<p class="texte" dir="ltr"><strong>Pros&eacute;lytisme (gagner des adeptes, convertir) ou auto-conversion (conserver ses adeptes en entretenant leur foi)&nbsp;?</strong></p> <p class="texte" dir="ltr">&laquo;&nbsp;On parle d&#39;influence quand une personne ou un groupe agissent de fa&ccedil;on secr&egrave;te sur une autre personne ou un autre groupe. Il lui est attribu&eacute; les caract&egrave;res de l&#39;&eacute;tranget&eacute; parce qu&#39;elle fait irruption dans un autre type de communication auquel nous sommes habitu&eacute;s, celui o&ugrave; l&#39;intentionnalit&eacute; joue le plus grand r&ocirc;le. Mais c&#39;est l&agrave; une erreur d&#39;optique. L&#39;influence ne cesse pas, puisque nous transmettons et recevons sans discontinuit&eacute; les signes de nos impressions et de nos affections, puisque nous participons activement et passivement &agrave; chaque instant au r&eacute;seau relationnel qui nous individualise.&nbsp;&raquo; (Roustang, 1990, p.75)</p> <p class="texte" dir="ltr">Partant de l&rsquo;id&eacute;e que des groupes sectaires constituent une menace pour l&rsquo;ordre public et qu&rsquo;ils peuvent exercer une influence n&eacute;faste sur les individus, diverses commissions d&rsquo;enqu&ecirc;te sur les sectes ont &eacute;t&eacute; entendues ces derni&egrave;res ann&eacute;es (suite au rapport Vivien sur les Sectes, deux rapports ont &eacute;t&eacute; pr&eacute;sent&eacute;s&nbsp;: un rapport sur les sectes en France et un sur les sectes et l&rsquo;argent). Finalement, un article du Code p&eacute;nal visant un d&eacute;lit de manipulation mentale a &eacute;t&eacute; examin&eacute; par l&rsquo;Assembl&eacute;e nationale.</p> <p class="texte" dir="ltr">La section intitul&eacute;e <em>&laquo;&nbsp;De la manipulation mentale&nbsp;&raquo;, comprend notamment un article (Article 225-16-4) qui &laquo;&nbsp;d&eacute;finit le champ et la nature de ce nouveau d&eacute;lit, susceptible d&#39;&ecirc;tre r&eacute;alis&eacute; au sein d&#39;un groupement qui poursuit des activit&eacute;s ayant pour but ou pour effet de &ldquo;cr&eacute;er ou d&#39;exploiter la d&eacute;pendance psychologique ou physique des personnes qui participent &agrave; ces activit&eacute;s&rdquo;. La manipulation mentale consiste &agrave; &ldquo;exercer sur l&#39;une d&#39;entre elles des pressions graves et r&eacute;it&eacute;r&eacute;es ou &agrave; utiliser des techniques propres &agrave; alt&eacute;rer son jugement afin de la conduire, contre son gr&eacute; ou non [comme pour le d&eacute;lit de bizutage vis&eacute; &agrave; l&#39;article 225-16-1 du code p&eacute;nal], &agrave; un acte ou &agrave; une abstention qui lui est gravement pr&eacute;judiciable&rdquo;.&nbsp;</em>&raquo; (Rapport pr&eacute;sent&eacute; &agrave; l&rsquo;Assembl&eacute;e nationale le 20 juin 2000&nbsp;; pour une analyse de la notion de manipulation mentale, cf. Salavastru, 2002)</p> <p class="texte" dir="ltr">Si cet article a finalement &eacute;t&eacute; rejet&eacute;, les d&eacute;bats suscit&eacute;s par une d&eacute;finition de l&rsquo;influence des sectes et par la manipulation mentale sont particuli&egrave;rement riches et diversifi&eacute;s&nbsp;: ainsi &agrave; c&ocirc;t&eacute; de la r&eacute;flexion sur une d&eacute;finition de ce qu&rsquo;est une secte, sur des dangers qu&rsquo;elle repr&eacute;sente, sur les moyens qu&rsquo;elle utilise&hellip;, on trouve aussi des analyses sur la libert&eacute; religieuse, sur la nature et l&rsquo;importance de l&rsquo;influence dans toute d&eacute;marche &eacute;ducative, sur la nature de la conscience, sur les rapports entre influence, socialisation et ali&eacute;nation de l&rsquo;individu&hellip; et ce d&eacute;bat implique &agrave; la fois des juristes, des religieux, des politiques, des philosophes, des psychiatres&hellip;</p> <p class="texte" dir="ltr">Touchant directement une th&eacute;matique centrale de la psychologie sociale, les relations d&rsquo;influence sociale, il me semble opportun d&rsquo;&eacute;clairer par un point de vue assez original ce d&eacute;bat en ce qui concerne un aspect central&nbsp;: les rapports entre la source et la cible dans une relation d&rsquo;influence.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;influence qui fait peur</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;influence interindividuelle ou l&rsquo;influence sociale fascine et effraye. Sa riche iconographie (Films d&rsquo;archives de leaders charismatiques fascinant les foules&nbsp;; images de poss&eacute;d&eacute;s, de somnambules ou d&rsquo;hypnotis&eacute;s ob&eacute;issant sans r&eacute;serve &agrave; celui qui les guide&hellip;), les terribles faits divers qui lui sont attribu&eacute;s (Suicides collectifs, crimes rituels&hellip;) ainsi que de troublantes &eacute;tudes scientifiques (Travaux sur l&rsquo;hypnose, &eacute;tudes exp&eacute;rimentales sur le conformisme ou soumission &agrave; l&rsquo;autorit&eacute;&hellip;) nous affirment l&rsquo;existence d&rsquo;une force quasiment irr&eacute;sistible et qui pourrait nous pousser &agrave; faire ou &agrave; penser des choses que nous ne voudrions pas, une force qui pourrait m&ecirc;me nous conduire &agrave; notre perte.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il y a, avec l&rsquo;influence, l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une intrusion, d&rsquo;un v&eacute;ritable viol de la conscience, de la volont&eacute;&hellip; qui semble pouvoir passer sous le contr&ocirc;le ou la volont&eacute; d&rsquo;un autre. Ce n&rsquo;est plus moi qui veut ou qui agit, c&rsquo;est la volont&eacute; d&rsquo;un autre qui est entr&eacute;e en moi et c&rsquo;est un autre qui agit &agrave; travers moi (sentiment de possession).</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces sentiments d&rsquo;emprises, ces d&eacute;lires d&rsquo;influence toujours tr&egrave;s vivaces (cf. Janet, 1929, 1937) se trouv&egrave;rent exacerb&eacute;s dans leurs aspects psychologiques, sociaux, religieux et l&eacute;gaux lors des ph&eacute;nom&egrave;nes de possessions qui marqu&egrave;rent l&rsquo;Europe du XVII<sup>e</sup> si&egrave;cle et qui se retrouvent aujourd&rsquo;hui mis en sc&egrave;nes dans une quantit&eacute; impressionnante de films et de s&eacute;ries t&eacute;l&eacute;vis&eacute;es. Il en fut de m&ecirc;me avec la grande mode du somnambulisme puis celle de l&rsquo;hypnose.</p> <p class="texte" dir="ltr">La puissance de l&rsquo;influence&nbsp;: le cas de l&rsquo;hypnose</p> <p class="texte" dir="ltr">La d&eacute;couverte de l&rsquo;hypnose et de son utilisation dans le cadre d&rsquo;une relation th&eacute;rapeutique, a tr&egrave;s vite d&eacute;bord&eacute; le milieu m&eacute;dical pour envahir la sph&egrave;re de la philosophie, de la sociologie, du droit&hellip; C&rsquo;est ainsi que Tarde (1890) gr&acirc;ce &agrave; cette c&eacute;l&egrave;bre formule <em>l&rsquo;homme social est un hypnotis&eacute;</em> en fit le fondement des relations sociales<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a>, que l&rsquo;&eacute;cole de Nancy soutint que sous hypnose, des crimes pouvaient &ecirc;tre sugg&eacute;r&eacute;s et r&eacute;alis&eacute;s&nbsp;; que des soci&eacute;t&eacute;s savantes voulurent restreindre la pratique de l&rsquo;hypnose aux seuls m&eacute;decins tant les dangers &eacute;taient grands de laisser ce si puissant instrument aux mains de quiconque.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ainsi, au nom de l&rsquo;&eacute;thique, de la morale et de la science, lors du premier congr&egrave;s international de l&rsquo;hypnotisme de Paris (1889), fut vot&eacute; une r&eacute;solution demandant que seuls les m&eacute;decins fassent usage du magn&eacute;tisme ou de l&rsquo;hypnose (Cf. M&eacute;heust, 1999, p. 524-532). Ces instruments puissants devaient &ecirc;tre r&eacute;serv&eacute;s &agrave; un bon usage et il convenait donc de les interdire &agrave; ceux qui pourraient en faire un mauvais usage (magn&eacute;tiseurs sans formation en m&eacute;decine, magn&eacute;tiseurs de spectacle&hellip;).</p> <p class="texte" dir="ltr">Tout l&rsquo;argumentaire de cette volont&eacute; d&rsquo;interdire repose sur l&rsquo;id&eacute;e que par l&rsquo;utilisation d&rsquo;une technique (ici l&rsquo;hypnose) on obtient des effets d&rsquo;influence tr&egrave;s puissants et que pour ma&icirc;triser ces effets, il faut ma&icirc;triser la source (ici l&rsquo;hypnotiseur) sa morale, ses intentions&hellip; On en arrive donc &agrave; distinguer des cat&eacute;gories sociales par leur formation (&eacute;tudes de m&eacute;decine par ex.), leur moralit&eacute; suppos&eacute;e (serment d&rsquo;Hippocrate par ex.)&hellip; et, sur cette base, &agrave; leur donner certaines pr&eacute;rogatives (ici le droit de pratiquer l&rsquo;hypnose). Le d&eacute;bat tel qu&rsquo;il fut r&eacute;cemment port&eacute; &agrave; l&rsquo;assembl&eacute;e nationale &agrave; propos du d&eacute;lit de manipulation mentale reprend exactement cette id&eacute;e (Pech, Zagury, 2002&nbsp;; Villate, Scholiers, Freixa i Baqu&eacute;, 2003).</p> <p class="texte" dir="ltr">Toute cette logique conduit &agrave; supposer que la cible de l&rsquo;influence (le poss&eacute;d&eacute;, le somnambule, l&rsquo;hypnotis&eacute;, le manipul&eacute;&hellip;) est un r&eacute;ceptacle passif de l&rsquo;influence, qu&rsquo;elle est totalement soumise et qu&rsquo;elle ne peut pas opposer de r&eacute;sistances &agrave; la source d&rsquo;influence. Le fait qu&rsquo;elle soit, par exemple, plong&eacute;e dans l&rsquo;&eacute;tat hypnotique ne d&eacute;pend pas d&rsquo;elle, de son d&eacute;sir, de sa volont&eacute;&hellip; mais exclusivement du d&eacute;sir et de la volont&eacute; de l&rsquo;autre associ&eacute;s &agrave; une technique qui permet la mise en &oelig;uvre de son d&eacute;sir et de sa volont&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Aujourd&rsquo;hui, cette effervescence autour de l&rsquo;hypnose a disparu et rien dans le champ social ne l&rsquo;a remplac&eacute;e si bien qu&rsquo;il peut nous sembler que nous sommes sorti de ces vielles croyances qui avaient affect&eacute; nos anc&ecirc;tres.</p> <p class="texte" dir="ltr">Cependant, cette id&eacute;e d&rsquo;une influence puissante, d&rsquo;un viol des consciences, d&rsquo;une orientation ext&eacute;rieure de nos d&eacute;sirs, d&rsquo;une manipulation de nos d&eacute;cisions&hellip; est toujours bien pr&eacute;sente en chacun de nous. La publicit&eacute; guiderait nos achats, les journalistes orienteraient nos opinions et nous montreraient une r&eacute;alit&eacute; falsifi&eacute;e que nous finirions par admettre, les politiques et les religieux nous duperaient&hellip; et &eacute;videmment, &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me de tr&egrave;s m&eacute;chants mouvements sectaires infiltreraient leurs mauvaises id&eacute;es dans les bons esprits de nos petits enfants. Ce faisant, ils s&rsquo;empareraient d&rsquo;eux, gr&acirc;ce &agrave; des techniques de manipulations, de lavage de cerveaux&hellip;</p> <p class="texte" dir="ltr">Donc, m&eacute;fions nous de l&rsquo;influence de l&rsquo;autre, qui de loin, insidieusement, veut peut-&ecirc;tre s&rsquo;emparer de nous comme autrefois le diable poss&eacute;dait de pauvres folles.</p> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est finalement toujours le m&ecirc;me sch&eacute;ma qui revient. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; le diable (le malin), la secte, le gourou&hellip; et de l&rsquo;autre l&rsquo;homme na&iuml;f, leur proie innocente (celui qui ignore le mal, qui est pur et sans malice). Les premiers sont narcissiques, ils veulent satisfaire leurs d&eacute;sirs et volontairement utilisent les moyens n&eacute;cessaires &agrave; cette satisfaction. De l&rsquo;autre l&rsquo;homme na&iuml;f, le quidam insouciant, se prom&egrave;ne dans la vie comme le Petit Chaperon rouge dans le bois.</p> <p class="texte" dir="ltr">&Eacute;videmment, le probl&egrave;me &eacute;tant ainsi pos&eacute;, chacun prendra la mesure du risque que court le second (l&rsquo;innocent sans malice) de tomber dans les griffes du premier (le malicieux, le malin). Il est une proie facile d&egrave;s qu&rsquo;il devient un &eacute;l&eacute;ment du d&eacute;sir de l&rsquo;autre, d&egrave;s que cet autre malicieux jette son d&eacute;volu sur lui.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce sch&eacute;ma, &agrave; la fois simple et fabuleux, a pour qualit&eacute; de constituer une trame commune, un sch&eacute;ma global commun &agrave; la fois &agrave; la fable du Petit Chaperon rouge et aux histoires de possessions&nbsp;; il se retrouve h&eacute;las aujourd&rsquo;hui pris au s&eacute;rieux notamment en ce qui concerne l&rsquo;influence des sectes comme il le fut autrefois avec les ph&eacute;nom&egrave;nes de possession et d&rsquo;hypnose.</p> <p class="texte" dir="ltr">Comment se prot&eacute;ger de l&rsquo;influence&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Si l&rsquo;on admet ce sch&eacute;ma, il devient aujourd&rsquo;hui n&eacute;cessaire de d&eacute;masquer ces dangereuses sources d&rsquo;influence (les diables ou les malins modernes) et de trouver des moyens de s&rsquo;en prot&eacute;ger. Comme le soutiennent Pech et Zagury (2002), il va donc falloir distinguer les influences l&eacute;gitimes des obscurs trafics d&rsquo;influence, il va falloir trier les bonnes et les mauvaises sources d&rsquo;influence, pour autoriser les bonnes et interdire les mauvaises.</p> <p class="texte" dir="ltr">Cette d&eacute;marche est non seulement d&eacute;licate mais elle est aussi particuli&egrave;rement dangereuse, et sans doute beaucoup plus que le danger qu&rsquo;elle se propose de combattre.</p> <p class="texte" dir="ltr">Demandons nous donc, comment, autrefois des protections sociales ont &eacute;t&eacute; &eacute;labor&eacute;es contre la si redoutable hypnose&nbsp;; retrouvons les proc&eacute;d&eacute;s qui ont permis &agrave; nos anc&ecirc;tres de lutter contre cette technique surpuissante afin de ne pas &ecirc;tre r&eacute;duits aujourd&rsquo;hui &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de marionnettes agit&eacute;es entre les mains des hypnotiseurs modernes malveillants.</p> <p class="texte" dir="ltr">Quelle d&eacute;ception&nbsp;!</p> <p class="texte" dir="ltr">Il n&rsquo;y a rien pour se prot&eacute;ger, aucun pr&eacute;servatif moral &agrave; l&rsquo;influence de l&rsquo;autre.</p> <p class="texte" dir="ltr">Mais alors comment avons-nous pu nous sortir de ces griffes si puissantes&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">La r&eacute;ponse est simple et elle a d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; donn&eacute;e par Malebranche au XVII<sup>e</sup> si&egrave;cle &agrave; propos des ph&eacute;nom&egrave;nes de possession et de sorcellerie&nbsp;: il n&rsquo;y a de griffes que pour ceux qui les craignent ou les imaginent, pas pour les autres&nbsp;: <em>&laquo;&nbsp;dans les lieux o&ugrave; l&rsquo;on br&ucirc;le les sorciers, on en trouve un grand nombre, parce que, dans les lieux o&ugrave; on les condamne au feu, on croit v&eacute;ritablement qu&rsquo;ils le sont, et cette croyance se fortifie par les discours qu&rsquo;on en tient. Que l&rsquo;on cesse de les punir et qu&rsquo;on les traite comme des fous&nbsp;; et l&rsquo;on verra qu&rsquo;avec le temps ils ne seront plus sorciers (&hellip;) en punissant indiff&eacute;remment tous ces criminels, la persuasion commune se fortifie, les sorciers par imagination se multiplient (&hellip;). C&rsquo;est donc avec raison que plusieurs parlements ne punissent point les sorciers&nbsp;; il s&rsquo;en trouve beaucoup moins dans les terres de leur ressort&nbsp;</em>&raquo;. (Malebranche, 1674, Livre deuxi&egrave;me, Chapitre dernier, p. 207-208).</p> <p class="texte" dir="ltr">Pour l&rsquo;hypnose &ndash;&nbsp;cette technique si puissante utilis&eacute;e par Broca pour des op&eacute;rations chirurgicales sans anesth&eacute;sie, utilis&eacute;e par Janet et Bernheim pour enlever des paralysies&hellip;, cet instrument irr&eacute;sistible&nbsp;&ndash; il en est comme de la possession, elle est avant tout la r&eacute;ponse d&rsquo;un individu &agrave; la demande d&rsquo;un autre et, dans cette r&eacute;ponse et cette demande, ce qui est d&eacute;terminant, c&rsquo;est la volont&eacute;, l&rsquo;acceptation, le d&eacute;sir&hellip; &agrave; la fois de l&rsquo;hypnotiseur et de l&rsquo;hypnotis&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">De ce point de vue, le parcours de Bernheim est exemplaire&nbsp;: avec l&rsquo;&eacute;cole de Nancy et comme beaucoup d&rsquo;autres, il soutint que tout homme &eacute;tait hypnotisable et que l&rsquo;hypnose &eacute;tait un &eacute;tat particulier pendant lequel les suggestions devenaient toutes puissantes, irr&eacute;sistibles (Bernheim, 1884). &Agrave; l&rsquo;inverse, vingt ans plus tard, il consid&eacute;rait que l&rsquo;hypnose n&rsquo;&eacute;tait pas un &eacute;tat favorisant les suggestions, mais qu&rsquo;au contraire, la suggestion, ce ph&eacute;nom&egrave;ne qu&rsquo;il consid&eacute;rait comme naturel et normal dans la vie sociale, pouvait produire l&rsquo;&eacute;tat hypnotique avec ses diverses caract&eacute;ristiques&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>il n&rsquo;y a pas d&rsquo;hypnotisme, il n&rsquo;y a que de la suggestion&nbsp;; c&rsquo;est-&agrave;-dire, il n&rsquo;y a pas un &eacute;tat sp&eacute;cial, artificiel, anormal ou hyst&eacute;rique qu&rsquo;on peut qualifier d&rsquo;hypnose&nbsp;; il n&rsquo;y a que des ph&eacute;nom&egrave;nes de suggestion exalt&eacute;e qu&rsquo;on peut produire dans le sommeil, naturel ou provoqu&eacute;. (&hellip;) celui-ci [l&rsquo;hypnotisme] lui-m&ecirc;me est un ph&eacute;nom&egrave;ne de suggestion qui peut aboutir ou non comme les autres actes sugg&eacute;r&eacute;s, mais il n&rsquo;est pas n&eacute;cessaire pour obtenir les autres ph&eacute;nom&egrave;nes</em>.&nbsp;&raquo; (Bernheim, 1911, p. 16).</p> <p class="texte" dir="ltr">Ainsi, l&rsquo;&eacute;trange, fascinante et surpuissante hypnose se ramenait &agrave; un simple artefact d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne normal, naturel, n&eacute;cessaire. La bulle se d&eacute;gonflait. L&rsquo;exceptionnel &eacute;tait le quotidien.</p> <p class="texte" dir="ltr">Voyons si nos dragons d&rsquo;aujourd&rsquo;hui (manipulation mentale, lavage de cerveaux&hellip;) sont si diff&eacute;rents de ces monstres maintenant d&eacute;suets et presque oubli&eacute;s.</p> <p class="texte" dir="ltr">La solution pr&eacute;conis&eacute;e par Malebranche consiste &agrave; se moquer de ceux qui croient &agrave; cette puissante invasion et la voient partout.</p> <p class="texte" dir="ltr">Contentons nous pour l&rsquo;instant d&rsquo;argumenter, tentons de r&eacute;tablir aujourd&rsquo;hui en psychologie sociale le chemin autrefois emprunt&eacute; par Bernheim et Delb&oelig;uf<a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Les rat&eacute;s du pros&eacute;lytisme</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces formes extr&ecirc;mes et caricaturales de l&rsquo;influence ont laiss&eacute; place &agrave; des formes d&rsquo;influence, plus discr&egrave;tes, plus simples qui sont admises, parfois enseign&eacute;es et r&eacute;guli&egrave;rement utilis&eacute;es dans la vente, le management, la s&eacute;duction&hellip; (Joule, Beauvois, 1998).</p> <p class="texte" dir="ltr">Derri&egrave;re ces nouvelles formes &eacute;dulcor&eacute;es de l&rsquo;influence on retrouve toujours le m&ecirc;me sch&eacute;ma et les m&ecirc;mes d&eacute;sirs&nbsp;: le d&eacute;sir de se rendre ma&icirc;tre de l&rsquo;autre par sa propre influence tout en se prot&eacute;geant de son influence. Le sous-titre du livre <em>Influence</em> de Robert Cialdini (1987) illustre parfaitement cette ambition&nbsp;: <em>Soyez celui qui persuade. Ne soyez pas celui qu&rsquo;on manipule</em>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ainsi, ce qu&rsquo;on fit autrefois avec l&rsquo;hypnose ou la soumission &agrave; l&rsquo;autorit&eacute; se fait aujourd&rsquo;hui avec les ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;engagement ou de dissonance&nbsp;: &agrave; l&rsquo;instar de Cialdini, des sp&eacute;cialistes tentent de &laquo;&nbsp;monter en &eacute;pingle&nbsp;&raquo; de petits ph&eacute;nom&egrave;nes exp&eacute;rimentaux pour en faire l&rsquo;alpha et l&rsquo;om&eacute;ga des relations sociales.</p> <p class="texte" dir="ltr">Cette extrapolation de r&eacute;sultats exp&eacute;rimentaux est pratique courante, elle permet de montrer la port&eacute;e des recherches r&eacute;alis&eacute;es et de leur trouver des champs d&rsquo;applications. H&eacute;las, dans le cas pr&eacute;sent, il existe aussi un danger tr&egrave;s important&nbsp;: celui de donner une caution scientifique &agrave; ceux qui croient &agrave; la possibilit&eacute; d&rsquo;une puissante influence des sectes ou &agrave; ceux qui veulent agir contre ces influences mena&ccedil;antes (&eacute;dicter des lois, interdire des associations&hellip;).</p> <p class="texte" dir="ltr">En effet, si des travaux scientifiques soutiennent l&rsquo;id&eacute;e que par l&rsquo;utilisation de quelques techniques psychologiques, on peut, &agrave; volont&eacute;, orienter les attitudes d&rsquo;un individu, il est logique de penser que, gr&acirc;ce &agrave; ces techniques, des groupes mal intentionn&eacute;s pourraient avoir une influence<a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a>. Comme le d&eacute;nonce r&eacute;guli&egrave;rement la presse, dans les cas les plus graves ils pourraient pousser les individus &agrave; abandonner leur famille, &agrave; donner leurs biens &agrave; la secte, &agrave; commettre des crimes qui leur sont command&eacute;s (donner une &eacute;ducation d&eacute;voy&eacute;e &agrave; leurs enfants&nbsp;; s&rsquo;adonner &agrave; des pratiques sexuelles d&eacute;viantes&hellip;), se laisser mourir faute de soins ou m&ecirc;me &agrave; se suicider.</p> <p class="texte" dir="ltr">On le voit, les effets ne sont pas t&eacute;nus&nbsp;!</p> <p class="texte" dir="ltr">Comment tout cela est-il possible&nbsp;? Quel danger courrons-nous&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Les m&eacute;canismes de la dissonance cognitive dans une secte</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;une des recherches sur les ph&eacute;nom&egrave;nes sectaires les plus connue en psychologie sociale est la fameuse &eacute;tude r&eacute;alis&eacute;e par Festinger, Riecken et Schachter (1956) &agrave; propos d&rsquo;un groupe apocalyptique et proph&eacute;tique r&eacute;uni autour de Mrs Kee.</p> <p class="texte" dir="ltr">Mrs Kee avait annonc&eacute; la fin du monde et un groupe de croyants se pr&eacute;parait, avec elle, &agrave; cet &eacute;v&egrave;nement. &Eacute;videmment, la fin du monde ne vint pas &agrave; l&rsquo;heure dite. Une des principales pr&eacute;dictions de Mrs Kee fut donc d&eacute;mentie par les faits et chaque croyant fut t&eacute;moin de cet &eacute;chec &eacute;vident.</p> <p class="texte" dir="ltr">Or, Festinger et coll. (1956) observ&egrave;rent que les croyants r&eacute;unis autour de Mrs Kee ne quitt&egrave;rent pas la secte apr&egrave;s cette fausse pr&eacute;diction de leur gourou. Bien au contraire, leur croyance fut renforc&eacute;e. Ces individus furent plus soud&eacute;s, plus radicaux et plus engag&eacute;s dans leur croyance commune qu&rsquo;ils ne l&rsquo;&eacute;taient avant l&rsquo;&eacute;chec de la proph&eacute;tie.</p> <p class="texte" dir="ltr">Nombre d&rsquo;exp&eacute;riences sur la dissonance montrent ces effets. Mais de quels effets s&rsquo;agit-il au juste&nbsp;? Peut-on expliquer par l&agrave; qu&rsquo;une secte puisse recruter de nouveaux membres&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Cette analyse de terrain conduite par Festinger et coll. (1956) ne montre pas l&rsquo;efficacit&eacute; de la dissonance dans une d&eacute;marche de pros&eacute;lytisme. Au contraire, au fur et &agrave; mesure que le groupe sectaire se trouve engag&eacute; dans sa voie originale, il se coupe des autres, il s&rsquo;&eacute;loigne du reste du monde.</p> <p class="texte" dir="ltr">Sch&eacute;matiquement, l&rsquo;&eacute;tude de Festinger et coll. (1956) montre la cr&eacute;ation d&rsquo;un groupuscule isol&eacute; dont les membres se r&eacute;v&egrave;lent &ecirc;tre de plus en plus engag&eacute;s, de plus en plus proches les uns des autres, mais de moins en moins nombreux et de plus en plus loin des autres. Dans ce cas, la dissonance montre donc la d&eacute;viation de plus en plus grande de quelques individus de moins en moins nombreux au fil du temps.</p> <p class="texte" dir="ltr">Notons aussi que tout cela fonctionne si et seulement s&rsquo;il y a d&rsquo;abord une acceptation. Il faut au pr&eacute;alable que l&rsquo;individu ait rejoint Mrs Kee pour prier avec elle en attendant la fin du monde. Si cette premi&egrave;re condition est remplie, alors les mauvaises proph&eacute;ties de Mrs Kee pourront &eacute;ventuellement affermir les convictions de ces individus d&eacute;j&agrave; convaincus. Mais, h&eacute;las pour le pros&eacute;lytisme, chaque nouvelle mauvaise proph&eacute;tie rendra cette secte plus ridicule et plus isol&eacute;e pour l&rsquo;ensemble du reste de la soci&eacute;t&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire pour tous ceux qui ne sont pas convaincus avant la mauvaise proph&eacute;tie.</p> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est donc un double effet qu&rsquo;on observe&nbsp;: les proph&eacute;ties erron&eacute;es rendent de plus en plus convaincus ceux qui le sont d&eacute;j&agrave;, mais elles rendent encore plus sceptiques ceux qui ne le sont pas.</p> <p class="texte" dir="ltr">Les faits tels que ceux rapport&eacute;s par Festinger et coll. (1956) sont en d&eacute;finitive assez courants en ce qui concerne la vie des sectes. Par exemple, pour les &eacute;lections l&eacute;gislatives Japonaises de f&eacute;vrier 1990, le gourou de la secte Aum avait pr&eacute;dit sa victoire &eacute;lectorale. &Eacute;videmment, il &eacute;choua comme tous les autres membres de cette secte s&rsquo;&eacute;tant pr&eacute;sent&eacute;s. Cet &eacute;chec eut comme premi&egrave;re cons&eacute;quence de faire baisser le nombre de nouvelles recrues (Courrier international N&deg;523, du 9 novembre 2000, p. 55). Par contre, on peut supposer que, comme dans le cas &eacute;tudi&eacute; par Festinger et coll. (1956), les adeptes d&eacute;j&agrave; engag&eacute;s dans la secte ont vu leur ferveur augment&eacute;e.</p> <p class="texte" dir="ltr">Or, peu de temps apr&egrave;s cet &eacute;chec, le gourou fit une nouvelle proph&eacute;tie&nbsp;: une com&egrave;te allait entrer en collision avec la terre et le Japon serait totalement d&eacute;truit. Il rassembla ses fid&egrave;les sur une &icirc;le devant &eacute;chapper au d&eacute;sastre et organisa des s&eacute;minaires sur ses proph&eacute;ties. Avec cette succession de proph&eacute;ties erron&eacute;es, on voit assez clairement la logique prise par la secte&nbsp;: elle se coupe de ceux qui n&rsquo;en font pas partie, perd sans doute quelques-uns de ses membres, mais radicalise ceux qui lui restent fid&egrave;les. C&rsquo;est une logique de diff&eacute;renciation par rapport &agrave; autrui et de repli-renfermement sur soi, c&rsquo;est la cl&ocirc;ture, la fermeture conduisant &agrave; une extr&eacute;misation et une radicalisation du groupe.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il y a deux aspects int&eacute;ressants&nbsp;: d&rsquo;une part les fid&egrave;les engag&eacute;s sont de plus en plus engag&eacute;s, de plus en plus pris dans cet univers clos, mais d&rsquo;autre part, il y a de moins en moins de fid&egrave;les. Ce processus, bien qu&rsquo;&eacute;blouissant, marque en fait la fin de l&rsquo;insertion sociale de la secte et donc la fin de son influence sur les individus qui n&rsquo;appartiennent pas &agrave; cette secte. La logique de la dissonance ne conduit dans ce cas qu&rsquo;&agrave; la survie momentan&eacute;e d&rsquo;un groupuscule se d&eacute;solidarisant du reste de la soci&eacute;t&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;utilisation des techniques d&rsquo;engagement</p> <p class="texte" dir="ltr">Pourtant, ce qui est sans doute le plus craint des sectes, c&rsquo;est leur pros&eacute;lytisme potentiel, le risque qu&rsquo;elles recrutent de nouveaux adeptes. Comme on le voit, ce n&rsquo;est pas avec le m&eacute;canisme de la dissonance cognitive tel qu&rsquo;il a &eacute;t&eacute; appr&eacute;hend&eacute; par Festinger et coll. (1956) que cela est possible.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il existe cependant d&rsquo;autres techniques que les membres des sectes utilisent (ou peuvent utiliser) sur des individus ext&eacute;rieurs &agrave; leur communaut&eacute;. Ce faisant, orientant une action, une technique vers l&rsquo;ext&eacute;rieur, on peut alors effectivement craindre leur pros&eacute;lytisme.</p> <p class="texte" dir="ltr">Lorsque les premiers groupes de disciples de Krishna firent des qu&ecirc;tes dans les rues de villes am&eacute;ricaines, ils n&rsquo;obtinrent que tr&egrave;s peu de dons. Leurs cr&acirc;nes ras&eacute;s, leurs longues robes, leurs &eacute;tranges danses&hellip; suscitaient la m&eacute;fiance et les gens les &eacute;vitaient. C&rsquo;est alors qu&rsquo;ils eurent recours aux techniques d&rsquo;engagement&nbsp;: les disciples de Krishna, plut&ocirc;t que de solliciter un don, commenc&egrave;rent &agrave; donner eux-m&ecirc;me quelque chose aux gens qu&rsquo;ils croisaient (un livre, une fleur&hellip;), leur affirmant qu&rsquo;il s&rsquo;agissait l&agrave; d&rsquo;un cadeau. Ce faisant, ils pla&ccedil;aient volontairement le sujet dans une position de d&eacute;biteur, ce qui l&rsquo;obligeait (pour des raisons de r&eacute;ciprocit&eacute;s des &eacute;changes) &agrave; rendre quelque chose en &eacute;change du cadeau (Cialdini, 1987, p. 29-30).</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces petites techniques d&rsquo;engagement gr&acirc;ce auxquelles un individu peut &ecirc;tre manipul&eacute; ont souvent &eacute;t&eacute; d&eacute;crites en psychologie sociale comme tr&egrave;s efficaces (Cialdini, 1987). Il y a tout d&rsquo;abord une sorte d&rsquo;amor&ccedil;age pour cr&eacute;er artificiellement une relation &agrave; l&rsquo;autre (par exemple, lui donner une fleur, un livre&hellip;&nbsp;; lui demander un renseignement&hellip;&nbsp;; exiger de lui quelque chose de consid&eacute;rable&hellip;). Ensuite, sur la base de ce d&eacute;but de relation, le manipulateur oriente la r&eacute;ponse du sujet tout en laissant toujours &agrave; ce dernier l&rsquo;impression qu&rsquo;il agit en totale libert&eacute;&nbsp;: si le manipulateur lui a donn&eacute; un livre, il peut proposer en contrepartie du livre donn&eacute; que le sujet fasse un don (contre don dans ce cas)&nbsp;; si le manipulateur lui a demand&eacute; quelque chose de consid&eacute;rable, il peut ensuite diminuer ses exigences, donnant l&rsquo;impression de faire un pas, de faire des concessions. Ceci peut amener le sujet &agrave; faire de m&ecirc;me et &agrave; accepter lui aussi de faire un pas en acceptant une demande plus faible.</p> <p class="texte" dir="ltr">Globalement, ces techniques sont bas&eacute;es sur la r&eacute;ciprocit&eacute; (Cialdini, 1987) et on y retrouve les logiques de l&rsquo;&eacute;change ou du don analys&eacute;es autrefois par Mauss (1923).</p> <p class="texte" dir="ltr">Notons ici que pour Mauss (1923, p. 199), le don n&rsquo;est pas un artefact, mais une condition n&eacute;cessaire du fonctionnement social. D&rsquo;une part, les &eacute;changent lient plus ou moins durablement des clans, des tribus ou des familles&nbsp;: plut&ocirc;t que de s&#39;entre d&eacute;chirer, de se d&eacute;cimer les uns les autres, ils &eacute;changent, se lient entre eux. D&rsquo;autre part, le don a une fonction &eacute;conomique&nbsp;: il permet le cr&eacute;dit, il est beaucoup plus &eacute;labor&eacute; que le troc qui n&eacute;cessite l&#39;&eacute;change imm&eacute;diat et simultan&eacute; de biens. Le don permet de mettre du temps entre le moment o&ugrave; l&#39;on donne et celui ou l&#39;on rend. Dans certains cas, ce temps est une condition de survie des groupes. C&rsquo;est ce que d&eacute;crit bien la fiction de Montesquieu &agrave; propos de m&eacute;chants Troglodytes qui refusant, le don et l&rsquo;&eacute;change, ne peuvent survivre (Montesquieu, <em>Lettres persanes</em>, Lettre XI. Usbek &agrave; Mirza, &agrave; Ispahan).</p> <p class="texte" dir="ltr">Mais, admettons que ce qui est normal et n&eacute;cessaire chez le primitif puisse &ecirc;tre perverti et avoir de graves cons&eacute;quences aujourd&rsquo;hui. Quel est le danger&nbsp;? Le danger v&eacute;ritable ne vient pas de l&rsquo;utilisation isol&eacute;e d&rsquo;une de ces techniques. D&rsquo;ailleurs dans les exemples donn&eacute;s par Cialdini (1987), l&rsquo;utilisation de celles-ci a pour fonction non de recruter de nouveaux membres mais de r&eacute;colter des dons pour la secte.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le danger viendrait d&rsquo;une utilisation en cha&icirc;ne de ces techniques. Chaque acte d&rsquo;engagement produirait ses petits effets, mais, comme on le sait, c&rsquo;est en ajoutant de modestes petites pierres les unes aux autres qu&rsquo;on peut b&acirc;tir des cath&eacute;drales. C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;est sans doute n&eacute;e l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une cascade d&rsquo;engagements&nbsp;: des individus acceptant d&rsquo;abord une toute petite chose, puis une moyenne, puis une un peu plus grande&hellip; jusqu&rsquo;&agrave; tout accepter.</p> <p class="texte" dir="ltr">La technique est simple, le manipulateur demande de plus en plus, et, plus l&rsquo;individu a accord&eacute;, plus il sera pr&ecirc;t &agrave; donner pour se montrer congruent avec ce qu&rsquo;il a d&eacute;j&agrave; accord&eacute;. C&rsquo;est apparemment imparable&nbsp;!</p> <p class="texte" dir="ltr">Voyons sur le long terme ce qu&rsquo;il se passe en r&eacute;alit&eacute;. Barker (1983) a &eacute;tudi&eacute; l&rsquo;efficacit&eacute; des techniques utilis&eacute;es par les moonistes sur le long terme.</p> <p class="texte" dir="ltr">Des membres de la secte demandent tout d&rsquo;abord &agrave; des individus pris au hasard des rencontres, s&rsquo;ils accepteraient de visiter leur site.</p> <p class="texte" dir="ltr">Aux individus qui acceptent (1<sup>er</sup> acte engageant), et qui viennent le visiter (2<sup>i&egrave;me</sup> acte engageant), les membres de la secte proposent ensuite de participer &agrave; un s&eacute;minaire de deux jours. Ceux qui viennent (3<sup>i&egrave;me</sup> acte engageant) &agrave; ce s&eacute;minaire se voient proposer un nouveau s&eacute;minaire d&rsquo;une semaine (4<sup>i&egrave;me</sup> acte engageant)&hellip; puis un s&eacute;minaire de 21 jours (n<sup>i&egrave;me</sup> acte engageant), puis une demande d&rsquo;adh&eacute;sion &agrave; la secte (le but de la s&eacute;rie d&rsquo;actes engageants&nbsp;!).</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce sch&eacute;ma est bien celui de la cascade d&rsquo;engagements, les engagements sont de plus en plus grands et, &agrave; la fin, il y a l&rsquo;adh&eacute;sion.</p> <p class="texte" dir="ltr" style="text-align: center;"><img alt="Image1" src="https://numerev.com/images/cpp/docannexe/image/1342/img-1.jpg" style="width:6.3327inch;height:3.2398inch;margin-left:0.0in;margin-right:0.0in;margin-top:0mm;margin-bottom:0mm;padding-top:0.0602in;padding-bottom:0.0602in;padding-left:0.1102in;padding-right:0.1102in;border:none" /></p> <p class="texte" dir="ltr"><a id="Image17Cgraphics"></a>Quatre personnes sur 100 qui ont accept&eacute; de visiter le site et qui se sont pr&eacute;sent&eacute;es &agrave; cette visite sont encore pr&eacute;sentes 4 ans plus tard. &Ccedil;a n&rsquo;est donc pas tr&egrave;s efficace.</p> <p class="texte" dir="ltr">Mais ce chiffre est encore bien trop important. Il faut en effet se demander avec combien d&rsquo;individus les membres de la secte ont d&ucirc; discuter pour que 1017 personnes finissent par venir visiter le site. Peut-&ecirc;tre 10.000&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">&Agrave; la lumi&egrave;re de ces chiffres on peut se demander &agrave; quoi rime l&rsquo;utilisation de cette technique. En effet, si le b&eacute;n&eacute;fice en termes de recrutement est infime, la masse de travail demand&eacute; aux membres de la secte est consid&eacute;rable&nbsp;: contacter des milliers d&rsquo;individus, discuter avec chacun d&rsquo;eux, leur demander de visiter un site, de participer &agrave; des s&eacute;minaires, de devenir adh&eacute;rent, d&rsquo;organiser ces s&eacute;minaires&hellip;</p> <p class="texte" dir="ltr">Il est &eacute;videmment difficile de calculer un rapport co&ucirc;t/b&eacute;n&eacute;fice, mais si le seul b&eacute;n&eacute;fice tient dans le recrutement de nouveaux membres, il est d&eacute;risoire.</p> <p class="texte" dir="ltr">Par contre, si on regarde l&rsquo;utilisation de cette technique sous l&rsquo;angle de la dissonance telle que l&rsquo;ont analys&eacute;e Festinger et coll. (1956), on trouve une autre r&eacute;ponse&nbsp;: par ce lourd travail, les membres de la secte seraient de plus en plus convaincus et de plus en plus engag&eacute;s dans leur croyance. Ils le seraient m&ecirc;me de plus en plus &agrave; chaque fois qu&rsquo;ils &eacute;choueraient &agrave; convaincre un individu (Beauvois, Ghiglione et Joul&eacute;, 1976). Ainsi, les rat&eacute;s de la cascade d&rsquo;engagements pour recruter de nouveaux membres permettraient aux membres d&eacute;j&agrave; convaincus de rester, de s&rsquo;accrocher &agrave; leur secte et &agrave; leur croyance.</p> <p class="texte" dir="ltr">La fameuse exp&eacute;rience sur la dissonance r&eacute;alis&eacute;e par Festinger et Carlsmith (1959) ou celles r&eacute;alis&eacute;es par Nuttin (1972) sur le <em>r&ocirc;le playing</em>, ne montrent pas autre chose&nbsp;: un individu pay&eacute; pour soutenir une position oppos&eacute;e &agrave; la sienne afin de convaincre un autre individu a, apr&egrave;s cet exercice, chang&eacute; d&rsquo;opinion en se rapprochant de l&rsquo;opinion qu&rsquo;on lui a demand&eacute; de soutenir (cf. aussi Janis, Mann, 1965 et Mann, Janis, 1968).</p> <p class="texte" dir="ltr">Il y a finalement une morale &agrave; ces histoires de manipulateurs et de manipul&eacute;s. Elle est bien connue&nbsp;: <em>tel est pris qui croyait prendr</em>e. Ou, pour adapter cette maxime &agrave; notre cas&nbsp;: <em>ceux qui veulent convaincre les autres finissent par se convaincre eux-m&ecirc;mes</em>.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;auto-conversion</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;influence&nbsp;: un processus sym&eacute;trique</p> <p class="texte" dir="ltr">Fondamentalement ces techniques d&rsquo;engagements reposent sur une s&eacute;rie d&rsquo;asym&eacute;tries relatives &agrave; la situation, aux acteurs, aux intentions, aux d&eacute;cisions&hellip; (Cialdini, 1987, p. 35).</p> <p class="texte" dir="ltr">Dans le cas de la technique d&rsquo;engagement utilis&eacute;e par les disciples de Krishna, c&rsquo;est le disciple et lui seul qui a une intention, un objectif, c&rsquo;est lui seul qui d&eacute;cide d&rsquo;aborder telle personne, c&rsquo;est lui seul qui d&eacute;cide de lui donner quelque chose, c&rsquo;est lui seul qui propose ce que la personne peut rendre en &eacute;change&hellip;</p> <p class="texte" dir="ltr">En fait, ici l&rsquo;interaction sociale se d&eacute;roule dans un cadre donn&eacute; &agrave; l&rsquo;avance et suivant un sc&eacute;nario pr&eacute;par&eacute; par le manipulateur. Les individus manipulateurs y sont d&eacute;crits comme l&rsquo;est J.R. Ewing dans la fameuse s&eacute;rie Dallas&nbsp;: sa vie ressemble &agrave; un jeu d&rsquo;&eacute;chec o&ugrave; tout est calcul&eacute;, sa psychologie est une rationalit&eacute; calculatrice o&ugrave; la r&eacute;alisation des int&eacute;r&ecirc;ts personnels constitue la seule motivation.</p> <p class="texte" dir="ltr">On est l&agrave; dans une situation o&ugrave;, comme le d&eacute;crit Moscovici &agrave; propos des mod&egrave;les fonctionnalistes de l&rsquo;influence, les syst&egrave;mes sociaux et le milieu, sont &laquo;&nbsp;<em>des donn&eacute;es pr&eacute;d&eacute;termin&eacute;es pour l&#39;individu ou le groupe. Ils fournissent &agrave; chacun, avant l&#39;interaction sociale, un r&ocirc;le, un statut et des ressources psychologiques.&nbsp;</em>&raquo; (Moscovici, 1979, p. 12).</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces r&ocirc;les et ces statuts sont, dans la situation d&rsquo;application d&rsquo;une technique d&rsquo;engagement, clairement distribu&eacute;s avant l&rsquo;interaction. Ils opposent une source et une cible, la cible &eacute;tant le r&eacute;ceptacle passif de l&rsquo;influence de la source qui, elle, ma&icirc;trise tout.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce sch&eacute;ma des rapports sociaux et de l&rsquo;homme qui est mis en &oelig;uvre dans les techniques d&rsquo;engagement pose probl&egrave;me quant &agrave; sa validit&eacute;, quant &agrave; sa qualit&eacute; &agrave; rendre compte de la r&eacute;alit&eacute; quotidienne des rapports sociaux&nbsp;: s&rsquo;agit-il l&agrave; d&rsquo;un cas particulier, anormal, &eacute;trange, extraordinaire du fonctionnement social ou s&rsquo;agit-il d&rsquo;un cas normal, courant, fondamental des rapports sociaux&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Une simple extrapolation de ce rapport social asym&eacute;trique et dualiste de l&rsquo;homme (d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; les manipulateurs, ceux qui ont une intention, des objectifs, une volont&eacute;&hellip; et de l&rsquo;autre les manipul&eacute;s, des hommes passifs sans volont&eacute; propre, &ldquo;t&eacute;l&eacute;guid&eacute;s&rdquo; par leur manipulateur) aboutit in&eacute;vitablement &agrave; la description d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; tyrannique (Roustang, 1990, p. 152-153) comme l&rsquo;est la horde primitive d&eacute;crite par Freud (1921).</p> <p class="texte" dir="ltr">Les soci&eacute;t&eacute;s tyranniques existent et les groupes sectaires en constituent souvent des exemples frappants. Donc, ce sch&eacute;ma des rapports sociaux asym&eacute;triques a bien un cadre de validit&eacute; (un cadre durable puisque certaines soci&eacute;t&eacute;s de cette forme sont parfois particuli&egrave;rement r&eacute;sistantes), mais hors de ce cadre, il ne d&eacute;crit que des situations exceptionnelles et &eacute;ph&eacute;m&egrave;res. Les soci&eacute;t&eacute;s d&eacute;mocratiques, ouvertes ne sont pas fond&eacute;es sur un tel sch&eacute;ma. C&rsquo;est ainsi que Moscovici (1979), s&rsquo;opposant au mod&egrave;le fonctionnaliste de l&rsquo;influence, proposera un mod&egrave;le, le mod&egrave;le g&eacute;n&eacute;tique, dans lequel la relation d&rsquo;influence est fondamentalement sym&eacute;trique.</p> <p class="texte" dir="ltr">En d&eacute;finitive, le n&oelig;ud du probl&egrave;me th&eacute;orique qui nous occupe se trouve dans l&rsquo;interaction lors de la situation d&rsquo;influence. Que se passe-t-il &agrave; ce moment-l&agrave; du point de vue de l&rsquo;influence&nbsp;? Y a-t-il autre chose que l&rsquo;application de la volont&eacute; de la source, qu&rsquo;une influence de la source sur la cible&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">En effet, si lors de la situation d&rsquo;influence les effets ne se trouvent que sur la cible, le rapport d&rsquo;influence est donc fondamentalement asym&eacute;trique. Si, au contraire on retrouve des effets sur la source, le rapport d&rsquo;influence est fondamentalement sym&eacute;trique.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le mystificateur mystifi&eacute; ou le comp&egrave;re influenc&eacute;</p> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est en montrant qu&rsquo;une source peut &ecirc;tre influenc&eacute;e par une cible ou &ecirc;tre influenc&eacute;e par elle-m&ecirc;me lorsqu&rsquo;elle tente d&rsquo;influencer une cible que la mod&egrave;le g&eacute;n&eacute;tique de l&rsquo;influence trouverait son meilleur argument contre le mod&egrave;le fonctionnaliste. En effet, pour r&eacute;futer le mod&egrave;le fonctionnaliste, le mod&egrave;le g&eacute;n&eacute;tique s&rsquo;est jusque-l&agrave; appuy&eacute; sur une s&eacute;rie d&rsquo;exp&eacute;riences et sur des analyses de faits historiques ou sociologiques montrant qu&rsquo;une minorit&eacute; pouvait avoir une influence. Cependant, ce mod&egrave;le postule aussi que l&rsquo;influence est quelque chose de sym&eacute;trique et il rejette le dualisme source/cible. Pourtant, dans les exp&eacute;riences r&eacute;alis&eacute;es jusque-l&agrave;, rien ne vient prouver ces importantes hypoth&egrave;ses.</p> <p class="texte" dir="ltr">D&rsquo;un point de vue exp&eacute;rimental, peu d&rsquo;&eacute;tudes se sont int&eacute;ress&eacute;es &agrave; ce ph&eacute;nom&egrave;ne de la source influenc&eacute;e ou du manipulateur manipul&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Souvent dans les &eacute;tudes exp&eacute;rimentales sur l&rsquo;influence sociale, un comp&egrave;re est utilis&eacute; par l&rsquo;exp&eacute;rimentateur. &Agrave; la demande de l&rsquo;exp&eacute;rimentateur, le comp&egrave;re doit affirmer telle position, doit donner telle r&eacute;ponse, doit adopter telle attitude&hellip; Et dans ce cas, ce qui est le plus souvent &eacute;tudi&eacute;, ce sont les effets que ce comp&egrave;re produit sur les sujets na&iuml;fs auxquels il est confront&eacute;. Il est consid&eacute;r&eacute; comme la source d&rsquo;influence (l&rsquo;&eacute;metteur) et le sujet na&iuml;f est la cible d&rsquo;influence (le r&eacute;cepteur).</p> <p class="texte" dir="ltr">Pourtant, lorsqu&rsquo;on interroge ces comp&egrave;res, on est parfois surpris. Le cas le plus &eacute;tonnant est sans doute celui de ces comp&egrave;res qui devant donner une r&eacute;ponse fausse &agrave; la demande de l&rsquo;exp&eacute;rimentateur afin d&rsquo;influencer un sujet na&iuml;f, ont fini par &ecirc;tre influenc&eacute; par cette r&eacute;ponse dont ils savaient pourtant qu&rsquo;elle &eacute;tait fausse<a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces comp&egrave;res &eacute;taient en g&eacute;n&eacute;ral pay&eacute;s pour, des journ&eacute;es durant, r&eacute;pondre &laquo;&nbsp;vert&nbsp;&raquo; quand l&rsquo;exp&eacute;rimentateur affichait sur un &eacute;cran une diapositive objectivement bleue. Ils avaient pour mission d&rsquo;influencer des sujets na&iuml;fs plac&eacute;s &agrave; leur c&ocirc;t&eacute; le temps d&rsquo;une exp&eacute;rience. Ces comp&egrave;res savaient que la diapositive projet&eacute;e &eacute;tait bleue et, en outre, ils connaissaient bien ces exp&eacute;riences sur l&rsquo;influence des minorit&eacute;s puisqu&rsquo;ils &eacute;taient recrut&eacute;s parmi les &eacute;tudiants en DEA ou en th&egrave;se &agrave; l&rsquo;EHESS o&ugrave; ils baignaient avec d&rsquo;autres qui faisaient leur th&egrave;se de doctorat sur ces ph&eacute;nom&egrave;nes.</p> <p class="texte" dir="ltr">Or, ce que nous apprennent ces comp&egrave;res, c&rsquo;est qu&rsquo;au bout d&rsquo;un moment, ils finissaient par voir la diapositive de la couleur dont ils &eacute;taient charg&eacute;s de la d&eacute;signer aux sujets na&iuml;fs&nbsp;: au d&eacute;but ils la voyaient bleue, mais ensuite, ils finissaient par la voir verte&nbsp;!</p> <p class="texte" dir="ltr">Une r&eacute;cente &eacute;tude exp&eacute;rimentale reprenant ce paradigme et s&rsquo;attachant &agrave; mesurer les changements perceptifs chez les comp&egrave;res montre en effet qu&rsquo;ils sont bien influenc&eacute;s par la position qu&rsquo;ils tentent de diffuser (Laurens et Moscovici, 2004).</p> <p class="texte" dir="ltr">On prend ici la mesure de la puissance de ce m&eacute;canisme d&rsquo;auto-conversion puisque ici les changements se produisent dans le domaine du perceptif et pas seulement des opinions et qu&rsquo;en plus il affecte des sujets qui savent avec certitude que la diapositive est bleu et non verte.</p> <p class="texte" dir="ltr">De tels effets d&rsquo;influence et d&rsquo;auto-influence obligent donc &agrave; rejeter le mod&egrave;le des relations sociales dualistes et asym&eacute;triques propos&eacute; par les tenants de la manipulation mentale.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;L&rsquo;expression utilis&eacute;e par Tarde est qu&rsquo;il faut regarder <em>&laquo;&nbsp;l&rsquo;homme social comme un v&eacute;ritable somnambule&nbsp;&raquo;</em>. Mais dans les r&eacute;&eacute;ditions de son livre les lois de l&rsquo;imitation, Tarde ajoutera cette note &agrave; propos du somnambulisme. <em>&laquo;&nbsp;Cette expression d&eacute;mod&eacute;e montre qu&rsquo;au moment o&ugrave; j&rsquo;ai pour la premi&egrave;re fois publi&eacute; ce passage, le mot hypnotisme ne s&rsquo;&eacute;tait pas encore substitu&eacute; &agrave; celui de somnambulisme.&nbsp;&raquo;</em> (Tarde, 1890, note 3, p. 82)</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> &nbsp;Ainsi, au moment de l&rsquo;apog&eacute;e de l&rsquo;hypnose, quelques philosophes comme Joseph Delb&oelig;uf, rejetaient cette conception asym&eacute;trique du rapport hypnotique et s&rsquo;opposaient donc &agrave; cette volont&eacute; d&rsquo;appropriation par certains de la pratique de l&rsquo;hypnose. Le point de d&eacute;part de la critique de Delb&oelig;uf est le suivant&nbsp;: la puissance du rapport hypnotique n&rsquo;est pas dans l&rsquo;hypnotiseur, mais dans l&rsquo;hypnotis&eacute;. En inversant les d&eacute;terminants de l&rsquo;explication du rapport hypnotique, Delb&oelig;uf montre d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; la complexit&eacute; d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne qui ne se laisse pas facilement r&eacute;duire et montre en m&ecirc;me temps que l&rsquo;explication dominante qui pousse &agrave; l&rsquo;interdiction de l&rsquo;utilisation de l&rsquo;hypnose par les non-m&eacute;decins n&rsquo;a d&rsquo;autres bases qu&rsquo;une id&eacute;ologie relative &agrave; la notion l&rsquo;influence. Le dualisme hypnotiseur/hypnotis&eacute;, ce mod&egrave;le du rapport social se retrouve dans la volont&eacute; de certains de r&eacute;server l&rsquo;utilisation de l&rsquo;hypnose aux seuls m&eacute;decins affirmant ainsi de nouvelles dualit&eacute;s&nbsp;: savant/profane, moral/amoral&hellip; (cf le d&eacute;bat entre Delb&oelig;uf 1889 et Ladame 1889 ainsi que l&rsquo;analyse de Duyck&aelig;rts, 1992, &agrave; propos de la position de Delb&oelig;uf). Sur la base de cette conception du rapport hypnotique, on arrive, par extrapolation de ce rapport dualiste, &agrave; une conception des rapports sociaux et &agrave; l&rsquo;affirmation d&rsquo;un mode de gouvernement&nbsp;: la tyrannie.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> &nbsp;Or, comme c&rsquo;est soulign&eacute; dans le rapport pr&eacute;sent&eacute; par Mme la d&eacute;put&eacute;e Catherine Picard &agrave; l&rsquo;assembl&eacute;e nationale le 20 juin 2000, le probl&egrave;me est d&#39;autant plus grave que <em>&laquo;&nbsp;les instruments dont disposent les manipulateurs sont aujourd&#39;hui sans commune mesure avec ceux des d&eacute;cennies pass&eacute;es&nbsp;&raquo;</em>. Cette id&eacute;e est centrale dans l&rsquo;argumentation avanc&eacute;e par l&rsquo;UNADFI (Union nationale des associations de d&eacute;fense des familles et des individus). Pourtant, &agrave; la lecture de cette analyse du ph&eacute;nom&egrave;ne sectaire (cf. Le Ph&eacute;nom&egrave;ne Sectaire&nbsp;: <a href="http://www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm">www.unadfi.org/sectes/manipulation.htm</a>), on doit bien avouer qu&rsquo;on ne trouve rien de plus, rien de sp&eacute;cifique, que ce qui est habituellement utilis&eacute; dans les groupes ou les soci&eacute;t&eacute;s non sectaires. C&rsquo;est principalement pour cette raison que la plupart des groupes religieux se sont oppos&eacute;s &agrave; ce projet de loi, le jugeant liberticide (cf. <a href="http://www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm">www.mpe-poc.org/loiantisecte.htm</a>&nbsp;; <a href="http://www.cfjd.org/cupboard/analyses/dossier_sectes_1.htm">www.cfjd.org/cupboard/analyses/dossier_sectes_1.htm</a>).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> &nbsp;Signalons aussi qu&rsquo;Alaphilippe (1986, 1990) dans une exp&eacute;rience portant sur l&rsquo;estimation du nombre de points pr&eacute;sents sur une planche montrait aussi que le comp&egrave;re &eacute;tait influenc&eacute; par la r&eacute;ponse fausse qu&rsquo;il tenait de l&rsquo;exp&eacute;rimentateur et qu&rsquo;il devait donner au sujet na&iuml;f. D&rsquo;apr&egrave;s Alaphilippe (1990), tout se passe comme si le comp&egrave;re &eacute;tant influenc&eacute; par l&rsquo;exp&eacute;rimentateur influen&ccedil;ait le sujet na&iuml;f qui, par ses r&eacute;ponses influenc&eacute;es par le truchement du comp&egrave;re, venaient en retour influencer le comp&egrave;re.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Alaphilippe (Daniel), 1984.&mdash; L&rsquo;imposteur auto-mystifi&eacute;, <em>Bulletin de Psychologie</em> <em>, 374,</em> 191-196.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Alaphilippe (Daniel), 1990.&mdash; Strat&eacute;gie cognitive et persuasion, <em>L&rsquo;Ann&eacute;e Psychologique,</em> <em>90</em>, 231-245.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Barker (Eileen), 1984.&mdash; <em>The making of a Moonie&nbsp;: Choice or Brainweshing</em><span style="text-decoration:underline;">,</span> Oxford, Basil Blackweell.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Beauvois (Jean-L&eacute;on), Ghiglione (Rodolphe), Joul&eacute; (Robert), 1976.&mdash; Quelques limites des r&eacute;interpr&eacute;tation commodes des effets de dissonance, <em>Bulletin de psychologie, 29</em>, 323, 758-765.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Bernheim (Hippolyte), 1911.&mdash; <em>De la suggestion</em>, Paris, Albin Michel.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Brown (James Alexander Campbell), 1964.&mdash; <em>Techniques of persuasion</em>, Londres, Penguin books.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Cialdini (Robert), 1987.&mdash; <em>Influence. Soyez celui qui persuade. Ne soyez pas celui qu&rsquo;on manipule</em>. Paris, Albin Michel.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Delb&oelig;uf (Joseph), 1889.&mdash; R&eacute;ponse de M. Delb&oelig;uf au rapport de M. Ladame, dans B&eacute;rillon (Edgar), <em>Premier congr&egrave;s international de l&rsquo;hypnotisme</em>, Paris, 44-sq.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Duyck&aelig;rts (Fran&ccedil;ois), 1992.&mdash; <em>Joseph Delb&oelig;uf philosophe et hypnotiseur</em>, Paris, Les emp&ecirc;cheurs de penser en rond.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Faucheux (Claude), Moscovici (Serge), 1967.&mdash; Le style de comportement d&rsquo;une minorit&eacute; et son influence sur les r&eacute;ponses d&rsquo;une majorit&eacute;. <em>Bulletin du CERP</em>, 16, 4, p. 337-360.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Festinger (Leon) Riecken (Henry W.) et Schachter (Stanley), 1956.&mdash; <em>When prophecy fails.</em> Minneapolis, University of Minnesota Press. Traduction fran&ccedil;aise&nbsp;: L&rsquo;&eacute;chec d&rsquo;une proph&eacute;tie, Paris, PUF.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Festinger (Leon), Carlsmith (James M.), 1959.&mdash; Cognitive cons&eacute;quences of forced compliance, <em>Journal of Abnormal and Social Psychology</em>, 58, 203-210.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Freud (Sigmund), 1921.&mdash; Psychologie des foules et analyse du Moi. In, <em>Essais de psychanalyse</em>. &Eacute;dition de 1981, Paris, Payot.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Janet (Pierre), 1929.&mdash; <em>L&rsquo;&eacute;volution psychologique de la personnalit&eacute;</em>, Compte rendu int&eacute;gral des conf&eacute;rences faites en 1929 au coll&egrave;ge de France. &Eacute;dition de 1984, Paris, Soci&eacute;t&eacute; Pierre Janet.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Janet (Pierre), 1937.&mdash; Les troubles de la personnalit&eacute; sociale, <em>Annales M&eacute;dico-Psychologiques,</em> XX, XX, t II, n&deg;2, p. 149 et sq.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr"><span style="font-size:10.0pt;">Janis (Irving L.) et Mann (Leon), 1965.&mdash; </span>Effectiveness of emotional role palying in smoking habits and attitudes. <em>Journal of experimental research in personality</em>. <span style="font-size:10.0pt;">1, 84-90.</span></p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Joule (Robert Vincent), Beauvois (Jean-L&eacute;on), 1998.&mdash; <em>La soumission librement consentie.</em> Grenoble, PUG.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Ladame (Paul-Louis), 1889.&mdash; La n&eacute;cessit&eacute; d&rsquo;interdire les s&eacute;ances publiques d&rsquo;hypnotisme, dans B&eacute;rillon (Edgar), <em>Premier congr&egrave;s international de l&rsquo;hypnotisme</em>, Paris, 30.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lage (&Eacute;lisabeth), 2001.&mdash; L&rsquo;influence minoritaire et la minorit&eacute; d&rsquo;un seul, dans F. Buschini et N. Kalampalikis, <em>Penser la vie, le social, la nature. M&eacute;langes en l&rsquo;honneur de Serge Moscovici</em>, Paris, &Eacute;ditions de la MSH, p. 317-330.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Laurens (St&eacute;phane), (2002).&mdash;<em>Les conversions du Moi</em>, Paris&nbsp;: Descl&eacute;e de Brouwer.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Laurens (St&eacute;phane), Moscovici (Serge).&mdash; Self-conversion&nbsp;: un ph&eacute;nom&egrave;ne n&eacute;glig&eacute;, Article en cours d&rsquo;expertise.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Malebranche (Nicolas), 1674.&mdash; <em>De la recherche de la v&eacute;rit&eacute;</em>, &Eacute;dition de 1946, Paris, J. Vrin, Coll. Biblioth&egrave;que des textes philosophiques.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Mann (Leon), Janis (Irving L.), 1968.&mdash; A follow-up study on the long-term effects of emotional role palying<em>. </em><em>Journal of personality and social psychology</em>. 8, 339-342.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Mauss (Marcel), 1923.&mdash; Essai sur le don, dans <em>Sociologie et anthropologie</em>, &Eacute;dition de 1950, Paris, PUF.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">M&eacute;heust (Bertrand), 1999.&mdash; <em>Somnambulisme et m&eacute;diumnit&eacute;, Tome 1 Le d&eacute;fi du magn&eacute;tisme</em>, Paris, Les emp&ecirc;cheurs de penser en rond.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Moscovici (Serge), 1979.&mdash; <em>Psychologie des minorit&eacute;s actives</em>. Paris, PUF.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Moscovici (Serge), 1980.&mdash; Toward a Theory of Conversion Behavior. Dans, Berkowitz (Leonard), <em>Advances in Experimental Social Psychology</em>, <em>vol. 13,</em> New York, Academic Press, p. 209-239.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Nuttin (J.M.), 1972.&mdash; Changement d&rsquo;attitude et r&ocirc;le argentde. In. Moscovici, S. (Ed.), <em>Introduction &agrave; la psychologie sociale.</em> Vol 1. Paris&nbsp;: Larousse</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Pech (Thierry), Zagury (Daniel), 2002.&mdash; Des hommes sous influence&nbsp;: &agrave; propos du d&eacute;lit de manipulation mentale, <em>L&rsquo;&Eacute;volution Psychiatrique</em>, 67, 279-289.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Rapport pr&eacute;sent&eacute; par la d&eacute;put&eacute;e Mme Catherine Picard &agrave; l&rsquo;assembl&eacute;e nationale le 20 juin 2000. <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/rapports/r2472.asp">www.assemblee-nationale.fr/rapports/r2472.asp</a></p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Rapport de la commission d&#39;enqu&ecirc;te parlementaire&nbsp;: Les sectes et l&#39;argent, rapport n&deg;1687 (10 juin 1999) &laquo;&nbsp;Rapport Brard&nbsp;&raquo;</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Rapport de la commission d&#39;enqu&ecirc;te parlementaire&nbsp;: Les sectes en France, rapport n&deg;2468 (22 d&eacute;cembre 1995) &laquo;&nbsp;Rapport Guyard&nbsp;&raquo;</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Rapport au premier ministre&nbsp;: Les sectes en France&nbsp;: expressions de la libert&eacute; morale ou facteurs de manipulation&nbsp;?, 1983 &laquo;&nbsp;Rapport Alain Vivien&nbsp;&raquo;</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Roustang (Fran&ccedil;ois), 1990.&mdash; <em>Influence</em>. &Eacute;ditions de minuit, Paris.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Salavastru (Constantin), 2002.&mdash; Rationalit&eacute; et manipulation, les sophismes dans le discours politique. <em>Cahiers de</em> <em>psychologie et politique, 1</em>, 1-14.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Sargant (William), 1967.&mdash; <em>Physiologie de la conversion religieuse et politique</em>, Paris, PUF.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Tarde (Gabriel), 1890.&mdash; <em>Les lois de l&rsquo;imitations</em>. &Eacute;dition de 1993, Paris, &Eacute;dition Kim&eacute;.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Villate (Matthieu), Scholiers (David), Freixa i Baqu&eacute; (Esteve), 2003, La cr&eacute;ation d&rsquo;un d&eacute;lit de manipulation mentale. Histoire d&rsquo;un d&eacute;bat fauss&eacute;. <em>Cahiers de</em> <em>psychologie politique, 3</em>, 1-20.</p>