<p class="texte" dir="ltr">Le monde moderne change &agrave; toute allure. Certains, en faisant de grandes esquisses, parlent de postmodernit&eacute;, d&rsquo;autres d&rsquo;hyper-modernit&eacute;. Frederic Vincent<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a> est un sociologue du fantastique averti des changements postmodernes. Il d&eacute;crit les pr&eacute;misses d&rsquo;une r&eacute;invention de la pens&eacute;e collective qui puise la compr&eacute;hension de la r&eacute;alit&eacute;, d&rsquo;une mani&egrave;re perspicace, dans les nouvelles technologies de la communication v&eacute;hicul&eacute;es par les r&eacute;seaux sociaux.</p> <p class="texte" dir="ltr">Une de clefs de son r&eacute;cit est un ph&eacute;nom&egrave;ne ancien qui se renouvelle&nbsp;: l&rsquo;initiation. Celle qui pr&eacute;pare les hommes &agrave; interpr&eacute;ter les mythes anciens et futurs. Or, la science moderne, par la m&eacute;thode rationnelle, fait table rase d&rsquo;autres formes de penser la connaissance, ignore et m&eacute;conna&icirc;t la symbolique et la transmission mythologique.</p> <p class="texte" dir="ltr">Les soci&eacute;t&eacute;s modernes, contrairement aux anciennes, ne sont plus riches en symboles et en r&eacute;f&eacute;rences communes. Jadis, les processus d&rsquo;initiation fournissaient aux hommes des signes de reconnaissance dont les modernes sont presque d&eacute;pourvus, afin de les accompagner et de les orienter dans les transformations de l&rsquo;existence humaine.</p> <p class="texte" dir="ltr">Un sourd bruit de fond et une qu&ecirc;te spirituelle, dont les rites et les formes actuelles ressemblent &agrave; des messes pa&iuml;ennes, avec des musiques et des rythmes, des lumi&egrave;res et des d&eacute;cors bariol&eacute;s, forment une toile de fond apparemment chaotique. La TV et le cin&eacute;ma ont cr&eacute;&eacute; tout un monde fantasmagorique et fictif o&ugrave; les jeunes puissent leur imaginaire. Les nouvelles technologies r&eacute;introduisent des logiques qui se superposent &agrave; la logique rationnelle dominante. D&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;absence ou le d&eacute;ficit de rep&egrave;res communs entre les g&eacute;n&eacute;rations et les groupes communautaires.</p> <p class="texte" dir="ltr">Dans ce contexte, les codes de l&rsquo;initiation ne sont pas communs &agrave; tous, mais r&eacute;f&eacute;rents &agrave; des groupes plus ou moins sp&eacute;cifiques. Si l&rsquo;initiation originale &eacute;tait une pratique religieuse ou pa&iuml;enne int&eacute;grative, aujourd&rsquo;hui, les pratiques initiatiques renforcent l&rsquo;id&eacute;e ch&egrave;re &agrave; M. Maffesoli des &laquo;&nbsp;tribus&nbsp;&raquo;. Pourtant, certains liens sont trans-groupaux et sont v&eacute;hicul&eacute;s par les musiques et les films.&nbsp;Si les &eacute;coles initiatiques anciennes enseignaient aux hommes des histoires a contenu sacr&eacute;, afin de les relier avec des croyances cosmiques, les pratiques actuelles passent par des sources techniques (cin&eacute;ma, t&eacute;l&eacute;vision et vid&eacute;o) qui se contentent de cr&eacute;er des images virtuelles, dont la charge &eacute;motionnelle est seulement un spectacle, au point que cette substitution d&rsquo;initiation n&rsquo;est pas une transmission, mais une n&eacute;buleuse qui n&rsquo;arrive pas &agrave; former un imaginaire stable.</p> <p class="texte" dir="ltr">F. Vincent consid&egrave;re que les liens et la vision du monde de la modernit&eacute; mettent l&rsquo;accent sur un projet de raison dont l&rsquo;imaginaire est ignor&eacute;, contrairement &agrave; la tradition ancienne dans laquelle le monde est le produit d&rsquo;un enchantement mythique qui restructure l&rsquo;initiation &agrave; la vie sociale.</p> <h1 dir="ltr" id="heading1">La force du mythe</h1> <p class="texte" dir="ltr">En cons&eacute;quence, une r&eacute;flexion sur la puissance du mythe s&rsquo;impose. Les grandes figures contemporaines de la question du mythe sont pr&eacute;sent&eacute;es avec pertinence&nbsp;: Campbell, Levy-Strauss, Baladier, Eliade, sans oublier l&rsquo;&oelig;uvre de Durand qui est celui qui a fait du mythe une r&eacute;f&eacute;rence compr&eacute;hensible de r&eacute;conciliation des histoires contradictoires, afin de les rendre plus harmonieuses. Ce sont des structures synth&eacute;tiques qui aident &agrave; concevoir un monde d&rsquo;ordre et d&rsquo;&eacute;quilibre. La mythologie est une sorte d&rsquo;encyclop&eacute;die des connaissances en formation qui deviendra un mod&egrave;le psychosociologique pour situer et comprendre les &eacute;quivalences des interpr&eacute;tations et des choses. Une mani&egrave;re de relier les ph&eacute;nom&egrave;nes et les croyances avec la puissance de construire un monde imag&eacute; autant qu&rsquo;imaginaire du vivant et du sacr&eacute;, face &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;un r&eacute;el plut&ocirc;t peu signifiant, terrifiant et m&ecirc;me absurde. Ainsi les mythes, vari&eacute;s et contradictoires, offrent-ils des chemins de d&eacute;cryptage et de transmission et sont sources d&rsquo;identit&eacute; &agrave; travers les actions et les trajectoires des h&eacute;ros et des personnages dont les prouesses relancent l&rsquo;enchantement de l&rsquo;humain.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ainsi le mythe tend-il &agrave; traduire en symboles les forces de la vie et de la mort, la pr&eacute;sence de l&rsquo;homme et des choses, autant que de leur attribuer un sens et leur donner une face tangible et concr&egrave;te, que la seule raison abstraite et symbolique ne peut pas rendre saisissable de mani&egrave;re directe.</p> <p class="texte" dir="ltr">Dans plusieurs passages sont pr&eacute;sent&eacute;s en s&rsquo;entrecroisant les concepts mythiques anciens et les sagas actuelles. Ce sont les &eacute;l&eacute;ments qui forment la grammaire de l&rsquo;imaginaire&nbsp;en devenir&nbsp;: la fusion de l&rsquo;&ecirc;tre ensemble et le don, le d&eacute;sordre (la violence et la transgression), la coh&eacute;sion (le commun et l&rsquo;unit&eacute;), et les rituels qui socialisent les individus et resserrent les groupes, au point de former une nouvelle raison collective.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le retour &laquo;&nbsp;postmoderne&nbsp;&raquo; du besoin d&rsquo;initiation est illustr&eacute; par une profusion d&#39;images de cin&eacute;ma qui touchent une symbolique en relation avec le sacr&eacute;. Comment ne pas songer &agrave; la s&eacute;rie du sympathique apprenti sorcier Harry Potter, la saga de Star Wars ou la trilogie fantastique du Seigneur des Anneaux&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Ainsi, non sans nostalgie, le mod&egrave;le prom&eacute;th&eacute;en de l&rsquo;homme moderne semble se transformer, s&rsquo;effriter et r&eacute;clamer de nouvelles sources d&rsquo;enchantement. &nbsp;Plus loin dans la r&eacute;flexion, dans un chapitre assez &eacute;vocateur, l&rsquo;auteur rappelle avec Eliade que l&rsquo;homme moderne se distingue de l&rsquo;homme ancien&nbsp;pr&eacute;cis&eacute;ment par la volont&eacute; de se vivre dans un monde d&eacute;sacralis&eacute; et uniquement physique, en rel&acirc;chant la croyance aux &ecirc;tres mythiques pour pr&eacute;f&eacute;rer une science rationnelle et historique. En cons&eacute;quence, par exc&egrave;s, le monde de la rationalit&eacute; instrumentale s&rsquo;&eacute;puise et r&eacute;clame &agrave; nouveau le charme et l&rsquo;effroi de l&rsquo;invisible magique, au point que l&rsquo;homme actuel semble rechercher le bon usage traditionnel et moderne. Une sorte d&rsquo;acceptation des mondes contraires et des &eacute;v&eacute;nements cycliques. Une sorte d&rsquo;errance t&acirc;tonnante et salutaire que la vision lin&eacute;aire que la modernit&eacute; avait cru pouvoir supprimer. Un m&eacute;lange des temps qui les accepte tous&nbsp;: un d&eacute;passement, afin de sortir de la modernit&eacute; sans tomber dans le retour au d&eacute;ni de tout. C&rsquo;est l&agrave; que la notion d&rsquo;imaginaire (toujours presque insaisissable) reprend ses anciennes fonctions de revitalisation po&eacute;tique plut&ocirc;t que d&rsquo;innovation m&eacute;canique. Revenir &agrave; des images symboliques pour ainsi anticiper des nouveaux concepts de savoir-vivre par-del&agrave; une m&eacute;taphysique &agrave; jamais fig&eacute;e, car les mots sont trahis si ils sont traduits et s&rsquo;&eacute;garent, or les symboles ne perdent pas de signification. D&rsquo;o&ugrave; la profonde richesse des mythes&nbsp;: apporter de r&eacute;ponses. Tandis que la science, version moderne, pose des questions dont les r&eacute;ponses s&rsquo;av&egrave;rent incertaines en derni&egrave;re analyse.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le mythe r&eacute;sume enfin la puissance du changement et du perdurable en se (con)fondant avec le sacr&eacute;. Or, la vision du sacr&eacute; n&rsquo;est pas une &eacute;vocation religieuse en soi, mais un rappel de l&rsquo;incommensurabilit&eacute; de l&rsquo;humain. D&rsquo;o&ugrave; un sentiment du besoin de retour &agrave; ce sacr&eacute;-l&agrave;, car le monde est devenu trop froid et individualiste.</p> <h1 dir="ltr" id="heading2">Le cheminement initiatique</h1> <p class="texte" dir="ltr">Le cheminement initiatique&nbsp;est celui qui traverse les &eacute;preuves de la vie. Ainsi, &agrave; plusieurs reprises, les hommes ont v&eacute;cu et perp&eacute;tu&eacute; des initiations naturelles et spontan&eacute;es. La tradition et la transmission sont facilit&eacute;es par la symbolique et par des proc&eacute;dures&nbsp;: le rite, ces actions r&eacute;p&eacute;titives qui marquent l&rsquo;interaction sociale et l&rsquo;acc&egrave;s &agrave; des connaissances de ces &laquo;&nbsp;initiations&nbsp;&raquo; de mani&egrave;re anticipatrice, y compris l&rsquo;exp&eacute;rience de sa propre mort. Il y a donc une liturgie initiatique qui n&rsquo;est pas autre chose qu&rsquo;une pr&eacute;paration &eacute;ducative pour faciliter le perfectionnement de l&rsquo;humain vers une sagesse pr&eacute;paratoire et plus compl&egrave;te pour affronter les questions et les &eacute;nigmes de l&rsquo;existence.</p> <p class="texte" dir="ltr">Sans faire de l&rsquo;initiation une v&eacute;ritable r&eacute;v&eacute;lation, comme le sugg&egrave;re la tradition religieuse, force est de constater qu&rsquo;elle est une mani&egrave;re &agrave; la fois de r&eacute;ception d&rsquo;hospitalit&eacute; dans une communaut&eacute;, et une condition pour donner sens &agrave; l&rsquo;action collective, au point de concevoir que le r&eacute;el n&rsquo;est pas seulement une chose palpable, mais qu&rsquo;il r&eacute;v&egrave;le aussi un certain myst&egrave;re spirituel sacr&eacute; &agrave; condition de le ressentir autant que le r&eacute;fl&eacute;chir. Entrer dans le r&eacute;el par l&rsquo;&eacute;vocation de l&rsquo;invisible.</p> <p class="texte" dir="ltr">Toute qu&ecirc;te initiatique invite &agrave; sentir le besoin d&rsquo;un voyage vers un ailleurs d&rsquo;une connaissance inexplor&eacute;e, autant qu&rsquo;un retour &agrave; l&rsquo;ici et maintenant avec de nouveaux &eacute;l&eacute;ments pour comprendre les aller-retour de l&rsquo;existence commune, car il ne faut pas oublier que les exp&eacute;riences initiatiques ne se font pas dans l&#39;isolement, mais au sein d&rsquo;une communaut&eacute; humaine saine et en harmonie avec elle-m&ecirc;me et la nature, afin de voir l&agrave; une pr&eacute;sence du cosmos comme une manifestation de l&rsquo;enchantement du monde. &nbsp;</p> <h1 dir="ltr" id="heading3">En conclusion</h1> <p class="texte" dir="ltr">Pour conclure ces br&egrave;ves notes de commentaire, disons que la qu&ecirc;te &eacute;ternelle d&rsquo;une explication du monde se manifeste de diverses mani&egrave;res. Et il est certain qu&rsquo;on peut reprocher &agrave; l&rsquo;auteur d&rsquo;esquisser une constatation de la notion t&acirc;tonnante de &laquo;&nbsp;postmodernit&eacute;&nbsp;&raquo; qu&rsquo;il v&eacute;hicule &agrave; travers l&rsquo;&eacute;miettement des situations, des existences et des objets. C&rsquo;est une sorte de demi-concept descriptif plut&ocirc;t qu&rsquo;explicatif d&rsquo;un &eacute;tat de fait de la fragmentation du monde. Autant pour ceux qui parlent d&rsquo;une sur-modernit&eacute;. Il y &eacute;voque un labyrinthe &eacute;motionnel &eacute;nigmatique et myst&eacute;rieux. Une psychologie ontologique donc.</p> <p class="texte" dir="ltr">Comment percevoir et survivre quand le chaos semble devant nous&nbsp;? Voil&agrave; une question sous-jacente qui cerne l&rsquo;homme moderne dans un &eacute;clatement du soi et parfois un oubli de sacr&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Certes, l&rsquo;auteur semble-t-il consid&eacute;rer que l&rsquo;intelligence moderne peut se ressourcer dans le matin de l&rsquo;imaginaire mythique, celui &agrave; la fois ancien et quotidien, tout en d&eacute;celant les symboles d&eacute;pr&eacute;ci&eacute;s par la modernit&eacute; rationnellement savante. Le renouveau ne peut que venir des intuitions sensibles dans la dynamique du d&eacute;bordement d&rsquo;un fleuve qui coule vers une mer qui recycle l&rsquo;essentiel polys&eacute;mique de la vie.</p> <p class="texte" dir="ltr">Une derni&egrave;re remarque&nbsp;: n&rsquo;oublions pas que l&rsquo;auteur se sert des r&eacute;cits v&eacute;hicul&eacute;s par le cin&eacute;ma et les jeux vid&eacute;o qui sont devenus des m&eacute;taphores qui demandent le tamis de la raison. Ces r&eacute;cits fantastiques ne sont que l&rsquo;accompagnement d&rsquo;une compr&eacute;hension interactive d&rsquo;un autrui fuyant.</p> <p class="texte" dir="ltr">En somme&nbsp;: la perspective ouverte par F. Vincent permet un regard assez clair et complet du r&ocirc;le du mythe dans l&rsquo;initiation, comme une sorte de cordon ombilical qui unit l&rsquo;individu &agrave; la communaut&eacute; humaine. Certes, c&rsquo;est le regard d&rsquo;un sociologue qui marche sur les traces des liens perdus de la nuit cosmique dans la m&eacute;canique de l&rsquo;explication rationaliste.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;Frederic Vincent - Le R&eacute;-enchantement initiatique du monde - Detrad</p>