<h2 style="font-style:italic;">Introduction</h2> <p class="texte" dir="ltr">Si le totalitarisme se caract&eacute;rise par une pens&eacute;e du Tout et par une psychologie monomaniaque, toutes les aspirations &agrave; une soci&eacute;t&eacute; mondiale pourraient incarner cette d&eacute;rive d&rsquo;une id&eacute;ologie totalitaire&nbsp;; le plus difficile &agrave; admettre en la circonstance &eacute;tant que l&rsquo;id&eacute;ologie totalitaire n&rsquo;a pas d&rsquo;autre contenu que de vouloir s&rsquo;&eacute;tendre &agrave; l&rsquo;infini par n&eacute;gation de toute sorte d&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. L&rsquo;universel serait par nature source de terreur, r&eacute;sultant de ce type de logique. Alors, nous en serions tous peu ou prou les inspirateurs ou les victimes, car pris dans ce mouvement d&rsquo;une pens&eacute;e totalisante-totalitaire, &agrave; notre insu sans aucun doute. Ce ne serait donc pas le contenu politique, mais cette logique pathologique qui caract&eacute;riserait ce processus de totalisation totalitaire. Et ce processus tiendrait &agrave; l&rsquo;exercice d&rsquo;une raison aspirant &agrave; la totalit&eacute; avec un tel acharnement qu&rsquo;elle en serait morbide.</p> <p class="texte" dir="ltr">A cet &eacute;gard, rares sont les philosophes politiques ayant &eacute;tudi&eacute; les r&eacute;gimes totalitaires. Rares en effet sont ceux qui ont pris le risque de dire qu&rsquo;ils se distinguaient des anciens r&eacute;gimes politiques bien connus depuis l&rsquo;Antiquit&eacute;. Arendt fut une de ces personnalit&eacute;s &agrave; relever le d&eacute;fi d&rsquo;une analyse ambitieuse dans son &oelig;uvre majeure <em>Les origines du totalitarisme</em>, tout particuli&egrave;rement au chapitre&nbsp;4 <em>Id&eacute;ologie et terreur&nbsp;: un nouveau type de r&eacute;gime</em>. Ce chapitre est d&rsquo;une grande actualit&eacute; car nous sommes concern&eacute;s par une nouvelle forme de totalitarisme si nous prenons en compte ses descriptions. Les projets promoteurs de la mondialit&eacute;, de l&rsquo;universalit&eacute; ou de l&rsquo;&eacute;thique globale des normes seraient totalitaires. Il faut donc approfondir sa recherche publi&eacute;e en 1951 et discerner dans son propos une critique radicale d&rsquo;une partie de la pens&eacute;e occidentale. Elle porterait cette id&eacute;ologie inspiratrice du nazisme et du stalinisme&nbsp;; ceux-ci &eacute;tant les enfants de cette part de la pens&eacute;e occidentale.</p> <p class="texte" dir="ltr">Rares sont aussi les politiques qui tel Cl&eacute;menceau ont os&eacute; nommer la &laquo;&nbsp;civilisation scientifique&nbsp;&raquo; pour expliquer le totalitarisme de nos ambitions. R&eacute;pondant &agrave; Ferry &agrave; la chambre des d&eacute;put&eacute;s le 30 juillet 1885, son propos vise les abus de la colonisation. Avec un courage politique et une lucidit&eacute; intellectuelle rare, il nomme tr&egrave;s clairement la &laquo;&nbsp;civilisation scientifique&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Regardez l&rsquo;histoire de la conqu&ecirc;te de ces peuples que vous dites barbares et vous verrez la violence, tous les crimes d&eacute;cha&icirc;n&eacute;s, l&rsquo;oppression, le sang coulant &agrave; flots, le faible opprim&eacute;, tyrannis&eacute; par le vainqueur&nbsp;! Voil&agrave; l&rsquo;histoire de votre civilisation&nbsp;!&nbsp;[...] Et c&rsquo;est un pareil syst&egrave;me que vous essayez de justifier en France, dans la patrie des droits de l&rsquo;homme&nbsp;!&nbsp;[...] Non, il n&rsquo;y a pas de droit des nations dites sup&eacute;rieures contre les nations inf&eacute;rieures.&nbsp;[...] N&rsquo;essayons pas de rev&ecirc;tir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conqu&ecirc;te que vous pr&eacute;conisez, c&rsquo;est l&rsquo;abus pur et simple de la force que donne la <strong>civilisation scientifique</strong> sur les civilisations rudimentaires, pour s&rsquo;approprier l&rsquo;homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du pr&eacute;tendu civilisateur. Ce n&rsquo;est pas le droit, c&rsquo;en est la n&eacute;gation. Parler &agrave; ce propos de civilisation, c&rsquo;est joindre &agrave; la violence, l&rsquo;hypocrisie.&nbsp;&raquo; (2003, 106).&nbsp;Avons-nous entendu Cl&eacute;menceau et Arendt&nbsp;? Alors, commen&ccedil;ons par approfondir les trois caract&eacute;ristiques du totalitarisme&nbsp;: la terreur, la logique id&eacute;ologique et l&rsquo;anthropologie totalitaire. Puis, fort de cette meilleure compr&eacute;hension, nous essaierons de discerner les alternatives qu&rsquo;instille Arendt.</p> <h2 dir="ltr" id="heading2" style="font-style:italic;">1. La terreur politique</h2> <p class="texte" dir="ltr">Qu&rsquo;est-ce que la terreur&nbsp;? Il en existe une exp&eacute;rience historique. Elle en a pris le nom. Il s&rsquo;ensuivit d&rsquo;autres qui ont terroris&eacute; des populations. Mais quels en sont les proc&eacute;d&eacute;s et d&rsquo;o&ugrave; tirent-elles cette capacit&eacute; de se concr&eacute;tiser par l&rsquo;action des artisans d&rsquo;une terreur du quotidien&nbsp;? Cette terreur politique institue la peur collective par des d&eacute;cisions et des actions d&rsquo;exception, voire des violences dont l&rsquo;objectif est de briser les r&eacute;sistances des populations. La terreur psychologique produit la peur extr&ecirc;me, cet effroi ou cette &eacute;pouvante qui conduisent le terrifi&eacute; &agrave; la paralysie, souffrant de terreurs nocturnes, de cauchemars et de paniques gla&ccedil;antes jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;angoisse&nbsp;; le terroriste &eacute;tant celui par qui advient la terreur du fait d&rsquo;intimidations, menaces, ex&eacute;cutions sommaires, d&eacute;nonciations et d&eacute;lations. Mais elle exige de fabriquer ses terroristes, au sens litt&eacute;ral du terme. Si la psychologie du terroris&eacute; est connue, la fabrication du terroriste ressort-elle d&rsquo;une manipulation psychologique particuli&egrave;re&nbsp;? Arendt expose quelques raisons aux r&eacute;sonances tr&egrave;s psychologiques si l&rsquo;on y pr&ecirc;te attention.</p> <p class="texte" dir="ltr">La conversion au terrorisme requiert de se convaincre d&rsquo;une mission ici-bas. La v&eacute;rit&eacute; est &agrave; construire de gr&eacute; ou de force et le destin de quelques-uns est de s&rsquo;affranchir des lois morales et de toute sorte d&rsquo;inhibitions pour concr&eacute;tiser l&rsquo;ordre nouveau. Cette avant-garde de terroristes fait r&eacute;gner de force un ordre qu&rsquo;il s&rsquo;agit de faire advenir, m&ecirc;me dans la violence et la souffrance. Arendt &eacute;crit sur ce premier point&nbsp;: &laquo;&nbsp;La politique totalitaire peut se passer du <em>consensus juris</em> parce qu&rsquo;elle promet d&rsquo;affranchir l&rsquo;accomplissement de la loi de toute action et de toutes volont&eacute;s humaines&nbsp;; et elle promet la justice sur terre parce qu&rsquo;elle pr&eacute;tend faire du genre humain lui-m&ecirc;me l&rsquo;incarnation de la loi.&nbsp;&raquo; (1972.1, 207). En incarnant la loi, le terroriste devient son propre ma&icirc;tre et l&rsquo;instrument qui ex&eacute;cute la loi dans ses actes. Il est &agrave; la fois inspir&eacute; et soumis, autonome et asservi. Sa totale souverainet&eacute; le rend sourd et d&eacute;nu&eacute;e de tout contrepouvoir int&eacute;rieur&nbsp;: sa conscience&nbsp;; ou h&eacute;t&eacute;ronome&nbsp;: la loi morale. Ceci est une premi&egrave;re marque de la psychologie totalitaire faisant de chacun un Tout-Un s&ucirc;r de son pouvoir, de son droit et de son autonomie.</p> <p class="texte" dir="ltr">Pour obtenir une telle adh&eacute;sion qui conduit &agrave; s&rsquo;affranchir de toutes les inhibitions, il faut en m&ecirc;me temps ali&eacute;ner et transcender le jugement moral. Ali&eacute;ner le jugement, c&rsquo;est le rendre inad&eacute;quat &agrave; la cause, impropre, inadapt&eacute; pour ne pas dire indigne et petit&nbsp;; le transcender, c&rsquo;est servir un projet d&rsquo;une ampleur qui oblige de fa&ccedil;on inflexible jusqu&rsquo;au pur asservissement &agrave; la cause. Arendt rappelle que les philosophies de la nature et de l&rsquo;histoire ont ce pouvoir d&rsquo;id&eacute;aliser le monde au point d&rsquo;engager le terroriste &agrave; se faire le complice de leur r&eacute;alisation&nbsp;: &laquo;&nbsp;La loi de la Nature ou celle de l&rsquo;Histoire, pour peu qu&rsquo;elles soient correctement ex&eacute;cut&eacute;es, sont cens&eacute;es avoir la production du genre humain pour ultime produit&nbsp;; et c&rsquo;est cette esp&eacute;rance qui se cache derri&egrave;re la pr&eacute;tention de tous les r&eacute;gimes totalitaires &agrave; un r&egrave;gne plan&eacute;taire.&nbsp;&raquo; (1972.1, 206). Ces philosophies pratiquent une rh&eacute;torique du d&eacute;terminisme, de la fatalit&eacute; et de la n&eacute;cessit&eacute; qui imposent &agrave; ceux qui la comprenne de collaborer &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre. A l&rsquo;inverse, toute r&eacute;sistance aux changements est alors suspecte&nbsp;! Le terroriste accomplit un destin.</p> <p class="texte" dir="ltr">Arendt souligne que le terroriste est aussi la premi&egrave;re victime du terrorisme. La terreur suscite la terreur qui encourage d&rsquo;autres terreurs pour terroriser les terroristes et les terroris&eacute;s&nbsp;: &laquo;&nbsp;La terreur est la r&eacute;alisation de la loi du mouvement&nbsp;; son but principal est de faire que la force de la Nature ou de l&rsquo;Histoire puisse emporter le genre humain tout entier dans son d&eacute;cha&icirc;nement, sans qu&rsquo;aucune forme d&rsquo;action humaine spontan&eacute;e ne vienne y faire obstacle.&nbsp;&raquo; (1972.1, 210). La fin de son expression est &eacute;difiante. Elle signale l&rsquo;effet de la terreur politique dans sa dimension psychologique&nbsp;: la paralysie. Or, l&rsquo;absence d&rsquo;obstacle et de r&eacute;action est le premier signe de la victoire de l&rsquo;initiative terroriste. En ceci, la paralysie, l&rsquo;h&eacute;b&eacute;tement et l&rsquo;inaction participe d&rsquo;une soumission &agrave; l&rsquo;exercice de la terreur en renon&ccedil;ant &agrave; toute sorte de r&eacute;sistance&nbsp;: se r&eacute;signer, puis se soumettre dans la passivit&eacute; satisfait le d&eacute;sir de soumission du terroriste.</p> <p class="texte" dir="ltr">Elle met ainsi une partie de la pens&eacute;e occidentale &agrave; l&rsquo;&eacute;preuve d&rsquo;un diagnostic qui en r&eacute;v&egrave;le son caract&egrave;re d&rsquo;id&eacute;ologie totalitaire. En expliquant la terreur, elle insiste sur deux dimensions. La premi&egrave;re tient &agrave; une conception de l&rsquo;homme, la seconde tient &agrave; la transformation de la loi en norme prescriptive d&rsquo;un devoir &ecirc;tre. Les deux constituent une double injonction d&rsquo;&ecirc;tre une certaine humanit&eacute; en s&rsquo;y soumettant par devoir de conformit&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">A cet &eacute;gard, la terreur est une histoire de simple r&eacute;futation de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; qui conduit &agrave; la n&eacute;gation de la pluralit&eacute; humaine. Il y a l&agrave; une prescription anthropologique et une perversit&eacute; culpabilisante interdisant &agrave; autrui d&rsquo;&ecirc;tre autre que ce que l&rsquo;on a d&eacute;cid&eacute; pour lui, fusse de lui dire d&rsquo;&ecirc;tre ce qu&rsquo;il veut &agrave; condition de se conformer &agrave; cette injonction de changer&nbsp;: &laquo;&nbsp;La terreur et son cercle de fer, la destruction de la pluralit&eacute; des hommes, la cr&eacute;ation de l&rsquo;Un &agrave; partir du multiple, d&rsquo;un Un qui agira infailliblement comme si lui-m&ecirc;me participait du cours de l&rsquo;histoire ou de la nature, sont un moyen non seulement de lib&eacute;rer les forces de historiques et naturelles, mais encore de les acc&eacute;l&eacute;rer.&nbsp;&raquo; (1972.1, 212-213) Ici, un id&eacute;al abstrait sert de mod&egrave;le &agrave; la conduite d&rsquo;hommes bien plus ali&eacute;n&eacute;es que lib&eacute;r&eacute;es, devenues les machines d&rsquo;une destin&eacute;e &agrave; accomplir.</p> <p class="texte" dir="ltr">La seconde tient de la transformation de la loi en norme, et elle interroge les d&eacute;rives totalitaires du droit occidental. Arendt en a une conception classique&nbsp;: &laquo;&nbsp;La grandeur mais aussi l&rsquo;inconv&eacute;nient des lois dans les soci&eacute;t&eacute;s libres est qu&rsquo;elles disent uniquement ce qu&rsquo;on ne devrait pas, mais jamais ce que l&rsquo;on devrait faire.&nbsp;&raquo; (1972.1, 213) Or, aujourd&rsquo;hui, plus encore qu&rsquo;en 1950, les institutions occidentales imposent des normes universelles agissant telles des prescriptions dont les auteurs estiment qu&rsquo;ils ont l&rsquo;autorit&eacute; et le devoir de les imposer &agrave; tous. S&rsquo;op&egrave;re l&agrave; un glissement o&ugrave; la psychologie de chacun bascule de la bonne volont&eacute; &agrave; la conviction qu&rsquo;un devoir &ecirc;tre s&rsquo;impose &agrave; soi et aux autres, jusqu&rsquo;&agrave; les tyranniser. Alors que la loi codifie pour fixer des interdits sans par ailleurs entraver des libert&eacute;s concr&egrave;tes dans ses limites, la norme liberticide d&eacute;termine l&rsquo;unique acte acceptable. Sa prescription interdit l&rsquo;&eacute;cart.</p> <p class="texte" dir="ltr">La terreur est donc pr&eacute;sente dans la pens&eacute;e occidentale contemporaine. Elle fait injonction de changer pour r&eacute;aliser le progr&egrave;s. Elle pr&eacute;tend &agrave; l&rsquo;universel, m&ecirc;me dans son relativisme. Dans le m&ecirc;me temps et tr&egrave;s paradoxalement, elle pr&eacute;tend d&eacute;tenir l&rsquo;unique r&eacute;gime de v&eacute;rit&eacute; par un discours scientifique dont les th&eacute;ories ne sont plus discutables sur une p&eacute;riode&nbsp;; sans oublier l&rsquo;insidieuse pragmatique imposant l&rsquo;efficacit&eacute; imm&eacute;diate des actions, en cong&eacute;diant toute contestation ou r&eacute;sistance au nom de la sup&eacute;riorit&eacute; de l&rsquo;utilit&eacute; et de l&rsquo;efficacit&eacute; constatable &agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;une preuve irr&eacute;futable.</p> <h2 dir="ltr" id="heading3" style="font-style:italic;">2. La logique id&eacute;ologique chez Arendt</h2> <p class="texte" dir="ltr">Dans cette partie, nous proc&eacute;derons en deux temps. Arendt d&eacute;crypte la logique id&eacute;ologique qui s&rsquo;apparente &agrave; une logique de l&rsquo;imaginaire o&ugrave; la seule coh&eacute;rence formelle remplace toute autre consid&eacute;ration, les objets devenant des ombres fantomatiques et le raisonnement la seule preuve v&eacute;ritable de l&rsquo;argumentation id&eacute;ologique. Arendt s&rsquo;en tient &agrave; cette analyse critique d&rsquo;une philosophe aux accents &eacute;pist&eacute;mologiques et ph&eacute;nom&eacute;nologiques. Nous y ajouterons un second temps d&rsquo;analyse plus psychologique, en reprenant les travaux instructifs de Gabel<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a> sur la psychopathologie de la pens&eacute;e dialectique et le ph&eacute;nom&egrave;ne de fausse conscience.</p> <p class="texte" dir="ltr">Arendt &eacute;corne l&rsquo;esprit scientifique mais cherche initialement &agrave; le pr&eacute;server d&rsquo;une attaque trop frontale comme nous allons le voir, l&rsquo;humaniste h&eacute;sitant &agrave; faire de la d&eacute;marche scientifique, la source m&ecirc;me de la logique id&eacute;ologique. Elle interpelle la pens&eacute;e occidentale montrant que l&rsquo;id&eacute;ologie est le fruit d&rsquo;un m&eacute;lange entre science et philosophie&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les id&eacute;ologies sont connues pour leur caract&egrave;re scientifique&nbsp;; elles allient approches scientifiques et r&eacute;sultats d&rsquo;ordre philosophique, et ont la pr&eacute;tention de constituer une philosophie scientifique.&nbsp;&raquo; (1972.1, 216) Rappelons pour l&rsquo;illustrer que la th&eacute;orie des races a valu quelques prix Nobel de m&eacute;decine &agrave; des &eacute;minents sp&eacute;cialistes de la question au d&eacute;but du 20<sup>e</sup> si&egrave;cle, avec des soci&eacute;t&eacute;s d&rsquo;eug&eacute;nisme diffusant leurs id&eacute;aux aupr&egrave;s des &eacute;lites occidentales<a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a>. Il existait un accord sur sa v&eacute;racit&eacute; dans la communaut&eacute; scientifique de l&rsquo;&eacute;poque jusqu&rsquo;&agrave; faire de ses promoteurs des prix Nobel. Arendt a tout &agrave; fait raison de mentionner cette alliance entre les r&eacute;sultats scientifiques et les approches philosophiques du fait d&rsquo;une pr&eacute;sence av&eacute;r&eacute;e d&rsquo;hommes de sciences &eacute;minents et reconnus de leur temps dans la constitution des id&eacute;ologies totalitaires se diffusant dans la pens&eacute;e politique<a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a>. Il en fut de m&ecirc;me des sciences sociales et &eacute;conomiques faisant de la lutte des classes le principe d&rsquo;une th&eacute;orie, pour ne pas dire d&rsquo;une doctrine, consid&eacute;r&eacute;e comme universellement vraie, comprenant et incluant que la dictature du prol&eacute;tariat et ses &oelig;uvres &eacute;taient une n&eacute;cessit&eacute; historique. L&rsquo;expression tr&egrave;s juste de philosophie scientifique t&eacute;moigne de cette fertilisation crois&eacute;e qui aurait &eacute;t&eacute; impossible sans l&rsquo;influence et l&rsquo;autorit&eacute; d&rsquo;une science constitu&eacute;e et reconnue o&ugrave; les savants jouent leur r&ocirc;le. Cette rh&eacute;torique est alors un instrument de propagande efficace appelant au changement en abusant de l&rsquo;autorit&eacute; de la proph&eacute;tie scientifique avec l&rsquo;appui et la complicit&eacute; de ses savants.</p> <p class="texte" dir="ltr">Elle poursuit sa description de la logique id&eacute;ologique. Elle proc&egrave;de par un r&eacute;ductionnisme o&ugrave; une seule id&eacute;e va surd&eacute;terminer les choses en vertu d&rsquo;une op&eacute;ration dialectique. Ce qui fait dire &agrave; la philosophe que&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tout ce qui arrive, arrive conform&eacute;ment &agrave; la logique d&rsquo;une seule &laquo;&nbsp;id&eacute;e&nbsp;&raquo;. Cependant, le seul mouvement possible dans le domaine de la logique est celui de la d&eacute;duction &agrave; partir d&rsquo;une pr&eacute;misse.&nbsp;&raquo; (1972.1, 217). Le d&eacute;veloppement de cette id&eacute;e unique assimile toute chose en son sein pour la r&eacute;duire, n&eacute;gligeant les faits au profit de cette repr&eacute;sentation abstraite et unique.</p> <p class="texte" dir="ltr">Elle insiste sur cette logique interne gouvern&eacute;e par la seule loi de coh&eacute;rence, soit un d&eacute;ploiement logique d&eacute;nu&eacute; d&rsquo;interaction ou d&rsquo;interlocution&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce qui habite &laquo;&nbsp;l&rsquo;id&eacute;e&nbsp;&raquo; &agrave; tenir ce nouveau r&ocirc;le, c&rsquo;est sa &laquo;&nbsp;logique&nbsp;&raquo; propre, &agrave; savoir un mouvement qui est la cons&eacute;quence de l&rsquo;&laquo;&nbsp;id&eacute;e&nbsp;&raquo; elle-m&ecirc;me et qui ne requiert aucun facteur ext&eacute;rieur pour la mettre en mouvement.&nbsp;&raquo; (1972.1, 217). Cette rumination a quelque chose de monomaniaque qu&rsquo;Arendt identifie tr&egrave;s bien, avec cette obsession qui suffit &agrave; tout expliquer quand l&rsquo;unique id&eacute;e rend compte du tout&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les id&eacute;ologies admettent toujours le postulat qu&rsquo;une seule id&eacute;e suffit &agrave; tout expliquer dans le d&eacute;veloppement &agrave; partir de la pr&eacute;misse, et qu&rsquo;aucune exp&eacute;rience ne peut enseigner quoi que ce soit, parce que tout est compris dans cette progression coh&eacute;rente de la d&eacute;duction logique.&nbsp;&raquo; (1972.1, 218).</p> <p class="texte" dir="ltr">Elle associe ce caract&egrave;re obsessionnel et monomaniaque &agrave; une forme de d&eacute;r&eacute;alisation o&ugrave; l&rsquo;exp&eacute;rience n&rsquo;apprend plus rien. Le discours se suffit &agrave; lui-m&ecirc;me puisqu&rsquo;un seul concept obsessionnel rendra compte de toute fa&ccedil;on de la totalit&eacute;. La logique id&eacute;ologique produit un raisonnement tr&egrave;s circulaire, &agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;un truisme&nbsp;: &laquo;&nbsp;D&egrave;s que la logique en tant que mouvement de la pens&eacute;e &ndash;&nbsp;et non en tant que r&eacute;gulation n&eacute;cessaire de la pens&eacute;e&nbsp;&ndash; est appliqu&eacute;e &agrave; une id&eacute;e, cette id&eacute;e se transforme en pr&eacute;misse.&nbsp;&raquo; (1972.1, 218). En excluant le r&eacute;el au profit d&rsquo;un concept g&eacute;n&eacute;ral, la logique id&eacute;ologique renonce &agrave; la particularit&eacute;, &agrave; la singularit&eacute; et &agrave; l&rsquo;irr&eacute;ductibilit&eacute; du quotidien. Ils disparaissent, engloutis par l&rsquo;expression vraie d&rsquo;un raisonnement infalsifiable, faute de rencontrer la moindre adversit&eacute;. Arendt initie l&agrave; sa remise en cause de l&rsquo;esprit scientifique, puisqu&rsquo;elle &eacute;voque la loi dans laquelle le monde se dilue&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;id&eacute;ologie traite l&rsquo;encha&icirc;nement des &eacute;v&eacute;nements comme s&rsquo;il ob&eacute;issait &agrave; la m&ecirc;me &laquo;&nbsp;loi&nbsp;&raquo; que l&rsquo;exposition de son &laquo;&nbsp;id&eacute;e&nbsp;&raquo;. Si les id&eacute;ologies pr&eacute;tendent conna&icirc;tre le myst&egrave;re du proc&egrave;s historique tout entier, les secrets du pass&eacute;, les d&eacute;dales du pr&eacute;sent, les incertitudes de l&rsquo;avenir, c&rsquo;est &agrave; cause de la logique inh&eacute;rente &agrave; leurs id&eacute;es respectives.&nbsp;&raquo; (1972.1, 217) Cet isolement acte l&rsquo;insensibilit&eacute; &agrave; toute intrusion du r&eacute;el qui contrarierait cette attitude schizophr&eacute;nique.</p> <p class="texte" dir="ltr">Enfin, cette logique d&eacute;veloppe une m&eacute;thode propre dont elle d&eacute;crit les caract&egrave;res&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il existe trois &eacute;l&eacute;ments sp&eacute;cifiquement totalitaires qui sont propres &agrave; toute pens&eacute;e id&eacute;ologique. Premi&egrave;rement, dans leur pr&eacute;tention de tout expliquer, les id&eacute;ologies ont tendance &agrave; ne pas rendre compte de ce qui est, de ce qui na&icirc;t et meurt&nbsp;[&hellip;] En deuxi&egrave;me lieu, dans ce pouvoir de tout expliquer, la pens&eacute;e id&eacute;ologique s&rsquo;affranchit de toute exp&eacute;rience, dont elle ne peut rien apprendre de nouveau&nbsp;[&hellip;] En troisi&egrave;me lieu, puisque les id&eacute;ologies n&rsquo;ont pas le pouvoir de transformer la r&eacute;alit&eacute;, elles accomplissent cette &eacute;mancipation de la pens&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de l&rsquo;exp&eacute;rience au moyen de certaines m&eacute;thodes de d&eacute;monstration. Le penser id&eacute;ologique ordonne les faits &agrave; une proc&eacute;dure absolument logique qui part d&rsquo;une pr&eacute;misse tenue pour axiome et en d&eacute;duit tout le reste.&nbsp;&raquo; (1972.1, 219-220). Sa derni&egrave;re phrase d&eacute;finit l&rsquo;exercice m&ecirc;me de la logique formelle. Elle pose des axiomes qui ont valeur de pr&eacute;misse, elle les d&eacute;veloppe en vertu de leur seule coh&eacute;rence interne, ces objets &eacute;tant la seule r&eacute;alit&eacute; de ces savants, s&rsquo;affranchissant des autres formes de r&eacute;alit&eacute;. Et cette &eacute;mancipation du r&eacute;el est consid&eacute;r&eacute;e comme le signe m&ecirc;me de la sup&eacute;riorit&eacute; de leur exercice. La conclusion est alors que la m&eacute;thode d&eacute;ductive (logico-math&eacute;matique) est un processus extensif illimit&eacute; de la logicisation du monde, soit l&rsquo;id&eacute;ologie totalitaire dont Gabel pressentait les dangers.</p> <h2 dir="ltr" id="heading4" style="font-style:italic;">3. La psychologie du totalitarisme chez Gabel</h2> <p class="texte" dir="ltr">Gabel a l&rsquo;audace d&rsquo;envisager que cette pens&eacute;e traduisait quelques traits de caract&egrave;res, voire une pathologie faisant des syst&egrave;mes de pens&eacute;e des expressions potentielles de diff&eacute;rentes maladies mentales. Certes, le risque est grand de soigner les maladies pour soigner les pens&eacute;es et r&eacute;ciproquement&nbsp;; puis de d&eacute;noncer des pens&eacute;es parce qu&rsquo;elles sont des maladies pour &eacute;radiquer les pens&eacute;es en soignant les maladies. La ligne de cr&ecirc;te des cons&eacute;quences de la pens&eacute;e de Gabel est t&eacute;nue. Mais cela ne peut nous dissuader de rendre hommage &agrave; cette intelligence. Il a pris le risque d&rsquo;interroger les processus &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans la soci&eacute;t&eacute; contemporaine pour y rep&eacute;rer les signes d&rsquo;une pathologie sociale. Lecteur attentif de Lukacs<a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a>, il utilise cette notion de r&eacute;ification pour t&eacute;moigner de cette posture o&ugrave; l&rsquo;homme se regarde lui-m&ecirc;me tel un objet mesurable&nbsp;: &laquo;&nbsp;Cette condition inhumaine se manifestera encore par une certaine pr&eacute;pond&eacute;rance de l&rsquo;aspect quantitatif de l&rsquo;existence. Le monde r&eacute;ifi&eacute; est avant tout un monde de la quantit&eacute;.&nbsp;&raquo; (2009, 13).</p> <p class="texte" dir="ltr">L&agrave; o&ugrave; Arendt avait indiqu&eacute; que la logique totalitaire ex&egrave;cre l&rsquo;initiative, la libert&eacute; et la cr&eacute;ation, Gabel explique que l&rsquo;homme se faisant objet renonce &agrave; son histoire et &agrave; son futur pour se fondre dans la pr&eacute;sence mat&eacute;rielle immanente des choses&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;homme du monde r&eacute;ifi&eacute; ne peut pas comprendre l&rsquo;histoire dans ce qu&rsquo;elle a de cr&eacute;ativit&eacute; et de spontan&eacute;it&eacute;&nbsp;[&hellip;] En effet, la notion d&rsquo;&eacute;v&eacute;nement implique une transformation dialectique de la quantit&eacute; en qualit&eacute;&nbsp;; c&rsquo;est &agrave; la fois une continuation du pass&eacute; et une rupture avec le pass&eacute;.&nbsp;&raquo; (2009, 14). Il en tire cette conclusion&nbsp;: &laquo;&nbsp;La conscience r&eacute;ifi&eacute; est essentiellement une conscience anhistorique.&nbsp;&raquo; (2009,14). Son explication montre &agrave; quel point cette logique &eacute;radique la conscience morale qui se dissout dans l&rsquo;objectivation des actes, la neutralit&eacute; des faits, la rationalit&eacute; des actions&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le monde de dissociation des totalit&eacute;s concr&egrave;tes, de spatialisation et de quantification qu&rsquo;est l&rsquo;univers r&eacute;ifi&eacute; sera n&eacute;cessairement le si&egrave;ge d&rsquo;une d&eacute;gradation des contenus axiologiques de l&rsquo;existence. Sa morale sera assez typiquement ce que l&rsquo;on appelle actuellement la morale objective&nbsp;; la cat&eacute;gorie de l&rsquo;efficience s&rsquo;y substitue &agrave; elle de l&rsquo;intention morale.&nbsp;&raquo; (2009, 15). Or, il se pourrait bien que toute la soci&eacute;t&eacute; occidentale soit aujourd&rsquo;hui prise, jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;aveuglement, dans cette logique ali&eacute;nante o&ugrave; l&rsquo;homme devient un objet ou une marchandise.</p> <p class="texte" dir="ltr">A l&rsquo;instar d&rsquo;Arendt, il interpelle la science. Il fait le lien entre les modalit&eacute;s de cette conscience aveugl&eacute;e, la fausse conscience, et la pathologie schizophr&eacute;nique&nbsp;: &laquo;&nbsp;Nous vivons dans une &eacute;poque de fausse conscience. Sa pr&eacute;sence dans notre vie constitue, sans doute, un des &eacute;l&eacute;ments essentiels &ndash;&nbsp;sinon le plus essentiel&nbsp;&ndash; de ce que l&rsquo;on a le droit d&rsquo;appeler avec le Docteur Henry Ey la nuance schizophr&eacute;nique de notre civilisation.&nbsp;&raquo; (2009, 19). Il explique comment cette raison pathologique mobilise des attitudes scientifiques dont la raison g&eacute;om&eacute;trique et l&rsquo;esprit de quantit&eacute;, partageant ce diagnostic avec Arendt. Il &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;On retrouve en effet chez ce schizophr&egrave;ne la structure ph&eacute;nom&eacute;nologique essentielle de la conscience r&eacute;ifi&eacute;e&nbsp;: la g&eacute;om&eacute;trisation et la quantification de la pens&eacute;e.&nbsp;&raquo; (2009, 26). Et ce rationalisme occulte alors la vie et le r&eacute;el&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le &laquo;&nbsp;rationaliste morbide&nbsp;&raquo; est un malade chez qui la raison g&eacute;om&eacute;trique a pris le dessus par rapport &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience de la r&eacute;alit&eacute; vivante.&nbsp;&raquo; (2009, 20).</p> <p class="texte" dir="ltr">Il interroge l&agrave; les composants de l&rsquo;esprit scientifique montrant qu&rsquo;ils ont &agrave; voir avec cette pathologie inh&eacute;rente &agrave; la logique totalitaire d&eacute;crite par Arendt. Mais il excuse le savant de subir l&rsquo;in&eacute;vitable schizophr&eacute;nie de sa pratique. Il &eacute;tablit avec lucidit&eacute; cette proximit&eacute; entre le savant et le schizophr&egrave;ne&nbsp;: &laquo;&nbsp;Dans la d&eacute;marche scientifique proprement dite, il y a &eacute;galement un &eacute;l&eacute;ment &laquo;&nbsp;subr&eacute;alisant&nbsp;&raquo;. La philosophie d&rsquo;Emile Meyerson (identit&eacute; et r&eacute;alit&eacute;) est l&rsquo;expression de cet aspect important &ndash;&nbsp;mais nullement unique&nbsp;&ndash; de la pens&eacute;e scientifique. Dans le cas du savant, cette attitude est in&eacute;vitable par suite de la complexit&eacute; des faits qu&rsquo;il aborde. Chez le schizophr&egrave;ne, elle est conditionn&eacute;e par une d&eacute;ficience de l&#39;&eacute;lan vitale, qui l&rsquo;emp&ecirc;che de se hausser au niveau vital du fait quotidien.&nbsp;&raquo; (2009, 39).</p> <p class="texte" dir="ltr">Gabel et Arendt voient donc dans la logique id&eacute;ologique le r&eacute;sultat d&rsquo;un &eacute;garement pathologique. Lui le nomme &laquo;&nbsp;rationalisme morbide&nbsp;&raquo;<a class="footnotecall" href="#ftn5" id="bodyftn5">5</a> et il en fait le signe d&rsquo;une ali&eacute;nation o&ugrave; s&rsquo;insinue une r&eacute;ification&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ou bien on restreint le terme &laquo;&nbsp;ali&eacute;nation&nbsp;&raquo; &agrave; sa signification marxiste en mettant en &eacute;vidence le r&ocirc;le jou&eacute; par la r&eacute;ification, mais dans ce cas le probl&egrave;me de l&rsquo;ali&eacute;nation en psychiatrie n&rsquo;est pas celui de la maladie mentale en g&eacute;n&eacute;ral, mais celui d&rsquo;un fait tr&egrave;s pr&eacute;cis&nbsp;: le rationalisme morbide.&nbsp;&raquo; (2009, 45) Elle, le d&eacute;crit dans cette d&eacute;r&eacute;alisation plus vraie que la r&eacute;alit&eacute;, ce que sont les abstractions imaginaires, &eacute;voquant le sixi&egrave;me sens&nbsp;: &laquo;&nbsp;La pens&eacute;e id&eacute;ologie s&rsquo;&eacute;mancipe de la r&eacute;alit&eacute; que nous percevons au moyens de nos cinq sens, et affirme l&rsquo;existence d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; plus &laquo;&nbsp;vraie&nbsp;&raquo; qui se dissimule derri&egrave;re les choses sensibles, les gouverne de cette retraite, et requiert pour que nous puissions nous en avise la possession d&rsquo;une sixi&egrave;me sens.&nbsp;&raquo; (1972, 219) Elle &eacute;voque l&agrave; une rationalit&eacute; devenue pens&eacute;e magique. Et, dans cette d&eacute;r&eacute;alisation intentionnelle, s&rsquo;instille la r&eacute;ification de l&rsquo;homme, d&rsquo;o&ugrave; la question de l&rsquo;anthropologique totalitaire.</p> <h2 dir="ltr" id="heading5" style="font-style:italic;">4. L&rsquo;anthropologie totalitaire et la pathologie de la r&eacute;ification</h2> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;anthropologie totalitaire est univoque et inclusive car elle absorbe toutes les diff&eacute;rences par n&eacute;gation de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. Et, elle construit une r&eacute;ification de l&rsquo;humain dans une figure abstraite et d&eacute;sincarn&eacute;e. Elle a donc les traits d&rsquo;une utopie d&eacute;crivant une image de l&rsquo;homme &agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;un projet humain o&ugrave; il faut faire advenir une autre humanit&eacute;. L&agrave; aussi, faisons se rencontrer Arendt et Gabel, sans oublier leur inspiration commune, celle des &eacute;crits de Lukacs sur la r&eacute;ification. Cette anthropologie a trois caract&egrave;res&nbsp;: l&rsquo;<em>affirmation d&rsquo;un mod&egrave;le</em>, la <em>perspective de la fabrication de l&rsquo;homme</em> conform&eacute;ment &agrave; ce mod&egrave;le et la <em>r&eacute;ification de l&rsquo;Autre</em>.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;<em>affirmation d&rsquo;un mod&egrave;le</em> commence par la n&eacute;gation de la singularit&eacute; humaine. La question de l&rsquo;homme renvoie &agrave; l&rsquo;histoire ou &agrave; la nature comme puissances structurantes et d&eacute;terminantes. Elles affirment le mod&egrave;le et nient tout ce qui contrarierait ce mod&egrave;le. Il prime les individus en vertu de cette pens&eacute;e pour laquelle les abstractions sont plus vraies et sans aucun doute plus r&eacute;elles que ces r&eacute;alit&eacute;s d&eacute;grad&eacute;es du quotidien. Ces r&eacute;alit&eacute;s du monde sont factices et la seule v&eacute;ritable r&eacute;alit&eacute; est celle du mod&egrave;le. L&rsquo;anthropologie totalitaire tient ensuite &agrave; l&rsquo;autorit&eacute; scientifique du mod&egrave;le pendant une p&eacute;riode. En cela Arendt vise tr&egrave;s juste lorsqu&rsquo;elle en conclut&nbsp;: &laquo;&nbsp;Le monde commun prend fin lorsqu&rsquo;on ne le voit que sous un seul aspect, lorsqu&rsquo;il n&rsquo;a le droit de se pr&eacute;senter que dans une seule perspective.&nbsp;&raquo; (1983, 99). Alors le mod&egrave;le s&rsquo;impose, lib&eacute;rant le terroriste de toute culpabilit&eacute; dans ses &oelig;uvres d&rsquo;&eacute;puration, de pers&eacute;cution, de r&eacute;&eacute;ducation et de manipulation.</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>perspective de la fabrication de l&rsquo;homme</em> tient &agrave; l&rsquo;&eacute;cart entre la v&eacute;rit&eacute; abstraite du mod&egrave;le et le constat d&rsquo;une r&eacute;alit&eacute; imparfaite. D&egrave;s que le mod&egrave;le est affirm&eacute;, s&rsquo;ensuit fort logiquement l&rsquo;obligation de concr&eacute;tiser le devoir &ecirc;tre de l&rsquo;homme &agrave; l&rsquo;image du mod&egrave;le. La fabrication de l&rsquo;homme est ainsi le second signe tr&egrave;s caract&eacute;ristique de l&rsquo;anthropologie totalitaire. Arendt le d&eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;La terreur comme r&eacute;alisation d&rsquo;une loi du mouvement dont la fin ultime n&rsquo;est ni le bien-&ecirc;tre des hommes ni l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t d&rsquo;un homme mais la fabrication du genre humain, &eacute;limine l&rsquo;individu au profit de l&rsquo;esp&egrave;ce, sacrifie les &quot;parties&quot; au profit du &quot;tout&quot;&nbsp;&raquo;. (1972.1, 210). Cette fabrication est avant tout destructrice puisqu&rsquo;elle autorise la liquidation des imparfaits. L&rsquo;anthropologie totalitaire l&eacute;gitime donc toujours la destruction des pauvres, des peuples d&eacute;clar&eacute;s inf&eacute;rieurs, des bourgeois, des juifs, des religieux, des minorit&eacute;s, des handicap&eacute;s&nbsp;; bref la fabrication commence par la purge. Or, nous sommes aujourd&rsquo;hui de nouveau en pr&eacute;sence d&rsquo;une pens&eacute;e totalitaire usant de l&rsquo;argument de l&rsquo;injonction de m&eacute;priser l&rsquo;homme au profit d&rsquo;un nouvel homme m&eacute;canis&eacute;, robotis&eacute; et augment&eacute;, ass&eacute;n&eacute; comme la seule destin&eacute;e, sans alternative l&agrave; encore. La rh&eacute;torique est construire selon ces r&egrave;gles d&eacute;crites par Arendt&nbsp;: sens de l&rsquo;histoire, sens de l&rsquo;&eacute;volution, sens de l&rsquo;&eacute;conomie, fatalit&eacute;, absence d&rsquo;alternative, invitation au renoncement et &agrave; la soumission, promesses abstraites. Et cette promesse unilat&eacute;rale d&rsquo;une humanit&eacute; fabriqu&eacute;e et meilleure est le signe embl&eacute;matique de toutes les strat&eacute;gies totalitaires. De plus, cette fabrication ne dit jamais qui fabrique et qui est fabriqu&eacute;&nbsp;; comme si cette chosification advenait d&rsquo;elle-m&ecirc;me. Si le fabriquant n&rsquo;est pas fabriqu&eacute; &agrave; l&rsquo;identique de ce qu&rsquo;il fabrique, il se condamne &agrave; &ecirc;tre &eacute;limin&eacute; par sa fabrication puisqu&rsquo;elle est l&agrave; pour le d&eacute;passer. Il faut alors de la dissociation mentale, voire de la schizophr&eacute;nie jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;absurde pour se sacrifier au profit du fabriqu&eacute;. La terreur emporte de nouveau le terroriste dans ses &oelig;uvres dans un proc&eacute;d&eacute; de r&eacute;ification.</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>r&eacute;ification de l&rsquo;Autre</em> est la cons&eacute;quence logique des deux points pr&eacute;c&eacute;dents, mais elle en est aussi &agrave; l&rsquo;origine en changeant le regard que l&rsquo;homme porte sur lui-m&ecirc;me et ses cong&eacute;n&egrave;res. L&rsquo;homme r&eacute;ifi&eacute; l&rsquo;est dans la repr&eacute;sentation. Il est l&rsquo;objet d&rsquo;un destin, d&rsquo;une fatalit&eacute; qui le transforme malgr&eacute; lui. Et l&rsquo;homme r&eacute;ifi&eacute; l&rsquo;est aussi dans l&rsquo;exercice m&ecirc;me de sa perception. Ce double mouvement r&eacute;ifie la relation et l&rsquo;objet, le regard et l&rsquo;image, la <em>perception</em> et la <em>repr&eacute;sentation</em>.</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>perception</em> totalitaire induit l&rsquo;&eacute;limination des perceptions au profit d&rsquo;une seule port&eacute;e par l&rsquo;autorit&eacute; scientifique du temps. La seule perception valide est celle qui r&eacute;sulte d&rsquo;une d&eacute;marche r&eacute;put&eacute;e neutre, celle du savant se d&eacute;tachant de toute sorte de contraintes morales pour mener &agrave; bien ses recherches en toute libert&eacute;. L&rsquo;acc&egrave;s au monde et aux autres est r&eacute;duit &agrave; cette seule perception devenue m&eacute;thode scientifique et pour laquelle la seule vis&eacute;e de la connaissance pr&eacute;side aux relations de l&rsquo;homme &agrave; lui-m&ecirc;me et &agrave; son environnement. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une habitude de pens&eacute;e, insidieusement pr&eacute;dominante, qui fait perdre toute relation affective, &eacute;motive, engag&eacute;e, po&eacute;tique, irr&eacute;m&eacute;diablement d&eacute;valoris&eacute;es. R&eacute;sultat de l&rsquo;anthropologie totalitaire, la connaissance est elle aussi r&eacute;duite &agrave; une seule dimension &agrave; l&rsquo;exclusion d&rsquo;autres rapports aux mondes. L&rsquo;omission, voire l&rsquo;&eacute;limination des perceptions rel&egrave;ve alors d&rsquo;une pathologie de la perception<a class="footnotecall" href="#ftn6" id="bodyftn6">6</a>. Elle proc&egrave;de ici d&rsquo;un aveuglement par occultation, le fait totalitaire marquant la pr&eacute;&eacute;minence d&rsquo;une perception en interdisant les autres au nom d&rsquo;une objectivation. A cet &eacute;gard, la r&eacute;ification op&egrave;re dans le langage si la r&egrave;gle de perception est conforme &agrave; celle &eacute;dit&eacute;e par la science. Comme l&rsquo;exprime magistralement Tillich&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;homme devient, de fait, ce que la connaissance qui contr&ocirc;le consid&egrave;re qu&rsquo;il est&nbsp;: une chose parmi les choses&nbsp;(&hellip;) un objet d&eacute;shumanis&eacute; pour la tyrannie ou un objet normalis&eacute; pour les communications publiques. La d&eacute;shumanisation cognitive a entra&icirc;n&eacute; une d&eacute;shumanisation effective.&nbsp;&raquo; (2000, 140). Cette raison technique ou cette connaissance qui contr&ocirc;le d&eacute;termine une perception puis une relation cognitive inductrice de son objet. De m&ecirc;me, Merleau-Ponty s&rsquo;interroge du manque de distance critique quand nous nous soumettons aux injonctions de la m&eacute;thode scientifique&nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;&eacute;tait par exemple une &eacute;vidence, pour l&rsquo;homme form&eacute; au savoir objectif de l&rsquo;Occident, que la magie ou le mythe n&rsquo;ont pas de v&eacute;rit&eacute; intrins&egrave;que&nbsp;(&hellip;) que les effets magiques de la vie mythique et rituelle doivent &ecirc;tre expliqu&eacute;s par des causes &laquo;&nbsp;objectives&nbsp;&raquo;, et rapport&eacute;s pour le reste aux illusions de la Subjectivit&eacute;. La psychologie sociale, si elle veut vraiment voir notre soci&eacute;t&eacute; telle qu&rsquo;elle est, ne peut pourtant pas partir de ce postulat, qui fait lui-m&ecirc;me partie de la psychologie occidentale, et en l&rsquo;adoptant, nous pr&eacute;sumerions nos conclusions.&nbsp;&raquo; (1964, 42). Cette d&eacute;formation scientifique de la perception produit la r&eacute;ification.</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>repr&eacute;sentation</em> r&eacute;ifiante tient donc de cette d&eacute;formation induite de la perception. Elle s&rsquo;enracine dans le dualisme cart&eacute;sien de l&rsquo;animal machine que La Mettrie prolongera par l&rsquo;homme-machine. Il faut reconna&icirc;tre, que dans l&rsquo;histoire qu&rsquo;il nous est donn&eacute; d&rsquo;&eacute;tudier, les deux totalitarismes du 20<sup>e</sup> si&egrave;cle ont &eacute;t&eacute; inspir&eacute;s par ce mat&eacute;rialisme scientifique ou dialectique, exprimant cette vue d&rsquo;un homme r&eacute;duit &agrave; la seule v&eacute;rit&eacute; de ses compos&eacute;s mat&eacute;riels<a class="footnotecall" href="#ftn7" id="bodyftn7">7</a>. L&rsquo;Autre est un simple amas mat&eacute;riel, un instrument, un outil, voire de ce fait une marchandise. La n&eacute;gation des perceptions chez celui qui regarde conduit en toute coh&eacute;rence &agrave; la n&eacute;gation de ces m&ecirc;mes perceptions chez l&rsquo;Autre. Celui-ci ne saurait poss&eacute;der ce que la d&eacute;marche d&eacute;nie dans sa construction m&ecirc;me. L&rsquo;injonction de se conformer &agrave; cette repr&eacute;sentation interdit de dire de l&rsquo;homme qu&rsquo;il serait autre chose qu&rsquo;un objet. Sur ce point, Gabel conclut &agrave; l&rsquo;existence d&rsquo;une logique pathologique&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;hypoth&egrave;se d&rsquo;une logique schizophr&eacute;nique collective (r&eacute;ifi&eacute;e, anti-dialectique et &eacute;gocentrique) nous fait mieux comprendre la signification d&rsquo;un certain malaise logique existant indiscutablement dans la civilisation contemporaine.&nbsp;&raquo; (2009, 50). En cons&eacute;quence, quelques positions contemporaines deviennent tout &agrave; coup les signes d&rsquo;un enfermement syst&eacute;matique dans ce processus pathologique produisant cette r&eacute;ification totalitaire, inhumaine.</p> <h2 dir="ltr" id="heading6" style="font-style:italic;">5. Les le&ccedil;ons d&rsquo;Arendt sur l&rsquo;inhumanit&eacute; totalitaire</h2> <p class="texte" dir="ltr">Ses le&ccedil;ons sur l&rsquo;inhumanit&eacute; portent sur deux aspects psychologiques consubstantiels de toute d&eacute;marche totalitaire&nbsp;: la <em>d&eacute;solation</em> et le <em>d&eacute;racinement</em> qui en sont les deux principales manifestations.</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>d&eacute;solation</em> se distingue de la solitude en ceci que la pr&eacute;sence &agrave; soi se dissout. La d&eacute;solation traduit un abandon o&ugrave; ni les autres, ni soi-m&ecirc;me ne peuvent interagir du fait d&rsquo;un isolement toujours plus pressant. Arendt d&eacute;crit cette domination totalitaire en ces termes&nbsp;: &laquo;&nbsp;La domination totalitaire se fonde sur la d&eacute;solation, sur l&rsquo;exp&eacute;rience d&rsquo;absolue non-appartenance au monde, qui est l&rsquo;une des exp&eacute;riences les plus radicales et les plus d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;es de l&rsquo;homme.&nbsp;&raquo; (1972.1, 226). La philosophe se fait ph&eacute;nom&eacute;nologue voire psychologue lorsqu&rsquo;elle d&eacute;crit ce chemin de la solitude vers la d&eacute;solation o&ugrave; la soci&eacute;t&eacute; totalitaire dissuade d&rsquo;&ecirc;tre et de juger&nbsp;: &laquo;&nbsp;Dans la solitude je suis, en d&rsquo;autres termes, &laquo;&nbsp;parmi moi-m&ecirc;me&nbsp;&raquo;, en compagnie de moi-m&ecirc;me, et donc deux-en-un, tandis que dans la d&eacute;solation je suis en v&eacute;rit&eacute; un seul, abandonn&eacute; de tous les autres&nbsp;&raquo;&nbsp;(&hellip;) La solitude peut devenir d&eacute;solation. Cela se produit lorsque, tout &agrave; moi-m&ecirc;me, mon propre moi m&rsquo;abandonne&nbsp;&raquo;. (1972.1, 228). Elle compl&egrave;te en pr&eacute;cisant que la socialisation est constitutive de l&rsquo;existence &agrave; l&rsquo;instar d&rsquo;un Winnicott d&eacute;crivant la construction psychologique de soi dans les ph&eacute;nom&egrave;nes et objets transitionnels. A l&rsquo;inverse, l&rsquo;enfermement communicationnel entretient la privation par l&rsquo;absence, dans le silence des camps ou par la saturation m&eacute;diatique dont le bruit ali&egrave;ne jusqu&rsquo;&agrave; ce que&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les hommes deviennent enti&egrave;rement priv&eacute;s&nbsp;: ils sont priv&eacute;s de voir et d&rsquo;entendre autrui, comme d&rsquo;&ecirc;tre vus et entendus par autrui. Ils sont tous prisonniers de la subjectivit&eacute; de leur propre exp&eacute;rience singuli&egrave;re, qui ne cesse pas d&rsquo;&ecirc;tre singuli&egrave;re quand on la multiplie ind&eacute;finiment. Le monde commun prend fin lorsqu&rsquo;on le voit sous un seul aspect, lorsqu&rsquo;il n&rsquo;a le droit de se pr&eacute;senter que dans une seule perspective&nbsp;&raquo; (1983, 99). La domination totalitaire agit alors sur toute la vie par une intrusion permanente dans toutes ses dimensions jusqu&rsquo;&agrave; cette d&eacute;solation par le tout vide ou le tout plein concentrationnaire jusqu&rsquo;&agrave; la perte de conscience de soi dans l&rsquo;isolement concentrationnaire.</p> <p class="texte" dir="ltr">Depuis Arendt, l&rsquo;organisation de la d&eacute;solation prive plus encore de la relation &agrave; autrui. Elle disloque les relations humaines, d&eacute;sarticule les liens sociaux, supprime et d&eacute;value la relation intersubjective &agrave; force de d&eacute;nonciation, de renoncement, de critique et de pers&eacute;cution, de mensonge, de tromperie, de calomnie et d&rsquo;humiliation. Or, ces proc&eacute;d&eacute;s sont promus, glorifi&eacute;s, globalis&eacute;s, vulgaris&eacute;s, m&eacute;diatis&eacute;s dans nos soci&eacute;t&eacute;s contemporaines l&eacute;gitimant le diagnostic d&rsquo;Arendt&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce qui rend la d&eacute;solation si intol&eacute;rable c&rsquo;est la perte du moi, qui, s&rsquo;il peut prendre r&eacute;alit&eacute; dans la solitude, ne peut toutefois &ecirc;tre confirm&eacute; dans son identit&eacute; que par la pr&eacute;sence confiante et digne de foi de mes &eacute;gaux. Dans cette situation, l&rsquo;homme perd la foi qu&rsquo;il a en lui-m&ecirc;me comme partenaire de ses pens&eacute;es et cette &eacute;l&eacute;mentaire confiance dans le monde, n&eacute;cessaire &agrave; toute exp&eacute;rience. Le moi et le monde, la facult&eacute; de penser et d&rsquo;&eacute;prouver sont perdus en m&ecirc;me temps&nbsp;&raquo;. (1972.1, 229). Ce processus totalitaire fabrique de l&rsquo;isolement, de l&rsquo;angoisse et de la d&eacute;sesp&eacute;rance, o&ugrave; devenant la chose des autres autant que les autres deviennent choses de soi, l&rsquo;homme dispara&icirc;t &agrave; lui-m&ecirc;me dans le reniement de son humanit&eacute;. Ce processus le d&eacute;value dans une rh&eacute;torique humiliante&nbsp;: l&rsquo;homme jetable, inutile, incomp&eacute;tent, inintelligent, puisque la machine exc&egrave;derait en toute chose cet amas de chair&nbsp;! Et l&rsquo;homme est aussi surveill&eacute;, d&eacute;nonc&eacute;, expos&eacute; dans toutes les pratiques d&eacute;viantes d&rsquo;internet dont des jeunes et des enfants souffrent cruellement&nbsp;: exhibitions, chantages, pers&eacute;cutions, lynchages informationnels, etc. Voil&agrave; ce qui est tr&egrave;s largement donn&eacute; de voir dans les techniques et pratiques de l&rsquo;id&eacute;ologie totalitaire du moment<a class="footnotecall" href="#ftn8" id="bodyftn8">8</a>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le <em>d&eacute;racinement</em> est indissociable de l&rsquo;enracinement. Arendt fait r&eacute;f&eacute;rence &agrave; l&rsquo;appartenance &agrave; un lieu, un territoire et aux souffrances humaines li&eacute;es &agrave; des ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;exil, d&rsquo;expulsion, de d&eacute;placement, de d&eacute;portation et de migration o&ugrave; l&rsquo;homme subit le d&eacute;tachement de son territoire. Le territoire r&eacute;el des lieux ou bien celui immat&eacute;riel d&rsquo;une culture, d&rsquo;une histoire et d&rsquo;une civilisation constituent des lieux communs. Or, l&rsquo;id&eacute;ologie totalitaire contemporaine &oelig;uvre au d&eacute;racinement universel en mena&ccedil;ant explicitement toute revendication d&rsquo;un lieu commun singulier. D&eacute;raciner rel&egrave;ve d&rsquo;un processus d&rsquo;ali&eacute;nation de la construction psychique sous un autre angle que la d&eacute;solation. L&agrave; o&ugrave; la d&eacute;solation mentionne la d&eacute;construction psychique par l&rsquo;absence de relation aux autres, le d&eacute;racinement mentionne les relations aux objets physiques et culturels de son voisinage quotidien, soit les lieux communs. Le totalitarisme contemporain les liquide et organise la promotion d&rsquo;un universalisme d&rsquo;un monde d&rsquo;apatrides en d&eacute;sh&eacute;rence. En cela, il fabrique un univers-monde concentrationnaire fait de lieux semblables qui r&eacute;p&egrave;tent &agrave; l&rsquo;infini les formes rationnelles et mondiales d&rsquo;un mode de vie universel, d&eacute;nonc&eacute; en son temps par Jaspers<a class="footnotecall" href="#ftn9" id="bodyftn9">9</a>. La destruction des lieux communs singuliers a pour cons&eacute;quence l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;un village mondial concentrationnaire.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce d&eacute;racinement utilise toutes les voies de l&rsquo;arrachement, au sens botanique, d&rsquo;arracher de sa terre. Il &eacute;limine les limites qui circonscrivent des libert&eacute;s effectives. Arendt l&eacute;gitime ce qu&rsquo;elle nomme &laquo;&nbsp;le principe territorial&nbsp;&raquo;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Nul ne peut &ecirc;tre citoyen du monde comme il est citoyen de son pays. Dans Origine et sens de l&#39;histoire, Jaspers &eacute;tudie longuement les implications d&#39;un ordre mondial et d&#39;un empire universel. Peu importe la forme que pourrait prendre un gouvernement du monde dot&eacute; d&#39;un pouvoir centralis&eacute; s&#39;exer&ccedil;ant sur tout le globe, la notion m&ecirc;me d&#39;une force souveraine dirigeant la terre enti&egrave;re, d&eacute;tenant le monopole de tous les moyens de violence, sans v&eacute;rification ni contr&ocirc;le des autres pouvoirs souverains, n&#39;est pas seulement un sinistre cauchemar de tyrannie, ce serait la fin de toute vie politique telle que nous la connaissons. Les concepts politiques sont fond&eacute;s sur la pluralit&eacute;, la diversit&eacute; et les limitations r&eacute;ciproques.&nbsp;&raquo; (1974, 94) La limite spatiale est &agrave; l&rsquo;instar des murs des cit&eacute;s antiques ce qui offre des droits et libert&eacute;s en prot&eacute;geant. Or, le d&eacute;racinement &eacute;limine le sens commun parce que l&rsquo;universel totalitaire exclut le droit d&rsquo;exprimer des pr&eacute;occupations existentielles pour une communaut&eacute; humaine dans les limites de son aire d&rsquo;influence. Cette fois, Arendt remet en cause l&rsquo;approche scientifique, car elle l&eacute;gitime de&nbsp;: &laquo;&nbsp;s&rsquo;affranchir de toutes les pr&eacute;occupations anthropocentriques, c&rsquo;est &agrave; dire authentiquement humanistes&nbsp;&raquo; (1972.2, 338). Le d&eacute;racinement fabrique alors une masse&nbsp;: &laquo;&nbsp;L&rsquo;efficacit&eacute; de ce genre de propagande met en lumi&egrave;re l&rsquo;une des principales caract&eacute;ristiques des masses modernes. Elles ne croient &agrave; rien de visible, &agrave; la&nbsp;r&eacute;alit&eacute; de leur propre exp&eacute;rience&nbsp;; elles ne font confiance ni &agrave; leur yeux, ni &agrave; leurs oreilles, mais &agrave; leur seule imagination, qui se laisse s&eacute;duire par tout ce qui est universel et coh&eacute;rent par soi-m&ecirc;me. Les masses se laissent convaincre non par les faits, m&ecirc;me invent&eacute;s, mais seulement par la coh&eacute;rence du syst&egrave;me dont ils font cens&eacute;ment partie. On exag&egrave;re commun&eacute;ment l&rsquo;importance de la r&eacute;p&eacute;tition parce qu&rsquo;on croit les masses peu capables de comprendre et de se souvenir&nbsp;; en fait, la r&eacute;p&eacute;tition n&rsquo;est importante que parce qu&rsquo;elle convainc les masses de la coh&eacute;rence dans le temps.&nbsp;&raquo; (1972.1,&nbsp;78). Le d&eacute;racinement promeut et organise donc un monde concentrationnaire dont la sur-urbanisation contemporaine. Arendt a en m&eacute;moire la logique des camps qui se reproduit sous nos yeux dans ses principales caract&eacute;ristiques&nbsp;: d&eacute;possession, d&eacute;naturalisation, acculturation, d&eacute;sidentification, d&eacute;placement, concentration, privation, pr&eacute;carisation o&ugrave; tous se ressemblent. La similitude est grande et troublante. Elle conclut&nbsp;: &laquo;&nbsp;Etre d&eacute;racin&eacute;, cela veut dire n&rsquo;avoir pas de place dans le monde, reconnue et garantie par les autres&nbsp;; &ecirc;tre inutile, cela veut dire n&rsquo;avoir aucune appartenance au monde.&nbsp;&raquo; (1972.1, 227)</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>d&eacute;solation</em> et le <em>d&eacute;racinement</em> expriment bien l&rsquo;objectif de cette politique totalitaire. Arendt en vient <em>in fine</em> &agrave; s&rsquo;interroger sur la conception moderne de la science. Elle questionne l&rsquo;oubli de l&rsquo;homme et du monde v&eacute;cu dans l&rsquo;attitude scientifique&nbsp;: &laquo;&nbsp;comprendre la r&eacute;alit&eacute; physique semble exiger non seulement le renoncement &agrave; une vision du monde anthropocentrique ou g&eacute;ocentrique, mais aussi une &eacute;limination radicale de tous &eacute;l&eacute;ments et principes anthropomorphes en provenance du monde donn&eacute; aux cinq sens.&nbsp;&raquo; (1972.2, 337) Ce d&eacute;racinement inh&eacute;rent &agrave; l&rsquo;exigence de la m&eacute;thode scientifique fonde une connaissance particuli&egrave;re, puisque&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;homme de science n&rsquo;a pas seulement laiss&eacute; en arri&egrave;re le profane et son entendement limit&eacute;, il a abandonn&eacute; une part de lui-m&ecirc;me et de son propre pouvoir d&rsquo;entendement qui demeure l&rsquo;entendement humain, quand il va travailler dans son laboratoire et se met &agrave; communiquer en langage math&eacute;matique.&nbsp;&raquo; (1972.2, 341). Le parall&egrave;le devient ici manifeste entre la pratique scientifique et la politique totalitaire. Elle souligne trois caract&eacute;ristiques de la science et du totalitarisme dans leur inhumanit&eacute; commune. La science occidentale viserait la puissance plus que la connaissance&nbsp;!</p> <p class="texte" dir="ltr">Premi&egrave;rement, le totalitarisme d&eacute;truit la personnalit&eacute; juridique. La pratique scientifique se d&eacute;fend, elle aussi, de devoir se soumettre &agrave; une loi et tout est fait pour renoncer &agrave; l&rsquo;interdit au nom de la libert&eacute; d&rsquo;exp&eacute;rimentation infinie de la science en dehors du droit&nbsp;: si ce n&rsquo;est aujourd&rsquo;hui, ce sera demain. Aucun comit&eacute; d&rsquo;&eacute;thique dans le monde n&rsquo;a r&eacute;sist&eacute; &agrave; la pression de la libert&eacute; absolue du savant<a class="footnotecall" href="#ftn10" id="bodyftn10">10</a>.</p> <p class="texte" dir="ltr">Deuxi&egrave;mement, elle souligne qu&rsquo;il d&eacute;truit aussi la personne morale soit toute sorte d&rsquo;opposition &agrave; une pratique scientifique qui ne saurait en aucun cas se limiter sous l&rsquo;influence d&rsquo;une morale. Et l&rsquo;esprit scientifique revendique cette neutralit&eacute; excluant <em>de facto</em> tout jugement moral sur sa pratique.</p> <p class="texte" dir="ltr">Troisi&egrave;mement, elle souligne que la soci&eacute;t&eacute; totalitaire d&eacute;truit la personne physique, la science s&rsquo;autorisant la fabrication d&rsquo;une humanit&eacute; selon ses crit&egrave;res.</p> <p class="texte" dir="ltr">La pratique scientifique rel&egrave;ve point par point de cette description du totalitarisme. Et, non sans humour, Arendt s&rsquo;appuie sur l&rsquo;environnement technologique de la capsule de l&rsquo;astronaute pour en tirer l&rsquo;enseignement que cette fabrication du monde est d&eacute;shumanisante et concentrationnaire &agrave; l&rsquo;extr&ecirc;me&nbsp;: &laquo;&nbsp;un homme pour lequel il sera d&rsquo;autant moins possible de rencontrer jamais autre chose que lui-m&ecirc;me et les choses fa&icirc;tes par l&rsquo;homme qu&rsquo;il aura mis plus d&rsquo;ardeur &agrave; &eacute;liminer toutes consid&eacute;rations anthropocentriques dans ses rencontres avec le monde non humain qui l&rsquo;environne.&nbsp;&raquo; (1972.2&nbsp;352). La science ferait ainsi de chacun un astronaute dans un univers concentrationnaire construit par la technique, l&rsquo;imaginaire se substituant &agrave; la nature d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;attirance pour une politique de l&rsquo;imaginaire favorisant une &eacute;conomie du &laquo;&nbsp;virtuel&nbsp;&raquo; infini contre une politique de la nature aspirant &agrave; une &eacute;cologie politique du fini. Et cette &eacute;conomie de l&rsquo;imaginaire est le relai de la puissance de ce processus totalitaire s&eacute;duisant chacun dans ses r&ecirc;ves de concr&eacute;tisation de tous ses d&eacute;sirs<a class="footnotecall" href="#ftn11" id="bodyftn11">11</a>.</p> <h2 dir="ltr" id="heading7" style="font-style:italic;">6. Le processus totalitaire contemporain&nbsp;: r&eacute;p&eacute;tition et concentration</h2> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;analyse des syst&egrave;mes totalitaires m&eacute;rite enfin un examen plus g&eacute;n&eacute;ral de la soci&eacute;t&eacute; totalitaire dont les processus sont aujourd&rsquo;hui &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre. Sans critiquer Arendt, il est certain que le 20<sup>e</sup> si&egrave;cle a produit deux cas exceptionnels d&rsquo;un syst&egrave;me politique qu&rsquo;elle a magistralement d&eacute;crit et analys&eacute;. Mais &eacute;largissons l&rsquo;analyse en consid&eacute;rant que le syst&egrave;me politique n&rsquo;est pas lui-m&ecirc;me la totalit&eacute; d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute;. Certes, l&rsquo;Etat et le parti furent essentiels dans ces syst&egrave;mes du 20<sup>e</sup> si&egrave;cle, tandis que le processus totalitaire &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre aujourd&rsquo;hui fait de chaque individu, le lieu de la pratique totalitaire, incluant des dimensions psychologiques, &eacute;conomiques et sociales. Et deux notions fondamentales pr&eacute;sentes dans son &oelig;uvre caract&eacute;risent ce processus contemporain&nbsp;: la <em>r&eacute;p&eacute;tition</em> et la <em>concentration</em>. Et ces notions ont une r&eacute;sonance &eacute;pist&eacute;mologique et psychologique, mais plus encore technique et &eacute;conomique.</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>r&eacute;p&eacute;tition</em> est le fondement de la d&eacute;marche scientifique<a class="footnotecall" href="#ftn12" id="bodyftn12">12</a>. Si r&eacute;p&eacute;ter, c&rsquo;est r&eacute;pliquer &agrave; l&rsquo;identique, produire et reproduire l&rsquo;objet, c&rsquo;est aussi un des premiers principes de l&rsquo;apprentissage et du perfectionnement dans de nombreuses disciplines&nbsp;: r&eacute;p&eacute;ter les exercices, faire ses gammes, s&rsquo;entra&icirc;ner. C&rsquo;est enfin le signe d&rsquo;une pathologie si la r&eacute;p&eacute;tition se fait permanente&nbsp;: le b&eacute;gaiement, le tic et la manie, l&rsquo;obsession ou l&rsquo;id&eacute;e fixe, le tremblement et dans les pens&eacute;es, le truisme et la tautologie jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;h&eacute;b&eacute;tement. R&eacute;p&eacute;ter ou faire un pas sur place. C&rsquo;est aussi le fondement de l&rsquo;&eacute;conomie d&rsquo;une production de masse pour des masses.</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>concentration</em> est un terme de physique, de chimie et de psychologie. Concentrer, c&rsquo;est mettre au centre et ramener au centre ce qui ne l&rsquo;est pas. C&rsquo;est en optique focaliser le rayon lumineux en un unique point concentrique. En psychologie, c&rsquo;est focaliser son attention sur un objet ou un acte &agrave; l&rsquo;exclusion des autres sans c&eacute;der au divertissement, soit s&rsquo;isoler pour se concentrer. Et en chimie, c&rsquo;est accro&icirc;tre la proportion d&rsquo;une unit&eacute; dans un volume&nbsp;: concentrer des populations dans un espace s&rsquo;y apparente et la concentration r&eacute;unie ainsi toujours plus dans toujours moins<a class="footnotecall" href="#ftn13" id="bodyftn13">13</a>. En mati&egrave;re de concentration, l&rsquo;analyse du t&eacute;moignage de Rousset met en cause toutes les pratiques contemporaines actuelles visant de nouveau l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;un village mondial concentrationnaire d&rsquo;o&ugrave; notre expression d&rsquo;apatrides en d&eacute;sh&eacute;rence. En effet, la concentration justifie le m&eacute;lange de &laquo;&nbsp;tous les peuples&nbsp;&raquo;, elle exige de m&eacute;langer les croyances par &laquo;&nbsp;des hommes sans convictions&nbsp;&raquo;, de cr&eacute;er des liens de d&eacute;pendances par des &laquo;&nbsp;dignit&eacute;s d&eacute;faites&nbsp;&raquo; et de d&eacute;soler et d&eacute;raciner jusqu&rsquo;&agrave; produire &laquo;&nbsp;un peuple nu, int&eacute;rieurement nu, d&eacute;v&ecirc;tu de toute culture, de toute civilisation.&nbsp;&raquo;. Ce projet est &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre sous nos yeux.</p> <p class="texte" dir="ltr">Les deux notions disent &agrave; certains &eacute;gards la m&ecirc;me chose. La r&eacute;p&eacute;tition est d&eacute;termin&eacute;e par un plan temporel, la concentration par un plan spatial. D&rsquo;ailleurs, les activit&eacute;s des soci&eacute;t&eacute;s contemporaines se structurent par ces notions. Elles proc&egrave;dent bien par cette r&eacute;plication concentrationnaire dans de tr&egrave;s nombreux domaines. La mono-culture proc&egrave;de d&rsquo;une r&eacute;p&eacute;tition d&rsquo;une plantation &agrave; l&rsquo;identique par concentration sur des espaces monopolis&eacute;s de fa&ccedil;on intensive. La production animale fabrique des univers concentrationnaires o&ugrave; l&rsquo;intensification de l&rsquo;exploitation s&rsquo;appuie sur la s&eacute;lection de l&rsquo;esp&egrave;ce par r&eacute;p&eacute;tition g&eacute;n&eacute;tique, r&ecirc;vant m&ecirc;me du clonage. La soci&eacute;t&eacute; urbanis&eacute;e r&eacute;p&egrave;te &agrave; l&rsquo;infini un habitat largement standardis&eacute; concentrant des populations toujours plus nombreuses dans des zones concentrationnaires. L&rsquo;organisation de l&rsquo;exode rural massif d&eacute;racine des populations promises &agrave; la d&eacute;solation et &agrave; la violence. L&rsquo;&eacute;conomie capitaliste concentre toujours plus les richesses, etc. Bref, ces termes s&rsquo;appliquent grandement au monde contemporain et &agrave; ces processus de d&eacute;cision et de production.</p> <p class="texte" dir="ltr">Sur un plan technologique, rien n&rsquo;est plus troublant que les m&eacute;thodes d&eacute;crites par Arendt et les m&ecirc;mes promues et diffus&eacute;es o&ugrave; l&rsquo;individu devient l&rsquo;artisan m&ecirc;me de la soci&eacute;t&eacute; totalitaire. En effet, les techniques d&rsquo;espionnage se g&eacute;n&eacute;ralisent et se banalisent, mais elles op&egrave;rent concr&egrave;tement&nbsp;: localisation, tra&ccedil;abilit&eacute;, historicisation, enregistrement, publicisation, etc. L&agrave; est le changement entre l&rsquo;&eacute;laboration d&rsquo;un totalitarisme d&rsquo;Etat au 20<sup>e</sup> si&egrave;cle et celui fond&eacute; sur la manipulation et l&rsquo;adh&eacute;sion de l&rsquo;individu complice de l&rsquo;&eacute;laboration de sa propre servitude. Quand Arendt &eacute;voque les techniques des services de renseignement, le lecteur fera de lui-m&ecirc;me le parall&egrave;le avec des applications mondiales et populaires en rempla&ccedil;ant le mot suspect par ami&nbsp;: &laquo;&nbsp;Chaque suspect &eacute;tait inscrit sur une grande carte au centre de laquelle figurait son nom entour&eacute; de rouge&nbsp;; ses amis politiques &eacute;taient d&eacute;sign&eacute;s par des cercles rouges plus petits et ses connaissances non-politiques par des cercles verts,&nbsp;&hellip;&nbsp;&raquo; (1972, 167). C&rsquo;est l&agrave; l&rsquo;auto-enfermement.</p> <h2 dir="ltr" id="heading8" style="font-style:italic;">7. L&rsquo;alternative politique de la pluralit&eacute; et l&rsquo;&eacute;cologie des pathologies</h2> <p class="texte" dir="ltr">Arendt instille des alternatives, qu&rsquo;elle indique plus qu&rsquo;elle ne les d&eacute;veloppe. Mais ces alternatives ont &agrave; sortir l&rsquo;homme d&rsquo;une d&eacute;sesp&eacute;rance et d&rsquo;une lamentation impuissante cons&eacute;cutive de ces pratiques totalitaires. Il s&rsquo;agit d&rsquo;&eacute;viter les pi&egrave;ges de la pathologie schizophr&eacute;nique d&rsquo;une partie aujourd&rsquo;hui dominante de la pens&eacute;e occidentale. En r&eacute;sistant &agrave; cette tentation du basculement dans la fascination d&rsquo;une unit&eacute; totalitaire imaginaire, cette derni&egrave;re partie essaie d&rsquo;exprimer l&rsquo;alternative politique et psychologique au travers d&rsquo;une notion toujours mise en avant par Arendt&nbsp;: la <em>pluralit&eacute;</em>.</p> <p class="texte" dir="ltr">La <em>pluralit&eacute;</em> est probablement le concept le plus utilis&eacute; par Arendt pour inviter l&rsquo;humanit&eacute; &agrave; ne pas sombrer dans le macabre de sa mutilation. Mais comment se sortir de la magie fascinante qu&rsquo;exerce sur chacun de nous la tentation d&rsquo;une pens&eacute;e de la totalit&eacute; unifi&eacute;e&nbsp;? Comme l&rsquo;exprime Gabel, il y a une dimension psycho-pathologique &agrave; cette p&eacute;riode de l&rsquo;histoire occidentale&nbsp;: &laquo;&nbsp;La psychiatrie a un r&ocirc;le &agrave; jouer dans la lutte contre la tendance &agrave; la d&eacute;shumanisation de la civilisation contemporaine.&nbsp;&raquo; (2009, 51). Mais reprenons d&rsquo;abord les arguments d&rsquo;Arendt pour poser les bases d&rsquo;une politique de la <em>pluralit&eacute;</em> et tentons ensuite avec Gabel d&rsquo;exposer quelques inflexions psychologiques de la pens&eacute;e occidentale, atteinte de cette pathologie du Tout-Un. Nous terminerons donc par deux aspects de la pluralit&eacute;, l&rsquo;une ph&eacute;nom&eacute;nologique, l&rsquo;autre psychologique.</p> <p class="texte" dir="ltr">Arendt dit que&nbsp;: &laquo;&nbsp;la pluralit&eacute; est la condition de l&rsquo;action humaine, parce que nous sommes tous pareils, c&rsquo;est-&agrave;-dire humain, sans que jamais personne soit identique &agrave; aucun autre homme ayant v&eacute;cu, vivant ou encore &agrave; na&icirc;tre.&nbsp;&raquo; (1983, 43). Sur ce point, elle prolonge une tr&egrave;s longue tradition pour laquelle l&rsquo;homme appartient &agrave; son esp&egrave;ce tout en &eacute;tant absolument unique et singulier. Ce principe d&rsquo;individuation est &agrave; plusieurs reprises expos&eacute; par Arendt o&ugrave; la dignit&eacute; de l&rsquo;homme r&eacute;sulte de cette unicit&eacute;. Plus encore, elle en fait &laquo;&nbsp;la loi de la terre&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire le fait de la condition humaine dans les limites existentielles de l&rsquo;homme. La perception humaine, qu&rsquo;elle soit sensible ou intellectuelle demeure conditionn&eacute;e, limit&eacute;e, circonscrite par l&rsquo;espace et le temps o&ugrave; chaque homme prend sa place. Ce principe de pluralit&eacute; est pour elle d&rsquo;autant plus important qu&rsquo;il est le signe de la pluralit&eacute; des perceptions limit&eacute;es qui r&eacute;sultent de l&rsquo;individuation&nbsp;: &laquo;&nbsp;Rien de ce qui existe, dans la mesure o&ugrave; quelque chose para&icirc;t, n&rsquo;existe au singulier&nbsp;; tout ce qui est destin&eacute; &agrave; &ecirc;tre per&ccedil;u. Ce n&rsquo;est pas l&rsquo;homme, mais les hommes qui peuplent notre plan&egrave;te. La pluralit&eacute; est la loi de la terre&nbsp;&raquo; (1981, 35).</p> <p class="texte" dir="ltr">D&egrave;s lors, la pluralit&eacute; appelle celle des pouvoirs, celle des repr&eacute;sentations, celle des soci&eacute;t&eacute;s, celle des lois, celle des organisations, celle des productions, des rythmes et des temps ou des &eacute;v&eacute;nements si aucune pens&eacute;e et penseur ne peut se pr&eacute;valoir de faire totalit&eacute;. Elle ne se confond sans doute pas avec le pluralisme qui s&rsquo;empresse de relativiser et confondre dans une &eacute;quivalence des choses qui renonce d&eacute;j&agrave; &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; v&eacute;ritable. Bref, si la loi de la terre est la pluralit&eacute;, le politique admet la diversit&eacute; qui le pr&eacute;c&egrave;de, reconna&icirc;t la vari&eacute;t&eacute; qui lui est ant&eacute;rieure. Il a alors cette mission de l&rsquo;entretenir, de l&rsquo;encourager, de la susciter sans jamais c&eacute;der &agrave; la tentation de la ruse de la raison morbide mutilant la cr&eacute;ation dans le culte de l&rsquo;Etat, qu&rsquo;il f&ucirc;t national ou mondial. Promouvoir et organiser la pluralit&eacute; revient &agrave; pr&eacute;f&eacute;rer la subsidiarit&eacute; qui laisse &agrave; chaque organisation sociale sa plus grande libert&eacute; et autonomie. Son abandon rel&egrave;ve de sa seule initiative en faveur d&rsquo;une suppl&eacute;ance dans les cas o&ugrave; l&rsquo;organisation ne saurait traiter seule la question. Mais quand plus rien ne subsiste dans les organisations locales, la ruse de la raison morbide a &oelig;uvr&eacute; &agrave; son dessaisissement au profit de la concentration des pouvoirs et de la d&eacute;solation de ces premi&egrave;res organisations. La pluralit&eacute; revient aussi &agrave; pr&eacute;f&eacute;rer la cr&eacute;ation &agrave; l&rsquo;institution en valorisant la qualit&eacute; qui &eacute;merge plus que la quantit&eacute; qui reproduit. Et se r&eacute;jouir de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; change le regard en une infinit&eacute; de perspectives qui modifie cette psychologie morbide de l&rsquo;homme occidental. Faut-il faire de l&rsquo;Autre, autre chose qu&rsquo;un objet promis &agrave; la domination et au contr&ocirc;le rationnel. L&agrave; est le d&eacute;fi d&rsquo;une m&eacute;decine de l&rsquo;&acirc;me de l&rsquo;Occident, car il s&rsquo;agit de sortir de la monotonie promise dans cet exc&egrave;s de rationalisation morbide.</p> <p class="texte" dir="ltr">C&rsquo;est pourquoi cette notion d&rsquo;&eacute;cologie de l&rsquo;esprit int&egrave;gre le respect des pathologies en reconnaissant la vari&eacute;t&eacute; des tendances psychologiques. Le seul biais cognitif morbide pour l&rsquo;humanit&eacute; serait de r&eacute;duire le spectre collectif de ces biais de perception. Or, la science qui veut faire totalit&eacute;-Une r&eacute;duit la vari&eacute;t&eacute; par r&eacute;gression, faisant l&rsquo;apologie d&rsquo;une pathologie contre les autres. Voil&agrave; pourquoi le r&egrave;gne de la r&eacute;p&eacute;tition et de la concentration est le contraire de la simple vie.</p> <h2 dir="ltr" id="heading9" style="font-style:italic;">Conclusion</h2> <p class="texte" dir="ltr">Les id&eacute;es qui soutiennent les syst&egrave;mes totalitaires sont encore &agrave; l&rsquo;&oelig;uvre dans le processus de l&rsquo;individualisme totalitaire contemporain. Cette soci&eacute;t&eacute; totalisante se met au service de l&rsquo;expression totalitaire de l&rsquo;individu exer&ccedil;ant de lui-m&ecirc;me une terreur dont il serait objet et sujet, bourreau et victime<a class="footnotecall" href="#ftn14" id="bodyftn14">14</a>. C&rsquo;est l&rsquo;av&egrave;nement de l&rsquo;homme asservi et ali&eacute;n&eacute; dans son imaginaire. Voil&agrave; pourquoi, la pathologie de la soci&eacute;t&eacute; occidentale s&rsquo;apparente &agrave; une schizophr&eacute;nie collective entretenue par une perversit&eacute; narcissique. Elle est pourtant promise aux m&ecirc;mes crises cons&eacute;cutives des tensions extr&ecirc;mes suscit&eacute;es par la dissociation, la destruction de la personnalit&eacute; et l&rsquo;ultime confrontation &agrave; un r&eacute;el dont la n&eacute;gation ne suspend pourtant pas la pr&eacute;sence.</p> <p class="texte" dir="ltr">La civilisation de la pluralit&eacute; esquiss&eacute;e par Arendt invite &agrave; la r&eacute;conciliation de l&rsquo;homme avec lui-m&ecirc;me dans la vari&eacute;t&eacute; des identit&eacute;s, dans la vari&eacute;t&eacute; des perceptions de chacun et la vari&eacute;t&eacute; des points de vue. Il faut penser l&rsquo;&eacute;clipse de la pens&eacute;e rationaliste qui fantasme le Tout-Un. Il faut jouer du clair-obscur o&ugrave; les objets et les perceptions ont un myst&egrave;re et une &eacute;paisseur qui &eacute;chappent toujours &agrave; l&rsquo;arrogance d&rsquo;une saisie totale. Il faut alors reprendre le fil d&rsquo;une pens&eacute;e de l&rsquo;homme o&ugrave; comme le disait Adorno&nbsp;: &laquo;&nbsp;Depuis que la philosophie s&rsquo;est vue transform&eacute;e en pure et simple m&eacute;thodologie, le savoir est vou&eacute; au m&eacute;pris intellectuel, &agrave; l&rsquo;arbitraire sentencieux et, pour finir, &agrave; l&rsquo;oubli&nbsp;: il s&rsquo;agit de la doctrine de la juste vie. Ce qui jadis m&eacute;ritait pour les philosophes de s&rsquo;appeler la vie est devenue une affaire priv&eacute;e.&nbsp;&raquo; (2001, 9). En premi&egrave;re m&eacute;decine de l&rsquo;esprit, sommes-nous d&eacute;j&agrave; capable de dire que le temps du lendemain est un jour nouveau o&ugrave; la science n&rsquo;a pas raison. Il faut composer et choisir entre reproduire et cr&eacute;er&nbsp;!</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;Joseph Gabel (1912-2004), sociologue et philosophe, il poursuit des &eacute;tudes de psychologie aupr&egrave;s de Minkowski, pratique la sociologie en rapprochant des pathologies et des pens&eacute;es. Il est l&rsquo;auteur de plusieurs &oelig;uvres en ce sens&nbsp;: La r&eacute;ification (1951), la fausse conscience (1962) et &nbsp;sociologie de l&rsquo;ali&eacute;nation (1971).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> &nbsp;Deux exemples fran&ccedil;ais. Charles Robert Richet (1850-1935), prix Nobel 1913, auteur de <span style="text-decoration:underline;">L&rsquo;homme stupide</span> et de <span style="text-decoration:underline;">La s&eacute;lection humaine</span>. Il pr&eacute;side la Soci&eacute;t&eacute; Fran&ccedil;aise d&rsquo;eug&eacute;nisme de 1920 &agrave; 1926. Quelques exemples&nbsp;: &laquo;&nbsp; &nbsp;Apr&egrave;s l&#39;&eacute;limination des races inf&eacute;rieures, le premier pas dans la voie de la s&eacute;lection, c&#39;est l&#39;&eacute;limination des anormaux (1919, 163)&nbsp;; ou encore&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;On va me traiter de monstre parce que je pr&eacute;f&egrave;re les enfants sains aux enfants tar&eacute;s [...] Ce qui fait l&rsquo;homme c&rsquo;est l&rsquo;intelligence. Une masse de chair humaine, sans intelligence, ce n&rsquo;est rien. Il y a de la mauvaise nature vivante qui n&rsquo;est digne d&rsquo;aucun respect ni d&rsquo;aucune compassion&nbsp;&raquo; (1919, 163). Alexis Carrel (1873-1944), prix Nobel 1912, auteur de <span style="text-decoration:underline;">L&rsquo;homme, cet inconnu</span>. Cette &oelig;uvre eut un succ&egrave;s international. Il y promeut l&rsquo;eug&eacute;nisme radical par l&rsquo;extermination des populations. Un exemple&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;L&rsquo;eug&eacute;nisme &eacute;tait pratiqu&eacute; par les Grecs, &agrave; l&rsquo;&eacute;poque de P&eacute;ricl&egrave;s, de fa&ccedil;on naturelle et inconsciente&nbsp;: aujourd&rsquo;hui, il doit tenir un rang &eacute;lev&eacute; dans les pr&eacute;occupations des peuples civilis&eacute;s. L&rsquo;hygi&egrave;ne et la m&eacute;decine ont manqu&eacute; de sagesse, elles ont permis et encourag&eacute; la reproduction des faibles, des malades, des d&eacute;g&eacute;n&eacute;r&eacute;s&nbsp;; aussi, le nombre des d&eacute;g&eacute;n&eacute;r&eacute;s augmente-t-il sans cesse. L&rsquo;eug&eacute;nisme est donc devenu indispensable au salut de la race blanche.&nbsp;&raquo; (1950, 113) Outre les prix Nobel, une large unanimit&eacute; se d&eacute;gage dans la communaut&eacute; scientifique internationale sous l&rsquo;impulsion de Francis Galton (1822-1911), anthropologue britannique, un des fondateurs de la th&eacute;orie eug&eacute;niste, cousin de Darwin, et membre de la Royal Society. Il inspire les politiques d&rsquo;hygi&egrave;ne raciale pratiqu&eacute;es dans les pays scandinaves et aux Etats-Unis. Son ami, Karl Pearson (1857-1936), math&eacute;maticien et statisticien britannique, socialiste et positiviste, promeut avec lui la statistique au service de la s&eacute;lection et d&rsquo;une politique eug&eacute;niste.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> &nbsp;Roosevelt &eacute;crira par exemple, et il n&rsquo;est pas le seul&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Je souhaiterais beaucoup que l&rsquo;on emp&ecirc;ch&acirc;t enti&egrave;rement les gens de cat&eacute;gorie inf&eacute;rieure de se reproduire, et quand la nature malfaisante de ces gens est suffisamment manifeste, des mesures devraient &ecirc;tre prises en ce sens. Les criminels devraient &ecirc;tre st&eacute;rilis&eacute;s et il devrait &ecirc;tre interdit aux personnes faibles d&rsquo;esprit d&#39;avoir des descendants.&nbsp;&raquo; (1968, 27). Les politiques d&rsquo;hygi&egrave;ne raciale ont &eacute;t&eacute; mises en &oelig;uvre aux Etats-Unis d&egrave;s 1905 dont seront victimes les handicap&eacute;s, les malades mentaux et les criminels, au Canada dont l&rsquo;Alberta Sexual Sterilisation Act&nbsp;visant les handicap&eacute;s mentaux et les am&eacute;rindiens de 1928 &agrave; 1972 et en Su&egrave;de par une loi eug&eacute;nique de 1935 &agrave; 1976 contre les populations d&eacute;sh&eacute;rit&eacute;s conditionnant l&rsquo;aide sociale &agrave; la st&eacute;rilisation. La Su&egrave;de aidera l&rsquo;Inde dans son programme de st&eacute;rilisation estim&eacute; &agrave; plus de 8 millions de personnes &agrave; l&rsquo;initiative de Sanjay Gandhi &agrave; la fin des ann&eacute;es 1970. Elles se perp&eacute;tuent encore tr&egrave;s r&eacute;cemment au P&eacute;rou sous la pr&eacute;sidence Fujimori (1990-2000) soutenu par des fonds internationaux pour le contr&ocirc;le d&eacute;mographique (USAID, UNFPA). Indig&egrave;nes et am&eacute;rindiens ont &eacute;t&eacute; st&eacute;rilis&eacute;s &agrave; cette p&eacute;riode, au nom d&rsquo;une science politique mondiale du contr&ocirc;le d&eacute;mographique et du d&eacute;veloppement &eacute;conomique. Les sciences et leurs repr&eacute;sentants sont-ils absents de ces d&eacute;cisions&nbsp;?</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> &nbsp;Lukacs (1885-1971), philosophe et sociologue, auteur d&rsquo;<span style="text-decoration:underline;">Histoire et conscience de classe</span> y d&eacute;veloppe sa th&eacute;orie de la r&eacute;ification, processus de d&eacute;shumanisation r&eacute;sultant de la g&eacute;n&eacute;ralisation du f&eacute;tichisme de la marchandise d&eacute;crit par Marx, propre au d&eacute;veloppement du capitalisme.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn5" id="ftn5">5</a> &nbsp;Cette notion a &eacute;t&eacute; formalis&eacute;e par Minkoswki (1885-1972) psychiatre, qui a &eacute;tudi&eacute; la schizophr&eacute;nie et ses formes logiques &eacute;loignant de la r&eacute;alit&eacute; au profit d&rsquo;abstractions. Il examine ces m&eacute;canismes de d&eacute;fenses contre la dissociation, trouble cardinal de la schizophr&eacute;nie, o&ugrave; un syst&egrave;me logique (philosophiques, logiques, math&eacute;matiques) dominent jusqu&rsquo;&agrave; se substituer aux impressions et r&eacute;alit&eacute;s.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn6" id="ftn6">6</a> &nbsp;Adorno (1903-1969), philosophe, sociologue et musicologue r&eacute;sume cette pathologie de la froideur&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;La froideur envahit tout ce qu&rsquo;ils font&nbsp;: la parole aimable qu&rsquo;ils ne prononcent pas, les &eacute;gards qu&rsquo;ils n&eacute;gligent de t&eacute;moigner &agrave; autrui&hellip; Cette froideur finit par se retourner contre ceux dont elle &eacute;mane. Toute relation qui n&rsquo;est pas compl&egrave;tement d&eacute;figur&eacute;e, y compris sans doute ce que la vie organique prote en elle de r&eacute;conciliation, tout cela est don. Celui qu&rsquo;une logique trop cons&eacute;quente rend incapable de donner fait de lui-m&ecirc;me une chose et se condamne &agrave; une froideur glac&eacute;e.&nbsp;&raquo; (2001, 53).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn7" id="ftn7">7</a> &nbsp;La Mettrie (1723-1789), m&eacute;decin et philosophe mat&eacute;rialiste auteur de <span style="text-decoration:underline;">L&rsquo;homme machine</span> d&eacute;veloppe sa th&eacute;orie mat&eacute;rialiste. Le lecteur notera non seulement la position mais la rh&eacute;torique totalitaire qui fait injonction, transformant l&rsquo;hypoth&egrave;se en th&eacute;orie, assertant la cl&ocirc;ture du d&eacute;bat par l&rsquo;impossibilit&eacute; de contester&nbsp;: &laquo;&nbsp;Concluons donc hardiment que l&#39;Homme est une machine, et qu&#39;il n&#39;y a dans tout l&#39;Univers qu&#39;une seule substance. Ce n&#39;est point ici une hypoth&egrave;se [...], l&#39;ouvrage de pr&eacute;jug&eacute; ou de ma raison seule. [...] Mais [...] le raisonnement le plus vigoureux [...] &agrave; la suite d&#39;une multitude d&#39;observations physiques qu&#39;aucun savant ne contestera.&nbsp;&raquo; (2000, 82) R&eacute;cemment Marc Crapez a men&eacute; une recherche scientifique sur l&rsquo;anthropologie totalitaire&nbsp;: <span style="text-decoration:underline;">La gauche r&eacute;actionnaire, mythes de la pl&egrave;bes et de la race</span>. Son expos&eacute; rejoint la conclusion d&eacute;chirante d&rsquo;Adorno &agrave; propos des fruits de l&rsquo;esprit des Lumi&egrave;res&nbsp;: &laquo; De tout temps, l&rsquo;<em>Aufkl&auml;rung</em>, au sens le plus large de pens&eacute;e du progr&egrave;s, a eu pour but de lib&eacute;rer les hommes de la peur et de les rendre souverains. Mais la terre pleinement &laquo;&nbsp;&eacute;clair&eacute;e&nbsp;&raquo; resplendit sous le signe d&rsquo;un d&eacute;sastre triomphal.&nbsp;&raquo; (1974, 14), et pour qui &laquo;&nbsp;tout ce qui n&rsquo;est pas r&eacute;ifi&eacute; et ne se laisse ni compter ni mesurer, tout cela est nul et non avenu. Mais ce n&rsquo;est pas encore assez et la r&eacute;ification s&rsquo;&eacute;tend aussi &agrave; ce qui est son propre contraire, &agrave; e qui dans la vie n&rsquo;est pas directement actualisable, &agrave; ce qui ne survit jamais que comme pens&eacute;e et comme souvenir.&nbsp;&raquo; (2001, 59).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn8" id="ftn8">8</a> &nbsp;Arendt &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;La d&eacute;fiance mutuelle impr&egrave;gne toutes les relations sociales des pays totalitaires et engendre un climat qui r&egrave;gne partout [&hellip;] Chacun est en quelque sorte un &laquo;&nbsp;agent provocateur&nbsp;&raquo; pour tous les autres [&hellip;] Dans un syst&egrave;me d&rsquo;espionnage omnipr&eacute;sent, o&ugrave; tout un chacun peut &ecirc;tre un agent secret, ou chaque individu se sent constamment surveill&eacute;&nbsp;; dans des circonstances en outre o&ugrave; les carri&egrave;res sont extr&ecirc;mement p&eacute;rilleuses, o&ugrave; les ascensions aussi bien que les chutes les plus spectaculaires, sont devenues pain quotidien, chaque mot devient &eacute;quivoque et susceptible d&rsquo;une &laquo;&nbsp;interpr&eacute;tation&nbsp;&raquo; r&eacute;trospective&nbsp;&raquo;. (1972, 163). Les pratiques en cours entre personnes sur internet&nbsp;: menaces, chantages, d&eacute;nonciations, accusations collectives, enqu&ecirc;tes r&eacute;trospectives &agrave; charge semblent &eacute;tonnamment correspondre &agrave; sa d&eacute;finition.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn9" id="ftn9">9</a> &nbsp;Jaspers (1883-1969), psychiatre et philosophe, auteur d&rsquo;une &oelig;uvre majeure <span style="text-decoration:underline;">Psychopathologie g&eacute;n&eacute;rale</span>, il publie une &oelig;uvre critique&nbsp;: <span style="text-decoration:underline;">Origines et sens de l&rsquo;histoire</span> qui a largement inspir&eacute;e Arendt.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn10" id="ftn10">10</a> &nbsp;Les propos du Pr&eacute;sident du Comit&eacute; consultatif national d&rsquo;&eacute;thique (CCNE), charg&eacute; de l&rsquo;organisation des &eacute;tats g&eacute;n&eacute;raux de la bio&eacute;thique, Jean-Fran&ccedil;ois Delfraissy t&eacute;moigne d&rsquo;une position de soumission &agrave; l&rsquo;injonction de la libert&eacute; sans limite de ce qu&rsquo;il nomme science jusqu&rsquo;&agrave; insister sur l&rsquo;impossibilit&eacute; de discerner le bien du mal. Ces extraits analys&eacute;s &agrave; la fa&ccedil;on d&rsquo;Arendt &agrave; propos d&rsquo;Eichmann attestent&nbsp;de la banalit&eacute; du mal qui engendre le mal radical par le renoncement d&rsquo;humanit&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je ne sais pas ce que sont le bien et le mal, et vous avez de la chance si vous le savez vous-m&ecirc;me !&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Je refuse d&rsquo;&ecirc;tre celui qui d&eacute;finit le bien et le mal. Ce n&rsquo;est absolument pas l&rsquo;enjeu.&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;Nous ne sommes pas l&agrave;, je le r&eacute;p&egrave;te, pour dire ce que sont le bien et le mal.&nbsp;&raquo; Et pour la science&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il y a une science qui bouge, que l&rsquo;on n&rsquo;arr&ecirc;tera pas.&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;En Chine, il y a une science qui avance, il y a des ruptures vis-&agrave;-vis des grands principes qui pr&eacute;valent chez nous. Par exemple, il y a actuellement plusieurs milliers de transplantations qui sont r&eacute;alis&eacute;es &agrave; partir d&rsquo;organes de condamn&eacute;s &agrave; mort.&nbsp;&raquo; (Extrait de l&rsquo;interview accord&eacute; &agrave; Valeurs Actuelles en 2018).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn11" id="ftn11">11</a> &nbsp;L&rsquo;objectification sexuelle est exemplaire de cette r&eacute;ification qui vise la satisfaction de la totalit&eacute; des d&eacute;sirs sans discernement, puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit de faire marchandise des relations extr&ecirc;mes ou d&rsquo;user de poup&eacute;es sophistiqu&eacute;es &agrave; l&rsquo;effigie de c&eacute;l&eacute;brit&eacute;, mais aussi des corps de jeunes. Voir les productions de la soci&eacute;t&eacute; am&eacute;ricaine Real Doll.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn12" id="ftn12">12</a> &nbsp;Locke (1632-1704), philosophe politique, vante les m&eacute;rites de la r&eacute;p&eacute;tition &eacute;ducative dans <span style="text-decoration:underline;">Quelques pens&eacute;es sur l&rsquo;&eacute;ducation</span>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Cette m&eacute;thode, qui consiste &agrave; instruire les enfants par une pratique constante, par la r&eacute;p&eacute;tition du m&ecirc;me exercice, plusieurs fois renouvel&eacute; en pr&eacute;sence et sous la direction de leur ma&icirc;tre, jusqu&rsquo;&agrave; ce qu&rsquo;ils aient acquis l&rsquo;habitude de le bien faire, et non par des r&egrave;gles confi&eacute;es &agrave; leur m&eacute;moire, &agrave; de si grands avantages&nbsp;&hellip;&nbsp;&hellip; que je ne puis m&rsquo;emp&ecirc;cher de m&rsquo;&eacute;tonner qu&rsquo;on l&rsquo;ait &agrave; ce pont n&eacute;glig&eacute;.&nbsp;&raquo; Le math&eacute;maticien Whitehead (1861-1947) rappelle dans <span style="text-decoration:underline;">La science et le monde moderne</span>&nbsp;: &laquo;&nbsp; De tous c&ocirc;t&eacute;s, nous rencontrons des ph&eacute;nom&egrave;nes r&eacute;p&eacute;titifs. Sans les r&eacute;p&eacute;titions, le savoir serait impossible&nbsp;; rien ne pourrait, en effet, &ecirc;tre rapport&eacute; &agrave; notre exp&eacute;rience pass&eacute;e. En outre, sans une certaine r&eacute;gularit&eacute; des ph&eacute;nom&egrave;nes, toute mesure serait impossible. Dans notre exp&eacute;rience, la r&eacute;p&eacute;tition est essentielle &agrave; la notion d&rsquo;exactitude.&nbsp;&raquo;Et le fondateur de la d&eacute;marche exp&eacute;rimentale, le docteur Bernard (1813-1878) l&rsquo;affirme clairement dans son <span style="text-decoration:underline;">Introduction &agrave; l&rsquo;&eacute;tude de la m&eacute;decine exp&eacute;rimentale</span>&nbsp;: &laquo;&nbsp;Ce qui veut dire en d&rsquo;autres termes que, la condition d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne une fois connue et remplie, le ph&eacute;nom&egrave;ne doit se reproduire toujours et n&eacute;cessairement, &agrave; la volont&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rimentateur. La n&eacute;gation de cette proposition ne serait rien d&rsquo;autre que la n&eacute;gation de la science m&ecirc;me.&nbsp;&raquo;</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn13" id="ftn13">13</a> &nbsp;Nous invitons le lecteur &agrave; lire l&rsquo;&oelig;uvre exceptionnelle de David Rousset (1912-1997), d&eacute;port&eacute; et r&eacute;sistant, fondateur du Parti Ouvrir Internationaliste&nbsp;: <span style="text-decoration:underline;">L&rsquo;univers concentrationnaire</span>, prix Renaudot 1946, premier t&eacute;moignage et analyse du fait concentrationnaire. L&rsquo;effet de la d&eacute;solation et du d&eacute;racinement y est explicite.<br /> &laquo;&nbsp;Des hommes rencontr&eacute;s de tous les peuples, de toutes les convictions, lorsque vents et neige claquaient sur les &eacute;paule, gla&ccedil;aient les ventres aux rythmes militaires, stridents comme un blasph&egrave;me cass&eacute; et moqueur, sous les phares aveugles, sur la Grand-Place des nuits gel&eacute;es de Buchenwald ; des hommes sans convictions, h&acirc;ves et violents ; des hommes porteurs de croyances d&eacute;truites, de dignit&eacute;s d&eacute;faites ; tout un peuple nu, int&eacute;rieurement nu, d&eacute;v&ecirc;tu de toute culture, de toute civilisation.&nbsp;&raquo;</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn14" id="ftn14">14</a> &nbsp;Nous invitons le lecteur &agrave; lire <span style="text-decoration:underline;">La soci&eacute;t&eacute; autophage</span> de Jappe (1962) et la note de lecture qui lui est consacr&eacute;e dans ce num&eacute;ro.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Adorno, Theodor, <em>Minima Moralia, r&eacute;flexions sur la vie mutil&eacute;e</em>, 2001, Paris, Editions Payot &amp; Rivages</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Allen, David &amp; Cano, Elsa, 2012, Joseph Gabel : th&eacute;oricien de la modernit&eacute;, <em>Les Cahiers de psychologie politique</em> n&deg;&nbsp;21. Disponible sur : <a href="http://irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=2228">http://irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=2228</a></p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Arendt, Hannah, <em>Condition de l&rsquo;homme moderne</em>, 1983, Paris, Editions Calmann-L&eacute;vy</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Arendt, Hannah, <em>Les origines du totalitarisme, Le syst&egrave;me totalitaire</em>, 1972, Paris, Editions du Seuil (1972.1)</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Arendt, Hannah, <em>La crise de la culture</em>, 1972, Paris, Editions Gallimard (1972.2)</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Arendt, Hannah, <em>Vies politiques</em>, 1974, Paris, Editions Gallimard</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Arendt, Hannah, <em>La vie de l&rsquo;esprit 1. La pens&eacute;e</em>, 1981, Paris, PUF</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Carrel, Alexis, <em>L&rsquo;homme, cet inconnu</em>, 1935, Paris, Editions Plon</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Carrel, Alexis, <em>R&eacute;flexions sur la conduite de la vie</em>, 1950, Paris, Editions Plon</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Clemenceau, Georges, in <em>Marianne et les colonies, une introduction &agrave; l&rsquo;histoire coloniale de la France</em>, Manceron, Gilles, 2003, Paris, Editions La D&eacute;couverte</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Clit, Radu, 2002, La terreur comme passivation, <em>Revue Topique</em> n&deg;&nbsp;81</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Crapez, Marc, La gauche r&eacute;actionnaire, mythes de la pl&egrave;be et de la race, 1997, Paris, Berg International</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Debarbieux, Bernard, 2014, Les spatialit&eacute;s dans l&rsquo;&oelig;uvre d&rsquo;Hannah Arendt, <em>Revue europ&eacute;enne de g&eacute;ographie</em></p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Debord, Guy, <em>La soci&eacute;t&eacute; du spectacle</em>, 1983, Paris,</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Enzensberger, Hans Magnus, <em>Essai sur les hommes de la terreur</em>, 2016, Folio</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Gabel, Joseph, <em>La r&eacute;ification&nbsp;: essais d&rsquo;une psychopathologie de la pens&eacute;e dialectique</em>, 1951, Paris, Revue Esprit, n&deg;&nbsp;10 p.&nbsp;459-482, r&eacute;-&eacute;dition Allia (notre r&eacute;f&eacute;rence)</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Gabel, Joseph, <em>La fausse conscience&nbsp;: essais sur la r&eacute;ification</em>, 1962, Paris, Editions de Minuit</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Gabel, Joseph, <em>Sociologie de l&rsquo;ali&eacute;nation</em>, 1971, Paris, PUF</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Honneth, Axel, <em>La r&eacute;ificiation</em>, 2007, Paris, Editions Gallimard</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Jappe, Anselm, <em>La soci&eacute;t&eacute; autophage</em>, 2017, Paris, Editions La d&eacute;couverte</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Jaspers, Karl, <em>Origines et sens de l&rsquo;histoire</em>, 1974, Paris, Editions Plon</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Kierkegaard, S&ouml;ren, <em>La r&eacute;p&eacute;tition</em>, 2003, Paris, Editions Rivages</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Kunz Westerhoff, Dominique et Atallah, Marc, <em>L&rsquo;homme-machine et ses avatars</em>, 2012, Paris, Librairie Vrin</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">La Mettrie, Julien Offray de, <em>L&rsquo;homme machine</em>, 2000, Paris, Editions Fayard</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Lukacs, Georg, <em>Histoire et conscience de classes</em>, 1974, Paris, Editions de Minuit</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Merleau-Ponty, Maurice, <em>Le visible et l&rsquo;invisible</em>, 1964, Paris, Editions Gallimard</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Minkowski, Eug&egrave;ne, <em>Au-del&agrave; du rationalisme morbide</em>, 1997, Paris, Edition L&rsquo;Harmattan</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Richet, Charles-Robert, <em>L&rsquo;homme stupide</em>, 1919, Paris, Editions Flammarion</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Richet, Charles-Robert, <em>La s&eacute;lection humaine</em>, 1919, Paris, Editions Alcan</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Roosevelt, Theodore, <em>Race, Riots, Reds, Crime</em>, 1968, XXX Editions Probe</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Rousset, David, <em>L&rsquo;univers concentrationnaire</em>, 1946, Paris, Editions du Pavois</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Sperber, Man&egrave;s, <em>Psychologie du pouvoir</em>, 1995, Paris, Editions Odile Jabob</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Tillich, Paul, <em>Th&eacute;ologie syst&eacute;matique</em>, 2000, Paris, Editions du Cerf</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Thomson, Ann, 1999, Diderot, le mat&eacute;rialisme et la division de l&rsquo;esp&egrave;ce humaine, <em>Recherches sur Diderot et sur l&#39;Encyclop&eacute;die</em>. Disponible sur : <a href="http://journals.openedition.org/rde/1191">http://journals.openedition.org/rde/1191</a>&nbsp;; <a href="https://doi.org/10.4000/rde.1191">https://doi.org/10.4000/rde.1191</a></p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Wahnich, Sophie, 2003, La terreur comme fondation, de l&rsquo;&eacute;conomie &eacute;motive de la terreur, <em>Les Cahiers de psychologie politique, </em>&nbsp;n&deg;&nbsp;3. Disponible sur : <a href="http://irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1605">http://irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1605</a></p>