<p dir="ltr"><strong>DOSSIER : QUANTIFICATION ET QUANTITE</strong></p> <p dir="ltr"><em>Mathieu Guillermin est docteur en physique, docteur en philosophie, sp&eacute;cialiste en &eacute;pist&eacute;mologie &nbsp;et en &eacute;thique des sciences et technologies, ma&icirc;tre de conf&eacute;rences &agrave; l&#39;universit&eacute; catholique de Lyon</em></p> <p dir="ltr"><strong>SOMMAIRE</strong></p> <p><strong>1. Introduction</strong></p> <p><strong>2. IA et rationalit&eacute; humaine&nbsp;: comp&eacute;tition ou compl&eacute;mentarit&eacute;&nbsp;?</strong></p> <p><strong>3. Un arri&egrave;re-plan r&eacute;pandu mais probl&eacute;matique</strong></p> <p><strong>4. Une tentative d&rsquo;alternative</strong></p> <p><strong>5. Conclusion</strong></p> <h1 dir="ltr" id="heading1">1. Introduction</h1> <p class="texte" dir="ltr">Les techniques d&rsquo;intelligence artificielle (IA), en particulier l&rsquo;apprentissage automatique qui permet de d&eacute;velopper des algorithmes puissants d&rsquo;analyse de donn&eacute;es, sont de plus en plus mobilis&eacute;es dans le domaine de la recherche biom&eacute;dicale et de la sant&eacute; (Heudel, Durand et Blay 2017). Les succ&egrave;s impressionnants se font de plus en plus nombreux, comme par exemple l&rsquo;analyse automatique d&rsquo;images m&eacute;dicales pour la d&eacute;tection de cancers de la peau dont les performances atteignent le niveau d&rsquo;expertise des dermatologistes (Esteva et al. 2017).</p> <p class="texte" dir="ltr">Dans ce domaine biom&eacute;dical, les progr&egrave;s de l&rsquo;analyse et du traitement de donn&eacute;es assist&eacute;s par IA rejoignent ceux du s&eacute;quen&ccedil;age &agrave; haut d&eacute;bit de diff&eacute;rents profils mol&eacute;culaires des individus (techniques dite &laquo;&nbsp;omics&nbsp;&raquo;). On est aujourd&rsquo;hui en capacit&eacute; de caract&eacute;riser, en un temps raisonnable, le g&eacute;nome d&rsquo;une personne ainsi que la mani&egrave;re dont il s&rsquo;exprime, les diff&eacute;rentes mol&eacute;cules impliqu&eacute;es dans les r&eacute;actions m&eacute;taboliques du corps de cette personne ou encore le contenu g&eacute;nomique de sa flore intestinale. Cette conjonction entre la puissance des syst&egrave;mes artificiels pour traiter de grandes quantit&eacute;s de donn&eacute;es et les possibilit&eacute;s de profilage d&rsquo;un individu au niveau mol&eacute;culaire d&eacute;bouche sur ce qu&rsquo;on nomme la &laquo;&nbsp;m&eacute;decine personnalis&eacute;e&nbsp;&raquo; (Jain 2015). Bien que le terme soit probl&eacute;matique et recouvre de nombreuses techniques biom&eacute;dicales diff&eacute;rentes (Darrason et Giroux 2017), un &eacute;l&eacute;ment est central&nbsp;: une quantification mol&eacute;culaire d&rsquo;une extension sans pr&eacute;c&eacute;dent qui permet de prendre en compte la singularit&eacute; biom&eacute;dicale des personnes &agrave; travers leurs profils mol&eacute;culaires individualis&eacute;s. Ce profilage individualis&eacute; g&eacute;n&egrave;re de grands ensembles de donn&eacute;es (qui sont compl&eacute;t&eacute;s par d&rsquo;autres informations concernant l&rsquo;&eacute;tat m&eacute;dical des individus comme les donn&eacute;es cliniques plus traditionnelles). Les technologies IA permettent alors d&rsquo;exploiter ces grands ensembles de donn&eacute;es pour identifier diff&eacute;rents types de marqueurs mol&eacute;culaires extr&ecirc;mement int&eacute;ressants du point de vue de la recherche biom&eacute;dicale et de la sant&eacute; (Guchet 2014, p.&nbsp;38). Il devient alors possible de caract&eacute;riser l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;un patient (marqueur diagnostique et pronostique), mais aussi d&rsquo;anticiper la mani&egrave;re dont il r&eacute;agira &agrave; tel ou tel m&eacute;dicament (marqueur pharmacog&eacute;n&eacute;tique), voire m&ecirc;me d&rsquo;identifier des traitements visant &agrave; agir sur les signatures mol&eacute;culaires (marqueurs &laquo;&nbsp;actionnables&nbsp;&raquo;).</p> <p class="texte" dir="ltr">La m&eacute;decine personnalis&eacute;e, avec ces nouveaux outils de quantification qui atteignent la singularit&eacute; biologique ou mol&eacute;culaire des individus, est donc extr&ecirc;mement prometteuse. D&eacute;velopper et d&eacute;ployer au mieux ces nouvelles technologies est donc un enjeu majeur pour nos soci&eacute;t&eacute;s et nos syst&egrave;mes de sant&eacute;, mais s&rsquo;av&egrave;re pourtant hautement non trivial (Baty et al. 2014&nbsp;; Mittelstadt et Floridi 2016&nbsp;; Giroux 2017). La t&acirc;che, d&eacute;j&agrave; complexe en soi, est rendue encore plus ardue par l&rsquo;ambiance g&eacute;n&eacute;rale de confusion et de fantasmagorie qui habite nos soci&eacute;t&eacute;s &agrave; propos des possibilit&eacute;s et de l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;avancement des technologies d&rsquo;IA et d&rsquo;apprentissage automatique. Dans le domaine de l&rsquo;aide &agrave; la d&eacute;cision et de l&rsquo;investigation scientifique assist&eacute;e par IA (dont participent les techniques de m&eacute;decine personnalis&eacute;e), cette tendance prend notamment le visage particulier d&rsquo;un enthousiasme aveugle ou non-critique. S&rsquo;il est vrai que les possibilit&eacute;s de traitement automatique de grands ensembles de donn&eacute;es ouvrent des perspectives extr&ecirc;mement prometteuses pour enrichir, notamment, la pratique de l&rsquo;investigation scientifique (&lsquo;e-science&rsquo; ou &lsquo;data-intensive science&rsquo;&nbsp;; voir par exemple&nbsp;: Kurbanoğlu et al. 2012), certains commentateurs y voient la perspective d&rsquo;une mise au rebus de la m&eacute;thode scientifique, rendue obsol&egrave;te &laquo;&nbsp;par le d&eacute;luge de donn&eacute;es&nbsp;&raquo; (Anderson 2008).</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce type de positionnement sur le statut de l&rsquo;IA ne va pas sans g&eacute;n&eacute;rer de s&eacute;rieux probl&egrave;mes &eacute;thiques, tels que ceux que nous avons discut&eacute;s dans une publication r&eacute;cente (Guillermin et Magnin 2017). Je voudrais ici focaliser l&rsquo;attention sur un aspect compl&eacute;mentaire de cette probl&eacute;matique&nbsp;: le r&ocirc;le de la mani&egrave;re dont nous comprenons ce que doit &ecirc;tre une investigation rationnelle (scientifique), c&rsquo;est-&agrave;-dire les m&eacute;thodes rationnelles qu&rsquo;une investigation doit mobiliser et le statut des r&eacute;sultats que ces m&eacute;thodes produisent &ndash; je parlerai dor&eacute;navant d&rsquo;arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique pour d&eacute;signer cette compr&eacute;hension de l&rsquo;investigation rationnelle (scientifique). Plus pr&eacute;cis&eacute;ment, je souhaiterais explorer la th&egrave;se selon laquelle l&rsquo;arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique &agrave; partir duquel le statut des outils d&rsquo;IA (d&rsquo;aide &agrave; la d&eacute;cision et &agrave; la recherche scientifique) est consid&eacute;r&eacute; peut, en fonction de sa nature et de son contenu, encourager ou bien au contraire aider &agrave; r&eacute;sister &agrave; un enthousiasme aveugle et &eacute;thiquement probl&eacute;matique.</p> <p class="texte" dir="ltr">Pour mettre en &eacute;vidence le r&ocirc;le de ces arri&egrave;re-plans &eacute;pist&eacute;miques, je commencerai par redonner les grandes lignes de notre diagnostic sur le probl&egrave;me (&eacute;thique) que pose une surestimation des pouvoirs de l&rsquo;IA dans le domaine de l&rsquo;investigation rationnelle (scientifique) et de l&rsquo;aide &agrave; la d&eacute;cision (en particulier en lien avec les techniques de m&eacute;decine personnalis&eacute;e). Je sugg&eacute;rerai ensuite que la compr&eacute;hension de la rationalit&eacute; comme intimement li&eacute;e &agrave; la neutralit&eacute; (qui semble &ecirc;tre un trait extr&ecirc;mement r&eacute;pandu culturellement et aussi peut-&ecirc;tre philosophiquement) participe d&rsquo;un arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique qui constitue un terreau probl&eacute;matique. Je proposerai enfin, &agrave; partir des travaux du philosophe am&eacute;ricain Hilary Putnam, l&rsquo;&eacute;bauche d&rsquo;un arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique alternatif qui me semble plus adapt&eacute; pour r&eacute;pondre aux d&eacute;fis pos&eacute;s par les technologies IA d&rsquo;assistance &agrave; l&rsquo;investigation rationnelle et &agrave; la prise de d&eacute;cision.</p> <h1 dir="ltr" id="heading2">2. IA et rationalit&eacute; humaine&nbsp;: comp&eacute;tition ou compl&eacute;mentarit&eacute;&nbsp;?</h1> <p class="texte" dir="ltr">Comme d&eacute;taill&eacute; dans notre pr&eacute;c&eacute;dent article (Guillermin et Magnin 2017), on peut tracer un lien entre la surestimation des pouvoirs &eacute;pist&eacute;miques des techniques d&rsquo;IA et l&rsquo;id&eacute;e que ces techniques permettraient de travailler seulement &agrave; partir des donn&eacute;es brutes, sans avoir besoin de faire appel &agrave; l&rsquo;intelligence humaine, avec son irr&eacute;ductible charge d&rsquo;interpr&eacute;tation et de subjectivit&eacute;. On atteindrait donc, via l&rsquo;IA, un inductivisme purifi&eacute; auquel les proc&eacute;dures humaines de r&eacute;flexion et d&rsquo;investigation ne sauraient pr&eacute;tendre. Cette primaut&eacute; accord&eacute;e &agrave; l&rsquo;exploitation des seules donn&eacute;es rejoint ce que Kate Crawford (2013a, 2013b) nomme &laquo;&nbsp;data fundamentalism&nbsp;&raquo;. Avec le big data et l&rsquo;apprentissage automatique, on se lib&egrave;rerait donc de tout &eacute;l&eacute;ment subjectif, de tout choix, de tout engagement normatif. M&ecirc;me la d&eacute;marche scientifique ne peut se pr&eacute;valoir d&rsquo;une telle puret&eacute; inductive. L&rsquo;&eacute;laboration des th&eacute;ories, par exemple, n&eacute;cessite de poser des hypoth&egrave;ses. Ainsi, la pure exploitation des donn&eacute;es brutes par IA devrait &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;e comme une forme de rationalit&eacute; sup&eacute;rieure, par comparaison avec la rationalit&eacute; humaine, irr&eacute;m&eacute;diablement min&eacute;e par des &eacute;l&eacute;ments subjectifs et interpr&eacute;tatifs. Dans cette approche, l&rsquo;humain et l&rsquo;IA sont en comp&eacute;tition sur le terrain de la rationalit&eacute;. Et l&rsquo;IA remporte la victoire. Sur cette toile de fond, certains probl&egrave;mes &eacute;thiques soulev&eacute;s par la m&eacute;decine personnalis&eacute;e (avec la quantification extr&ecirc;me permise par le big data et l&rsquo;apprentissage automatique) se trouvent renforc&eacute;s.</p> <p class="texte" dir="ltr">Un premier risque que l&rsquo;on peut mentionner est une mise en avant excessive des aspects trait&eacute;s dans les bases de donn&eacute;es biom&eacute;dicales (c&rsquo;est-&agrave;-dire principalement des profils mol&eacute;culaires), au d&eacute;triment d&rsquo;autres aspects moins quantifiables. Cette mise en avant excessive peut basculer dans une forme de r&eacute;ductionnisme qui nierait la l&eacute;gitimit&eacute; m&ecirc;me des discours portant sur les autres aspects. D&eacute;j&agrave; encourag&eacute; par la fascination pour la quantification au niveau atomique ou mol&eacute;culaire, ce type de r&eacute;ductionnisme gagne encore plus en cr&eacute;dibilit&eacute; lorsque cette quantification est assur&eacute;e par une IA dont on surestime les pouvoirs. Si l&rsquo;IA d&eacute;ploie une forme de rationalit&eacute; sup&eacute;rieure &agrave; celle de l&rsquo;homme, on ne peut contrebalancer les r&eacute;sultats qu&rsquo;elle produit par d&rsquo;autres approches d&eacute;velopp&eacute;es par les humains. Si l&rsquo;IA atteint un pur inductivisme &agrave; partir de donn&eacute;es brutes, on peut &ecirc;tre tent&eacute; de consid&eacute;rer que ces r&eacute;sultats sont absolus, que rien d&rsquo;autre ne m&eacute;rite d&rsquo;&ecirc;tre dit sur l&rsquo;&eacute;tat m&eacute;dical d&rsquo;un patient. De m&ecirc;me, une confiance excessive dans les techniques IA pourrait conduire &agrave; consid&eacute;rer de plus en plus s&eacute;rieusement la possibilit&eacute; d&rsquo;automatiser la recherche biom&eacute;dicale et la m&eacute;decine, c&rsquo;est-&agrave;-dire la possibilit&eacute; de se dispenser des institutions humaines associ&eacute;es (comme celles de la m&eacute;decine), avec tous les probl&egrave;mes que cela peut engendrer (Guchet 2014, p.&nbsp;48). Un dernier exemple (qui est bien loin d&rsquo;&eacute;puiser la question) des cons&eacute;quences possibles d&rsquo;une surestimation des pouvoirs de l&rsquo;IA&nbsp;: on pourrait aussi voir &eacute;merger une forme d&rsquo;autoritarisme technocratique qui consid&eacute;rerait que, puisque les r&eacute;sultats produits par IA rel&egrave;vent d&rsquo;une forme de rationalit&eacute; sup&eacute;rieure, on se doit de les faire appliquer, si besoin de mani&egrave;re coercitive, m&ecirc;me contre la volont&eacute; des patients (contr&ocirc;le de l&rsquo;adh&eacute;rence aux traitements, d&eacute;remboursements des m&eacute;dicaments, &hellip;).</p> <p class="texte" dir="ltr">Fort heureusement, cette vision de l&rsquo;IA comme capable de pure inductivisme &agrave; partir de donn&eacute;es brutes, et donc la sup&eacute;riorit&eacute; sur l&rsquo;intelligence humaine qui en d&eacute;coulerait, ne sont pas fond&eacute;es. Bien loin de l&rsquo;id&eacute;e de &laquo;&nbsp;faire pousser&nbsp;&raquo; des intelligences artificielles qui grandiraient progressivement comme le font les enfants, l&rsquo;apprentissage automatique (&agrave; la base des progr&egrave;s r&eacute;cents dans le domaine de l&rsquo;IA) s&rsquo;assimile plut&ocirc;t &agrave; du param&eacute;trage automatique d&rsquo;architecture algorithmique. Il permet par exemple de param&eacute;trer de mani&egrave;re automatique des relations math&eacute;matiques qui structureront des ensembles de donn&eacute;es en classes plus ou moins int&eacute;ressantes. Dans le cadre de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e, ce type de proc&eacute;dure de classification automatique est par exemple &agrave; m&ecirc;me de r&eacute;aliser des stratifications automatiques de patients afin d&rsquo;identifier des marqueurs mol&eacute;culaires prometteurs d&rsquo;un point de vue biom&eacute;dical. Ces techniques informatiques sont particuli&egrave;rement prometteuses, mais ne peuvent &ecirc;tre con&ccedil;ues comme op&eacute;rant seulement &agrave; partir de donn&eacute;es brutes, sans adjonction d&rsquo;hypoth&egrave;ses et d&rsquo;engagements normatifs.</p> <p class="texte" dir="ltr">D&eacute;j&agrave;, les donn&eacute;es ne sont jamais brutes (Boyd et Crawford 2012, p.&nbsp;662). La pr&eacute;paration des grandes bases de donn&eacute;es qui serviront &agrave; l&rsquo;apprentissage automatique est un travail gigantesque (occupant souvent la plus grande partie des projets de big data et d&rsquo;apprentissage automatique) et hautement non trivial (comment obtenir des donn&eacute;es repr&eacute;sentatives&nbsp;? Sous quel format&nbsp;? Que faire des entr&eacute;es probl&eacute;matiques&nbsp;? &hellip;). En outre, le choix de l&rsquo;architecture algorithmique &agrave; param&eacute;trer est laiss&eacute; &agrave; l&rsquo;appr&eacute;ciation du programmeur (classificateurs lin&eacute;aires, r&eacute;seaux de neurones artificiels, arbres de d&eacute;cision&nbsp;? Avec combien de param&egrave;tres libres&nbsp;? Comment lutter contre la mal&eacute;diction de la dimensionalit&eacute;&nbsp;? &hellip;). Il faut de plus &eacute;crire les programmes heuristiques qui vont tenter de trouver les param&egrave;tres optimaux pour les architectures algorithmiques. Ce rapide survol non exhaustif des t&acirc;ches sous-tendant les techniques d&rsquo;apprentissage automatique montrent bien que l&rsquo;intelligence humaine (avec son lot d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments faillibles) est indispensable &agrave; tous les niveaux. Les programmes issus de l&rsquo;apprentissage automatique ne peuvent pas &ecirc;tre dissoci&eacute;s de, puis oppos&eacute;s &agrave;, l&rsquo;intelligence humaine. Il est donc erron&eacute; de penser la relation entre programmes IA et intelligence humaine selon le registre de la comp&eacute;tition. Les techniques d&rsquo;IA peuvent &ecirc;tre plus performantes que l&rsquo;intelligence humaine dans certaines t&acirc;ches pr&eacute;cises (notamment appliquer des ensembles d&rsquo;op&eacute;rations algorithmiques simples &agrave; de grandes quantit&eacute;s de donn&eacute;es). Mais il ne fait pas grand sens de s&rsquo;imaginer l&rsquo;IA comme porteuse d&rsquo;une forme de rationalit&eacute; sup&eacute;rieure. Au contraire, ce bref expos&eacute; montre clairement que les algorithmes issus de l&rsquo;apprentissage automatique sont des prolongements de l&rsquo;intelligence humaine, des outils que l&rsquo;homme se donne &agrave; lui-m&ecirc;me et qui peuvent &ecirc;tre plus ou moins bien construits.</p> <p class="texte" dir="ltr">A partir de ces quelques rappels, on voit bien que l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une possible automatisation de la recherche biom&eacute;dicale est une pure chim&egrave;re. L&rsquo;investigation assist&eacute;e par IA de grands ensembles de donn&eacute;es ne peut se passer d&rsquo;autres proc&eacute;dures plus traditionnelles de recherche, afin de pr&eacute;parer le terrain et de valider les r&eacute;sultats. M&ecirc;me ainsi, les r&eacute;sultats ne sont pas infaillibles par principe. On est par contre &eacute;ventuellement en droit, si la recherche a &eacute;t&eacute; de bonne qualit&eacute;, de leur accorder un bon niveau de confiance. En admettant que cela soit le cas, l&rsquo;utilisation de ces r&eacute;sultats pour la m&eacute;decine et le soin de sant&eacute; n&rsquo;en devient pas pour autant triviale. En effet, les r&eacute;sultats de classification automatique dont nous parlions ci-dessus pour la m&eacute;decine personnalis&eacute;e ne produisent une prise compte de la singularit&eacute; des patients qu&rsquo;&agrave; travers une quantification statistique. Cette tension, quasi paradoxale, rend d&eacute;licate la mobilisation des informations produites par ces techniques (Guchet 2014, p.&nbsp;47). Que signifie, pour le non-initi&eacute;, une information lui indiquant qu&rsquo;il peut r&eacute;duire de 5&nbsp;% son facteur de risque de d&eacute;velopper un cancer en suivant telle ou telle prescription&nbsp;? Seul un professionnel de sant&eacute; peut donner sens &agrave; ce type d&rsquo;information. En outre, lorsqu&rsquo;on abandonne l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une sup&eacute;riorit&eacute; de principe de l&rsquo;IA sur la rationalit&eacute; humaine, il n&rsquo;y a plus de raison de penser que les r&eacute;sultats fournis par son biais &eacute;puisent ce qu&rsquo;il peut y avoir &agrave; dire sur l&rsquo;&eacute;tat m&eacute;dical d&rsquo;un patient. Il n&rsquo;est m&ecirc;me pas du tout &eacute;vident que ces r&eacute;sultats doivent &ecirc;tre prioritaires. Dans le cadre de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e, un simple &eacute;cart du profil mol&eacute;culaire d&rsquo;un patient aux valeurs de r&eacute;f&eacute;rence (mises en &eacute;vidence par classification automatique et associ&eacute;es &agrave; des personnes saines) n&rsquo;indique pas n&eacute;cessairement qu&rsquo;un patient est malade. Les autres indications cliniques doivent &ecirc;tre prises en compte, de m&ecirc;me que le ressenti subjectif des patients. Une grande partie de l&rsquo;expertise m&eacute;dicale se situe tr&egrave;s probablement dans la capacit&eacute; des professionnels de sant&eacute; &agrave; articuler ses diff&eacute;rentes dimensions (et d&rsquo;autres).</p> <p class="texte" dir="ltr">A partir de cette compr&eacute;hension des r&eacute;sultats fournis par les outils IA de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e, il devient naturel de prendre ses distances avec tout r&eacute;ductionnisme de principe. De m&ecirc;me, les perspectives d&rsquo;automatisation de la m&eacute;decine sont illusoires, comme le sont celles portant sur la recherche biom&eacute;dicale. Les professionnels de sant&eacute; demeurent des acteurs absolument indispensables. Pour les m&ecirc;mes raisons, on prendra ses distances avec l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un autoritarisme technocratique. Les r&eacute;sultats produits par les algorithmes IA ne peuvent pas, &agrave; eux seuls, dicter l&rsquo;attitude qu&rsquo;un patient devrait adopter. Le partenariat th&eacute;rapeutique entre des personnes, un patient et son m&eacute;decin, est central dans le processus de soin (afin, notamment, de faire droit aux diff&eacute;rentes dimensions pertinentes, dans la coop&eacute;ration et la confiance mutuelle).</p> <p class="texte" dir="ltr">En somme, on se trouve face &agrave; deux grands modes pour la compr&eacute;hension des techniques d&rsquo;IA mises en jeu pour la m&eacute;decine personnalis&eacute;e. Le mode choisi par les diff&eacute;rents acteurs des politiques de sant&eacute; est lourd de cons&eacute;quences &eacute;thiques. On l&rsquo;a vu, comprendre l&rsquo;IA comme une forme de rationalit&eacute; sup&eacute;rieure, en opposition ou comp&eacute;tition avec la rationalit&eacute; humaine, n&rsquo;est pas seulement illusoire, mais conduit aussi &agrave; (ou alimente) de s&eacute;rieuses probl&eacute;matiques &eacute;thiques pour la recherche biom&eacute;dicale et la m&eacute;decine personnalis&eacute;e. A contrario, un regard plus lucide sur ces technologies nous permet de saisir la recherche biom&eacute;dicale assist&eacute;e par IA et la m&eacute;decine personnalis&eacute;e qui en d&eacute;coule pour ce qu&rsquo;elles sont&nbsp;: des outils faillibles que l&rsquo;homme se donne &agrave; lui-m&ecirc;me pour augmenter ou prolonger ses capacit&eacute;s d&rsquo;investigation et d&rsquo;action. Ce regard nous conduit aussi &agrave; mieux pr&eacute;venir les probl&egrave;mes &eacute;thiques mentionn&eacute;s pr&eacute;c&eacute;demment en permettant d&rsquo;insister sur le besoin d&rsquo;articulation entre diff&eacute;rentes formes de rationalit&eacute; (et entre les discours qu&rsquo;elles produisent) afin de prendre ad&eacute;quatement en compte les divers aspects pertinents des individus et de leur &eacute;tat m&eacute;dical. Par exemple, parvenir &agrave; &eacute;laborer des bases de donn&eacute;es fiables demande de croiser de nombreuses expertises et r&eacute;sultats associ&eacute;s (expertises m&eacute;dicale, psychologique, sociologique, anthropologique&hellip;). De m&ecirc;me, le m&eacute;decin et le patient s&rsquo;efforcent, au sein du partenariat th&eacute;rapeutique de combiner diff&eacute;rentes logiques et diff&eacute;rents aspects (informations mol&eacute;culaires provenant des techniques IA de m&eacute;decine personnalis&eacute;e, expertise du m&eacute;decin, connaissance qu&rsquo;il a de son patient, exp&eacute;rience subjective et ressenti de ce patient, &hellip;).</p> <p class="texte" dir="ltr">Etant donn&eacute;s les enjeux &eacute;thiques associ&eacute;s au mode de compr&eacute;hension des techniques IA (comp&eacute;tition ou compl&eacute;mentarit&eacute; entre techniques IA et rationalit&eacute; humaine), il devient particuli&egrave;rement int&eacute;ressant d&rsquo;&eacute;tudier l&rsquo;influence &eacute;ventuelle des arri&egrave;re-plans &eacute;pist&eacute;miques. Peuvent-ils favoriser (ou bien entraver) l&rsquo;adoption d&rsquo;un mode de compr&eacute;hension particulier&nbsp;?</p> <h1 dir="ltr" id="heading3">3. Un arri&egrave;re-plan r&eacute;pandu mais probl&eacute;matique</h1> <p class="texte" dir="ltr">Quelles sont les caract&eacute;ristiques d&rsquo;une bonne investigation rationnelle ou scientifique&nbsp;? Quel statut doit-on accorder aux r&eacute;sultats d&rsquo;une telle investigation&nbsp;? En ces mati&egrave;res, il existe diff&eacute;rentes &eacute;coles de pens&eacute;e. N&eacute;anmoins, une tendance me semble (culturellement si ce n&rsquo;est philosophiquement) dominante. Selon cette tendance, dont certaines racines sont &agrave; aller chercher chez Descartes et son projet de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure (Williams 2005, p.&nbsp;18&ndash;56), un processus d&rsquo;investigation rationnelle (comme la science) ne doit s&rsquo;appuyer que sur des &eacute;l&eacute;ments absolument certains (au-del&agrave; de tout doute concevable). Le but de ce processus rationnel est alors de construire une conception absolue de la r&eacute;alit&eacute; telle qu&rsquo;elle est en elle-m&ecirc;me, ind&eacute;pendamment des sp&eacute;cificit&eacute;s (contextes, perspectives ou points de vue, par exemple) des diff&eacute;rents investigateurs. Cette tendance se refl&egrave;te dans la conception la plus r&eacute;pandue de la science et de sa m&eacute;thode, conception re&ccedil;ue que l&rsquo;on peut nommer &laquo;&nbsp;conception objectiviste de la science&nbsp;&raquo; (Baghramian 2014, 268). Selon cette conception re&ccedil;ue, il existe une <em>unique</em> m&eacute;thode scientifique valide dont le r&eacute;sultat est (au moins en droit) une <em>unique</em> description correcte du monde, une description universelle, valable en tout lieu et tout temps, neutre du point de vue des valeurs.</p> <p class="texte" dir="ltr">A partir d&rsquo;un tel arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique (que l&rsquo;on peut nommer &lsquo;arri&egrave;re-plan de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure&rsquo;), deux m&eacute;thodes diff&eacute;rentes d&rsquo;investigation rationnelle ou scientifique ne peuvent pas coexister pacifiquement. On se trouve directement sur le terrain de la comp&eacute;tition. Appliqu&eacute; &agrave; notre probl&eacute;matique de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e, cela signifie qu&rsquo;on ne peut tol&eacute;rer la coexistence de plusieurs m&eacute;thodes pour aborder l&rsquo;&eacute;tat m&eacute;dical d&rsquo;un patient (encore moins si elles ne d&eacute;bouchent pas sur les m&ecirc;mes conclusions, mais nous y reviendrons). Si plusieurs m&eacute;thodes d&rsquo;investigation existent, elles sont en comp&eacute;tition. Il serait pr&eacute;f&eacute;rable, pour satisfaire les canons de rationalit&eacute; d&eacute;finis par l&rsquo;arri&egrave;re-plan de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure, qu&rsquo;une seule m&eacute;thode soit privil&eacute;gi&eacute;e (l&rsquo;une des m&eacute;thodes en comp&eacute;tition ou une nouvelle qui pourrait les remplacer).</p> <p class="texte" dir="ltr">Toujours selon cet arri&egrave;re-plan de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure, la rationalit&eacute; d&rsquo;une m&eacute;thode d&rsquo;investigation est associ&eacute;e &agrave; sa neutralit&eacute;. Tout &eacute;l&eacute;ment qui pourrait &ecirc;tre (ou avoir &eacute;t&eacute;) diff&eacute;rent, et qui donc demanderait &agrave; &ecirc;tre arbitr&eacute; (on parlera donc d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments contingents ou arbitraires), amoindrit ou affaiblit la rationalit&eacute; de la m&eacute;thode dont il participe. Ainsi, si plusieurs m&eacute;thodes sont en comp&eacute;tition, la plus neutre sera consid&eacute;r&eacute;e comme sup&eacute;rieure. Dans cette perspective, il pourrait devenir tentant de revendiquer le titre d&rsquo;unique m&eacute;thode rationnelle pour l&rsquo;investigation &laquo;&nbsp;data-driven&nbsp;&raquo; op&eacute;r&eacute;e par IA, au pr&eacute;texte qu&rsquo;elle ne mobiliserait pas d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments arbitraires, pas d&rsquo;hypoth&egrave;ses par exemple, mais s&rsquo;appuierait exclusivement sur les donn&eacute;es<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a>. L&rsquo;IA et la science data-driven prendraient donc le pas sur toute forme de rationalit&eacute; humaine. M&ecirc;me la plus haute expression de la rationalit&eacute; humaine qu&rsquo;est la d&eacute;marche scientifique (avec sa m&eacute;thode scientifique empirico-d&eacute;ductive) ne peut revendiquer autant de neutralit&eacute;<a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a>. Les m&eacute;thodes dites &laquo;&nbsp;data-driven&nbsp;&raquo; assist&eacute;es par IA seraient donc vues comme sup&eacute;rieures aux diverses formes de rationalit&eacute; humaine.</p> <p class="texte" dir="ltr">A la lumi&egrave;re de cette analyse, il semble bien que l&rsquo;arri&egrave;re-plan de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure risque d&rsquo;encourager l&rsquo;enthousiasme aveugle &agrave; propos des techniques d&rsquo;aide &agrave; la d&eacute;cision et de recherche assist&eacute;es par IA, en particulier dans le domaine biom&eacute;dical avec les techniques de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e, qui poussent la quantification de l&rsquo;&eacute;tat m&eacute;dical du patient &agrave; un niveau impressionnant. Si la m&eacute;decine personnalis&eacute;e est pr&eacute;sent&eacute;e comme plus neutre que les m&eacute;thodes m&eacute;dicales plus classiques, on devrait conclure &agrave; sa sup&eacute;riorit&eacute;. On retrouve alors les probl&egrave;mes &eacute;thiques mentionn&eacute;s dans la section pr&eacute;c&eacute;dente. L&rsquo;IA d&eacute;ploierait une forme de rationalit&eacute; sup&eacute;rieure, que l&rsquo;humain et sa rationalit&eacute; plus limit&eacute;e ne peuvent pas contester. Rien ne s&rsquo;opposerait donc &agrave; l&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;automatisation de la m&eacute;decine et &agrave; une sorte d&rsquo;autoritarisme technocratique (il serait l&eacute;gitime d&rsquo;imposer les prescriptions &eacute;tablies par les techniques IA).</p> <p class="texte" dir="ltr">Et ce n&rsquo;est pas tout. L&rsquo;arri&egrave;re-plan de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure stipule aussi qu&rsquo;il n&rsquo;existe qu&rsquo;une et une seule description correcte de la r&eacute;alit&eacute;, celle qui se d&eacute;voile progressivement au moyen de l&rsquo;authentique et unique m&eacute;thode d&rsquo;investigation rationnelle. Tout autre discours sur le r&eacute;el peut &eacute;ventuellement &ecirc;tre admis pour des raisons pragmatiques, mais s&rsquo;efface <em>de jure</em> devant la conception absolue du monde &eacute;labor&eacute;e en suivant LA m&eacute;thode d&rsquo;investigation rationnelle. On retrouve l&agrave; l&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;opposition entre l&rsquo;image manifeste et l&rsquo;image scientifique, et de la supr&eacute;matie de la seconde sur la premi&egrave;re (Sellars 1991, p.&nbsp;1&ndash;40&nbsp;; van Fraassen 1999, p.&nbsp;30). En cons&eacute;quence, si on accorde &agrave; la science data-driven produite par IA le titre d&rsquo;unique m&eacute;thode rationnelle ou scientifique (puisque qu&rsquo;&eacute;tant sup&eacute;rieure aux m&eacute;thodes humaines), les r&eacute;sultats auxquels elle conduit doivent &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;s comme participant de cette unique description correcte de la r&eacute;alit&eacute; (ou en tout cas, comme s&rsquo;en approchant plus que les autres discours d&eacute;coulant de m&eacute;thodes rationnelles inf&eacute;rieures).</p> <p class="texte" dir="ltr">Appliqu&eacute;e au cas de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e, cette logique d&rsquo;argumentation alimente la tentation du r&eacute;ductionnisme (probl&egrave;me &eacute;thique point&eacute; dans la section pr&eacute;c&eacute;dente). Seule la quantification au moyen de leurs profils mol&eacute;culaires, ainsi que les pr&eacute;dictions statistiques associ&eacute;es, rel&egrave;veraient d&rsquo;une conception absolue de l&rsquo;&eacute;tat biom&eacute;dical des patients, de ce qu&rsquo;ils sont r&eacute;ellement, au niveau de la r&eacute;alit&eacute; fondamentale. Les autres aspects, comme les caract&eacute;risations cliniques ou l&rsquo;expression par les patients de leur ressenti subjectif et du contenu de leur exp&eacute;rience v&eacute;cue, ne pourraient &ecirc;tre admis que pour des raisons pragmatiques, comme relevant de discours de qualit&eacute; rationnelle plus faible que celle de la description en termes de profils mol&eacute;culaires. A moins d&rsquo;&ecirc;tre r&eacute;exprim&eacute;s &agrave; partir des profils mol&eacute;culaires, ils ne pourraient &ecirc;tre pris en compte au titre d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments de la r&eacute;alit&eacute; fondamentale.</p> <p class="texte" dir="ltr">En r&eacute;sum&eacute;, l&rsquo;arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure, et la compr&eacute;hension de la rationalit&eacute; en termes de neutralit&eacute; qu&rsquo;il v&eacute;hicule, sont susceptibles d&rsquo;alimenter le mouvement de surestimation non-critique des pouvoirs du big data et de l&rsquo;IA pour la production de connaissance et la prise de d&eacute;cision, en particulier dans le domaine biom&eacute;dical. En sus de cet &eacute;ventuel r&ocirc;le de catalyseur, cet arri&egrave;re-plan est surtout extr&ecirc;mement limitant pour tout effort visant &agrave; mieux articuler les techniques IA avec les autres outils d&rsquo;investigation rationnelle dont dispose l&rsquo;humain. En effet, il est fondamentalement en inad&eacute;quation avec l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un pluralisme des m&eacute;thodes d&rsquo;investigation et des discours qu&rsquo;elles conduisent &agrave; &eacute;laborer. La question de la possibilit&eacute; d&rsquo;un arri&egrave;re-plan alternatif devient donc non seulement int&eacute;ressante, mais peut-&ecirc;tre m&ecirc;me n&eacute;cessaire du point de vue &eacute;thique.</p> <h1 dir="ltr" id="heading4">4. Une tentative d&rsquo;alternative</h1> <p class="texte" dir="ltr">Sur la base de r&eacute;flexions historiques et philosophiques, les travaux de penseurs post-positivistes comme Kuhn ou Feyerabend d&eacute;fendent la possibilit&eacute; du pluralisme des m&eacute;thodes d&rsquo;investigation rationnelle et des discours en d&eacute;coulant (Kuhn 1996&nbsp;; Feyerabend 1993). N&eacute;anmoins, ces travaux ont &eacute;t&eacute; extr&ecirc;mement controvers&eacute;s et ont inspir&eacute; des courants radicalement relativistes ou antir&eacute;alistes encore plus controvers&eacute;s. Pourtant, ils semblent ouvrir un chemin int&eacute;ressant, bien que peut-&ecirc;tre pas encore tout &agrave; fait carrossable, pour mieux comprendre la fragmentation des sciences en disciplines et la nature des fronti&egrave;res disciplinaires (Wray 2011). Cette piste pourrait d&eacute;j&agrave; nous interpeller sur le seul plan philosophique. Mais se rajoute ici une motivation &eacute;thique, celle de se doter d&rsquo;un arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique ad&eacute;quat pour tirer le meilleur de la puissance des outils de quantification assist&eacute;e par big data et IA en facilitant leur articulation avec d&rsquo;autres formes d&rsquo;expertise et de rationalit&eacute;. Il nous faudrait donc construire un arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique qui permette de faire droit &agrave; certaines id&eacute;es des penseurs post-positivistes (incommensurabilit&eacute;, pluralisme, sensibilit&eacute; au contexte,&hellip;) sans ouvrir la porte &agrave; des formes de pens&eacute;e qui rejetteraient les notions de v&eacute;rit&eacute; et de r&eacute;alit&eacute; ou qui nieraient la possibilit&eacute; de la rationalit&eacute;. Le long parcours philosophique de Putnam (que l&rsquo;on peut comprendre, notamment, comme un effort pour rassembler pragmatisme et r&eacute;alisme) pourrait bien constituer un terreau favorable pour &eacute;laborer un tel arri&egrave;re-plan, alternatif &agrave; celui de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure.</p> <p class="texte" dir="ltr">Mon but dans cette section ne sera pas un expos&eacute; d&eacute;taill&eacute; de cet arri&egrave;re-plan alternatif et de la mani&egrave;re dont nous pourrions le construire. Plus modestement, il s&rsquo;agira de tracer les grandes lignes de l&rsquo;approche qu&rsquo;il serait possible de construire &agrave; partir des travaux Putnam<a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a>. Commen&ccedil;ons par identifier plus clairement l&rsquo;objectif. Elaborer un arri&egrave;re-plan alternatif ad&eacute;quat demanderait de sortir de la logique de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure sans aller trop loin. Il nous faudrait ouvrir la possibilit&eacute; du pluralisme tout en pr&eacute;servant l&rsquo;id&eacute;e que l&rsquo;on peut construire des discours <em>rationnels</em> sur le monde ou la r&eacute;alit&eacute;, sur une personne ou un patient, des discours qui puissent &ecirc;tre (plus ou moins) vrais ou faux, et qui nous informent (lorsqu&rsquo;ils ne sont pas trop faux) sur ce qu&rsquo;est le r&eacute;el. Deux obstacles principaux s&rsquo;opposent &agrave; cet objectif&nbsp;: penser la rationalit&eacute; sans la neutralit&eacute; d&rsquo;une part, et, d&rsquo;autre part, faire droit au r&eacute;alisme (scientifique) sans admettre l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une conception absolue du monde.</p> <p class="texte" dir="ltr">Commen&ccedil;ons avec le probl&egrave;me de la rationalit&eacute; sans la neutralit&eacute;. Nous l&rsquo;avons vu, concevoir la rationalit&eacute; comme neutralit&eacute; verrouille la possibilit&eacute; du pluralisme. Faire une place au pluralisme signifierait qu&rsquo;il peut (au moins parfois) &ecirc;tre l&eacute;gitime d&rsquo;adopter diff&eacute;rentes m&eacute;thodes en fonction des contextes et probl&egrave;mes. Il y aurait alors au sein des proc&eacute;dures d&rsquo;investigation, des &eacute;l&eacute;ments contingents et arbitraires. Selon l&rsquo;approche de la rationalit&eacute; comme neutralit&eacute;, l&rsquo;admission de tels &eacute;l&eacute;ments ferait s&rsquo;effondrer la rationalit&eacute; de la proc&eacute;dure d&rsquo;investigation concern&eacute;e. Ces &eacute;l&eacute;ments n&rsquo;&eacute;tant pas neutres, ils demanderaient &agrave; &ecirc;tre arbitr&eacute;s ou &eacute;valu&eacute;s. Bien que ce constat sur la non-neutralit&eacute; introduite par le pluralisme soit tout &agrave; fait juste, la conclusion d&rsquo;un effondrement cons&eacute;cutif de la rationalit&eacute; n&rsquo;est pas in&eacute;vitable. La non-neutralit&eacute; engendre l&rsquo;effondrement de la rationalit&eacute; seulement pour qui nie la possibilit&eacute; de la rationalit&eacute; &agrave; propos des questions &eacute;valuatives.</p> <p class="texte" dir="ltr">La possibilit&eacute; de la rationalit&eacute; &eacute;valuative est pr&eacute;cis&eacute;ment un th&egrave;me que Putnam travaille en profondeur (Putnam 1982, 2002, 2004). Il associe la tendance &agrave; rejeter les questions &eacute;valuatives hors du champ de la rationalit&eacute; &agrave; la th&egrave;se, &eacute;mise par Hume, de l&rsquo;existence d&rsquo;une dichotomie radicale entre les faits et les valeurs. Seuls les faits seraient observables et donc susceptibles d&rsquo;une investigation rationnelle et objective (d&rsquo;une investigation neutre car seulement fond&eacute;e sur les faits observables et la logique ou les math&eacute;matiques). Putnam &eacute;labore n&eacute;anmoins diff&eacute;rents arguments contre la dichotomie faits &ndash; valeurs. Pour lui, la dichotomie faits &ndash; valeurs ne tient pas. Nous ne devrions pas nous interdire, par principe, la possibilit&eacute; de la rationalit&eacute; &eacute;valuative. En outre, Putnam soul&egrave;ve un autre point important&nbsp;: le r&ocirc;le des &eacute;vidences ou reconnaissances dans toute investigation rationnelle (Putnam 2012b, 2012a). En science comme dans tout autre domaine d&rsquo;investigation, les &eacute;l&eacute;ments mobilis&eacute;s ne sont pas tous prouv&eacute;s au-del&agrave; de tout doute concevable. Et ce constant ne conduit pas n&eacute;cessairement &agrave; un scepticisme radical et g&eacute;n&eacute;ralis&eacute;, ou au relativisme. Pour Putnam, la signification de ce constat, c&rsquo;est bien plut&ocirc;t l&rsquo;impossibilit&eacute; de la certitude absolue dans nos investigations rationnelles. L&rsquo;indispensabilit&eacute; des &eacute;vidences ou des reconnaissances que l&rsquo;on doit admettre sans certitude absolue conduit plus au faillibilisme qu&rsquo;au scepticisme ou au relativisme.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ainsi, admettre le pluralisme au niveau des m&eacute;thodes d&rsquo;investigation ne conduit pas n&eacute;cessairement &agrave; un effondrement de la rationalit&eacute;. Certes, cette admission revient &agrave; reconnaitre la pr&eacute;sence d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments contingents ou arbitraires. Mais cela ne veut pas dire que tous les &eacute;l&eacute;ments contingents possibles se valent. On peut tenter d&rsquo;&eacute;valuer ce type d&rsquo;engagement ou de choix de mani&egrave;re rationnelle. En outre, la pr&eacute;sence d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments non prouv&eacute;s au sein d&rsquo;une proc&eacute;dure d&rsquo;investigation est in&eacute;vitable. Mais toutes les composantes d&rsquo;une investigation rationnelle n&rsquo;ont pas besoin d&rsquo;&ecirc;tre prouv&eacute;es. De nombreuses &eacute;vidences ou reconnaissances peuvent &ecirc;tre tout &agrave; fait bienvenues, tant qu&rsquo;on garde &agrave; l&rsquo;esprit que l&rsquo;erreur n&rsquo;est jamais exclue. Putnam nous permet donc d&rsquo;envisager la possibilit&eacute; d&rsquo;un arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique d&rsquo;inspiration pragmatiste qui fasse droit &agrave; la possibilit&eacute; du pluralisme &agrave; propos des m&eacute;thodes d&rsquo;investigation rationnelles sans basculer dans le relativisme et l&rsquo;affirmation que toutes les m&eacute;thodes d&rsquo;investigation se valent<a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a>. Il deviendrait ainsi possible, dans le cadre de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e, de combiner les m&eacute;thodes d&rsquo;investigation des profils mol&eacute;culaires assist&eacute;s par IA avec les expertises m&eacute;dicales plus traditionnelles, et m&ecirc;me avec la sagesse du sens commun, la rationalit&eacute; du quotidien que tout un chacun d&eacute;ploie dans sa vie.</p> <p class="texte" dir="ltr">Reste donc &agrave; traiter la question du pluralisme concernant les discours &eacute;labor&eacute;s en suivant diff&eacute;rentes m&eacute;thodes d&rsquo;investigation rationnelle, dont nous pouvons maintenant envisager la coexistence. Est-il possible de consid&eacute;rer que diff&eacute;rents discours divergents sur une m&ecirc;me chose puissent tous porter sur le r&eacute;el au sens fort&nbsp;? Autrement dit, peut-on rejeter l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une unique conception absolue du r&eacute;el&nbsp;&ndash; pour faire droit &agrave; des discours s&rsquo;int&eacute;ressant &agrave; une pluralit&eacute; d&rsquo;aspects (a priori non hi&eacute;rarchis&eacute;s) d&rsquo;une m&ecirc;me chose &ndash; sans abandonner l&rsquo;id&eacute;e que ces discours peuvent tous parler du r&eacute;el au sens fort, c&rsquo;est-&agrave;-dire sans abandonner le r&eacute;alisme (scientifique)&nbsp;? Face &agrave; ce d&eacute;fi, les travaux philosophiques de Putnam peuvent aussi nous aider. Son parcours sur la question du r&eacute;alisme est passionnant et je ne pourrais malheureusement ici en offrir qu&rsquo;un bref survol.</p> <p class="texte" dir="ltr">Ce parcours commence avec ce que Putnam nommera lui-m&ecirc;me plus tard le r&eacute;alisme m&eacute;taphysique et qui int&egrave;gre l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;une conception absolue du monde. Dans ce cadre du r&eacute;alisme m&eacute;taphysique, Putnam &eacute;tudie d&rsquo;abord la question de la r&eacute;f&eacute;rence, c&rsquo;est-&agrave;-dire des rapports entre langage et entit&eacute;s du r&eacute;el (<em>meaning of meaning</em>), avec la volont&eacute; de montrer qu&rsquo;il est impossible de comprendre le fonctionnement du langage en se restreignant exclusivement &agrave; ce qui se passe dans nos &eacute;tats mentaux ou psychologiques (Putnam 1996). Le r&eacute;el lui-m&ecirc;me, ce que sont r&eacute;ellement les choses dont nous parlons, ainsi que nos relations cognitives &agrave; ces choses sont fondamentalement impliqu&eacute;es dans le processus de r&eacute;f&eacute;rence. Putnam ouvre l&agrave;, sans peut-&ecirc;tre s&rsquo;en rendre compte initialement, une boite de Pandore qui le conduira &agrave; rejeter la conception du r&eacute;alisme m&eacute;taphysique car elle ne permet pas d&rsquo;expliquer de mani&egrave;re satisfaisante le processus de r&eacute;f&eacute;rence (Putnam 1982, 1983). Putnam n&rsquo;acceptera pas pour autant d&rsquo;abandonner l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un r&eacute;el au sens fort, d&rsquo;un r&eacute;el ind&eacute;pendant. Il essaiera tout d&rsquo;abord de reconstruire la notion en se basant seulement sur ce qui se d&eacute;voile dans l&rsquo;exp&eacute;rience des personnes r&eacute;elles (des personnes actuelles). De l&rsquo;aveu m&ecirc;me de Putnam, la conception du r&eacute;alisme interne qui en d&eacute;coule ne parviendra pas &agrave; pr&eacute;server un r&eacute;alisme fort (notamment scientifique) et sera donc un &eacute;chec.</p> <p class="texte" dir="ltr">Putnam r&eacute;alise alors que le probl&egrave;me du r&eacute;alisme est fondamentalement mal pos&eacute; et change de strat&eacute;gie (Putnam 1999). Il commence par caract&eacute;riser la mani&egrave;re dont ce probl&egrave;me est formul&eacute; pour identifier les points de blocage. Il se rend compte que les d&eacute;bats sont prisonniers une antinomie (&laquo;&nbsp;l&rsquo;antinomie du r&eacute;alisme&nbsp;&raquo;), pi&eacute;g&eacute;s dans une oscillation entre un r&eacute;alisme m&eacute;taphysique s&eacute;mantiquement incoh&eacute;rent et une retraite au seul domaine des ph&eacute;nom&egrave;nes exp&eacute;riment&eacute;s par les personnes actuelles, au prix de l&rsquo;abandon du r&eacute;alisme (scientifique). Putnam met alors en &eacute;vidence un &eacute;l&eacute;ment qui lui semble &agrave; la source de l&rsquo;antinomie du r&eacute;alisme&nbsp;: l&rsquo;approche interfaciale de la perception (et de la conception). Selon cette approche extr&ecirc;mement r&eacute;pandue (souvent de mani&egrave;re implicite), le contenu de l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue des personnes actuelles n&rsquo;est pas le r&eacute;el au sens fort, mais une repr&eacute;sentation ou une reconstruction de ce dernier sur la toile de fond de notre esprit ou de nos &eacute;tats mentaux (&eacute;ventuellement port&eacute;s uniquement pas notre cerveau). Une fois cette approche interfaciale admise, il devient impossible de penser un rapport entre le langage et le r&eacute;el au sens fort, qui reste irr&eacute;m&eacute;diablement cach&eacute; derri&egrave;re le voile de nos perceptions. Putnam propose alors de rejeter cette approche interfaciale de notre rapport (cognitif) au monde et jette les bases d&rsquo;un r&eacute;alisme direct ou pragmatiste (Putnam 1999, 2012a). Selon cette forme de r&eacute;alisme, les personnes actuelles rencontrent directement le r&eacute;el au sens fort dans leur exp&eacute;rience v&eacute;cue. Il devient alors plus ais&eacute; de comprendre la relation entre langage et r&eacute;el.</p> <p class="texte" dir="ltr">En outre, puisque c&rsquo;est le monde au sens fort que nous rencontrons dans nos exp&eacute;riences, nous pouvons commencer &agrave; accorder foi aux diff&eacute;rentes exp&eacute;riences que nous faisons et &agrave; les consid&eacute;rer comme autant d&rsquo;&eacute;ventuelles exp&eacute;riences authentiques du r&eacute;el au sens fort. Il n&rsquo;est plus n&eacute;cessaire de supposer l&rsquo;existence d&rsquo;un arri&egrave;re-monde qui serait la source des exp&eacute;riences ph&eacute;nom&eacute;nales des diff&eacute;rentes personnes actuelles, un monde dont on devrait tenter d&rsquo;avoir une unique conception absolue en adoptant le &laquo;&nbsp;point de vue de l&rsquo;&oelig;il de Dieu&nbsp;&raquo;. Avec le r&eacute;alisme pragmatique, nos diff&eacute;rentes exp&eacute;riences sont &agrave; prendre pour argent comptant pour nous informer sur ce qu&rsquo;est le r&eacute;el (en gardant en t&ecirc;te que l&rsquo;erreur est toujours possible et que nul n&rsquo;est &agrave; l&rsquo;abri d&rsquo;une hallucination, mais sans g&eacute;n&eacute;raliser le doute). On entrevoit donc la possibilit&eacute; d&rsquo;admettre diff&eacute;rents discours divergents sur une m&ecirc;me entit&eacute;, sans pour autant abandonner l&rsquo;id&eacute;e que ces discours parlent d&rsquo;aspects r&eacute;els au sens fort qui ne sont pas n&eacute;cessairement r&eacute;ductibles les uns aux autres (ou et encore moins r&eacute;ductibles &agrave; une seule conception absolue du r&eacute;el)<a class="footnotecall" href="#ftn5" id="bodyftn5">5</a>. Dans le domaine de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e, cette possibilit&eacute; reviendrait &agrave; permettre de consid&eacute;rer qu&rsquo;une personne est tout autant un ensemble de profils mol&eacute;culaires, qu&rsquo;un ensemble de param&egrave;tres cliniques, qu&rsquo;une entit&eacute; ayant un certain aspect physique ou qu&rsquo;un &ecirc;tre ayant certains &eacute;tats mentaux ou psychologiques. Aucun de ces aspects ne peut pr&eacute;tendre &agrave; une supr&eacute;matie a priori. Une personne est tous ces aspects en m&ecirc;me temps.</p> <h1 dir="ltr" id="heading5">5. Conclusion</h1> <p class="texte" dir="ltr">Les pistes ouvertes &agrave; partir du travail de Putnam laissent entrevoir la possibilit&eacute; d&rsquo;un arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique d&rsquo;inspiration pragmatiste qui soit plus &agrave; m&ecirc;me de permettre une int&eacute;gration fructueuse au sein de nos soci&eacute;t&eacute;s de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e (des techniques IA de quantification au niveau mol&eacute;culaire de l&rsquo;&eacute;tat m&eacute;dical des individus).</p> <p class="texte" dir="ltr">En r&eacute;sum&eacute;, j&rsquo;ai rappel&eacute; certains probl&egrave;mes &eacute;thiques d&eacute;coulant d&rsquo;une surestimation aveugle et non-critique des possibilit&eacute;s de quantification assist&eacute;e par big data et IA dans ce domaine de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e. Certes, ces techniques permettent de dresser des profils mol&eacute;culaires qui saisissent une certaine forme de singularit&eacute; des patients. N&eacute;anmoins, cette quantification mol&eacute;culaire data-driven demande &agrave; &ecirc;tre articul&eacute;e avec d&rsquo;autres dimensions, d&rsquo;autres aspects quantifiables comme ceux abord&eacute;s &agrave; travers la m&eacute;decine plus traditionnelle (dite &laquo;&nbsp;evidenced-based&nbsp;&raquo;), mais aussi des &eacute;l&eacute;ments moins quantifiables (voire non quantifiables) comme l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue du patient, son ressenti subjectif, ses &eacute;motions ou ses caract&eacute;ristiques psychologiques.</p> <p class="texte" dir="ltr">J&rsquo;ai alors propos&eacute; d&rsquo;&eacute;tudier le r&ocirc;le des arri&egrave;re-plans &eacute;pist&eacute;miques qui structurent notre compr&eacute;hension des notions d&rsquo;investigation rationnelle et de rationalit&eacute;. J&rsquo;ai d&eacute;fendu l&rsquo;id&eacute;e que la surestimation aveugle des pouvoirs &eacute;pist&eacute;miques des techniques IA est catalys&eacute;e par l&rsquo;arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique de l&rsquo;enqu&ecirc;te pure. Selon cet arri&egrave;re-plan (que je crois tr&egrave;s r&eacute;pandu, bien que souvent implicitement), le summum de l&rsquo;investigation rationnelle est l&rsquo;emploi d&rsquo;une unique m&eacute;thode universelle et neutre pour &eacute;laborer la conception absolue du monde. J&rsquo;ai tent&eacute; de montrer que cette approche favorise un climat de comp&eacute;tition entre l&rsquo;IA et la rationalit&eacute; humaine, comp&eacute;tition dont la rationalit&eacute; humaine ne sort pas gagnante, et n&rsquo;est donc pas propice au travail d&rsquo;articulation dont nous semblons avoir besoin, au moins d&rsquo;un point de vue &eacute;thique. J&rsquo;ai alors mobilis&eacute; les travaux du philosophe Hilary Putnam afin de tracer les grandes lignes de ce que pourrait &ecirc;tre un arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique alternatif d&rsquo;inspiration pragmatiste. A partir de cet arri&egrave;re-plan alternatif, rien n&rsquo;interdit par principe la coexistence de plusieurs formes d&rsquo;investigation. Une telle coexistence n&rsquo;amoindrit pas la rationalit&eacute; de ces d&eacute;marches dans la mesure o&ugrave; l&rsquo;on distingue la notion de rationalit&eacute; de celle de neutralit&eacute;. Par contraste, la rationalit&eacute; d&rsquo;une d&eacute;marche d&rsquo;investigation se gagne de l&rsquo;int&eacute;rieur des pratiques d&rsquo;enqu&ecirc;tes, &agrave; travers des efforts &eacute;valuatifs visant &agrave; d&eacute;terminer la qualit&eacute; des proc&eacute;dures d&rsquo;investigations. Ainsi, la coexistence de diff&eacute;rentes formes d&rsquo;investigation rationnelle demande un effort &eacute;valuatif dans chaque registre&nbsp;: les algorithmes mobilis&eacute;s pour dompter la quantification big data du s&eacute;quen&ccedil;age mol&eacute;culaire des individus sont-ils au point&nbsp;? Les autres approches m&eacute;dicales sont-elles bien construites et conduites&nbsp;? Etc. Ainsi, les diff&eacute;rentes formes de quantification peuvent &ecirc;tre reconnues comme tout &agrave; fait rationnelles et significatives pour la recherche biom&eacute;dicale et la prise en charge des patients, sans avoir besoin de faire tout le travail &agrave; elles seules. L&rsquo;arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique d&rsquo;inspiration pragmatiste &eacute;bauch&eacute; ici nous enjoint &agrave; prendre l&rsquo;habitude de penser que, a priori, plusieurs m&eacute;thodes et discours devront &ecirc;tre combin&eacute;s. Cette habitude &eacute;pist&eacute;mologique para&icirc;t souhaitable pour aborder les probl&egrave;mes complexes tels que ceux qui se d&eacute;voilent dans le domaine de la sant&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Pour conclure, il me semble que mon propos sugg&egrave;re quelques remarques d&rsquo;ordre socio-politique (par exemple sur les politiques scientifiques et sur celles touchant au d&eacute;veloppement et &agrave; l&rsquo;impl&eacute;mentation de nouvelles technologies dans la soci&eacute;t&eacute;). Selon l&rsquo;arri&egrave;re-plan alternatif &eacute;bauch&eacute; ici, la qualit&eacute; des proc&eacute;dures d&rsquo;investigation et des r&eacute;sultats qui en d&eacute;coulent ne va pas de soi. Ce constat ne refl&egrave;te pas seulement (et pas principalement) le fait que les proc&eacute;dures d&rsquo;investigation sont conduites par des humains qui peuvent faire des erreurs. La maxime &laquo;&nbsp;l&rsquo;erreur est humaine&nbsp;&raquo; est ici extr&ecirc;mement pi&eacute;geuse, laissant entendre que les probl&egrave;mes viendraient d&rsquo;une incapacit&eacute; des humains &agrave; appliquer une proc&eacute;dure d&rsquo;investigation qui, en elle-m&ecirc;me, serait infaillible car neutre et universelle. Certes, l&rsquo;humain peut se tromper dans l&rsquo;application d&rsquo;une bonne m&eacute;thode. Mais, en premier lieu, il faut r&eacute;aliser qu&rsquo;aucune m&eacute;thode d&rsquo;investigation n&rsquo;est universelle et infaillible. De ceci d&eacute;coule un premier enjeu socio-politique majeur&nbsp;: valoriser l&rsquo;effort d&rsquo;&eacute;valuation qui doit &ecirc;tre fait de l&rsquo;int&eacute;rieur de toute proc&eacute;dure d&rsquo;investigation, pour s&rsquo;assurer de sa qualit&eacute; et &eacute;ventuellement gagner en rationalit&eacute;.</p> <p class="texte" dir="ltr">Un deuxi&egrave;me enjeu est sugg&eacute;r&eacute; par le basculement vers un arri&egrave;re-plan &eacute;pist&eacute;mique d&rsquo;inspiration pragmatiste tel que celui &eacute;bauch&eacute; ici&nbsp;: mieux reconnaitre les d&eacute;fis &eacute;pist&eacute;mologiques que posent des questions complexes comme celles de la sant&eacute; ou de l&rsquo;&eacute;cologie par exemple (Popa et Guillermin 2015&nbsp;; Popa, Guillermin et Dedeurwaerdere 2015). Dans ce type de domaine complexe, plusieurs d&eacute;marches d&rsquo;investigation doivent travailler de concert et on ne pourra pas les consid&eacute;rer comme bien conduites par principe (car s&rsquo;appuyant sur la m&eacute;thode neutre et universelle), ni leur appliquer une grille d&rsquo;&eacute;valuation unique. Au contraire, il faudra encourager des proc&eacute;dures d&rsquo;&eacute;valuation d&eacute;di&eacute;es, de l&rsquo;int&eacute;rieur de chacune de ces d&eacute;marches, pour gagner en rationalit&eacute; dans chaque registre. N&eacute;anmoins, il para&icirc;t clair qu&rsquo;un travail d&rsquo;&eacute;valuation morcel&eacute;, conduit par chaque groupe d&rsquo;acteur dans son registre propre d&rsquo;investigation ne va pas suffire. Une fois admis la possibilit&eacute; du pluralisme, encore faut-il prendre au s&eacute;rieux le travail d&rsquo;articulation. Ce travail, si le pluralisme n&rsquo;est pas que de fa&ccedil;ade, n&eacute;cessite de faire droit &agrave; la complexit&eacute; des probl&egrave;mes abord&eacute;s, de reconnaitre le caract&egrave;re a priori l&eacute;gitime et significatif des ruptures et des divergences entre les diff&eacute;rentes d&eacute;marches d&rsquo;investigation et leurs r&eacute;sultats. Il va donc aussi falloir se poser la question&nbsp;: comment <em>bien</em> articuler&nbsp;? Cette indispensable r&eacute;flexion (&eacute;valuative), que l&rsquo;on pourrait qualifier avec Kuhn de travail ou dialogue <em>interparadigme</em>, constitue un challenge majeur pour affronter les probl&egrave;mes soci&eacute;taux complexes tels que celui de la place de la m&eacute;decine personnalis&eacute;e et de ses puissants outils de quantification de l&rsquo;&eacute;tat m&eacute;dical des personnes. Une partie de la r&eacute;ponse &agrave; apporter &agrave; ce challenge rel&egrave;ve de nos politiques scientifiques, technologiques et d&rsquo;innovation&nbsp;: il sera imp&eacute;ratif de reconnaitre et valoriser ce travail interparadigme, et donc de lui attribuer de r&eacute;els moyens humains et financiers, mais aussi institutionnels.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;A minima, cette m&eacute;thode serait la plus &agrave; m&ecirc;me de r&eacute;duire le nombre d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments arbitraires impliqu&eacute;s.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> &nbsp;Bien que certains auteurs aillent plus loin (comme Kuhn ou Feyerabend par exemple), un consensus assez global existe sur l&rsquo;id&eacute;e que la r&eacute;flexion scientifique mobilise des &eacute;l&eacute;ments arbitraires dans le contexte de d&eacute;couverte ou d&rsquo;invention des th&eacute;ories (par opposition au contexte de justification de ces th&eacute;ories&nbsp;; voir par exemple&nbsp;: Ladyman 2002, p.&nbsp;74&ndash;77).</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> &nbsp;Je renvoie la lectrice ou le lecteur qui voudrait en savoir plus &agrave; mon travail de th&egrave;se&nbsp;&laquo;&nbsp;Incommensurability and rational inquiry&nbsp;: context-sensitivity and realism reconciled in light of Putnam&rsquo;s pragmatist theory of knowledge&nbsp;&raquo; consultable &agrave; l&rsquo;adresse suivante&nbsp;: https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal&nbsp;:174320.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> &nbsp;Pour plus de d&eacute;tails sur cette question de la rationalit&eacute; sans neutralit&eacute;, voir aussi&nbsp;: Guillermin (2018) <em>Non-neutralit&eacute; sans relativisme&nbsp;? Le r&ocirc;le crucial de la rationalit&eacute; &eacute;valuative</em>, In&nbsp;: Piron, F. (ed.) &ldquo;Et si la recherche scientifique ne pouvait pas &ecirc;tre neutre&nbsp;?&rdquo;, &Eacute;ditions science et bien commun, &agrave; para&icirc;tre.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn5" id="ftn5">5</a> &nbsp;Putnam parle de pluralisme conceptuel ou pragmatique. Ce pluralisme s&rsquo;accompagne d&rsquo;une s&eacute;mantique sensible au contexte. Pour plus de d&eacute;tails, voir mon travail de th&egrave;se d&eacute;j&agrave; cit&eacute;, ainsi que&nbsp;: Guillermin (2018) <em>L&rsquo;incommensurabilit&eacute;, imperfection ou limite significative&nbsp;?</em>, Actes du colloque 319 &laquo;&nbsp;Jean Ladri&egrave;re et la probl&eacute;matique des limites th&eacute;oriques et pratiques&nbsp;: quels enseignements et quelles perspectives&nbsp;?&nbsp;&raquo; (85&egrave;me Congr&egrave;s de l&#39;ACFAS), accept&eacute;, &agrave; para&icirc;tre aux Presses Universitaires de Louvain.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Anderson, Chris (2008). The End of Theory: The Data Deluge Makes The Scientific Method Obsolete. En ligne&nbsp;: <a href="https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/">https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/</a>, consult&eacute; le 30 mai 2018.</p> <p class="bibliographie" dir="ltr">Baghramian, Maria (2014). Relativism about science. 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