<p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Ind&eacute;pendamment des comm&eacute;morations du centenaire de la Grande Guerre dont le programme accaparera, 25 ans apr&egrave;s le bicentenaire de 1789, la sc&egrave;ne m&eacute;diatique tout au long de l&rsquo;ann&eacute;e 2014, l&rsquo;on constate depuis quelques ann&eacute;es d&eacute;j&agrave; un retour en force de la Premi&egrave;re Guerre mondiale, aussi bien sur le plan historiographique qu&rsquo;au niveau de la m&eacute;moire collective. Jusqu&rsquo;ici, on aurait dit que se v&eacute;rifiait le dicton d&rsquo;apr&egrave;s lequel toute histoire contemporaine commence par la &laquo;&nbsp;derni&egrave;re catastrophe&nbsp;&raquo;, en l&rsquo;occurrence la Seconde Guerre mondiale. Observant ce retour en force de la Grande Guerre, on serait tent&eacute; de dire que cette sentence s&rsquo;inverse, op&eacute;rant d&rsquo;ailleurs un certain retour &agrave; la premi&egrave;re formulation d&rsquo;un </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;plus jamais &ccedil;a&nbsp;&raquo;<i> apr&egrave;s la Grande Guerre, et que l&rsquo;histoire contemporaine commencerait d&eacute;sormais avec &laquo;&nbsp;la premi&egrave;re catastrophe&nbsp;&raquo; de 1914-1918. Un tel diagnostic vous semble-t-il pertinent&nbsp;? &Agrave; quoi attribuez-vous ce mouvement de retour, ant&eacute;rieur aux &laquo;&nbsp;mobilisations comm&eacute;moratives&nbsp;&raquo; en cours&nbsp;?</i><a name="_ftnref1"></a><a href="#_ftn1"><sup><span style="color:black">[1]</span></sup></a></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Nicolas Mariot (N.&nbsp;M.)&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Vous parlez d&rsquo;&laquo;&nbsp;un retour en force de la Premi&egrave;re Guerre mondiale aussi bien sur le plan historiographique qu&rsquo;au niveau de la m&eacute;moire collective&nbsp;&raquo;. Personnellement, je pense que ce &laquo;&nbsp;retour&nbsp;&raquo; est beaucoup plus marqu&eacute; au niveau de la m&eacute;moire collective que sur le plan historiographique&nbsp;: l&rsquo;historiographie de la Premi&egrave;re Guerre mondiale repr&eacute;sente en effet un tout petit nombre de gens&nbsp;; m&ecirc;me si l&rsquo;on compte l&rsquo;&eacute;tranger &ndash; les chercheurs am&eacute;ricains, australiens, britanniques, allemands, etc. &ndash;, c&rsquo;est un milieu historiographique assez restreint. Nous</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.1pt">avons pu commencer &agrave; mesurer un peu la chose, avec Andr&eacute; Loez, au sein du s&eacute;minaire dont nous nous occupons, &laquo;&nbsp;L&rsquo;ordinaire de la guerre&nbsp;&raquo; (ENS Lyon, avec Sylvain Bertschy, Fran&ccedil;ois Buton, Boris Gobille, Philippe Olivera et Emmanuelle Picard<a name="_ftnref2"></a><a href="#_ftn2"><sup><span style="color:black">[2]</span></sup></a>), en regardant syst&eacute;matiquement les publications li&eacute;es au centenaire. De juin &agrave; d&eacute;cembre&nbsp;2013, on s&rsquo;aper&ccedil;oit que, finalement, il y a assez peu de travaux neufs </span>historiographiquement parlant &ndash;&nbsp;et la situation n&rsquo;a pas significativement chang&eacute; depuis d&eacute;cembre. Il y a &eacute;norm&eacute;ment de r&eacute;&eacute;ditions, beaucoup d&rsquo;&eacute;ditions de beaux livres, de r&eacute;&eacute;ditions de t&eacute;moignages. Nous avons aussi des synth&egrave;ses g&eacute;n&eacute;rales, mais qui n&rsquo;apportent pas grand-chose de neuf ou, en tout cas, simplement &agrave; la marge pourrait-on dire. En revanche, du point de vue des enqu&ecirc;tes historiques neuves et originales, il y a peu de livres marquants. Bref, je ne pense pas qu&rsquo;on puisse parler d&rsquo;un &laquo;&nbsp;retour en force&nbsp;&raquo; de la Grande Guerre sur le plan proprement historiographique&nbsp;; cela viendra peut-&ecirc;tre.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Andr&eacute; Loez (A. L.)&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> La situation s&rsquo;est quand m&ecirc;me modifi&eacute;e par rapport aux ann&eacute;es 1980, o&ugrave; le champ &eacute;tait tr&egrave;s restreint, avec moins d&rsquo;une dizaine d&rsquo;historiens qui travaillaient &agrave; l&rsquo;universit&eacute; sur la question. Depuis, il y a quand m&ecirc;me eu des recrutements, des lieux o&ugrave; l&rsquo;histoire de la Premi&egrave;re Guerre se discute et s&rsquo;&eacute;labore de fa&ccedil;on plus intense. Mais c&rsquo;est vrai&nbsp;: le ph&eacute;nom&egrave;ne demeure moins important que dans le champ la Seconde Guerre mondiale. En France, il y a &agrave; la fois l&rsquo;histoire de la R&eacute;sistance, l&rsquo;histoire de l&rsquo;Occupation, l&rsquo;histoire de la Shoah et l&rsquo;histoire militaire proprement dite&nbsp;; donc il y a quatre champs &agrave; part enti&egrave;re qui constituent un champ plus large. Ce n&rsquo;est pas encore vrai pour la Premi&egrave;re Guerre.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt"> Si on vient &agrave; comparer avec la seule historiographie de la Shoah, la comparaison est tout simplement impossible. La masse des publications sur l&rsquo;historiographie de la Shoah est sans commune mesure avec ce qui peut para&icirc;tre sur la Grande Guerre&nbsp;; c&rsquo;est vrai &eacute;galement si l&rsquo;on compare avec le bicentenaire de 1789, &eacute;tudi&eacute; sous ce regard par Steven Kaplan <i>(Adieu 89</i>, Fayard, 1993). Peut-&ecirc;tre les choses vont-elles changer&nbsp;; mais, pour le moment, il y a relativement peu de discussions historiographiques de fond, exception faite des d&eacute;bats autour du livre de Christopher Clark, <i>Les Somnambules</i>. <i>&Eacute;t&eacute; 1914&nbsp;: comment l&rsquo;Europe a march&eacute; vers la guerre</i> (Flammarion, 2013).</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> On commence &agrave; avoir des &eacute;l&eacute;ments pour comprendre ce retour de 14-18 depuis la fin des ann&eacute;es 1980-d&eacute;but des ann&eacute;es 1990. Jusqu&rsquo;aux ann&eacute;es 1980, la Seconde Guerre mondiale avait contribu&eacute; &agrave; &eacute;loigner le souvenir de la Grande Guerre&nbsp;: la deuxi&egrave;me &eacute;crasait la premi&egrave;re. C&rsquo;est moins vrai depuis les ann&eacute;es 1990, en tout cas en France. Tous les indicateurs le montrent&nbsp;: le nombre des publications s&rsquo;est consid&eacute;rablement accru et les comm&eacute;morations prennent de plus en plus d&rsquo;importance, tout particuli&egrave;rement depuis celle du 80<sup>e</sup> anniversaire de 1998. Celle-ci a vraiment &eacute;t&eacute; un moment intense, marqu&eacute; par des discours politiques importants, dont cel</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.3pt">ui de Lionel Jospin, &agrave; Craonne, sur la question des fusill&eacute;s. Plus largement, l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t social pour la Grande Guerre est de plus en plus fort. Nicolas Offenstadt montre dans son ouvrage <i>14-18 aujourd&rsquo;hui</i> (O</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">dile Jacob, 2010) que les chanteurs de rock, les auteurs de BD, etc., s&rsquo;emparent de 14-18 de mani&egrave;re plus forte qu&rsquo;auparavant. Il y a l&agrave; l&rsquo;expression d&rsquo;un int&eacute;r&ecirc;t m&eacute;moriel incontestable. Plusieurs raisons y ont sans doute contribu&eacute;, qu&rsquo;on peut essayer de r&eacute;sumer, sans qu&rsquo;on dispose encore de v&eacute;ritables enqu&ecirc;tes sur la question.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Cela tient d&rsquo;abord au contexte g&eacute;n&eacute;ral&nbsp;: une perte des horizons collectifs avec la chute du mur de Berlin, l&rsquo;absence de projet mobilisateur en dehors du projet europ&eacute;en, lequel, avant de s&rsquo;essouffler, a &eacute;t&eacute; dans les ann&eacute;es 1980-1990 une occasion de se pencher sur ce &laquo;&nbsp;suicide de l&rsquo;Europe&nbsp;&raquo; qu&rsquo;aurait &eacute;t&eacute; la Grande Guerre, cette catastrophe inaugurale du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. Travailler sur 14-18 &eacute;tait une mani&egrave;re de se raccrocher &agrave; ce questionnement sur une Europe en voie d&rsquo;int&eacute;gration, d&eacute;passant les anciennes rivalit&eacute;s. Dans ces m&ecirc;mes ann&eacute;es 1990, il n&rsquo;y a pas que la construction europ&eacute;enne qui favorise un regard r&eacute;trospectif sur 14-18, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">il y a aussi la guerre en Yougoslavie, qui a remis Sarajevo et la question des nationalismes au c&oelig;ur de l&rsquo;actualit&eacute;. Dans certains cas, ce regain d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t pour 14-18</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> s&rsquo;explique aussi par des &eacute;l&eacute;ments plus singuliers, se rapportant &agrave; des questions m&eacute;morielles sp&eacute;cifiques. On peut penser aux pays de l&rsquo;Est par exemple&nbsp;: dans ces pays, se tourner vers la m&eacute;moire de la Grande Guerre, c&rsquo;&eacute;tait aussi une fa&ccedil;on de se d&eacute;tourner de la m&eacute;moire communiste, de mettre en valeur d&rsquo;autres &eacute;l&eacute;ments et d&rsquo;autres &eacute;v&eacute;nements du pass&eacute;. On pense &agrave; la Pologne, &agrave; la R&eacute;publique tch&egrave;que&nbsp;: des &eacute;l&eacute;ments qu&rsquo;aussi bien l&rsquo;occupation nazie que l&rsquo;exp&eacute;rience sovi&eacute;tique avaient refoul&eacute;s, voire &eacute;cras&eacute;s&nbsp;; or, c&rsquo;&eacute;tait bien l&agrave; des &eacute;l&eacute;ments tr&egrave;s importants dans la constitution m&ecirc;me de ces &Eacute;tats-nations.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Et puis il y a un &eacute;l&eacute;ment suppl&eacute;mentaire, que l&rsquo;on voit bien en France, qui ressortit</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.1pt">d&rsquo;une forme de patrimonialisation de l&rsquo;histoire&nbsp;: on se projette vers le pass&eacute; parce qu&rsquo;il peut avoir quelque chose de rassurant, quelque chose d&rsquo;&eacute;difiant, au moment m&ecirc;me o&ugrave; les projets collectifs, les projets d&rsquo;avenir, sont de plus en plus incertains, difficilement pensables. Se rapporter au pass&eacute; permet de se retrouver dans une communaut&eacute; enfin &laquo;&nbsp;unie&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;comme en 14&nbsp;&raquo;, veut-on croire.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">J&rsquo;ajouterais quelque chose qui me semble tr&egrave;s important&nbsp;: la diff&eacute;rence sur ce plan entre les deux m&eacute;moires, la m&eacute;moire de la Seconde Guerre mondiale et la m&eacute;moire de la Grande Guerre. La m&eacute;moire familiale de la Seconde Guerre mondiale n&rsquo;est pas facile &agrave; porter, car lorsqu&rsquo;on se rapporte &agrave; ses ascendances familiales, il arrive d&rsquo;y trouver quelques r&eacute;sistants, mais on peut aussi trouver des gens qui ont &eacute;t&eacute; des collaborateurs, des attentistes, des compromis par manque de courage et d&rsquo;autres comportements peu avouables. Avec la m&eacute;moire de la Grande Guerre, c&rsquo;est tout l&rsquo;oppos&eacute;&nbsp;: tout le monde peut s&rsquo;y projeter, tout le monde peut trouver un anc&ecirc;tre poilu, et donc un h&eacute;ros ou une victime suivant le point de vue adopt&eacute;, mais en tout cas un anc&ecirc;tre valoris&eacute;.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">La scolarisation obligatoire a &eacute;galement eu un effet particuli&egrave;rement sensible sur la formation de la m&eacute;moire de la Grande Guerre. Comme tout le monde, ou presque, savait &eacute;crire et lire, les familles disposent aujourd&rsquo;hui souvent de quelques documents, d&rsquo;objets et de traces multiples laiss&eacute;s par un grand-parent. Avec la diffusion des nouvelles technologies et la num&eacute;risation des documents, les descendants peuvent reconstituer de v&eacute;ritables parcours&nbsp;; il y en a m&ecirc;me qui vont cr&eacute;er des sites internet sur leurs a&iuml;euls.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Oui, l&rsquo;infrastructure technologique joue un r&ocirc;le fondamental. Internet a r&eacute;volutionn&eacute; les choses. Avant, &eacute;videmment, il y avait d&eacute;j&agrave; des collectionneurs, notamment d&rsquo;objets de la Grande Guerre&nbsp;; &ccedil;a existait, simplement les gens gardaient &ccedil;a chez eux, dans leur grenier, ou leur r&eacute;servaient &eacute;ventuellement une salle sp&eacute;ciale. L&agrave;, la diff&eacute;rence avec internet est fondamentale&nbsp;: aujourd&rsquo;hui, n&rsquo;importe qui, sans beaucoup de moyens,</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.1pt">peut mettre sur pied son site avec ses donn&eacute;es&nbsp;; il y a beaucoup de passionn&eacute;s qui font des choses absolument incroyables. Internet est parfaitement adapt&eacute; au c&ocirc;t&eacute; s&eacute;riel des sources de la Grande Guerre, ce qui est moins &eacute;vident en ce qui concerne les sources de la Seconde Guerre mondiale.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">A. L.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Sans oublier, pour expliquer ce d&eacute;veloppement m&eacute;moriel, un effet centenaire ind&eacute;niable dans tous les pays concern&eacute;s, avec tout ce que cela implique aussi en termes d&rsquo;enjeux &eacute;conomiques&nbsp;: le tourisme de m&eacute;moire est tr&egrave;s important pour les r&eacute;gions de l&rsquo;ancien front, qui toutes r&eacute;novent leurs mus&eacute;es, modernisent leur parc h&ocirc;telier, cr&eacute;ent des monuments, etc. Cela repr&eacute;sente des retomb&eacute;es mat&eacute;rielles et &eacute;conomiques loin d&rsquo;&ecirc;tre n&eacute;gligeables.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">N. M.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.2pt">Notons aussi la disparition du service militaire&nbsp;: je pense qu&rsquo;elle a pu jouer un r&ocirc;le important chez certains hommes qui ont connu le service militaire, qui peuvent en avoir une forme de nostalgie, la camaraderie des cham</span>br&eacute;es, etc. En faisant l&rsquo;histoire du r&eacute;giment du grand-p&egrave;re, de l&rsquo;arri&egrave;re-grand-p&egrave;re, il se joue peut-&ecirc;tre aussi quelque chose de cet ordre, me semble-t-il.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Sur le plan proprement historiographique, peut-on parler de nouvelles approches et/ou d&rsquo;un renouveau significatif de la recherche historique sur des th&eacute;matiques classiques, notamment en ce qui concerne les &laquo;&nbsp;causes&nbsp;&raquo; de la Grande Guerre, les buts de guerre des puissances impliqu&eacute;es, de l&rsquo;Allemagne imp&eacute;riale en particulier (on songe ici &agrave; l&rsquo;&laquo;&nbsp;Affaire Fritz Fischer&nbsp;&raquo; au d&eacute;but des ann&eacute;es 1960), l&rsquo;imp&eacute;rialisme comme cadre conceptuel de cette premi&egrave;re conflagration europ&eacute;enne et internationale, etc.&nbsp;? De l&rsquo;ext&eacute;rieur tout au moins, on a l&rsquo;impression que depuis de nombreuses ann&eacute;es d&eacute;j&agrave; l&rsquo;historiographie a, en quelque sorte, d&eacute;sert&eacute; ce type de questions (explication et compr&eacute;hension des causes des &eacute;v&eacute;nements et de leur contexte) au c&oelig;ur de la premi&egrave;re historiographie de la Grande Guerre dans les ann&eacute;es&nbsp;1920 et&nbsp;1930 (Pierre Renouvin, Jules Isaac), puis reformul&eacute;es dans les ann&eacute;es 1960-1970 (Fritz Fischer, Jacques Droz) et 1980 (Gerd Krumeich, Georges-Henri Soutou<a name="_ftnref3"></a><a href="#_ftn3"><b><sup><span style="color:black">[3]</span></sup></b></a>), au profit de l&rsquo;&eacute;tude des repr&eacute;sentations, des exp&eacute;riences, et des traces que le pass&eacute; a l&eacute;gu&eacute;es au pr&eacute;sent et des usages multiples qu&rsquo;en font nos contemporains &ndash; dans une sorte de &laquo;&nbsp;pr&eacute;sentisme&nbsp;&raquo; enfl&eacute; &ndash; en ce sens que le pr&eacute;sent g&eacute;n&egrave;re, hier comme aujourd&rsquo;hui, le pass&eacute; qui lui convient le mieux. Cette tendance se confirme-t-elle dans l&rsquo;historiographie r&eacute;cente de la Grande Guerre&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Il faut nuancer un tout petit peu. Ce d&eacute;laissement des recherches et des discussions sur les causes de la Grande Guerre, notamment sur le plan de l&rsquo;histoire diplomatique, a &eacute;t&eacute; tr&egrave;s vrai dans l&rsquo;historiographie fran&ccedil;aise&nbsp;; il l&rsquo;est moins dans le monde anglo-saxon&nbsp;: dans les ann&eacute;es 1990-2000, &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger, on s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; nouveau fortement &agrave; toutes ces questions li&eacute;es aux causes du conflit, comme le montrent les nombreuses &eacute;tudes biographiques sur des acteurs majeurs de la crise en 1914, comme les g&eacute;n&eacute;raux von Moltke et von H&ouml;tzendorf. </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Cela dit, c&rsquo;est vrai, le questionnement est peut-&ecirc;tre moins fort que dans les ann&eacute;es 1960, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de la controverse Fischer, puisque ce dernier, en insistant sur les tensions propres &agrave; la soci&eacute;t&eacute; allemande avant la guerre, remettait frontalement en cause les habitudes de l&rsquo;histoire diplomatique et le traditionnel &laquo;&nbsp;primat de la politique ext&eacute;rieure&nbsp;&raquo; (Primat der Au&szlig;enpolitik) dans ses analyses<a name="_ftnref4"></a><a href="#_ftn4"><sup><span style="color:black">[4]</span></sup></a>.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Cela s&rsquo;explique partiellement par le relatif consensus &eacute;tabli entre-temps parmi les historiens, &agrave; la fois sur le m&eacute;canisme global qui avait provoqu&eacute; la guerre et sur la responsabilit&eacute; plus forte, &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur de ce m&eacute;canisme global, de l&rsquo;Allemagne et de l&rsquo;Autriche-Hongrie. Aujourd&rsquo;hui, ce consensus est remis en cause par quelques travaux r&eacute;cents qui op&egrave;rent un retour aux probl&eacute;matiques des origines, des causes et des buts de la Grande Guerre&nbsp;: des travaux qui suscitent de nouveaux d&eacute;bats et controverses. Signalons en ce sens trois ouvrages&nbsp;: Gerd Krumeich, <i>Le Feu aux poudres. Qui a d&eacute;clench&eacute; la guerre en 1914&nbsp;?</i> (&agrave; para&icirc;tre chez Belin)<i>,</i> sur l&rsquo;&eacute;t&eacute; 1914&nbsp;; Margaret MacMillan, <i>Vers la Grande Guerre&nbsp;: comment l&rsquo;Europe a renonc&eacute; &agrave; la paix</i> (Autrement, 2014)&nbsp;; et enfin Christopher Clark, <i>Les Somnambules</i>, que nous venons d&rsquo;&eacute;voquer et qui fait tout particuli&egrave;rement d&eacute;bat. Il a &eacute;t&eacute; vendu &agrave; 200&nbsp;000 exemplaires en Allemagne et &agrave; plus de 20&nbsp;000 en France&nbsp;: un vrai succ&egrave;s &eacute;ditorial&nbsp;! Le trait commun aux ouvrages de MacMillan et de Clark, c&rsquo;est leur<i> pr&eacute;sentisme</i>, c&rsquo;est-&agrave;-dire qu&rsquo;ils offrent une relecture des causes de la guerre &agrave; travers le prisme des pr&eacute;occupations contemporaines. MacMillan, par exemple, a publi&eacute; r&eacute;cemment dans le <i>New York Times</i> un article o&ugrave; elle compare directement la situation de 1914 avec le contexte actuel, celui de 2014. Comme en 1914, on se trouverait aujourd&rsquo;hui &agrave; la veille d&rsquo;une grande d&eacute;flagration en raison de l&rsquo;&eacute;mergence de nouveaux acteurs et de nouvelles puissances, face &agrave; un vieux monde taraud&eacute; par des querelles internes&nbsp;: c&rsquo;est assez peu convaincant, mais les parall&egrave;les hier-aujourd&rsquo;hui sont trac&eacute;s.&nbsp;Clark adopte aussi une perspective <i>pr&eacute;sentiste</i>. Selon lui, le &laquo;&nbsp;terrorisme politique&nbsp;&raquo; demeure notre horizon, comme en 1914 avec l&rsquo;attentat de Sarajevo. Cela lui permet de recentrer l&rsquo;analyse sur la Serbie, en disant&nbsp;que les &eacute;v&eacute;nements des ann&eacute;es 1990, en Serbie et dans l&rsquo;ex-Yougoslavie, nous obligent &agrave; regarder &agrave; nouveaux frais le r&ocirc;le et la responsabilit&eacute; de la Serbie dans le d&eacute;clenchement de la Grande Guerre. Au total, toutes ces analyses ne me semblent pas compl&egrave;tement abouties&nbsp;: ces histoires, tr&egrave;s &eacute;v&eacute;nementielles et narratives, ne prennent en effet pas en charge les questions fondamentales de l&rsquo;historiographie classique, celles des structures sociales, des structures politiques, des forces &eacute;conomiques, de l&rsquo;imp&eacute;rialisme comme cause ou non de la guerre, etc.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Avec une exception toutefois&nbsp;: les travaux de Christophe Charle, notamment son livre <i>La Crise des soci&eacute;t&eacute;s imp&eacute;riales. Allemagne, France, Grande-Bretagne, 1900-1940. Essai d&rsquo;histoire sociale compar&eacute;e</i> (Seuil, 2001). Il consacre deux chapitres aux causes de la guerre, o&ugrave; il r&eacute;examine notamment la pertinence de la th&egrave;se de L&eacute;nine, souvent d&eacute;cri&eacute;e, sur l&rsquo;imp&eacute;rialisme comme cause de la guerre&nbsp;; il la discute et insiste surtout sur les facteurs sociaux pouvant conduire &agrave; la guerre. C&rsquo;est bien l&agrave; que r&eacute;side l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de ce type d&rsquo;historiographie&nbsp;; elle ne s&rsquo;enferme pas dans une simple discussion sur les enjeux diplomatiques, mais tente pr&eacute;cis&eacute;ment d&rsquo;en r&eacute;examiner et approfondir le p&eacute;rim&egrave;tre en y int&eacute;grant un questionnement sur les positions sociales des acteurs &ndash; &ecirc;tre un diplomate, &ecirc;tre un homme d&rsquo;&Eacute;tat, etc. &ndash; ainsi que sur les &eacute;l&eacute;ments culturels. Je pense ici aux travaux d&rsquo;une historienne allemande, Ute Frevert, qui a travaill&eacute; sur la masculinit&eacute; militaire en Allemagne <i>(L&rsquo;arm&eacute;e, &eacute;cole de la masculinit&eacute;. Le cas de l&rsquo;Allemagne au XIX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</i>, L&rsquo;Harmattan, 2000). Elle montre l&rsquo;importance et la complexit&eacute; de ce qu&rsquo;&eacute;tait &agrave; l&rsquo;&eacute;poque l&rsquo;<i>ethos militaire</i>, fondant en partie, on le sait, la coh&eacute;sion des groupes sociaux militaires, mais repr&eacute;sentant &eacute;galement, plus largement, un &eacute;l&eacute;ment culturel impliquant certaines attitudes autoritaires, un rapport particulier au commandement, &agrave; la hi&eacute;rarchie et &agrave; l&rsquo;honneur, toutes choses qui ont une importance cruciale lors des crises diplomatiques.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Au bilan, si l&rsquo;historiographie actuelle tend &agrave; nouveau &agrave; s&rsquo;emparer de la question des causes de la Grande Guerre, elle ne le fait pas toujours avec la profondeur n&eacute;cessaire&nbsp;; les contributions interrogeant les structures sociales produisant les d&eacute;cisions, et autres logiques politiques, &eacute;conomiques et culturelles qui ont engendr&eacute; la Grande Guerre, demeurent marginales.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.25pt">Quelles sont les &laquo;&nbsp;responsabilit&eacute;s&nbsp;&raquo; en la mati&egrave;re de l&rsquo;histoire culturelle et de l&rsquo;histoire sociale, dominant le champ 1914-1918 depuis les ann&eacute;es 1990&nbsp;? Depuis les ann&eacute;es 1990, les controverses</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <i><span style="letter-spacing:-.25pt">entre historiens de 1914-1918 notamment, en focalisant les d&eacute;bats sur la confrontation exp&eacute;riences/repr&eacute;sentations, et sur l&rsquo;entre-deux-guerres (totalitarismes/pacifisme), n&rsquo;ont-elles pas eu pour effet d&rsquo;&eacute;clipser la question des causes de la guerre d&rsquo;un point de vue politique&nbsp;?</span></i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">N. M.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Si, &agrave; coup s&ucirc;r, tr&egrave;s clairement. Mais il n&rsquo;y a pas &agrave; s&rsquo;en offusquer. Cela tient simplement aux questions de recherche qui sont soulev&eacute;es. De fa&ccedil;on g&eacute;n&eacute;rale, l&rsquo;historiographie de la Grande Guerre en France a &eacute;t&eacute; domin&eacute;e, depuis 25 ans, par l&rsquo;impulsion donn&eacute;e par les historiens regroup&eacute;s autour de l&rsquo;Historial de P&eacute;ronne. Si l&rsquo;on pense aux travaux de St&eacute;phane Audoin-Rouzeau par exemple, il le dit lui-m&ecirc;me, son objectif est de faire une anthropologie historique de la violence de guerre&nbsp;; c&rsquo;est ce qui l&rsquo;int&eacute;resse fondamentalement, la mani&egrave;re dont les corps sont mus, transform&eacute;s, boulevers&eacute;s par la violence. Il est du coup loin des questions sur les origines politiques de la Grande Guerre, mais on ne peut pas le lui reprocher. En France, le d&eacute;bat s&rsquo;est tout particuli&egrave;rement focalis&eacute; sur les questions li&eacute;es &agrave; la t&eacute;nacit&eacute; des soldats, &agrave; la place de la violence, notamment la violence au corps &agrave; corps, etc. Dans ces conditions, bien &eacute;videmment, les questions des origines, des causes et des buts de guerre sont logiquement d&eacute;laiss&eacute;es.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt"> On retrouve n&eacute;anmoins ces questions en filigrane au c&oelig;ur du th&egrave;me de la &laquo;&nbsp;brutalisation&nbsp;&raquo;, qui est tr&egrave;s fort chez les historiens fran&ccedil;ais qui ont repris &agrave; leur compte cette notion, au d&eacute;part &eacute;labor&eacute;e, de fa&ccedil;on encore assez prudente, par George L.&nbsp;Mosse <i>(Fallen Soldiers. </i></span></span></span><i><span lang="EN-US" style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">Reshaping the Memory of the World Wars</span></span></span></i><span lang="EN-US" style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">, New York et Oxford, Oxford University Press, 1990<a name="_ftnref5"></a><a href="#_ftn5"><sup><span style="color:black">[5]</span></sup></a>). </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.2pt">Ce terme leur sert avant tout &agrave; expliquer les violences de l&rsquo;entre-deux-guerres, qui auraient &eacute;t&eacute; commises par d&rsquo;anciens combattants devenus &laquo;&nbsp;brutaux&nbsp;&raquo; et accoutum&eacute;s &agrave; la violence en 14-18. Mais pour le conflit lui-m&ecirc;me, cela revient &agrave; sugg&eacute;rer que les combattants ont &eacute;t&eacute; les v&eacute;ritables responsables de la violence et de la brutalit&eacute; de la guerre, position qui, finalement, aboutit &agrave; exon&eacute;rer les dirigeants de leurs responsabilit&eacute;s, d&eacute;douanant ainsi ceux qui ont contribu&eacute; au d&eacute;clenchement et &agrave; la poursuite de la guerre. On &eacute;vacue par l&agrave; m&ecirc;me toute </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">la cha&icirc;ne hi&eacute;rarchique du commandement, c&rsquo;est-&agrave;-dire la structure politique qui, pr&eacute;cis&eacute;ment, permet le d&eacute;ploiement de cette violence.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.1pt">En faisant de la violence interpersonnelle et collective la cl&eacute; de l&rsquo;explication de la guerre, on finit par d&eacute;politiser les origines et les causes de la guerre elle-m&ecirc;me.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Cela ne veut pas dire qu&rsquo;il faille &laquo;&nbsp;re-politiser&nbsp;&raquo; l&rsquo;&eacute;tude de la guerre au sens ancien, celui de l&rsquo;histoire parlementaire de la III<sup>e</sup>&nbsp;R&eacute;publique par exemple, ou encore du questionnement sur la &laquo;&nbsp;trahison&nbsp;&raquo; de l&rsquo;Internationale socialiste. &Eacute;videmment, c&rsquo;est une question qui a taraud&eacute; tout le mouvement ouvrier, socialiste et communiste, toute la gauche au lendemain de 1914 et bien apr&egrave;s&nbsp;: comment expliquer le ralliement massif des partis et mouvements ouvriers aux Unions sacr&eacute;es&nbsp;? Pourquoi les minorit&eacute;s dissidentes ont-elles &eacute;t&eacute; si faibles, et si facilement r&eacute;duites au silence, au d&eacute;but de la guerre du moins&nbsp;? Ce questionnement, qui jusqu&rsquo;aux ann&eacute;es&nbsp;1960 et&nbsp;1970 avait une r&eacute;sonance politique directe et imm&eacute;diate, peut sans doute aujourd&rsquo;hui &ecirc;tre reli&eacute; &agrave; des interrogations plus larges, au-del&agrave; de l&rsquo;histoire propre du mouvement ouvrier.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Selon moi, s&rsquo;il doit y avoir un renouveau de l&rsquo;histoire politique de la Grande Guerre, c&rsquo;est dans le sens d&rsquo;une histoire de la forme &Eacute;tat, de l&rsquo;&Eacute;tat-nation &agrave; l&rsquo;ouest &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat multinational &agrave; l&rsquo;est. C&rsquo;est au nom de ces &Eacute;tats qu&rsquo;ont &eacute;t&eacute; commises les violences de guerre, et ces violences ont &eacute;t&eacute; possibles parce que, pr&eacute;cis&eacute;ment, les populations ont &eacute;t&eacute; au c&oelig;ur d&rsquo;un processus de nationalisation et d&rsquo;&eacute;tatisation des soci&eacute;t&eacute;s. Le renouveau pourrait venir du croisement des travaux des historiens de la guerre avec ceux des historiens de l&rsquo;&Eacute;tat, comme G&eacute;rard Noiriel, des chercheurs qui travaillent sur l&rsquo;identification des populations et sur l&rsquo;&Eacute;tat comme forme historique de structuration des soci&eacute;t&eacute;s. Il y a des travaux dans cette direction, mais cela reste encore embryonnaire.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">N. M.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Pour revenir &agrave; la question de la &laquo;&nbsp;brutalisation&nbsp;&raquo;, on peut dire que cette focalisation exclusive sur la violence de guerre va de pair avec l&rsquo;effacement du r&ocirc;le et de la place de l&rsquo;&Eacute;tat dans la compr&eacute;hension de la guerre. Non seulement on refoule la question des origines et des causes de la guerre, mais on brouille aussi la r&eacute;ponse &agrave; la question&nbsp;de savoir qui est responsable de la violence de guerre, aussi bien pendant la guerre que dans l&rsquo;apr&egrave;s-guerre. En &eacute;vacuant le r&ocirc;le de l&rsquo;&Eacute;tat en tant qu&rsquo;instance organisatrice de la soci&eacute;t&eacute;, on dilue les responsabilit&eacute;s et on les renvoie finalement &agrave; ceux du front.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Y aurait-il de nouveaux travaux qui attesteraient de ce renouveau de l&rsquo;histoire politique de la guerre, travaux qui auraient comme focale l&rsquo;&Eacute;tat, sa place et son r&ocirc;le dans le ph&eacute;nom&egrave;ne guerrier&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Ce n&rsquo;est pas un hasard si j&rsquo;ai &eacute;voqu&eacute; cela. Le CRID 14-18 organise en effet fin octobre&nbsp;2014 un colloque dont le th&egrave;me est pr&eacute;cis&eacute;ment &laquo;&nbsp;La mise en guerre de l&rsquo;&Eacute;tat en 14-18&nbsp;&raquo;. Nous essaierons de comprendre de quelle mani&egrave;re, pour l&rsquo;&Eacute;tat, la guerre est &agrave; la fois un moment d&rsquo;affirmation et la manifestation d&rsquo;une crise. Il y a des &Eacute;tats qui ne parviennent pas &agrave; faire la guerre ou &agrave; la mener victorieusement et qui sont de ce fait m&ecirc;me profond&eacute;ment d&eacute;l&eacute;gitim&eacute;s. Cette d&eacute;l&eacute;gitimation de l&rsquo;instance &eacute;tatique par la guerre laisse libre cours, dans l&rsquo;apr&egrave;s-guerre justement, au d&eacute;ploiement d&rsquo;un esprit belliqueux et &agrave; toutes sortes de violences. </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Ce n&rsquo;est pas un hasard si c&rsquo;est en Italie, en Allemagne et en Russie que se d&eacute;ploient les violences que l&rsquo;on sait dans l&rsquo;entre-deux-guerres. Ces violences ne s&rsquo;expliquent pas uniquement par la fameuse &laquo;&nbsp;brutalisation&nbsp;&raquo; des rapports sociaux dans le creuset de la guerre&nbsp;; elles s&rsquo;expliquent &eacute;galement par la mise en &eacute;chec de l&rsquo;&Eacute;tat par la guerre elle-m&ecirc;me. L&rsquo;&Eacute;tat d&eacute;l&eacute;gitim&eacute;, dessaisi de son monopole sur la violence, certains groupes sociaux peuvent se la r&eacute;approprier et la r&eacute;investir ailleurs. Certes, c&rsquo;est une lecture tr&egrave;s rapide que je propose ici, mais je pense que c&rsquo;est une piste que l&rsquo;on doit creuser&nbsp;; peut-&ecirc;tre que le colloque n&rsquo;ira pas jusque-l&agrave;, mais l&rsquo;on doit quoi qu&rsquo;il en soit remettre cette question au centre de nos travaux. On ne peut plus faire l&rsquo;histoire de la guerre comme si celle-ci &eacute;tait le fait des individus, le fait de leur volont&eacute;, suspendus &agrave; leurs id&eacute;aux et &agrave; leurs convictions. Cette histoire &ndash;&nbsp;l&rsquo;histoire de la guerre&nbsp;&ndash;, c&rsquo;est avant tout l&rsquo;histoire d&rsquo;&Eacute;tats qui s&rsquo;opposent et d&rsquo;&Eacute;tats qui mobilisent et organisent des hommes pour la faire.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Pour prolonger sur cette question de l&rsquo;&Eacute;tat, il me semble que la notion de &laquo;&nbsp;guerre&nbsp;juste&nbsp;&raquo; est aujourd&rsquo;hui plus que jamais d&rsquo;actualit&eacute;<a name="_ftnref6"></a><a href="#_ftn6"><b><sup><span style="color:black">[6]</span></sup></b></a>.</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <i><span style="letter-spacing:-.1pt">Il s&rsquo;agit l&agrave; d&rsquo;une question &agrave; l&rsquo;interface entre l&rsquo;histoire, les sciences politiques et le droit, notamment le droit des gens.</span></i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> C&rsquo;est un th&egrave;me effectivement tr&egrave;s important, central en science politique mais qui n&rsquo;a, on peut le dire, qu&rsquo;une existence tr&egrave;s marginale dans le champ historiographique. Pourquoi&nbsp;? Pour une raison assez simple&nbsp;: la litt&eacute;rature, contemporaine de 14-18, sur la &laquo;&nbsp;guerre juste&nbsp;&raquo; rel&egrave;ve de la litt&eacute;rature de propagande et doit &ecirc;tre trait&eacute;e, analys&eacute;e en tant que telle. Il est &eacute;tonnant de voir &agrave; quel point ces th&eacute;matiques de la &laquo;&nbsp;guerre juste&nbsp;&raquo;, de la &laquo;&nbsp;guerre pour le droit&nbsp;&raquo; et de la &laquo;&nbsp;guerre pour la&nbsp;civilisation&nbsp;&raquo; ont &eacute;t&eacute; port&eacute;es par les plus grands universitaires du moment, par des sommit&eacute;s du Coll&egrave;ge de France, par des gens comme le math&eacute;maticien Jacques Hadamard, le sociologue &Eacute;mile Durkheim, l&rsquo;historien Ernest Lavisse, le philosophe Henri Bergson, pour ne citer que ceux-l&agrave;. C&rsquo;est une question fondamentale qui, je pense, m&eacute;riterait d&rsquo;&ecirc;tre retravaill&eacute;e en profondeur. D&rsquo;un certain point de vue, on sait &eacute;norm&eacute;ment de choses sur l&rsquo;engagement guerrier de ceux qui sont rest&eacute;s &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re, les artistes, les intellectuels, les universitaires, etc., et sous un autre point de vue, il me semble qu&rsquo;on est loin d&rsquo;avoir tir&eacute; toutes les cons&eacute;quences de cet engagement qui, je trouve, est tout &agrave; fait fascinant. Je voudrais personnellement travailler et avancer sur cette piste-l&agrave;. Il faut s&rsquo;interroger sur ce qui a &eacute;t&eacute; fondamentalement le travail de propagande de ces grands intellectuels, sur le sens qu&rsquo;ils ont donn&eacute; &agrave; leur &laquo;&nbsp;jusqu&rsquo;au-boutisme&nbsp;&raquo; en faveur de la &laquo;&nbsp;guerre juste&nbsp;&raquo;, de la &laquo;&nbsp;guerre pour le droit&nbsp;&raquo;, etc. Si ce travail a &eacute;t&eacute; en partie n&eacute;glig&eacute;, c&rsquo;est aussi parce qu&rsquo;il est tr&egrave;s difficile, je crois, &agrave; des universitaires en place de se dire&nbsp;: ce sont finalement mes coll&egrave;gues de l&rsquo;&eacute;poque qui se sont lanc&eacute;s dans un travail aussi approfondi, et tard dans la guerre, pour justifier celle-ci en quelque sorte envers et contre tout&hellip; &Agrave; cet &eacute;gard, le cas de Durkheim est tr&egrave;s int&eacute;ressant. &Agrave; la mort de son &eacute;l&egrave;ve Robert Hertz, la femme de celui-ci l&rsquo;invite &agrave; venir lire les lettres du front de son mari. Le professeur de sociologie s&rsquo;&eacute;tonne alors de ce qu&rsquo;elles &laquo;&nbsp;sentent le Barr&egrave;s&nbsp;&raquo;. Il est en quelque sorte choqu&eacute; que son &eacute;l&egrave;ve puisse parler en bons termes de l&rsquo;ennemi politique d&rsquo;hier. En un sens pourtant, c&rsquo;est l&agrave; la cons&eacute;quence logique, et en partie in&eacute;vitable, de son engagement plein et entier dans la guerre, tel qu&rsquo;il est justifi&eacute; par le ma&icirc;tre dans ses <i>Lettres &agrave; tous les Fran&ccedil;ais</i>. Vivre l&rsquo;&eacute;lan d&rsquo;ao&ucirc;t&nbsp;1914, c&rsquo;est accepter d&rsquo;&ecirc;tre aux c&ocirc;t&eacute;s de Barr&egrave;s et, sauf &agrave; renier ses propres motivations, partager avec lui la plupart des &laquo;&nbsp;bonnes raisons&nbsp;&raquo; de faire la guerre. En ce sens, il est surprenant de constater &agrave; quel point Durkheim semble rester aveugle aux cons&eacute;quences de sa mobilisation de papier sur les soldats qui, comme Robert Hertz et bien d&rsquo;autres jeunes lettr&eacute;s de l&rsquo;&eacute;poque, partent avec au c&oelig;ur l&rsquo;id&eacute;e que la guerre est, bien plus qu&rsquo;une obligation d&eacute;fensive, une mission pour faire triompher les valeurs de la m&egrave;re patrie.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt"> Et il est frappant de constater que certains prolongements de cette rh&eacute;torique de la &laquo;&nbsp;guerre juste&nbsp;&raquo; sont encore actifs, outre-Manche en particulier. L&agrave;-bas, l&rsquo;approche du centenaire a suscit&eacute; une pol&eacute;mique sur la mani&egrave;re de comm&eacute;morer la Grande Guerre, parce qu&rsquo;il y a un certain nombre de dirigeants politiques et d&rsquo;historiens qui consid&egrave;rent que cette guerre doit &ecirc;tre comm&eacute;mor&eacute;e, non pas comme une trag&eacute;die universelle&nbsp;ou une absurdit&eacute;, mais bien comme une &laquo;&nbsp;guerre juste&nbsp;&raquo;, une guerre qu&rsquo;il fallait faire. Il faudrait par cons&eacute;quent rendre hommage aux morts d&rsquo;abord parce qu&rsquo;ils sont tomb&eacute;s au nom d&rsquo;une cause l&eacute;gitime. Cette position est d&eacute;fendue par des historiens conservateurs, comme Gary Sheffield, pour qui la guerre &eacute;tait juste parce qu&rsquo;il s&rsquo;agissait de se d&eacute;fendre contre le militarisme allemand, et sa brutalit&eacute; en Europe occup&eacute;e<a name="_ftnref7"></a><a href="#_ftn7"><sup><span style="color:black">[7]</span></sup></a>. M&ecirc;me si les &laquo;&nbsp;atrocit&eacute;s allemandes&nbsp;&raquo; de 1914 sont d&eacute;sormais bien document&eacute;es (John Horne, Alan Kramer, <i>1914. Les Atrocit&eacute;s allemandes</i>, Tallandier, 2011), une telle lecture de la Grande Guerre comme affrontement moralement justifi&eacute; pour l&rsquo;un des deux camps en pr&eacute;sence me semble personnellement tr&egrave;s difficile &agrave; tenir&nbsp;: tous les bellig&eacute;rants ont transgress&eacute; le droit international, ne serait-ce que par l&rsquo;usage des gaz ou le mauvais traitement des prisonniers<a name="_ftnref8"></a><a href="#_ftn8"><sup><span style="color:black">[8]</span></sup></a>, par exemple. Plut&ocirc;t que de s&rsquo;accrocher &agrave; la conception de tel ou </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">tel &Eacute;tat dans son &laquo;&nbsp;bon droit&nbsp;&raquo; en 14-18, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt">il est plus int&eacute;ressant &agrave; mes yeux de chercher &agrave; comprendre pourquoi la p&eacute;riode de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre est une occasion manqu&eacute;e pour apporter des r&eacute;ponses juridiques &agrave; la violence de guerre, avec les proc&egrave;s des criminels de guerre allemands qui tournent &agrave; la farce &agrave; Leipzig en 1921.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">En scrutant les diverses manifestations &agrave; l&rsquo;occasion du centenaire de la Grande Guerre, y compris sur le plan historiographique, on a l&rsquo;impression qu&rsquo;elles nous apprennent davantage sur les inqui&eacute;tudes du pr&eacute;sent et sur les recompositions id&eacute;ologiques qui taraudent nos soci&eacute;t&eacute;s que sur la guerre elle-m&ecirc;me. Tout donne &agrave; penser que le souvenir de celle-ci est d&eacute;sormais instrumentalis&eacute; afin de porter secours, &agrave; la fois, &agrave; l&rsquo;affirmation des identit&eacute;s nationales souffrantes &ndash;&nbsp;chaque nation s&rsquo;effor&ccedil;ant de tirer la couverture &agrave; soi en faisant valoir la pr&eacute;gnance d&rsquo;un </span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&laquo;&nbsp;Pro Patria Mori&nbsp;&raquo; <i>g&eacute;n&eacute;ralis&eacute; dans toutes les soci&eacute;t&eacute;s impliqu&eacute;es dans le conflit&nbsp;&ndash; et &agrave; la construction sociopolitique d&rsquo;une Europe</i></span></span></span><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> sur le mod&egrave;le paradigmatique de la r&eacute;conciliation franco-allemande</span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">.<b> </b><i>Comme si les m&eacute;tadiscours historiques sur la Grande Guerre, notamment ceux qui ont trait aux repr&eacute;sentations m&eacute;morielles, prenaient le pas sur le discours historique pour culminer dans une sorte de th&eacute;ologie politique tendant pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; &eacute;vacuer la Premi&egrave;re Guerre mondiale comme fait politique. Qu&rsquo;en pensez-vous&nbsp;?</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Je ne partage pas enti&egrave;rement cette analyse, car le champ historiographique est &agrave; mon avis suffisamment diversifi&eacute; pour &eacute;chapper en grande partie &agrave; cette tendance r&eacute;ductrice, qu&rsquo;on voit bien dans le champ politique fran&ccedil;ais. Il suffit de regarder le livre que Jean-Fran&ccedil;ois Cop&eacute;, tr&egrave;s investi sur ce plan depuis la r&eacute;alisation du gros mus&eacute;e de Meaux, a publi&eacute; sur la bataille de la Marne <i>(La Bataille de la Marne</i>, Tallandier, 2013, en collaboration avec Fr&eacute;d&eacute;ric Guelton). Son message est clair&nbsp;: un sursaut fran&ccedil;ais est toujours possible, il suffit d&rsquo;expliquer au peuple les difficult&eacute;s qu&rsquo;il aura &agrave; affronter, comme en 14&hellip; Je ne suis pas s&ucirc;r que ce genre d&rsquo;instrumentalisation puisse r&eacute;ussir parce que, apr&egrave;s tout, ce qui est frappant avec la m&eacute;moire de la Grande Guerre, c&rsquo;est qu&rsquo;elle appartient &agrave; tout le monde et qu&rsquo;elle ne peut de ce fait &ecirc;tre dict&eacute;e d&rsquo;en haut. On le voit bien d&rsquo;ailleurs avec les actions pr&eacute;vues pour </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.15pt">le centenaire&nbsp;: il n&rsquo;y a pas de pilotage global et directif des comm&eacute;morations. </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Certes, l&rsquo;&Eacute;tat organisera des actions, mais il y a surtout des choses qui viennent des r&eacute;gions, des d&eacute;partements, des enseignants qui montent des expositions, des artistes, etc. Autrement dit, je pense que personne ne peut s&rsquo;approprier la m&eacute;moire de cette guerre de fa&ccedil;on exclusive, dans un sens purement patriotique par exemple. Bien s&ucirc;r, de tels discours ne manqueront pas, comme celui de Fran&ccedil;ois </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.15pt">Hollande, le 7&nbsp;novembre dernier lorsqu&rsquo;il a donn&eacute; le d&eacute;part des </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">comm&eacute;morations du centenaire&nbsp;: ce fut un discours patriotique tr&egrave;s classique, promouvant la nation comme ce qui rassemble et permet de d&eacute;fendre des valeurs, appelant &agrave; une mobilisation</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.15pt"> g&eacute;</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">n&eacute;rale dans des batailles d&eacute;sormais &eacute;conomiques, en n&rsquo;oubliant pas de mentionner la paix et la r&eacute;conciliation. Tout cela est connu et banal, m&ecirc;me si on aurait pu attendre d&rsquo;un pr&eacute;sident issu du </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.15pt">PS une attention bien plus forte &agrave; Jaur&egrave;s, par exemple. Le risque, bien &eacute;videmment, c&rsquo;est d&rsquo;effacer l&rsquo;une des principales dimensions de 14-18, &agrave; savoir le d&eacute;cha&icirc;nement du nationalisme&nbsp;: aujourd&rsquo;hui, l&rsquo;on passe ainsi g&eacute;n&eacute;ralement sur les outrances et les violences du nationalisme de guerre pour conserver une version &laquo;&nbsp;soft&nbsp;&raquo; du patriotisme, doubl&eacute;e d&rsquo;appels l&eacute;nifiants &agrave; la r&eacute;conciliation. Le nationalisme et ses exc&egrave;s repr&eacute;sentent ainsi de v&eacute;ritables angles morts de la r&eacute;flexion.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Il y a aussi une autre chose que je trouve frappante pour ce qui est des comm&eacute;morations du centenaire de 14-18&nbsp;: l&rsquo;emprise des &Eacute;tats et l&rsquo;absence d&rsquo;un v&eacute;ritable projet comm&eacute;moratif transnational. C&rsquo;est un ph&eacute;nom&egrave;ne tout &agrave; fait majeur. Je pensais, sans doute un peu na&iuml;vement, que la Commission europ&eacute;enne, par exemple, trouverait l&agrave; une occasion&nbsp;rare et un peu extraordinaire pour mettre en place un v&eacute;ritable dispositif symbolique &agrave; m&ecirc;me de faire valoir la l&eacute;gitimit&eacute; politique du projet europ&eacute;en, pr&eacute;cis&eacute;ment en tant que d&eacute;passement des nationalismes. Finalement, il n&rsquo;y a rien, ou tr&egrave;s peu de chose. C&rsquo;est &eacute;tonnant. M&ecirc;me le projet de la grande collecte Europeana, qui a conduit &agrave; num&eacute;riser des documents pour une biblioth&egrave;que virtuelle europ&eacute;enne, est, de mon p</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">oint de vue, d&eacute;cevant&nbsp;: mal pr&eacute;par&eacute;, il sera difficilement utilisable, je crois, par les historiens. Il me semble que c&rsquo;est l&agrave; une triste occasion manqu&eacute;e, pour la<span style="letter-spacing:-.1pt"> politique scientifique europ&eacute;enne, de donner &agrave; voir son potentiel transnational. Je ne sais pas ce que cela va donner &agrave; terme&nbsp;; peut-&ecirc;tre le projet peut-il encore s&rsquo;am&eacute;liorer, nous ne sommes tout compte fait qu&rsquo;au d&eacute;but du centenaire de 14-18. Ceci &eacute;tant, je reste quand m&ecirc;me extr&ecirc;mement frapp&eacute; par la pauvret&eacute;, voire l&rsquo;absence de discours comm&eacute;moratif europ&eacute;en en la mati&egrave;re.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Ce </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;Pro Patria Mori&nbsp;&raquo;<i> &ndash;&nbsp;pour reprendre le fameux titre du texte d&rsquo;E. Kantorowicz</i></span></span><i>&thinsp;</i><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&ndash;, correspondait-il, en 14-18, &agrave; un &eacute;tat d&rsquo;esprit collectif ou ne concernait-il que les mentalit&eacute;s et les convictions de certaines cat&eacute;gories seulement de combattants et de civils&nbsp;? Surtout peut-&ecirc;tre, si </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;la Grande Guerre demeure une ressource du pr&eacute;sent&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref9"></a><a href="#_ftn9"><sup><span style="color:black">[9]</span></sup></a>, <i>que nous dit cette mise en avant du &laquo;&nbsp;consentement&nbsp;&raquo; &agrave; la guerre sur notre soci&eacute;t&eacute; actuelle<a name="_ftnref10"></a><a href="#_ftn10"><b><sup><span style="color:black">[10]</span></sup></b></a>&nbsp;? Au bilan, la notion de &laquo;&nbsp;consentement&nbsp;&raquo; semble en effet inaugurer les lectures id&eacute;ologiques du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle guerrier en termes d&rsquo;adh&eacute;sion des peuples. Cela ne revient-il pas &agrave; rendre les peuples responsables &ndash;&nbsp;coupables&nbsp;?&nbsp;&ndash; des grandes catastrophes du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, se demande Fr&eacute;d&eacute;ric Rousseau dans le pr&eacute;sent volume&nbsp;?</i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">N. M.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Le simple fait que la formule <i>&laquo;&nbsp;Pro Patria Mori&nbsp;&raquo;</i> soit en latin, langue &eacute;trang&egrave;re &agrave; l&rsquo;&eacute;crasante majorit&eacute; de la population fran&ccedil;aise et europ&eacute;enne, t&eacute;moigne de l&rsquo;inad&eacute;quation de ce type d&rsquo;explications. Andr&eacute;, moi-m&ecirc;me et bien d&rsquo;autres l&rsquo;avons montr&eacute;&nbsp;: pour beaucoup de soldats, pour ne pas dire pour la quasi-totalit&eacute; d&rsquo;entre eux, la guerre n&rsquo;est pas un engagement, c&rsquo;est une chose obligatoire qui ne se discute pas. On est convoqu&eacute; dans le r&eacute;giment o&ugrave; on a fait son service militaire, puis on est mobilis&eacute;, on re&ccedil;oit sa feuille de route et puis l&rsquo;on part combattre&nbsp;: la guerre est l&agrave;, et c&rsquo;est tout. La question&nbsp;: &laquo;&nbsp;Est-ce que je pars&nbsp; ? / Est-ce que je ne pars pas&nbsp;?&nbsp;&raquo; n&rsquo;a aucun sens en 14-18 face &agrave; la pression sociale &agrave; laquelle sont soumis les soldats, en France et en Allemagne tout au moins.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Ce qui n&rsquo;emp&ecirc;che pas qu&rsquo;il ait exist&eacute; des individus enthousiastes &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de partir, et qui se seraient engag&eacute;s si le service n&rsquo;avait pas &eacute;t&eacute; obligatoire. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs le cas en Grande Bretagne, en 1914, o&ugrave; les engagements volontaires ont &eacute;t&eacute; nombreux. Mais cette question du consentement d&eacute;passe de loin la simple question historiographique&nbsp;: elle est aussi anthropologique. Dans quelle mesure les actes humains sont-ils motiv&eacute;s sur le plan individuel, d&eacute;cid&eacute;s en conscience de leurs implications&nbsp;? &Agrave; quel point sont-ils conditionn&eacute;s collectivement, d&eacute;termin&eacute;s par l&rsquo;environnement social&nbsp;? Il y a des chercheurs qui disent qu&rsquo;il y a &laquo;&nbsp;consentement&nbsp;&raquo; &agrave; la guerre&nbsp;; au sein du CRID 14-18, nous sommes particuli&egrave;rement critiques par rapport &agrave; cette notion. Est-ce que l&rsquo;on consid&egrave;re qu&rsquo;on agit parce que l&rsquo;on est conscient des enjeux de ses actes ou bien qu&rsquo;on agit aussi par routine, par habitude, parce qu&rsquo;on y est pouss&eacute; par toute une s&eacute;rie de d&eacute;terminations sociales&nbsp;? Personnellement, la derni&egrave;re proposition correspond assez nettement avec ma vision du monde, avec ma mani&egrave;re de penser l&rsquo;histoire et les actes sociaux. Mais il y a aussi la vision inverse, qui consiste &agrave; penser l&rsquo;histoire comme un encha&icirc;nement d&rsquo;actions motiv&eacute;es de mani&egrave;re rationnelle. C&rsquo;est la vision du monde de certains &eacute;conomistes par exemple, ainsi que celle d&rsquo;historiens culturalistes qui pensent que les actions humaines sont d&eacute;termin&eacute;es par les identit&eacute;s et la culture. &Agrave; mon sens, ces fa&ccedil;ons de penser l&rsquo;histoire produisent des fictions, en tout cas des choses qui ne tiennent pas lorsqu&rsquo;on les confronte &agrave; la complexit&eacute; des contextes des &eacute;poques consid&eacute;r&eacute;es.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.25pt">Ce m&ecirc;me d&eacute;bat ne pourrait-il pas se transposer dans d&rsquo;autres types de conflits arm&eacute;s&nbsp;o&ugrave; l&rsquo;on trouve des lectures similaires&nbsp;? Je pense par exemple &agrave; la guerre fran&ccedil;aise d&rsquo;Indochine. L&agrave; aussi on cherche &agrave; comprendre la combativit&eacute;, la t&eacute;nacit&eacute; des combattants vietnamiens en mettant en avant leur fanatisme, leurs convictions, leurs croyances, etc., et l&rsquo;&eacute;chec du corps exp&eacute;ditionnaire fran&ccedil;ais en soulignant son manque de motivation. Cette lecture anthropologique et id&eacute;ologique du &laquo;&nbsp;consentement&nbsp;&raquo; &agrave; la guerre d&eacute;passe ainsi largement le champ de la Grande Guerre.</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> C&rsquo;est possible, mais c&rsquo;est une historiographie que je ne connais pas. En tout cas, pour sortir du cadre de ce d&eacute;bat qui est essentiellement franco-fran&ccedil;ais, il est n&eacute;cessaire de confronter le cas fran&ccedil;ais avec d&rsquo;autres exp&eacute;riences de guerre. Le rapport de la France avec la Grande Guerre est marqu&eacute; par la pr&eacute;gnance du mod&egrave;le de l&rsquo;&Eacute;tat-nation et d&rsquo;un patriotisme d&eacute;fensif profond&eacute;ment enracin&eacute; par l&rsquo;&eacute;cole de la III<sup>e</sup>&nbsp;R&eacute;publique. Mais il y a toutes sortes d&rsquo;autres nations impliqu&eacute;es dans le conflit. Il y a, entres autres, la nation italienne, beaucoup plus r&eacute;cente, o&ugrave; la plupart des conscrits sont encore des paysans, peu voire jamais scolaris&eacute;s, pour lesquels les enjeux nationaux &ndash; l&rsquo;historiographie italienne l&rsquo;a bien montr&eacute; &ndash; sont des enjeux totalement abstraits, qui n&rsquo;&eacute;voquent rien. Et que dire de l&rsquo;Empire austro-hongrois&nbsp;? C&rsquo;est une arm&eacute;e compos&eacute;e de treize ou quatorze nationalit&eacute;s, ce qui n&rsquo;implique pas pour autant une absence de loyaut&eacute; vis-&agrave;-vis de l&rsquo;empire. La loyaut&eacute; envers l&rsquo;&Eacute;tat est un ressort important, mais elle n&rsquo;est pas forc&eacute;ment pens&eacute;e sur un mode conscient, certainement pas, de mani&egrave;re syst&eacute;matique, sur un mode national. Cela veut dire qu&rsquo;il y a de multiples ressorts derri&egrave;re la mobilisation, l&rsquo;adh&eacute;sion et la t&eacute;nacit&eacute; des combattants, des ressorts qu&rsquo;il convient de penser hors des cat&eacute;gories traditionnelles du national, de l&rsquo;&Eacute;tat-nation &agrave; la fran&ccedil;aise, du combattant volontaire ou de l&rsquo;involontaire.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Concernant ce type de probl&egrave;mes de causalit&eacute; historique, j&rsquo;aime bien mentionner l&rsquo;enqu&ecirc;te men&eacute;e par Omer Bartov dans son livre, <i>L&rsquo;Arm&eacute;e d&rsquo;Hitler. La Wehrmacht, les nazis et la guerre</i> (Hachette, 1999). Il montre, de fa&ccedil;on tr&egrave;s convaincante, me semble-t-il, que la perception qu&rsquo;ont pu avoir les soldats de la Wehrmacht de leurs ennemis sur le front de l&rsquo;Est durant la Deuxi&egrave;me </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Guerre mondiale, notamment des juifs, mais aussi des combattants de l&rsquo;arm&eacute;e rouge et des partisans sovi&eacute;tiques, devait finalement moins &agrave; leurs souvenirs ou &agrave; ce qu&rsquo;on avait pu leur transmettre de l&rsquo;exp&eacute;rience 14-18 qu&rsquo;au d&eacute;calage qu&rsquo;ils ont pu constater sur le terrain entre, d&rsquo;une part, ce que proclamait la propagande antis&eacute;mite de l&rsquo;entre-deux-guerres et notamment le journal <i>St&uuml;rmer</i>, et, de l&rsquo;autre, leur propre d&eacute;couverte des conditions d&rsquo;existence de ces populations. Ce que montre tr&egrave;s bien Bartov, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">c&rsquo;est que le caract&egrave;re absolument inou&iuml;, terrible, des politiques guerri&egrave;res men&eacute;es sur le front de l&rsquo;Est, tant par l&rsquo;arm&eacute;e allemande que par l&rsquo;arm&eacute;e sovi&eacute;tique, c&rsquo;est-&agrave;-dire une politique de la terre br&ucirc;l&eacute;e, laissait derri&egrave;re elle des populations civiles dans un &eacute;tat de d&eacute;nuement total, r&eacute;duites &agrave; la famine pure et simple, fait que de nombreux soldats allemands vont &eacute;crire &agrave; leur famille, qu&rsquo;en r&eacute;alit&eacute; ces populations sont dans un &eacute;tat d&rsquo;&laquo;&nbsp;animalisation&nbsp;&raquo; pire que ce que raconte la propagande nazie. Je pense que ce genre d&rsquo;enqu&ecirc;te nous aide beaucoup mieux &agrave; comprendre les comportements de la Wehrmacht &agrave; l&rsquo;Est, notamment le processus d&rsquo;animalisation de l&rsquo;ennemi et l&rsquo;extr&ecirc;me violence appliqu&eacute;e au traitement des civils, &agrave; commencer bien s&ucirc;r par les populations juives, que le postulat d&rsquo;une pr&eacute;tendue r&eacute;activation des souvenirs de la Grande Guerre dans l&rsquo;esprit de l&rsquo;arm&eacute;e hitl&eacute;rienne. La d&eacute;marche me para&icirc;t convaincante parce que l&rsquo;historien montre comment la r&eacute;alit&eacute; du terrain sur le front &agrave; l&rsquo;Est, au sens tr&egrave;s concret du terme, conduit &agrave; une sorte de confirmation improbable des th&egrave;mes de la propagande nazie. Ce sont les politiques militaires de &laquo;&nbsp;terre br&ucirc;l&eacute;e&nbsp;&raquo; chez les deux bellig&eacute;rants qui conduisent &agrave; donner corps aux repr&eacute;sentations lues ou vues dans la presse. </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.15pt">Celles-ci n&rsquo;agissent pas par elles-m&ecirc;mes, &laquo;&nbsp;toutes seules&nbsp;&raquo;, mais sont en quelque sorte tragiquement &laquo;&nbsp;valid&eacute;es&nbsp;&raquo; <i>in situ</i>. Il me semble que cette mani&egrave;re de &laquo;&nbsp;faire jouer&nbsp;&raquo; l&rsquo;hypoth&egrave;se du r&ocirc;le de la propagande ant&eacute;rieure est une mani&egrave;re &eacute;clairante et heuristique d&rsquo;aborder le probl&egrave;me de la causalit&eacute; entre &laquo;&nbsp;avant et apr&egrave;s&nbsp;&raquo;, si l&rsquo;on veut r&eacute;sumer ainsi le lien</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Je compl&eacute;terais la r&eacute;ponse de Nicolas Mariot sur deux points. D&rsquo;abord, le terme &laquo;&nbsp;comparaison&nbsp;&raquo; me para&icirc;t compliqu&eacute;&nbsp;: la d&eacute;marche consistant &agrave; comparer deux &eacute;v&eacute;nements cons&eacute;cutifs est en effet difficilement tenable en cela pr&eacute;cis&eacute;ment que le rapport de causalit&eacute; entre les deux &eacute;v&eacute;nements bloque quelque part la d&eacute;marche comparative. Ceci dit, deux domaines pourraient s&rsquo;av&eacute;rer assez f&eacute;conds en termes d&rsquo;approches crois&eacute;es. Le premier porte sur la m&eacute;moire de la Premi&egrave;re Guerre mondiale durant la Seconde et sur la trajectoire des acteurs de la Grande Guerre dans la Deuxi&egrave;me Guerre mondiale. Ces trajectoires sont tr&egrave;s diverses&nbsp;: d&rsquo;anciens g&eacute;n&eacute;raux, comme P&eacute;tain, deviennent des &laquo;&nbsp;sauveurs&nbsp;&raquo;, des figures d&rsquo;autorit&eacute; en raison du capital symbolique amass&eacute; pendant la Grande Guerre&nbsp;; certains anciens combattants deviennent des r&eacute;sistants, comme Marc Bloch, etc.&nbsp;; d&rsquo;autres au contraire rejoignent les rangs des miliciens et des fascistes, comme Joseph Darnand et bien d&rsquo;autres, pour rester dans le seul cas fran&ccedil;ais. De fait, chacun investit de fa&ccedil;on diff&eacute;rente son exp&eacute;rience de la Grande Guerre.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.1pt">Ce qui est int&eacute;ressant, c&rsquo;est la mani&egrave;re dont la m&eacute;moire de la Premi&egrave;re Guerre mondiale sature les comportements et les pens&eacute;es des acteurs de la Seconde Guerre mondiale. On le voit, par exemple, avec Hitler qui insiste pour que l&rsquo;armistice du 22&nbsp;juin&nbsp;1940 soit sign&eacute; dans le m&ecirc;me wagon que celui employ&eacute; en 1918. Il y a aussi toute la politique des autorit&eacute;s allemandes d&rsquo;occupation, encore tr&egrave;s peu &eacute;tudi&eacute;e, qui d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; interdit que l&rsquo;on touche aux monuments aux morts fran&ccedil;ais de 14-18 et de l&rsquo;autre tente de contr&ocirc;ler les m&eacute;moires de la Grande Guerre qui pouvaient leur poser probl&egrave;me.</span> <span style="letter-spacing:-.1pt">La gestion m&eacute;morielle de la Grande Guerre est en effet au c&oelig;ur m&ecirc;me de la Seconde Guerre mondiale&nbsp;; significatif &agrave; cet &eacute;gard est l&rsquo;&eacute;pisode du d&eacute;fil&eacute; du 11&nbsp;novembre 1943 &agrave; Oyonnax&nbsp;: la m&eacute;moire de la Grande Guerre est r&eacute;investie par les r&eacute;sistants pour l&eacute;gitimer leur combat. Il me semble que toutes ces correspondances pratiques entre les deux guerres m&eacute;riteraient d&rsquo;&ecirc;tre davantage &eacute;tudi&eacute;es de fa&ccedil;on syst&eacute;matique.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Le deuxi&egrave;me lieu o&ugrave; l&rsquo;approche crois&eacute;e des deux guerres me para&icirc;t particuli&egrave;rement pertinente est le terrain colonial. Ces deux guerres mettent en effet aux prises des m&eacute;tropoles europ&eacute;ennes &ndash; plus le Japon et les &Eacute;tats-Unis &eacute;videmment &ndash; disposant de colonies sur lesquelles les effets de la guerre sont &eacute;galement importants, &agrave; la fois en termes de mobilisation et de d&eacute;stabilisation, de d&eacute;l&eacute;gitimation de la domination coloniale. Ces effets sont largement comparables, mais ils sont g&eacute;n&eacute;ralement &eacute;tudi&eacute;s de mani&egrave;re s&eacute;par&eacute;e alors qu&rsquo;ils m&eacute;riteraient un traitement global. La Grande Guerre fragiliserait les empires coloniaux et la Seconde Guerre mondiale sonnerait le glas du colonialisme et pr&eacute;parerait la d&eacute;colonisation&nbsp;; mais nous manquons d&rsquo;enqu&ecirc;tes englobant, sur un m&ecirc;me territoire colonial, 1914-1918 et 1939-1945, afin de pouvoir </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">consid&eacute;rer, ensemble, les effets des deux conflits. Pour l&rsquo;Alg&eacute;rie, nous avons la grande th&egrave;se de Gilbert Meynier <i>(L&rsquo;Alg&eacute;rie r&eacute;v&eacute;l&eacute;e. La Premi&egrave;re Guerre mondiale et le premier quart du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle,</i> Droz, 1981, bient&ocirc;t r&eacute;&eacute;dit&eacute;e) et il est &agrave; esp&eacute;rer que d&rsquo;autres enqu&ecirc;tes verront le jour afin de compl&eacute;ter le tableau, et ainsi pouvoir <span style="letter-spacing:-.1pt">disposer d&rsquo;une vue globale sur les effets</span> et logiques des deux guerres dans les espaces coloniaux.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">En d&eacute;finitive, quelles</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <i><span style="letter-spacing:-.1pt">sont les diff&eacute;rences, sur plan id&eacute;ologique, entre les deux conflagrations mondiales&nbsp;?</span></i></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> L&agrave; encore, il n&rsquo;y a pas de r&eacute;ponse simple. D&rsquo;abord, la Grande Guerre a oppos&eacute; aussi bien des &Eacute;tats-nations que des &Eacute;tats multinationaux&nbsp;; &agrave; la fin de la guerre, elle a m&ecirc;me vu appara&icirc;tre un &Eacute;tat d&rsquo;un genre nouveau, r&eacute;volutionnaire, la Russie bolchevique qui s&rsquo;est retir&eacute;e du jeu mais qui a continu&eacute; de peser sur la situation. Autrement dit, la fin de la Grande Guerre introduit une dimension id&eacute;ologique extr&ecirc;mement forte, avec la r&eacute;volution russe qui exerce d&rsquo;embl&eacute;e une puissante attraction/r&eacute;pulsion, et qui nourrit nombre d&rsquo;espoirs et d&rsquo;attentes en Europe et &agrave; travers le monde. Et puis, vous avez de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute; le wilsonisme, entendu comme une autre mani&egrave;re de penser la fin de la guerre, de penser l&rsquo;espoir d&rsquo;un monde meilleur avec notamment l&rsquo;autod&eacute;termination des peuples. Vous avez enfin l&rsquo;&eacute;mergence des nationalismes, avec des objectifs d&rsquo;annexion de territoires, etc. Des nationalismes &agrave; l&rsquo;internationalisme, de la r&eacute;volution &agrave; la contre-r&eacute;volution, les dimensions id&eacute;ologiques sont donc d&eacute;j&agrave; tr&egrave;s pr&eacute;sentes dans et &agrave; la suite de la Grande Guerre. Avec la Seconde Guerre mondiale, nous avons bien &eacute;videmment une dimension id&eacute;ologique suppl&eacute;mentaire, avec le fascisme, le nazisme, l&rsquo;antifascisme et la R&eacute;sistance.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">&Agrave; ce propos, il est int&eacute;ressant de souligner les diff&eacute;rences dans les mani&egrave;res de comm&eacute;morer les deux guerres. On voit bien comment, en France, le centenaire de 1914 se conjugue assez difficilement avec le 70<sup>e</sup> anniversaire de 1944 parce que, d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, le centenaire de 1914 conduit &agrave; une r&eacute;conciliation avec l&rsquo;ennemi allemand d&rsquo;hier, tandis que le 70<sup>e</sup> anniversaire de 1944 interdit &eacute;videmment de se r&eacute;concilier avec l&rsquo;ennemi nazi du temps pass&eacute;. L&agrave;, ce n&rsquo;est pas tellement sur le plan de l&rsquo;histoire que les choses sont difficiles &agrave; penser, c&rsquo;est plut&ocirc;t sur le plan de la coordination des politiques m&eacute;morielles.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Id&eacute;ologiquement, ce qui s&eacute;pare profond&eacute;ment les deux guerres, c&rsquo;est incontestablement la sp&eacute;cificit&eacute; du nazisme. La <i>Weltanschauung</i>, la vision nazie du monde, compl&egrave;tement racialis&eacute;e, est tout de m&ecirc;me une sp&eacute;cificit&eacute; tr&egrave;s forte, sans m&ecirc;me &eacute;voquer le g&eacute;nocide qui lui est intimement li&eacute;. Je crois qu&rsquo;il faut maintenir solidement cette distinction, quoi qu&rsquo;on puisse penser du militarisme allemand durant la Grande Guerre. Il faut maintenir fortement cette distinction, cette sp&eacute;cificit&eacute; du nazisme.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.15pt">L&rsquo;historiographie contemporaine a particuli&egrave;rement insist&eacute; ces derni&egrave;res ann&eacute;es sur la dimension id&eacute;ologique de la Premi&egrave;re Guerre mondiale, &laquo;&nbsp;croisade&nbsp;&raquo; de la civilisation contre la barbarie, en un appel du pied, tout &agrave; la fois, aux champs de la Deuxi&egrave;me Guerre mondiale et de la guerre froide. Dans le monde de l&rsquo;apr&egrave;s-guerre froide, 1914-1918 annoncerait tout &agrave; la fois une premi&egrave;re victoire des d&eacute;mocraties occidentales, en l&rsquo;occurrence sur l&rsquo;ancien r&eacute;gime (Francis Fukuyama), et la g&eacute;n&eacute;ration de ses nouveaux ennemis au travers de la r&eacute;volution bolchevique et du nazisme d&eacute;j&agrave; en germe dans l&rsquo;exp&eacute;rience et la d&eacute;faite allemande de 1914-1918. Ainsi la Premi&egrave;re Guerre mondiale composerait-elle la situation initiale du roman de ce XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle d&rsquo;horreurs&nbsp;; position &laquo;&nbsp;disput&eacute;e&nbsp;&raquo; par certains sp&eacute;cialistes du champ colonial voyant dans les id&eacute;ologies colonialistes et les guerres de conqu&ecirc;te et de pacification coloniales d&rsquo;autres matrices du racisme contemporain, jusqu&rsquo;&agrave; son expression la plus radicale </span></span></span></i><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">dans le nazisme<a name="_ftnref11"></a><a href="#_ftn11"><b><sup><span style="color:black">[11]</span></sup></b></a>. Qu&rsquo;ont selon vous &agrave; &laquo;&nbsp;gagner&nbsp;&raquo; les diff&eacute;rentes historiographies &agrave; ce genre de rapprochements&nbsp;? Ces confrontations sont-elles par essence condamn&eacute;es &agrave; animer des espaces de controverses n&rsquo;apportant finalement rien de plus &agrave; la connaissance historique<a name="_ftnref12"></a><a href="#_ftn12"><b><sup><span style="color:black">[12]</span></sup></b></a>&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt"> Une remarque g&eacute;n&eacute;rale&nbsp;: ce type de grandes comparaisons, &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle et m&ecirc;me plus, sont sans doute int&eacute;ressantes, mais tr&egrave;s probl&eacute;matiques aussi. C&rsquo;est la d&eacute;marche d&rsquo;Enzo Traverso dans certains de ses travaux <i>(La Violence nazie. Une g&eacute;n&eacute;alogie europ&eacute;enne</i>, La Fabrique, 2002&nbsp;; <i>&Agrave; feu et &agrave; sang. De la guerre civile europ&eacute;enne</i>, Stock, 2007&nbsp;; <i>L&rsquo;Histoire comme champ de bataille. Interpr&eacute;ter les violences du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</i>, La D&eacute;couverte, 2011). On y trouve certes des &eacute;l&eacute;ments stimulants, on apprend plein des choses, notamment sur une bibliographie qu&rsquo;on conna&icirc;t souvent mal&nbsp;; mais c&rsquo;est en m&ecirc;me temps tellement surplombant, tellement loin du terrain et des sources que &ccedil;a reste &agrave; mon sens peu probant. C&rsquo;est suggestif mais pas d&eacute;monstratif&nbsp;: Traverso ne d&eacute;montre ainsi rien sur l&rsquo;origine des violences et leur processus. Afin de rendre f&eacute;cond ce genre de grand questionnement, je plaiderais donc plut&ocirc;t pour l&rsquo;articulation du <i>macro</i> et du <i>micro</i>, avec des enqu&ecirc;tes de terrain extr&ecirc;mement serr&eacute;es et document&eacute;es. Il nous faut des &eacute;tudes </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">locales, sur des territoires pr&eacute;cis d&rsquo;exp&eacute;rience de violences intenses ou d&rsquo;occupations, comme &agrave; Lemberg/Lv&oacute;w/L&rsquo;viv en Galicie (Christoph Mick, <i>Kriegserfahrungen in einer multiethnischen Stadt. Lemberg</i></span></span></span><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt"> 1914-1947</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">, Wiesbaden, Harrassowitz, 2010), par exemple&nbsp;: cela me semble plus op&eacute;ratoire. Au-dessus, le niveau le plus pertinent est celui des &eacute;tudes </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">r&eacute;gionales, comme celle (contestable sur bien des points) de Timothy Snyder, <i>Terres de sang. L&rsquo;Europe entre Hitler et Staline</i> (Gallimard, 2012), ou l&rsquo;ouvrage collectif dirig&eacute; par Omer Bartov&nbsp;et Eric D.&nbsp;Weitz, <i>Shatterzone</i></span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <i><span style="letter-spacing:.1pt">of Empires&nbsp;: Coexistence and Violence in the German, Habsburg, Rus</span><span style="letter-spacing:-.2pt">sian, and Ottoman Borderlands</span></i> <span style="letter-spacing:-.1pt">(Indiana University Press, 2013). L&rsquo;id&eacute;e centrale de ces ouvrages, c&rsquo;est qu&rsquo;il y a une logique globale au premier XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle qui est </span><span style="letter-spacing:-.2pt">l&rsquo;effondrement des confins imp&eacute;riaux, de l&rsquo;Autriche-Hongrie &agrave; l&rsquo;Empire ottoman, de l&rsquo;Empire russe &agrave; celui de l&rsquo;Allemagne. Ces zones de confins sont des zones de violences extr&ecirc;mes parce que c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment l&agrave; que les empires se d&eacute;sagr&egrave;gent dans la premi&egrave;re moiti&eacute; du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. C&rsquo;est l&agrave;, me semble-t-il, une perspective de recherche tr&egrave;s stimulante, qui demande &agrave; &ecirc;tre explor&eacute;e s&eacute;rieusement, une fois encore avec des enqu&ecirc;tes de terrain concr&egrave;tes, afin de rendre possible des d&eacute;monstrations. Sinon, le prisme global qui consisterait &agrave; dire qu&rsquo;il y a des violences coloniales, que ces violences coloniales peuvent &ecirc;tre compar&eacute;es aux violences de la Grande Guerre, qu&rsquo;elles-m&ecirc;mes peuvent &ecirc;tre compar&eacute;es avec celles de la Seconde Guerre mondiale et avec celles du g&eacute;nocide, ne nous fait gu&egrave;re avancer.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Il y a quand m&ecirc;me quelques enqu&ecirc;tes de terrain sur les conqu&ecirc;tes coloniales&hellip;</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.1pt">Oui, mais la question c&rsquo;est comment on les relie. L&agrave;, le travail d&rsquo;Isabel Hull sur le comportement de l&rsquo;arm&eacute;e allemande dans sa conqu&ecirc;te coloniale de l&rsquo;Afrique <i>(Absolute Destruction, Military Culture and the Practices of War in Imperial Germany</i>, Cornell, 2004) est int&eacute;ressant. </span><span style="letter-spacing:-.2pt">C&rsquo;est une des rares enqu&ecirc;tes d&eacute;montrant que c&rsquo;est le type m&ecirc;me d&rsquo;enseignement des &eacute;coles militaires allemandes qui pr&eacute;pare &agrave; la fois aux massacres coloniaux</span><span style="letter-spacing:-.1pt"> et aux combats dans la Grande Guerre. Toute la difficult&eacute; consiste pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; faire ce type de liens&nbsp;; pour ma part, je ne pense pas qu&rsquo;on puisse s&eacute;parer la Grande Guerre de l&rsquo;avant-guerre de la conqu&ecirc;te coloniale. &Agrave; mon avis, un des &eacute;l&eacute;ments explicatifs des causes de la Grande Guerre et des guerres de l&rsquo;avant-guerre, les conflits balkaniques notamment, c&rsquo;est qu&rsquo;il y a une forme d&rsquo;&eacute;puisement de la conqu&ecirc;te coloniale. Le jeu du partage colonial est quasiment achev&eacute; et il n&rsquo;y a plus beaucoup d&rsquo;espaces &agrave; coloniser. La dynamique imp&eacute;rialiste ne dispara&icirc;t pas pour autant, mais son enjeu se recentre sur l&rsquo;Europe elle-m&ecirc;me.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Durant les trois derni&egrave;res d&eacute;cennies, les recherches historiques sur la Seconde Guerre mondiale ont connu des d&eacute;veloppements extraordinaires, accompagn&eacute;s de d&eacute;bats riches et f&eacute;conds, aussi bien sur le plan archivistique et empirique que sur le plan de l&rsquo;interpr&eacute;tation. Certes, tr&egrave;s souvent, l&rsquo;&eacute;tude et l&rsquo;interpr&eacute;tation des crimes nazis &ndash; crimes politiques, g&eacute;nocides, crimes de guerre, etc.&nbsp;&ndash; occupent une place centrale au sein de ces d&eacute;veloppements&nbsp;; il n&rsquo;emp&ecirc;che qu&rsquo;&agrave; travers l&rsquo;historiographie de la Seconde Guerre mondiale, c&rsquo;est une relecture de fond de l&rsquo;ensemble de l&rsquo;histoire du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle qui est mise en &oelig;uvre, voire m&ecirc;me, une relecture de fond en comble de la modernit&eacute; elle-m&ecirc;me &ndash;&nbsp;notamment en raison des moyens scientifiques et technologiques que mobilisa cette guerre d&rsquo;an&eacute;antissement. Dans ce cadre g&eacute;n&eacute;ral, il y a eu un moment o&ugrave; tout donnait &agrave; penser que cet impact massif de la Seconde Guerre mondiale avait fini par rejeter la Grande Guerre dans l&rsquo;ombre, &agrave; la fois sur plan historiographique et sur </span></span></span></i><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">celui de la m&eacute;moire collective. Toutefois, eu &eacute;gard aux grandes discussions des derni&egrave;res d&eacute;cennies sur 14-18, cette impression s&rsquo;est av&eacute;r&eacute;e plut&ocirc;t erron&eacute;e. Pensez-vous cependant que les avanc&eacute;es de la recherche sur la Seconde Guerre mondiale ont &eacute;t&eacute; de nature &agrave; influencer et &agrave; redynamiser les recherches sur la Grande Guerre, voire &agrave; r&eacute;orienter leurs questionnements&nbsp;? L&rsquo;&eacute;tude de la Seconde Guerre mondiale a en outre magistralement bris&eacute; les clivages disciplinaires par l&rsquo;intervention de la plupart des sciences humaines et sociales (sociologie, sciences politiques, anthropologie, etc.). Observe-t-on un mouvement similaire sur le terrain des &eacute;tudes de la Grande Guerre&nbsp;?</span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt"> &Agrave; mon sens, dans le d&eacute;bat historiographique, pas tellement. D&rsquo;ailleurs, il est frappant de voir qu&rsquo;il y a des controverses qui pourraient &ecirc;tre pens&eacute;es dans les m&ecirc;mes termes, dans le champ de la Premi&egrave;re Guerre mondiale et dans celui de la Seconde, mais qui ne le sont pas. Notamment tout le travail qui a &eacute;t&eacute; fait sur l&rsquo;Occupation entre 1940 et 1944, toute </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">la&nbsp;question de l&rsquo;accommodement, de la r&eacute;sistance, des attitudes face &agrave; l&rsquo;occupation&nbsp;: toute cette s&eacute;rie de questions aurait pu &ecirc;tre r&eacute;investie par l&rsquo;historiographie de la Grande Guerre sur la t&eacute;nacit&eacute; des combattants, de m&ecirc;me que la r&eacute;flexion autour des attitudes face au nazisme, la distinction entre &laquo;&nbsp;Widerstand&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;Resistenz&nbsp;&raquo; </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">propos&eacute;e par Martin Broszat, par exemple<a name="_ftnref13"></a><a href="#_ftn13"><sup><span style="color:black">[13]</span></sup></a>. Accommodement &agrave; la guerre, adh&eacute;sion, </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.4pt">opposition, r&eacute;sistance, enthousiasme, etc.&nbsp;:</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt"> toutes ces cat&eacute;gories sont assez peu mobilis&eacute;es de mani&egrave;re comparative par l&rsquo;historiographie des deux guerres, exception faite des travaux de Fr&eacute;d&eacute;ric Rousseau. En dehors de cette dimension, on ne peut pas dire qu&rsquo;il y ait eu d&rsquo;importation de concepts, de mani&egrave;res d&rsquo;approcher la guerre, d&rsquo;un champ vers l&rsquo;autre. Personnellement, je ne vois pas tellement de liens entre les d&eacute;bats sur la Seconde Guerre mondiale et les d&eacute;bats sur la Grande Guerre, m&ecirc;me si, intellectuellement, leurs diff&eacute;rents enjeux m&eacute;riteraient certainement d&rsquo;&ecirc;tre pos&eacute;s ensemble.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> Une toute petite illustration sur ce point. Philippe Salson a soutenu une th&egrave;se, il y a peu, sur l&rsquo;occupation allemande de l&rsquo;Aisne pendant la Premi&egrave;re Guerre mondiale <i>(1914-1918&nbsp;: les ann&eacute;es grises. L&rsquo;exp&eacute;rience des civils dans l&rsquo;Aisne occup&eacute;e</i>, 2013). Il y avait dans son jury de th&egrave;se Laurent Douzou, sp&eacute;cialiste de la Seconde Guerre mondiale et particuli&egrave;rement de la R&eacute;sistance. Il &eacute;tait tout &agrave; fait frapp&eacute; de voir &agrave; quel point les liens entre les deux historiographies &eacute;taient peu d&eacute;velopp&eacute;s, alors qu&rsquo;il y aurait un grand int&eacute;r&ecirc;t &agrave; ce que les chercheurs travaillant sur l&rsquo;occupation allemande pendant la Premi&egrave;re Guerre mondiale lisent les travaux de leurs coll&egrave;gues travaillant sur la Seconde, et r&eacute;ciproquement. On comprend ainsi pourquoi Laurent Douzou, lors de cette soutenance, a pu parfois avoir l&rsquo;impression que l&rsquo;on r&eacute;inventait l&rsquo;eau chaude &agrave; propos de l&rsquo;occupation allemande durant la Grande Guerre, alors que certaines de ces questions &eacute;taient d&eacute;j&agrave; fort bien balis&eacute;es et labour&eacute;es pour la Seconde Guerre mondiale, dans des termes parfois tr&egrave;s proches ou, au contraire, relativement &eacute;loign&eacute;s.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.05pt">Depuis les travaux de George L. Mosse et de fa&ccedil;on indirecte depuis la p&eacute;riodisation du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle propos&eacute;e par Eric J. Hobsbawm &ndash; sans parler des travaux d&rsquo;Ernst Nolte &ndash;, la Premi&egrave;re Guerre mondiale est souvent per&ccedil;ue et pos&eacute;e comme la &laquo;&nbsp;matrice&nbsp;&raquo; du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle. Toute une s&eacute;rie de concepts ont &eacute;t&eacute; avanc&eacute;s, comme par exemple la &laquo;&nbsp;brutalisation&nbsp;&raquo; des rapports sociopolitiques, la &laquo;&nbsp;culture de guerre&nbsp;&raquo;<a name="_ftnref14"></a><a href="#_ftn14"><b><sup><span style="color:black">[14]</span></sup></b></a>, etc., afin d&rsquo;expliquer le processus de radicalisation de la violence dans l&rsquo;entre-deux-guerres, processus qui culmina dans le paroxysme de la Seconde Guerre mondiale avec comme point d&rsquo;acm&eacute; les crimes nazis. La Grande Guerre aurait ainsi cr&eacute;&eacute;, par elle-m&ecirc;me, toutes les conditions n&eacute;cessaires et suffisantes d&rsquo;une guerre civile g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;e dont l&rsquo;aboutissement final serait le nazisme. Les r&eacute;cents travaux de l&rsquo;historien britannique Thomas Weber </span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.05pt">(La Premi&egrave;re Guerre d&rsquo;Hitler<i>, Perrin, 2010) s&rsquo;inscrivent tout &agrave; fait en porte-&agrave;-faux par rapport &agrave; cette perspective. Comment vous situez-vous personnellement dans ce qui appara&icirc;t &ecirc;tre d&eacute;sormais l&rsquo;&eacute;picentre de grands conflits d&rsquo;interpr&eacute;tation de la Grande Guerre&nbsp;? La guerre d&eacute;termine-t-elle les lignes de force des d&eacute;veloppements &agrave; venir&nbsp;? Le petit caporal &eacute;tait-il d&eacute;j&agrave;, dans le creuset de la Grande Guerre, un Hitler en puissance&nbsp;? </i></span></span></span><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.2pt">Et si l&rsquo;on r&eacute;cuse cette interpr&eacute;tation qui fait valoir sous le signe de la catastrophe annonc&eacute;e plut&ocirc;t les continuit&eacute;s que les discontinuit&eacute;s entre les deux guerres, quelle autre approche faut-il privil&eacute;gier pour mieux comprendre les sp&eacute;cificit&eacute;s de l&rsquo;entre-deux-guerres allemand&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.05pt"> C&rsquo;est la grande question de la &laquo;&nbsp;matrice&nbsp;&raquo;&nbsp;: continuit&eacute;, discontinuit&eacute;&nbsp;? J&rsquo;aurais deux &eacute;l&eacute;ments de r&eacute;ponse. Le premier, c&rsquo;est que ce questionnement est relativement r&eacute;cent, l&rsquo;id&eacute;e que la Grande Guerre est la matrice du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle date en fait des ann&eacute;es 1980-1990 et de l&rsquo;effondrement de l&rsquo;Union sovi&eacute;tique. Se d&eacute;coupe ainsi une s&eacute;quence 1914-1989/91 qui para&icirc;t coh&eacute;rente en elle-m&ecirc;me. C&rsquo;est la p&eacute;riodisation d&rsquo;Eric J.&nbsp;Hobsbawm que vous &eacute;voquez dans votre question <i>(L&rsquo;&Acirc;ge des extr&ecirc;mes. Histoire du court XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle</i>, Bruxelles, Complexe/Le Monde diplomatique, 1999). C&rsquo;est aussi le livre d&rsquo;Arno Mayer sur <i>La &laquo;&nbsp;Solution finale&nbsp;&raquo; dans l&rsquo;histoire</i> (La D&eacute;couverte, 1990), qui parle de la guerre de trente ans du XX<sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle.</span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:.05pt">Bref, c&rsquo;est dans les ann&eacute;es 1980 que commence &agrave; s&rsquo;inscrire cette r&eacute;flexion-l&agrave;&nbsp;; elle n&rsquo;a ainsi pas toujours &eacute;t&eacute; &eacute;vidente. La p&eacute;riodisation qui a longtemps pr&eacute;valu, plus &eacute;vidente, est celle de 1870-1918, parce que 1918, en France en particulier, c&rsquo;est le retour de l&rsquo;Alsace-Lorraine, c&rsquo;est la </span><span style="letter-spacing:.1pt">cl&ocirc;ture d&rsquo;un cycle historique, celui de </span>l&rsquo;&egrave;re des nationalismes, et le passage &agrave; l&rsquo;&egrave;re des fascismes. Cette historicit&eacute;-l&agrave; demande aujourd&rsquo;hui &agrave; &ecirc;tre travaill&eacute;e, &agrave; &ecirc;tre repens&eacute;e. Aujourd&rsquo;hui le d&eacute;coupage qui pr&eacute;vaut, c&rsquo;est&nbsp;: 1914 inaugure un si&egrave;cle d&rsquo;horreurs, de catastrophes<span style="letter-spacing:.05pt">. Mais est-ce aussi simple et &eacute;vident&nbsp;?</span> <span style="letter-spacing:.05pt">Une chose me para&icirc;t claire, c&rsquo;est que, du point de vue de l&rsquo;exp&eacute;rience des Occidentaux, disons des Europ&eacute;ens, en 1914-1918, la confrontation avec la guerre change radicalement d&rsquo;ampleur. Ce n&rsquo;est pas forc&eacute;ment la violence de la guerre qui change de nature, les guerres coloniales &eacute;taient tr&egrave;s violentes de m&ecirc;me que celles de Napol&eacute;on I<sup>er</sup>, mais bien l&rsquo;ampleur de la confrontation, celle de millions de gens avec la guerre. Mais cette confrontation de masse ne produit pas &agrave; mon sens d&rsquo;effets automatiques. Sous ce rapport, c&rsquo;est ce que la guerre laisse en h&eacute;ritage qui est important&nbsp;; comme tout h&eacute;ritage, celui-ci est inventori&eacute;, appropri&eacute;, valoris&eacute;, de diff&eacute;rentes mani&egrave;res par les acteurs et les groupes sociaux. Pour moi, la Grande Guerre l&egrave;gue un champ de forces, autour de la question de la guerre et de la paix. Il y a des gens qui vont valoriser des &eacute;l&eacute;ments du c&ocirc;t&eacute; de la guerre&nbsp;: ils seront bellicistes en connaissance de cause.</span> <span style="letter-spacing:.05pt">Or, c&rsquo;est tr&egrave;s diff&eacute;rent d&rsquo;&ecirc;tre belliciste en 1920 et en 1910. En 1910, on trouve encore des gens pour dire na&iuml;vement que la guerre est belle&nbsp;; ils imaginent des charges &agrave; la ba&iuml;onnette en rase campagne, etc.</span> <span style="letter-spacing:.05pt">Ceux qui le sont en 1920, le sont en connaissance de cause&nbsp;: ils ont compris que la violence </span><span style="letter-spacing:-.1pt">de guerre pouvait &ecirc;tre un &eacute;l&eacute;ment de grande efficacit&eacute;, qu&rsquo;elle pouvait &ecirc;tre une incroyable technique de mobilisation pour atteindre </span><span style="letter-spacing:.1pt">un certain nombre d&rsquo;objectifs. Les fascistes, les nazis, les bolcheviques, sont des groupes qui ont tir&eacute; ces le&ccedil;ons-l&agrave; de la guerre et qui ont valoris&eacute; cet h&eacute;ritage. Et puis, &agrave; c&ocirc;t&eacute;, il y a des gens qui ont fait un inventaire diff&eacute;rent de ce </span><span style="letter-spacing:.05pt">m&ecirc;me h&eacute;ritage de la Grande Guerre&nbsp;: ce sont les pacifistes. Pour les pacifistes, la guerre devient le mal absolu, le mal radical &agrave; combattre, &agrave; &eacute;liminer. Autrement dit, la Grande Guerre l&egrave;gue un lourd h&eacute;ritage, un champ de forces qui m&ecirc;le les registres belliciste et pacifiste, et &agrave; travers eux deux principaux enjeux&nbsp;: la guerre et la r&eacute;volution. Les deux sont en effet &agrave; penser ensemble, de mani&egrave;re tr&egrave;s forte. Les mouvements fascistes et nazis sont contre-r&eacute;volutionnaires, ils tournent leurs armes contre le danger r&eacute;volutionnaire&nbsp;; c&rsquo;est d&rsquo;ailleurs l&rsquo;un des principaux &eacute;l&eacute;ments pr&eacute;sidant &agrave; leur naissance et leur d&eacute;veloppement. &Eacute;videmment, c&rsquo;est l&rsquo;inverse du c&ocirc;t&eacute; des bolcheviques. Ils utilisent la violence r&eacute;volutionnaire &agrave; la fois pour se d&eacute;fendre et pour r&eacute;duire leurs ennemis. &Agrave; mon sens, ce que l&egrave;gue la guerre, c&rsquo;est une forme de centralit&eacute; de la violence, non pas pour chaque individu, mais comme r&eacute;pertoire des possibles dans lequel on vient puiser des &eacute;l&eacute;ments soit pour s&rsquo;approprier la violence, soit pour la rejeter.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> On peut avancer aussi une autre id&eacute;e&nbsp;: la possibilit&eacute; de la guerre, l&rsquo;horizon d&rsquo;une guerre comme potentialit&eacute; demeure pr&eacute;sente, du moins dans les pays d&rsquo;Europe occidentale, jusqu&rsquo;&agrave; la guerre d&rsquo;Alg&eacute;rie, y compris donc pour la g&eacute;n&eacute;ration n&eacute;e en 1940, celle de mon p&egrave;re parti dans le cadre de son service militaire. En Europe occidentale, je pense que cette possibilit&eacute; de la guerre n&rsquo;est plus dans l&rsquo;horizon des g&eacute;n&eacute;rations d&rsquo;apr&egrave;s 1940. Pour moi, l&rsquo;id&eacute;e de devoir partir un jour &agrave; la guerre est de l&rsquo;ordre de l&rsquo;impossible&nbsp;; la chose &eacute;tait naturellement diff&eacute;rente pour les g&eacute;n&eacute;rations pr&eacute;c&eacute;dentes de l&rsquo;apr&egrave;s-Grande Guerre.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">A. L.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Il y a un livre qui montre bien cette d&eacute;militarisation de l&rsquo;Europe apr&egrave;s 1945, notamment du fait du parapluie nucl&eacute;aire am&eacute;ricain qui a permis la d&eacute;militarisation des esprits et des soci&eacute;t&eacute;s, les deux allant de pair. C&rsquo;est celui d&rsquo;un historien am&eacute;ricain, James J.&nbsp;Sheehan, (</span></span><i><span lang="EN-US" style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Where Have All the Soldiers Gone&nbsp;? </span></span></i><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">The Transformation of Modern Europe, </span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Houghton Mifflin Company, 2008). <span style="letter-spacing:-.1pt">Avant 1914, il montre bien que la soci&eacute;t&eacute;, y compris la soci&eacute;t&eacute; politique, se repr&eacute;sentait comme une soci&eacute;t&eacute; militaire&nbsp;: les dirigeants posaient en uniforme, les revues militaires et paramilitaires &eacute;taient de grands moments de sociabilit&eacute;. Aujourd&rsquo;hui, m&ecirc;me s&#39;il attire encore du monde, le 14&nbsp;Juillet n&rsquo;a plus la m&ecirc;me ampleur qu&#39;&agrave; l&rsquo;&eacute;poque. Dans une bourgade de province, le passage de la troupe &eacute;tait un moment intense o&ugrave; la soci&eacute;t&eacute; se donnait elle-m&ecirc;me &agrave; voir comme une soci&eacute;t&eacute; militaire&nbsp;; cela a effectivement disparu apr&egrave;s la d&eacute;mobilisation, cette fois r&eacute;ussie en 1945, alors qu&rsquo;elle avait &eacute;t&eacute; en partie rat&eacute;e apr&egrave;s 1918.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Les recherches sur la Seconde Guerre mondiale ont remis en discussion, souvent &agrave; nouveaux frais, l&rsquo;antique question du &laquo;&nbsp;t&eacute;moignage&nbsp;&raquo; comme source, comme document historique. Controverses et pol&eacute;miques se sont multipli&eacute;es jusqu&rsquo;&agrave; saturation &ndash; d&rsquo;autant plus que derri&egrave;re cette question se profilait aussi celle des rapports entre &laquo;&nbsp;histoire&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;m&eacute;moire&nbsp;&raquo;. Or, cette question du t&eacute;moin et du t&eacute;moignage a &eacute;t&eacute; au centre des pr&eacute;occupations des historiens de la Grande Guerre, au moins depuis les travaux exemplaires de Jean Norton Cru<a name="_ftnref15"></a><a href="#_ftn15"><b><sup><span style="color:black">[15]</span></sup></b></a></span></span></span></i>&thinsp;<b><i><sup><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">15</span></span></span></sup></i></b><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">. Peut-on attendre de cette percolation des deux conflits mondiaux sur la question du &laquo;&nbsp;statut&nbsp;&raquo; du t&eacute;moignage quelques avanc&eacute;es significatives sur le plan de la recherche historique&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt"> L&agrave; encore, c&rsquo;est une question compliqu&eacute;e, comme toutes les bonnes questions. Les t&eacute;moignages de la Grande Guerre et les t&eacute;moignages de la Seconde </span></span></span><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.05pt">Guerre mondiale ne sont pas tout &agrave; fait de m&ecirc;me nature. Pour la Seconde Guerre mondiale nous avons, d&rsquo;une part, des t&eacute;moignages &eacute;crits et r&eacute;dig&eacute;s sur le moment m&ecirc;me et, d&rsquo;autre part, une masse de mat&eacute;riaux testimoniaux r&eacute;dig&eacute;s ex-post, r&eacute;cits, souvenirs, etc. Pour la Grande Guerre, ce sont les nombreux t&eacute;moignages, lettres et journaux r&eacute;dig&eacute;s au moment m&ecirc;me qui tiennent une place privil&eacute;gi&eacute;e&nbsp;; nous avons en revanche peu de t&eacute;moignages oraux ou film&eacute;s, comme pour la Seconde Guerre mondiale avec le travail de la Fondation dite &laquo;&nbsp;Spielberg&nbsp;&raquo;. Non seulement ils sont de nature diff&eacute;rente, mais nous leur posons &eacute;galement des questions diff&eacute;rentes. Pour la Seconde Guerre mondiale, il s&rsquo;agit, pour la majeure partie, de t&eacute;moignages de victimes &ndash; de la d&eacute;portation, de la r&eacute;pression politique, du g&eacute;nocide, etc. Pour la Grande Guerre, nous avons certes des t&eacute;moignages de victimes, des victimes civiles des occupations ou des bombardements, mais l&rsquo;essentiel du corpus est constitu&eacute; de t&eacute;moignages de combattants.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">N. M.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.2pt">Au M&eacute;morial de Caen, ou plut&ocirc;t au centre d&rsquo;histoire associ&eacute; au M&eacute;morial, a</span> &eacute;t&eacute; mis en place, il y a trois ou quatre ans, un projet visant &agrave; constituer une &eacute;norme banque de donn&eacute;es de t&eacute;moignages de la Seconde Guerre mondiale, tous types de t&eacute;moins confondus &ndash; d&eacute;port&eacute;s politiques, d&eacute;port&eacute;s raciaux, r&eacute;sistants, mais aussi civils ayant produit des t&eacute;moignages sur Vichy et l&rsquo;Occupation. Ils ont accompli d&rsquo;importants efforts afin d&rsquo;aller chercher des t&eacute;moignages rares, &eacute;dit&eacute;s &agrave; compte d&rsquo;auteur, recueillis par les associations de rescap&eacute;s, etc., et &eacute;tabli des fiches biographiques aussi d&eacute;taill&eacute;es que possible. Tout cela constituera &eacute;videmment une masse &eacute;norme de donn&eacute;es&nbsp;; ils annoncent pouvoir saisir, d&rsquo;ici fin 2014, les dix premi&egrave;res ann&eacute;es, de 1943 &agrave; 1953, si je ne me trompe pas. Du coup, ils se sont int&eacute;ress&eacute;s &agrave; ce qui se faisait en mati&egrave;re de t&eacute;moignages dans le champ 14-18, autour notamment du v&eacute;ritable &laquo;&nbsp;monument&nbsp;&raquo; que repr&eacute;sente le travail de Jean Norton Cru. Je pense qu&rsquo;il y a l&agrave; mati&egrave;re &agrave; &eacute;tablir une collaboration plus &eacute;troite entre sp&eacute;cialistes des deux guerres car, &agrave; partir d&rsquo;une telle banque de donn&eacute;es sur la Seconde Guerre mondiale, notamment, l&rsquo;on pourra op&eacute;rer d&rsquo;utiles rapprochements avec les t&eacute;moignages de la Grande Guerre.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">A. L.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Il y a une cons&eacute;quence importante &agrave; tout cela, c&rsquo;est qu&rsquo;en raison m&ecirc;me de cette massification des corpus documentaires, il n&rsquo;est plus possible d&rsquo;&eacute;crire l&rsquo;histoire de la m&ecirc;me mani&egrave;re qu&rsquo;on le faisait il y a une ou deux d&eacute;cennies &agrave; peine, c&rsquo;est-&agrave;-dire en travaillant seul sur son bureau, avec une bonne centaine de livres et de documents. Cela ne sera plus faisable&nbsp;; il va falloir proc&eacute;der &agrave; de larges enqu&ecirc;tes collectives, men&eacute;es par des &eacute;quipes qui travailleront sur de vastes corpus et, parall&egrave;lement, d&eacute;velopper des projets plus individuels fond&eacute;s sur des corpus tr&egrave;s cibl&eacute;s, &eacute;tablis sur des crit&egrave;res pr&eacute;cis et rigoureusement index&eacute;s. Dans un cas comme dans l&rsquo;autre, on ne peut plus consid&eacute;rer les t&eacute;moignages comme des mat&eacute;riaux dans lesquels on viendrait piocher et que l&rsquo;on &eacute;chantillonnerait afin de construire nos histoires de la guerre. Ces m&eacute;thodologies ne sont plus tenables&nbsp;; autrement dit, cette massification des corpus de t&eacute;moignages, impliquant un renouvellement des outils de traitement, change radicalement la mani&egrave;re de &laquo;&nbsp;faire&nbsp;&raquo; l&rsquo;histoire. On ne peut plus continuer &agrave; appliquer la m&eacute;thode du &laquo;&nbsp;ciseau et de la colle&nbsp;&raquo;, construisant plus ou moins adroitement nos raisonnements en mettant bout &agrave; bout des extraits de t&eacute;moignages&nbsp;; les outils dont nous disposons d&eacute;sormais permettent de travailler &agrave; une autre &eacute;chelle. Pour la Grande Guerre, il y a par exemple le site du CRID, qui pilote et h&eacute;berge depuis quelques ann&eacute;es un dictionnaire collectif des t&eacute;moins (www.crid1418.org/temoins/), devenu un livre (R&eacute;my Cazals (dir.), <i>500 t&eacute;moins de la Grande Guerre</i>, &Eacute;d. Midi-pyr&eacute;n&eacute;ennes/EDHISTO, 2013), et appel&eacute; encore &agrave; prendre de l&rsquo;ampleur. Ces nouveaux outils permettent un traitement plus syst&eacute;matique et un usage mieux raisonn&eacute; des t&eacute;moignages, ce qui n&rsquo;&eacute;tait pas forc&eacute;ment possible il y a &agrave; peine cinq ans&nbsp;ou dix ans. Ce genre de travail, particuli&egrave;rement difficile &agrave; mener, repr&eacute;sente un d&eacute;fi majeur&nbsp;; mais c&rsquo;est aujourd&rsquo;hui devenu une v&eacute;ritable obligation.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">Pour ce qui est des t&eacute;moignages de la Seconde Guerre mondiale, et singuli&egrave;rement des t&eacute;moignages de r&eacute;sistants et de d&eacute;port&eacute;s, la majeure partie des historiens s&rsquo;est montr&eacute;e assez, voire fermement hostile &agrave; leur prise en compte dans l&rsquo;&eacute;criture de l&rsquo;histoire. Ils ont m&ecirc;me d&eacute;nonc&eacute;, &agrave; plusieurs reprises, &laquo;&nbsp;la dictature du t&eacute;moignage&nbsp;&raquo;, la &laquo;&nbsp;tyrannie de la m&eacute;moire&nbsp;&raquo;. Est-ce aussi le cas dans le champ historiographique de la Grande Guerre&nbsp;?</span></span></span></i></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.1pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Il y a eu un d&eacute;bat, notamment autour du livre de St&eacute;phane Audoin-Rouzeau et d&rsquo;Annette Becker, <i>14-18, re<span style="letter-spacing:-.1pt">trouver la guerre</span></i><span style="letter-spacing:-.1pt"> (Gallimard, 2000). Ces derniers ont, &agrave; un moment donn&eacute; de leurs travaux, &eacute;galement d&eacute;nonc&eacute; cette &laquo;&nbsp;dictature du t&eacute;moignage&nbsp;&raquo; dans le champ de la Grande Guerre. Selon eux, les t&eacute;moins chercheraient &agrave; imposer &agrave; l&rsquo;historien leur vision de l&rsquo;histoire, qui est une vision erron&eacute;e parce qu&rsquo;ils ont pu gommer un certain nombre d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments de leur exp&eacute;rience, notamment ceux qui ont trait &agrave; la violence de guerre. Cela ne tient vraiment pas la route. On ne peut postuler a priori, surtout pour les t&eacute;moignages r&eacute;dig&eacute;s sur le moment m&ecirc;me et qui n&rsquo;&eacute;taient pas destin&eacute;s &agrave; &ecirc;tre publi&eacute;s, cette volont&eacute; d&eacute;lib&eacute;r&eacute;e d&rsquo;&eacute;luder, d&rsquo;occulter les violences commises. Et puis, ce serait absolument absurde, pour l&rsquo;historien, de se priver de cet extraordinaire gisement documentaire. Il suffit de lui appliquer les r&egrave;gles habituelles de la critique historique&nbsp;: la critique interne et la critique externe. En fait, le refus de prendre en compte les t&eacute;moignages proc&egrave;de en partie d&rsquo;un soup&ccedil;on &agrave; l&rsquo;encontre du t&eacute;moin&nbsp;: on a observ&eacute; cela de mani&egrave;re tr&egrave;s forte dans l&rsquo;histoire de la Seconde Guerre mondiale, avec les multiples remises en cause de l&rsquo;histoire de la R&eacute;sistance. Le fait, par exemple, que les t&eacute;moignages des &eacute;poux Aubrac aient &eacute;t&eacute; &agrave; ce point pass&eacute;s au crible afin de&nbsp;pointer la moindre contradiction, et de voir derri&egrave;re eux de possibles tra&icirc;tres, pour Raymond Aubrac et Jean Moulin des agents communistes, etc., est particuli&egrave;rement significatif. Personnellement, c&rsquo;est un type d&rsquo;approche dans lequel je ne me reconnais pas&nbsp;; je pense qu&rsquo;il ne faut pas opposer les &laquo;&nbsp;t&eacute;moignages&nbsp;&raquo; et les &laquo;&nbsp;archives&nbsp;&raquo;, les deux s&rsquo;&eacute;clairent mutuellement et il n&rsquo;y a pas de v&eacute;rit&eacute; sup&eacute;rieure de l&rsquo;archive par rapport au t&eacute;moignage. Aujourd&rsquo;hui, cependant, assez peu de gens d&eacute;fendraient l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;il faille se passer des t&eacute;moignages pour &eacute;crire l&rsquo;histoire&nbsp;; m&ecirc;me ceux qui parlent de &laquo;&nbsp;dictature du t&eacute;moignage&nbsp;&raquo; ont travaill&eacute; sur des t&eacute;moignages, ils en ont m&ecirc;me pr&eacute;fac&eacute; quelques-uns&nbsp;!</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt"> Le grand paradoxe avec la Seconde Guerre mondiale, c&rsquo;est que cette critique du t&eacute;moignage comme source non fiable a &eacute;t&eacute; port&eacute;e, en partie tout au moins, par Daniel Cordier qui est lui-m&ecirc;me un t&eacute;moin. Au d&eacute;but des ann&eacute;es 1980, dans un colloque demeur&eacute; c&eacute;l&egrave;bre, il avait d&eacute;clar&eacute; que les t&eacute;moins se trompaient, qu&rsquo;il fallait arr&ecirc;ter de s&rsquo;int&eacute;resser &agrave; leur parole, et que la seule mani&egrave;re d&rsquo;&eacute;crire s&eacute;rieusement l&rsquo;histoire de la R&eacute;sistance, et plus largement de la Seconde Guerre mondiale, c&rsquo;&eacute;tait de faire une histoire &agrave; partir d&rsquo;archives. Cette position-l&agrave;, heureusement, est d&eacute;sormais min&eacute;e.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt">A. L.&nbsp;:</span></span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.3pt"> R&eacute;cemment, on a pu retrouver ce questionnement &agrave; propos du livre de Claude Barbier sur le maquis des Gli&egrave;res <i>(Le Maquis de Gli&egrave;res. Mythe et r&eacute;alit&eacute;</i>, Perrin/Minist&egrave;re de la D&eacute;fense, 2014). C&rsquo;est un livre qui met compl&egrave;tement &agrave; l&rsquo;&eacute;cart la parole des t&eacute;moins, des maquisards. Il raconte ce qui s&rsquo;est pass&eacute; aux Gli&egrave;res, en mars 1943, sans donner la parole aux t&eacute;moins alors m&ecirc;me que des t&eacute;moignages sur ces &eacute;v&eacute;nements ont &eacute;t&eacute; port&eacute;s et publi&eacute;s imm&eacute;diatement apr&egrave;s la guerre. La justification, qui n&rsquo;est pas explicite dans le livre, para&icirc;t n&eacute;anmoins claire&nbsp;: les t&eacute;moins peuvent se tromper, la m&eacute;moire est faillible alors que les archives, elles, nous donnent des informations justes et pr&eacute;cises. Mais comment, dans ces conditions, &eacute;crire l&rsquo;histoire d&rsquo;un maquis qui, par d&eacute;finition, ne produit pas d&rsquo;archives&nbsp;? Les seules archives dont l&rsquo;historien peut disposer sont des archives allemandes, qui apportent beaucoup d&rsquo;informations utiles sur les effectifs des miliciens fran&ccedil;ais et des soldats de la Wehrmacht, l&rsquo;horaire de l&rsquo;attaque, le plan de bataille, etc., mais qui donnent d&rsquo;abord le point de vue des assaillants&nbsp;! Ces archives ne nous disent rien des maquisards et de leur exp&eacute;rience, des bombardements de l&rsquo;aviation, de l&rsquo;artillerie, etc.&nbsp;; or ils ont t&eacute;moign&eacute; et publi&eacute; leur t&eacute;moignages juste apr&egrave;s la guerre <i>(Gli&egrave;res, &laquo;&nbsp;Vivre ou mourir&nbsp;&raquo;</i>, consultable sur www.70ansliberationhautesavoie.fr, pr&eacute;fac&eacute; par Jean-Louis Cr&eacute;mieux-Brilhac, correspondant de l&rsquo;Institut). Si on ne restitue pas cette dimension, celle de l&rsquo;exp&eacute;rience, on passe &agrave; c&ocirc;t&eacute; de ce qu&rsquo;a &eacute;t&eacute; le maquis de Gli&egrave;res.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">C&rsquo;est &eacute;galement le cas pour l&rsquo;exp&eacute;rience concentrationnaire. L&rsquo;histoire de cette exp&eacute;rience serait impossible sans les t&eacute;moignages</span></span></span></i><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:8.5pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">A. L.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.1pt">Absolument. Le livre de Christopher R.&nbsp;Browning, notamment, <i>&Agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur d&rsquo;un camp de travail nazi. R&eacute;cits </i></span><i>des survivants&nbsp;: m&eacute;moire et histoire </i>(Les Belles Lettres, 2010), serait impossible, impensable.</span></span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><b><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:.1pt">N. M.&nbsp;:</span></span></b><span style="font-family:Helvetica"><span style="letter-spacing:.1pt"> C&rsquo;&eacute;tait m&ecirc;me tout le sens de la d&eacute;marche de Browning&nbsp;: &eacute;crire l&rsquo;histoire d&rsquo;un camp pour lequel il n&rsquo;existe aucune archive, mais m&ecirc;me pas deux feuilles de papier&nbsp;! Tout le livre repose donc sur le recoupement critique des points de vue des 292&nbsp;t&eacute;moins disponibles, recueillis en plusieurs strates chronologiques et contextuelles&nbsp;: de l&rsquo;imm&eacute;diat apr&egrave;s-guerre aux ann&eacute;es r&eacute;centes, en passant par les t&eacute;moignages recueillis au d&eacute;but des ann&eacute;es 1970 lors du proc&egrave;s de Walter Becker &agrave; Hambourg. &Agrave; la diff&eacute;rence du travail d&rsquo;un Saul Friedl&auml;nder, qui ne mobilise des t&eacute;moignages de victimes et de t&eacute;moins (correspondances, journaux intimes, etc.) que s&rsquo;ils sont contemporains des &eacute;v&eacute;nements <i>(L&rsquo;Allemagne nazie et les Juifs</i>, t.&nbsp;2, <i>Les ann&eacute;es d&rsquo;extermination, 1939-1945</i>, Seuil, 2008), l&rsquo;histoire du camp de Starachowice comme les nombreux travaux men&eacute;s &agrave; partir de ce type de sources reposent sur des r&eacute;cits qui sont essentiellement ceux, livr&eacute;s apr&egrave;s coup, de survivants. Cette sp&eacute;cificit&eacute;, r&eacute;sultante m&eacute;canique, faut-il le rappeler, du caract&egrave;re meurtrier de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement, n&rsquo;est pas sans cons&eacute;quences pour l&rsquo;analyse. Comme le montre avec force le travail men&eacute; par Michael Pollak r&eacute;cemment r&eacute;&eacute;dit&eacute; en poche <i>(L&rsquo;Exp&eacute;rience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l&rsquo;identit&eacute; sociale</i>, Seuil, &laquo;&nbsp;Points essais&nbsp;&raquo;, 2014), les t&eacute;moignages des victimes de la Shoah donnent d&rsquo;abord &agrave; voir et &agrave; penser, bien plus que les trajectoires de la pers&eacute;cution, les modes et les caract&eacute;ristiques de la survie. Il est en effet difficile sinon impossible pour l&rsquo;analyste, comme pour le t&eacute;moin, de se d&eacute;prendre de la &laquo;&nbsp;fin de l&rsquo;histoire&nbsp;&raquo; dans des r&eacute;cits qui se construisent n&eacute;cessairement comme des repr&eacute;sentations des &laquo;&nbsp;bons&nbsp;&raquo; ou des &laquo;&nbsp;mauvais&nbsp;&raquo; choix, de la na&iuml;vet&eacute; des uns face &agrave; la lucidit&eacute; des autres, ou encore de la chance, arguments qui sont autant de questions qui taraudent les survivants. Pour autant, malgr&eacute; ces traits particuliers, probl&eacute;matiques parce qu&rsquo;ils tendent &agrave; individualiser et &agrave; &laquo;&nbsp;d&eacute;socialiser&nbsp;&raquo; les histoires des intern&eacute;s, les t&eacute;moignages des survivants restent &eacute;videmment tout &agrave; fait indispensables &agrave; notre connaissance des &laquo;&nbsp;exp&eacute;riences concentrationnaires&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <div> <hr align="left" size="1" width="33%" /></div> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn1"></a><a href="#_ftnref1"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> L&#39;interview a eu lieu le 14 mars 2014 &agrave; la Fondation pour la m&eacute;moire de la d&eacute;portation, Paris.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn2"></a><a href="#_ftnref2"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Voir Fran&ccedil;ois Buton, Andr&eacute; Loez, Nicolas Mariot et Philippe Olivera, &laquo;&nbsp;L&rsquo;ordinaire de la guerre&nbsp;&raquo;, Marseille, <i>Agone</i>, n&deg;</span></span></span>&thinsp;<span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">53, 2014.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn3"></a><a href="#_ftnref3"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Voir notamment Antoine Prost et Jay Winter, <i>Penser la Grande Guerre. Un essai d&rsquo;historiographie</i>, Paris, Seuil, &laquo;&nbsp;Points histoire&nbsp;&raquo;, 2004.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn4"></a><a href="#_ftnref4"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Pour une &eacute;vocation d&eacute;taill&eacute;e de cette controverse, lire Annika Mombauer, <i>The Origins of the First World War: Controversies and Consensus</i>, Londres, Longman, 2002.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn5"></a><a href="#_ftnref5"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[5]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Traduit en fran&ccedil;ais sous le titre&nbsp;: <i>De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des soci&eacute;t&eacute;s europ&eacute;ennes</i>,&nbsp; Paris, Hachette, 1999.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn6"></a><a href="#_ftnref6"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[6]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Voir par exemple C&eacute;line Jouin, <i>Le Retour de la guerre juste. Droit international, &eacute;pist&eacute;mologie et id&eacute;ologie chez Carl Schmitt,</i> Paris, Vrin/EHESS, 2013.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn7"></a><a href="#_ftnref7"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[7]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Lire sa prise de position en ligne sur le site historique de la BBC&nbsp;: http://www.historyextra.com/feature/gary-sheffield-first-world-war-debate-german-victory-would-have-been-disaster-britain.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn8"></a><a href="#_ftnref8"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[8]</span></span></span></sup></a> <span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:-.05pt">Heather Jones, <i>Violence Against Prisoners of War in the First World War: Britain, France and Germany, 1914-1920</i>, </span></span></span></span><span lang="EN-US" style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"><span style="letter-spacing:.1pt">Cambridge, </span></span></span></span><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">Cambridge University Press, 2011.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn9"></a><a href="#_ftnref9"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[9]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.05pt">Nicolas Offenstadt, <i>14-18 aujourd&rsquo;hui. La Grande Guerre dans la France contemporaine</i>, Paris, Odile Jacob, 2010, p.&nbsp;154.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn10"></a><a href="#_ftnref10"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[10]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Sur France Inter, par exemple, la c&eacute;l&eacute;bration du centenaire de la Grande Guerre s&rsquo;est r&eacute;cemment accompagn&eacute;e d&rsquo;un appel &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir sur ce que signifie &laquo;&nbsp;s&rsquo;engager&nbsp;aujourd&rsquo;hui&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn11"></a><a href="#_ftnref11"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[11]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Voir par exemple les controverses autour de l&rsquo;ouvrage d&rsquo;Olivier Le Cour Grandmaison, <i>Coloniser, exterminer&nbsp;: sur la guerre et l&rsquo;&Eacute;tat colonial</i>, Paris, Fayard, 2005.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn12"></a><a href="#_ftnref12"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[12]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Comme l&rsquo;a bien montr&eacute; Romain Bertrand &agrave; propos de la controverse autour de la question coloniale dans les ann&eacute;es 2000. Voir Romain Bertrand, <i>M&eacute;moires d&rsquo;empire. La controverse autour du &laquo;&nbsp;fait colonial&nbsp;&raquo;</i>, Bellecombe-en-Bauges, Croquant, &laquo;&nbsp;Savoir/Agir&nbsp;&raquo;, 2006.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn13"></a><a href="#_ftnref13"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[13]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> <span style="letter-spacing:-.05pt">Pour une pr&eacute;sentation de ces cat&eacute;gories et les d&eacute;bats qu&rsquo;elles soul&egrave;vent, voir Michael Kissener, &laquo;&nbsp;les formes d&rsquo;opposition et de r&eacute;sistance au national-socialisme en Allemagne&nbsp;&raquo;, in Fran&ccedil;ois Marcot et Didier Musiedlak&nbsp;(dir.), <i>Les R&eacute;sistances, miroirs des r&eacute;gimes d&rsquo;oppression. Allemagne, Italie, France</i>, Besan&ccedil;on, Presses universitaires de Franche-Comt&eacute;, 2006, pp. 19-30.</span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn14"></a><a href="#_ftnref14"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[14]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Voir Andr&eacute; Loez (avec la collaboration de Nicolas Offenstadt), <i>Petit r&eacute;pertoire critique des concepts de la Grande Guerre, </i>CRID 14-18. [En ligne], URL&nbsp;: crid1418.org/espace_scientifique/textes/conceptsgg_01.ht, mis en ligne en d&eacute;cembre 2005.</span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:Calibri"><a name="_ftn15"></a><a href="#_ftnref15"><sup><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black">[15]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:9.0pt"><span style="font-family:Helvetica"><span style="color:black"> Jean Norton Cru, <i>T&eacute;moins</i>, pr&eacute;face et postface de Fr&eacute;d&eacute;ric Rousseau, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2006 [1929].</span></span></span></span></span></p> <p>&nbsp;</p>