<p class="texte" dir="ltr">Francis Wolff est professeur &eacute;m&eacute;rite de philosophie &agrave; l&rsquo;Ecole Normale Sup&eacute;rieure de Paris. Apr&egrave;s son remarquable&nbsp;<em>Il n&rsquo;y a pas d&rsquo;amour parfait&nbsp;</em>(2016), il porte sa r&eacute;flexion philosophique sur un sujet de psychosociologie politique dans&nbsp;<em>Trois utopies contemporaines (2017)</em>. Sa r&eacute;f&eacute;rence est l&rsquo;humanisme des Lumi&egrave;res et le Kant du <em>Projet de paix perp&eacute;tuelle (1795)</em>. Il articule sa description de l&rsquo;utopie en un au-del&agrave; de humanisme qu&rsquo;il nomme <em>l&rsquo;utopie post-humaniste, </em>un en de&ccedil;&agrave; de l&rsquo;humanisme, <em>l&rsquo;utopie animaliste,</em> et une troisi&egrave;me dans le prolongement de l&rsquo;humanisme, <em>l&rsquo;utopie cosmopolitique.</em></p> <p class="texte" dir="ltr"><em>L&rsquo;utopie post-humaniste</em> est l&rsquo;expression d&rsquo;une &eacute;thique de la premi&egrave;re personne puisqu&rsquo;elle vise &agrave; une am&eacute;lioration individuelle et infinie de l&rsquo;humain. Il qualifie cette utopie d&rsquo;individualiste car elle retourne le progr&egrave;s scientifique au profit d&rsquo;un individu au lieu de l&rsquo;inscrire dans un progr&egrave;s collectif, qui serait une forme de <em>nous.</em></p> <p class="texte" dir="ltr">Cette utopie centr&eacute;e sur la premi&egrave;re personne est fond&eacute;e sur l&rsquo;angoisse de la mort. La force de la fortune et du pouvoir d&rsquo;une personne lui permettrait ce d&eacute;tournement individualiste de la science pour lui assurer une vie au del&agrave; des limites imparties &agrave; l&rsquo;humain. La mort est un Mal qu&rsquo;il conviendrait de d&eacute;passer.</p> <p class="texte" dir="ltr">En de&ccedil;&agrave; de l&rsquo;humanisme, Francis Wolff identifie <em>l&rsquo;utopie animaliste</em>. Elle se caract&eacute;rise d&rsquo;&ecirc;tre une &eacute;thique de la deuxi&egrave;me personne. Par la rigueur de sa classification, il nous fait entendre combien nous sommes baign&eacute;s dans les excroissances de cette utopie qui g&eacute;n&eacute;ralise des perceptions partag&eacute;es par chacun de nous. De les &eacute;lever au rang de principes organisateurs de notre vie personnelle, de nos croyances ou m&ecirc;me de notre organisation sociale, fait de ces perceptions communes une utopie. De l&rsquo;animal de compagnie &agrave; la b&ecirc;te sauvage en passant par les robots, d&eacute;sormais accompagnateurs de notre solitude, il est humain de projeter en miroir sur l&rsquo;animal nos questions d&rsquo;existence et nos &eacute;motions. Certains portent ce processus si loin qu&rsquo;il veulent changer les lois et les comportements pour y inclure l&rsquo;existence de l&rsquo;animal. Francis Wolff qualifie cette exigence d&rsquo;utopie. Elle est pour lui une &eacute;thique de la deuxi&egrave;me personne qui dessine une animalisation de l&rsquo;homme et une humanisation de l&rsquo;animal.</p> <p class="texte" dir="ltr">Enfin dans le prolongement de l&rsquo;humanisme, vient la description de l&rsquo;aboutissement kantien d&rsquo;une politique n&eacute;e de l&rsquo;homme des Lumi&egrave;res, <em>l&rsquo;utopie cosmopolitique &laquo;&nbsp;</em>est une utopie au second degr&eacute;. Une utopie au-del&agrave; de toutes les utopies, lesquelles enfermaient encore l&rsquo;imaginaire dans les bornes de la Cit&eacute;.&nbsp;&raquo; Francis Wolff propose ainsi une d&eacute;finition de l&rsquo;hospitalit&eacute;&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;Hospitalit&eacute; signifie uniquement le droit qu&rsquo;a chaque &eacute;tranger de ne pas &ecirc;tre trait&eacute; en ennemi dans le pays o&ugrave; il arrive.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Il rep&egrave;re les deux formes du Mal qui font obstacle et menace de ruine l&rsquo;avanc&eacute;e de la r&eacute;volution cosmopolitique, la guerre et l&rsquo;extran&eacute;it&eacute;. L&rsquo;extran&eacute;it&eacute;, c&rsquo;est pour lui &laquo;&nbsp;la condition de l&rsquo;&eacute;tranger, c&rsquo;est &agrave; dire le fait qu&rsquo;on ne cesse d&rsquo;en cr&eacute;er.&nbsp;&raquo; Sa r&eacute;flexion sur l&rsquo;&eacute;tranger le porte vers la contradiction de rep&eacute;rer que l&rsquo;&eacute;tranger est aussi vieux que la civilisation et pourtant que la g&eacute;n&eacute;ralisation des passeports est tr&egrave;s r&eacute;cente, puisqu&rsquo;ils ont &eacute;t&eacute; cr&eacute;&eacute;s, de mani&egrave;re arbitraire, dans les suites de la Grande Guerre. Pour l&rsquo;utopie cosmopolitique, &laquo;&nbsp;la nation est donc une communaut&eacute; politique imaginaire&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;les nations ne sont donc pas mieux fond&eacute;es que les trac&eacute;s des fronti&egrave;res&nbsp;&raquo;. Pour Francis Wolff, les questions concernant le cosmopolitisme viennent de l&rsquo;id&eacute;al implicite. L&rsquo;id&eacute;al kantien d&rsquo;un gouvernement mondial trouve ses limites dans la vision &laquo;&nbsp;d&eacute;raisonnablement optimiste&nbsp;&raquo; de l&rsquo;humanit&eacute;. Toutefois, dans cette r&eacute;serve, se glisse la r&eacute;alisation des exigences du projet kantien dans le processus de l&rsquo;Union europ&eacute;enne. J&uuml;rgen Habernas, commentant le projet kantien, remarque que &laquo;&nbsp;la cl&eacute; du droit cosmopolitique r&eacute;side dans le fait qu&rsquo;il concerne, par-del&agrave; les sujets collectifs du droit international, le statut des sujets de droits individuels, fondant pour ceux-ci une appartenance directe &agrave; l&rsquo;association des cosmopolites libres et &eacute;gaux.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte" dir="ltr">Pour conclure Francis Wolff montre l&rsquo;incompatibilit&eacute; des trois utopies. Elles sont des utopies car elles souhaitent &eacute;radiquer le Mal qui est intrins&egrave;que &agrave; la condition humaine. &laquo;&nbsp;Seule l&rsquo;utopie cosmopolitique peut viser la justice parce qu&rsquo;elle est fond&eacute;e sur le point de vue de nulle part&nbsp;&raquo;. Il affiche sa confiance dans l&rsquo;id&eacute;al cosmopolitique suivant en cela la pens&eacute;e de Kant quand il montre que cet id&eacute;al se construit peu &agrave; peu autour de quelques nations comme l&rsquo;Union europ&eacute;enne se construit et comme l&rsquo;ensemble des pactes internationaux construisent l&rsquo;id&eacute;al kantien.</p> <p class="texte" dir="ltr">Francis Wolff livre ainsi une coh&eacute;rence de pens&eacute;e qui place la d&eacute;marche politique europ&eacute;enne comme la progressive r&eacute;alisation des id&eacute;aux philosophiques des Lumi&egrave;res. <em>Trois utopies contemporaines</em> est ainsi un court trait&eacute; de philosophie politique qui apporte une Lumi&egrave;re sur notre monde actuel.</p>