<p class="texte" dir="ltr"><strong>Les ouvriers et la politique. 1962 &ndash;2002, quarante ans d&rsquo;histoire</strong><a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a></p> <p class="texte" dir="ltr"><em>Guy Michelat et Michel Simon avaient construit dans les ann&eacute;es 60, le mod&egrave;le d&rsquo;une culture politique ouvri&egrave;re dans laquelle le sentiment d&rsquo;appartenance au groupe ouvrier, le rejet du lib&eacute;ralisme &eacute;conomique et le r&eacute;publicanisme d&eacute;bouchait sur un vote de gauche, notamment communiste. Les mutations et les ruptures des ann&eacute;es 1980/1990 ont conduit les auteurs, dans un esprit de d&eacute;marche critique, &agrave; ce travail de recherche, utilisant des m&eacute;thodes qualitatives et quantitatives. Fond&eacute; sur des entretiens non directifs et dix-huit enqu&ecirc;tes par sondages r&eacute;alis&eacute;es entre 1962 et 2002, il recouvre quarante ans d&rsquo;analyse des rapports entre la classe ouvri&egrave;re et la politique.</em></p> <p class="texte" dir="ltr"><strong>Que signifie appartenir &agrave; une classe sociale, et en particulier &agrave; la classe ouvri&egrave;re&nbsp;?</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">On peut estimer que l&rsquo;on appartient plus ou moins &agrave; un groupe. Ainsi on appartient plus ou moins anciennement et compl&egrave;tement &agrave; une classe sociale, selon qu&rsquo;on a &eacute;t&eacute; socialis&eacute; plus ou moins anciennement et durablement dans cette classe. C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;au cours des ann&eacute;es 60, nous avons &eacute;t&eacute; amen&eacute;s &agrave; construire un indicateur du niveau d&rsquo;int&eacute;gration &agrave; la classe ouvri&egrave;re (en partant de l&rsquo;id&eacute;e qu&rsquo;un ouvrier fils d&rsquo;ouvrier y appartenait plus qu&rsquo;un ouvrier fils d&rsquo;agriculteur, par exemple), en combinant profession de la personne interrog&eacute;e et profession du p&egrave;re. On aboutit ainsi &agrave; un indicateur &agrave; trois positions en fonction du <em>nombre d&rsquo;attributs ouvriers</em>, comme on peut le faire pour d&rsquo;autres groupes. On peut faire l&#39;hypoth&egrave;se que plus on appartient &agrave; un groupe, plus on participe au syst&egrave;me de repr&eacute;sentations et d&#39;attitudes qui le caract&eacute;rise, plus on adh&egrave;re au syst&egrave;me symbolique du groupe.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em>Avant 1978/1980, la classe ouvri&egrave;re pr&eacute;sente tout un ensemble de caract&eacute;ristiques induisant des comportements politiques de type &laquo;&nbsp;classiste&nbsp;&raquo;. </em></p> <p class="texte" dir="ltr">A cette &eacute;poque, une culture politico - id&eacute;ologique ouvri&egrave;re &laquo;&nbsp;classiste de gauche&nbsp;&raquo; s&rsquo;affirme avec nettet&eacute;. Elle s&rsquo;organise autour d&rsquo;un sentiment d&rsquo;appartenance de classe et du syst&egrave;me d&rsquo;identifications et d&rsquo;oppositions qui en proc&egrave;de. L&rsquo;anti-lib&eacute;ralisme, voire l&rsquo;anticapitalisme, qui la caract&eacute;rise n&rsquo;est pas propre &agrave; ces ouvriers, mais chez eux, il s&rsquo;enracine dans un ensemble de revendications et d&rsquo;aspirations, charg&eacute;es de beaucoup d&rsquo;affectivit&eacute;, en liaison avec la difficult&eacute; de leur vie. Il va de pair avec une implication politique forte et une grande confiance dans les syndicats. Pour eux, se sentir ouvrier, se situer &agrave; gauche, ne pas s&rsquo;abstenir et voter pour la gauche politique, notamment communiste, appara&icirc;t &laquo;&nbsp;normal&nbsp;&raquo;. Toutefois le vote communiste n&rsquo;a jamais &eacute;t&eacute; majoritaire chez les ouvriers. M&ecirc;me si, apr&egrave;s la Lib&eacute;ration, il d&eacute;passe nettement le vote pour la gauche non communiste &ndash; PS et MRG &ndash;, ce dernier reste important (cf. par exemple le Nord et le Pas-de-Calais). Par ailleurs, il existe une minorit&eacute;, parfois importante, qui vote pour la droite&nbsp;parlementaire. Aujourd&rsquo;hui encore, ce vote d&eacute;pend essentiellement du degr&eacute; d&rsquo;accord avec l&rsquo;id&eacute;ologie lib&eacute;rale, quelle que soit la classe sociale d&rsquo;appartenance.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em><strong>Cette classe ouvri&egrave;re a constitu&eacute; un th&egrave;me r&eacute;current d&rsquo;affrontements id&eacute;ologiques. Elle a souvent &eacute;t&eacute; pr&eacute;sent&eacute;e comme un groupe mena&ccedil;ant. </strong></em></p> <p class="texte" dir="ltr">Il est vrai que ces ouvriers ont &eacute;t&eacute; parfois stigmatis&eacute;s et montr&eacute;s comme des individus &laquo;&nbsp;dangereux&nbsp;&raquo; pour l&rsquo;ordre r&eacute;publicain. En fait, la r&eacute;alit&eacute; est tout autre. Pas plus qu&rsquo;en 1966 on ne trouve trace en 1978 de mill&eacute;narisme, ni de volont&eacute; de rupture avec la soci&eacute;t&eacute;, ils ne croient pas au &laquo;&nbsp;grand soir&nbsp;&raquo;. Ils esp&egrave;rent seulement qu&rsquo;avec la gauche, &laquo;&nbsp;ils auront une vie moins dure, plus digne et conna&icirc;tront un peu plus de bonheur, ils pourront souffler un peu&nbsp;&raquo;, comme ils l&rsquo;expriment avec simplicit&eacute; et sinc&eacute;rit&eacute;. En m&ecirc;me temps ils mesurent ce que cela implique de changements au niveau d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; globale o&ugrave;, selon eux, tout fait syst&egrave;me. Ils pensent que la gauche ne pourra pas compl&egrave;tement changer la soci&eacute;t&eacute; mais qu&rsquo;elle pourrait, cependant, apporter des am&eacute;liorations, faire que la vie soit diff&eacute;rente. Comme d&eacute;j&agrave; dans les ann&eacute;es 50 et 60, ils affirment leur r&eacute;publicanisme et sont contre tout syst&egrave;me de dictature. Contrairement sans doute &agrave; une partie des militants, la plupart d&rsquo;entre eux ne pensent pas que l&rsquo;on vit mieux en URSS, et m&ecirc;me qu&rsquo;on y vivra mieux dans l&rsquo;avenir. Ce scepticisme est majoritaire (et, semble-t-il, l&rsquo;a toujours &eacute;t&eacute;), m&ecirc;me chez ceux qui votent PC.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em><strong>Que recouvrent ces ruptures qui se situent autour des ann&eacute;es 80 et qui sont au c&oelig;ur de votre ouvrage&nbsp;? </strong></em></p> <p class="texte" dir="ltr">Le sentiment d&rsquo;appartenir &agrave; la classe ouvri&egrave;re recule brutalement. En particulier dans le &laquo;&nbsp;noyau&nbsp;&raquo; le plus ins&eacute;r&eacute;&nbsp;au groupe ouvrier. Cette organisation symbolique, ce &laquo;&nbsp;classisme de gauche&nbsp;&raquo; implose. A l&rsquo;origine, un ensemble de transformations &eacute;conomico - sociales importantes qui vont entra&icirc;ner un v&eacute;ritable s&eacute;isme social. Les grandes entreprises de sid&eacute;rurgie, les mines, les chantiers navals, les entreprises textiles, les grandes imprimeries de labeur connaissent une crise sans pr&eacute;c&eacute;dent. Le ch&ocirc;mage de masse fait irruption dans ces secteurs industriels qui constituent&nbsp; l&rsquo;&eacute;pine dorsale de la classe ouvri&egrave;re. Simultan&eacute;ment, on assiste &agrave; la disparition de tout un tissu de PME et de PMI (petite m&eacute;tallurgie de la r&eacute;gion lilloise, sous - traitants des grandes industries etc.). Une partie de la Lorraine est en friches, de m&ecirc;me le Nord (Denain, Valenciennes). Cette premi&egrave;re vague d&rsquo;effondrement du tissu industriel, est suivie de crises sociales &agrave; r&eacute;p&eacute;titions, de d&eacute;localisations multiples et de restructurations des entreprises, autant de facteurs qui ne feront qu&rsquo;aggraver la situation des classes populaires et les d&eacute;stabiliser au cours des d&eacute;cennies suivantes.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em>Ce groupe ouvrier est donc en quelque sorte &laquo;&nbsp;fauch&eacute;&nbsp;&raquo; par la crise.</em></p> <p class="texte" dir="ltr">En quelque sorte. Les cons&eacute;quences sont innombrables et dramatiques. Ces familles ouvri&egrave;res faisaient vivre des quartiers, des villages et des bourgs entiers. Cette implosion st&eacute;rilise la vie de tous ces lieux. Les r&eacute;seaux de sociabilit&eacute; disparaissent (caf&eacute;s, petits commerces de proximit&eacute;). Le petit salariat d&rsquo;ex&eacute;cution &ndash; les petits employ&eacute;s &ndash; est tout autant touch&eacute;. Or, souvent, la femme d&rsquo;ouvrier avait un petit poste d&rsquo;employ&eacute;e. La classe ouvri&egrave;re conna&icirc;t alors des brisures identitaires d&rsquo;une rare violence. La condition ouvri&egrave;re est d&eacute;valoris&eacute;e, l&rsquo;ouvrier perd l&rsquo;estime de soi et conna&icirc;t un sentiment d&rsquo;&eacute;chec. Il faut rappeler que tr&egrave;s souvent les familles entretenaient des relations avec les lieux de travail et de vie depuis plus d&rsquo;un si&egrave;cle, les g&eacute;n&eacute;rations se succ&eacute;dant dans une m&ecirc;me entreprise, dans un m&ecirc;me quartier. On assiste &agrave; la rupture de la continuit&eacute; familiale. Le p&egrave;re n&rsquo;a plus rien &agrave; transmettre &agrave; ses fils, il n&rsquo;a plus de statut et perd sa dignit&eacute;. On lui propose des possibilit&eacute;s de reconversion, des sessions de formation et des &laquo;&nbsp;devoirs &agrave; faire &agrave; la maison&nbsp;&raquo;, ce sont alors les enfants, surtout les filles, qui aident leur p&egrave;re&nbsp;: les r&ocirc;les traditionnels sont invers&eacute;s.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; et le pessimisme, un sentiment d&rsquo;abandon et d&rsquo;isolement envahissent le groupe ouvrier et le salariat d&rsquo;ex&eacute;cution qui lui est proche. On continue &agrave; &ecirc;tre hostile au lib&eacute;ralisme &eacute;conomique, mais plus on appartient au groupe ouvrier, plus on d&eacute;veloppe des attitudes hostiles aux immigr&eacute;s, &agrave; connotation raciste, li&eacute;es &agrave; une mont&eacute;e de l&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; qui est un &eacute;l&eacute;ment fondamental pour comprendre les &eacute;volutions du rapport au politique. Cela s&rsquo;explique en grande partie par une situation socio-&eacute;conomique de concurrence, &laquo;&nbsp;<em>ils nous volent notre</em> <em>travail&nbsp;!</em>&nbsp;&raquo;, mais pas seulement. Encore faut-il que cette situation soit d&eacute;chiffr&eacute;e en fonction de &laquo;&nbsp;grilles&nbsp;&raquo; id&eacute;ologiques (x&eacute;nophobie, priorit&eacute; aux &laquo;&nbsp;nationaux&nbsp;&raquo;) qu&rsquo;on voit se r&eacute;activer dans toutes les conjonctures de crise.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em>Le rapport au syst&egrave;me politique en est tout autant boulevers&eacute;.</em></p> <p class="texte" dir="ltr">La modification des attitudes politiques est tout aussi frappante. Il ne s&rsquo;agit pas d&rsquo;une d&eacute;politisation, mais la confiance port&eacute;e au syst&egrave;me politique et l&rsquo;attachement aux institutions repr&eacute;sentatives s&rsquo;effritent. Plus on appartient au groupe ouvrier, plus cette d&eacute;saffection est marqu&eacute;e. Et ce d&eacute;sengagement se traduit par une &laquo;&nbsp;d&eacute;saffiliation &agrave; gauche&nbsp;&raquo;. et par un affaiblissement et une &eacute;volution de la relation au syndicat. La rupture politique se fait en deux temps, entre 1977 et 1988 et en 1993.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em><strong>Pouvez-vous nous expliquer cette double rupture</strong></em><em><strong>&nbsp;?</strong></em></p> <p class="texte" dir="ltr">La premi&egrave;re phase se situe au c&oelig;ur du processus de l&rsquo;Union de la gauche. 1977&nbsp;: rupture de l&rsquo;Union dont la responsabilit&eacute; est imput&eacute;e au PCF. Personne n&rsquo;y comprend plus rien et surtout les &eacute;lecteurs des classes populaires. Depuis au moins 1934, le Parti communiste s&rsquo;&eacute;tait identifi&eacute; &agrave; la recherche de l&rsquo;unit&eacute; avec le PS. Le souvenir de 1936 est toujours vivant et les avanc&eacute;es de 1945-1947 n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; oubli&eacute;es. N&rsquo;oublions pas non plus la crise puis, en 1989-1991, l&rsquo;effondrement du bloc communiste dont les effets ne sont pas imm&eacute;diats mais sous&ndash;jacents. Entre 1978 et 1988, le Parti communiste subit un recul spectaculaire, y compris dans la fraction la plus ouvri&egrave;re, la plus &agrave; gauche de la population. Ce recul s&rsquo;op&egrave;re alors au profit du Parti socialiste. La deuxi&egrave;me &eacute;tape se d&eacute;roule en 1993. Le PS s&rsquo;effondre, apr&egrave;s les gouvernements Rocard, Cresson et B&eacute;r&eacute;govoy. Et, c&rsquo;est dans le peuple ouvrier de gauche qu&rsquo;il conna&icirc;t ses pertes les plus massives. &laquo;&nbsp;<em>On ne nous entend plus</em>&nbsp;&raquo;. Le sentiment d&rsquo;abandon est encore plus fortement ressenti. Le vote classiste pour la gauche s&rsquo;affaiblit. Et l&rsquo;abstentionnisme devient particuli&egrave;rement massif dans les milieux ouvriers et populaires. Le syst&egrave;me politique ne r&eacute;pond plus aux attentes. C&rsquo;est aussi le moment ou le th&egrave;me de la globalisation &eacute;merge dans le d&eacute;bat public.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em>Une partie des classes populaires se tourne alors vers les extr&ecirc;mes et en particulier vers le Front national&nbsp;?</em></p> <p class="texte" dir="ltr">Les votes d&rsquo;extr&ecirc;me droite et d&rsquo;extr&ecirc;me gauche sont &eacute;videmment, pour l&rsquo;essentiel, le reflet d&rsquo;un rejet du syst&egrave;me politique, mais ils ob&eacute;issent &agrave; des logiques id&eacute;ologiques oppos&eacute;es. Le vote &laquo;&nbsp;frontiste&nbsp;&raquo; n&rsquo;est pas un vote circonstanciel. Quelles que soient les cat&eacute;gories sociales, il a pour condition des attitudes et des affirmations ethnocentriques, &agrave; connotations racistes, exprim&eacute;es avec une v&eacute;h&eacute;mence toute particuli&egrave;re. &laquo;&nbsp;<em>Il y a</em> <em>trop d&rsquo;immigr&eacute;s en France</em>&nbsp;&raquo;. Pour une partie de ceux qui vivent dans une situation o&ugrave; rien ne va plus, o&ugrave; se d&eacute;veloppe une anxi&eacute;t&eacute; qui touche tous les aspects de la vie, ch&ocirc;mage et pr&eacute;carit&eacute;, sentiment d&rsquo;ins&eacute;curit&eacute;, peur de l&rsquo;avenir pour soi et ses enfants, l&rsquo;explication, c&rsquo;est&nbsp;: &laquo;&nbsp;les immigr&eacute;s sont responsables de tout ce qui nous arrive&nbsp;&raquo;. Le vote FN est maximum quand peur et hostilit&eacute; aux immigr&eacute;s se combinent, mais sans cette derni&egrave;re, il n&rsquo;y a pas vote Front national. En m&ecirc;me temps, plus on appartient objectivement au groupe ouvrier et plus on se situe soi-m&ecirc;me &agrave; droite, plus on vote Front national. C&rsquo;est bien dans le &laquo;&nbsp;peuple de droite&nbsp;&raquo;, peuple ouvrier inclus, que le FN a trouv&eacute; ses plus gros soutiens, m&ecirc;me s&rsquo;il a aussi mordu dans le &laquo;&nbsp;peuple de gauche&nbsp;&raquo;, en particulier dans sa composante ouvri&egrave;re. Il faut aussi noter que l&rsquo;affaiblissement de la gauche provient en grande partie d&rsquo;une abstention ouvri&egrave;re et populaire qui, en termes de suffrages exprim&eacute;s, renforce encore le FN dans ces cat&eacute;gories.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em>Le vote d&rsquo;extr&ecirc;me gauche est-il tr&egrave;s diff&eacute;rent&nbsp;?</em></p> <p class="texte" dir="ltr">Comme le vote de gauche dans son ensemble, les votes d&rsquo;extr&ecirc;me gauche et PC sont d&rsquo;autant plus fr&eacute;quents qu&rsquo;on est plus hostile au lib&eacute;ralisme &eacute;conomique, qu&rsquo;on est plus politis&eacute; et qu&rsquo;on se situe davantage &agrave; gauche. Ils sont d&rsquo;autant moins fr&eacute;quents qu&rsquo;on est plus autoritaire et x&eacute;nophobe. Leurs motivations sont &agrave; l&rsquo;oppos&eacute; de celles du vote FN. Le vote d&rsquo;extr&ecirc;me gauche de 2002 n&rsquo;est pas un vote fruste. Il concerne des &eacute;lecteurs, plus inform&eacute;s, qui s&rsquo;int&eacute;ressent &agrave; la politique. Mais ils sont extr&ecirc;mement critiques vis - &agrave; - vis de la &laquo;&nbsp;gauche de gouvernement&nbsp;&raquo;. Ce sont les jeunes qui ont le plus arbitr&eacute; au d&eacute;triment de cette derni&egrave;re et au profit de l&rsquo;extr&ecirc;me gauche. Les moins de quarante ans sont au total plus r&eacute;ceptifs aux th&egrave;mes de gauche que leurs a&icirc;n&eacute;s. Ils sont au moins aussi antilib&eacute;raux, mais beaucoup plus tol&eacute;rants, y compris chez les ouvriers. Ils sont aussi beaucoup plus en rupture avec le syst&egrave;me politique.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em>Que s&rsquo;est-il pass&eacute; le 21 avril 2002 dans la classe ouvri&egrave;re&nbsp;?</em></p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;exasp&eacute;ration de la demande, les carences de l&rsquo;offre, les r&eacute;ponses partielles ou contradictoires des politiques aux attentes, entre autres, de ce groupe tr&egrave;s &eacute;clat&eacute;, ont entra&icirc;n&eacute; ce &laquo;&nbsp;s&eacute;isme&nbsp;&raquo; qui s&rsquo;inscrit dans un ensemble de mutations et de ruptures qui se sont brutalement acc&eacute;l&eacute;r&eacute;es depuis les ann&eacute;es 1990. Ces ruptures ont affect&eacute; tous les groupes sociaux, mais particuli&egrave;rement le groupe ouvrier. La gauche doit largement sa d&eacute;faite &agrave; la d&eacute;fection du salariat d&rsquo;ex&eacute;cution et de son &laquo;&nbsp;noyau &laquo;&nbsp;ouvrier. Le PC s&rsquo;est trouv&eacute; marginalis&eacute;. La droite parlementaire r&eacute;gresse tout autant, en particulier dans son &eacute;lectorat traditionnel non ouvrier. La gauche comme la droite reculent de quinze points par rapport aux &eacute;lections l&eacute;gislatives de 1978 quant le taux d&rsquo;abstention gagne onze points.</p> <p class="texte" dir="ltr"><em><strong>Qui sont les ouvriers aujourd&rsquo;hui&nbsp;?</strong></em></p> <p class="texte" dir="ltr">Les ouvriers repr&eacute;sentent aujourd&rsquo;hui autour de 27% de la population active. Mais entre ce groupe et &laquo;&nbsp;l&rsquo;archipel&nbsp;&raquo; des employ&eacute;s, des salari&eacute;s d&rsquo;ex&eacute;cution, les salari&eacute;s pr&eacute;caires (employ&eacute;s de Mac Do, Fnac, grandes surfaces, tourisme etc.), les rapprochements sont de plus en plus sensibles. Un salariat instruit s&rsquo;est constitu&eacute;. Les moins de quarante ans sont de plus en plus qualifi&eacute;s et ont souvent bac + 2 ou 3. Ouvriers ou non, ils exigent d&rsquo;avantage des argumentaires des politiques, mais ils ont du mal &agrave; s&rsquo;organiser. Leur situation est souvent pr&eacute;caire (CDD), ils changent fr&eacute;quemment d&rsquo;employeurs, de lieux de travail et leurs horaires sont segment&eacute;s, comme dans les grandes surfaces. Ils sont conscients de la fragilit&eacute; de leurs situations et de la menace du ch&ocirc;mage qui p&egrave;se sur eux. L&rsquo;id&eacute;e monte que &laquo; <em>seul, on ne s&rsquo;en sortira pas</em>&nbsp;&raquo;. Peut-&ecirc;tre voit-on &eacute;merger de nouvelles formes de relations aux organisations, y compris aux syndicats, suivant des fili&egrave;res diff&eacute;rentes. Ces jeunes ont besoin d&rsquo;avoir des repr&eacute;sentants qui sortent de leurs rangs et des formes de politisation adapt&eacute;es &agrave; leur sensibilit&eacute;, ce &agrave; quoi la gauche, PCF compris, &agrave; du mal &agrave; faire droit, mais ils sont favorables aux d&eacute;monstrations collectives. Et, du moins dans les cat&eacute;gories non ouvri&egrave;res, ils s&rsquo;impliquent dans des mouvements associatifs, altermondialistes. Cette nouvelle g&eacute;n&eacute;ration &eacute;voluera en fonction des r&eacute;ponses qui lui seront donn&eacute;es.</p> <p class="texte" dir="ltr" style="text-align:center;"><strong>Propos recueillis par Elisabeth Kosellek</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">Paru dans LA LETTRE DU <img alt="Image1" src="https://numerev.com/images/cpp/docannexe/image/1315/img-1.png" style="width:2.6457inch;height:1.0945inch;margin-left:0.0in;margin-right:0.0in;margin-top:0mm;margin-bottom:0mm;padding-top:0.0602in;padding-bottom:0.0602in;padding-left:0.1102in;padding-right:0.1102in;border:none" /><br /> N&deg; 8 - Mai-juin 2004</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, r&eacute;alignements, Presses de Sciences Po, Paris, 2004, 373 pages</p>