«â–º A la mémoire des sans-noms est dédiée la construction historique » Walter Benjamin, "Sur le concept d’histoire »<a href="#_ftn1" name="_ftnref1">[1]</a>, 1940.     “Pierre Miquel”, un historien en ruptures (Frédéric Rousseau)   Pierre Miquel est-il un praticien de la parahistoire au sens donné à l’expression en introduction de ce volume ou un simple « vulgarisateur » tout terrain se contentant de prendre appui sur les travaux des historiens professionnels ? Le concernant, la réponse ne va pas immédiatement de soi. De prime abord, si l’on se réfère à son cursus honorum universitaire, tout laisse à penser que Pierre Miquel appartient effectivement à la petite confrérie des historiens : titulaire d’une agrégation d’histoire, il soutient à l’âge relativement précoce de 41 ans, un doctorat d’Etat es Lettres (1971) préparé sous la direction de Pierre Renouvin,  LE grand patron régnant alors sur l’histoire contemporaine universitaire ; cet important travail a été publié très rapidement (1972) sous le titre La paix de Versailles et l’opinion publique française<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a> dans la prestigieuse collection d’Histoire dirigée par un autre grand patron fort respecté, Fernand Braudel. Bref, difficile d’accomplir meilleur parcours… d’autant que pendant la préparation de sa thèse, il met un pied dans la porte de l’Université : après quelques années dans l’enseignement secondaire, il devient en effet en 1961 assistant à la Faculté des Lettres de Paris, puis en 1964 maître-assistant à l’Université de Nanterre où il reste attaché jusqu’en 1970<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a>. L’année suivante on le retrouve maître de Conférences à l’Université de Lyon. Finalement, ce n’est qu’en 1975 qu’il trouve un poste de Professeur en Sorbonne, mais pas en histoire ; lui est alors confié l’enseignement des études de « communication de masse ». Si je devais suivre la définition corporative et disons-le, fort restrictive de l’historien donnée par Daniel Roche en 1987<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a>, Pierre Miquel qui ne fut pas un Professeur d’histoire n’aurait pas été un historien<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title="">[5]</a> ; je ne la suivrai pas.   Après des débuts fort prometteurs, la trajectoire de Miquel a bifurqué. Pour quelles raisons ? Un tel changement d’orientation peut évidemment s’expliquer par la rareté des postes d’enseignants-chercheurs mis au concours à partir du début des années 70. Cette famine est d’autant plus durement ressentie qu’elle succède à une décennie de fort accroissement des effectifs étudiants et enseignants dans l’enseignement supérieur. Toutefois, notons à titre de comparaison que son condisciple Jean-Jacques Becker, lui aussi maître-assistant à Nanterre pendant la préparation de sa thèse (1968-1977), et bien que parti plus tard dans la course, put trouver un poste l’année suivant immédiatement sa soutenance de thèse, soit en 1977, à la nouvelle université de Clermont Ferrand devenue l’Université Blaise Pascal. Certes, les cursus de Miquel et Becker sont décalés de cinq ans, mais d’autres éléments distinguent leurs trajectoires respectives. En premier lieu, et tout en préparant sa thèse, Miquel a débuté  l’écriture d’ouvrages d’histoire ; en 1959, il a alors moins de trente ans, il publie son premier ouvrage sur L'Affaire Dreyfus<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title="">[6]</a>, bientôt suivi, en 1961, d'une biographie remarquée de Poincaré<a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title="">[7]</a>. Deux ouvrages très universitaires au demeurant : le premier est un Que sais-je ? publié dans la fameuse collection que les Presses Universitaires de France destinent aux étudiants. Le second paraît chez Fayard, ce qui marque le début d’une longue et fructueuse collaboration entre l’auteur et cet éditeur grand public. Remarquons que l’accueil de ses pairs est alors – encore - universitairement cordial et respectueux :   « Le doyen Renouvin est lui-même à l’origine du très important travail de Pierre Miquel sur la Paix de Versailles et l’opinion publique française. (…) Le travail de Pierre Miquel, important et substantiel, se fonde sur l’analyse de très nombreux documents, archives et sources imprimées… »<a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title="">[8]</a>   Pour autant, Pierre Miquel est lancé et ne va plus cesser d’écrire et de publier chez les plus grands éditeurs… grand public, à un rythme d’ailleurs si effréné que l’on peine véritablement à dénombrer sa production où se mêlent ouvrages historiques, essais et romans historiques avec précision ; traitant des sujets les plus divers, son &oelig;uvre est estimée compter entre 100 et 150 ouvrages, certaines années voyant même la sortie de plusieurs titres. Fort prolixe donc, Miquel se montre également très éclectique dans les sujets abordés : il a notamment écrit sur l’affaire Dreyfus, les guerres de religion, Napoléon 1er, la guerre d’Algérie, les deux guerres mondiales et n’a pas reculé devant l’écriture d’histoires de France. Peut-être avons-nous là un premier accroc sérieux aux canons universitaires qui ont tendance à assigner très largement les chercheurs à leur spécialité souvent inscrite dans la droite ligne de la thèse de doctorat. Quand la plupart de ses homologues universitaires consacrent l’essentiel de leur temps à alimenter de leurs articles savants et fort pointus des revues spécialisées et confidentielles, cet auteur infatigable est aussi coutumier des grands succès de librairie ; cette réussite repose sur les entrées que Miquel possède dans nombre de médias et grâce auxquelles il peut régulièrement effectuer la promotion de ses ouvrages devant des auditoires larges. En outre, soucieux de toucher le jeune public – une préoccupation rare chez les universitaires - Miquel n’hésite pas à collaborer avec des dessinateurs et prête son sens aigu du récit à de grandes collections de vulgarisation historique à destination de la jeunesse. Et puis, nombre de ses ouvrages ont fait l’objet de traductions : en allemand, anglais, espagnol, polonais. En définitive, on peut se demander si cette surexposition ne contribue pas, insensiblement, à exclure l’historien médiatique de la tribu universitaire qui, à de rares exceptions près, est peu familière des médias et peine à sortir de son petit milieu formé d’un public de spécialistes, eux-mêmes universitaires. Quoiqu’il en soit, Miquel n’en avait pas moins une période privilégiée à laquelle il a d’ailleurs consacré plusieurs ouvrages faisant de lui un spécialiste reconnu du grand public : la Grande Guerre, une tragédie à laquelle il voue une véritable passion. C’est notamment à ce dernier titre que le croisement de sa propre trajectoire avec celle de Jean-Jacques Becker s’avère particulièrement intéressante. En fait, parallèlement à cette intense activité éditoriale, Miquel a été dès le début des années soixante-dix un historien sachant exploiter à merveille les possibilités ouvertes par les médias audiovisuels à la veille de la libéralisation des chaines du service public : il est dès cette époque en charge des documentaires à l’ORTF avant de poursuivre cette activité sur Antenne 2<a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title="">[9]</a> ; ses documentaires sur la Grande guerre notamment, font date ; il devient également producteur sur France Inter avec plusieurs émissions qui marquent incontestablement de nombreux auditeurs comme « Les oubliés de l’histoire » (1977-1978) et « Faiseurs d’histoire » (1981-1982). Dès lors, Miquel fait entendre une autre musique, reconnaissable par des millions de Français qu’il sait capter et captiver, une voix à laquelle de nombreux auditeurs s’attachent. Autant dire que l’historien a su tracer sa route sans attendre qu’un département d’Histoire de l’Université veuille bien lui ouvrir les bras. En ce sens, et si l’on compare son parcours avec ceux de ses homologues historiens estampillés « universitaires », il s’est matériellement et intellectuellement autonomisé fort précocement. Ces quelques éléments de contexte exposés, il est temps maintenant d’examiner d’un peu plus près sa ou ses manières d’écrire l’histoire au regard des attentes plus ou moins implicites des professionnels de la profession. Cette suractivité tourbillonnante est-elle bien compatible avec la sacro-sainte rigueur exigée par les censeurs sourcilleux de « l’histoire savante » ? Miquel a-t-il continué à respecter la méthodologie des historiens universitaires ? Et s’il s’en est écarté, dans quelle mesure ? Au-delà, ces écarts éventuels aux normes universitaires invalident-ils son travail ? C’est essentiellement à partir d’une fraction de son imposante production consacrée à la Première Guerre mondiale que je me propose d’essayer de répondre à ces questions même si quelques brèves excursions dans d’autres périodes seront effectuées.   La préparation de sa thèse durant les années soixante l’avait évidemment conduit à s’intéresser de près au premier conflit mondial. Mais cette décennie a aussi vu s’ouvrir d’importants fonds d’archives offrant de nouvelles perspectives de recherches aux historiens intéressés par cette période ; dans la foulée de celle de Miquel, plusieurs grandes thèses ont d’ailleurs été achevées durant les années soixante-dix parmi lesquelles on peut retenir celle de Guy Pédroncini (ss. la dir. de Pierre Renouvin) soutenue en 1972 et consacrée au Haut commandement français et la conduite de la guerre de mai 1917 à novembre 1918<a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title="">[10]</a> ; celle d’Antoine Prost (ss. la co-dir. de René Rémond et Roger Girault) sur Les Anciens combattants et la société française soutenue en 1975<a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title="">[11]</a> ; de Jean-Jacques Becker sur L’opinion publique française et les débuts de la guerre de 1914 démarrée également avec Pierre Renouvin mais achevée en 1976 avec René Rémond du fait de la disparition prématurée du premier en 1974<a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title="">[12]</a> ; celle enfin de Jules Maurin (ss. la dir. d’André Martel) intitulée Armée-Guerre-Société : soldats languedociens (1889-1919). Centres de recrutements de Béziers et Mende. Approche quantitative et soutenue en 1979<a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title="">[13]</a>. Notons que ces thèses d’Etat ont fait date et demeurent encore aujourd’hui des jalons historiographiques incontournables pour toute approche du premier conflit mondial. C’est donc effectivement en bénéficiant de cet ensemble de travaux remarquables et renouvelant en profondeur nos connaissances sur le premier conflit mondial, que Pierre Miquel publie en 1983 La Grande Guerre, un ouvrage qui devient rapidement best seller au Grand Livre du Mois ; ce succès pour lequel il recevra le Premier Grand Prix Gobert de l’Académie française lui permet de pénétrer de nombreux foyers, ce que peu d’universitaires ont l’opportunité de faire ; dans la toute jeune revue des contemporanéistes Vingtième Siècle dirigée par Jean-Pierre Rioux, l’historien Jean-François Sirinelli salue la synthèse, l’ampleur de la documentation et de la bibliographie brassées, même si s’agissant de cette dernière le recenseur note que « la rigueur du classement n’est pas ici, il est vrai, la qualité la plus frappante »<a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title="">[14]</a>. Je confirme. De même, le nombre de notes infrapaginales est-il régulièrement très faible eu égard aux volumes livrés par Miquel : 100 notes pour plus de 600 pages de texte dans La Grande Guerre. La présentation des sources archivistiques est sommaire. Ces entorses à l’histoire savante n’empêche cependant pas Sirinelli, Professeur à Sciences-Po Paris, de rendre également hommage à l’art du récit de l’auteur. Mais retenons aussi cette réserve mouchetée :   « Par ailleurs, dans son souci de montrer que cette guerre est, par bien des aspects, la première de l’ère des masses, mais que les drames qu’elle engendre sont autant de destins broyés, l’auteur, par endroits, adopte une approche trop pointilliste : le récit se fait plus vivant, les oubliés de l’histoire réinvestissent le devant de la scène, mais la démarche devient parfois trop fractionnée… »<a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title="">[15]</a>   Ces quelques mots feutrés suffisent à entrevoir l’inconfort ressenti par l’historien universitaire face à la faconde d’un Miquel qui rompt une autre digue invisible de la profession en se faisant le porte-voix des « oubliés de l’histoire » et j’ajouterai, des historiens… Il n’empêche que Miquel est encore invité en 1988 à participer à un dossier spécial du magazine l’Histoire consacré à la Grande guerre. Il est alors en compagnie, notamment, de Jean-Jacques Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau<a href="#_ftn16" name="_ftnref16" title="">[16]</a>. En 1995 paraît Mourir à Verdun, suivi en 1997 par Le Chemin des Dames ; enfin, en 2000, la publication chez Plon de son ouvrage Les Poilus. La France sacrifiée dans la fameuse collection « Terre Humaine » créée par Jean Malaurie  achève de consacrer Miquel comme LE grand historien populaire de la Grande Guerre. Comment ces différents ouvrages qui surent toucher un vaste public ont-ils été reçus par ses collègues historiens universitaires ? En réalité, fort peu, voire pas du tout dans les revues scientifiques professionnelles. En termes d’audience et d’impact sur le grand public, P. Miquel est bien sur une autre planète que ses anciens condisciples. Pour autant, ses ouvrages apportent-ils du neuf  et l’auteur s’appuie-t-il sur des documents peu ou pas exploités par ses collègues ? Sur ces deux points, la réponse doit être nuancée. D’une part, Miquel ne se prive pas de puiser, cela a été dit, dans les travaux de ses éminents collègues pour étayer ses récits à un moment où, notons-le également, l’histoire culturelle de la Grande Guerre initiée par Jean-Jacques Becker et ses émules n’a pas encore véritablement émergé dans l’espace médiatique parisien. S’agissant du déroulé général des événements il fait assez peu preuve d’originalité et reste au plus près de la chronologie. Pour le grand départ, Miquel suit très fidèlement son condisciple Becker :   « Jean-Jacques Becker a fort justement signalé combien l’agitation (d’ailleurs mesurée et inégale selon les villes) ne devait pas faire oublier le calme digne et résigné de la France profonde. (…) Becker a lu tous les journaux, consulté toutes les fiches d’instituteurs, étudié de près les réactions des Savoyards, des alpins, des Bretons des Côtes du Nord, des vignerons du Gard. »<a href="#_ftn17" name="_ftnref17" title="">[17]</a>   Autant de louanges qui peuvent paraître aujourd’hui un peu datés sinon excessifs<a href="#_ftn18" name="_ftnref18" title="">[18]</a>. En revanche, la démarche de Miquel se distingue sur deux points notoires de la plupart de ses confrères et concurrents : d’une part, à côté des cartons d’archives officielles qu’il connaît pour les avoir beaucoup fréquentés et les fréquenter encore, il aime à mobiliser les témoignages des acteurs et tout particulièrement ceux des plus modestes. Sirinelli l’a bien noté et je vais y revenir. D’autre part, et au-delà du style volontairement très accrocheur de ses livres, les récits de la Grande Guerre proposés au grand public par Miquel se démarquent des travaux portant le sceau de l’Université en ce qu’ils soulèvent des questions que ceux-ci s’obstinent à esquiver ou se contentent d’effleurer. Mais commençons par jeter un rapide un coup d’&oelig;il au sommaire de son ouvrage La Grande Guerre :   « Première partie : L’été des généraux 1. Le grand départ 2. Les causes de la catastrophe 3. Les premières batailles 4. La Marne Deuxième partie : L’hiver des hommes 1. Les tranchées de France 2. La guerre à l’arrière 3. L’Orient en feu 4. La guerre terroriste Troisième partie : Le printemps des peuples 1. La guerre en question 2. Les arrières tiendront-ils ? 3. Russes et Américains 4. La victoire manquée des Allemands La fin du drame. »   Au-delà d’un goût prononcé pour les formules qui font mouche, soulignons que l’auteur ne s’efface pas comme le font généralement – et seraient censés le faire - les historiens ; non, il ne craint pas de s’impliquer personnellement et émotionnellement dans son récit. Ainsi, l’avant-propos s’achève-t-il sur cette interrogation inquiète :   « Mais comment ne pas avoir à l’esprit la préoccupation de ne pas trahir les espoirs et jusqu’aux révoltes de tous ceux qui ont été pris, sans l’avoir demandé, dans la plus grande bourrasque de l’histoire contemporaine, et qui ont donné toutes leurs forces pour que ce sacrifice, ces souffrances, cette immense misère, aient un sens et ouvrent sur un avenir de paix ? »<a href="#_ftn19" name="_ftnref19" title="">[19]</a>   Et comme en écho résonne la dernière phrase de l’ouvrage :   « Et si la guerre « naît des passions », demander aux « christs inférieurs des obscures espérances » dont parlait le canonnier Apollinaire la force d’imposer la paix comme passion majeure. Tel était sans doute l’espoir de ces combattants déçus, vêtus de bleu horizon, si proches de nous, nos ancêtres, nos frères »<a href="#_ftn20" name="_ftnref20" title="">[20]</a>                                               Nos frères… Il est de fait peu banal qu’un historien de l’Université s’abandonne à ce type de confidence intime. Il est au contraire attendu de celui-ci qu’il soit « porteur d’un discours construit, méthodique, mais aussi cérébral et froid » »<a href="#_ftn21" name="_ftnref21" title="">[21]</a>. Par ailleurs, si le déroulé chronologique correspond à ce qui est généralement attendu, quelques écarts à la vulgate méritent d’ores et déjà d’être relevés : ainsi le quatrième point de la Deuxième partie intitulé « la guerre terroriste » aborde-t-il - fort justement - les nombreuses violations des conventions censées protéger les populations civiles, celles-ci incluant notamment les raids aériens et surtout l’usage de l’arme de la faim et du blocus par les Alliés ici présenté comme l’une des causes – légitime - du déclenchement de la guerre sous-marine allemande en tant que riposte désespérée. Mais, et c’est beaucoup moins attendu, ce chapitre consacré à la guerre terroriste intègre également les offensives aussi meurtrières qu’inefficaces de 1915 ainsi que la bataille d’attrition de Verdun… élevée par d’autres historiens au rang de monument national<a href="#_ftn22" name="_ftnref22" title="">[22]</a>. Ce faisant, les généraux, Joffre en tête, sans oublier son homologue allemand Falkenhayn entrent clairement dans la catégorie des « terroristes » nommément désignés. Miquel s’emploie à désigner les responsables, tous les responsables parmi les plus responsables. Et ce faisant, il rompt en quelque sorte l’union sacrée des historiens professionnels qui depuis la fin de la guerre et au nom d’une conception singulière de leur profession, se sont abstenus d’aborder ce genre de question.   Quelques années plus tard, Miquel récidive et infléchit encore son propos dans son ouvrage au titre significatif : Les Poilus. La France sacrifiée.   « Ces hommes ne sont pas nos aïeux lointains, ils restent nos frères, ils ont vécu ce que nous aurions pu vivre. Ils ont droit à toute notre attention »<a href="#_ftn23" name="_ftnref23" title="">[23]</a>.   Les hommes dont il s’agit sont les petits, les sans grade, les dominés. Or insiste Miquel,   « (…) Ni les responsables allemands, ni les français n’ont jamais demandé pardon à ceux qu’ils ont fait mourir par millions de l’hécatombe dans laquelle ils ont été entraînés. Ils ont prôné la réconciliation dans l’oubli, ou dans le souvenir ému, comme s’il n’y avait pas de coupables à cette guerre de trente ans, comme s’il était vain d’en rechercher, comme si les mécanismes de l’Histoire avaient fait tout le mal. Les derniers survivants de la guerre civile trentenaire sont encore là pour témoigner que l’Histoire est une affaire d’hommes. Que Français et Allemands la prennent enfin à bras-le-corps, sans arrière-pensée sans ménager les responsables, ayant au fond vidé leur querelle, sans indulgence mais aussi sans colère particulière… »<a href="#_ftn24" name="_ftnref24" title="">[24]</a>   De fait, de telles réflexions détonnent et correspondent guère aux m&oelig;urs si politiquement correctes de la profession qu’elles confinent parfois à l’évitement pur et simple de certaines questions susceptibles de questionner le fonctionnement ordinaire de nos sociétés. Or, il se trouve que cet ouvrage sort en 2000, l’année même où l’équipe de Jean-Jacques Becker rassemblée autour de l’Historial de Péronne achève sa conquête du champ historiographique « Première Guerre Mondiale » en publiant un livre manifeste, 14-18, retrouver la guerre<a href="#_ftn25" name="_ftnref25" title="">[25]</a>. Et force est de constater que l’Université n’a tout simplement pas accueilli Les Poilus. Je n’ai cette fois pu retrouver aucune recension de cet ouvrage dans la presse savante à l’exception d’un bref compte-rendu – d’ailleurs en partie censuré – que le magazine l’Histoire… m’avait imprudemment confié<a href="#_ftn26" name="_ftnref26" title="">[26]</a>. Pour sa part, Philippe-Jean Catinchi pour le journal Le Monde crie à la « victimisation » des poilus pour mieux exclure Miquel et son ouvrage de l’enceinte historienne :   « (…) Si le sens du récit est toujours efficace et les citations de témoignages pertinentes, on pourra s’étonner d’entrée : déjà la longue introduction ne prépare guère le sujet précis de l’étude et le plan suivi épouse si strictement la chronologie que l’on peine à reconnaître le regard anthropologique original qu’a su imposer « Terre humaine ». Mais le lecteur promptement saisi par cette violente empathie, dont le succès phénoménal des Paroles de poilus (Librio) a permis de mesurer le partage universel, n’en aura cure. Avec Miquel, il revisite une ancienne histoire, une légende obstinée où les retouches ne modifient pas l’esprit d’une geste à la gloire ambiguë. (…) Pour l’historien, le problème est plus complexe. Déjà la façon toute narrative  dont le sujet est traité, qui lèse d’une véritable approche anthropologique, déçoit ; les erreurs factuelles de chronologie comme les références mal contrôlées irritent ; mais plus grave, tout l’apport de l’équipe de l’Historial de Péronne, Audoin-Rouzeau et Becker en tête, semble passé à la trappe, comme les problématiques les plus débattues aujourd’hui (« consentement », mutineries, où les références suivies accusent leur âge). Une fresque grand public curieusement hors de son temps. »<a href="#_ftn27" name="_ftnref27" title="">[27]</a>   Ce procès s’avère largement spécieux. Tout à son &oelig;uvre de démolition, « l’historien » Catinchi soucieux de complexité n’a pas lu sérieusement l’ouvrage ou n’a pas dépassé la page… 53 ; certes la bibliographie succincte et mal présentée de la fin de l’ouvrage pourrait laisser penser que les travaux les plus récents – lire et comprendre, ceux de Péronne – sont méconnus de Miquel. Or, une lecture quelque peu attentive de la longue introduction et des notes infra-paginales permet d’attester du contraire : les travaux de Sophie Delaporte et ceux encore de George Mosse notamment, sont cités (p. 53 et 54) ainsi que ceux d’Olivier Lepick dans la bibliographie à la fin de l’ouvrage. S’agissant de l’historien états-unien Mosse, non seulement Miquel connaît son &oelig;uvre mais, contrairement à Audoin-Rouzeau il s’abstient de monter en généralité<a href="#_ftn28" name="_ftnref28" title="">[28]</a> à partir de l’analyse de Mosse « qui, selon lui, n’a pour but que de dénoncer avec de justes raisons la sacralisation de la guerre et le développement du culte du héros mort qui envahit l’Europe de 1919 à 1939, permettant ainsi, entre beaucoup d’autres facteurs, la reprise des hostilités. »<a href="#_ftn29" name="_ftnref29" title="">[29]</a> Miquel vise ensuite directement Audoin-Rouzeau - sans le nommer expressément, il est vrai - et sa thèse fort extensive de la « brutalisation » des sociétés :   « Il reste, écrit-il, que les combats de la Première Guerre mondiale ont exhibé une brutalité jusqu’au-boutiste de la guerre « nationale », même si les moyens de destruction massive débordaient très largement, et dès le départ, l’emploi des armes blanches. La « brutalisation » va beaucoup plus loin que la simple horreur des corps à corps de tranchées. Elle tient au fait que l’on estime indispensable et comme inévitable l’ensevelissement, l’anéantissement, la défiguration, la déshumanisation de millions d’hommes sous un déluge de feu »<a href="#_ftn30" name="_ftnref30" title="">[30]</a>.   On ne saurait être plus clair.  Et Miquel d’interpeler vertement :   « Encore reste-t-il à poser la question essentielle : pourquoi ce sacrifice quotidien est-il accepté si longtemps par les combattants et les nations ? »<a href="#_ftn31" name="_ftnref31" title="">[31]</a>   Miquel se démarque alors très nettement de l’interprétation culturaliste qui a séduit l’éditeur Pierre Nora, le journaliste Catinchi et la rédaction de L’Histoire :   « La simple « culture de guerre » n’explique pas la fixation française, et allemande, sur l’Alsace Lorraine. Il faut aussi évoquer l’impérialisme de ce temps, et la croyance forcenée des responsables à la nécessité d’asseoir la puissance d’une nation sur la possession du sol et du sous-sol, qui donne curieusement aux guerres un aspect national dans leur aspect défensif, parfaitement assimilable par la propagande, mais aussi un revers mercantile, remontant à une culture beaucoup plus ancienne, celle de la guerre qui rapporte, celle de Frédéric II et de Colbert. »<a href="#_ftn32" name="_ftnref32" title="">[32]</a>   Force est donc bien d’admettre que Miquel n’est en rien ignorant des thèses d’Audoin-Rouzeau et Becker ; tout au contraire, il les conteste, et de façon argumentée en revenant   « au principe constitutif de base des Etats modernes. Il faut comprendre, poursuit-il, que cette culture ne peut se réduire au pangermanisme ou au nationalisme français, elle repose sur la transformation, la perversion pourrait-on dire, sous l’effet de la révolution industrielle, de la nation en Empire. La nation a des intérêts (…) qu’elle doit défendre et accroître aux dépens des autres nations, sous peine de disparaître. Pas un ministre (…) ne pense autrement. (…) Aucun état-major n’envisage jamais la recherche d’une paix blanche, d’une trêve laissant place à des négociations… »<a href="#_ftn33" name="_ftnref33" title="">[33]</a>   De fait, la question posée par Miquel relative au « principe constitutif de base des Etats modernes » est loin d’être incongrue. Ministres et états-majors sont les premiers responsables. Comment se fait-il qu’aucun historien professionnel ne s’attaque à cet objet ? Au delà de ce problème, beaucoup plus sidérante est l’entreprise de culpabilisation des masses gouvernées par Audoin-Rouzeau et Becker, et plus encore la réception gourmande réservée à cette interprétation farfelue par certains médias culturels parmi les plus influents (outre Le Monde, France Culture par exemple ouvre régulièrement ses antennes aux thèses de Péronne). Il reste qu’en cette occasion on mesure à quel point la disciplinarisation du champ historiographique et médiatique est désormais efficace. Le cordon sanitaire dressé entre l’Histoire universitaire - la seule sérieuse et savante réservée aux historiens et aux abonnés du Monde - et l’Histoire destinée au lectorat grand public fonctionne à merveille.   En 1997 déjà, ainsi qu’en témoigne la quatrième de couverture de son Le Chemin des Dames, Miquel avait également évoqué l’hécatombe depuis cette même posture - si peu universitaire diront certains - mêlant accents fraternels et expressions populaires :   « Héroïques, les unités engagées sur le champ de bataille, ainsi que sur les monts de Champagne tout proches, se rendirent compte qu’elles avaient été envoyées au casse-pipe et que la percée promise par le général Nivelle, successeur de Joffre à la tête des armées françaises, était irréalisable, en raison des défenses allemandes imprenables et de l’inaptitude des moyens techniques français. »<a href="#_ftn34" name="_ftnref34" title="">[34]</a>   Et déjà claquait la question que jamais les historiens de l’Université ne posent :   « Qui est responsable de ce carnage et de l’échec de cette offensive qui ouvre les portes du Q G à Pétain ? Une commission d’enquête fut instituée par le gouvernement pour examiner le cas des quatre généraux limogés : Nivelle, Mangin, Micheler, Mazel. Mais les Poincaré, les Briand, qui avaient choisi Nivelle, les Ribot, les Painlevé qui l’avaient laissé faire n’étaient-ils pas aussi coupables ? Pierre Miquel rapporte ici l’événement dans toute sa complexité et son horreur, et se livre à une passionnante étude sur les rapports du pouvoir politique et du pouvoir militaire »<a href="#_ftn35" name="_ftnref35" title="">[35]</a>   Gageons que les historiens culturalistes rassemblés autour de l’Historial de Péronne furent certainement outrés par tant de relâchement. On sait combien la thèse du « consentement » des sociétés à la guerre a structuré toute leur entreprise de « renouvellement » historiographique : par un renversement interprétatif particulièrement acrobatique et audacieux, Audoin-Rouzeau et Becker ont en effet désigné le peuple comme responsable – précisément par son prétendu consentement - du grand carnage, de sa durée et de ses formes, et de celui qui allait suivre durant la Seconde Guerre mondiale<a href="#_ftn36" name="_ftnref36" title="">[36]</a>. Ce faisant, ils dédouanèrent ceux que Miquel, précisément, n’eût quant à lui de cesse de dénoncer comme les premiers responsables. En 2001 celui-ci enfonce le clou en publiant chez Plon Le gâchis des généraux : les erreurs de commandement pendant la Guerre de 14-18… Curieusement, ces « erreurs » peinaient à rencontrer les radars des historiens professionnels. La thèse du principal spécialiste de l’armée française Guy Pédroncini - largement hagiographique envers Pétain le Sauveur - intitulée Le Haut commandement français et la conduite de la guerre de mai 1917 à novembre 1918 est parue sous le titre Pétain général en chef, 1917-1918. Jusque dans les titre, de tels écarts de langage situent le positionnement assumé par Miquel dans le champ historiographique et marquent ce qui le distingue de ses confrères. Plus généralement, ce type de dénonciation de certaines responsabilités escamotées par l’histoire et la mémoire s’accompagne chez Miquel d’une posture régulière de dévoilement de vérités cachées qui s’accommode sans aucun doute des préoccupations plus banalement commerciales de ses éditeurs ; en témoignent nombre de ses titres : La véritable histoire des Français (Nathan, 1977) ; Les Oubliés de l’Histoire (1978) Les Oubliés de la Somme (Tallandier, 2001) ; Les Mensonges de l’histoire (Perrin, 2003) ; à ces intitulés significatifs et raccoleurs, il faut encore ajouter celui de sa fameuse émission produite sur l’antenne de France Inter : Les Oubliés de l’histoire (1987)… émission construite en grande partie à partir de documents fournis par les auditeurs eux-mêmes. Ce faisant, c’est une manière de signifier que l’Histoire professionnelle ne s’intéresserait qu’aux élites en adoptant leur point de vue compréhensif vis-à-vis de leurs décisions politiques. Il semble que Miquel ait pris un malin plaisir à consolider son statut d’historien non universitaire ; dans une recension particulièrement sanglante de son livre consacré à la Guerre d’Algérie, on peut lire en conclusion d’une longue litanie d’erreurs, d’approximations, et d’emprunts non cités :   « Tout ceci est assez grave. Ce livre ne traduit pas seulement le mépris de l’auteur pour l’histoire universitaire affirmé dans un entretien avec Pierre Assouline publié il y a quelques années (elle en a vu d’autres et continuera son bonhomme de chemin, pour le plus grand profit de ceux qui y recourent sans la citer), mais un mépris pour ceux qui ont vécu ces événements, et y trouveront une caricature de leur passé, un mépris aussi pour ceux qui voudront savoir (…). Il est regrettable qu’une publication aussi brouillonne ait été encensée par la plupart des organes de presse au bénéfice de la notoriété médiatique de son auteur »<a href="#_ftn37" name="_ftnref37" title="">[37]</a>.   Charles-Robert Ageron enfonce le clou :   « (…) Un lecteur attentif a vite fait de s’apercevoir que l’auteur ignore tout de l’Algérie, de sa géographie comme de son histoire. (…) La composition du livre totalement déséquilibrée inquiète : pourquoi 135 pages sur 500 sont-elles consacrées à la période antérieure à la guerre, depuis 1943 ? Hélas ! l’explication est claire. L’auteur suit pas à pas dans cette première partie un important ouvrage collectif publié en 1990 par le Service historique de l’armée : La guerre d’Algérie par les documents, tome 1, L’avertissement, 550 pages, sans le citer une seule fois. Sont-ce là « les moyens nouveaux d’investigation » qu’invoque ce professeur ès sciences de l’information ? »<a href="#_ftn38" name="_ftnref38" title="">[38]</a>   Le procès en légitimité est radical et clair. Toutefois, bien qu’elles soient largement fondées, les rages froides des spécialistes de l’Algérie leur ont fait oublier un aspect qu’un autre recenseur de ce livre a bien relevé, et où l’on retrouve le Miquel questionneur des donneurs d’ordres :   « Mais le peuple avait-il choisi la guerre ? C’est le propre précisément, des conflits modernes que d’entraîner les populations sans leur demander leur avis, en les contraignant même au combat. Pas plus que les jeunes Français ne prenaient de gaieté de c&oelig;ur le bateau pour Oran, Alger ou Bône, pas plus les villageois de l’Ouarsenis et les nomades des Ouled Naïl ne souhaitaient payer la dîme du FLN ou lui verser l’impôt du sang. (…) Guy Mollet s’était naturellement gardé de consulter le peuple avant d’envoyer les appelés en Algérie. Quel gouvernement a jamais saisi l’opinion par une procédure de ce genre avant d’entrer en guerre ? »<a href="#_ftn39" name="_ftnref39" title="">[39]</a>   Au passage, voilà encore une manière de questionner le prétendu « consentement » des sociétés à faire la guerre cher aux historiens culturalistes… Hélas, je n’ai pu retrouver l’entretien de Miquel avec Assouline auquel Frémeaux faisait allusion. Il reste que dans un bref entretien accordé en 2001 à un quotidien régional Miquel revendique effectivement sans hésiter ce statut d’ « historien du peuple » et de tous les « oubliés » de l’histoire professorale et universitaire :   "Je suis historien, mais pas un historien comme les autres. L'histoire que je raconte, c'est celle qui concerne tout le monde, pas celle des professeurs d'histoire ".   Il se situe ailleurs et la journaliste commente :   « C'est sans doute en effet sa manière d'aborder l'histoire contemporaine et de parler au public de ce qui le touche directement, qui fait de Pierre Miquel un auteur si populaire et suscite tant de témoignages spontanés. Son dernier ouvrage, " Les poilus ", est né de centaines de récits vécus qu'il a reçus et collectés depuis quinze ans sur la Première Guerre mondiale. " Attention, il ne faut pas confondre les lettres que les poilus à l'arrière-plan écrivaient à leur famille pour les rassurer, soumises à la censure, et les journaux écrits tous les jours par ceux qui étaient au front. Ce sont ceux-là qui ont servi de base à mon livre "<a href="#_ftn40" name="_ftnref40" title="">[40]</a>   Sur ce plan également, Miquel se situe aux antipodes d’Audoin-Rouzeau et Becker qui se permirent de dénoncer une prétendue « dictature du témoignage »<a href="#_ftn41" name="_ftnref41" title="">[41]</a> qui aurait été exercée sur les historiens par les combattants témoins de leur propre calvaire. Miquel rend d’ailleurs hommage à l’&oelig;uvre de Norton Cru<a href="#_ftn42" name="_ftnref42" title="">[42]</a> pourtant abhorrée par les historiens de Péronne : « une critique acérée des témoignages de guerre »<a href="#_ftn43" name="_ftnref43" title="">[43]</a> écrit Miquel…     Cette attention aux sans-grade, aux « anonymes », on la retrouve dans d’autres ouvrages de l’historien ; ainsi le recenseur de la synthèse consacrée à la Seconde Guerre mondiale note-t-il :   « Ce livre démontre dans sa texture même que la guerre est vraiment mondiale (…), un grand fleuve qui a emporté le monde entier, broyant les faibles, mêlant les hommes en leur faisant vivre sans qu’ils s’en doutent une expérience unique. Ces expériences uniques, les grands hommes de cette histoire les ont décrites avec force dans leurs mémoires ou souvenirs de guerre. Rarement sont publiés les témoignages du citoyen ordinaire, simple GI, femme de ménage, ouvrière, médecin, commerçant, anonymes acteurs d’une histoire qui les dépasse… »<a href="#_ftn44" name="_ftnref44" title="">[44]</a>   Comme tous les historiens, Miquel possède ses zones de confort ; incontestablement, c’est lorsqu’il aborde le premier conflit mondial qu’il est et reste plus pertinent. On l’a vu concernant l’histoire de la guerre d’Algérie, sa production est frappée d’un grand nombre de défauts. Il écrit vite et beaucoup. Trop, sans doute pour être en mesure de respecter toutes les exigences de la profession. On touche là incontestablement aux limites de ce type extensif d’écriture de l’histoire. Mais dans le cas qui nous occupe, ce revers problématique à de nombreux égards possède aussi un endroit qui ne peut être totalement négligé, rejeté ou méprisé du haut d’une chaire parisienne : en fait, Miquel n’écrit pas pour ses seuls pairs, ni même pour ses seuls étudiants. Il écrit et raconte l’histoire pour le peuple ; ce faisant, il déroule une histoire qui intègre les hommes et les femmes ordinaires dans le grand récit trop souvent limité par la plupart des historiens patentés à la trajectoire des seuls grands hommes. Lorsqu’il décède en 2007, à l’âge de 77 ans, Pierre Miquel est tour à tour dépeint comme un « historien à l’ancienne »<a href="#_ftn45" name="_ftnref45" title="">[45]</a>, « l’historien pour tous »<a href="#_ftn46" name="_ftnref46" title="">[46]</a>, « un pédagogue tout terrain »<a href="#_ftn47" name="_ftnref47" title="">[47]</a>, « l’historien de la vie des gens »<a href="#_ftn48" name="_ftnref48" title="">[48]</a> ; toutefois, si les hommages des journalistes affluent et convergent dans leur appréciation, on retiendra que bien peu proviennent de ses « collègues » : parmi eux, seuls Max Gallo et Alain Decaux eux-mêmes historiens très médiatiques font exception; le premier déclare :   « On retiendra de lui, entre autres, ce don dans la synthèse historique. C'était à la fois un historien universitaire et un homme qui a créé une &oelig;uvre  ouverte au grand public »<a href="#_ftn49" name="_ftnref49" title="">[49]</a>. « Quant à Alain Decaux, qui travailla avec lui pour son émission « Alain Decaux raconte », il évoque avec émotion le spécialiste de la III République qui avait découvert la télévision et voulait profiter de ce média pour faire partager sa passion »<a href="#_ftn50" name="_ftnref50" title="">[50]</a>   Nous laisserons le dernier mot à un autre collègue de Miquel qui ne désira pas être nommé :   «Il était sorti de l'histoire savante. Mais il est vrai que ses livres se vendaient, ce qui n'est pas négligeable »<a href="#_ftn51" name="_ftnref51" title="">[51]</a>       <div>  <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> Walter Benjamin, Ecrits français, Paris, Gallimard, Folio, 1991, p. 455. </div> <div id="ftn2"> <a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> Pierre Miquel, La paix de Versailles et l’opinion publique française, Paris, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque scientifique (dirigée par Fernand Braudel), 1972. </div> <div id="ftn3"> <a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> Il a pu y croiser Jean-Jacques Becker, son condisciple, alors en train de préparer avec Pierre Renouvin sa thèse sur l’entrée en guerre de 14. </div> <div id="ftn4"> <a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title="">[4]</a> Roche Daniel, « Les historiens aujourd'hui remarques pour un débat », Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°12, octobre- décembre 1986. Dossier : Retour au tiers monde, pp. 3-20; </div> <div id="ftn5"> <a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title="">[5]</a> Pierre Assouline, « Qu’est-ce qu’un historien ? », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°15, 1987, p. 110-111. </div> <div id="ftn6"> <a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title="">[6]</a> Pierre Miquel, L’Affaire Dreyfus, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1959. </div> <div id="ftn7"> <a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title="">[7]</a> Pierre Miquel, Poincaré, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1961. </div> <div id="ftn8"> <a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title="">[8]</a> Voir le compte rendu de Paul Bouteiller, Bibliothèque de l'école des chartes. 1973, tome 131, livraison 2. pp. 642-644, p. 642. </div> <div id="ftn9"> <a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title="">[9]</a> Chef de la section des sciences humaines (1971-72), Chef du service des documentaires filmés à la télévision (1972-74), Responsable des documents à Antenne 2 (1975). </div> <div id="ftn10"> <a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title="">[10]</a> Publiée en abrégé sous le titre Pétain général en chef, 1917-1918, Paris, Presses Universitaires de France/Publications de la Sorbonne, 1976. </div> <div id="ftn11"> <a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title="">[11]</a> Publiée sous le titre Les anciens combattants et la société française (1914-1939), 3 vol., Paris, Presses de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, 1977. </div> <div id="ftn12"> <a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title="">[12]</a> Publiée sous le titre 1914, comment les Français sont entrés dans la guerre, Paris, Presses de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, 1977. </div> <div id="ftn13"> <a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title="">[13]</a> Publiée sous le titre Armée-Guerre-Société. Soldats languedociens (1889-1919), Paris, Publications de la Sorbonne, 1982. </div> <div id="ftn14"> <a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title="">[14]</a> Compte-rendu de Jean-François Sirinelli, Vingtième siècle, revue d’histoire, n°3, juillet 1984, La guerre en son siècle, p. 145-146. </div> <div id="ftn15"> <a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title="">[15]</a> Compte-rendu de Jean-François Sirinelli, Vingtième siècle, revue d’histoire, n°3, juillet 1984, La guerre en son siècle, p. 145-146. </div> <div id="ftn16"> <a href="#_ftnref16" name="_ftn16" title="">[16]</a> L’Histoire, Dossier Mourir pour la patrie, n°107, janvier 1988. </div> <div id="ftn17"> <a href="#_ftnref17" name="_ftn17" title="">[17]</a> Pierre Miquel, La Grande Guerre, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1983, p. 19. </div> <div id="ftn18"> <a href="#_ftnref18" name="_ftn18" title="">[18]</a> Je me permets de renvoyer à mon livre : Frédéric Rousseau, 14-18, penser le patriotisme, Paris, Gallimard, Folio, 2018. </div> <div id="ftn19"> <a href="#_ftnref19" name="_ftn19" title="">[19]</a> Pierre Miquel, La Grande Guerre, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1983, p. 9. </div> <div id="ftn20"> <a href="#_ftnref20" name="_ftn20" title="">[20]</a> Pierre Miquel, La Grande Guerre, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1983, p. 610. </div> <div id="ftn21"> <a href="#_ftnref21" name="_ftn21" title="">[21]</a> Michel Fabreguet, « La meÌdiatisation de l’histoire. Entre ambiguiÌˆteÌs, deÌrives et leÌgitimiteÌs », in Annuaire francÌ§ais des Relations Internationales, volume IX, 2008, p. 868. </div> <div id="ftn22"> <a href="#_ftnref22" name="_ftn22" title="">[22]</a> Antoine Prost, « Verdun », in Pierre Nora (ss. dir.), Les Lieux de mémoire, II. La Nation***, Paris, Gallimard, 1986, p. 111-141. A noter que cet article est inséré dans une partie intitulée : « La gloire ». </div> <div id="ftn23"> <a href="#_ftnref23" name="_ftn23" title="">[23]</a> Pierre Miquel, Les Poilus. La France sacrifiée, Paris, Plon, Coll. Terre Humaine, 2000, p. 60. </div> <div id="ftn24"> <a href="#_ftnref24" name="_ftn24" title="">[24]</a> Pierre Miquel, Les Poilus. La France sacrifiée, Paris, Plon, Coll. Terre Humaine, 2000, p. 473. </div> <div id="ftn25"> <a href="#_ftnref25" name="_ftn25" title="">[25]</a> Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, 14-18, retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000. </div> <div id="ftn26"> <a href="#_ftnref26" name="_ftn26" title="">[26]</a>  En substance, dans le passage non publié, j’écrivais : « (…) Miquel se démarque nettement de ceux qui dénoncent la prétendue dictature du témoignage. Pierre Miquel a compris que toute tentative d’écrire une histoire des combattants sans écouter ceux-ci était vaine et fallacieuse. Pour autant, il n’esquive aucune question. Bien au fait de l’historiographie récente, Miquel résiste de façon convaincante aux sirènes de la « culture de guerre »… L’Histoire, n°248, novembre 2000 (en italique les éléments coupés par la rédaction). </div> <div id="ftn27"> <a href="#_ftnref27" name="_ftn27" title="">[27]</a> Philippe-Jean Catinchi, « Poilus éternels victimes », Le Monde, 10 novembre 2000. </div> <div id="ftn28"> <a href="#_ftnref28" name="_ftn28" title="">[28]</a> George Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, trad. De l’anglais par Edith Magyar, préface de Stéphane Audoin-Rouzeau, Paris, Hachette Littératures, 1999 (1990). Afin de bien mesurer l’ampleur du coup de force opéré par Audoin-Rouzeau on notera le titre original : Fallen soldiers. Reshaping the Memory of the world wars. </div> <div id="ftn29"> <a href="#_ftnref29" name="_ftn29" title="">[29]</a> Pierre Miquel, Les Poilus. La France sacrifiée, Paris, Plon, 2000, p. 54. </div> <div id="ftn30"> <a href="#_ftnref30" name="_ftn30" title="">[30]</a> Pierre Miquel, Les Poilus. La France sacrifiée, Paris, Plon, 2000, p. 54. </div> <div id="ftn31"> <a href="#_ftnref31" name="_ftn31" title="">[31]</a> Pierre Miquel, Les Poilus. La France sacrifiée, Paris, Plon, 2000, p. 54. </div> <div id="ftn32"> <a href="#_ftnref32" name="_ftn32" title="">[32]</a> Pierre Miquel, Les Poilus. La France sacrifiée, Paris, Plon, 2000, p. 54. </div> <div id="ftn33"> <a href="#_ftnref33" name="_ftn33" title="">[33]</a> Pierre Miquel, Les Poilus. La France sacrifiée, Paris, Plon, 2000, p. 55. </div> <div id="ftn34"> <a href="#_ftnref34" name="_ftn34" title="">[34]</a> Pierre Miquel, Le Chemin des Dames, Paris, Perrin, 1997, 4ème de couverture. </div> <div id="ftn35"> <a href="#_ftnref35" name="_ftn35" title="">[35]</a> Pierre Miquel, Le Chemin des Dames, Paris, Perrin, 1997, 4ème de couverture. </div> <div id="ftn36"> <a href="#_ftnref36" name="_ftn36" title="">[36]</a> Je me permets de renvoyer ici à mon article, « 1914-1945 : la Grande Guerre est-elle la matrice du XXe siècle monstrueux ? Arrêt sur une vulgate du troisième millénaire », in En Jeu, Histoire et Mémoires vivantes, dossier XXe siècle : d’une guerre à l’autre, p. 47-63. </div> <div id="ftn37"> <a href="#_ftnref37" name="_ftn37" title="">[37]</a> Jacques Frémeaux, recension de Pierre Miquel, La Guerre d’Algérie, Fayard, 1994, in Revue Française d’Outre-mer, tome 82, n°307, 2e trimestre 1995, p. 223. </div> <div id="ftn38"> <a href="#_ftnref38" name="_ftn38" title="">[38]</a> Charles Robert Ageron, recension de Pierre Miquel, La Guerre d’Algérie, Fayard, 1994, in XXè sicèle, revue d’Histoire, 199’, n°43, p. 158. </div> <div id="ftn39"> <a href="#_ftnref39" name="_ftn39" title="">[39]</a> Pierre Miquel, La guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 1993, p. 524 et 526. </div> <div id="ftn40"> <a href="#_ftnref40" name="_ftn40" title="">[40]</a> Annick Stevenson, « Rencontre. Pierre Miquel historien du peuple », in Le Progrès de Lyon, 15 janvier 2001. </div> <div id="ftn41"> <a href="#_ftnref41" name="_ftn41" title="">[41]</a> Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, 14-18, Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 52. </div> <div id="ftn42"> <a href="#_ftnref42" name="_ftn42" title="">[42]</a> Voir le dossier consacré à Jean Norton Cru : Du témoignage. Autour de Jean Norton Cru, En Jeu. Histoire et Mémoires vivantes, décembre 2015, n°6. </div> <div id="ftn43"> <a href="#_ftnref43" name="_ftn43" title="">[43]</a> Pierre Miquel, Les Poilus. La France sacrifiée, Paris, Plon, p. 478. </div> <div id="ftn44"> <a href="#_ftnref44" name="_ftn44" title="">[44]</a> M.L. Dumas-Soula, recension de Pierre Miquel. La Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 1986, in Politique étrangère, n°1, 1987, 52e année, p. 238. </div> <div id="ftn45"> <a href="#_ftnref45" name="_ftn45" title="">[45]</a> Jacques Rouil, Ouest France, 27 novembre 2007. </div> <div id="ftn46"> <a href="#_ftnref46" name="_ftn46" title="">[46]</a> Etienne de Montety, Le Figaro, 27 novembre 2007, p. 27. </div> <div id="ftn47"> <a href="#_ftnref47" name="_ftn47" title="">[47]</a> Antoine Perraud, La Croix, 27 novembre 2007, p. 19. </div> <div id="ftn48"> <a href="#_ftnref48" name="_ftn48" title="">[48]</a> Paul-François Paoli, Le Figaro, 27 novembre 2007, p. 28. </div> <div id="ftn49"> <a href="#_ftnref49" name="_ftn49" title="">[49]</a> Max Gallo cité dans Etienne de Montety, Le Figaro, 27 novembre 2007, p. 27. </div> <div id="ftn50"> <a href="#_ftnref50" name="_ftn50" title="">[50]</a> Alain Decaux, cité dans Etienne de Montety, Le Figaro, 27 novembre 2007, p. 27. </div> <div id="ftn51"> <a href="#_ftnref51" name="_ftn51" title="">[51]</a> « L’Adieu aux armes de Pierre Miquel », Libération, 27 novembre 2007, p. 33. </div> </div>