<p class="texte" dir="ltr">A la fa&ccedil;on d&rsquo;un McLuhan expliquant les relations entre les m&eacute;dias, les messages et la d&eacute;mocratie, ce journaliste s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; ce nouvel objet pour mener une enqu&ecirc;te sur ses effets actuels dans les d&eacute;mocraties occidentales. Et son enqu&ecirc;te retient l&rsquo;attention car il y associe une seconde enqu&ecirc;te o&ugrave; il convoque les intellectuels et chercheurs qui ont investi ce th&egrave;me des relations entre la d&eacute;mocratie et les pouvoirs in&eacute;dits conf&eacute;r&eacute;s &agrave; chacun par les nouvelles technologies. Sa bibliographie et ses nombreuses citations circonscrivent bien les &eacute;l&eacute;ments du diagnostic. Il se r&eacute;f&egrave;re &agrave; Cardon <em>La d&eacute;mocratie internet</em>, Colin et Verdier <em>L&rsquo;&acirc;ge de la multitude</em>, Dagnaud <em>Le mod&egrave;le californien</em>, Jaureguiberry et Lachance <em>Le voyageur hypermoderne</em> ou encore Lewis et Slitine <em>Le coup d&rsquo;Etat citoyen</em>, Maffesoli <em>La postmodernit&eacute; &agrave; l&rsquo;heure du num&eacute;rique</em> et Lyotard <em>La condition postmoderne</em>, etc. Cette &eacute;rudition n&rsquo;en fait pas pour autant un travail de recherche&nbsp;; et ce n&rsquo;est pas son ambition, mais il t&eacute;moigne d&rsquo;une curiosit&eacute; salutaire o&ugrave; le journaliste rapproche les discours et les faits.</p> <p class="texte" dir="ltr">Sa premi&egrave;re enqu&ecirc;te sur l&rsquo;&eacute;lection am&eacute;ricaine montre comment depuis Obama, les &eacute;lections se jouent, semble-t-il, de plus en plus dans l&rsquo;investissement des r&eacute;seaux sociaux, dans l&rsquo;identification des habitudes et le ciblage des messages. Tr&egrave;s vite, il t&eacute;moigne de ces m&ecirc;mes pratiques dans de nombreux mouvements politiques nouveaux, UKIP, AfD, PEGIDA, Podemos, etc. qui partagent cet usage dynamique du monde num&eacute;rique. Il en conclut&nbsp;:&nbsp;&laquo;&nbsp;<em>le num&eacute;rique est un populisme parce qu&rsquo;il r&eacute;alise son premier objectif de contournement des corps interm&eacute;diaires et des institutions.&nbsp;&raquo;</em>&nbsp;(23). Le smartphone, &agrave; la mani&egrave;re de l&rsquo;analyse de McLuhan l&agrave; encore, v&eacute;hiculerait non pas des messages mais une structuration nouvelle de la soci&eacute;t&eacute; politique. Voil&agrave; bien son raisonnement. Cela le conduit &agrave; quelques raccourcis. Il privil&eacute;gie l&rsquo;intuition, celle-ci m&eacute;ritant quelques examens contradictoires pour mieux &eacute;tayer ou nuancer son propos. Retenons toutefois qu&rsquo;il r&eacute;sume bien l&rsquo;impact des technologies sur la pertinence des d&eacute;mocraties repr&eacute;sentatives&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>L&rsquo;abstention n&rsquo;est plus, en tout cas plus seulement, la traduction politique d&rsquo;une exclusion sociale. Elle est l&rsquo;expression d&rsquo;un rejet de la d&eacute;mocratie telle qu&rsquo;elle fonctionne. Le principe de la repr&eacute;sentation est radicalement contraire aux attentes nouvelles des internautes. Rappelons ce qu&rsquo;en disait l&rsquo;abb&eacute; Siey&egrave;s en 1789&nbsp;: &laquo;&nbsp;Les citoyens qui se nomment des repr&eacute;sentants renoncent et doivent renoncer &agrave; faire eux-m&ecirc;mes la loi.&nbsp;</em>&raquo;&nbsp;(34).</p> <p class="texte" dir="ltr">Le journaliste s&rsquo;attarde ensuite &agrave; quelques cas pour d&eacute;montrer la puissance de l&rsquo;influence de ces mouvements populistes. L&rsquo;autorit&eacute; politique est contest&eacute;e, voire renvers&eacute;e par la prise de pouvoir de la multitude num&eacute;rique. Il raconte l&rsquo;affaire Sauvage, cette femme victime de violence conjugale condamn&eacute;e pour avoir tu&eacute; son mari. Cet exemple atteste selon lui de l&rsquo;&eacute;mergence de ce populisme num&eacute;rique. Sauvage sera lib&eacute;r&eacute;e apr&egrave;s une signature d&rsquo;une p&eacute;tition r&eacute;unissant 435&nbsp;971 signatures en 2 mois. Les nouveaux mouvements politiques &eacute;mergent d&rsquo;abord par la connexion. L&agrave; aussi, le raccourci se veut saisissant. Il r&eacute;sume la cr&eacute;ation de Podemos par Pablo Iglesias&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>le mouvement pari sur les r&eacute;seaux sociaux, organisant la participation de tous sur la plateforme PlazaPodemos. En vingt jours, il attire 100.000 membres et devient le troisi&egrave;me parti d&rsquo;Espagne. Aux &eacute;lections europ&eacute;ennes de mai 2014, apr&egrave;s cinq mois d&rsquo;existence, il recueille 8&nbsp;% des suffrages.</em>&nbsp;&raquo;&nbsp;(53).</p> <p class="texte" dir="ltr">Brochet prend aussi une distance critique avec cette puissance fracassante qui renverse les organisations et fait &eacute;merger des nouvelles positions en quelques mois comme il tend &agrave; le montrer. Il &eacute;tudie l&rsquo;&eacute;chec de Nuit Debout qui a sans doute encore trop cru &agrave; l&rsquo;Agora, le lieu de la manifestation, l&rsquo;obligation de se d&eacute;placer, d&rsquo;&ecirc;tre l&agrave;, d&rsquo;assumer une pr&eacute;sence militante et visible. La combinaison entre les nouvelles technologies et les vieilles m&eacute;thodes n&rsquo;a pas r&eacute;ussi &agrave; ses yeux. Mais sa critique met en exergue des prises de pouvoir sans lendemain. Ce serait l&agrave; toute la fragilit&eacute; de ces mouvements populistes dont la croissance soudaine serait le signe m&ecirc;me de leur vitalit&eacute; &eacute;ph&eacute;m&egrave;re&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>les structures de nagu&egrave;re avaient le d&eacute;faut d&rsquo;attacher par des n&oelig;uds difficiles &agrave; d&eacute;nouer, mais les r&eacute;seaux qui les remplacent servent autant &agrave; d&eacute;connecter qu&rsquo;&agrave; connecter, soulignait le sociologue Zygmunt Bauman, grand explorateur d&rsquo;une modernit&eacute; qu&rsquo;il nommait &laquo;&nbsp;liquide&nbsp;&raquo; - instable, changeante.</em>&nbsp;&raquo;&nbsp;(61). &nbsp;</p> <p class="texte" dir="ltr">Son analyse, quoique rapide et certainement incompl&egrave;te et insuffisamment argument&eacute;e, rapproche ces ph&eacute;nom&egrave;nes populistes inh&eacute;rents aux possibilit&eacute;s des nouvelles technologies &agrave; des th&eacute;ories politiques libertariennes. En effet, il fait le lien avec les inspirateurs des nouvelles technologies qui n&rsquo;ont pas &agrave; l&rsquo;esprit des usages marchands et le commerce. Ils sont porteurs d&rsquo;une vue de la soci&eacute;t&eacute; cherchant &agrave; d&eacute;velopper tous les pouvoirs d&rsquo;un individu autonome et politiquement libre. Il fait la revue des dirigeants libertariens&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>La pens&eacute;e libertarienne impr&egrave;gne la r&eacute;volution num&eacute;rique, et de mani&egrave;re parfaitement consciente. La Bible de cette r&eacute;volution, la revue Wired, &eacute;tablit d&egrave;s son origine le lien avec la d&eacute;claration d&rsquo;ind&eacute;pendance am&eacute;ricaine dans laquelle Jefferson a inscrit le primat du droit naturel de l&rsquo;individu.&nbsp;(&hellip;) Jeff Bezos, fondateur d&rsquo;Amazon est lui aussi un libertarien revendiqu&eacute;. Comme Niklas Zennstr&ouml;m, Janus Friis (Skype) et Mark Zuckerberg (Facebook). Comme Peter Thiel (PayPal).&nbsp;</em>&raquo;&nbsp;(68).</p> <p class="texte" dir="ltr">Dans son souci d&rsquo;une vision d&rsquo;ensemble, Brochet en vient &agrave; une dimension psychologique de cette soci&eacute;t&eacute; populiste travers&eacute;e par des contradictions flagrantes. Mais au lieu de les d&eacute;noncer, il en fait une description dans un chapitre <em>La tristesse des autonomes</em> qu&rsquo;il aurait vraiment d&ucirc; approfondir, car ces quelques pages sont trop assertives et allusives. Le constat des aspirations est le suivant&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>La tension est douloureuse, quasi schizophr&eacute;nique, entre le d&eacute;sir d&rsquo;autonomie li&eacute; au num&eacute;rique et le besoin d&rsquo;autorit&eacute; symbolique.</em>&nbsp;&raquo;&nbsp;(88). Mais ce constat ne suffit pas pour &eacute;tayer une meilleure compr&eacute;hension de ces aspirations contraires. De plus, il fr&ocirc;le l&rsquo;incoh&eacute;rence puisqu&rsquo;en sautant de l&rsquo;Am&eacute;rique &agrave; la France ou &agrave; l&rsquo;Espagne il fait des g&eacute;n&eacute;ralisations implicites h&acirc;tives dont il n&rsquo;est pas s&ucirc;r qu&rsquo;elles vaillent pour ces pays, voire d&rsquo;autres dont il ne dit rien ou presque. L&rsquo;Allemagne, l&rsquo;Autriche et son populisme, la Hongrie pass&eacute; sous silence, etc.</p> <p class="texte" dir="ltr">Il s&rsquo;int&eacute;resse aussi &agrave; l&rsquo;expression qui se simplifie, &agrave; la pens&eacute;e qui se r&eacute;sume &agrave; des affirmations, &agrave; la vitesse qui rend insupportable la lenteur des processus de la d&eacute;mocratie repr&eacute;sentative dans un monde o&ugrave; les probl&egrave;mes sont &agrave; r&eacute;soudre dans l&rsquo;instant. Il montre aussi comment la fabrique de l&rsquo;information se fait dans des proc&eacute;d&eacute;s propices &agrave; la diffusion de fausses nouvelles et de rumeurs d&eacute;vastatrices. Est-ce bien pour autant certains que les &eacute;lites p&acirc;tissent de cette &eacute;volution&nbsp;? Avec un sens de la formule, il &eacute;crit&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>l&rsquo;humeur populiste du monde num&eacute;rique am&egrave;ne naturellement les institutions, &eacute;lites et autres pouvoirs constitu&eacute;s &agrave; &ecirc;tre les premi&egrave;res victimes de la post-v&eacute;rit&eacute;.</em>&nbsp;&raquo;&nbsp;(149). Pourtant, il a pr&eacute;c&eacute;demment cit&eacute; les patrons californiens et les libertariens am&eacute;ricains pour expliquer l&rsquo;av&egrave;nement d&rsquo;une politique sans Etat. N&rsquo;est-ce pas plut&ocirc;t le signe d&rsquo;une opposition de conception du politique et de ses organisations repr&eacute;sentatives, une recherche d&rsquo;utilit&eacute; ou d&rsquo;efficacit&eacute; qui pr&eacute;vaut pour que le populisme autoritaire rencontre des opinions en mal de changements &agrave; leur profit ou que des populismes plus anarchistes agr&egrave;gent temporairement une volont&eacute; d&eacute;mocratique directe&nbsp;? C&rsquo;est l&agrave; sans doute la difficult&eacute; de r&eacute;unir tant de mouvements sous ce seul terme de populisme qui ne leur correspond qu&rsquo;en apparence sans doute.</p> <p class="texte" dir="ltr">Reste que l&rsquo;auteur se perd parfois par des embard&eacute;es dans d&rsquo;autres domaines connexes, celui de l&rsquo;organisation des entreprises ou de la pr&eacute;diction des profils &agrave; partir de quelques collectes de donn&eacute;es. Il aurait sans aucun doute gagn&eacute; &agrave; vraiment se concentrer sur le politique et l&rsquo;usage de ces nouvelles technologies. Il oublie d&rsquo;ailleurs, comme beaucoup, que ces technologies existent dans des pays o&ugrave; les droits ne sont pas les m&ecirc;mes&nbsp;: la Chine par exemple. Le droit est trop absent de son travail car la d&eacute;mocratie smartphone existe l&agrave; o&ugrave; les libert&eacute;s d&rsquo;expression sont pr&eacute;serv&eacute;es. De m&ecirc;me, on peut lui reprocher de trop vite perdre de vue l&rsquo;influence combin&eacute;e des mass media et des r&eacute;seaux qui semblent se renforcer sans s&rsquo;opposer dans certains cas. Le relai m&eacute;diatique n&rsquo;est-il pas encore un levier d&rsquo;influence&nbsp;? Sur le plan technologique, il marque les esprits par sa description des usages du smartphone, mais celui-ci n&rsquo;a aucune existence en dehors de l&rsquo;internet dont le fonctionnement aurait m&eacute;rit&eacute; sans doute un chapitre.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;ouvrage peut donner l&rsquo;impression d&rsquo;un foisonnement brouillon, d&rsquo;une certaine confusion&nbsp;; mais cela refl&egrave;te sans doute autant ce qu&rsquo;il veut d&eacute;crire dans l&rsquo;instant que son caract&egrave;re, avec une m&eacute;thode journalistique riche et quelque peu exp&eacute;ditive. Mais ce ne sont pas l&agrave; vraiment des critiques tant le livre a le m&eacute;rite de mettre sur la table une connaissance des mouvements politiques r&eacute;cents combin&eacute;e &agrave; une curiosit&eacute; intellectuelle qui renvoie &agrave; des auteurs avertis cit&eacute;s &agrave; bon escient, ind&eacute;pendamment de leurs &eacute;coles respectives. Voil&agrave; bien un ouvrage de kiosque, au sens le plus noble de celui qui r&eacute;unit tous les mouvements politiques les plus vari&eacute;s pour y discerner une tendance de soci&eacute;t&eacute;. Un livre rapide, impulsif qui devrait inspirer des recherches tant les enjeux sont grands.</p>