<h1 dir="ltr" id="heading1">Qu&rsquo;est-ce que la r&eacute;silience&nbsp;?</h1> <p class="texte" dir="ltr">Tous les sp&eacute;cialistes s&rsquo;accordent pour consid&eacute;rer que le terme r&eacute;silience recouvre deux aspects&nbsp;: d&rsquo;une part un traumatisme ou une situation difficile prolong&eacute;e, d&rsquo;autre part un fonctionnement non pathologique. Cependant, d&egrave;s que l&rsquo;on essaie de d&eacute;finir plus pr&eacute;cis&eacute;ment et d&rsquo;&eacute;valuer ces deux aspects, de redoutables difficult&eacute;s se font jour. J&rsquo;aimerai aborder quelques probl&egrave;mes soulev&eacute;s par la d&eacute;finition de la r&eacute;silience.</p> <h2 dir="ltr" id="heading2">Quels crit&egrave;res prendre en compte&nbsp;?</h2> <p class="texte" dir="ltr">La r&eacute;silience est un processus multidimensionnel, le crit&egrave;re d&rsquo;&eacute;valuation pouvant, selon les cas, concerner le style d&rsquo;attachement, les relations avec les pairs, les r&eacute;sultats scolaires, le bien-&ecirc;tre psychologique, l&rsquo;insertion professionnelle, l&rsquo;absence de troubles psychiatriques, etc. Un individu peut manifester de la r&eacute;silience dans un domaine, et non dans un autre. Il serait d&rsquo;ailleurs peut-&ecirc;tre plus pertinent de parler de r&eacute;siliences plut&ocirc;t que de r&eacute;silience.</p> <p class="texte" dir="ltr">Par exemple, divers chercheurs ont utilis&eacute; la comp&eacute;tence sociale comme crit&egrave;re de r&eacute;silience. Il est cependant vite apparu que cette mani&egrave;re de faire &eacute;tait insuffisante. Ainsi, une &eacute;tude men&eacute;e par Spaccarelli et Kim (1995) aupr&egrave;s de 43 jeunes filles, &acirc;g&eacute;es de 10 &agrave; 17 ans et victimes d&rsquo;abus sexuels, aboutit &agrave; la conclusion que nombre d&rsquo;entre elles sont capables de maintenir une comp&eacute;tence sociale ad&eacute;quate (activit&eacute;s, relations sociales, r&eacute;sultats scolaires) alors qu&rsquo;elles souffrent toujours de hauts niveaux de d&eacute;pression, d&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; ou d&rsquo;agressivit&eacute;. Ce qui conduit les auteurs &agrave; estimer que l&rsquo;absence de sympt&ocirc;mes cliniques, plut&ocirc;t que la comp&eacute;tence sociale, semble constituer une mesure plus sensible &agrave; la r&eacute;silience des personnes victimes d&rsquo;abus sexuels.</p> <p class="texte" dir="ltr">Autre exemple&nbsp;: de plus en plus de recherches montrent que, parmi les jeunes des quartiers d&eacute;favoris&eacute;s, la r&eacute;silience &eacute;valu&eacute;e par la r&eacute;ussite scolaire peut n&rsquo;avoir que peu de lien avec celle indiqu&eacute;e par l&rsquo;acceptation par les pairs, voire &ecirc;tre en contradiction avec celle-ci. (Luthar, 1991&nbsp;; Seidman &amp; al., 1994).</p> <h2 dir="ltr" id="heading3">Combien de crit&egrave;res retenir&nbsp;?</h2> <p class="texte" dir="ltr">De fa&ccedil;on logique, plus on prend de crit&egrave;res en compte, moins on recense d&rsquo;individus r&eacute;silients. Dans une &eacute;tude men&eacute;e aupr&egrave;s de 56 enfants maltrait&eacute;s, &acirc;g&eacute;s de 7 ans &agrave; 12 ans &frac12;, Kaufman et ses collaborateurs (1994) ont examin&eacute; trois domaines de comp&eacute;tence :</p> <ul> <li> <p class="puces" dir="ltr">La r&eacute;ussite scolaire et intellectuelle</p> </li> <li> <p class="puces" dir="ltr">La comp&eacute;tence sociale</p> </li> <li> <p class="puces" dir="ltr">La symptomatologie clinique</p> </li> <li> <p class="puces" dir="ltr">Les auteurs ont logiquement constat&eacute; un d&eacute;clin de la proportion d&rsquo;enfants r&eacute;silients au fur et &agrave; mesure que le nombre de domaines pris en compte augmentait&nbsp;:</p> </li> <li> <p class="puces" dir="ltr">R&eacute;silients dans aucun domaine&nbsp;: 25 (45%)</p> </li> <li> <p class="puces" dir="ltr">R&eacute;silients dans un domaine&nbsp;: 21 (37%)</p> </li> <li> <p class="puces" dir="ltr">R&eacute;silients dans deux domaines&nbsp;: 7 (13%)</p> </li> <li> <p class="puces" dir="ltr">R&eacute;silients dans trois domaines&nbsp;: 3 (5%)</p> </li> </ul> <p class="texte" dir="ltr">Il est difficile de d&eacute;terminer quel doit &ecirc;tre le &laquo;&nbsp;bon&nbsp;&raquo; nombre de crit&egrave;res &agrave; prendre en compte. N&rsquo;utiliser qu&rsquo;un crit&egrave;re risque d&rsquo;&eacute;tiqueter comme r&eacute;silient un sujet qui pr&eacute;sente des comp&eacute;tences dans un domaine, mais qui peut aussi avoir d&rsquo;importants probl&egrave;mes dans un autre. Inversement, prendre de nombreux crit&egrave;res (3 et +) risque fort de faire de la r&eacute;silience un ph&eacute;nom&egrave;ne marginal. De toute &eacute;vidence, il n&rsquo;existe pas de d&eacute;cision id&eacute;ale. Un compromis acceptable entre une position trop &laquo;&nbsp;souple&nbsp;&raquo; et une position inversement trop &laquo;&nbsp;rigide&nbsp;&raquo;consiste donc peut &ecirc;tre &agrave; utiliser deux crit&egrave;res pour caract&eacute;riser la r&eacute;silience d&rsquo;un individu ou d&rsquo;un groupe d&rsquo;individus.</p> <h1 dir="ltr" id="heading4">Les caract&eacute;ristiques des &laquo;&nbsp;tuteurs de r&eacute;silience&nbsp;&raquo;</h1> <p class="texte" dir="ltr">La r&eacute;silience est un processus dont l&rsquo;origine est essentiellement d&rsquo;ordre psychosocial. En interrogeant des personnes maltrait&eacute;es dans leur enfance et devenues des parents non-maltraitants (Lecomte, 2002), j&rsquo;ai rep&eacute;r&eacute; un certain nombre de caract&eacute;ristiques des adultes qui les ont aid&eacute;es dans leur enfance.&nbsp;</p> <h2 dir="ltr" id="heading5">Manifester de l&#39;empathie et de l&#39;affection</h2> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est l&rsquo;attitude la plus fr&eacute;quemment soulign&eacute;e par les ex-maltrait&eacute;s, ce qui confirme des recherches ant&eacute;rieures. L&rsquo;enfant qui a manqu&eacute; d&rsquo;amour est particuli&egrave;rement sensible &agrave; toute marque d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t et d&rsquo;affection qui lui est t&eacute;moign&eacute;e. Voici, par exemple, le t&eacute;moignage de Marie-Rapha&euml;lle, qui a v&eacute;cu un enfer inou&iuml; quand elle &eacute;tait petite. Son p&egrave;re alcoolique l&rsquo;abusait sexuellement et la prostituait aupr&egrave;s de ses amis, sa m&egrave;re prostitu&eacute;e l&rsquo;humiliait en permanence ; Marie-Rapha&euml;lle recevait sa nourriture jet&eacute;e par terre dans un fond de la pi&egrave;ce, elle n&rsquo;a jamais dormi dans un lit, son anniversaire n&rsquo;a jamais &eacute;t&eacute; f&ecirc;t&eacute;, etc. Elle souligne le r&ocirc;le qu&rsquo;a jou&eacute; sa deuxi&egrave;me ma&icirc;tresse d&rsquo;&eacute;cole primaire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Elle ne m&rsquo;a jamais fait de reproches concernant mes retards, mes endormissements en classe, mes v&ecirc;tements sales. Elle m&rsquo;a souvent r&eacute;p&eacute;t&eacute; que j&rsquo;&eacute;tais intelligente, me faisait faire des calculs pendant la r&eacute;cr&eacute;ation, me d&eacute;fendait quand les camarades de classe se moquaient de moi. Elle m&rsquo;a coiff&eacute;e, m&rsquo;a appris &agrave; me brosser les dents, &agrave; utiliser du savon, etc. En quelques mois, souligne-t-elle, elle a r&eacute;ussi &agrave; me redonner courage et espoir. D&eacute;sormais, je savais qu&rsquo;il y avait vraiment des adultes qui faisaient autrement que mes parents, que ce qu&rsquo;ils disaient correspondait &agrave; ce qu&rsquo;ils faisaient et que je voyais d&rsquo;eux. Elle &eacute;tait si gentille avec moi &raquo;. Marie-Rapha&euml;lle n&rsquo;a pas eu l&rsquo;occasion d&rsquo;exprimer toute sa reconnaissance &agrave; cette femme qui ne saura probablement jamais &agrave; quel point elle l&rsquo;a aid&eacute;e.</p> <h2 dir="ltr" id="heading6">S&#39;int&eacute;resser prioritairement aux c&ocirc;t&eacute;s positifs de la personne</h2> <p class="texte" dir="ltr">Certes, le &laquo;&nbsp;tuteur de r&eacute;silience&nbsp;&raquo; est r&eacute;aliste sur les difficult&eacute;s de la personne qui est en face de lui, mais il s&rsquo;int&eacute;resse prioritairement &agrave; ses potentialit&eacute;s et l&rsquo;aide &agrave; les d&eacute;couvrir et &agrave; les faire cro&icirc;tre. Tim Gu&eacute;nard exprime cela tr&egrave;s bien lorsqu&rsquo;il affirme&nbsp;: &laquo;&nbsp;Au cours de nos vingt-deux ann&eacute;es de vie commune, ma femme Martine ne m&rsquo;a jamais enfonc&eacute; la t&ecirc;te dans l&rsquo;eau lors de mes petits et grands d&eacute;rapages. (&hellip;) Ma femme a toujours dit qu&rsquo;elle avait vu mon c&oelig;ur en premier. Elle a discern&eacute; ce qui &eacute;tait beau en moi. Cela, je l&rsquo;admire, car ce ne devait pas &ecirc;tre &eacute;vident &raquo; (Gu&eacute;nard, 2003). Sa femme aurait pu se focaliser sur le fait que Tim Gu&eacute;nard tra&icirc;nait derri&egrave;re lui un lourd parcours de d&eacute;linquance, mais elle s&rsquo;est plut&ocirc;t int&eacute;ress&eacute;e &agrave; son engagement b&eacute;n&eacute;vole au service de personnes handicap&eacute;es mentales.&nbsp;</p> <h2 dir="ltr" id="heading7">Rester modeste</h2> <p class="texte" dir="ltr">Le tuteur de r&eacute;silience cherche moins &agrave; se prouver et &agrave; prouver aux autres qu&rsquo;il joue un r&ocirc;le important, qu&rsquo;&agrave; permettre au jeune de d&eacute;couvrir ses propres ressources. Plut&ocirc;t que de faire lui-m&ecirc;me, il facilite l&rsquo;action de l&rsquo;autre. Et lorsqu&rsquo;il agit, c&rsquo;est g&eacute;n&eacute;ralement de mani&egrave;re discr&egrave;te. La personne qui s&rsquo;autoproclamerait &laquo;&nbsp;tuteur de r&eacute;silience&nbsp;&raquo; risquerait fort de faire des erreurs, voire de provoquer des catastrophes.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;univers de la r&eacute;silience est ainsi une grande &eacute;cole de modestie&nbsp;: la plupart du temps, les tuteurs de r&eacute;silience ne savent pas qu&rsquo;ils le sont. En effet, un enfant mal aim&eacute; peut ressentir comme une v&eacute;ritable illumination dans son existence la rencontre d&rsquo;une personne chaleureuse, ouverte, attentive. Par ailleurs, il arrive fr&eacute;quemment qu&rsquo;une personne joue un r&ocirc;le dans la vie d&rsquo;un enfant ou d&#39;un adolescent, mais que cette influence reste latente, qu&rsquo;elle ne se manifeste pas visiblement pendant des ann&eacute;es. Certains jeunes semblent ne pas &eacute;voluer, alors qu&rsquo;au fond de leur &ecirc;tre, les attitudes, les paroles d&rsquo;un adulte cheminent lentement, mais s&ucirc;rement.</p> <h2 dir="ltr" id="heading8">Laisser &agrave; l&#39;autre la&nbsp; libert&eacute; de parler ou de se taire</h2> <p class="texte" dir="ltr">Les victimes ont longtemps d&ucirc; se taire, en raison du refus de la soci&eacute;t&eacute; de les &eacute;couter. Une &eacute;volution positive s&rsquo;est fait sentir depuis une vingtaine d&rsquo;ann&eacute;es, accordant un v&eacute;ritable droit &agrave; la parole &agrave; ces personnes. Mais on peut se demander si l&rsquo;on n&rsquo;est pas parfois pass&eacute; d&rsquo;un extr&ecirc;me &agrave; l&rsquo;autre, du devoir de se taire &agrave; celui de parler &agrave; tout prix. Beaucoup de gens pensent que &laquo; &ccedil;a fait du bien de parler de ses probl&egrave;mes&nbsp;&raquo;. Certes, mais dans certaines conditions seulement. Tout d&eacute;pend de la personne qui &eacute;coute, de la fa&ccedil;on dont les confidences sont exprim&eacute;es et re&ccedil;ues. De plus, il est fr&eacute;quent qu&rsquo;apr&egrave;s un traumatisme, la personne souffrante ait besoin d&rsquo;une p&eacute;riode de silence pour int&eacute;grer le drame qu&rsquo;elle a v&eacute;cu. Ainsi, le tuteur de r&eacute;silience ne cherche pas &agrave; forcer les confidences, il laisse la personne libre de s&rsquo;exprimer ou non, et au rythme qui est le sien. Ayons &agrave; l&rsquo;esprit cette phrase d&rsquo;Elie Wiesel&nbsp;: &laquo;&nbsp;De quel droit voulez-vous rouvrir mes blessures&nbsp;? Qui vous autorise &agrave; forcer ma m&eacute;moire&nbsp;?&nbsp;&raquo; (Wiesel, in Fischer 2003, p. 165).</p> <p class="texte" dir="ltr">On ne fait pas progresser un enfant en le confrontant violemment &agrave; la r&eacute;alit&eacute; de son traumatisme. Il y a une forme de pression &agrave; la lucidit&eacute; qui peut s&rsquo;av&eacute;rer d&rsquo;une violence extr&ecirc;me. Par contre, l&rsquo;adulte doit &ecirc;tre l&agrave;, attentif &agrave; l&rsquo;&eacute;volution du jeune, et &ecirc;tre pr&ecirc;t &agrave; r&eacute;pondre pr&eacute;sent le cas &eacute;ch&eacute;ant.</p> <h2 dir="ltr" id="heading9">Ne pas se d&eacute;courager face aux &eacute;checs apparents</h2> <p class="texte" dir="ltr">Concevoir la r&eacute;silience comme un processus plut&ocirc;t que comme un &eacute;tat aide &agrave; consid&eacute;rer les p&eacute;riodes difficiles de la personne en souffrance comme des &eacute;tapes plut&ocirc;t que comme des &eacute;checs. Soulignons &eacute;galement que le fait de consid&eacute;rer les p&eacute;riodes difficiles d&rsquo;une personne comme des &eacute;tapes et non comme des &eacute;checs &eacute;vite de tomber dans le sentiment de toute-puissance.</p> <p class="texte" dir="ltr">Notons au passage ce paradoxe, inh&eacute;rent au travail social&nbsp;: croire que la situation d&rsquo;une personne en difficult&eacute; peut s&rsquo;am&eacute;liorer dans l&rsquo;avenir, c&rsquo;est prendre le risque de d&eacute;chanter et de se d&eacute;courager si cela ne se produit pas. Et les &laquo;&nbsp;r&eacute;alistes&nbsp;&raquo; auront alors beau jeu de montrer &agrave; quel point ces personnes sont des r&ecirc;veurs utopistes. Mais d&rsquo;un autre c&ocirc;t&eacute;, l&rsquo;efficacit&eacute; dans ce m&eacute;tier d&eacute;pend fortement de cette conviction que l&rsquo;&eacute;volution est toujours possible.</p> <h2 dir="ltr" id="heading10">Respecter le parcours de r&eacute;silience d&rsquo;autrui</h2> <p class="texte" dir="ltr">Chaque parcours de r&eacute;silience est unique et donc impossible &agrave; g&eacute;n&eacute;raliser. Pour certaines personnes, la r&eacute;silience &eacute;mergera surtout &agrave; la suite d&rsquo;une th&eacute;rapie, pour d&rsquo;autres non. Pour certains, la r&eacute;silience reposera essentiellement sur une exp&eacute;rience de conversion religieuse, pour d&rsquo;autres sur une activit&eacute; artistique, pour d&rsquo;autres encore sur l&rsquo;engagement au sein d&rsquo;une association ou encore sur la lecture d&rsquo;ouvrages philosophiques, etc. Aucun parcours n&rsquo;est identique, et donc, les tuteurs de r&eacute;silience ne consid&egrave;rent pas leur parcours personnel, leur compr&eacute;hension des &ecirc;tres et de la vie comme des standards qu&rsquo;autrui devrait adopter &agrave; son tour.</p> <h2 dir="ltr" id="heading11">Associer le lien et la &laquo;&nbsp;loi&nbsp;&raquo;</h2> <p class="texte" dir="ltr">Au cours de ma recherche, plusieurs t&eacute;moins m&rsquo;ont fait remarquer &agrave; quel point ils avaient souffert du manque de rep&egrave;res dans l&rsquo;univers familial. Deux personnes m&rsquo;ont m&ecirc;me dit, apr&egrave;s avoir d&eacute;crit des situations de graves maltraitances: &laquo;&nbsp;Mais, vous savez, au fond, ce n&rsquo;&eacute;tait pas le pire&nbsp;&raquo;. Je me suis alors demand&eacute; qu&rsquo;est-ce qui pouvait encore m&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;crit. &laquo;&nbsp;Non, le pire, c&rsquo;&eacute;tait le manque de rep&egrave;res. Chez nous, il n&rsquo;y avait aucune r&egrave;gle de vie, tout partait dans tous les sens&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ainsi, l&#39;enfant et l&#39;adolescent en difficult&eacute; ont non seulement besoin d&rsquo;amour, mais aussi de cadre structurant. Une erreur fondamentale serait de penser que le fait de tisser des liens est incompatible avec celui de poser des r&egrave;gles. Or ces deux attitudes sont non seulement compatibles, mais plus encore compl&eacute;mentaires et n&eacute;cessaires. C&rsquo;est pourquoi les tuteurs de r&eacute;silience savent g&eacute;n&eacute;ralement jouer sur les deux registres compl&eacute;mentaires du lien et de la loi symbolique. Le jeune peut alors s&rsquo;appuyer sur ces deux facteurs pour donner du sens &agrave; sa vie (&agrave; la fois dans le sens de direction et de signification).</p> <p class="texte" dir="ltr" style="text-align: center;"><img alt="Image1" src="https://numerev.com/images/cpp/docannexe/image/1065/img-1.jpg" style="width:3.7799inch;height:2.6335inch;margin-left:0.0in;margin-right:0.0in;margin-top:0mm;margin-bottom:0mm;padding-top:0.0602in;padding-bottom:0.0602in;padding-left:0.1102in;padding-right:0.1102in;border:none" /></p> <p class="titreillustration" dir="ltr"><a id="Image17Cgraphics"></a>Le triangle fondateur de la r&eacute;silience du jeune</p> <h2 dir="ltr" id="heading12">Eviter les gentilles phrases qui font mal</h2> <p class="texte" dir="ltr">On peut blesser gravement par des mots, parfois sans le vouloir. Certaines phrases peuvent &ecirc;tre tr&egrave;s mal re&ccedil;ues, alors m&ecirc;me qu&rsquo;elles sont prononc&eacute;es avec un d&eacute;sir d&rsquo;empathie, de consolation. Par exemple&nbsp;:</p> <blockquote> <p class="citation" dir="ltr">- &laquo;&nbsp;Je me mets &agrave; ta (votre) place&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est probablement la plus fr&eacute;quente et l&rsquo;une des plus toxiques. Une personne m&rsquo;a dit que lorsqu&rsquo;il lui est arriv&eacute; d&rsquo;entendre cette phrase, elle a estim&eacute; qu&rsquo;il s&rsquo;agissait d&rsquo;une v&eacute;ritable insulte &agrave; son histoire personnelle et &agrave; sa souffrance. Ce propos ne peut soulager que si celui qui l&rsquo;entend sait que son interlocuteur a v&eacute;cu une exp&eacute;rience identique ou tr&egrave;s proche de la sienne. Sinon, cela signifie que, finalement, le drame v&eacute;cu n&rsquo;est pas si grave que cela, puisque quelqu&rsquo;un qui ne l&rsquo;a pas v&eacute;cu peut &eacute;prouver le ressenti de la victime. Certes, on peut se permettre des phrases telles que &laquo;&nbsp;J&rsquo;imagine que ce que vous vivez doit &ecirc;tre vraiment dur&nbsp;&raquo;, mais il est dangereux d&rsquo;aller au-del&agrave;.</p> <blockquote> <p class="citation" dir="ltr">- &laquo;Tout &ccedil;a, c&rsquo;est du pass&eacute;&nbsp;; maintenant, il faut oublier&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p class="texte" dir="ltr">Cette phrase est une source fr&eacute;quente de difficult&eacute;s au sein des couples ou des relations d&rsquo;amiti&eacute;, lorsque l&rsquo;une des personnes a subi des blessures d&rsquo;enfance. Derri&egrave;re ces propos se profilent deux erreurs majeures. D&rsquo;une part, cela revient &agrave; penser que l&rsquo;oubli est essentiellement une question de volont&eacute;, ce qui est faux. D&rsquo;autre part, parler ainsi, c&rsquo;est consid&eacute;rer que le souvenir du pass&eacute; douloureux ne pr&eacute;sente que des inconv&eacute;nients. Or, la r&eacute;silience ne consiste pas &agrave; effacer une page de son pass&eacute;, mais &agrave; la tourner, ce qui est radicalement diff&eacute;rent, car cela laisse la possibilit&eacute; d&#39;y revenir lorsque la n&eacute;cessit&eacute; s&#39;en fait sentir. Les t&eacute;moignages des r&eacute;silients sont &eacute;loquents sur ce besoin de maintenir vivant le souvenir de ce qu&rsquo;ils ont v&eacute;cu, tout en lui donnant une interpr&eacute;tation positive.</p> <blockquote> <p class="citation" dir="ltr">- &laquo;&nbsp;Pourquoi tu n&rsquo;as rien fait&nbsp;?&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;Pourquoi tu n&rsquo;as rien dit&nbsp;?&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p class="texte" dir="ltr">Ces phrases sont souvent adress&eacute;es aux victimes d&rsquo;inceste. La personne qui les prononce m&eacute;conna&icirc;t compl&egrave;tement un ph&eacute;nom&egrave;ne dramatique qui se joue dans ces moments&nbsp;: une sorte de t&eacute;tanisation de la victime qui ne parvient pas &agrave; r&eacute;agir. Comme le souligne Eva Thomas: &laquo;&nbsp;La paralysie de ce moment-l&agrave;, ce n&rsquo;est pas autre chose qu&rsquo;un horrible cauchemar qui vous prive des commandes de votre propre corps. Le p&egrave;re c&rsquo;est la loi qui vous commande. Son autorit&eacute; naturelle ajout&eacute;e &agrave; son d&eacute;sir d&rsquo;homme vous dessaisit de vous-m&ecirc;me, de votre volont&eacute; comme s&rsquo;il avait d&eacute;connect&eacute; l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; votre cerveau &raquo; (Thomas, in Solaire, 2002, p. 31). Poser de telles questions ne fait donc qu&rsquo;aggraver l&rsquo;importante culpabilit&eacute; d&eacute;j&agrave; souvent ressentie par la victime. Inversement, la d&eacute;couverte, par exemple au sein d&rsquo;un groupe de parole, du caract&egrave;re tr&egrave;s fr&eacute;quent de cette sid&eacute;ration est susceptible d&rsquo;aider la victime &agrave; se d&eacute;culpabiliser.</p> <h1 dir="ltr" id="heading13">La r&eacute;silience, l&rsquo;une des facettes de la psychologie positive</h1> <p class="texte" dir="ltr">La psychologie clinique s&rsquo;est surtout pr&eacute;occup&eacute;e de pathologie et a fortement d&eacute;laiss&eacute; l&rsquo;&eacute;tude des fonctionnements ad&eacute;quats chez l&rsquo;&ecirc;tre humain. En s&rsquo;int&eacute;ressant au diagnostic des difficult&eacute;s <em>et</em> des ressources des individus (Lecomte, 2004&nbsp;; Vanistendael &amp; Lecomte, 2000), le concept de r&eacute;silience nous invite &agrave; percevoir &eacute;galement la face positive de la m&eacute;daille. C&rsquo;est pourquoi on peut rattacher ce concept &agrave; un large courant de recherche actuellement en plein essor outre-Atlantique&nbsp;: la psychologie positive dont plusieurs&nbsp; num&eacute;ros r&eacute;cents de revues internationales mettent en &eacute;vidence le foisonnement actuel. Un num&eacute;ro d&rsquo;<em>American Psychologist</em> (2000, 55) a trait&eacute; de la joie, du bien-&ecirc;tre subjectif, de l&rsquo;optimisme, de la foi, de l&rsquo;autod&eacute;termination, de la sagesse et de la cr&eacute;ativit&eacute;&nbsp;; un num&eacute;ro du <em>Journal of Social and Clinical Psychology</em> (2000, 19) a trait&eacute; de la morale, du contr&ocirc;le de soi, de la gratitude, du pardon, de l&rsquo;espoir et de l&rsquo;humilit&eacute;&nbsp;; un num&eacute;ro des <em>Annals of the American Academy of Political and Social Science </em>(2004, 591) a &eacute;t&eacute; consacr&eacute; au d&eacute;veloppement positif des enfants et des jeunes, avec notamment des articles sur le bien-&ecirc;tre, sur des programmes d&rsquo;apprentissage &eacute;motionnel, l&rsquo;optimisme, la sagesse, la r&eacute;silience.</p> <p class="texte" dir="ltr">Dans l&rsquo;article introductif du num&eacute;ro d&rsquo;<em>American Psychologist</em>, Martin Seligman et Mihaly Csikszentmihalyi font remarquer que &laquo;&nbsp;la psychologie ne se r&eacute;sume pas &agrave; l&rsquo;&eacute;tude de la pathologie, de la faiblesse et du dommage&nbsp;; c&rsquo;est &eacute;galement l&rsquo;&eacute;tude de la force et de la vertu. Le traitement ne consiste pas seulement &agrave; r&eacute;parer ce qui est cass&eacute;, mais &agrave; nourrir ce qui va pour le mieux.&nbsp;&raquo;&nbsp;(Seligman &amp; Csikszentmihalyi, 2000, p. 7). De plus, la psychologie positive n&rsquo;est g&eacute;n&eacute;ralement pas ax&eacute;e sur l&rsquo;individu seul, mais int&egrave;gre celui-ci dans son environnement social.&nbsp; On est en droit d&rsquo;esp&eacute;rer que ce courant traverse l&rsquo;Oc&eacute;an et se d&eacute;veloppe en Europe dans les ann&eacute;es &agrave; venir.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Fischer G.N. (2003), <em>Les blessures psychiques</em>, Paris, Odile Jacob.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Gu&eacute;nard T. (2003), <em>Tagueurs d&rsquo;esp&eacute;rance</em>, Paris, J&rsquo;ai lu.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Kaufman J., Cook A, Arny L., Jones B. &amp; Pittinsky T. (1994) Problems defining resiliency: illustrations from the study of maltreated children, <em>Development and psychopathology</em>, 6, 215-229.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lecomte J. (2002), <em>Briser le cycle de la violence, quand d&rsquo;anciens enfants maltrait&eacute;s deviennent des parents non-maltraitants</em>, Th&egrave;se de doctorat en psychologie sous la direction de Mr. Etienne Mullet, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Toulouse.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Luthar S. (1991), Vulnerability and resilience&nbsp;: a study of high-risk adolescents, <em>Child development</em>, 62, 600-616.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Seidman E., Allen L., Aber J. L., Mitchell C. &amp; Feinman J. (1994), The impact of school transitions on the self-system and perceived social context of poor urban youth, <em>Journal of adolescent health</em>, 65, 507-522.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Seligman M.E.P. &amp; Csikszentmihalyi (2000), Positive psychology, an introduction, <em>American psychologist</em>, 55, 1, 5-14.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Solaire P. (2002), Le mur du silence, l&rsquo;inceste entre analyse et v&eacute;cu, Toulouse, Privat, p. 31.&nbsp;</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Spaccarelli &amp; Kim (1995), Resilience criteria and factors associated with resilience in sexually abused girls, <em>Child abuse and neglect</em>, 19 (9), 1171-1182.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Vanistendael S. &amp; Lecomte J. (2000), <em>Le bonheur est toujours possible ; construire la r&eacute;silience</em>, Paris, Bayard. Lecomte J. (2004), <em>Gu&eacute;rir de son enfance</em>, Paris, Odile Jacob.</p>