<p style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Le pr&eacute;sent article examine la lecture faite par Mignolo d&rsquo;un texte kantien le plus souvent marginalis&eacute; par rapport au corpus philosophique, &agrave; savoir la <i>G&eacute;ographie</i>. En suivant de pr&egrave;s le geste interpr&eacute;tatif auquel proc&egrave;de l&rsquo;auteur d&eacute;colonial, il sera plus facile de pr&eacute;ciser l&rsquo;appareil conceptuel dont d&eacute;pend l&rsquo;herm&eacute;neutique d&eacute;coloniale et de voir dans quelle mesure la convocation de Kant comme repr&eacute;sentant des Lumi&egrave;res rel&egrave;ve d&rsquo;un jeu pour la pens&eacute;e. Une telle focalisation sur le texte de Mignolo devrait contribuer &agrave; ouvrir la r&eacute;ception francophone des textes associ&eacute;s au courant d&eacute;colonial d&rsquo;Am&eacute;rique latine. </span></span></span></span></p> <h2><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Les intellectuels fran&ccedil;ais face au virage d&eacute;colonial </span></span></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Comme l&rsquo;a montr&eacute; Capucine Boidin<sub><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[1]</span></span></sup></sup></a></sub>, la r&eacute;ception fran&ccedil;aise des propositions th&eacute;oriques du groupe <i>Modernidad/Colonialidad</i> a &eacute;t&eacute; initialement marqu&eacute;e par des lectures essentialistes et manich&eacute;ennes des textes de Walter Mignolo. S&rsquo;il n&rsquo;est pas possible de dresser la g&eacute;n&eacute;alogie d&rsquo;une indiff&eacute;rence fran&ccedil;aise aux nuances du courant d&eacute;colonial, il importe n&eacute;anmoins de rappeler, &agrave; la suite d&rsquo;Achille Mbembe<sub><a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[2]</span></span></sup></sup></a></sub>, qu&rsquo;une part importante de l&rsquo;<i>intelligentsia</i> fran&ccedil;aise a longtemps contest&eacute; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;un virage postcolonial dans les sciences sociales et les humanit&eacute;s. En s&rsquo;attachant &agrave; la lecture dite d&eacute;coloniale de Mignolo, on pourra donc d&eacute;gager certains des arguments qui ont marqu&eacute; une premi&egrave;re r&eacute;ception houleuse, qu&rsquo;on pourrait qualifier de franco-centr&eacute;e, caract&eacute;ris&eacute;e par une grande m&eacute;fiance &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la politisation des savoirs historiques et philosophiques. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">L&rsquo;interpr&eacute;tation que livre Mignolo ne contient, du reste, aucune condamnation du corpus kantien, ni de la tradition occidentale &agrave; laquelle il appartient, pas plus qu&rsquo;elle ne pr&eacute;tend exercer un monopole sur le sens &agrave; donner &agrave; la<u> </u><i>G&eacute;ographie </i>kantienne&nbsp;: elle s&rsquo;efforce de lui donner, en la lisant depuis l&rsquo;histoire imp&eacute;riale europ&eacute;enne, le statut d&rsquo;une &eacute;tape, au sein d&rsquo;un processus d&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie intellectuelle et culturelle. Il n&rsquo;est pas inconcevable d&rsquo;appliquer aux &eacute;nonciations erron&eacute;es de Kant ce que Mignolo, en parlant de la pr&eacute;tention des cartographes des 16<sup>e</sup> et 17<sup>e</sup> si&egrave;cles, d&eacute;clare&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>that this assumption was honest blindness, not perversity</i><sub><a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[3]</span></span></sup></sup></a></sub><i>.</i>&nbsp;&raquo; &Agrave; ces pr&eacute;misses, j&rsquo;ajouterai que certaines critiques adress&eacute;es &agrave; Mignolo seront, ici et l&agrave;, convoqu&eacute;es, puisqu&rsquo;elles permettent de saisir les effets multiples et parfois limit&eacute;s du geste d&eacute;colonial engag&eacute; par l&rsquo;auteur.&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Prendre Kant comme repr&eacute;sentant des Lumi&egrave;res ne revient pas &agrave; caract&eacute;riser une particularit&eacute; historique dont le nom serait &laquo;&nbsp;Emmanuel Kant&nbsp;&raquo;, mais bien &agrave; incarner un <i>exemplum </i>pour les Lumi&egrave;res et les zones cach&eacute;es, refoul&eacute;es, qui leur ont permis, suivant Mignolo et d&rsquo;autres, de revendiquer une perspective universaliste sans avoir &agrave; consid&eacute;rer les modes de vie non-europ&eacute;ens. Si un tel geste de lecture pourrait &eacute;voquer, pour un lectorat fran&ccedil;ais, les textes classiques de Todorov sur l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;<sub><a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[4]</span></span></sup></sup></a></sub> ou encore la lecture attentive de la &laquo;&nbsp;Le&ccedil;on d&rsquo;&eacute;criture&nbsp;&raquo; de L&eacute;vi-Strauss effectu&eacute;e par Derrida dans <i>De la</i> <i>grammatologie</i><sub><a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[5]</span></span></sup></sup></a></sub>, la position de Mignolo se distingue en ceci qu&rsquo;elle cherche non seulement &agrave; d&eacute;crire un appareil de capture &oelig;uvrant chez Kant, mais &agrave; reconstruire, pr&eacute;cairement, les traditions qui ont &eacute;t&eacute; rejet&eacute;es et d&eacute;valu&eacute;es. Ce second objectif, de restauration, est davantage esquiss&eacute; que montr&eacute; dans ce texte&nbsp;: c&rsquo;est ailleurs que Mignolo donnera des exemples d&rsquo;une mise en marche de cette tactique. La lecture n&rsquo;est donc pas r&eacute;ductible &agrave; la d&eacute;couverte des perspectives ethnocentr&eacute;es qu&rsquo;un texte donn&eacute; contiendrait, ces perspectives n&rsquo;expliquant, en elles-m&ecirc;mes, rien qui permette de mettre en relief le rapport de force que l&rsquo;analyse cherche &agrave; retracer. Comme il l&rsquo;indique, il ne suffit pas de constater des biais racistes, chez Kant ou chez Hume, pour qu&rsquo;une critique satisfaisante des biais coloniaux s&rsquo;accomplisse&nbsp;: ce n&rsquo;est jamais l&rsquo;individu, Kant, qui est pris comme exemple, mais bien ce que Kant a pu int&eacute;grer comme sch&eacute;ma d&rsquo;analyse du monde qui l&rsquo;environnait. Un tel travail d&rsquo;interpr&eacute;tation suppose qu&rsquo;on approche le texte selon d&rsquo;autres r&egrave;gles que celles donn&eacute;es par une lecture classique, ce qui, dans ce contexte pr&eacute;cis, requiert de lire Kant sans les secours de la philosophie europ&eacute;enne (&laquo;&nbsp;<i>It means to read Kant from the silences and the exteriority that he himself has produced</i><sub><a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[6]</span></span></sup></sup></a></sub>.&nbsp;&raquo;), ce &agrave; quoi il convient d&rsquo;ajouter qu&rsquo;on le lit &eacute;galement depuis ces &laquo;&nbsp;ext&eacute;riorit&eacute;s&nbsp;&raquo; qui ont p&eacute;n&eacute;tr&eacute; la <i>G&eacute;ographie</i> et qu&rsquo;elle-m&ecirc;me reconduit. Ces &eacute;l&eacute;ments ext&eacute;rieurs, que Mignolo d&eacute;crit sommairement dans le chapitre qu&rsquo;il consacre &agrave; Kant, renvoient &agrave; des recherches beaucoup plus pr&eacute;cises que les quelques phrases distribu&eacute;es dans ce m&ecirc;me texte. Alors que l&rsquo;histoire de la philosophie n&rsquo;int&egrave;gre pas les textes philosophico-juridiques de l&rsquo;Espagne imp&eacute;riale, Mignolo insiste sur l&rsquo;impossibilit&eacute; de penser la modernit&eacute; philosophique sans aborder certains de ces textes, et, de mani&egrave;re plus g&eacute;n&eacute;rale, sans convoquer le fait colonial auquel renvoient ces diff&eacute;rentes &oelig;uvres. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Il ne s&rsquo;agit pas de culpabiliser les penseurs espagnols et de rejouer les sc&eacute;narii de la <i>l&eacute;gende noire</i>, ni de reconna&icirc;tre l&rsquo;importance de la langue espagnole, qui aurait &eacute;t&eacute; n&eacute;glig&eacute;e par la modernit&eacute; en comparaison des langues allemande, fran&ccedil;aise et anglaise (&laquo;&nbsp;<i>As you can imagine, I am not advocating for a recognition of Spanish contributions but rather highlighting the blindness or intentional dismissal of the very historical foundation of Western modernity/coloniality</i><sub><a href="#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[7]</span></span></sup></sup></a></sub><i>.</i>&nbsp;&raquo;). Cette position, commune &agrave; plusieurs des membres de <i>Modernidad/Colonialidad</i>, se d&eacute;cline au gr&eacute; des contextes o&ugrave; elle est r&eacute;it&eacute;r&eacute;e&nbsp;: notamment chez Enrique Dussel, qui l&rsquo;articule en vue de critiquer une vision dite lib&eacute;rale de l&rsquo;histoire de la modernit&eacute;, vision qu&rsquo;incarnerait Habermas<sub><a href="#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[8]</span></span></sup></sup></a></sub>. Faire la jonction entre ces diff&eacute;rents legs culturels permettrait de travailler un impens&eacute;. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Toutefois, comme il l&rsquo;explique, travailler avec d&rsquo;autres traditions n&rsquo;est pas un pr&eacute;texte &agrave; un comparatisme qui supposerait, implicitement, une &eacute;galit&eacute; entre les savoirs rapproch&eacute;s. Cette d&eacute;marche d&rsquo;analyse est plus perceptible dans <i>The Darker Side of the Renaissance</i><sub><a href="#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[9]</span></span></sup></sup></a></sub>, ouvrage qui retrace, dans diff&eacute;rents documents associ&eacute;s de pr&egrave;s comme de loin &agrave; la <i>Conquista</i>, les tensions &eacute;pist&eacute;mologiques que des Espagnols et des communaut&eacute;s autochtones d&rsquo;Am&eacute;rique ont pu conna&icirc;tre. Loin de s&rsquo;adonner &agrave; un comparatisme qui classifierait les r&eacute;ponses donn&eacute;es sur un m&ecirc;me sujet en fonction des traditions culturelles respectives, Mignolo y lit les nombreuses difficult&eacute;s, pour l&rsquo;<i>intelligentsia</i> espagnole, &agrave; tenir compte des savoirs autochtones et &agrave; soumettre de multiples cultures aux sch&eacute;mas europ&eacute;ens. L&rsquo;intensit&eacute; des sp&eacute;culations intellectuelles espagnoles et la masse importante de documents textuels et visuels offrant une mati&egrave;re abondante &agrave; explorer permet &agrave; Mignolo de retracer un processus de domination qui justifiera une infantilisation des communaut&eacute;s azt&egrave;ques, incas et autres, infantilisation condamnant la valeur de leurs savoirs. L&agrave; o&ugrave; l&rsquo;historien Serge Gruzinski d&eacute;plorait que Mignolo ne commente pas l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t parfois positif des colons espagnols envers certaines connaissances autochtones, y d&eacute;celant une attitude nord-am&eacute;ricaine contamin&eacute;e par une rectitude politique<sub><a href="#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[10]</span></span></sup></sup></a></sub>, il convient de recevoir plus intelligemment la nature du geste interpr&eacute;tatif de Mignolo. Qui plus est, des critiques plus stimulantes, car plus r&eacute;ceptives aux pr&eacute;tentions politiques de Mignolo, donnent davantage &agrave; penser qu&rsquo;une inqui&eacute;tude malvenue de rectitude politique dans un livre demeurant fid&egrave;le, dans la forme comme dans le fond, &agrave; l&rsquo;&eacute;criture acad&eacute;mique, m&ecirc;me si Serge Gruzinski reconnaissait l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;une &laquo;&nbsp;rupture insistante qu&rsquo;ils [les chantiers th&eacute;oriques ouverts par Mignolo] marquent avec une notion ethnocentrique de repr&eacute;sentation et d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; qui trop souvent encombrent notre regard<sub><a href="#_ftn11" name="_ftnref11" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[11]</span></span></sup></sup></a></sub>&nbsp;&raquo;. L&rsquo;objectif, ainsi que l&rsquo;indique le titre de l&rsquo;ouvrage, est bien de d&eacute;crypter l&rsquo;ombre que la modernit&eacute; a jet&eacute; sur d&rsquo;autres traditions, non par marxisme culturel, mais bien pour renouveler notre compr&eacute;hension de l&rsquo;av&egrave;nement du monde moderne et des m&eacute;taphores temporelles qui le structurent et l&rsquo;alimentent. </span></span></span></span></p> <h2 style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Le c&ocirc;t&eacute; obscur de la modernit&eacute; </span></span></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">La marginalit&eacute; de la <i>G&eacute;ographie </i>au sein du corpus kantien peut s&rsquo;expliquer par le statut du texte, lequel, comme le rappelle Stuart Elden, a longtemps &eacute;t&eacute; pr&eacute;caire&nbsp;&nbsp;&nbsp; et peu susceptible de recevoir une attention critique plus soutenue<sub><a href="#_ftn12" name="_ftnref12" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[12]</span></span></sup></sup></a></sub>. L&agrave; o&ugrave; <i>L&rsquo;Anthropologie d&rsquo;un point de vue pragmatique </i>a &eacute;t&eacute; davantage compos&eacute;e et pr&eacute;par&eacute;e pour une impression anthume, la<i> G&eacute;ographie</i> avait &eacute;t&eacute; initialement recompos&eacute;e par les soins de Rink, suivant des notes de Kant et des notes d&rsquo;&eacute;l&egrave;ves des le&ccedil;ons que Kant avait consacr&eacute; &agrave; la mati&egrave;re pendant plusieurs d&eacute;cennies. Si Kant n&rsquo;est pas connu pour ses voyages et n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; associ&eacute; &agrave; des recherches majeures en g&eacute;ographie, il a n&eacute;anmoins syst&eacute;matis&eacute;, dans ses cours, une approche de la g&eacute;ographie, accordant &agrave; celle-ci une attention importante. Le texte connu sous le titre <i>G&eacute;ographie </i>ne repr&eacute;sente pas la somme des consid&eacute;rations de Kant sur le sujet, et notamment concernant la subdivision de la g&eacute;ographie en diff&eacute;rents pans, lesquels ont pu ensuite se recouper et &ecirc;tre de nouveau unifi&eacute;s dans une m&ecirc;me section du savoir g&eacute;ographique. L&agrave; o&ugrave; David Harvey a pu s&eacute;v&egrave;rement critiquer la <i>G&eacute;ographie </i>en l&rsquo;associant &agrave; une id&eacute;ologie cosmopolite dont Kant aurait fourni le fond conceptuel<sub><a href="#_ftn13" name="_ftnref13" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[13]</span></span></sup></sup></a></sub> d&rsquo;autres penseurs ont essay&eacute;, tout en reconnaissant les pans plus pol&eacute;miques du texte, d&rsquo;en retourner les sens&nbsp;: c&rsquo;est davantage dans cette direction que s&rsquo;inscrit le travail d&eacute;colonial.&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">La pens&eacute;e d&eacute;coloniale cherche, en ce sens, &agrave; d&eacute;crire une hybris que la tradition des Lumi&egrave;res n&rsquo;aurait pas &eacute;t&eacute; en mesure de saisir, parce qu&rsquo;elle aurait, ce faisant, retranch&eacute; l&rsquo;une de ses conditions de possibilit&eacute;. Quoique Mignolo nomme celle-ci, comme ailleurs, &laquo;&nbsp;l&rsquo;<i>hubris</i> du degr&eacute; z&eacute;ro&nbsp;&raquo;, expression qu&rsquo;il reprend de Castro-Gomez<sub><a href="#_ftn14" name="_ftnref14" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[14]</span></span></span></span></a></sub>&nbsp;: si cette expression tirait son sens dans un contrepoint du <i>locus classicus </i>de Descartes, elle ne pr&eacute;tend pas moins s&rsquo;appliquer &agrave; ce qui a d&eacute;coul&eacute; de cet &eacute;nonc&eacute;. L&rsquo;universel int&eacute;resse moins Mignolo que le global, ce dernier supposant un travail critique des fronti&egrave;res et des diff&eacute;rences structur&eacute;es par la colonialit&eacute;. Cette distinction est primordiale, et n&eacute;cessite la <i>G&eacute;ographie </i>pour en saisir la pleine mesure&nbsp;: la perspective de Kant, selon Mignolo, est celle d&rsquo;une pr&eacute;tention universaliste s&rsquo;incarnant, paradoxalement, dans une absence d&rsquo;incarnation. Qu&rsquo;est-ce &agrave; dire&nbsp;? Suivant les commentaires sur l&rsquo;objectivit&eacute; d&eacute;tect&eacute;e chez Kant, celui-ci articulerait une position savante sans r&eacute;aliser l&rsquo;importance du lieu depuis lequel il parle&nbsp;: dot&eacute; d&rsquo;un corps, historiquement situ&eacute; &agrave; K&ouml;nigsberg, l&rsquo;individualit&eacute; de Kant ne peut &eacute;chapper, &eacute;videmment, aux circonstances de son &eacute;poque. Une telle &eacute;vidence est le lieu commun que la pens&eacute;e d&eacute;coloniale s&rsquo;invite &agrave; retraverser, non pour caricaturer l&rsquo;individu du philosophe, mais pour r&eacute;v&eacute;ler ce en quoi la g&eacute;nialit&eacute; du philosophe ne peut &ecirc;tre s&eacute;par&eacute;e des structures historico-&eacute;pist&eacute;miques qui ont n&eacute;cessairement autoris&eacute; Kant &agrave; &eacute;noncer des contenus estim&eacute;s plus probl&eacute;matiques. </span><span arial="" lang="EN-US" style="font-family:">&laquo;&nbsp;<i>The splendors and miseries in Abraham Ortelius and Immanuel Kant lie both in what they have achieved and in what they have ignored and dismissed</i></span><sub><a href="#_ftn15" name="_ftnref15" title=""><sup><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[15]</span></span></sup></span></sup></a></sub><i><span arial="" lang="EN-US" style="font-family:">.</span></i><span arial="" lang="EN-US" style="font-family:">&nbsp;&raquo; </span><span arial="" style="font-family:">Le <i>continuum</i> auquel Kant appartient correspond &eacute;videmment moins &agrave; des rattachements plus classiques avec Hume et certains de ses contemporains, rattachements admis par les textes les plus canonis&eacute;s de la philosophie critique kantienne&nbsp;: selon Mignolo, ce <i>continuum</i> ne concerne pas que l&rsquo;&oelig;uvre de Kant, d&rsquo;autres auteurs masculins du 18<sup>e</sup> pouvant &ecirc;tre similairement rapproch&eacute;s d&rsquo;&oelig;uvres auxquelles les traditions d&rsquo;analyses ont &eacute;t&eacute; moins sensibles<sub><a href="#_ftn16" name="_ftnref16" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[16]</span></span></sup></sup></a></sub>.&nbsp; </span></span></span></span></p> <h2 style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">(L&rsquo;Europe entre parenth&egrave;se)</span></span></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">L&rsquo;exemple le plus frappant de cette position accordant aux Europ&eacute;ens un privil&egrave;ge &eacute;pist&eacute;mique est &agrave; lire dans l&rsquo;un des &eacute;nonc&eacute;s les plus simples de la <i>G&eacute;ographie</i>&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i><span style="color:black">La raison pour laquelle on ne conna&icirc;t pas mieux l&rsquo;int&eacute;rieur de l&rsquo;Afrique que les pays de la Lune tient davantage &agrave; nous, Europ&eacute;ens, qu&rsquo;aux Africains </span></i>[&hellip;]<sub><a href="#_ftn17" name="_ftnref17" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[17]</span></span></sup></sup></a></sub>. &raquo; Le premier sous-entendu de cette d&eacute;claration est &eacute;vident, sans qu&rsquo;une analyse doive en d&eacute;gager les cons&eacute;quences enti&egrave;res&nbsp;: il appara&icirc;t, aux yeux de Kant, qu&rsquo;une connaissance <i>europ&eacute;enne</i> des terres int&eacute;rieures d&rsquo;Afrique n&rsquo;existe pas, puisqu&rsquo;il n&rsquo;y aurait pas eu (encore) de ces missions scientifico-politiques d&rsquo;explorations permettant de dresser une carte de ces m&ecirc;mes territoires. C&rsquo;est davantage le second sous-entendu qui a une implication hi&eacute;rarchique dont il faut, avec Mignolo, interroger la structure. Le reste de la phrase de Kant relate une certaine &laquo;&nbsp;g&ecirc;ne&nbsp;&raquo; des Europ&eacute;ens &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des c&ocirc;tes africaines, en raison de l&rsquo;exploitation esclavagiste s&rsquo;y faisant encore, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque o&ugrave; Kant pronon&ccedil;ait et r&eacute;p&eacute;tait ses le&ccedil;ons, g&ecirc;ne qui expliquerait pourquoi les connaissances &ndash; europ&eacute;ennes &ndash; des terres int&eacute;rieures seraient inexistantes. N&eacute;anmoins, selon ce qu&rsquo;en sugg&egrave;re Mignolo, cette d&eacute;claration devrait nous &eacute;tonner par le rapport de force qui la constitue, puisqu&rsquo;elle laisse entrevoir que les populations d&rsquo;Afrique sont moins &agrave; bl&acirc;mer que quelques Europ&eacute;ens pour la suppos&eacute;e ignorance que, non sans qu&rsquo;on puisse en souligner l&rsquo;ironie, Kant constate. C&rsquo;est ici que se dresse l&rsquo;une des ombres dont la pens&eacute;e d&eacute;coloniale recherche constamment &agrave; faire la description critique, ombre qui se trame dans une simple&nbsp;formulation : pourquoi les populations africaines ne peuvent-elles pas &ecirc;tre bl&acirc;m&eacute;es&nbsp;pour cette ignorance? </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Loin d&rsquo;&ecirc;tre le t&eacute;moignage d&rsquo;une honte europ&eacute;enne &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de l&rsquo;esclavagisme se pratiquant sur les c&ocirc;tes &ndash; Kant parlant, quelques mots plus loin, de la brutalit&eacute; de la traite d&rsquo;esclaves d&rsquo;origines africaines &ndash;, la phrase embl&eacute;matise une mise &agrave; l&rsquo;&eacute;cart des savoirs et des herm&eacute;neutiques des populations locales. Si la phrase ne porte pas un jugement racial aussi brutal que d&rsquo;autres textes kantiens, elle ne d&eacute;coule pas moins d&rsquo;une d&eacute;valorisation implicite des perspectives africaines locales, perspectives qui, si elles peuvent &eacute;videmment &ecirc;tre indiff&eacute;rentes &agrave; une d&eacute;valorisation formul&eacute;e au 18<sup>e</sup> si&egrave;cle par un professeur exer&ccedil;ant &agrave; K&ouml;nigsberg, seront n&eacute;anmoins t&ocirc;t ou tard affect&eacute;es par les implications concr&egrave;tes de ce processus. Cette &eacute;valuation renvoie, une fois encore, &agrave; cette hybris du point z&eacute;ro, cette technique &eacute;pist&eacute;mologique par laquelle des savoirs non-europ&eacute;ens et/ou ne correspondant pas &agrave; l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une pratique rationnelle de la philosophie sont rapidement rejet&eacute;s vers un point z&eacute;ro&nbsp;: quant aux individus associ&eacute;s &agrave; ces pratiques, ceux-ci deviendraient des &laquo;&nbsp;Barbares dans l&rsquo;espace, des primitifs dans le temps<sub><a href="#_ftn18" name="_ftnref18" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[18]</span></span></sup></sup></a></sub>&nbsp;&raquo;. En prolongeant les discussions sur la racialisation hantant les textes des philosophes masculins, Mignolo cherche &agrave; renforcer le lien, &eacute;galement travaill&eacute; par plusieurs autres contemporains, entre hi&eacute;rarchie &eacute;pist&eacute;mique et hi&eacute;rarchie ontologique. Affecter le cloisonnement qui s&eacute;parerait des enjeux &eacute;pist&eacute;mologiques d&rsquo;une ontologie plus &laquo;&nbsp;sociale&nbsp;&raquo;, pour travailler &agrave; d&eacute;construire le rapport de force entre ces diff&eacute;rents domaines&nbsp;car ceux-ci s&rsquo;imbriquent l&rsquo;un dans l&rsquo;autre, tel est l&rsquo;un des points les plus r&eacute;it&eacute;r&eacute;s au sein du texte. C&rsquo;est pourquoi on parlerait, pour se jouer du vocabulaire d&eacute;colonial, d&rsquo;une Europe entre parenth&egrave;se, c&rsquo;est-&agrave;-dire d&rsquo;une mani&egrave;re de provincialiser les &eacute;nonc&eacute;s universalistes issus de la philosophie canonique d&rsquo;Occident. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">&laquo;&nbsp;<i>Inventer </i>est tout autre chose que <i>d&eacute;couvrir</i>. Car ce qu&rsquo;on d&eacute;couvre est consid&eacute;r&eacute; comme d&eacute;j&agrave; existant sans &ecirc;tre r&eacute;v&eacute;l&eacute;, par exemple l&rsquo;Am&eacute;rique avant Colomb [&hellip;]<sub><a href="#_ftn19" name="_ftnref19" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[19]</span></span></sup></sup></a></sub>.&nbsp;&raquo; Quoique cette citation provienne de l&rsquo;<i>Anthropologie</i>, son contenu est ins&eacute;parable de la citation donn&eacute;e sur l&rsquo;Afrique, et donne une indication plut&ocirc;t claire du privil&egrave;ge conf&eacute;r&eacute; au savoir europ&eacute;en&nbsp;: bien que le continent d&eacute;sign&eacute; comme Am&eacute;rique existait bel et bien sans les Europ&eacute;ens, il fallait bien que l&rsquo;Am&eacute;rique soit <i>r&eacute;v&eacute;l&eacute;e</i> pour qu&rsquo;elle puisse &ecirc;tre int&eacute;gr&eacute;e au <i>continuum</i> de l&rsquo;histoire&nbsp;!&nbsp; </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Cette attention critique, dans ce cas, se concentre sur les &eacute;l&eacute;ments imp&eacute;rialistes pr&eacute;sents chez les Modernes, en partant du principe que la colonialit&eacute; est l&rsquo;autre visage de la modernit&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>Coloniality of knowledge doesn&rsquo;t mean that knowledge was colonized, but that the hegemonic ways of knowing and disciplinary world-making, since the European Renaissance, were instruments of colonization and, as a consequence, of colonization of non-European knowledge</i><sub><a href="#_ftn20" name="_ftnref20" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[20]</span></span></sup></sup></a></sub>.&nbsp;&raquo; &Agrave; mon sens, cette d&eacute;claration a la valeur d&rsquo;un leitmotiv, en ce qu&rsquo;elle nomme un mouvement de la pens&eacute;e et repr&eacute;sente le paradigme de la critique que d&eacute;ploient et r&eacute;it&egrave;rent les penseurs masculins associ&eacute;s au courant d&eacute;colonial d&rsquo;Am&eacute;rique latine&nbsp;: ceux-ci s&rsquo;emparent de textes europ&eacute;ens ou eurocentr&eacute;s et y font &eacute;merger des zones de tensions li&eacute;es au refoul&eacute; colonial qui s&rsquo;y dissimule plus ou moins efficacement. La <i>G&eacute;ographie </i>de Kant a une double valeur, non seulement car elle servirait de contrepoint aux &oelig;uvres classiques du philosophe, mais surtout, car elle tient son nom d&rsquo;une des sciences dont les progr&egrave;s sont les plus &eacute;troitement associ&eacute;s &agrave; l&rsquo;expansion imp&eacute;riale europ&eacute;enne. En effet, les savoirs g&eacute;ographiques, que Kant r&eacute;sume plus qu&rsquo;il ne les modifie, ne peuvent &ecirc;tre enti&egrave;rement s&eacute;par&eacute;s de la vision du monde qui les a constitu&eacute;s. </span><span arial="" lang="EN-US" style="font-family:">La <i>G&eacute;ographie </i>et l<i>&rsquo;Anthropologie </i>&laquo;&nbsp;<i>would not have been possible without the work done by Spanish men of letters in the sixteenth century</i></span><sub><a href="#_ftn21" name="_ftnref21" title=""><sup><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[21]</span></span></sup></span></sup></a></sub><span arial="" lang="EN-US" style="font-family:"> &raquo;. </span><span arial="" style="font-family:">Selon Mignolo, il est &eacute;vident que l&rsquo;influence intellectuelle des Espagnols, jusque dans le domaine cartographique &mdash; on sait qu&rsquo;ils ont contribu&eacute; &agrave; l&rsquo;&acirc;ge d&rsquo;or de la cartographie n&eacute;erlandaise dont provient le <i>Theatrum Orbis Terrarum</i> d&rsquo;Ortelliu &mdash; concerne aussi la philosophie, en d&eacute;pit du r&eacute;cit qu&rsquo;elle-m&ecirc;me se donne pour s&rsquo;immuniser de toute liaison avec des savoirs, pour parler dans un jargon classique, &laquo;&nbsp;r&eacute;gionaux&nbsp;&raquo;. Ceci permet de nuancer la m&eacute;taphore de &laquo;&nbsp;l&rsquo;obscurit&eacute;&nbsp;&raquo; qui traverse l&rsquo;analyse de Mignolo, laquelle ne concerne pas seulement l&rsquo;occultation r&eacute;elle et symbolique des traditions non occidentales, mais plus largement le processus par lequel la philosophie europ&eacute;enne s&rsquo;est aveugl&eacute;e, aussi bien &agrave; propos de ses propres limites que de certaines de ses sources. Cette marginalisation affecte tant&ocirc;t des savoirs non europ&eacute;ens, tant&ocirc;t les documents europ&eacute;ens extrayant de ces autres lieux une perspective l&eacute;gitimant, &agrave; des degr&eacute;s variables, l&rsquo;indiff&eacute;rence &agrave; l&rsquo;&eacute;gard du potentiel &eacute;pist&eacute;mique/herm&eacute;neutique de diff&eacute;rentes communaut&eacute;s. Comme l&rsquo;indique Mendoza, &laquo;&nbsp;le groupe Modernit&eacute;/Colonialit&eacute; sugg&egrave;re des relations causales plus compliqu&eacute;es entre le colonialisme, l&rsquo;&egrave;re des Lumi&egrave;res et l&rsquo;&egrave;re des R&eacute;volutions<sub><a href="#_ftn22" name="_ftnref22" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[22]</span></span></sup></sup></a></sub>&nbsp;&raquo;. La complexification de ces rapports signifie qu&rsquo;au gr&eacute; des textes, la m&eacute;thode de lecture et l&rsquo;interpr&eacute;tation d&eacute;velopp&eacute;es doivent r&eacute;pondre &agrave; des fins diff&eacute;rentes mais qui convergent dans un programme d&eacute;colonial. Il semblerait d&eacute;mesur&eacute; de rassembler le sort de diff&eacute;rentes traditions sous une m&ecirc;me grille d&rsquo;analyse&nbsp;: c&rsquo;est pourquoi j&rsquo;insiste que l&rsquo;analyse men&eacute;e par Mignolo cherche &agrave; intercepter la logique dominatrice r&eacute;sidant chez Kant, la d&eacute;colonisation concernant, aussi, la mani&egrave;re d&rsquo;intervenir au sein de lectures, en allant &agrave; l&rsquo;encontre des horizons d&rsquo;interpr&eacute;tation. Autrement, la m&eacute;taphore centrale de l&rsquo;ombre ne pourrait &ecirc;tre d&eacute;ploy&eacute;e sans causer elle-m&ecirc;me sa part d&rsquo;ambivalence, qui l&rsquo;assimilerait malgr&eacute; elle aux termes qu&rsquo;elle cible dans ses critiques. Le &laquo;&nbsp;c&ocirc;t&eacute; obscur&nbsp;&raquo; de la modernit&eacute; pourrait, &agrave; son tour, dans sa mani&egrave;re de d&eacute;crire la mise en place de l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie occidentale, recouvrir de son ombre les gestes de r&eacute;sistance qui ont amplement pr&eacute;c&eacute;d&eacute; le travail analytique du groupe <i>Modernidad/Colonialidad</i>, gestes qui, s&rsquo;ils ne sont pas dot&eacute;s de la reconnaissance institutionnelle qu&rsquo;a pu recevoir Mignolo, n&rsquo;ont pas moins d&rsquo;importance pour contester l&rsquo;h&eacute;g&eacute;monie tant d&eacute;cri&eacute;e par les nombreuses personnalit&eacute;s intellectuelles qui explorent ces enjeux.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Je mentionnais plus haut l&rsquo;objectif, annonc&eacute; mais non accompli, de replacer au premier plan le point de vue des communaut&eacute;s opprim&eacute;es ou effac&eacute;es par la modernit&eacute;, ce qui, dans le cas de Mignolo, signifierait emprunter des concepts provenant des Premi&egrave;res nations d&rsquo;Am&eacute;rique&nbsp;: c&rsquo;est l&agrave;, &agrave; mon sens, la critique &laquo;&nbsp;interne&nbsp;&raquo; &ndash; puisque venant d&rsquo;Am&eacute;rique latine &ndash; la plus forte qui puisse &ecirc;tre faite &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la posture intellectuelle de Mignolo comme de certains de ses coll&egrave;gues. Je pr&eacute;ciserai plus loin ce dont rel&egrave;vent ces critiques, en rappelant &eacute;galement ce que d&rsquo;autres intellectuels<sub><a href="#_ftn23" name="_ftnref23" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[23]</span></span></sup></sup></a></sub> ont pu reconna&icirc;tre comme limites &agrave; l&rsquo;appareil conceptuel d&eacute;colonial d&rsquo;Am&eacute;rique latine, du moins tel que celui-ci est articul&eacute; par Mignolo. Ces critiques ont contest&eacute;, majoritairement, la radicalit&eacute; &eacute;pist&eacute;mologique r&eacute;clam&eacute;e par plusieurs textes mignoliens, radicalit&eacute; qui aurait parfois tendance &agrave; n&eacute;gliger le r&ocirc;le, entre autres, des mouvements sociaux demeur&eacute;s plus ou moins en marge des r&eacute;cits de r&eacute;sistance.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Ainsi, l&agrave; o&ugrave; le texte d&rsquo;Eze<sub><a href="#_ftn24" name="_ftnref24" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[24]</span></span></sup></sup></a></sub> avait pour ambition de pr&eacute;senter l&rsquo;&oelig;uvre de Kant comme la premi&egrave;re &agrave; incorporer &agrave; son syst&egrave;me la race et son lot de pol&eacute;miques, le texte de Mignolo, par sa mani&egrave;re de jouer avec le texte kantien, s&rsquo;est beaucoup moins pr&ecirc;t&eacute; &agrave; des controverses. Eze cherchait essentiellement &agrave; rappeler les implications &eacute;thiques et historiques sur lesquelles reposait la philosophie transcendantale de Kant et, comme Eze l&rsquo;&eacute;crit lui-m&ecirc;me, il n&rsquo;est pas le premier &agrave; constater les probl&egrave;mes pos&eacute;s par l&rsquo;anthropologie de Kant concernant les humains qui ne r&eacute;pondraient pas aux conditions d&rsquo;humanit&eacute; pos&eacute;es par le philosophe<sub><a href="#_ftn25" name="_ftnref25" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[25]</span></span></sup></sup></a></sub>. Le ton qui est donn&eacute; d&egrave;s les premi&egrave;res phrases de cet essai suppose d&eacute;j&agrave; que l&rsquo;auteur devait s&rsquo;engager dans une voie critique et pol&eacute;mique&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>This scholarly forgetfulness of Kant&#39;s racial theories, or his raciology, I suggest, is attributable to the overwhelming desire to see Kant only as a &ldquo;pure&rdquo; philosopher, preoccupied only with &quot;pure&quot; culture and color-blind</i> <i>philosophical themes in the sanctum sanctorum of the traditions of Western philosophy</i><sub><a href="#_ftn26" name="_ftnref26" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[26]</span></span></sup></sup></a></sub><i>.</i>&nbsp;&raquo; L&rsquo;oubli dont il est question est compl&eacute;mentaire de celui auquel Mignolo s&rsquo;int&eacute;resse&nbsp;: l&agrave; o&ugrave; Eze nomme explicitement une compr&eacute;hension acad&eacute;mique et canonique refoulant cette part plus sombre de la philosophie kantienne, Mignolo s&rsquo;adonne davantage &agrave; ce que Kant aurait &laquo;&nbsp;oubli&eacute;&nbsp;&raquo;, comme le sol d&rsquo;o&ugrave; pouvait &eacute;merger sa philosophie, soit l&rsquo;histoire imp&eacute;riale de l&rsquo;Europe, et au sein m&ecirc;me de cette histoire, la contribution n&eacute;glig&eacute;e des &eacute;crivains espagnols. Ces postures ne pouvaient pas ne pas susciter des pol&eacute;miques, car elles en ont en commun de remettre en question certains lieux communs, non pour d&eacute;truire le texte kantien ou l&rsquo;h&eacute;ritage textuel de l&rsquo;<i>Aufkl&auml;rung</i>, mais bien pour le relier aux enjeux propres &agrave; l&rsquo;&eacute;poque qui interpr&egrave;te &agrave; <span style="color:black">nouveau ces h&eacute;ritages. </span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Il serait donc difficile de ne pas rapprocher cette position de l&rsquo;actualisation des Lumi&egrave;res dont Foucault, en commentant le c&eacute;l&egrave;bre opuscule de Kant, <i>Qu&rsquo;est-ce que les Lumi&egrave;res&nbsp;?</i>, pr&ocirc;nait la n&eacute;cessit&eacute;. &laquo;&nbsp;Laissons &agrave; leur pi&eacute;t&eacute;, &eacute;crivait Foucault, ceux qui veulent qu&#39;on garde vivant et intact l&#39;h&eacute;ritage de l&#39;<i>Aufkl&auml;rung</i>. Cette pi&eacute;t&eacute; est bien s&ucirc;r la plus touchante des trahisons<sub><a href="#_ftn27" name="_ftnref27" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[27]</span></span></sup></sup></a></sub>.&nbsp;&raquo; Outre qu&rsquo;il rejette de la sorte le conservatisme interpr&eacute;tatif, Foucault envisage la possibilit&eacute; d&rsquo;appliquer aux Lumi&egrave;res &ndash; et &agrave; Kant, donc &ndash; une part de leur propre mode d&rsquo;interrogation. En distinguant deux axes d&rsquo;h&eacute;ritage philosophique se croisant au sein de ce texte, Foucault nomme &laquo;&nbsp;ontologie de nous-m&ecirc;mes, ontologie de l&rsquo;actualit&eacute;<sub><a href="#_ftn28" name="_ftnref28" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[28]</span></span></sup></sup></a></sub>&nbsp;&raquo; la part r&eacute;clam&eacute;e de ce legs kantien. Mignolo, que je ne cherche pas &agrave; enfermer dans une grille de lecture foucaldienne, prend part, en d&eacute;pit des nombreuses qu&rsquo;il formule, &agrave; cette ontologie de l&rsquo;actualit&eacute; dans laquelle l&rsquo;usage des Lumi&egrave;res est strat&eacute;gique. M&ecirc;me si Mignolo ne d&eacute;finit pas la sensibilit&eacute; d&eacute;coloniale comme une &eacute;thique et comme un mode &agrave; vie, il est envisageable d&rsquo;interpr&eacute;ter cette sensibilit&eacute; dans ses prolongements pragmatiques, la formulation foucaldienne cit&eacute;e renvoyant &agrave; une m&eacute;thode de recherche se fondant depuis l&rsquo;actualit&eacute; et &laquo;&nbsp;pour&nbsp;&raquo; l&rsquo;actualit&eacute;, de telle sorte qu&rsquo;on puisse conf&eacute;rer davantage d&rsquo;intelligibilit&eacute; au temps pr&eacute;sent.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Mignolo r&eacute;&eacute;crit les trois m&eacute;morables questions de la premi&egrave;re <i>Critique</i> &ndash; reprises dans la <i>Logique</i> o&ugrave; une quatri&egrave;me appara&icirc;t, qu&rsquo;est-ce que l&rsquo;&ecirc;tre humain&nbsp;? &ndash; sur un plan diff&eacute;rent, celui d&rsquo;un &laquo;&nbsp;plateau &eacute;pist&eacute;mique d&eacute;colonial<sub><a href="#_ftn29" name="_ftnref29" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[29]</span></span></sup></sup></a></sub>&nbsp;&raquo;. Selon lui, la quatri&egrave;me question d&eacute;termine en fait les trois autres, car elle est celle dont la r&eacute;ponse subsumera les autres. En transformant ces questions, sans les parodier ni les pasticher, Mignolo pr&eacute;cise un enjeu disciplinaire&nbsp;: il souligne que la m&eacute;thode d&eacute;coloniale, donn&eacute;e en exemple dans ce petit texte, requiert une sensibilit&eacute; transdisciplinaire plus qu&rsquo;interdisciplinaire. Cependant, la reformulation de ces questions ne r&egrave;gle pas l&rsquo;enjeu &eacute;pist&eacute;mique et ne peut fournir &agrave; elle seule un programme d&eacute;colonial. En effet, m&ecirc;me si elles sont formul&eacute;es &laquo;&nbsp;au-dedans&nbsp;&raquo; d&rsquo;une forme de philosophie, la possibilit&eacute; de leur trouver une r&eacute;ponse exc&egrave;de les efforts d&rsquo;une discipline. Le cloisonnement disciplinaire emp&ecirc;cherait une remise en question critique de la colonialit&eacute;. C&rsquo;est la raison pour laquelle la pens&eacute;e d&eacute;coloniale s&rsquo;efforce de produire sa lecture &agrave; partir d&rsquo;une forme d&rsquo;ext&eacute;riorit&eacute;. Sans mauvais jeu de mot, c&rsquo;est &agrave; une &eacute;ni&egrave;me fronti&egrave;re que s&rsquo;attaque ici l&rsquo;auteur.</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Travailler avec le texte kantien doit donc montrer l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;une telle approche, tout en d&eacute;montrant l&rsquo;envergure du d&eacute;fi intellectuel que repr&eacute;sente cette entreprise, puisque l&rsquo;argument d&eacute;colonial pourrait &ecirc;tre tour &agrave; tour l&rsquo;objet de critiques pr&eacute;cises de la part des diff&eacute;rentes disciplines que celui-ci traverse et combine, sans v&eacute;ritablement les d&eacute;construire. </span></span></span></span></p> <h2 style="text-align: justify;"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Du geste de lecture et d&rsquo;&eacute;criture&nbsp;: les limites lisibles de Mignolo</span></span></span></span></h2> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">En mentionnant plus haut la lecture contrapuntique ch&egrave;re &agrave; Edward Sa&iuml;d<sub><a href="#_ftn30" name="_ftnref30" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[30]</span></span></sup></sup></a></sub>, je constatais qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas, chez Mignolo, une conceptualisation de la lecture qui porte un autre qualificatif que celui, vague &agrave; force d&rsquo;&ecirc;tre r&eacute;p&eacute;t&eacute;, et ce, en d&eacute;pit des pr&eacute;cisions donn&eacute;es dans ses textes, de <i>d&eacute;coloniale</i>. Il est pourtant &eacute;vident que le courant d&rsquo;Am&eacute;rique latine n&rsquo;est pas insensible &agrave; la litt&eacute;rature<sub><a href="#_ftn31" name="_ftnref31" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[31]</span></span></sup></sup></a></sub> et que ses efforts pour penser une herm&eacute;neutique pluricentr&eacute;e supposent, dans leur pratique du moins, une approche pr&eacute;cise des textes. Pourrait-on parler, pour reprendre ce champ de l&rsquo;obscurit&eacute;, d&rsquo;une lecture en n&eacute;gatif du texte kantien&nbsp;? Si cette image appara&icirc;t simple et op&eacute;ratoire, c&rsquo;est qu&rsquo;elle sugg&egrave;re qu&rsquo;une telle lecture alt&egrave;rerait les valeurs pr&eacute;tendument &eacute;clairantes au sein du texte, permettant d&rsquo;en lire les marges et d&rsquo;invisibiliser le texte, lequel sans cela imposerait l&rsquo;interpr&eacute;tation &agrave; en faire. Le proc&eacute;d&eacute; de lecture peut, de la sorte, esquisser les autres pr&eacute;sences qui hantent l&rsquo;&eacute;nonc&eacute; kantien, ces &laquo; Autres&nbsp;&raquo; qui ont pu interagir &agrave; l&rsquo;&eacute;poque des Lumi&egrave;res sans exercer une influence d&eacute;cisive sur leur projet. C&rsquo;est pourquoi, d&rsquo;ailleurs, Mignolo consacre un paragraphe &agrave; la perspective de Cugoano, un esclave africain affranchi auteur et d&rsquo;un livre explicitement anti-esclavagiste<sub><a href="#_ftn32" name="_ftnref32" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[32]</span></span></sup></sup></a></sub>. La perspective de Cugoano ne doit pas simplement servir &agrave; rendre plus embarrassants encore les propos racistes &eacute;nonc&eacute;s par Kant et Hume, elle doit &ecirc;tre analys&eacute;e afin qu&rsquo;une discussion sur la race puisse se construire ailleurs que dans les textes canoniques de la philosophie europ&eacute;enne. Ainsi, la pens&eacute;e d&eacute;coloniale cherche-t-elle, en insistant constamment sur ces autres perspectives, &agrave; analyser la circulation des id&eacute;es, tout en souhaitant modifier les itin&eacute;raires de lecture&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>Thus, if Kant&rsquo;s Geography aims at the universal, decolonial thinkers aim at the global; that is, they seek to move through the borders drawn by the always-mutating imperial and colonial differences</i><sub><a href="#_ftn33" name="_ftnref33" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[33]</span></span></sup></sup></a></sub>.&nbsp;&raquo;</span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Ces diff&eacute;rences caract&eacute;ris&eacute;es comme <i>coloniales</i> rappellent cons&eacute;quemment que l&rsquo;usage du mot &laquo;&nbsp;race&nbsp;&raquo; ne sert pas &agrave; ranimer une id&eacute;ologie raciste mais &agrave; d&eacute;signer la structure historique ayant conditionn&eacute; un certain rapport &agrave; la diff&eacute;rence culturelle, que le texte nomme plut&ocirc;t diff&eacute;rence coloniale. De m&ecirc;me, en choisissant comme cible le global plut&ocirc;t que l&rsquo;universel, Mignolo rappelle que la philosophie d&eacute;coloniale ne cherche pas non plus &agrave; refonder une cat&eacute;gorie humaine dont l&rsquo;h&eacute;ritage aurait &eacute;t&eacute; d&eacute;tourn&eacute; par des accidents historiques, cat&eacute;gorie qui requiert implicitement qu&rsquo;elle se pr&eacute;tende universelle pour ne pas imm&eacute;diatement basculer dans une contradiction. La globalit&eacute; qu&rsquo;il a en t&ecirc;te est compatible avec la reconnaissance de l&rsquo;histoire dont elle d&eacute;rive, elle renvoie &agrave; une spatialisation mouvante dont le devenir a est largement redevable &agrave; la colonialit&eacute;. Cette pr&eacute;cision apport&eacute;e &agrave; partir du texte kantien permet de d&eacute;jouer la critique selon laquelle la <i>G&eacute;ographie </i>serait un texte mineur s&rsquo;int&eacute;ressant seulement au global et non &agrave; l&rsquo;universel&nbsp;: comme Mignolo et certains de ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs d&eacute;j&agrave; cit&eacute;s l&rsquo;ont bien indiqu&eacute;, le texte a bel et bien une pr&eacute;tention universaliste et est solidaire des autres pans plus connus de la philosophie critique de Kant. </span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span arial="" style="font-family:">Cependant, ce travail de la marge, &eacute;voqu&eacute; plus haut, a lui aussi &eacute;t&eacute; la cible de critiques, renvoyant &agrave; son tour Mignolo au lieu d&rsquo;&eacute;nonciation prestigieux depuis lequel sa propre parole acquiert une part de son autorit&eacute;. De son c&ocirc;t&eacute;, Silvia Rivera Cusicanqui, sociologue autochtone bolivienne, estime que la r&eacute;flexion &eacute;pist&eacute;mologique de Mignolo aurait &eacute;t&eacute; impensable sans les mouvements tant&ocirc;t populaires tant&ocirc;t marginaux qui ont pu d&eacute;coloniser des h&eacute;ritages de force sans pour autant obtenir d&rsquo;une reconnaissance institutionnelle et internationale, comme celle dont a b&eacute;n&eacute;fici&eacute; le groupe Modernidad/Colonialidad<sub><a href="#_ftn34" name="_ftnref34" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span arial="" style="font-family:">[34]</span></span></sup></sup></a></sub>. Ainsi, il serait envisageable de reprendre en partie les strat&eacute;gies d&rsquo;analyse de Mignolo pour rechercher la marge de son propre texte, et prolonger l&rsquo;h&eacute;ritage critique de la pens&eacute;e d&eacute;coloniale, lequel, pour paraphraser Foucault, ne peut rester intact sans perdre de sa richesse propre. Comme l&rsquo;expliquait Seloua Luste Boulbina, &agrave; l&rsquo;occasion d&rsquo;un compte rendu de l&rsquo;un des ouvrages de Mignolo, m&ecirc;me si ce dernier nomme souvent les &laquo;&nbsp;autres&nbsp;&raquo; perspectives qui ont &eacute;t&eacute; priv&eacute;es d&rsquo;une pleine reconnaissance, l&rsquo;&eacute;criture de Mignolo ne performe pas, comme celle de Fanon, un Je qui viendrait instituer une subjectivit&eacute; radicale, dont l&rsquo;apparition viendrait partiellement rompre avec les conceptions convenues de l&rsquo;&eacute;criture&nbsp;:&nbsp; &laquo; ce n&rsquo;est pas le type d&rsquo;&eacute;criture de Mignolo, lequel ne dit rien de ce qui le fait se placer du c&ocirc;t&eacute; des <span style="background:white"><span style="color:#202124">&ldquo;autres&rdquo; [&hellip;]<sub><a href="#_ftn35" name="_ftnref35" title=""><sup><sup><span style="font-size:12.0pt"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:#202124">[35]</span></span></span></span></sup></sup></a></sub> &raquo;. </span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; text-indent:35.4pt"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:150%"><span cambria="" style="font-family:"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:#202124">Si, en relisant Kant de mani&egrave;re d&eacute;coloniale, Mignolo recherchait les traces d&rsquo;une occultation des &laquo;&nbsp;autres&nbsp;&raquo;, dont les Lumi&egrave;res auraient n&eacute;glig&eacute; les apports, la philosophie d&eacute;coloniale, dans sa version institutionnalis&eacute;e, semble devoir &eacute;galement repenser son rapport aux alt&eacute;rit&eacute;s qu&rsquo;elle oppose aux &eacute;pist&eacute;mologies europ&eacute;ennes.&nbsp; </span></span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify">&nbsp;</p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[1]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> Capucine Boidin, <span style="background:white"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;&Eacute;tudes d&eacute;coloniales et postcoloniales dans les d&eacute;bats fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Cahiers des Am&eacute;riques latines</i>, 62&nbsp;|&nbsp;2009, p. 129-140.</span></span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[2]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> <span style="background:white"><span style="color:black">Achille Mbembe, &laquo;&nbsp;Faut-il provincialiser la France&nbsp;?&nbsp;&raquo;,&nbsp;<i>Politique africaine</i>, vol. 119, n&deg; 3, 2010, p. 159-188.</span></span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[3]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> Walter Mignolo, <span style="background:white"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;The Darker Side of the Enlightenment: a Decolonial Reading of Kant&rsquo;s <i>Geography</i>&nbsp;&raquo;, dans <i>The Darker Side of Modernity: Global Futures, Decolonial Options</i>, Durham Duke University Press, 2011, (p. 181-209),</span></span> p. 186.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[4]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> Tzvetan Todorov, <i>La Conqu&ecirc;te de l&rsquo;Am&eacute;rique&nbsp;: la question de l&rsquo;autre</i>, Paris, Le Seuil, 1978.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[5]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> Jacques Derrida, <i>De la grammatologie</i>, Paris, Minuit, 1968.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[6]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> W. Mignolo, &laquo;&nbsp;The Darker Side&hellip;&nbsp;&raquo;, art. cit., p. 206.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn7"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[7]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> W. Mignolo, &laquo;&nbsp;The Darker Side&hellip;&nbsp;&raquo;, art. cit., p. 200.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn8"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[8]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> Enrique Dussel, <i>1492 - El encubrimiento del Otro</i>, La Paz, Plural editores, 1994.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn9"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[9]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> <span lang="EN-US" style="color:black">Walter Mignolo, <i>The Darker of</i> <i>the Renaissance: Literacy, Territoriality, and Colonization</i>, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1995.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn10"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[10]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> Serge Gruzinski, compte rendu de Walter Mignolo, <i>The Darker of</i> <i>the Renaissance&hellip;</i>, <i>L&rsquo;Homme</i>, 1997, p. 183-185, ici p. 184.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn11"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref11" name="_ftn11" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[11]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> <i>Idem</i>. </span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn12"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref12" name="_ftn12" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[12]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> <span lang="EN-US" style="color:black">Elden Stuart, Elden et Eduardo Mendieta, <i>Reading Kant&rsquo;s Geography</i>, Albany, State University of New York Press, 2011. </span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn13"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref13" name="_ftn13" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[13]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> <span lang="EN-US" style="color:black">David Harvey, &laquo;&nbsp;Cosmopolitanism and the banality of geographical evil&nbsp;&raquo;, in <i>Cosmopolitanism and the Geographies of Freedom</i>, New York, Columbia University Press, 2009, p. 98-122. </span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn14"> <p><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref14" name="_ftn14" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[14]</span></span></span></span></span></span></a></sub> <span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Santiago </span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:#202122">Castro-G</span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">&oacute;mez, <i>La hybris del punto cero. Ciencia, raza e ilustraci&oacute;n en la Nueva Granada</i></span></span></span><i><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">, 1750-1816</span></span></i><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">,</span></span><i> </i><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:#202122">Bogot&aacute;, Universidad Javeriana, 2005. </span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">&nbsp;</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn15"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref15" name="_ftn15" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[15]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> W. Mignolo, &laquo; The Darker Side&hellip; &raquo;, art. cit., p. 187.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn16"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref16" name="_ftn16" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[16]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> <i>Ibid</i>., p. 204-205.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn17"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref17" name="_ftn17" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[17]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> <span style="background:white"><span style="color:black">Emmanuel Kant,<i> G&eacute;ographie</i>, trad. de l&rsquo;allemand par Mich&egrave;le Cohen-Halimi, Max Marcuzzi et Val&eacute;rie Seroussi, Paris, Aubier, &laquo;&nbsp;Biblioth&egrave;que Philosophique&nbsp;&raquo;, 1999, p. 139. </span></span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn18"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref18" name="_ftn18" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[18]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> W. Mignolo, &laquo; The Darker Side&hellip; &raquo;, art. cit., p. 200, je traduis.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn19"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref19" name="_ftn19" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[19]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> Emmanuel Kant, <i>Anthropologie du point de vue pragmatique &amp; Introduction &agrave; l&rsquo;</i>Anthropologie, trad. de l&rsquo;allemand et pr&eacute;sent&eacute; par Michel Foucault, Paris, Vrin, 2008, p. 171.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn20"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref20" name="_ftn20" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[20]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> W. Mignolo, &laquo; The Darker Side&hellip; &raquo;, art. cit., p. 189.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn21"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref21" name="_ftn21" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[21]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"><sub> </sub><i>Ibid</i>., p. 199-200.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn22"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref22" name="_ftn22" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[22]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> <span lang="EN-US" style="background:white"><span style="color:black">Breny Mendoza, &laquo;&nbsp;Coloniality of Gender and Power: from Postcoloniality to Decoloniality&nbsp;&raquo;, dans Lisa Disch et Mary Hawkesworth, <i>The Oxford Handbook of Feminist Theory</i>, Oxford (New York), Oxford University Press, 2016, p. 112, </span></span>je traduis.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn23"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref23" name="_ftn23" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[23]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> Telle Selboua Luste Boulbina, Seloua, </span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:#202124">Luste Boulbina, Compte rendu de </span></span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Walter D. Mignolo,&nbsp;<i>Habiter la fronti&egrave;re, la d&eacute;sob&eacute;issance &eacute;pist&eacute;mique. Rh&eacute;torique de la modernit&eacute;, logique de la colonialit&eacute; et grammaire de la d&eacute;colonialit&eacute;</i>, (Peter Lang, Bruxelles, 2015),&nbsp;<i>Pr&eacute;sence Africaine</i>, vol. 197, n&deg;1, 2018</span></span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn24"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref24" name="_ftn24" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[24]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> Emmanuel <span style="color:black">Chukwudi Eze, &laquo;&nbsp;The Color of Reason: the Idea of Race in Kant&rsquo;s <i>Anthropology</i>&nbsp;</span>&raquo;, dans <i>Postcolonial African Philosophy: a critical reader</i>, Cambridge (Mass.), Blackwell, 1997. </span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn25"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref25" name="_ftn25" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[25]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> E. Chukwudi Eze, <i>op. cit</i>., p. 131.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn26"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref26" name="_ftn26" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[26]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> E. Chukwudi Eze, <i>op. cit</i>., p. 103.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn27"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref27" name="_ftn27" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[27]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> Michel Foucault, &laquo;&nbsp;Qu&rsquo;est-ce que les Lumi&egrave;res&nbsp;&raquo;, in <i>Dits et &eacute;crits, II : 1976-1988</i>, Paris, <span style="color:black">Gallimard, &laquo;&nbsp;Quarto&nbsp;&raquo;,</span> 2017<span style="color:black">, p. </span>1505-1506<span style="color:black">.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn28"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref28" name="_ftn28" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[28]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sub> </sub><i>Idem</i>.</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn29"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref29" name="_ftn29" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[29]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> W. Mignolo, &laquo; The Darker Side&hellip; &raquo;, art. cit., p. 189.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn30"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref30" name="_ftn30" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[30]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> Edward Sa&iuml;d, <i>Culture and Imperialism</i>, New York, Vintage Books, 1994 [1993], p. 66.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn31"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref31" name="_ftn31" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[31]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> Voir l&rsquo;ouvrage classique de W. Mignolo, <i>The Darker Side of the Renaissance: Literacy, Territoriality, &amp; Colonization</i>, Michigan, University of Michigan Press, 1995. </span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn32"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref32" name="_ftn32" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[32]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> Voir Franck Bourgeois, <span style="background:white"><span style="color:black">&laquo;&nbsp;Ottobah Cugoano, Premier Auteur Antiesclavagiste Noir &raquo;, <i>Études Théologiques et Religieuses</i>, vol. 85, n&deg; 1, 2010, p. 1&ndash;1, doi:10.3917/etr.0851.0001.</span></span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn33"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref33" name="_ftn33" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[33]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> W. Mignolo, &laquo; The Darker Side&hellip; &raquo;, art. cit., p. 207.</span></span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn34"> <p style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref34" name="_ftn34" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[34]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"> Silvia Rivera Cusicanqui, &laquo;&nbsp;Ch&rsquo;ixinakax utxiwa: A Reflection on the Practices and Discourses of Decolonization&nbsp;&raquo;, <i>The South Atlantic Quarterly</i>, 111:1, Hiver 2012. </span></span><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">DOI 10.1215/00382876-1472612</span></span></span></span></p> </div> <div id="ftn35"> <p style="border:medium; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span cambria="" style="font-family:"><sub><a href="#_ftnref35" name="_ftn35" title=""><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><sup><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:">[35]</span></span></sup></span></span></sup></a></sub><span style="font-size:10.0pt"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black"> Seloua, </span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:#202124">Luste Boulbina, Compte rendu de </span></span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:"><span style="color:black">Walter D. Mignolo,&nbsp;<i>Habiter la fronti&egrave;re, la d&eacute;sob&eacute;issance &eacute;pist&eacute;mique&hellip;</i>, art. cit&eacute;, p. 3</span></span></span></span><span style="font-size:10.0pt"><span style="background:white"><span arial="" style="font-family:">98<span style="color:black">.</span></span></span></span></span></span></p> </div> </div>