<p class="texte" dir="ltr"><strong>Chronique d&rsquo;une crise annonc&eacute;e dans les universit&eacute;s.</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">Monsieur le Pr&eacute;sident de la R&eacute;publique,</p> <p class="texte" dir="ltr">Les universit&eacute;s d&eacute;butent l&rsquo;ann&eacute;e 2009 dans un tr&egrave;s grand &eacute;tat de tension et d&rsquo;inqui&eacute;tude, alors m&ecirc;me que vous avez affich&eacute; l&rsquo;Universit&eacute; et la Recherche au rang des priorit&eacute;s nationales. Le budget global de l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur et de la recherche a &eacute;t&eacute; sensiblement accru, des projets ambitieux ont &eacute;t&eacute; lanc&eacute;s, telle l&rsquo;op&eacute;ration campus, et dix-huit &eacute;tablissements acc&egrave;dent, depuis janvier, aux responsabilit&eacute;s et comp&eacute;tences &eacute;largies accord&eacute;es par la Loi LRU (relative aux Libert&eacute;s et Responsabilit&eacute;s des Universit&eacute;s) que Val&eacute;rie P&eacute;cresse a pr&eacute;par&eacute;e et fait voter d&egrave;s 2007. La volont&eacute; politique est clairement exprim&eacute;e, l&rsquo;&eacute;lan collectif est manifestement engag&eacute;, les d&eacute;fis sont propres &agrave; susciter l&rsquo;enthousiasme.</p> <p class="texte" dir="ltr">Comment expliquer alors le malaise grandissant et les m&eacute;contentements accumul&eacute;s, sinon en &eacute;coutant les interrogations que suscitent ces trois dossiers eux-m&ecirc;mes ? Interrogations persistantes et justifi&eacute;es sur la proportion des moyens nouveaux qui parviennent r&eacute;ellement aux universit&eacute;s pour am&eacute;liorer leur fonctionnement quotidien et la qualit&eacute; de l&rsquo;accueil des &eacute;tudiants. Incompr&eacute;hension et protestations face aux suppressions d&rsquo;emplois dans l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur et la recherche, qui sont totalement contradictoires avec l&rsquo;objectif affich&eacute; de porter l&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur fran&ccedil;ais au meilleur niveau international. Interrogations sur la r&eacute;alit&eacute; des dotations de l&rsquo;Etat pour les neuf campus retenus par l&rsquo;op&eacute;ration campus et sur le devenir des autres sites, pourtant cruciaux pour la qualification future de notre jeunesse, et l&rsquo;attractivit&eacute; internationale globale de notre syst&egrave;me d&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur et de recherche. Interrogations enfin sur le devenir des statuts des personnels au sein des universit&eacute;s devenues autonomes, sur l&rsquo;avenir de la fonction publique d&rsquo;Etat dans ces &eacute;tablissements.</p> <p class="texte" dir="ltr">Tout cela d&eacute;j&agrave; m&eacute;rite r&eacute;ponse, examen et concertation, et pourtant trois dossiers particuli&egrave;rement sensibles se surajoutent et risquent de mettre le feu aux poudres : la modification du d&eacute;cret de 1984 sur le statut des enseignants-chercheurs, la formation des enseignants et l&rsquo;accord du 18 d&eacute;cembre dernier entre la France et le Vatican sur la reconnaissance des dipl&ocirc;mes nationaux.</p> <p class="texte" dir="ltr">La modification du d&eacute;cret de 1984 &eacute;tait une n&eacute;cessit&eacute; car les enseignants-chercheurs demandaient que soient pris en compte dans les services d&rsquo;enseignement les enseignements assur&eacute;s &agrave; distance. Si, en 1984, on ne concevait gu&egrave;re les enseignements que magistraux, dirig&eacute;s ou pratiques en pr&eacute;sence des &eacute;tudiants, en 2009, en revanche, nul ne peut discuter la n&eacute;cessit&eacute; de l&rsquo;enseignement &agrave; distance pour les &eacute;tudiants salari&eacute;s, les &eacute;tudiants en situation de handicap ou encore la promotion des enseignements fran&ccedil;ais hors du territoire national. Tout le monde s&rsquo;accorde aussi sur la n&eacute;cessit&eacute; de prendre en compte l&rsquo;encadrement de stages, les relations internationales ou les relations avec les entreprises dans les charges statutaires des enseignants, pour ne citer que quelques exemples. Personne ne conteste non plus que les enseignants-chercheurs ne consacrent pas tous le m&ecirc;me temps &agrave; chacune de leurs fonctions, ni pendant toute leur carri&egrave;re. Ce qui cr&eacute;e le malaise est la conception m&ecirc;me de la modulation des services, telle qu&rsquo;elle ressort du projet de modification du d&eacute;cret, et qui revient en fait &agrave; alourdir le temps d&rsquo;enseignement de ceux que le Conseil National des Universit&eacute;s aura jug&eacute; moins performants en recherche. Une analyse primaire et simpliste pourrait trouver &laquo; normal &raquo; qu&rsquo;il en soit ainsi. L&rsquo;enseignant-chercheur qui &laquo; cherche peu enseigne plus &raquo;. Mais cela revient &agrave; consid&eacute;rer l&rsquo;enseignement universitaire comme une activit&eacute; par d&eacute;faut &ndash; ce que l&rsquo;on est oblig&eacute; de faire quand on n&rsquo;est pas capable de faire autre chose &ndash;, alors que l&rsquo;enseignement est au contraire l&rsquo;activit&eacute; la plus noble, celle qui couronne les productions de la recherche, celle qui fait le pari de l&rsquo;avenir &agrave; travers la comp&eacute;tence des jeunes dipl&ocirc;m&eacute;s. En outre, une telle conception de la modulation des services compromet d&eacute;finitivement l&rsquo;avenir de ceux qui ne parviennent pas &agrave; d&eacute;gager du temps pour la recherche, notamment parce que le ratio enseignant/&eacute;tudiant est d&eacute;favorable dans certains secteurs ou certaines universit&eacute;s, ou parce que certaines fili&egrave;res plus professionnalisantes demandent une plus grande disponibilit&eacute; p&eacute;dagogique et organisationnelle: moins ils auront de temps pour la recherche, moins bien ils seront &eacute;valu&eacute;s et moins ils seront autoris&eacute;s &agrave; faire de la recherche.</p> <p class="texte" dir="ltr">Une modulation des services qui transformerait l&rsquo;augmentation du temps d&rsquo;enseignement en sanction pour recherche insuffisante, voire en compensation pour des suppressions de postes constat&eacute;es et annonc&eacute;es, et qui cristalliserait par ailleurs les in&eacute;galit&eacute;s entre domaines et entre fili&egrave;res, cr&eacute;erait des dommages irr&eacute;parables au sein des communaut&eacute;s universitaires, sans pour autant augmenter significativement la capacit&eacute; de recherche du syst&egrave;me d&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur fran&ccedil;ais.</p> <p class="texte" dir="ltr">Nous sommes favorables &agrave; une vraie modulation de services, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; une modulation reconnaissant la diversit&eacute;, la richesse et la vari&eacute;t&eacute; de nos fonctions et r&eacute;sultant d&rsquo;un contrat pass&eacute; entre l&rsquo;universit&eacute; et l&rsquo;enseignant, via son UFR et son &eacute;quipe de recherche, avec bien s&ucirc;r une instance possible de recours en cas de litige. Nous sommes favorables &agrave; une modulation des services organis&eacute;e par les acteurs au sein des &eacute;quipes, autour de projets, pour optimiser les capacit&eacute;s de recherche et de formation de l&rsquo;&eacute;quipe, et pour atteindre des objectifs collectifs &agrave; moyen terme. Mais nous ne pouvons ni admettre ni cautionner une conception restrictive et punitive qui ne propose, de mani&egrave;re tr&egrave;s significative, aucune m&eacute;thode pour aider ceux qui auraient d&eacute;croch&eacute; de la recherche et leur d&eacute;gager plus de temps pour s&rsquo;y remettre. En l&rsquo;&eacute;tat des projets de r&eacute;forme du d&eacute;cret de 1984, la modulation des services telle qu&rsquo;elle est con&ccedil;ue ne concernerait de fait que les marges de la communaut&eacute; universitaire (d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; une &eacute;lite tr&egrave;s &eacute;troite de chercheurs tr&egrave;s actifs, et de l&rsquo;autre les tr&egrave;s rares coll&egrave;gues qui ne remplissent pas leurs obligations) : mais, justement, et en raison de cela m&ecirc;me, elle inqui&egrave;te et m&eacute;contente d&eacute;j&agrave; la communaut&eacute; toute enti&egrave;re, qui se demande &agrave; juste titre pourquoi il serait n&eacute;cessaire de mettre en &oelig;uvre une r&eacute;forme des statuts en g&eacute;n&eacute;ral pour traiter quelques cas marginaux !</p> <p class="texte" dir="ltr">La r&eacute;forme de la formation des enseignants est un autre sujet tr&egrave;s pr&eacute;occupant pour l&rsquo;ensemble des universit&eacute;s. La Conf&eacute;rence des Pr&eacute;sidents d&rsquo;Universit&eacute; a soutenu l&rsquo;int&eacute;gration des IUFM dans les universit&eacute;s et, &agrave; travers elle, l&rsquo;affirmation que la formation des ma&icirc;tres &eacute;tait une des vocations naturelles de l&rsquo;universit&eacute;. La CPU a &eacute;galement consid&eacute;r&eacute; comme positif que soit exig&eacute; un master pour pr&eacute;tendre &agrave; une fonction d&rsquo;enseignant car cela permet &agrave; la fois de revaloriser les salaires et d&rsquo;envisager des reconversions plus faciles en cours de carri&egrave;re. Mais la pr&eacute;cipitation dans laquelle s&rsquo;est engag&eacute;e cette r&eacute;forme et l&rsquo;absence de r&eacute;ponse aux questions que nous posons depuis des mois sur les stages, sur les conditions d&rsquo;entr&eacute;e dans le m&eacute;tier ou sur le financement des &eacute;tudes des futurs ma&icirc;tres, rendent la situation aujourd&rsquo;hui intenable : d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; les universitaires ont travaill&eacute; depuis l&rsquo;&eacute;t&eacute; au niveau national, comme dans les acad&eacute;mies, sur des projets de maquette et de l&rsquo;autre les programmes de concours auxquels ces masters sont cens&eacute;s pr&eacute;parer n&rsquo;ont &eacute;t&eacute; connus qu&rsquo;en d&eacute;cembre. La formation des enseignants est trop importante pour l&rsquo;avenir des connaissances et des comp&eacute;tences de la nation pour que soit refus&eacute; le temps d&rsquo;une r&eacute;flexion nationale et d&rsquo;une vraie coordination entre les deux minist&egrave;res concern&eacute;s. Nous insistons tout particuli&egrave;rement sur la prise en charge financi&egrave;re des &eacute;tudiants, et ce pour une raison strat&eacute;gique. D&rsquo;aucuns disent que les &eacute;conomies induites par la suppression de l&rsquo;ann&eacute;e de stage salari&eacute; seraient la motivation principale de cette r&eacute;forme, expliqueraient &agrave; la fois la pr&eacute;cipitation et l&rsquo;incoh&eacute;rence du calendrier, seraient en somme la &laquo; cl&eacute; &raquo; de cette r&eacute;forme ; la cr&eacute;ation d&rsquo;un financement sp&eacute;cifique pour la pr&eacute;paration des masters enseignement, sur le principe des anciens IPES qui ont jou&eacute; un r&ocirc;le d&eacute;cisif de promotion sociale en leur temps, constituerait le meilleur d&eacute;menti par rapport &agrave; une telle rumeur : la concertation sur l&#39;essentiel, c&#39;est-&agrave;-dire l&#39;avenir de l&#39;enseignement primaire et secondaire, et de la formation des enseignants qui en assurent la qualit&eacute; pourrait alors s&rsquo;engager positivement.</p> <p class="texte" dir="ltr">Pour finir, l&rsquo;accord entre la France et le Vatican sur la reconnaissance des dipl&ocirc;mes nationaux ravive inutilement le d&eacute;bat sur la la&iuml;cit&eacute;. Selon cet accord, les dipl&ocirc;mes d&eacute;livr&eacute;s par les instituts catholiques contr&ocirc;l&eacute;s par le Vatican seront reconnus en France au m&ecirc;me titre que les dipl&ocirc;mes d&eacute;livr&eacute;s par les universit&eacute;s publiques. Non seulement cet accord porte sur les dipl&ocirc;mes canoniques, ce qui peut se concevoir mais m&eacute;riterait discussion, puisque les dipl&ocirc;mes canoniques font partie du champ initial des instituts catholiques, mais aussi sur les formations profanes, ce qui est proprement inacceptable. Si le processus de Bologne instaure la reconnaissance europ&eacute;enne des dipl&ocirc;mes europ&eacute;ens, il n&rsquo;impose nullement &agrave; chacun des Etats-membres de reconna&icirc;tre automatiquement, comme &eacute;quivalents aux dipl&ocirc;mes dispens&eacute;s par ses &eacute;tablissements nationaux, les dipl&ocirc;mes des autres &eacute;tablissements europ&eacute;ens. Or si la reconnaissance des dipl&ocirc;mes canoniques d&eacute;livr&eacute;s par les institutions catholiques rel&egrave;ve bien du processus de Bologne, notamment parce qu&rsquo;elle n&rsquo;entre pas en concurrence avec les dipl&ocirc;mes nationaux, celle des dipl&ocirc;mes profanes d&eacute;livr&eacute;s par les instituts catholiques s&rsquo;impose tellement peu que l&rsquo;Union des &eacute;tablissements d&rsquo;enseignement sup&eacute;rieur catholique n&rsquo;en &eacute;tait semble-t-il pas inform&eacute;e, selon <span style="text-decoration:underline;">La Croix </span>du 19 d&eacute;cembre dernier ! Quelle n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;avoir ajout&eacute; cette clause provocatrice, qui constitue un pr&eacute;c&eacute;dent inacceptable, et qui ne peut que soulever les protestations de l&rsquo;ensemble de la communaut&eacute; universitaire, soucieuse de d&eacute;fendre les valeurs la&iuml;ques et r&eacute;publicaines ? En outre, le biais retenu pour cette d&eacute;marche, &agrave; savoir un accord international pilot&eacute; par le Minist&egrave;re des Affaires Etrang&egrave;res, est particuli&egrave;rement incongru, s&rsquo;agissant d&rsquo;&eacute;tablissements avec lesquels les universit&eacute;s fran&ccedil;aises entretiennent depuis longtemps, dans plusieurs r&eacute;gions fran&ccedil;aises, des liens de proximit&eacute; et d&rsquo;actives collaborations : ce type d&rsquo;accord international, en effet, conduit &agrave; rappeler que chaque institut catholique fran&ccedil;ais est, de droit, une implantation universitaire &eacute;trang&egrave;re qui serait, pour tout ce qui concerne le pilotage et l&rsquo;accr&eacute;ditation des formations, une &eacute;manation directe du Vatican. Est-ce bien l&rsquo;objectif vis&eacute; par la d&eacute;marche ?</p> <p class="texte" dir="ltr">Monsieur le Pr&eacute;sident de la R&eacute;publique, afin de garantir la s&eacute;r&eacute;nit&eacute; dans les universit&eacute;s et de leur donner les moyens de leur d&eacute;veloppement au service de la nation, il est souhaitable d&rsquo;apporter des r&eacute;ponses pr&eacute;cises et durables aux questions de fond, de prendre le temps de la r&eacute;flexion sur la r&eacute;forme du statut des enseignants-chercheurs et sur la formation des enseignants et de modifier l&rsquo;accord entre la France et le Vatican afin que les dipl&ocirc;mes profanes ne soient pas concern&eacute;s par cet accord. Nous vous prions de croire, Monsieur le Pr&eacute;sident de la R&eacute;publique, en l&rsquo;assurance de notre haute consid&eacute;ration.</p>