<p class="texte" dir="ltr"><img alt="Image1" src="https://numerev.com/images/cpp/docannexe/image/1258/img-1.jpg" style="width:5.6618inch;height:6.5091inch;margin-left:0.0in;margin-right:0.0in;margin-top:0mm;margin-bottom:0mm;padding-top:0.0602in;padding-bottom:0.0602in;padding-left:0.1102in;padding-right:0.1102in;border:none" /></p> <p class="texte" dir="ltr"><a id="Image17Cgraphics"></a>Tout gouvernement qui n&#39;est pas la R&eacute;publique est exactement repr&eacute;sent&eacute; par l&#39;image du pasteur et du troupeau. Le pasteur prot&egrave;ge ses moutons, il a des chiens pour cela. Mais il tond les moutons. Les moutons vivent non pour eux, mais pour lui. Or on voit bien comment le pasteur reste pasteur de son trou&shy;peau&nbsp;: les moutons n&#39;ont ni dents ni griffes. Mais on ne voit pas comment un roi ou un petit nombre de gouvernants peuvent gouverner par la force un peu&shy;ple d&#39;hommes. Un tel gouvernement est &agrave; vrai dire impossible. Pour que les hommes qui le subissent en soient d&eacute;barrass&eacute;s, il suffit qu&#39;ils le veuillent&nbsp;; car, &eacute;tant le nombre, ils sont la force. Oui, cela est &eacute;trange, mais c&#39;est ainsi, aucun despote ne gouverne par la force.</p> <p class="texte" dir="ltr">Mais il y a une condition de l&#39;existence du despotisme, qui peut le faire durer ind&eacute;finiment si elle est remplie, c&#39;est la confiance. Si le peuple croit que le roi est fait pour gouverner, que le roi agit toujours bien, et pense toujours bien, le roi r&egrave;gnera ind&eacute;finiment. Le roi ne pourrait r&eacute;gner sur les corps par la force&nbsp;; mais il r&egrave;gne sur les &acirc;mes par le respect qu&#39;il leur inspire&nbsp;; et c&#39;est de l&agrave; que vient son autorit&eacute;. Tout despotisme durable est un pouvoir moral, un pouvoir sur les &acirc;mes.</p> <p class="texte" dir="ltr">Et sans doute il arrive rarement qu&#39;un peuple ait enti&egrave;rement et toujours la foi. Aussi les meilleures monarchies se maintiennent, plut&ocirc;t qu&#39;elles ne du&shy;rent, &agrave; force d&#39;adresse, et &agrave; la condition d&#39;entretenir la confiance du peuple par des subterfuges, tels que remises d&#39;imp&ocirc;t, r&eacute;formes illusoires, ex&eacute;cutions re&shy;tentissantes. Mais ce n&#39;est toujours que dans la mesure o&ugrave; le peuple a con&shy;fiance que la Monarchie dure. Tout despotisme repose donc non point sur des gardes et sur des forteresses, mais sur un certain &eacute;tat d&#39;esprit. La vraie garde du despote, ce sont les &acirc;mes serviles sur lesquelles il r&egrave;gne.</p> <p class="texte" dir="ltr"><strong>L&#39;AME MONARCHIQUE</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">Nous appellerons &acirc;me monarchique l&#39;&acirc;me qui contribue ainsi, pour sa part, et par les opinions et les croyances qu&#39;elle a, &agrave; fortifier le despotisme. Nous y apercevons des traits nombreux&nbsp;: la puissance de l&#39;habitude, l&#39;ind&eacute;ci&shy;sion, la facilit&eacute; &agrave; se laisser corrompre, l&#39;&eacute;go&iuml;sme et beaucoup d&#39;autres&nbsp;; nous n&eacute;gligerons pour le moment tous ces caract&egrave;res d&eacute;riv&eacute;s et nous nous en tien&shy;drons &agrave; ce qui est essentiel la confiance ou la cr&eacute;dulit&eacute;, ou encore la foi, c&#39;est-&agrave;-dire une disposition &agrave; r&eacute;gler ses opinions d&#39;apr&egrave;s celles d&#39;autrui, et notam&shy;ment d&#39;apr&egrave;s celles de quelques-uns qui passent pour plus savants et plus sages que les autres.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce que je vous invite &agrave; remarquer tout de suite, c&#39;est que cet &eacute;tat d&#39;esprit est tout &agrave; fait d&#39;accord avec ce que l&#39;on appelle commun&eacute;ment la Religion, et ce que l&#39;on doit appeler exactement la Religion r&eacute;v&eacute;l&eacute;e. La Religion r&eacute;v&eacute;l&eacute;e exige en effet que l&#39;on r&egrave;gle ses opinions sur les opinions contenues dans de certains livres dits sacr&eacute;s, ou enseign&eacute;es par de certains hommes qui sont dits d&eacute;positaires de la parole divine. Cette br&egrave;ve remarque nous explique d&eacute;j&agrave; pourquoi Religion et Monarchie se tiennent et se soutiennent par leur nature m&ecirc;me, encore que par accident et pour un temps elles semblent parfois lutter l&#39;une contre l&#39;autre.</p> <p class="texte" dir="ltr">La R&eacute;publique est le gouvernement naturel, celui qui na&icirc;t de l&#39;absence de despotisme. Supposons le despote renvers&eacute; par quelque cause, et le peuple d&eacute;cid&eacute; &agrave; n&#39;en pas supporter un autre, il n&#39;en r&eacute;sultera pas &eacute;tat d&#39;anarchie durable&nbsp;; car l&#39;anarchie, &eacute;tat o&ugrave; chacun vit pour lui seul, sans s&#39;unir et se lier &agrave; d&#39;autres, est par sa nature instable. C&#39;est ce qu&#39;il faut d&#39;abord bien compren&shy;dre, si l&#39;on veut fonder la R&eacute;publique en Raison et en Justice.</p> <p class="texte" dir="ltr">Repr&eacute;sentons-nous des hommes vivant les uns &agrave; c&ocirc;t&eacute; des autres, sans aucun contrat, sans aucune loi. Les richesses seront certainement in&eacute;gales, par la suite de la diff&eacute;rence des terrains, de l&#39;in&eacute;galit&eacute; des forces, de l&#39;in&eacute;galit&eacute; des courages. Des hommes auront faim, des hommes auront froid. Du besoin r&eacute;sulteront le vol, le pillage. Et, comme deux hommes r&eacute;unis sont plus forts qu&#39;un seul, et trois plus forts que deux, les biens resteront &agrave; ceux qui seront le plus solidement unis&nbsp;; on comprend ais&eacute;ment qu&#39;en l&#39;absence de toute loi et de toute sanction la force tienne lieu de droit.</p> <p class="texte" dir="ltr"><strong>La force ne triomphe pas du droit</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">Mais voici le miracle. La force ne triomphe pas du droit, car la lutte n&#39;est pas possible entre la mati&egrave;re et l&#39;id&eacute;e. Le droit et la force ne sont pas du m&ecirc;me ordre, et ne se rencontrent pas. La force ne peut triompher que de la force. Seulement la force qui triomphe c&#39;est la force organis&eacute;e, coordonn&eacute;e. De plus, comme les faibles sont en g&eacute;n&eacute;ral plus nombreux que les forts, et comme, ayant moins de confiance en eux-m&ecirc;mes, ils sont plus port&eacute;s &agrave; s&#39;unir entre eux, l&#39;union r&eacute;alise la force des faibles, c&#39;est-&agrave;-dire justement le contraire de la force, la force au service du droit. L&#39;union d&eacute;fensive des faibles contre les forts, des pacifiques contre les brutaux, voil&agrave; le droit v&eacute;ritable, le droit puis&shy;sant, le droit non plus id&eacute;e mais chose, le droit arm&eacute;. Il ne faut donc pas dire seulement &laquo;&nbsp;l&#39;union fait la force&nbsp;&raquo;, il faut dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&#39;union fait le droit&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ainsi de l&#39;&eacute;tat d&#39;anarchie na&icirc;t n&eacute;cessairement quelque soci&eacute;t&eacute;. Et cette soci&eacute;t&eacute; naturelle est r&eacute;ellement une soci&eacute;t&eacute; de secours mutuel, dans laquelle chacun promet aide et secours aux autres.</p> <p class="texte" dir="ltr">Comment seront r&eacute;gl&eacute;s les actes d&#39;une telle soci&eacute;t&eacute;&nbsp;? Par le consentement de tous&nbsp;? On ne peut esp&eacute;rer qu&rsquo;il ne se r&eacute;alise jamais. Par l&#39;autorit&eacute; de quelques-uns&nbsp;? Alors nous retombons dans le despotisme. Par l&#39;autorit&eacute; des plus sages&nbsp;? Mais comment reconna&icirc;tre les plus sages sinon &agrave; ceci justement qu&#39;ils sauront amener les autres &agrave; penser comme eux&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Toute sup&eacute;riorit&eacute; &eacute;tant discutable et la discussion supprimant l&#39;union et ainsi la paix, qui sont justement ce que l&#39;on cherche, on arrive &agrave; compter ceux qui proposent une opinion et ceux qui la combattent, et l&#39;on choisit l&#39;opinion qui est celle du plus grand nombre. On risque ainsi le moins possible. Car, ou bien tous les hommes sont &agrave; peu pr&egrave;s &eacute;galement sages&nbsp;: alors il est raisonnable de donner &agrave; toutes les opinions une valeur &eacute;gale. Ou bien il y a parmi eux des sages&nbsp;; alors on doit penser que le plus grand nombre sera converti par les sages&nbsp;; et il n&#39;y a pas d&#39;autre mani&egrave;re de reconna&icirc;tre o&ugrave; sont les sages. Donc l&#39;opinion qui sera approuv&eacute;e par le plus grand nombre sera choisie comme la meilleure.</p> <p class="texte" dir="ltr"><strong>Le suffrage universel.</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">Comprenez bien cela, et remettez-le dans votre pens&eacute;e lorsqu&#39;on critiquera devant vous le suffrage universel.Il est facile assur&eacute;ment de le critiquer, et celui qui se dit sage a beau jeu lorsqu&#39;il se plaint de ce que sa voix vaut tout juste celle de l&#39;ignorant. Pourtant, s&#39;il est vraiment sage, il le prouvera en ins&shy;truisant l&#39;ignorant et en l&#39;amenant &agrave; penser comme lui. S&#39;il ne le peut, quel signe me donnera-t-il de sa sagesse, et de quoi se plaint-il, sinon de ne pas l&#39;em&shy;porter sur les autres par droit de nature, c&#39;est-&agrave;-dire de ne pas &ecirc;tre despote&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">La R&eacute;publique &eacute;tant ainsi constitu&eacute;e, nous apercevons d&eacute;j&agrave; quelles sont les principales conditions de son existence. Qu&#39;ai-je dit &agrave; la minorit&eacute; pour la ramener &agrave; la discipline&nbsp;: convertissez. Il faut que la parole et l&#39;&eacute;crit soient libres dans une R&eacute;publique, sans quoi le droit des majorit&eacute;s serait despotique.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il est clair que les R&eacute;publiques peuvent, en partant de l&agrave;, s&#39;organiser de mille fa&ccedil;ons, mais il est n&eacute;cessaire qu&#39;elles s&#39;organisent&nbsp;; car on ne peut tou&shy;jours si&eacute;ger aux assembl&eacute;es populaires. Il faut travailler. Le temps est pr&eacute;&shy;cieux. Et vous savez comment, dans les soci&eacute;t&eacute;s, la division du travail per&shy;met de gagner du temps. Je charge mon voisin de faire pour moi une chose, et je fais pour lui une autre chose. Il est donc naturel qu&#39;un citoyen, retenu par son travail, puisse charger son voisin d&#39;aller voter pour lui. Le chargera-t-il d&#39;un certain suffrage immuable&nbsp;? Ce serait oublier l&#39;importance de la d&eacute;lib&eacute;ra&shy;tion, ce serait &eacute;carter la raison de la direction des affaires, et violer aussi le principe que nous posions tout &agrave; l&#39;heure&nbsp;: cela ferait rentrer la Monarchie dans la R&eacute;publique. Je chargerai donc mon voisin d&#39;examiner et de d&eacute;cider pour moi en m&ecirc;me temps que pour lui.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il est clair que s&#39;il se d&eacute;cide comme je l&#39;aurais fait, et s&#39;il me donne de bonnes raisons pour justifier l&#39;avis qu&#39;il a donn&eacute;, je serai dispos&eacute; &agrave; le d&eacute;l&eacute;guer encore &agrave; ma place. Et rien n&#39;emp&ecirc;che que d&#39;autres le d&eacute;l&egrave;guent aussi. Et je pourrai le d&eacute;l&eacute;guer pour plusieurs questions au lieu de le d&eacute;l&eacute;guer pour une seule. Dans tout cela je ne sacrifie &agrave; aucun moment la puissance qui appartient &agrave; mon opinion comme &agrave; celle de tous les autres. De l&agrave; r&eacute;sultera une organi&shy;sation quelconque du pays en groupes de citoyens (par r&eacute;gion, par m&eacute;tier, par &acirc;ge), dont chacun choisira, toujours par le moyen du vote, un d&eacute;l&eacute;gu&eacute;. Tel est le fondement et le principe de tout &Eacute;tat r&eacute;publicain.</p> <p class="texte" dir="ltr">Consid&eacute;rons maintenant comment un tel &Eacute;tat peut retomber en monarchie. Il n&#39;y peut retomber si les citoyens ne rev&ecirc;tent l&#39;&acirc;me monarchique, c&#39;est-&agrave;-dire s&#39;ils ne se mettent &agrave; avoir confiance. L&#39;&acirc;me r&eacute;publicaine qui conserve la R&eacute;publique sera donc justement la n&eacute;gation de la confiance. &Agrave; partir du mo&shy;ment o&ugrave; les citoyens approuvent, les yeux ferm&eacute;s, tous les discours et tous les actes d&#39;un homme ou d&#39;un groupe d&#39;hommes, &agrave; partir du moment o&ugrave; l&#39;&eacute;lec&shy;teur laisse rentrer le dogme dans la politique et se r&eacute;signe &agrave; croire sans com&shy;prendre, la R&eacute;publique n&#39;existe plus que de nom. Comme la confiance est la sant&eacute; des monarchies, ainsi la d&eacute;fiance est la sant&eacute; des R&eacute;publiques.</p> <p class="texte" dir="ltr" style="margin-top:0.19450001in; margin-bottom:0.19450001in;"><strong>Le citoyen de la R&eacute;publique</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">Le citoyen de la R&eacute;publique devra donc rejeter l&#39;autorit&eacute; en mati&egrave;re d&#39;opi&shy;nions, discuter toujours librement, et n&#39;accepter comme vraies que les opi&shy;nions qui lui para&icirc;tront &eacute;videmment &ecirc;tre telles. Juger ainsi c&#39;est justement user de sa raison, et voil&agrave; pourquoi j&#39;ai donn&eacute; comme titre &agrave; cette conf&eacute;rence&nbsp;: Le Culte de la Raison comme fondement de la R&eacute;publique&nbsp;; c&#39;est r&eacute;ellement sur des &acirc;mes raisonnables qu&#39;est fond&eacute;e la R&eacute;publique. Mais, &agrave; ce sujet, quelques explications sont n&eacute;cessaires, afin que vous distinguiez nettement ce que c&#39;est que juger par Raison, et ce que c&#39;est au contraire que suivre l&#39;autorit&eacute;, la tradition ou le pr&eacute;jug&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Lorsqu&#39;un homme juge que deux et deux font quatre, nous sommes tous d&#39;accord pour penser qu&#39;il ne se trompe point, et nous inclinons m&ecirc;me &agrave; penser qu&#39;il sait l&agrave;-dessus tout ce qu&#39;il peut savoir. Pourtant si nous appre&shy;nions au perroquet &agrave; r&eacute;p&eacute;ter cette formule, nous ne dirions pas, apr&egrave;s cela, que le perroquet a raison quand il la r&eacute;p&egrave;te. Dire le vrai ce n&#39;est pas encore avoir raison. Il faut aussi savoir pourquoi on dit cela et non autre chose.</p> <p class="texte" dir="ltr">J&#39;ai connu une petite fille qui apprenait sa table de multiplication, et qui, lorsqu&#39;on lui posait, par exemple, cette question&nbsp;: &laquo;&nbsp;combien font trois fois quatre&nbsp;?&nbsp;&raquo; essayait quelques nombres au hasard comme seize, treize ou dix, et se consolait en disant&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je n&#39;ai pas gagn&eacute;&nbsp;&raquo;, comme si elle e&ucirc;t jou&eacute; &agrave; la lote&shy;rie. Combien d&#39;hommes se contentent d&#39;&laquo;&nbsp;avoir gagn&eacute;&nbsp;&raquo;, c&#39;est-&agrave;-dire de tomber sur le vrai, gr&acirc;ce &agrave; la s&ucirc;ret&eacute; de leur m&eacute;moire&nbsp;!</p> <p class="texte" dir="ltr"><strong>User de sa Raison</strong></p> <p class="texte" dir="ltr" style="margin-top:0.19450001in; margin-bottom:0.19450001in;">User de sa Raison, ce n&#39;est assur&eacute;ment pas r&eacute;p&eacute;ter ainsi le vrai apr&egrave;s d&#39;autres. Un homme raisonnable ne doit point croire que deux et deux font quatre, mais comprendre que deux et deux font quatre. Et pour y arriver, que fera-t-il&nbsp;? Il divisera la difficult&eacute;. Il commencera par former deux, en ajoutant un &agrave; un. Puis il divisera de nouveau ce deux en deux fois un, et pour l&#39;ajouter &agrave; deux, il ajoutera d&#39;abord un, et ensuite encore un. Deux augment&eacute; d&#39;un, c&#39;est trois. Deux augment&eacute; d&#39;un et encore augment&eacute; d&#39;un, c&#39;est trois augment&eacute; d&#39;un, et trois augment&eacute; d&#39;un c&#39;est quatre. Quand je me fais &agrave; moi-m&ecirc;me cette d&eacute;monstration, je veux oublier tout ce que j&#39;ai entendu dire&nbsp;; je veux me d&eacute;fier m&ecirc;me de ceux que j&#39;estime le plus&nbsp;; le consentement de tous les hommes n&#39;a pour moi aucune valeur&nbsp;; je veux comprendre et comprendre par moi-m&ecirc;me&nbsp;; je veux, selon la premi&egrave;re r&egrave;gle de Descartes, <span style="font-size:10.0pt;"><em>ne recevoir pour vrai que ce qui para&icirc;t &eacute;videmment &ecirc;tre tel</em></span>.</p> <p class="texte" dir="ltr">En cette r&egrave;gle est enferm&eacute; le principal devoir du citoyen dans une R&eacute;publi&shy;que. Pour &ecirc;tre sage, pour &ecirc;tre raisonnable, pour &ecirc;tre vraiment libre, que faut-il&nbsp;? Ne rien recevoir pour vrai que ce que l&#39;on reconna&icirc;t &eacute;videmment &ecirc;tre tel, et, tant qu&#39;on ne voit pas une chose quelconque aussi clairement que l&#39;on voit ce que c&#39;est que un plus un, deux plus un, trois plus un, oser se dire &agrave; soi-m&ecirc;me, oser dire aux autres&nbsp;: &laquo;&nbsp;je ne comprends pas, je ne sais pas&nbsp;&raquo;. Socrate disait que toute la puissance de son esprit venait de ce qu&#39;il savait, quand il ne savait pas, qu&#39;il ne savait pas.</p> <p class="texte" dir="ltr">Et si je m&#39;en tiens &agrave; mon exemple, et si je dis qu&#39;&ecirc;tre raisonnable c&#39;est admettre ce qui appara&icirc;t comme enti&egrave;rement clair et parfaitement &eacute;vident, si je dis qu&#39;&ecirc;tre raisonnable c&#39;est refuser d&#39;admettre ce qui n&#39;appara&icirc;t pas comme enti&egrave;rement clair et parfaitement &eacute;vident, alors j&#39;aper&ccedil;ois en tout &ecirc;tre la Raison tout enti&egrave;re, et je comprends l&#39;&Eacute;galit&eacute;, principe des R&eacute;publiques. Car si tout ce qui est obscur pour quelqu&#39;un doit &ecirc;tre tenu par lui comme douteux, et si un homme n&#39;use de sa Raison que lorsqu&#39;il affirme ce qui est parfaite&shy;ment clair pour lui, qui donc pourrait manquer de Raison&nbsp;? Quel homme pourrait ne pas comprendre comment deux et deux font quatre, s&#39;il con&ccedil;oit la question ainsi que nous l&#39;avons expliqu&eacute;e tout &agrave; l&#39;heure&nbsp;? Et, remarquez-le, jamais aucune question ne sera plus difficile que celle-l&agrave;. Chacune des parties de toute question devra &ecirc;tre aussi claire que celle-l&agrave;, et que les parties de celle-l&agrave;. Autrement la Raison nous conduira, non pas &agrave; affirmer, mais &agrave; douter. Il n&#39;y a pas ici de degr&eacute;&nbsp;: si ce n&#39;est pas enti&egrave;rement clair nous devons douter, et si c&#39;est enti&egrave;rement clair, o&ugrave; est la difficult&eacute;, et comment pourrions-nous manquer de Raison pour nous d&eacute;cider&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Il n&#39;y a point de degr&eacute;s dans la Raison&nbsp;; il n&#39;y a point de parties dans la Raison. User de sa Raison, c&#39;est toujours faire le m&ecirc;me acte simple et indi&shy;visible, qu&#39;on appelle juger. L&#39;on n&#39;est pas &agrave; moiti&eacute; capable de comprendre la chose la plus simple du monde&nbsp;; et comprendre, c&#39;est toujours comprendre la chose la plus simple du monde&nbsp;; une chose qui n&#39;est pas la plus simple du monde pour un homme, est incompr&eacute;hensible pour lui, et il sera parfaitement raisonnable en refusant de l&#39;accepter.</p> <p class="texte" dir="ltr" style="margin-top:0.19450001in; margin-bottom:0.19450001in;">Et c&#39;est assur&eacute;ment ce que voulait dire Descartes, lorsqu&#39;il disait, c&#39;est la premi&egrave;re phrase de son <span style="font-size:10.0pt;"><em>Discours de la m&eacute;thode</em></span>&nbsp;: &laquo;&nbsp;le bon sens est la chose du monde la mieux partag&eacute;e&nbsp;&raquo;&nbsp;; et par le bon sens, dit-il plus loin, j&#39;entends la Raison, c&#39;est-&agrave;-dire la facult&eacute; de bien juger et de discerner le vrai du faux. Il voulait dire, et nous voyons bien maintenant qu&#39;il faut le dire, que la Raison est tout enti&egrave;re en tout homme, qu&#39;en ce sens tous les hommes naissent absolument &eacute;gaux&nbsp;; qu&#39;un homme en vaut un autre&nbsp;; que tout homme a le droit et le pouvoir de douter et de discuter, et que l&#39;ignorance ing&eacute;nue du plus simple des hommes a le droit d&#39;arr&ecirc;ter le plus sublime philosophe et de lui dire&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je ne comprends pas, instruis-moi.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr" style="margin-top:0.19450001in; margin-bottom:0.19450001in;">Mais je vois bien mieux, maintenant, je vois que la Raison est &eacute;ternelle et sup&eacute;rieure &agrave; l&#39;humanit&eacute;, et qu&#39;elle est le vrai Dieu, et que c&#39;est bien un <span style="font-size:10.0pt;"><em>culte</em></span> qu&#39;il faut lui rendre. En effet, cette raison, commune &agrave; tous les hommes, et qui est tout enti&egrave;re en chacun d&#39;eux, doit &ecirc;tre rigoureusement la m&ecirc;me en tous&nbsp;; sans quoi les hommes ne pourraient pas se comprendre&nbsp;; toute d&eacute;monstration, toute discussion m&ecirc;me serait impossible. Or en fait il existe des v&eacute;rit&eacute;s d&eacute;montr&eacute;es. Les sciences math&eacute;matiques, pour ne parler que de ce qui est incontestable, conduisent n&eacute;cessairement tous les hommes &agrave; certaines conclusions qui sont les m&ecirc;mes pour tous. Bien plus celui-l&agrave; m&ecirc;me qui croit pouvoir douter de tout propose ses arguments aux autres&nbsp;; il les leur explique, il r&eacute;pond &agrave; leurs objections. Il faut, pour que tout cela soit possible, que la Raison soit la m&ecirc;me en tous. Et nous comprenons bien alors que lorsqu&#39;un homme, Pierre, Paul ou Jacques, meurt, aucune parcelle de la Raison ne meurt avec lui, puisque la Raison reste tout enti&egrave;re aux autres hommes&nbsp;: et, s&#39;il en est ainsi, je puis supposer que tous meurent, sans que pour cela la Raison soit atteinte. Et Platon avait raison de traiter de cette r&eacute;alit&eacute; &eacute;ternelle, de ces id&eacute;es imp&eacute;rissables, qui ne naissent point et qui ne meurent point. La Raison, quelle qu&#39;elle soit, qu&#39;elle consiste en des id&eacute;es, en des principes ou en quelque autre chose, est r&eacute;ellement immortelle, ou, pour mieux dire, &eacute;ternelle&nbsp;; elle &eacute;tait, pour Socrate, pour Platon, pour Descartes, ce qu&#39;elle est maintenant pour nous&nbsp;: elle est ce qui demeure, elle est le vrai Dieu. Il est donc juste de dire que nous devons &agrave; la Raison un culte, que nous devons la servir, l&#39;estimer, l&#39;honorer par-dessus toute chose, et que notre bonheur, nos biens et notre vie m&ecirc;me ne doivent point &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;s, lorsque la Raison commande.</p> <p class="texte" dir="ltr"><strong>Le faux Dieu.</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">Les hommes sentent bien tous confus&eacute;ment qu&#39;il y a quelque chose de sup&eacute;rieur, quelque chose d&#39;&eacute;ternel &agrave; quoi il faut s&#39;attacher, et sur quoi il faut r&eacute;gler sa vie. Mais ceux qui conduisent les hommes en excitant chez eux l&#39;espoir et la crainte leur repr&eacute;sentent un Dieu fait &agrave; l&#39;image de l&#39;homme, qui exige des sacrifices, qui se r&eacute;jouit de leurs souffrances et de leurs larmes, un Dieu enfin au nom duquel certains hommes privil&eacute;gi&eacute;s ont seuls le droit de parler. Un tel Dieu est un faux Dieu.</p> <p class="texte" dir="ltr">La Raison, c&#39;est bien l&agrave; le Dieu lib&eacute;rateur, le Dieu qui est le m&ecirc;me pour tous, le Dieu qui fonde l&#39;&Eacute;galit&eacute; et la Libert&eacute; de tous les hommes, qui fait bien mieux que s&#39;incliner devant les plus humbles, qui est en eux, les rel&egrave;ve, les soutient. Ce Dieu-l&agrave; entend toujours lorsqu&#39;on le prie, et la pri&egrave;re qu&#39;on lui adresse, nous l&#39;appelons la R&eacute;flexion. C&#39;est par la Raison que celui qui s&#39;abaisse sera &eacute;lev&eacute;, c&#39;est-&agrave;-dire que celui qui cherche sinc&egrave;rement le vrai, et qui avoue son ignorance, m&eacute;ritera d&#39;&ecirc;tre appel&eacute; sage.</p> <p class="texte" dir="ltr">Et pour vous faire comprendre enfin que la Raison est sup&eacute;rieure &agrave; tout autre ma&icirc;tre, et qu&#39;il n&#39;est pas un homme au monde qui volontairement abais&shy;se et m&eacute;prise la Raison, je veux emprunter ma conclusion &agrave; l&#39;illustre Pascal, qui, comme vous savez, essaya pourtant de se prouver &agrave; lui-m&ecirc;me que l&#39;hom&shy;me a un ma&icirc;tre sup&eacute;rieur &agrave; la Raison&nbsp;: &laquo;&nbsp;La Raison, dit Pascal, nous com&shy;mande bien plus imp&eacute;rieusement qu&#39;un ma&icirc;tre, car en d&eacute;sob&eacute;issant &agrave; un ma&icirc;tre on est malheureux, et en d&eacute;sob&eacute;issant &agrave; la Raison on est un sot&nbsp;&raquo;.</p>