un village situ&eacute; partout et nulle part, dans une esp&egrave;ce de no man&rsquo;s land que la violence taraude. <span style="letter-spacing:-.1pt">Brodeck est donc le rapporteur qui raconte l&rsquo;histoire de l&rsquo;Autre, de l&rsquo;<i>Anderer</i> qui a suscit&eacute; curiosit&eacute; et haine avant q</span><span style="letter-spacing:-.05pt">ue ne s&rsquo;accomplisse l&rsquo;<span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>v&eacute;nement, l&rsquo;<i>Ereigni&euml;s </i>(sic), &agrave; savoir son assassinat par les villageois incapables,</span> par ailleurs, de s&rsquo;exprimer mais ne voulant rien oublier. Se livrant &agrave; cette t&acirc;che, Brodeck revit et retrace en parall&egrave;les saisissants la propre histoire du concentrationnaire qu&rsquo;il fut lorsqu&rsquo;on l&rsquo;appelait le Chien Brodeck devant marcher dans le camp &agrave; quatre pattes. Il est amen&eacute; alors &agrave; aller pr&eacute;senter &agrave; quelques notables du village un premier &eacute;tat de son texte. On le laisse repartir apr&egrave;s lecture faite, encourag&eacute; &agrave; continuer. Ce qu&rsquo;il fait, poursuivant l<span style="letter-spacing:.2pt">a narration relative &agrave; l&rsquo;<i>Anderer </i>en m&ecirc;me temps que la sienne et montrant, par exemple, l&rsquo;<i>Anderer</i> oblig&eacute; de fuir son espace propre comme lui, Brodeck, a d&ucirc; le faire lors de la <i>Kristallnacht</i>. </span>Ainsi progresse lentement et s&ucirc;rement le destin des deux hommes jusqu&rsquo;&agrave; la s&eacute;paration finale : le rapport &eacute;crit remis au maire qui le br&ucirc;le pour, cette fois, imposer l&rsquo;oubli et le d&eacute;part de Brodeck du village.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">Le second texte est ant&eacute;rieur, Maurice G. Dantec</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> ayant publi&eacute; en 1995 <i>Les Racines du mal </i>(Gallimard) et d&eacute;veloppant, cette fois sous la forme d&rsquo;un polar noir, l&rsquo;imagerie particuli&egrave;re que nous parcourons. Il s&rsquo;agit ici de remonter auxdites <i>racines </i>qui se sont substitu&eacute;es &agrave; celles de la <i>vie </i>et de la <i>beaut&eacute;</i> afin de pouvoir, en toute certitude, r&eacute;actualiser ces derni&egrave;res. L<span style="letter-spacing:-.1pt">&rsquo;</span>action se d&eacute;roule en deux temps, le premier li&eacute; &agrave; un individu du nom d<span style="letter-spacing:-.1pt">&rsquo;</span>Andreas Schaltzmann, le second au groupe des <i>Tueurs du Mill&eacute;naire</i>. Schaltzmann s&rsquo;est persuad&eacute; que les nazis ont pris le pouvoir en France, y &eacute;tablissant de mani&egrave;re occulte des camps de concentration; il est donc d&eacute;cid&eacute; &agrave; les combattre &agrave; coup d&rsquo;attentats et de meurtres pr&eacute;tendument cibl&eacute;s et cela en d&eacute;pit des risques qu&rsquo;il court s&rsquo;il est arr&ecirc;t&eacute;. C&rsquo;est finalement le cas mais il r&eacute;ussit &agrave; se suicider par le feu, ouvrant ainsi la voie aux <i>Tueurs du Mill&eacute;naire</i> qui souhaitent exp&eacute;rimenter la &laquo;</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">solution finale</span></span>&thinsp;<span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo; en mettant en place chambres &agrave; gaz et fours cr&eacute;matoires dans le but de retrouver la puret&eacute; de la race aryenne.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Apr&egrave;s ces versions plurielles d&rsquo;un certain nombre d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments communs, j&rsquo;emprunterai &agrave; Jorge Semprun un dernier avis critique et nuanc&eacute;, salutaire selon moi puisqu&rsquo;il nous ram&egrave;ne aux exigeantes d&eacute;marches des premiers &laquo;&thinsp;&eacute;crivants</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&thinsp;<span style="letter-spacing:-.1pt">&raquo; de la mati&egrave;re concentrationnaire : &laquo; Pourtant, un doute me vient sur la possibilit&eacute; de raconter. Non pas que l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue soit indicible. elle a &eacute;t&eacute; invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra ais&eacute;ment. Autre chose qui ne concerne pas la forme d&rsquo;un r&eacute;cit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densit&eacute;. Ne parviendront &agrave; cette substance, &agrave; cette densit&eacute; transparente que ceux qui sauront faire de leur t&eacute;moignage un objet artistique, un espace de cr&eacute;ation.&thinsp;&raquo;<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a></span></span></span></span></span></p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Galil&eacute;e, p.</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">24. <span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>lie Wiesel avait lui aussi soulign&eacute; qu&rsquo; &laquo;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Auschwitz nie toute litt&eacute;rature (...). Un roman sur Auschwitz n&rsquo;est pas un roman ou n&rsquo;est pas sur Auschwitz.</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo; In <i>Un Juif, aujourd&rsquo;hui,</i> Seuil, 1977, p.</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">190.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Cf. &laquo;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">L&rsquo;irrepr&eacute;sentable en question. Entretien avec Jacques Ranci&egrave;re</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo; in <i>Europe</i>, 2006, n<sup>os</sup> 926-927.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> In &laquo;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">T&eacute;moignage et litt&eacute;rature</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo;, <i>Esprit, </i>avril 1953, p.</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">575.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.15pt">Cf. &laquo;</span></span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.15pt">Robert Antelme ou la v&eacute;rit&eacute; de la litt&eacute;rature</span></span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.15pt">&raquo; (1963), in L.G. <i>Une aventure des ann&eacute;es soixante,</i> Seuil, </span></span></span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">p.</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">97.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&nbsp; V.</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Goby a pr&eacute;fac&eacute; en 2016 l&rsquo;&eacute;dition Points du r&eacute;cit <i>Le Ch&acirc;le</i> de Cynthia Ozick paru en 1980. </span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Je renverrai encore &agrave; une derni&egrave;re version de l&rsquo;&laquo;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">apr&egrave;s</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&raquo;. Dans <i>L&rsquo;Oubli</i> (Gallimard-L&rsquo;Arpenteur, 2014), Frederika Amalia Finkelstein d&eacute;crit comment sa jeune h&eacute;ro&iuml;ne, Alma, se trouve litt&eacute;ralement suspendue entre l&rsquo;acharnement &agrave; supprimer toute trace de la m&eacute;moire de l&rsquo;extermination et les constantes &eacute;vocations qu&rsquo;elle ne peut s&rsquo;emp&ecirc;cher d&rsquo;en faire surgir.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Sur ce camp en particulier, c&rsquo;est <i>Ravensbr&uuml;ck, l&rsquo;Enfer des femmes</i> (Tallandier, 1945), un recueil de textes rassembl&eacute;s par&nbsp; Simone Saint-Clair qu&rsquo;il convient de lire.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[8]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Une inspiration analogue sous-tend <i>La Comtesse dalmate et le principe de d&eacute;plaisir</i> (Librairie Arth&egrave;me Fayard, 2005) de Claude Delarue : des vacanciers, d&eacute;port&eacute;s volontaires, rejoignent, dans la cale d&rsquo;un bateau, un camp de concentration reconstitu&eacute; sur un il&ocirc;t de l&rsquo;archipel dalmate auquel ils parviendront apr&egrave;s avoir &eacute;t&eacute; d&ucirc;ment tatou&eacute;s &agrave; l&rsquo;aide de d&eacute;calcomanies et sous les ordres de jeunes SS en uniformes adapt&eacute;s bien entendu.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[9]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> In <i>L&rsquo;<span style="text-transform:uppercase">&eacute;</span>criture ou la vie,</i> Gallimard, 1994, p.</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">23.</span></span></span></span></span></p>