<p class="texte" dir="ltr">&shy;</p> <blockquote> <p class="citation" dir="ltr">&laquo;&nbsp;Se cacher est un plaisir, mais ne pas &ecirc;tre trouv&eacute; une catastrophe.&nbsp;&raquo;<br /> D. Winnicott<br /> (1989, 160).</p> <p class="citation" dir="ltr">&laquo;&nbsp;Il faut savoir se perdre pour un temps si l&rsquo;on veut apprendre quelques chose des &ecirc;tres que nous ne sommes pas nous-m&ecirc;mes.&nbsp;&raquo;<br /> F. Nietzche<br /> Le gai savoir&nbsp;&sect; 305.</p> </blockquote> <p class="texte" dir="ltr">La psychologie politique doit &agrave; quelques grands anciens d&rsquo;avoir pos&eacute; des r&eacute;flexions de premier plan. Le <span style="text-decoration:underline;">Discours de la servitude volontaire</span> de La Bo&eacute;tie est une de ces &oelig;uvres majeures de la litt&eacute;rature occidentale au m&ecirc;me titre que l&rsquo;<span style="text-decoration:underline;">Eloge de la folie</span> d&rsquo;Erasme<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a>. Ses enseignements m&eacute;ritent d&rsquo;autant l&rsquo;attention dans ce contexte contemporain o&ugrave; nous croyons travailler quotidiennement &agrave; notre lib&eacute;ration par une succession d&rsquo;&eacute;mancipations. Il se pourrait bien qu&rsquo;elles soient au final les conditions d&rsquo;un asservissement, sous la forme d&rsquo;une soumission volontaire aux d&eacute;lices de la servitude. Comment ne pas ici songer &agrave; la saisissante synth&egrave;se de La Fontaine lorsqu&rsquo;il s&rsquo;empare de ce sujet de la libert&eacute; et de la servitude consentie dans sa fable du loup et du chien<a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a>&nbsp;? La pr&eacute;f&eacute;rence pour le confort sacrifie cette libert&eacute; exigeante et asc&eacute;tique du loup, ce dernier s&rsquo;&eacute;tonnant de ce collier de la servitude.</p> <p class="texte" dir="ltr">Nos soci&eacute;t&eacute;s contemporaines ont tr&egrave;s vite postul&eacute; que nous aspirions &agrave; la libert&eacute; sans s&rsquo;assurer qu&rsquo;il en &eacute;tait effectivement ainsi. Elles ont alors expos&eacute; les bienfaits de la qu&ecirc;te de cette libert&eacute; &eacute;mancipant l&rsquo;homme de toutes les servitudes&nbsp;: religieuses, politiques et &eacute;conomiques. Est-il n&eacute;cessaire de rappeler les discours des r&eacute;volutionnaires fran&ccedil;ais, des anarchistes ou des marxistes invitant &agrave; la lib&eacute;ration des chaines et des entraves qui &eacute;touffent l&rsquo;&eacute;panouissement de l&rsquo;humanit&eacute;<a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a>&nbsp;? Seulement, ces &oelig;uvres de lib&eacute;ration ont eu leurs revers par d&rsquo;autres ali&eacute;nations, voire des pers&eacute;cutions disciplinaires jug&eacute;es lib&eacute;ratoires par leurs auteurs quelque peu aveugl&eacute;s par leur fin. C&rsquo;est pourquoi la psychologie est pr&eacute;cieuse. Elle &eacute;claire les d&eacute;bats politiques et philosophiques, &agrave; l&rsquo;instar de ce jeune La Bo&eacute;tie qui fit &oelig;uvre de philosophie et de psychologie, expliquant le go&ucirc;t d&rsquo;une servitude et les enjeux du contr&rsquo;Un. Que penser alors de la lib&eacute;ration&nbsp;?</p> <h2 dir="ltr" id="heading1" style="font-style:italic;">1. La psychologie de l&rsquo;histoire de la lib&eacute;ration</h2> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;aspiration &agrave; la lib&eacute;ration accompagne la perception des obstacles qui limitent l&rsquo;exercice de la libert&eacute;. L&rsquo;histoire des lib&eacute;rations dans la pens&eacute;e humaine permettra ici de saisir que l&rsquo;homme a toujours aspir&eacute; &agrave; une transformation de sa nature dans l&rsquo;espoir de se lib&eacute;rer du fardeau des limites de sa condition humaine per&ccedil;ue telle une prison.</p> <p class="texte" dir="ltr">La notion de lib&eacute;ration existe d&egrave;s les anciennes spiritualit&eacute;s orientales dont l&rsquo;hindouisme. Se lib&eacute;rer a d&rsquo;abord un sens mystique et ontologique. L&rsquo;homme mesure l&rsquo;&eacute;cart entre ses aspirations et les imperfections de sa condition. Travailler &agrave; sa lib&eacute;ration revient &agrave; faire fi de sa condition dans l&rsquo;attente d&rsquo;une sortie de cette prison corporelle. La relation &agrave; cette finitude physiologique et l&rsquo;expression d&rsquo;un id&eacute;al d&eacute;barrass&eacute; de ces contraintes conduit &agrave; faire l&rsquo;apologie d&rsquo;une lib&eacute;ration finale. La <em>moksha</em> est assez comparable au <em>nirvana</em> bouddhiste<a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a>. Dans ces traditions, certaines actions, connaissances et d&eacute;votions favorisent ce d&eacute;tachement. Celles-ci t&eacute;moignent toutefois de l&rsquo;ambivalence du terme. En effet, la lib&eacute;ration suppose le respect des obligations de sa caste, la m&eacute;ditation asc&eacute;tique r&eacute;v&eacute;lant l&rsquo;illusion du monde et la d&eacute;votion le respect inconditionnel des rites. Cette ambivalence existe dans le terme de <em>nirvana</em> qui &eacute;voque l&rsquo;extinction par apaisement o&ugrave; se lib&eacute;rer signifie&nbsp;: abandonner les mirages de la vie terrestre.</p> <p class="texte" dir="ltr">Dans l&rsquo;&eacute;cole pythagoricienne, les philosophes prolongent cette tradition d&rsquo;une conception n&eacute;gative du corps. Il<span style="color:#222222;"> est un tombeau. </span>Ce rapport n&eacute;gatif &agrave; la vie terrestre s&rsquo;exprime dans l&rsquo;aventure du coq pythagoricien. Il est ici question d&rsquo;un dessaisissement dont les anciens relatent les pratiques dans la mise en dehors de soi. Erasme rappelle ce mythe de la transmigration des &acirc;mes dans l&rsquo;&eacute;cole pythagoricienne. Il ironise sur cet homme cherchant en vain &agrave; se lib&eacute;rer de lui-m&ecirc;me, sans l&rsquo;exp&eacute;rience et la sagesse du coq&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le fameux coq de Pythagore, qui apr&egrave;s avoir &eacute;t&eacute; &agrave; lui seul philosophe, homme, femme, roi, particulier, poisson, cheval, grenouille, je crois m&ecirc;me &eacute;ponge, jugea qu&rsquo;il n&rsquo;y avait pas d&rsquo;animal plus calamiteux que l&rsquo;homme parce que tous se contentent des limites de leur nature, tandis que lui seul, il s&rsquo;efforce de franchir les bornes de sa condition<em>.</em>&nbsp;&raquo; (2013, 155, &sect; 34). L&rsquo;homme cherche &agrave; quitter le territoire de sa propre condition charnelle. Sortir du corps lib&egrave;re en s&rsquo;&eacute;loignant de cette condition ali&eacute;nante et d&eacute;sesp&eacute;rante, indigne de l&rsquo;esprit qui r&ecirc;ve d&rsquo;autres destin&eacute;es. Toutes ces pens&eacute;es expriment avec constance le d&eacute;sir d&rsquo;un autre lieu. Qu&rsquo;il soit spirituel ou politique, ce changement de lieu est lib&eacute;ratoire. A cet &eacute;gard, la s&eacute;mantique moderne qualifiera ces aspirations d&rsquo;utopie, s&rsquo;inspirant de l&rsquo;<em>u-topos </em>de More, soit ce sans lieu d&rsquo;un id&eacute;al politique. Cette transgression exige alors de trahir son humanit&eacute; conditionn&eacute;e pour faire advenir une humanit&eacute; lib&eacute;r&eacute;e de son premier territoire corporel<a class="footnotecall" href="#ftn5" id="bodyftn5">5</a>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Dans la tradition platonicienne, cette lib&eacute;ration utilise la purification o&ugrave; l&rsquo;homme d&eacute;tourne ses d&eacute;sirs, se lib&eacute;rant de ses mouvements impurs. L&rsquo;&acirc;me s&rsquo;&eacute;l&egrave;ve &agrave; la condition de s&rsquo;&eacute;loigner du corps par la catharsis. Son &eacute;l&egrave;ve, Aristote, quoique bien diff&eacute;rent sur de nombreuses questions philosophiques, perp&eacute;tue cette tradition d&rsquo;une lutte contre les passions. Les instruments ne sont plus la d&eacute;votion mais la musique, la po&eacute;sie et la trag&eacute;die. Elles ont la vertu de transporter l&rsquo;&acirc;me hors d&rsquo;elle-m&ecirc;me et de l&rsquo;apaiser de ses tourments<a class="footnotecall" href="#ftn6" id="bodyftn6">6</a>. La catharsis exprime cette purification philosophique autant que cette purgation du corps &agrave; nettoyer.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces traditions partagent cette qu&ecirc;te lib&eacute;ratoire de la prison corporelle, d&eacute;notant l&agrave; une relation duale de l&rsquo;homme &agrave; lui-m&ecirc;me. Le corps est d&eacute;testable dans ses injonctions, ses besoins, ses d&eacute;faillances, ses imperfections et ses occupations. Il est &agrave; purifier afin qu&rsquo;il rejoigne ses origines. Qu&rsquo;ils s&rsquo;agissent du Grand Tout des orientaux, du monde des nombres des pythagoriciens ou des id&eacute;es platoniciennes, ils ont en commun cette conception d&rsquo;une chair r&eacute;pr&eacute;hensible dans ses humeurs.</p> <p class="texte" dir="ltr">Cette lib&eacute;ration prend un autre relief chez les modernes. Elle est d&rsquo;abord politique, faisant du combat contre les h&eacute;t&eacute;ronomies une fin en soi, au b&eacute;n&eacute;fice d&rsquo;une autonomie croissante propice &agrave; la libre expression des intentions et des d&eacute;sirs humains. La philosophie politique lib&eacute;rale lutte contre l&rsquo;emprise de l&rsquo;absolutisme monarchiste. Il est question de protection des droits fondamentaux et de d&eacute;fense des libert&eacute;s individuelles. Elle promeut la libert&eacute; religieuse, la libert&eacute; politique, voire la libert&eacute; &eacute;conomique, sans oublier celle encore plus essentielle de la libert&eacute; d&rsquo;action individuelle. Il est int&eacute;ressant de s&rsquo;attarder &agrave; sa gen&egrave;se. Cette libert&eacute; d&rsquo;action individuelle est d&rsquo;abord naturelle pour les th&eacute;ologiens de la Renaissance. Ils la lient &agrave; la libert&eacute; premi&egrave;re de la personne humaine. Elle s&rsquo;affirme ainsi d&egrave;s l&rsquo;&eacute;cole de Salamanque o&ugrave; Vitoria th&eacute;orise le &laquo;&nbsp;droit des gens&nbsp;&raquo; r&eacute;sultant du droit naturel de la th&eacute;ologie m&eacute;di&eacute;vale. Il inspire ses successeurs&nbsp;: les juristes anglais et fran&ccedil;ais du XVII<sup>e</sup> si&egrave;cle<a class="footnotecall" href="#ftn7" id="bodyftn7">7</a>. Et son apologie des libert&eacute;s se prolonge dans l&rsquo;Etat de droit propos&eacute; par Locke ou dans la distinction des pouvoirs de Montesquieu jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;expression tout &agrave; la fois tr&egrave;s existentielle et tr&egrave;s juridique du lib&eacute;ralisme individuel d&eacute;crit par Maine de Biran<a class="footnotecall" href="#ftn8" id="bodyftn8">8</a>. Celui-ci expose avec pr&eacute;cision l&rsquo;anthropologie lib&eacute;rale. Il dit de l&rsquo;homme qu&rsquo;il est possesseur de lui-m&ecirc;me, faisant de la propri&eacute;t&eacute; de soi un droit sans limite. En effet, affirmer le droit de propri&eacute;t&eacute; sur soi revient &agrave; appliquer le pouvoir du propri&eacute;taire qui se caract&eacute;rise par l&rsquo;<em>usus</em> et l&rsquo;<em>abusus</em>, soit la libert&eacute; de se poss&eacute;der et de se d&eacute;poss&eacute;der, donc de s&rsquo;ali&eacute;ner pour reprendre le terme juridique. Sa d&eacute;finition ouvre explicitement la voie &agrave; l&rsquo;autod&eacute;termination et &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rimentation de toutes les libert&eacute;s d&rsquo;&ecirc;tre selon sa seule volont&eacute;, ce que nous examinerons dans les &oelig;uvres de Strindberg et Bataille ult&eacute;rieurement et qui sont au c&oelig;ur de l&rsquo;argumentation de la libre construction de soi.</p> <p class="texte" dir="ltr">Outre la tradition lib&eacute;rale, celle plus r&eacute;cente du socialisme affirme aussi ce droit &agrave; la libert&eacute; et &agrave; l&rsquo;&eacute;mancipation si bien pr&eacute;sent&eacute; par la philosophe ukrainienne Dunayevskaya, collaboratrice de Trotsky. Elle d&eacute;crit la libert&eacute; tel le pouvoir de s&rsquo;auto-d&eacute;velopper<a class="footnotecall" href="#ftn9" id="bodyftn9">9</a>. Rappelons que la lib&eacute;ration chez Marx r&eacute;sulte de l&rsquo;hominisation croissante par la production, celle-ci produisant l&rsquo;homme en retour. La libert&eacute; s&rsquo;exerce dans la ma&icirc;trise technique et politique et l&rsquo;homme se transforme par la connaissance qui d&eacute;termine ses pouvoirs successifs sur lui-m&ecirc;me. L&rsquo;histoire accomplit ce processus d&rsquo;une transformation continue. A cet &eacute;gard, les th&egrave;ses r&eacute;centes du transhumanisme contemporain prolongent cette repr&eacute;sentation d&rsquo;une nouvelle humanit&eacute; s&rsquo;auto-d&eacute;veloppant par sa production en recourant &agrave; la technique afin d&rsquo;accomplir un projet d&rsquo;une plus grande puissance &eacute;mancipatrice<a class="footnotecall" href="#ftn10" id="bodyftn10">10</a>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Cette histoire de la lib&eacute;ration r&eacute;v&egrave;le un continuum psychologique saisissant o&ugrave; l&rsquo;homme se rejette lui-m&ecirc;me, n&rsquo;acceptant pas les injonctions de son corps, poursuivant toujours ce but d&rsquo;une mise en dehors de soi. S&rsquo;abriter de son humanit&eacute;, &eacute;chapper &agrave; sa carnation et r&ecirc;ver d&rsquo;une autre nature expriment ce refus constant de la condition humaine. Ainsi, la transmigration des &acirc;mes des pythagoriciens trouve aujourd&rsquo;hui une nouvelle traduction dans les promesses de la transhumanit&eacute; d&eacute;pla&ccedil;ant la conscience dans quelques substrats informatiques.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le psychologue pourrait consid&eacute;rer cette constance telle une sorte de haine du corps ou somatophobie<a class="footnotecall" href="#ftn11" id="bodyftn11">11</a>. Elle perdurerait sous les traits de ces repr&eacute;sentations sociales&nbsp;: religieuses ou philosophiques. Elles le d&eacute;naturent, le fantasment et produisent une s&eacute;paration propice &agrave; une d&eacute;r&eacute;liction sordide. Ce m&eacute;pris mill&eacute;naire exprimerait quelques tabous dont celui du refus de la vue de son propre corps. Il ne se d&eacute;voile pas et serait celui dont on n&rsquo;a point d&rsquo;image, hormis celles des repr&eacute;sentations dont on l&rsquo;affuble. Cette c&eacute;sure d&eacute;tournerait l&rsquo;homme de lui-m&ecirc;me. Le corps des autres existerait de m&ecirc;me dans une repr&eacute;sentation iconographique, agissant telle une norme. L&rsquo;exp&eacute;rience du corps serait toujours l&rsquo;apprentissage frustrant d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; limit&eacute;e dont les imperfections, les souffrances o&ugrave; les plaisirs trop fugaces sont autant de signes d&rsquo;impuissances, de faiblesses et de limitation. La somatophobie serait une n&eacute;vrose obsessionnelle faisant du corps un &eacute;tranger &agrave; fuir. Et les modernes auraient accentu&eacute; ce rejet par le dualisme cart&eacute;sien opposant l&rsquo;&acirc;me au corps o&ugrave; ce dernier est mauvais, corrompu, trompeur dans ses perceptions. Cette philosophie magnifie la tradition orientale et antique en rejetant l&rsquo;unit&eacute; psychosomatique de la personne. Cette n&eacute;vrose occulte alors les fonctions organiques dans leur impuret&eacute;. Cette r&eacute;pulsion induit des rites infinis dans toutes les traditions pour se lib&eacute;rer des souillures du corps.</p> <p class="texte" dir="ltr">Constatant les souffrances inflig&eacute;es par de telles conceptions, certains psychologues contemporains s&rsquo;int&eacute;ressent aux processus de somatisation qui t&eacute;moignent d&rsquo;un d&eacute;r&egrave;glement du corps par des affections psychiques. Cette inversion de l&rsquo;ordre des causes montre que l&rsquo;esprit agit sur le corps. Rappelons ici Schultz inventant les premi&egrave;res m&eacute;thodes de relaxation lib&eacute;rant des contractures et rigidifications r&eacute;sultant des tensions psychiques&nbsp;; Groddeck p&egrave;re de la psychosomatique proposant des massages et autres soins du corps pour r&eacute;unir l&rsquo;esprit et son corps comme dans l&rsquo;enfance&nbsp;ou encore Lowen inventant la bio-&eacute;nergie qui renverse l&rsquo;ancestrale opposition par l&rsquo;affirmation de l&rsquo;unit&eacute; de l&rsquo;homme<a class="footnotecall" href="#ftn12" id="bodyftn12">12</a>. A ce stade, ces psychologues soulignent cet &eacute;cart entre ce qu&rsquo;ils per&ccedil;oivent, soit l&rsquo;unit&eacute; de l&rsquo;homme, et cette s&eacute;paration fond&eacute;e sur une distinction spirituelle ou philosophique du somatique.</p> <h2 dir="ltr" id="heading2" style="font-style:italic;">2. L&rsquo;exp&eacute;rience ali&eacute;nante de la lib&eacute;ration</h2> <p class="texte" dir="ltr">Cette lib&eacute;ration spirituelle des traditions orientales s&rsquo;apparente &agrave; une forme d&rsquo;ali&eacute;nation de soi en ceci que l&rsquo;apaisement temporaire s&rsquo;obtient par des exercices de ma&icirc;trise de soi. Prenons l&rsquo;exemple du yoga. Il vise cette unit&eacute;, ce repos ou s&rsquo;arr&ecirc;te les turbulences de la vie par des techniques et des initiations o&ugrave; s&rsquo;exp&eacute;rimente une &eacute;mancipation progressive en vue d&rsquo;un d&eacute;tachement ultime. L&rsquo;exp&eacute;rience de la lib&eacute;ration passe par la discipline. En cela, les pythagoriciens et les platoniciens continuent la tradition puisque les deux &eacute;coles promeuvent une &eacute;ducation &agrave; la lib&eacute;ration, soit l&rsquo;acceptation de contraintes pleines de rectitudes dont la promesse est de mettre un terme &agrave; ces interactions du corps sur l&rsquo;esprit. Chez les modernes, l&rsquo;exp&eacute;rience de la lib&eacute;ration met en &oelig;uvre une autre forme d&rsquo;ali&eacute;nation du corps pour s&rsquo;&eacute;manciper de la condition humaine. Le corps de l&rsquo;homme devient l&rsquo;objet d&rsquo;une s&eacute;rie d&rsquo;exp&eacute;riences jusqu&rsquo;&agrave; la destruction de soi. Deux auteurs illustrent cet abus de propri&eacute;t&eacute; instill&eacute; dans la d&eacute;finition de Maine de Biran. La confirmation de cette lib&eacute;ration ali&eacute;nante des modernes passe par l&rsquo;&eacute;tude des &oelig;uvres litt&eacute;raires de Bataille et Strindberg. D&rsquo;autres dont Lautr&eacute;amont ou Artaud ont les m&ecirc;mes caract&eacute;ristiques. Avec eux, la haine du corps devient la haine de soi et de la conscience de soi relay&eacute;es par des exercices lib&eacute;ratoires de son humanit&eacute;&nbsp;; et dont les rituels constituent une authentique discipline transgressive.</p> <p class="texte" dir="ltr">Bataille affiche dans <span style="color:#222222; background-color:#ffffff; text-decoration:underline;">La conjuration sacr&eacute;e&nbsp;</span>le mythe d&rsquo;Ac&eacute;phale&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&#39;homme a &eacute;chapp&eacute; &agrave; sa t&ecirc;te comme le condamn&eacute; &agrave; sa prison. Il a trouv&eacute; au-del&agrave; de lui-m&ecirc;me non Dieu qui est la prohibition du crime, mais un &ecirc;tre qui ignore la prohibition. Au-del&agrave; de ce que je suis, je rencontre un &ecirc;tre qui me fait rire parce qu&#39;il est sans t&ecirc;te, qui m&#39;emplit d&#39;angoisse parce qu&#39;il est fait d&#39;innocence et de crime&nbsp;: il tient une arme de fer dans sa main gauche, des flammes semblables &agrave; un Sacr&eacute;-C&oelig;ur dans sa main droite. Il r&eacute;unit dans une m&ecirc;me &eacute;ruption la Naissance et la Mort. Il n&#39;est plus un homme. Il n&#39;est pas non plus un dieu<sup>.</sup>&nbsp;&raquo;. Bataille accompagne le dessin d&rsquo;Ac&eacute;phale de ces mots&nbsp;: &laquo;&nbsp;Un incendie extatique d&eacute;truira les patries. Quand le c&oelig;ur humain deviendra feu et fer [ce que tient Ac&eacute;phale dans chacune de ses deux mains] L&rsquo;homme &eacute;chappera &agrave; sa t&ecirc;te comme le condamn&eacute; &agrave; la prison&nbsp;&raquo; (1970, I, 676). L&rsquo;homme est, selon les termes de Bataille, libre de ressembler &agrave; tout ce qui n&rsquo;est pas lui dans l&rsquo;univers. Il &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Dans l&rsquo;&eacute;tincelle de l&rsquo;extase, les bornes n&eacute;cessaires sujet-objet doivent &ecirc;tre n&eacute;cessairement consum&eacute;es, elles doivent &ecirc;tre an&eacute;anties.&nbsp;&raquo; (1973, V, 57). Il fait l&rsquo;apologie du pur mouvement pour fuir des identit&eacute;s restrictives et r&eacute;pondre &agrave; l&rsquo;aspiration lib&eacute;ratoire, voire jubilatoire de se fondre dans la totalit&eacute; du monde, sans n&rsquo;&ecirc;tre rien de particulier. Cette exp&eacute;rience est une sorte de mise en jeu de soi en esp&eacute;rant atteindre cet en dehors de soi. Bataille invite &agrave; une dislocation de soi, &agrave; une d&eacute;substantialisation au profit d&rsquo;une sorte de fusion lib&eacute;ratrice. C&rsquo;est l&rsquo;exp&eacute;rience int&eacute;rieure qu&rsquo;il d&eacute;crit dans <span style="text-decoration:underline;">La Somme a-th&eacute;ologique</span>. Bataille parle d&rsquo;une transgression de soi vers la d&eacute;possession o&ugrave; la d&eacute;livrance se manifeste dans Ac&eacute;phale n&rsquo;ayant plus de t&ecirc;te mais une flamme libre. La privation de la conscience est la lib&eacute;ration. Et cette transgression de soi met en &oelig;uvre une discipline qu&rsquo;on retrouve chez Strindberg.</p> <p class="texte" dir="ltr">Strindberg met en sc&egrave;ne l&rsquo;Inconnu dans <span style="text-decoration:underline;">le chemin de Damas</span>. Il se d&eacute;figure par une succession d&rsquo;exp&eacute;riences. L&rsquo;Inconnu veut devenir &agrave; lui-m&ecirc;me cet ind&eacute;termin&eacute; libre de toute identit&eacute; limitative. Sa d&eacute;territorialisation, soit l&rsquo;exp&eacute;rience de transmigrer en d&rsquo;autres corps est d&rsquo;abord le signe d&rsquo;une libert&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre, puis d&rsquo;&ecirc;tre encore autre chose tout en se d&eacute;figurant progressivement. L&rsquo;Inconnu se d&eacute;construit au fil d&rsquo;identifications toujours partielles et frustrantes dans leurs propres limites, invitant au seul mouvement de transmigrer sans cesse pour ne plus &ecirc;tre aucune de ces identit&eacute;s. L&rsquo;Inconnu s&rsquo;inflige donc la torture de la disparition de ce qui l&rsquo;accroche encore &agrave; sa condition. D&rsquo;une entreprise de lib&eacute;ration par l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;&ecirc;tre l&rsquo;autre, l&rsquo;exp&eacute;rience ali&egrave;ne son auteur qui se terrorise lui-m&ecirc;me jusqu&rsquo;&agrave; s&rsquo;infliger la torture de s&rsquo;amputer de ses identit&eacute;s successives. Cet enchainement de d&eacute;formations est l&rsquo;instrument d&rsquo;une torture sordide et lib&eacute;ratoire pour sortir de ce soi limit&eacute;. L&rsquo;utopie advient &agrave; la condition qu&rsquo;aucun contexte ne d&eacute;termine l&rsquo;objet ni aucune structure son existence. Plus que d&rsquo;habiter de nouveaux corps, l&rsquo;Inconnu de Strindberg se dissout dans ce mouvement, &eacute;tant toute chose et son contraire sans aucune limitation&nbsp;: &laquo;&nbsp;Oui, maintenant je vis, maintenant plus que jamais, et je sens mon moi grandir, s&rsquo;&eacute;tendre, se diluer, s&rsquo;&eacute;panouir &agrave; l&rsquo;infini&nbsp;; je suis partout dans la mer qui est mon sang, dans les rochers qui sont mes os, dans les arbres, dans les fleurs&hellip;&nbsp;&raquo; (1983, I, 177). L&rsquo;exp&eacute;rience va d&rsquo;ali&eacute;nation en ali&eacute;nation puisqu&rsquo;&ecirc;tre un autre n&rsquo;est pas &ecirc;tre tous les autres, l&rsquo;Inconnu visant d&rsquo;&ecirc;tre l&rsquo;infinit&eacute; des &ecirc;tres puis par l&rsquo;infini de se confondre avec le n&eacute;ant&nbsp;: &laquo;&nbsp;J&rsquo;ai r&ecirc;v&eacute; que j&rsquo;explosais et me transformais en &eacute;ther, je n&rsquo;&eacute;prouvais plus rien, &eacute;tranger &agrave; la douleur comme &agrave; la joie, j&rsquo;&eacute;tais entr&eacute; dans le repos&nbsp;; j&rsquo;avais atteint le parfait &eacute;quilibre&nbsp;! Mais maintenant&nbsp;! Oh, maintenant&nbsp;! Je souffre comme si j&rsquo;&eacute;tais &ndash; &agrave; moi seul &ndash; tout le genre humain.&nbsp;&raquo; (1983, II, 278). Cette exp&eacute;rience confine au d&eacute;lire dans lequel l&rsquo;Inconnu dispara&icirc;t, pensant &ecirc;tre &agrave; la fois le genre humain et l&rsquo;univers entier. En sortant de sa condition et de ses limites, l&rsquo;Inconnu conquiert ce qu&rsquo;il croit &ecirc;tre sa divinisation&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ma t&ecirc;te va frapper le ciel et je contemple l&rsquo;univers avec lequel je me confonds, et je sens en moi la force du Cr&eacute;ateur, car le Cr&eacute;ateur, c&rsquo;est moi. (1983, I, n. 3). Le nom m&ecirc;me d&rsquo;Inconnu exprime d&rsquo;ailleurs cette qu&ecirc;te de l&rsquo;inconditionnalit&eacute; o&ugrave; l&rsquo;ind&eacute;termination devient l&rsquo;aboutissement de ce chemin vers l&rsquo;impersonnel, par la r&eacute;futation et la dissolution de tout ce qui fait &ecirc;tre homme&nbsp;: <em>hic et nunc</em>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces exp&eacute;riences manifestent la destruction de l&rsquo;homme rendue n&eacute;cessaire par ce renoncement d&rsquo;&ecirc;tre. Mais o&ugrave; est la libert&eacute;&nbsp;? Subir cette haine de soi dans un mouvement r&eacute;pulsif exprime plut&ocirc;t le conditionn&eacute; r&eacute;volt&eacute;, &agrave; tel point que les exp&eacute;riences de Bataille et Strindberg reproduisent les m&ecirc;mes proc&eacute;d&eacute;s dans leur discipline transgressive. Or, ces exp&eacute;riences litt&eacute;raires servent aujourd&rsquo;hui de mod&egrave;le. Comme l&rsquo;&eacute;crit fort justement Deniau&nbsp;: &laquo;&nbsp;il n&rsquo;y a pas de diff&eacute;rence essentielle entre un individu qui devient hors de soi dans le d&eacute;cha&icirc;nement de la violence pulsionnelle li&eacute; &agrave; la disparition de son lien avec l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; et une foule qui s&rsquo;en remet &agrave; un autre qui nie l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; collective.&nbsp;&raquo; (2010, 40). C&rsquo;est pourquoi, ces exp&eacute;riences litt&eacute;raires sont aussi des ic&ocirc;nes qui deviennent d&eacute;sormais un projet &eacute;conomique et politique, lorsqu&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; entreprend d&rsquo;offrir des alternatives pour &ecirc;tre autre que soi dans un march&eacute; des identit&eacute;s et des transmigrations diverses&nbsp;: culturelles et sexuelles aujourd&rsquo;hui, technologiques demain. D&rsquo;autres s&rsquo;inspirent d&rsquo;Ac&eacute;phale et promeuvent des pratiques de terreur ou de fureur autodestructrices qui en sont des effectuations que nous &eacute;tudierons dans un autre article. L&rsquo;exp&eacute;rience est lib&eacute;ratoire mais elle est aussi une ali&eacute;nation destructrice passant n&eacute;cessairement par le sacrifice de son humanit&eacute;, soit bien plus que la seule somatophobie d&rsquo;&ecirc;tre un corps limit&eacute; et inapte &agrave; &eacute;prouver l&rsquo;infinit&eacute; des exp&eacute;riences d&rsquo;autres &ecirc;tres ou de la totalit&eacute;. Des philosophes consid&egrave;rent tout &agrave; l&rsquo;inverse cette lib&eacute;ration tel un projet de destruction de l&rsquo;homme, celui-ci se condamnant &agrave; son obsolescence d&egrave;s lors qu&rsquo;il aspire &agrave; se d&eacute;passer en se violentant. Cette ali&eacute;nation exprime la haine d&rsquo;&ecirc;tre, l&rsquo;emportant sur l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;&ecirc;tre. Deux philosophes, Lukacs et Baudrillard, ont t&eacute;moign&eacute;, chacun &agrave; leur mani&egrave;re, de cette r&eacute;ification ou de cette consommation de l&rsquo;homme par lui-m&ecirc;me. Avec eux, la qu&ecirc;te de la lib&eacute;ration devient une promesse politique propice &agrave; la domination des populations&nbsp;: les discours sur la lib&eacute;ration &eacute;tant au fond un appel &agrave; la totale servitude&nbsp;!</p> <p class="texte" dir="ltr">Lukacs est le philosophe de la r&eacute;ification<a class="footnotecall" href="#ftn13" id="bodyftn13">13</a>. Il utilise des expressions telles &laquo;&nbsp;la chosification de la vie&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;la tendance &agrave; la d&eacute;personnalisation&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ce d&eacute;sir de tout r&eacute;duire &agrave; des chiffres&nbsp;&raquo; d&egrave;s 1908. Influenc&eacute; par Simmel et Marx, il d&eacute;veloppe ensuite sa th&eacute;orie de la r&eacute;ification. L&rsquo;homme se d&eacute;termine par les productions et les techniques qui le font advenir. Le capitalisme r&eacute;ifie l&rsquo;homme par les conditions de travail et leurs m&eacute;triques. L&rsquo;homme est d&eacute;compos&eacute; dans une op&eacute;ration analytique de toutes les fonctions de son existence. Cette op&eacute;ration l&rsquo;investit, le surd&eacute;termine et le d&eacute;poss&egrave;de de lui-m&ecirc;me. Cette d&eacute;composition logique a pour projet en retour sa marchandisation. Celle-ci objective et m&eacute;canise l&rsquo;humain jusqu&rsquo;&agrave; sa dislocation. Lukacs montre que l&rsquo;instrumentalisation est &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre parce que la foi pythagoricienne selon laquelle tout est nombre &oelig;uvre &agrave; cette d&eacute;construction m&eacute;thodique de l&rsquo;humanit&eacute; en sa seule quantit&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;les m&eacute;thodes des math&eacute;matiques et de la g&eacute;om&eacute;trie, la m&eacute;thode de la construction, de la cr&eacute;ation de l&rsquo;objet &agrave; partir des conditions formelles d&rsquo;une objectivit&eacute; en g&eacute;n&eacute;ral, puis les m&eacute;thodes de la physique math&eacute;matique, deviennent ainsi le guide et la mesure de la philosophie, de la connaissance du monde comme totalit&eacute;.&nbsp;&raquo; (1974, 143). L&rsquo;objectivation de l&rsquo;homme par l&rsquo;homme inverse ainsi le sens de la rationalit&eacute; qui devient irrationnelle et ali&eacute;nante&nbsp;: l&rsquo;homme de quantit&eacute; est la n&eacute;gation de l&rsquo;humain.</p> <p class="texte" dir="ltr">Baudrillard est le philosophe de la consommation<a class="footnotecall" href="#ftn14" id="bodyftn14">14</a>. La lib&eacute;ration des corps se fait par un investissement nouveau de ces derniers. Loin d&rsquo;abandonner la haine du corps des anciens, la modernit&eacute; en fait un objet &eacute;tranger &agrave; transformer, manipuler, commercialiser ou adapter selon les techniques disponibles. La consommation de son corps ou du corps des autres en fait une marchandise dont la sacralit&eacute; tient &agrave; celle du march&eacute; lui-m&ecirc;me, simulacre des religiosit&eacute;s ant&eacute;rieures. Le march&eacute; r&eacute;duit alors l&rsquo;homme &agrave; des signes et des symboles. Baudrillard d&eacute;crit cette dialectique de la d&eacute;mystification-resacralisation&nbsp;: &laquo;&nbsp;Nous voyons que le corps, aujourd&#39;hui, apparemment triomphant, au lieu de constituer encore une instance vivante et contradictoire, une instance de &quot;d&eacute;mystification&quot;, a tout simplement pris le relais de l&#39;&acirc;ge comme instance mythique, comme dogme et comme sch&egrave;me de salut. Sa &quot;d&eacute;couverte&quot;, qui fut longtemps une critique du sacr&eacute;, vers plus de libert&eacute;, de v&eacute;rit&eacute;, d&#39;&eacute;mancipation, bref un combat pour l&#39;homme contre Dieu, se fait aujourd&#39;hui sous le signe de la <em>resacralisation</em>. Le culte du corps n&#39;est plus en contradiction avec celui de l&#39;&acirc;me&nbsp;: il lui succ&egrave;de et h&eacute;rite de sa fonction id&eacute;ologique.&nbsp;&raquo; (1970, 212). Son analyse de ces ph&eacute;nom&egrave;nes de soci&eacute;t&eacute; renverse le concept de lib&eacute;ration. Les pratiques du march&eacute; sont des enfermements ali&eacute;nants command&eacute;s aux populations ou chaque groupe d&eacute;termin&eacute; re&ccedil;oit sa mission d&rsquo;&eacute;mancipation dont il ne saurait d&eacute;roger&nbsp;: &laquo;&nbsp;On donne &agrave; consommer de la Femme aux femmes, des Jeunes aux jeunes, et, dans cette&nbsp;&eacute;mancipation&nbsp;formelle et narcissique, on r&eacute;ussit &agrave; conjurer leur lib&eacute;ration r&eacute;elle. Ou encore&nbsp;: en assignant les Jeunes &agrave; la R&eacute;volte (&quot;Jeunes&nbsp;=&nbsp;R&eacute;volte&quot;) on fait d&#39;une pierre deux coups&nbsp;: on conjure la r&eacute;volte diffuse dans toute la soci&eacute;t&eacute; en l&#39;affectant &agrave; une cat&eacute;gorie particuli&egrave;re, et on neutralise cette cat&eacute;gorie en la circonscrivant dans un r&ocirc;le particulier&nbsp;: la r&eacute;volte. Admirable cercle vicieux de l&#39;&quot;&eacute;mancipation&quot; dirig&eacute;e, qu&#39;on retrouve pour la femme&nbsp;: en confondant la femme et la lib&eacute;ration sexuelle, on les neutralise l&#39;une par l&#39;autre. La femme se &quot;consomme&quot; &agrave; travers la lib&eacute;ration sexuelle, la lib&eacute;ration sexuelle se &quot;consomme&quot; &agrave; travers la femme. Ce n&#39;est pas l&agrave; un jeu de mots. Un des m&eacute;canismes fondamentaux de la consommation est cette autonomisation formelle de groupes, de classes, de castes (et de l&#39;individu) &agrave; partir de et gr&acirc;ce &agrave; l&#39;autonomisation formelle de syst&egrave;mes de signes et de r&ocirc;les.&nbsp;&raquo; (1970, 216). Baudrillard d&eacute;crit la subversion de la libert&eacute; par la consommation qui dicte &agrave; chacun une id&eacute;ologie consum&eacute;riste de soi et de l&rsquo;autre dont les orientations ferment les voies &agrave; d&rsquo;autres conceptions anthropologiques de la destin&eacute;e humaine. L&rsquo;&eacute;mancipation est dirig&eacute;e&nbsp;! Ce simple monopole atteste que la consommation ali&egrave;ne la libert&eacute; en incitant &agrave; des &eacute;mancipations par une injonction soci&eacute;tale de se conformer au consum&eacute;risme des corps et des &ecirc;tres.</p> <p class="texte" dir="ltr">Pour le psychologue, ces exp&eacute;riences expriment une violence contre soi. Les pulsions violentes o&ugrave; l&rsquo;homme se d&eacute;value, se maltraite et se d&eacute;truit s&rsquo;analysent comme des pathologies r&eacute;sultant d&rsquo;un psychisme o&ugrave; l&rsquo;absence de satisfaction des d&eacute;sirs produit une pulsion violente. La haine de soi ou autophobie traduit cette aversion li&eacute;e &agrave; une perte d&rsquo;estime de soi. La vie psychique de la personne dont celle de ses relations &agrave; ses proches l&rsquo;am&egrave;ne &agrave; d&eacute;velopper un sentiment d&rsquo;indignit&eacute; ou de culpabilit&eacute; propice &agrave; une d&eacute;pr&eacute;ciation de soi, parfois jusqu&rsquo;&agrave; la d&eacute;pression. Ce sont alors des relations affectives primordiales et des images de soi produites par le regard, les attitudes et les discours de ses proches qui perturbent son regard sur soi, d&rsquo;o&ugrave; des troubles &eacute;motionnels et un rejet des autres ou de soi dans ce jeu des repr&eacute;sentations<a class="footnotecall" href="#ftn15" id="bodyftn15">15</a>. L&rsquo;autophobie alt&egrave;re les relations. En ce sens elle est une ali&eacute;nation par isolement croissant, les relations &agrave; soi et aux autres devenant impossibles, illisibles et insens&eacute;es, affectant la perception de soi jusqu&rsquo;&agrave; douter de son existence. Cette autophobie induit une d&eacute;saffection et un d&eacute;sinvestissement, une sorte de retrait de soi. Devenant spectateur de soi, cette objectivation conduit &agrave; d&eacute;sirer une ultime ext&eacute;riorit&eacute; par d&eacute;samour et d&eacute;senchantement. A cet &eacute;gard, les d&eacute;possessions de Bataille ou Strindberg sont des appels &agrave; une prise de possession alternative pour habiter d&rsquo;autres formes d&rsquo;&ecirc;tre en &eacute;tant pris et habit&eacute; par une alternative de soi. L&rsquo;autophobie accro&icirc;t l&rsquo;impuissance d&rsquo;&ecirc;tre avec une d&eacute;sesp&eacute;rante aspiration de se voir d&eacute;poss&eacute;d&eacute; de soi puis poss&eacute;d&eacute; par une ext&eacute;riorit&eacute;, se lib&eacute;rant d&rsquo;&ecirc;tre par soi-m&ecirc;me&nbsp;; soit la violence du d&eacute;poss&eacute;d&eacute;-poss&eacute;d&eacute;.</p> <h2 dir="ltr" id="heading3" style="font-style:italic;">3. Les d&eacute;lices de la servitude</h2> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;autophobie manifeste ce d&eacute;sir tragique de lib&eacute;ration jusqu&rsquo;&agrave; se retourner en une renonciation par une destruction de la conscience d&rsquo;&ecirc;tre. Comme Lukacs ou Baudrillard le montrent, la dialectique &oelig;uvre &agrave; cette inversion o&ugrave; la libert&eacute; se confond avec de plus grandes servitudes. Or, La Bo&eacute;tie &eacute;tait d&eacute;j&agrave; l&rsquo;observateur attentif de cette ambigu&iuml;t&eacute; humaine o&ugrave; la servitude volontaire est en fait d&eacute;sirable, lib&eacute;rant de quelques fardeaux. La lecture de La Bo&eacute;tie prend donc ici un relief bien particulier. Il s&rsquo;interroge &agrave; propos de cette situation o&ugrave; malgr&eacute; sa nature libre, selon lui, l&rsquo;homme d&eacute;sir la servitude&nbsp;: &laquo;&nbsp;Comment s&rsquo;est enracin&eacute;e si profond&eacute;ment cette opini&acirc;tre volont&eacute; de servir qui ferait croire qu&rsquo;en effet l&rsquo;amour m&ecirc;me de la libert&eacute; n&rsquo;est pas si naturel&nbsp;&raquo;&nbsp;? (1978, 204). L&rsquo;hypoth&egrave;se de cette pr&eacute;f&eacute;rence l&eacute;gitime la r&eacute;flexion de l&rsquo;auteur&nbsp;: &laquo;&nbsp;Comment il se peut que tant d&rsquo;hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d&rsquo;un tyran seul, qui n&rsquo;a de puissance que celle qu&rsquo;on lui donne, qui n&rsquo;a pouvoir de leur nuire, qu&rsquo;autant qu&rsquo;ils veulent bien l&rsquo;endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s&rsquo;ils n&rsquo;aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire&nbsp;?&nbsp;&raquo; (1978, 174-175). Plusieurs arguments sont &agrave; retenir.</p> <p class="texte" dir="ltr">Premi&egrave;rement, la chaine des tyrans tient &agrave; l&rsquo;existence d&rsquo;un int&eacute;r&ecirc;t de soutenir le tyran faisant de ces contreparties les sources d&rsquo;une transaction de sa libert&eacute; au profit de la servitude intentionnelle. L&rsquo;exercice de grandes et petites tyrannies organise une complicit&eacute; de la tyrannie dont beaucoup tire un profit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Et qui voudra en suivre la trace verra que non pas six mille, mais cent mille, des millions viennent au tyran par cette fili&egrave;re et forment entre eux une cha&icirc;ne non interrompue qui remonte jusqu&rsquo;&agrave; lui.&nbsp;[&hellip;] En somme, par les gains et parts de gains que l&rsquo;on fait avec les tyrans, on arrive &agrave; ce point qu&rsquo;enfin il se trouve presque un aussi grand nombre de ceux auxquels la tyrannie est profitable, que de ceux auxquels la libert&eacute; serait utile&nbsp;&raquo; (1978, 203).</p> <p class="texte" dir="ltr">Deuxi&egrave;mement, l&rsquo;habitude au sens des coutumes tient &agrave; la permanence des soci&eacute;t&eacute;s, de leurs rites et &eacute;ducations o&ugrave; se transmettent les r&egrave;gles d&rsquo;ob&eacute;issance, de soumission, voire de servitude&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;habitude qui, en toutes choses, exerce un si grand empire sur toutes nos actions, a surtout le pouvoir de nous apprendre &agrave; servir&nbsp;: c&rsquo;est elle qui &agrave; la longue&nbsp;[&hellip;] parvient &agrave; nous faire avaler, sans r&eacute;pugnance, l&rsquo;amer venin de la servitude&nbsp;&raquo; (1978, 190). L&rsquo;habitude rend la servitude imperceptible tant elle se confond &agrave; une seconde nature.</p> <p class="texte" dir="ltr">Troisi&egrave;mement, la ruse des tyrans tient &agrave; l&rsquo;exercice du pouvoir jouant du prestige, de l&rsquo;identification valorisante, des gloires partag&eacute;es et des loisirs offerts aux populations&nbsp;: jeux, divertissements afin d&rsquo;&laquo;&nbsp;endormir [les] sujets dans la servitude.&nbsp;&raquo; (1978, 203).</p> <p class="texte" dir="ltr">La Bo&eacute;tie met en &eacute;vidence que le d&eacute;sir de servir exc&egrave;de celui d&rsquo;exercer sa libert&eacute;. La servitude aux coutumes induit certes une d&eacute;pendance et l&rsquo;ob&eacute;issance &agrave; des autorit&eacute;s, mais cette subordination a des contreparties en termes de continuit&eacute; des usages, d&rsquo;accoutumance et de pacification des relations. Les obligations sont certes des servitudes mais les servilit&eacute;s qu&rsquo;elles induisent sont des souffrances acceptables d&egrave;s lors qu&rsquo;elles conf&egrave;rent un confort dans la r&eacute;ciprocit&eacute; des obligations du tyran d&rsquo;assurer la tranquillit&eacute; ou les divertissements. En cela la servitude ne se confond pas avec un esclavage, puisque le tyran ne saurait se maintenir sans distribuer des contreparties &agrave; ceux qui acceptent de transiger leur libert&eacute; au profit de ces avantages.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il existe donc un d&eacute;lice de la servitude parce qu&rsquo;elle offre des avantages. L&rsquo;ob&eacute;issance n&rsquo;est pas intrins&egrave;quement d&eacute;testable puisqu&rsquo;elle s&rsquo;accompagne d&rsquo;une reconnaissance et de privil&egrave;ges communs. A cet &eacute;gard, bien plus tard, le sociologue Bourdieu exprime un avis tr&egrave;s voisin en des termes plus contemporains&nbsp;: &laquo;&nbsp;On ne peut donc penser cette forme particuli&egrave;re de domination qu&rsquo;&agrave; condition de d&eacute;passer l&rsquo;alternative de la contrainte (par des forces) et du consentement (&agrave; des raisons), de la coercition m&eacute;canique et de la soumission volontaire, libre, d&eacute;lib&eacute;r&eacute;e, voire calcul&eacute;e. L&rsquo;effet de la domination symbolique (qu&rsquo;elle soit d&rsquo;ethnie, de genre, de culture, de langue, etc.) s&rsquo;exerce non dans la logique pure des consciences connaissantes, mais &agrave; travers les sch&egrave;mes de perception, d&rsquo;appr&eacute;ciation et d&rsquo;action qui sont constitutifs des <em>habitus</em> et qui fondent, en de&ccedil;&agrave; des d&eacute;cisions de la conscience et des contr&ocirc;les de la volont&eacute;, une relation de connaissance profond&eacute;ment obscure &agrave; elle-m&ecirc;me&nbsp;&raquo; (1998, 43). La soumission &agrave; de multiples autorit&eacute;s est un <em>habitus</em> qui s&rsquo;explique en partie par la d&eacute;pendance initiale de l&rsquo;enfant dont le d&eacute;veloppement psychologique et sociale est conditionn&eacute; &agrave; des relations humaines structurantes de son &eacute;panouissement.</p> <p class="texte" dir="ltr">A ce sujet, cette d&eacute;pendance premi&egrave;re montre que la libert&eacute; de principe n&rsquo;est pas l&rsquo;effective libert&eacute; initiale. Le psychologue Winnicott explique l&rsquo;&eacute;mergence de l&rsquo;humanit&eacute; dans son &eacute;tude des ph&eacute;nom&egrave;nes transitionnels. Il note que &laquo;&nbsp;l&#39;exp&eacute;rience de la frustration rend les objets r&eacute;els, c&#39;est-&agrave;-dire, aussi bien ha&iuml;s qu&#39;aim&eacute;s.&nbsp;&raquo; (1969, 180). La dimension dialectique de la relation aux objets est inh&eacute;rente &agrave; ces premi&egrave;res exp&eacute;rimentations o&ugrave; les r&eacute;sistances des objets obligent &agrave; se satisfaire d&rsquo;une situation dans toutes les limites de ses circonstances. Les premi&egrave;res transactions op&egrave;rent l&agrave;, faisant d&eacute;couvrir l&rsquo;insoumission du monde des choses et des &ecirc;tres, sa r&eacute;sistance et son pouvoir de r&eacute;v&eacute;ler le fait d&rsquo;&ecirc;tre conditionn&eacute;. Le philosophe Castoriadis &eacute;tudiant la haine de soi et la haine de l&rsquo;autre en explique l&rsquo;origine o&ugrave; les premi&egrave;res relations &agrave; soi et aux autres induisent cette dialectique fa&icirc;tes d&rsquo;attirance et de r&eacute;pulsion, de d&eacute;sir et de frustrations&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il existe deux expressions psychiques de la haine&nbsp;: la haine de l&#39;autre et la haine de soi, celle-ci n&#39;apparaissant pas en g&eacute;n&eacute;ral comme telle. Mais il faut comprendre que les deux ont une racine commune, le refus de la monade psychique d&#39;accepter ce qui, pour elle, est, au m&ecirc;me titre, &eacute;tranger&nbsp;: l&#39;individu socialis&eacute; dont elle a &eacute;t&eacute; forc&eacute;e de rev&ecirc;tir la forme, les individus sociaux dont elle est oblig&eacute;e d&#39;accepter la coexistence (toujours, profond&eacute;ment, moins r&eacute;elle que son existence propre pour elle-m&ecirc;me - donc aussi, beaucoup plus facilement sacrifiable).&nbsp;&raquo;(1999)</p> <p class="texte" dir="ltr">La psychologie de La Bo&eacute;tie explicite donc cette n&eacute;gociation de la servitude intentionnelle. A cet &eacute;gard, les psychologues contemporains distinguent des degr&eacute;s d&rsquo;ob&eacute;issance et parmi eux des pratiques ali&eacute;nantes faisant d&rsquo;une ob&eacute;issance inconditionnelle un moyen d&rsquo;exercer une tyrannie dans laquelle le tyrannis&eacute; se soumettra, jusqu&rsquo;&agrave; justifier son bourreau ou &eacute;prouver du plaisir &agrave; se savoir domin&eacute;. Trois exemples illustrent ce passage de la servitude &agrave; l&rsquo;esclavage. Le masochisme, l&rsquo;exp&eacute;rience de Milgram et le syndrome de Stockholm<a class="footnotecall" href="#ftn16" id="bodyftn16">16</a>. Le masochisme renverse le rapport &agrave; la souffrance et &agrave; l&rsquo;humiliation qui devient d&eacute;sirable. Le sentiment d&rsquo;inf&eacute;riorit&eacute; y est entretenu. L&rsquo;ob&eacute;issance induit une passivit&eacute;. Cette m&ecirc;me passivit&eacute; se manifeste dans l&rsquo;impuissance &agrave; la r&eacute;volte dans les ordres de l&rsquo;exp&eacute;rience de Milgram. La servitude devient servilit&eacute; par inf&eacute;riorit&eacute; &agrave; l&rsquo;expert qui ordonne d&rsquo;infliger des souffrances croissantes &agrave; un innocent, victime d&rsquo;une exp&eacute;rimentation de la torture. Par sa persuasion, l&rsquo;assistant obtient une soumission totale mais librement consentie. Enfin, le syndrome de Stockholm fait devenir complice en &eacute;prouvant une affection pour son bourreau persuasif. L&rsquo;ob&eacute;issance inconditionnelle conduit &agrave; l&rsquo;ali&eacute;nation.</p> <h2 dir="ltr" id="heading4" style="font-style:italic;">4. Le politique comme transactions symboliques</h2> <p class="texte" dir="ltr">La finesse de l&rsquo;expression de La Bo&eacute;tie&nbsp;: &laquo;&nbsp;la servitude volontaire&nbsp;&raquo;, atteste d&rsquo;une intention d&rsquo;ob&eacute;ir afin d&rsquo;assurer des relations sociales, voire une libert&eacute; collective au service d&rsquo;un bien commun qui apporte &agrave; chacun des contreparties, ce que La Bo&eacute;tie reconna&icirc;t volontiers. En fait, La Bo&eacute;tie n&rsquo;est pas du c&ocirc;t&eacute; du loup de La Fontaine. Sa libert&eacute; est certes un mod&egrave;le d&rsquo;autonomie, mais le loup per&ccedil;oit la vie du chien telle une ali&eacute;nation sans voir cette transaction o&ugrave; le chien accro&icirc;t la puissance de l&rsquo;homme par les services qu&rsquo;il lui rend, l&rsquo;homme lui garantissant en &eacute;change des conditions de vie moins incertaines. Chacune des deux conditions a donc ses autonomies et ses h&eacute;t&eacute;ronomies&nbsp;: de la nature pour le loup, de la soci&eacute;t&eacute; humaine pour le chien. L&rsquo;enseignement de La Fontaine tiendrait moins de la comparaison que de la r&eacute;v&eacute;lation d&rsquo;un glissement dans le choix de ses libert&eacute;s et de ses servitudes. En effet, la lib&eacute;ration est dialectique et ce qu&rsquo;elle vise peut-&ecirc;tre per&ccedil;u telle une &eacute;mancipation avant d&rsquo;advenir telle une ali&eacute;nation. De m&ecirc;me, l&rsquo;ob&eacute;issance est d&rsquo;abord une contrainte par la soumission &agrave; des r&egrave;gles, mais elle cr&eacute;e les conditions d&rsquo;une autre libert&eacute; et d&rsquo;une &eacute;mancipation nouvelle. C&rsquo;est ici int&eacute;grer la r&egrave;gle pour ensuite la ma&icirc;triser, la dominer, voire s&rsquo;en d&eacute;tacher avec art selon les circonstances. Ce qui est r&eacute;gl&eacute; lib&egrave;re pour autre chose sauf &agrave; choisir de contester la r&egrave;gle pour s&rsquo;en &eacute;manciper, pensant que la libert&eacute; s&rsquo;exerce sur l&rsquo;objet de la r&egrave;gle. Cette dialectique semble autant tenir du jeu des perceptions que de la dynamique de ces &eacute;v&eacute;nements o&ugrave; les relations &agrave; soi et aux autres changent de sens.</p> <p class="texte" dir="ltr">Tentons maintenant une synth&egrave;se r&eacute;unissant les travaux des philosophes politiques et des psychologues et retenons de La Bo&eacute;tie qu&rsquo;il explique cette transaction symbolique des libert&eacute;s et des servitudes. Elle serait la mani&egrave;re dont l&rsquo;homme investit ses relations au monde, aux autres et &agrave; lui-m&ecirc;me. Pour les r&eacute;aliser, il s&rsquo;approprie ce qui lui est ext&eacute;rieur. Il int&eacute;riorise pour juger, se d&eacute;terminer et exercer son arbitrage, en ayant d&eacute;lib&eacute;r&eacute; en son for int&eacute;rieur, sans avoir d&rsquo;ailleurs la pleine ma&icirc;trise de cette d&eacute;lib&eacute;ration, rationnelle pour une part, affective pour une autre, int&eacute;ress&eacute; &agrave; quelques n&eacute;goces aussi, d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t des ph&eacute;nom&egrave;nes transitionnels de Winnicott. Cette appropriation se fait attention aux choses, &eacute;coute des autres et confiance en soi, conduisant &agrave; des interactions et des transactions avec les choses et les autres&nbsp;: les &laquo;&nbsp;autre-que-soi&nbsp;&raquo; ainsi d&eacute;nomm&eacute;s par Winnicott, o&ugrave; la personne humaine &eacute;merge dans cette succession de transactions. L&rsquo;&eacute;mergence de son humanit&eacute; personnelle, sociale et politique serait le r&eacute;sultat de ces appropriations et de ces transactions. Elles seraient la manifestation d&rsquo;accords sociaux o&ugrave; se reconnaissent des b&eacute;n&eacute;fices &agrave; ce jeu des transactions. L&rsquo;appropriation r&eacute;ciproque renverrait alors &agrave; l&rsquo;appropriement, soit &agrave; des relations qui t&eacute;moignent d&rsquo;une appropriation, au sens d&rsquo;une juste correspondance des parties satisfaites de leurs appropriements qui les lient dans une soci&eacute;t&eacute; dont ils sont les appropri&eacute;s.</p> <p class="texte" dir="ltr">La Bo&eacute;tie montre que la volont&eacute; de servitude tient &agrave; ce travail d&rsquo;appropriement par concession r&eacute;ciproque dans ces transactions symboliques. Et ce commerce de la libert&eacute; enjoint de passer de l&rsquo;expression de la satisfaction de ses d&eacute;sirs narcissiques &agrave; la reconnaissance de l&rsquo;existence d&rsquo;autrui dont la m&ecirc;me satisfaction de ces d&eacute;sirs passe par le sacrifice ou le don de soi en des pratiques sociales concert&eacute;es dans un commerce plus global qui fait vivre en soci&eacute;t&eacute; avec ses b&eacute;n&eacute;fices propres. Or, cette articulation a valu quelques d&eacute;bats dont la conviction que la libert&eacute; sociale offre de plus grande libert&eacute; quand bien m&ecirc;me elle sacrifie certaines des aspirations individuelles. Que certains y voient l&rsquo;insoutenable &eacute;mergence de servitudes sociales auxquelles ils ne veulent se soumettre est un fait de soci&eacute;t&eacute;, ceux-l&agrave; ne voulant pas de concession en privil&eacute;giant leur seule satisfaction narcissique. Que d&rsquo;autres y voient &agrave; l&rsquo;inverse la concession raisonnable, voire l&rsquo;&eacute;vidence d&rsquo;une contrepartie sociale o&ugrave; chacun participe d&rsquo;une vie collective plus satisfaisante qu&rsquo;une vie solitaire, est tout aussi manifeste. Ainsi, la servitude expos&eacute;e par La Bo&eacute;tie r&eacute;v&egrave;le une soumission d&eacute;sir&eacute;e, une compr&eacute;hension de l&rsquo;impossibilit&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre uniquement par soi-m&ecirc;me, sans &ecirc;tre appropri&eacute; par d&rsquo;autres, o&ugrave; l&rsquo;existence sociale fixe des r&egrave;gles en dispensant d&rsquo;avoir &agrave; les instituer ou les discuter. Cette tranquillit&eacute; permet alors de se consacrer &agrave; autre chose qui pourrait &ecirc;tre plus essentiel.</p> <p class="texte" dir="ltr">Nombreux seraient ceux qui aspirent &agrave; l&rsquo;&eacute;quilibre d&rsquo;une servitude volontaire, donc r&eacute;fl&eacute;chie. Est-elle pour autant ali&eacute;nante ou fixe-t-elle les r&egrave;gles d&rsquo;un quotidien pour se consacrer &agrave; d&rsquo;autres expressions de sa libert&eacute;&nbsp;? La Bo&eacute;tie explique peut-&ecirc;tre la grande sagesse de se soumettre pour se lib&eacute;rer en veillant &agrave; &eacute;viter l&rsquo;av&egrave;nement de l&rsquo;Un par le Contre&rsquo;Un&nbsp;; autre titre de son &oelig;uvre. Etre en commun serait une servitude raisonnable mais ne serait pas faire Un, ni perdre sa libert&eacute; int&eacute;rieure de d&eacute;lib&eacute;rer ou de dialoguer sur la pluralit&eacute; des possibles qui s&rsquo;offrent dans le quotidien des affaires de la vie. La transaction symbolique permettrait &agrave; des populations de jouir d&rsquo;avantages en contrepartie de quelques embarras du pouvoir. Et la conscience de certaines servitudes accept&eacute;es ne dit pas qu&rsquo;elles ne fassent pas l&rsquo;objet d&rsquo;un assentiment r&eacute;fl&eacute;chi. L&agrave; aussi, l&rsquo;appropriation des transactions rel&egrave;ve d&rsquo;un exercice de persuasion pour que chacun per&ccedil;oive la valeur symbolique du mod&egrave;le politique dans lequel ces transactions s&rsquo;organisent. Chaque soci&eacute;t&eacute; passe l&rsquo;incessante &eacute;preuve de la preuve symbolique &agrave; travers la reconnaissance de l&rsquo;opinion. Et Hume, avant l&rsquo;&egrave;re des m&eacute;dias, l&rsquo;avait d&eacute;j&agrave; clairement per&ccedil;u&nbsp;: &laquo;&nbsp;Rien ne para&icirc;t plus surprenant &agrave; ceux qui contemplent les choses humaines d&#39;un &oelig;il philosophique, que de voir la facilit&eacute; avec laquelle le grand nombre est gouvern&eacute; par le petit, et l&#39;humble soumission avec laquelle les hommes sacrifient leurs sentiments et leurs penchants &agrave; ceux de leurs chefs. Quelle est la cause de cette merveille&nbsp;? Ce n&#39;est pas la force&nbsp;; les sujets sont toujours les plus forts. Ce ne peut donc &ecirc;tre que l&#39;opinion. C&#39;est sur l&#39;opinion que tout gouvernement est fond&eacute;, le plus despotique et le plus militaire aussi bien que le plus populaire et le plus libre.&nbsp;&raquo; (1972, 70)</p> <p class="texte" dir="ltr">Mais si l&rsquo;&oelig;uvre de La Bo&eacute;tie s&rsquo;intitule aussi le Contre&rsquo;Un, il faut y voir l&rsquo;avertissement que tout r&eacute;gime proc&eacute;dant par imposition de ses seuls points de vue devient une menace pour les libert&eacute;s&nbsp;? L&agrave;, la psychologie devient plus sociale et politique lorsqu&rsquo;elle souligne que les institutions de la soci&eacute;t&eacute; cherchent &agrave;&nbsp;forger une image prescriptive de soi, de l&rsquo;autre et des relations qui les lient. Si la soci&eacute;t&eacute; prescrit par des injonctions mim&eacute;tiques, la totale servitude est l&agrave;, sous les habits trompeurs de l&rsquo;apologie des &eacute;mancipations marchandes si bien &eacute;voqu&eacute;es par Lukacs et Baudrillard. Fort est de constater que la soci&eacute;t&eacute; contemporaine construit un monde d&rsquo;ic&ocirc;nes qui agissent telles de nouvelles servitudes dont le tyran est aussi la victime&nbsp;: somatophobe et autophobe. Ceci m&eacute;rite un ultime d&eacute;veloppement quand la transaction se fait prescription.</p> <h2 dir="ltr" id="heading5" style="font-style:italic;">5. Les composantes psychologiques d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; a-humaine</h2> <p class="texte" dir="ltr">La servitude est volontaire pour autant qu&rsquo;elle soit n&eacute;gociable et r&eacute;versible. C&rsquo;est le sens m&ecirc;me de la transaction symbolique. Or, les pathologies des nouvelles servitudes&nbsp;: somatophobie et autophobie, t&eacute;moignent d&rsquo;un asservissement des populations par l&rsquo;usage des ic&ocirc;nes qui dictent des conformit&eacute;s irr&eacute;versibles ou des transformations radicales, de plus en plus &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans les soci&eacute;t&eacute;s contemporaines. L&rsquo;ic&ocirc;ne exerce ce pouvoir h&eacute;t&eacute;ronome de prescription.</p> <p class="texte" dir="ltr">La somatophobie englobe trois types de pathologies&nbsp;: l&rsquo;anorexie, la boulimie et l&rsquo;iconophobie. L&rsquo;anorexie mentale induit une maltraitance parfois mortif&egrave;re du corps dont l&rsquo;une des sources est la conformit&eacute; &agrave; des canons et une relation d&eacute;ficiente &agrave; soi et aux autres. La boulimie est un autre trouble du comportement alimentaire dont une des cons&eacute;quences les plus visibles est l&rsquo;ob&eacute;sit&eacute; extr&ecirc;me ali&eacute;nante et elle aussi mortif&egrave;re. Elle r&eacute;sulte d&rsquo;un mode de vie tr&egrave;s largement prescrit. L&rsquo;iconophobie manifeste un rejet de son image et sa mise en conformit&eacute; &agrave; des mod&egrave;les par une succession d&rsquo;op&eacute;rations chirurgicales. Elle t&eacute;moigne d&rsquo;un refus de sa condition et de cette pression des ic&ocirc;nes afin de remodeler ce corps-objet pour le conformer au prescrit. Or, ces trois pathologies sont en tr&egrave;s fortes croissances dans nos soci&eacute;t&eacute;s.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;autophobie englobe deux pathologies majeures&nbsp;: le suicide et la transformation de soi<a class="footnotecall" href="#ftn17" id="bodyftn17">17</a>. Leur croissance est tout aussi observable dans nos soci&eacute;t&eacute;s par l&rsquo;exhibition d&rsquo;ic&ocirc;nes qui prescrivent ces comportements.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ces cinq facteurs ont en commun d&rsquo;exprimer la haine de soi par l&rsquo;apologie de la transformation violente fa&icirc;tes de maltraitances, de mutilations, de tortures et de pers&eacute;cutions, voire d&rsquo;op&eacute;rations engendrant des d&eacute;pendances permanentes. Ils sont contraires &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre de civilisation dont Deniau dit avec justesse que &laquo;&nbsp;chaque homme doit s&rsquo;efforcer de symboliser la pulsion de destruction, pour devenir un sujet. Dans cet effort, l&rsquo;humain se construit une figure de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; qui lui est n&eacute;cessaire pour se penser. Il devient d&egrave;s lors solidaire de l&rsquo;autre, comme autrui, en qui il reconna&icirc;t un mouvement psychique identique et comme autre, alter ego, il devient de ce fait solidaire puisque cet autre lui est n&eacute;cessaire pour penser, parler et m&ecirc;me se penser. L&rsquo;acte inverse laisse libre cours &agrave; la pulsion&nbsp;: d&eacute;truire ou se d&eacute;truire.&nbsp;&raquo; (2010, 39). Pourtant, la dialectique op&egrave;re. En effet, ces facteurs ne sont pas per&ccedil;us ainsi. D&egrave;s lors qu&rsquo;ils sont le r&eacute;sultat du d&eacute;sir et de la volont&eacute; de leurs auteurs sur eux-m&ecirc;mes, leur critique devient inconvenante, voire insoutenable ou m&ecirc;me ill&eacute;gale. A-t-on un droit &agrave; l&rsquo;anorexie, &agrave; l&rsquo;ob&eacute;sit&eacute;, au suicide, &agrave; sa transformation&nbsp;?</p> <p class="texte" dir="ltr">Seulement, cet argument des soci&eacute;t&eacute;s contemporaines inspir&eacute; de Maine de Biran suffit-il &agrave; d&eacute;douaner et d&eacute;qualifier ces actes&nbsp;? La seule autonomie de la d&eacute;cision au nom du droit &agrave; la construction-d&eacute;construction de soi est-elle la preuve suffisante de la libert&eacute; et de l&rsquo;&eacute;mancipation&nbsp;? Il suffit de consid&eacute;rer chacun de ces actes comme le r&eacute;sultat d&rsquo;une action d&rsquo;un tiers pour, tout &agrave; l&rsquo;inverse, s&rsquo;en scandaliser et comprendre qu&rsquo;ils sont des actes de torture, des meurtres et des mises en esclavage. L&rsquo;anorexique s&rsquo;affame mais que dire d&rsquo;une personne affam&eacute;e par un tiers&nbsp;? L&rsquo;iconophobe s&rsquo;inflige des souffrances mais que dire de celui qui impose &agrave; l&rsquo;autre des op&eacute;rations chirurgicales &laquo;&nbsp;esth&eacute;tiques&nbsp;&raquo;&nbsp;? Le suicid&eacute; se tue et que disons-nous du meurtrier&nbsp;? Et le transidentitaire s&rsquo;inflige des amputations physiologiques majeures&nbsp;dont la castration ou la greffe irr&eacute;versible alors que nos soci&eacute;t&eacute;s ont s&eacute;v&egrave;rement condamn&eacute;es par le pass&eacute; les pratiques anciennes de l&rsquo;&eacute;masculation des vaincus devenant eunuques ou plus r&eacute;cemment les castras<a class="footnotecall" href="#ftn18" id="bodyftn18">18</a>&nbsp;? Si l&rsquo;auteur et la victime sont le m&ecirc;me, l&rsquo;acte n&rsquo;est pas jug&eacute; de m&ecirc;me que si l&rsquo;auteur et la victime sont deux personnes&nbsp;! Troublant. En fait, ces facteurs ont en commun de mettre en &oelig;uvre une expropriation brutale de soi par un abus de propri&eacute;t&eacute; soutenu par la pens&eacute;e politique et juridique contemporaine qui d&eacute;douane chacun de sa haine de lui-m&ecirc;me, au seul motif que l&rsquo;intention &eacute;tant de soi, elle ne saurait constituer une ali&eacute;nation ou une servitude. Le droit se ferait le complice du comble de l&rsquo;asservissement. Il suffirait de susciter et de diriger ces &eacute;mancipations par quelques injonctions mim&eacute;tiques pour que l&rsquo;asservissement n&rsquo;en soi pas&nbsp;! Je laisse <em>in fine </em>le lecteur m&eacute;diter et juger de la port&eacute;e d&rsquo;un tel raisonnement qui accepte de renverser la perception des actes humains au seul motif de leurs auteurs.</p> <p class="texte" dir="ltr">Voil&agrave; pourquoi, il serait utile de suivre l&rsquo;&eacute;volution de ces pathologies et leurs effets dans quelques soci&eacute;t&eacute;s dont tout particuli&egrave;rement les Etats-Unis o&ugrave; elles sont tr&egrave;s pr&eacute;sentes et en forte croissance au regard des &eacute;tudes disponibles qui mesurent l&rsquo;impact du prescrit des ic&ocirc;nes sur les nouvelles pratiques somatophobes et autophobes. Ind&eacute;pendamment des dimensions personnelles qui demeurent, les &eacute;volutions en nombre r&eacute;v&egrave;lent des faits sociaux et politiques. Nous faisons modestement l&rsquo;hypoth&egrave;se, qu&rsquo;il conviendra de v&eacute;rifier au cours des ann&eacute;es &agrave; venir, que leur croissance simultan&eacute;e exprime un mal-&ecirc;tre destructeur de la condition humaine. Et quelques signes semblent annoncer une soci&eacute;t&eacute; domin&eacute;e par la violence d&rsquo;une qu&ecirc;te incessante de la concr&eacute;tisation de l&rsquo;imaginaire<a class="footnotecall" href="#ftn19" id="bodyftn19">19</a>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Au terme de cet article, notre proposition se r&eacute;sume ainsi. La somatophobie et l&rsquo;autophobie sont les sympt&ocirc;mes &eacute;minents d&rsquo;un d&eacute;sir n&eacute;gatif&nbsp;: de la haine de l&rsquo;autre ou de soi-m&ecirc;me, encourag&eacute;es et stimul&eacute;es par des ic&ocirc;nes, image de soi, image des m&oelig;urs. La r&eacute;ification totale d&eacute;crite par Lukacs et la marchandisation par Baudrillard montrent que l&rsquo;instrumentalisation de l&rsquo;humain est la manifestation d&rsquo;un asservissement d&rsquo;un nouveau type. <em>In fine</em>, cette servilit&eacute; se caract&eacute;rise par le d&eacute;placement de la cr&eacute;ativit&eacute;. Elle s&rsquo;exerce maintenant sur l&rsquo;homme lui-m&ecirc;me, objet de son auto-d&eacute;veloppement. Or, l&rsquo;inconditionn&eacute; n&rsquo;est rien de moins que la prise de pouvoir absolue d&rsquo;une suggestion h&eacute;t&eacute;ronome. La dialectique confond instantan&eacute;ment construction et d&eacute;construction puisque ces haines alt&egrave;rent l&rsquo;humain jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;achever dans la mort. Winnicott l&rsquo;avait per&ccedil;u en indiquant qu&rsquo;il s&rsquo;agit m&ecirc;me selon lui d&rsquo;une maladie o&ugrave; l&rsquo;homme d&eacute;teste la vie&nbsp;: <span style="background-color:#ffffff;">&laquo;&nbsp;Il s&#39;agit avant tout d&#39;un mode cr&eacute;atif de perception qui donne &agrave; l&#39;individu le sentiment que la vie vaut la peine d&#39;&ecirc;tre v&eacute;cue&nbsp;; ce qui s&#39;oppose &agrave; un tel mode de perception, c&#39;est une relation de complaisance soumise envers la r&eacute;alit&eacute; ext&eacute;rieure&nbsp;: le monde et tous ses &eacute;l&eacute;ments sont alors reconnus mais seulement comme &eacute;tant ce &agrave; quoi il faut s&#39;ajuster et s&#39;adapter. La soumission entra&icirc;ne chez l&#39;individu un sentiment de futilit&eacute;, associ&eacute; &agrave; l&#39;id&eacute;e que rien n&#39;a d&#39;importance. Ce peut &ecirc;tre m&ecirc;me un r&eacute;el supplice pour certains &ecirc;tres que d&#39;avoir fait l&#39;exp&eacute;rience d&#39;une vie cr&eacute;ative juste assez pour s&#39;apercevoir que, la plupart du temps, ils vivent de mani&egrave;re non cr&eacute;ative, comme s&#39;ils &eacute;taient pris dans la cr&eacute;ativit&eacute; de quelqu&#39;un d&#39;autre ou dans celle d&#39;une machine. Cette seconde mani&egrave;re de vivre dans le monde doit &ecirc;tre tenue pour une maladie, au sens psychiatrique du terme.&nbsp;&raquo; (1975, 91).</span></p> <p class="texte" dir="ltr">Pour terminer, l&rsquo;humaniste sait que la tentation de l&rsquo;inconditionnalit&eacute; est le signe m&ecirc;me d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; a-humaine d&eacute;j&agrave; point&eacute;e par le sage Erasme. L&rsquo;engagement humaniste passe par cette responsabilit&eacute; de la promotion de la conscience et de l&rsquo;exercice de la libre pens&eacute;e, soit cette confession intime de l&rsquo;exp&eacute;rience de soi qui caract&eacute;rise une soci&eacute;t&eacute; humaine. La Bo&eacute;tie avait raison d&rsquo;inviter &agrave; une transaction symbolique dans les limites du Contr&rsquo;Un. Quand de nombreux tyrans int&eacute;ress&eacute;s &oelig;uvrent &agrave; la destruction de la condition humaine au profit de ce march&eacute; infini de la construction-d&eacute;construction de soi, il faut se r&eacute;jouir d&rsquo;&ecirc;tre et honorer son incarnation dans une nature et plus encore aimer sa finitude.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;Cette &oelig;uvre publi&eacute;e en 1574 expose les raisons de la domination non par la violence ou l&rsquo;autorit&eacute; mais par la soumission, la r&eacute;signation, le renoncement, la superstition ou la cupidit&eacute; et la recherche des honneurs. L&rsquo;analyse des ressorts psychologiques et sociaux de La Bo&eacute;tie constitue une &oelig;uvre de psychologie politique d&rsquo;une grande richesse s&rsquo;int&eacute;ressant autant au leadership du tyran qu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&rsquo;organisation &nbsp;des servitudes et d&eacute;pendances de petits tyrans tyrannis&eacute;s avec l&rsquo;appui du jeu des int&eacute;r&ecirc;ts et des puissances symboliques sugg&eacute;rant l&rsquo;ob&eacute;issance.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> &nbsp;La cinqui&egrave;me fable du livre I se termine par ses vers&nbsp;: &laquo;&nbsp;Chemin faisant, il vit le col du Chien pel&eacute;. &laquo;&nbsp;Qu&#39;est-ce l&agrave;&nbsp;? lui dit-il. - Rien. - Quoi&nbsp;? Rien&nbsp;? - Peu de chose. - Mais encore&nbsp;? - Le collier dont je suis attach&eacute;. De ce que vous voyez est peut-&ecirc;tre la cause. - Attach&eacute;&nbsp;? dit le Loup&nbsp;: vous ne courez donc pas. O&ugrave; vous voulez&nbsp;? - Pas toujours&nbsp;; mais qu&#39;importe&nbsp;? - Il importe si bien, que de tous vos repas. Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas m&ecirc;me &agrave; ce prix un tr&eacute;sor.&nbsp;&raquo; Cela dit, ma&icirc;tre Loup s&#39;enfuit, et court encore.&nbsp;&raquo;</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> &nbsp;Une d&eacute;finition rappelle cette constance de l&rsquo;apologie de la lib&eacute;ration-&eacute;mancipation socialiste&nbsp;:<br /> &laquo;&nbsp;Le socialisme a besoin de la pens&eacute;e vraiment libre, libre de tous les pr&eacute;jug&eacute;s religieux et capitalistes, pour soulever les nations qui travaillent contre les oligarchies qui les exploitent et qui vivent en parasites. Il a besoin des hommes qui pensent librement sur tous les probl&egrave;mes de la vie. Car le socialisme, c&#39;est l&#39;&eacute;mancipation&nbsp;int&eacute;grale de l&#39;homme.&nbsp;&raquo; (Comp&egrave;re-Morel, 1912).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> &nbsp;Ce mot sanskrit&nbsp;exprime l&rsquo;ultime d&eacute;livrance qui met un terme au cycle des r&eacute;incarnations. Elle se r&eacute;alise par la mort apr&egrave;s l&rsquo;accomplissement des diff&eacute;rents buts v&eacute;diques au cours des renaissances que sont&nbsp;: devoir, profit, plaisir &agrave; mettre en parall&egrave;le des p&eacute;riodes de l&rsquo;existence&nbsp;: &eacute;tudiant, chef de famille et ermite. Le bouddhisme exprime cette m&ecirc;me d&eacute;livrance qui est l&#39;arr&ecirc;t de toute douleur. Le cycle des r&eacute;incarnations est une &eacute;preuve infernale dont le <em>nirvana</em> est la lib&eacute;ration.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn5" id="ftn5">5</a> &nbsp;Deleuze explique cet &eacute;loignement de soi&nbsp;: &laquo; Le mouvement de la trahison a &eacute;t&eacute; d&eacute;fini par le double d&eacute;tournement : l&rsquo;homme d&eacute;tourne son visage de Dieu, qui ne d&eacute;tourne pas moins son visage de l&rsquo;homme. C&rsquo;est dans ce double d&eacute;tournement, dans l&rsquo;&eacute;cart des visages, que se trace la ligne de fuite, c&rsquo;est-&agrave;-dire la d&eacute;territorialisation de l&rsquo;homme.&nbsp;&raquo; (1977, 52).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn6" id="ftn6">6</a> &nbsp;Aristote &eacute;crit dans le <span style="text-decoration:underline;">Politique</span>&nbsp;: &laquo; Nous voyons que quand ces gens ont eu recours aux m&eacute;lodies qui jettent l&rsquo;&acirc;me hors d&rsquo;elle-m&ecirc;me, ils recouvrent leur calme comme s&rsquo;ils avaient subi un traitement m&eacute;dical, une catharsis.&raquo; (1342 <em>a </em>9-11). Platon utilise l&rsquo;expression de cette m&eacute;decine de l&rsquo;&acirc;me dans le <span style="text-decoration:underline;">Th&eacute;&eacute;t&egrave;te</span>(149 a - 151 d) o&ugrave; la philosophie agit telle une m&eacute;decine en vue de la gu&eacute;rison de l&rsquo;&acirc;me acqu&eacute;rant la puret&eacute;. Que les moyens divergent entre les deux philosophies n&rsquo;enl&egrave;ve rien &agrave; leur position commune d&rsquo;un apaisement r&eacute;sultant d&rsquo;une op&eacute;ration cathartique.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn7" id="ftn7">7</a> &nbsp;Francisco de Vitoria (1492-1546), th&eacute;ologien dominicain, privil&eacute;gie la nature et la raison comme origine de la libert&eacute;, plus que la foi. Il infl&eacute;chit le subtil &eacute;quilibre de la pens&eacute;e thomiste qu&rsquo;il contribue toutefois &agrave; diffuser en Espagne, Thomas d&rsquo;Aquin &eacute;tant le ma&icirc;tre dominicain de l&rsquo;&eacute;poque. Apologue de ce seul droit naturel issu de la raison humaine, il traite en homme de raison la question des droits des am&eacute;rindiens lors des premi&egrave;res conqu&ecirc;tes en soutenant Las Casas qui d&eacute;non&ccedil;ait les pratiques des colons pour dire que ces hommes avaient les m&ecirc;mes droits que les conquistadors. D&egrave;s ce XVIe si&egrave;cle, il pose les principes de la lib&eacute;ration moderne&nbsp;: libert&eacute;s religieuse et politique, s&rsquo;&eacute;mancipant des obligations spirituelles de la soci&eacute;t&eacute; m&eacute;di&eacute;vale.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn8" id="ftn8">8</a> &nbsp;Maine de Biran (1766-1824), philosophe et pr&eacute;curseur de la psychologie par ses expos&eacute;s sur l&rsquo;introspection, d&eacute;finit ici cette libre propri&eacute;t&eacute; de soi&nbsp;: &laquo;&nbsp;La notion d&#39;&acirc;me correspondante au sentiment du moi et &agrave; ses modes ou attributs de conscience doit &ecirc;tre universelle, n&eacute;cessaire et commune pour tous les hommes (...) On dit tr&egrave;s bien d&#39;un homme qu&#39;il se poss&egrave;de lui-m&ecirc;me, qu&#39;il est <em>compos sui</em> (...) Le sujet actif qui dispose de ces facult&eacute;s ou qui les met en mouvement... doit &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme ayant la propri&eacute;t&eacute; de tout ce dont il dispose, de tout ce sur quoi il agit. C&#39;est ainsi qu&#39;il est vrai de dire que le moi a la propri&eacute;t&eacute; du corps qu&#39;il meut en masse, et sp&eacute;cialement de toutes les parties sur lesquelles se d&eacute;ploie imm&eacute;diatement l&#39;activit&eacute; ou l&#39;effort volontaire. C&#39;est sur le sentiment de cette libert&eacute; d&#39;agir qui tend &agrave; se d&eacute;velopper tout enti&egrave;re et sur celui qui fait na&icirc;tre l&#39;opposition &agrave; la libre activit&eacute;, que repose l&#39;id&eacute;e du droit et de la justice (...) Chaque homme regarde la propri&eacute;t&eacute; de sa personne comme un droit, c&#39;est-&agrave;-dire comme une possession que ses semblables sont dans l&#39;obligation de respecter en lui ; c&#39;est... qu&#39;il juge en sentant que le m&ecirc;me droit de propri&eacute;t&eacute; qu&#39;il exerce sur le terme d&#39;application imm&eacute;diate de son activit&eacute; comme sur ces produits, appartient &eacute;galement au moi pareil au sien.&nbsp;&raquo; (1954, 23-26).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn9" id="ftn9">9</a> &nbsp;Dunayevskaya (1910-1987), philosophe trotskyste, d&eacute;veloppe la th&egrave;se de l&rsquo;auto-d&eacute;veloppement dans <span style="text-decoration:underline;">Marxisme et libert&eacute;</span> qu&rsquo;on retrouve ult&eacute;rieurement en psychologie. D&rsquo;ailleurs, ces deux termes de lib&eacute;ration et d&rsquo;&eacute;mancipation sont indissociables dans le vocabulaire r&eacute;volutionnaire russe comme le montre le nom du premier groupe marxiste fond&eacute; en 1892 par Plekhanov, Axelrod, Zassoulitch et Deutsch&nbsp;: Lib&eacute;ration du travail&nbsp;ou groupe pour l&#39;&Eacute;mancipation du travail.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn10" id="ftn10">10</a> &nbsp;Le transhumanisme se d&eacute;finit comme un mouvement scientifique pr&ocirc;nant l&#39;usage des techniques dans le but d&rsquo;am&eacute;liorer les caract&eacute;ristiques physiques et mentales des &ecirc;tres humains et symbolis&eacute; par un H+. En France, il faut signaler l&rsquo;ouvrage d&rsquo;Alexandre, <span style="text-decoration:underline;">La guerre des intelligences</span> o&ugrave; l&rsquo;auteur &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;Avec le transhumanisme, un nouveau paradigme religieux &eacute;merge&nbsp;: ce n&rsquo;est plus le renoncement de l&rsquo;<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Athéisme">ath&eacute;e</a> qui se voit seul dans l&rsquo;Univers, c&rsquo;est d&eacute;sormais l&rsquo;affirmation fi&egrave;re de ce que l&rsquo;homme peut tout faire, y compris cr&eacute;er du vivant et se recr&eacute;er lui-m&ecirc;me.&nbsp;&raquo; (2017, 269). Il d&eacute;veloppe ses propos dans un r&eacute;cent article du Figaro&nbsp;:&nbsp;&laquo; Pour rivaliser avec l&rsquo;intelligence artificielle, il n&rsquo;y aura demain qu&rsquo;une seule solution, la mont&eacute;e en puissance radicale de notre cerveau &hellip; &hellip; en agissant soit en amont de la naissance, soit directement sur la machine cognitive qu&rsquo;est le cerveau lui-m&ecirc;me. L&rsquo;&eacute;cole deviendra transhumaniste et trouvera normal de modifier le cerveau des &eacute;l&egrave;ves.&nbsp;&raquo; (2017, 29/11, 12).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn11" id="ftn11">11</a> &nbsp;Nous empruntons ce terme tr&egrave;s &eacute;vocateur &agrave; Descamps dans son ouvrage <span style="text-decoration:underline;">Ce corps ha&iuml; et ador&eacute;</span>.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn12" id="ftn12">12</a> &nbsp;La m&eacute;thode de Schultz conduit &agrave; une d&eacute;connexion de l&rsquo;organisme du fait d&rsquo;exercices physiologiques. Plus qu&rsquo;une technique de relaxation, cette th&eacute;rapeutique assure une ma&icirc;trise du corps par une concentration psychique sur les fonctions v&eacute;g&eacute;tatives. Celle de Groddeck attribue aux maladies une origine psychique &agrave; l&rsquo;instar des investigations de Ferenczi faisant la psychanalyse des maladies organiques. Celle de Lowen promeut le <em>grounding</em> pour &eacute;tablir le lien avec l&rsquo;&eacute;nergie centrale. Il &eacute;crit&nbsp;:&laquo; La bio&shy;&eacute;nergie repose sur cette proposition simple: chacun est son corps. Nul n&rsquo;existe en dehors du corps vivant o&ugrave; il passe son existence... Si vous &ecirc;tes votre corps et que votre corps est vous, il exprime alors ce que vous &ecirc;tes, c&rsquo;est votre mani&egrave;re d&rsquo;&ecirc;tre au monde. Plus votre corps est vivant, plus vous &ecirc;tes dans le monde. &raquo; (1979, 45).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn13" id="ftn13">13</a> &nbsp;Lukacs (1885-1971), philosophe et sociologue marxiste, publie en 1923 <span style="text-decoration:underline;">Histoire et conscience de classe</span> dans lequel il d&eacute;veloppe la th&eacute;orie de la r&eacute;ification ou f&eacute;tichisme de la marchandise dans une partie intitul&eacute;e&nbsp;: la r&eacute;ification et la conscience du prol&eacute;tariat (p.109-256).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn14" id="ftn14">14</a> &nbsp;Baudrillard (1929-2007), philosophe analyste de la soci&eacute;t&eacute; contemporaine, publie entre autre <span style="text-decoration:underline;">Le syst&egrave;me des objets</span> en 1968, puis <span style="text-decoration:underline;">La soci&eacute;t&eacute; de consommation</span> en 1970, <span style="text-decoration:underline;">Simulacres et simulations</span> en 1981 ou encore <span style="text-decoration:underline;">Les strat&eacute;gies fatales</span> en 1983. Th&eacute;oricien de la postmodernit&eacute; et de l&rsquo;&eacute;conomie des signes, il perp&eacute;tue l&rsquo;exercice d&rsquo;une philosophie critique du politique et du capitalisme.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn15" id="ftn15">15</a> &nbsp;Le p&eacute;diatre et psychanalyste Winnicott &eacute;tudie les ph&eacute;nom&egrave;nes transitionnels o&ugrave; le b&eacute;b&eacute; &eacute;tablit des relations avec des &laquo;&nbsp;autre-que-soi&nbsp;&raquo; sources de satisfaction. Quelques textes t&eacute;moignent des enjeux de cette p&eacute;riode dans le d&eacute;veloppement de l&rsquo;enfant d&egrave;s ces premiers mois&nbsp;: <span style="text-decoration:underline;">Processus de maturation chez l&rsquo;enfant, d&eacute;veloppement affectif et environnement</span> et <span style="text-decoration:underline;">Le destin de l&#39;objet transitionnel</span>.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn16" id="ftn16">16</a> &nbsp;Le psychologue am&eacute;ricain Milgram &eacute;value le degr&eacute; d&rsquo;ob&eacute;issance &agrave; une autorit&eacute; faisant agir en d&eacute;pit d&rsquo;une attention &agrave; l&rsquo;autre et des souffrances qu&rsquo;il endure dans l&rsquo;exp&eacute;rience. Il s&rsquo;agit d&rsquo;infliger des d&eacute;charges &eacute;lectriques &agrave; chaque erreur commise par un &eacute;l&egrave;ve devant m&eacute;moriser et restituer des listes de mots. Les personnes mises en situation du &laquo;&nbsp;professeur&nbsp;&raquo; ayant &agrave; mener l&rsquo;exp&eacute;rience furent pour plus de 60% capables d&rsquo;infliger des &eacute;lectrochocs de 450 volts &agrave; leurs &eacute;l&egrave;ves passant de l&rsquo;ob&eacute;issance &agrave; l&rsquo;accomplissement d&rsquo;acte de torture.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn17" id="ftn17">17</a> &nbsp;La transformation de soi a &eacute;t&eacute; longtemps class&eacute;e comme pathologie mentale par l&rsquo;OMS. Sa d&eacute;classification en France a &eacute;t&eacute; obtenue au nom du droit &agrave; la construction de soi faisant injonction au corps m&eacute;dical de renoncer &agrave; sa qualification de maladie. La controverse s&eacute;mantique a conduit de la d&eacute;finition initiale du trouble de l&rsquo;identit&eacute; de genre &agrave; l&rsquo;actuelle expression de dysphorie de genre. Le pouvoir du juge a prescrit le dire du m&eacute;decin.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn18" id="ftn18">18</a> &nbsp;Les discours sur le droit &agrave; la transidentit&eacute; ob&egrave;rent la pratique m&eacute;dicale et l&rsquo;exp&eacute;rience concr&egrave;te des cons&eacute;quences des actes de transidentification. Ceux-ci infligent des blessures intimes et plus encore une d&eacute;pendance totale &agrave; des injections hormonales &agrave; vie, soit une situation de d&eacute;pendance m&eacute;dicale donc de perte d&eacute;finitive de son autonomie biologique. Cette forme d&rsquo;ali&eacute;nation n&rsquo;est pas soulign&eacute;e.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn19" id="ftn19">19</a> &nbsp;Eberstadt a publi&eacute; <span style="text-decoration:underline;">Men without work&nbsp;: America&rsquo;s Invisible Crisis</span> o&ugrave; il d&eacute;crit la d&eacute;tresse de la soci&eacute;t&eacute; nord-am&eacute;ricaine. Factuellement, notons que pour la deuxi&egrave;me ann&eacute;e, l&rsquo;esp&eacute;rance du vie recule aux USA selon les Centres de contr&ocirc;le de pr&eacute;vention des maladies avec une part significative de mortalit&eacute;s pr&eacute;coces li&eacute;es &agrave; des processus de destruction de soi par consommation des drogues et overdoses de m&eacute;dicaments opiac&eacute;s, soit une situation de recul in&eacute;dite apr&egrave;s 55 ans d&rsquo;accroissement de l&rsquo;esp&eacute;rance de vie depuis 1960.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Alexandre, Laurent, <em>La guerre des intelligences</em>, 2017, Paris, Editions Latt&egrave;s.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Arendt, Hannah, <em>Condition de l&rsquo;homme moderne</em>, 1983, Paris, Editions Calmann-L&eacute;vy.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Bataille, Georges, &OElig;<em>uvres compl&egrave;tes, 1970-1976 (Tome I &agrave; VIII)</em> Paris, Editions Gallimard.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Bataille, Georges, <em>Revue Ac&eacute;phale</em>, 1936-1939, Paris, Editions GLM.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Baudrillard, Jean Baudrillard, <em>La Soci&eacute;t&eacute; de consommation</em>, 1970, Paris, Editions Deno&euml;l.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Beauvois Jean-L&eacute;on et Joule Robert-Vincent, <span style="color:#131413;"><em>Petit trait&eacute; de manipulation &agrave; l&rsquo;usage des honn&ecirc;tes gens</em></span><span style="color:#131413;">, 1987, Grenoble, PUG. </span></p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Beauvois Jean-L&eacute;on et Joule Robert-Vincent, <span style="color:#131413;"><em>Soumission librement consentie&nbsp;: Comment amener les gens &agrave; faire librement ce qu&rsquo;ils doivent faire</em></span><span style="color:#131413;">, 1998, Paris, PUF. </span></p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Blay, Michel, <em>Penser ou cliquer</em>, 2016, Paris, CNRS Editions.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Bourdieu, Pierre, <em>La domination masculine</em>, 1998, Paris, Editions du Seuil.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Castoriadis, Cornelius, Haine de soi, haine de l&rsquo;autre, 1999, <em>Journal Le Monde</em>, 11 janvier.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Compere-Morel, Ad&eacute;odat, <em>Encyclop&eacute;die socialiste, syndicale et coop&eacute;rative de l&#39;Internationale ouvri&egrave;re</em>, 1912, Paris, Librairie Aristide Quillet.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Deleuze, Gilles, et Parnet, Claire, <em>Dialogues</em>, 1977, Paris, &Eacute;dition Flammarion.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Deniau, Alain, Etre hors de soi&nbsp;: folie singuli&egrave;re, folie sociale, 2010, Paris, <em>Revue Che vuoi</em>&nbsp;? n&deg;&nbsp;33, p.&nbsp;35-41, L&rsquo;Harmattan.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Descamps, Marc-Alain, <em>Ce corps ha&iuml; et ador&eacute;</em>, 1988, Paris, Editions Sand.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Destree, Pierre, &Eacute;ducation morale et catharsis tragique, 2003, Paris, <em>Les &Eacute;tudes</em><em>philosophiques</em>2003/4 (n&deg;&nbsp;67), p.&nbsp;518-540, PUF.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Dunayevskaya, Raya, <em>Marxisme et libert&eacute;</em>, 1971, Paris, Editions Champ libre (pr&eacute;face de Marcuse).</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Eberstadt, Nicholas, Men without work: <em>America&rsquo;s invisible crisis</em>, 2016, West Conshohocken, Pennsylvanie, Templeton Press.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Eberstadt, Nicholas, Notre malheureux XXI<sup>e</sup> si&egrave;cle, 2017, <em>Revue Commentaire</em> n&deg;&nbsp;159.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">&Eacute;rasme, Joseph, <em>&Eacute;loge de la folie</em>, 2013, Paris, &Eacute;dition Diane du Selliers.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Ferenczi, Sandor, <em>le traumatisme</em>, 2006, Paris, Editions Payot.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Gal, B&eacute;atrice et Moro, Marie-Rose, Rejet et fascination du corps, aspects psychiques et transculturels, 2007, <em>Les cahiers du centre Georges Canguilhem</em> n&deg;&nbsp;1, p.&nbsp;101-111.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Groddeck, Georg, <em>La maladie, l&rsquo;art et le symbole</em>, 1985, Paris, Editions Gallimard.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Hayek, Friedrich von, <em>La route de la servitude</em>, 2013, Paris, PUF.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Honneth, Axel, <em>La r&eacute;ification</em>, 2007, Paris, Editions Gallimard.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Hume, David, <em>Les premiers principes du gouvernement</em>, 1972, Paris, Librairie Vrin.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Jaeggi, Rahel, <em>&laquo;&nbsp;Vivre sa propre vie comme une vie &eacute;trang&egrave;re&nbsp;&raquo;&nbsp;: l&rsquo;auto-ali&eacute;nation comme obstacle &agrave; l&rsquo;autonomie</em>, in Comment penser l&rsquo;autonomie, 2009, Paris, PUF, p.&nbsp;89-107.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">La Boetie, Etienne, <em>Discours de la servitude volontaire</em>, 1978, Paris, Editions Payot.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lauru, Didier, <em>De la haine de soi &agrave; la haine de l&rsquo;autre</em>, 2015, Paris Editions Albin Michel.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lessing, Th&eacute;odor, <em>La haine de soi, le refus d&rsquo;&ecirc;tre juif</em>, 2011, Paris, Presse Pocket.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lowen, Alexander, <em>Le langage du corps</em>, 1977, Paris, Editions Tchou.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lowen, Alexander, <em>La bio&eacute;nergie</em>, 1979, Paris, Editions Tchou.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lukacs, Georg, <em>Histoire et conscience de classes</em>, 1974, Paris, Editions de Minuit.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Maine De Biran, Pierre, Journal, Tome II, 1954, Paris, Editions Etre et penser, <em>Cahiers de philosophie.</em></p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Manent, Pierre, <em>Les lib&eacute;raux</em>, 2001, Paris, Editions Gallimard.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Schultz, Johannes Heinrich, <em>Le training autog&egrave;ne&nbsp;: M&eacute;thode de relaxation par autoconcentration concentrative</em>, 2013, Paris, PUF.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Sebert, Roger, Quel est le message de Maine de Biran&nbsp;? 1978, <em>Bulletin de l&#39;Association Guillaume Bud&eacute;&nbsp;: Lettres d&#39;humanit&eacute;</em>, n&deg;&nbsp;37, pp.&nbsp;377-402.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Strindberg, August, <em>Le chemin de Damas</em> in Th&eacute;&acirc;tre complet, 1983, Paris, &Eacute;dition de l&rsquo;Arche.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Winnicott, Donald, <em>Processus de maturation chez l&rsquo;enfant, d&eacute;veloppement affectif et environnement</em>, 1989, Paris, Editions Payot.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Winnicott, Donald, Le destin de l&#39;objet transitionnel, 2016, in <em>Journal de la psychanalyse de l&rsquo;enfant</em>, 1/2016, vol.&nbsp;6, p.&nbsp;17-24.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Winnicott, Donald, <em>Objets transitionnels et ph&eacute;nom&egrave;nes transitionnels</em>, 1969, Paris, in De la p&eacute;diatrie &agrave; la psychanalyse, Editions Payot.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Winnicott, Donald, <em>Jeu et r&eacute;alit&eacute;</em>, 1975, Paris, Editions Gallimard.</p>