<p class="texte" dir="ltr">Dans la continuit&eacute; de son livre, &eacute;crit en 2013, <em>Le Management des r&eacute;seaux. Tisser du lien social pour le bien-&ecirc;tre &eacute;conomique</em>, Christophe Assens &laquo;&nbsp;r&eacute;cidive&nbsp;&raquo; sur la m&ecirc;me th&eacute;matique, par un ouvrage au titre plus provocateur et avec une ambition plus critique et sociologisante, questionnant plus globalement un fait de soci&eacute;t&eacute; autant que des ph&eacute;nom&egrave;nes &eacute;conomiques. Est-ce que ce livre tient ses promesses&nbsp;? La forme utilis&eacute;e est celle de l&rsquo;essai. De tels &eacute;crits, essayistes, flirtant avec un style litt&eacute;raire et plus accessible, r&eacute;v&egrave;lent toute l&rsquo;&eacute;tendue de la pens&eacute;e d&rsquo;un auteur et de son interpr&eacute;tation des mouvements de changement culturel et soci&eacute;tal contemporain.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le livre de 208 pages est d&eacute;coup&eacute; en trois grande chapitres&nbsp;: 1/ Les r&eacute;seaux num&eacute;riques&nbsp;; 2/ Les r&eacute;seaux corporatistes&nbsp;; 3/ Les r&eacute;seaux &eacute;conomiques. Une pr&eacute;face de l&rsquo;Amiral Lacoste, l&rsquo;ancien chef de la DGSE de Fran&ccedil;ois Mitterrand, de 1982 &agrave; 1985, apporte des commentaires g&eacute;ostrat&eacute;giques et futurologiques &agrave; l&rsquo;entreprise &eacute;ditoriale de l&rsquo;auteur.</p> <p class="texte" dir="ltr">L&rsquo;introduction de 15 pages (pp.&nbsp;13 &agrave; 27) tente de resituer le lexique et les notions utilis&eacute;es (diff&eacute;rence entre &laquo;&nbsp;r&eacute;seau&nbsp;&raquo; et &laquo;&nbsp;institution&nbsp;&raquo;&nbsp;; types de r&eacute;seaux&nbsp;; approche socio-historique des premi&egrave;re formes r&eacute;ticulaires et soci&eacute;tales&nbsp;; lien avec la notion de citoyennet&eacute; et de mondialisation). L&rsquo;auteur insiste sur un th&egrave;me r&eacute;current dans tout le livre&nbsp;: tout individu contemporain, qui dispose d&rsquo;un r&eacute;seau plus &eacute;tendu que par le pass&eacute;, poss&egrave;de, par ce biais, une v&eacute;ritable richesse en termes de capitaux relationnels, essentiels &agrave; son &eacute;volution professionnelle et personnelle. Cependant, Assens met tr&egrave;s clairement en garde contre les risques de d&eacute;rives vers de nouvelles formes de communautarisme, dans la multiplication de r&eacute;seaux sociaux cultivant l&rsquo;entre-soi. &laquo;&nbsp;<em>Nous cherchons notamment &agrave; savoir si les r&eacute;seaux offrent une dimension plus humaniste face &agrave; la complexit&eacute; du monde ou s&rsquo;ils tendent &agrave; reproduire une nouvelle forme d&rsquo;&eacute;gocentrisme sur le plan collectif, dans des microsoci&eacute;t&eacute;s qui rivalisent entre elles</em>&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;25.) Notons une d&eacute;finition tr&egrave;s g&eacute;n&eacute;rale de la notion de r&eacute;seau rep&eacute;rable, selon lui, dans presque toutes les activit&eacute;s en soci&eacute;t&eacute;&nbsp;: dans les &laquo;&nbsp;<em>ramifications num&eacute;riques [&hellip;], la convivialit&eacute; d&rsquo;un club, d&rsquo;une cercle intime, d&rsquo;une corporation</em>&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;13), ou bien &laquo;&nbsp;<em>dans cercles de discussion, des </em>think-thank<em>, des r&eacute;seaux sociaux sur internet, dans le r&eacute;gionalisme, dans les diasporas, dans les communaut&eacute;s de pens&eacute;e, dans des clubs philanthropiques, dans les associations, dans les mutuelles, dans les coop&eacute;ratives, dans les </em>clusters<em>, dans les communaut&eacute;s d&rsquo;agglom&eacute;ration, dans toutes les formes d&rsquo;union qui &eacute;chappent au cadre habituel de la pens&eacute;e formelle et verticale</em>&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;13 et 14).</p> <p class="texte" dir="ltr">Le chapitre 1, &laquo;&nbsp;Les r&eacute;seaux num&eacute;riques&nbsp;&raquo;, aborde le paradoxe de la d&eacute;socialisation et de la d&eacute;territorialisation des soci&eacute;t&eacute;s contemporaines par l&rsquo;implosion dans les r&eacute;seaux num&eacute;riques (internet utilisant plusieurs supports et &eacute;crans, comme on le sait, de nos jours). Cet aspect avait d&eacute;j&agrave; &eacute;t&eacute; abord&eacute;, il y a longtemps par Paul Virilio, dans le livre <em>Le Cybermonde ou la politique du pire</em>, &eacute;dit&eacute; &agrave; Paris, chez Textuel, en 2001. Assens cite adroitement des travaux (dont ceux de Stanley Milgram) sur les r&eacute;seaux pour indiquer la forte connexit&eacute; entre individus&nbsp;: une moyenne technique et statistique de 4,74 personnes interm&eacute;diaires, existerait entre deux individus, tir&eacute;s au sort, dans une recherche de 2011, au sein du r&eacute;seau Facebook. Ainsi nous vivrions, du fait de la g&eacute;n&eacute;ralisation des r&eacute;seaux techno-num&eacute;riques, dans un &laquo;&nbsp;petit monde&nbsp;&raquo; (p. 30-31), ayant n&eacute;anmoins une faible valence sociale et &eacute;motionnelle. On se retrouve dans des dispositifs faiblement ancr&eacute;s dans des dynamiques consistantes, contrairement &agrave; des clubs ferm&eacute;s mais efficients, comme le Rotary Club. Cependant, les liens faibles (&eacute;pisodiques et non communautaires) g&eacute;n&egrave;reraient des interactions en r&eacute;seau les plus riches en information diversifi&eacute;e. Par la suite, l&rsquo;auteur se livre &agrave; une analyse d&eacute;taill&eacute;e des contresens et significations socio-&eacute;conomiques, associ&eacute;s aux r&eacute;seaux comme Facebook ou LinkedIn, fond&eacute;s sur l&rsquo;augmentation constante des contacts, sans discrimination ni affinit&eacute;s pr&eacute;alables. &laquo;&nbsp;<em>La &ldquo;plateforme num&eacute;rique de communication&rdquo; n&rsquo;est&nbsp;[&hellip;] pas capable de f&eacute;d&eacute;rer autour du lien social, la mosa&iuml;que des tribus, des clans et des cat&eacute;gories de personnes qui gravitent par centaine de millions sur Internet</em>&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;39.) Ces plateformes sont globalement per&ccedil;ues comme un &laquo;&nbsp;<em>encouragement &agrave; l&rsquo;individualisme</em>&nbsp;&raquo; (<em>ibid.</em>). Une petite erreur page 43 est cependant &agrave; noter o&ugrave; l&rsquo;auteur &eacute;nonce que les sources de Wikip&eacute;dia ne sont pas toujours fiables. Tout au contraire, de r&eacute;centes recherches (2017) de bibliom&eacute;trie indiquent une plus forte fiabilit&eacute; de Wikip&eacute;dia par rapport &agrave; la tr&egrave;s autoris&eacute;e <em>Encyclopedia Britannica</em>. Par contre, la d&eacute;pendance des jeunes g&eacute;n&eacute;rations aux m&eacute;dias sociaux d&rsquo;internet et par t&eacute;l&eacute;phone mobile est correctement analys&eacute;e, en confirmant des travaux divers sur la g&eacute;n&eacute;ralisation du cr&eacute;dit accord&eacute; au complotisme chez les 15-25 ans depuis quelques ann&eacute;es. Assens, en bon observateur, d&eacute;crit tr&egrave;s bien les effets nocifs de la multiconnexion &agrave; des sources multiples de savoirs chez les internautes&nbsp;: &laquo;&nbsp;<em>Ce n&rsquo;est plus l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve qui fait la d&eacute;marche de remonter &agrave; la source du savoir, comme le saumon dans le lit de la rivi&egrave;re. C&rsquo;est le savoir qui doit capter l&rsquo;attention de l&rsquo;&eacute;l&egrave;ve, d&eacute;j&agrave; sollicit&eacute; par des centaines de micro-activit&eacute;s de divertissement et de communication</em>&nbsp;&raquo; (p. 45.) Tous ces &eacute;l&eacute;ments et quelques autres tracent donc les grandes lignes d&rsquo;une tendance &agrave; la recentration narcissique et &agrave; l&rsquo;isolement au sein de r&eacute;seaux d&eacute;shumanisants, m&eacute;canis&eacute;s et matriciellement programmateurs de conduites st&eacute;r&eacute;otyp&eacute;es.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le chapitre 2, &laquo;&nbsp;Les r&eacute;seaux corporatistes&nbsp;&raquo; porte sur la question des relations entre les biens, ou objet plus ou moins rares, et les soci&eacute;t&eacute;s. L&rsquo;auteur distingue quatre types de biens (pp. 58-61)&nbsp;: les <em>biens priv&eacute;s</em> (r&eacute;gul&eacute;s par le march&eacute;), les <em>biens communs</em> (contr&ocirc;l&eacute;s sur des r&eacute;seaux n&rsquo;excluant aucun humain), les <em>biens de club</em> (g&eacute;r&eacute;s de fa&ccedil;on discr&eacute;tionnaire dans des r&eacute;seaux ferm&eacute;s) et les <em>biens publics</em> (manag&eacute;s par des pouvoirs administratifs locaux ou nationaux). &laquo;&nbsp;<em>La solidarit&eacute; dans un r&eacute;seau s&rsquo;exerce exclusivement au b&eacute;n&eacute;fice de ses membres, sans &eacute;liminer totalement les rivalit&eacute;s individuelles et les conflits avec les autres r&eacute;seaux. De ce point de vue, sur le plan &eacute;conomique, le r&eacute;seau compl&egrave;te le march&eacute; lorsqu&rsquo;il s&rsquo;agit de d&eacute;velopper des biens dans les titres de propri&eacute;t&eacute; sont collectifs, et qui prennent de la valeur dans la coop&eacute;ration plus que dans la comp&eacute;tition</em>&nbsp;&raquo; (p. 60), insiste l&rsquo;auteur. Traduction&nbsp;: il est pr&eacute;f&eacute;rable de favoriser l&rsquo;articulation des modes de gestion et de r&eacute;gulation (r&eacute;seau, &Eacute;tat, march&eacute;, club) aux diff&eacute;rents types de biens circulant les soci&eacute;t&eacute;s. Dans la suite de ce chapitre, sont alors examin&eacute;s les pratiques corporatistes sous la banni&egrave;re des r&eacute;seaux, comme, par exemple, les significations morales et politiques des conduites de d&eacute;mocratie &eacute;lectronique ou l&rsquo;intrication entre capitalisme et d&eacute;veloppement des d&eacute;bats sur des forums gratuits sur internet. L&rsquo;auteur interroge notamment le paradoxe de l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;instantan&eacute;isme&nbsp;&raquo; en d&eacute;mocratie, associ&eacute;s aux d&eacute;bats sur les r&eacute;seaux, d&rsquo;une part, et &agrave; la distance critique et raisonn&eacute;e des &eacute;lus r&eacute;unis de fa&ccedil;on r&eacute;flexive dans des assembl&eacute;es repr&eacute;sentatives institutionnalis&eacute;es, de l&rsquo;autre. Il y aurait bien alors une diff&eacute;rence radicale de fonction entre <em>institution</em> et <em>r&eacute;seau </em>bien que des liens existent entre ces deux formes. Assens fait donc une remarque de type sociologique. Pour exemplifier son raisonnement, l&rsquo;auteur aborde aussi longuement le d&eacute;veloppement en r&eacute;seau de l&rsquo;Universit&eacute; Paris-Saclay dont il critique les d&eacute;rives et les corporatismes sous-jacents. Cependant, il est admis que les logiques de r&eacute;seaux permettent aussi de contrebalancer les d&eacute;rives bureaucratiques en devenant une sorte de contre-culture face aux niveaux de d&eacute;cision et aux hi&eacute;rarchies, en fluidifiant l&rsquo;accomplissement de t&acirc;ches administratives publiques. L&rsquo;auteur est parfois ambigu car il accorde un avantage qualitatif (p.&nbsp;96) aux r&eacute;seaux de gestion des services de sant&eacute; hospitalier (coordination interservices, notamment). Or tout le monde sait que la coordination au sein d&rsquo;un r&eacute;seau demande du temps et donc de l&rsquo;argent. Par cons&eacute;quent, la &laquo;&nbsp;solution de mutualisation par les r&eacute;seaux&nbsp;&raquo; finit par ressortir du domaine quantitatif et financier, selon nous. Donc rien ne sert de dire qu&rsquo;il faut plus de coordination en r&eacute;seau pour mutualiser si l&rsquo;on ne met pas les ressources pour favoriser les dispositifs techniques et humains qui y sont associ&eacute;s et les soutiennent. Ainsi, on retombe toujours sur des crit&egrave;res budg&eacute;taires et donc quantitatif, m&ecirc;me quand on pense &agrave; la &laquo;&nbsp;solution&nbsp;&raquo; r&eacute;ticulaire. Par ailleurs, la &laquo;&nbsp;solution r&eacute;ticulaire&nbsp;&raquo; fait appel &agrave; une sorte de motivation altruiste et bienfaisante (<em>take care of</em>) qui est loin d&rsquo;&ecirc;tre spontan&eacute;e dans le cadre des interactions &agrave; distance. Bien au contraire. Enfin, la th&eacute;orie de l&rsquo;implication du management de r&eacute;seau pr&eacute;suppose une relative et faible pr&eacute;gnance du pouvoir ou un aplatissement de la pyramide hi&eacute;rarchique. Il demeure assez illusoire de penser que ces modes de fonctionnement puissent avoir une p&eacute;rennit&eacute;. Les critiques de Richard Sennett le montrent, dans son livre de 1999, <em>Le Travail sans qualit&eacute;&nbsp;:</em> <em>les cons&eacute;quences humaines de la flexibilit&eacute;&nbsp;</em>: le contr&ocirc;le la structure de r&eacute;seau et des relais permet d&rsquo;avoir prise sur un dispositif interactif (concentration du pouvoir dans un cadre d&rsquo;apparente d&eacute;centralisation). L&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;acteur-r&eacute;seau&nbsp;&raquo; n&rsquo;est fonctionnel que dans des dynamiques de projet. Il ne pr&eacute;suppose pas de management mais uniquement l&rsquo;activation altruiste des conditions de travail collectif (si possible sans &laquo;&nbsp;passager clandestin&nbsp;&raquo;. Pas plus, pas moins&nbsp;! Or, Sennett souligne que dans tout travail en groupe, les passagers clandestins pullulent.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le chapitre 3, &laquo;&nbsp;Les r&eacute;seaux &eacute;conomiques&nbsp;&raquo;, termine ce triptyque de fa&ccedil;on heureuse dans un domaine (science de gestion) que l&rsquo;auteur ma&icirc;trise encore mieux. Le r&eacute;seau, comme notion, ressort du mod&egrave;le des alliances strat&eacute;giques d&rsquo;entreprise, refl&eacute;tant les n&eacute;cessit&eacute;s de coop&eacute;rer et de mutualiser certaines ressources dans un cadre concurrentiel avec, pour but, un r&eacute;sultat gagnant-gagnant pour chaque partie en relation&nbsp;: ce qui est appel&eacute; &laquo;&nbsp;coop&eacute;tition&nbsp;&raquo; par l&rsquo;auteur. Divers exemples sont analys&eacute;s comme les <em>networks </em>de petites entreprise, les r&eacute;seaux de consommateurs, les tontines, les soci&eacute;t&eacute;s secr&egrave;tes, comme dans la franc-ma&ccedil;onnerie ou les mafias, voire les diasporas&nbsp;; sont aussi cit&eacute;s et d&eacute;crits le succ&egrave;s du consortium Airbus, du point de vue du management des r&eacute;seaux technico-&eacute;conomiques, l&rsquo;&eacute;conomie sociale et solidaire, les coop&eacute;ratives agricoles et les r&eacute;seaux mutualistes (comme la MACIF). L&rsquo;une des parties les plus stimulantes intellectuellement est consacr&eacute;e &agrave; la d&eacute;mocratie d&rsquo;entreprise et plus particuli&egrave;rement &agrave; l&rsquo;&laquo;&nbsp;entreprise lib&eacute;r&eacute;e&nbsp;&raquo; (p.&nbsp;147-155), laissant presque supposer que l&rsquo;auteur appartient aux mouvements de renouveau n&eacute;ocommuniste et autogestionnaires des ann&eacute;es 2000. Ce qui est, on le sait, est loin d&rsquo;&ecirc;tre son orientation intellectuelle. L&rsquo;&eacute;tude de cas, venant en appui &agrave; cette th&egrave;se de l&rsquo;entreprise lib&eacute;r&eacute;e, est celle la soci&eacute;t&eacute; Herv&eacute; Thermique, cr&eacute;&eacute;e dans les ann&eacute;es 1970 et d&eacute;veloppant concr&egrave;tement cet usage libertaire et r&eacute;gul&eacute;e de la d&eacute;mocratie, combin&eacute;e aux relais en r&eacute;seau et &agrave; des centres de profits autog&eacute;r&eacute;s. Le chapitre se conclut sur la th&eacute;matique bien document&eacute; de l&rsquo;&eacute;conomie collaborative et de partage dont Blablacar, Airbnb ou Amazon sont de bons exemples.</p> <p class="texte" dir="ltr">Le titre, <em>R&eacute;seaux sociaux. Tous ego&nbsp;?,</em> r&eacute;active une critique connue, en philosophie contemporaine (Bernard Stiegler, Dany-Robert Dufour, notamment, mais aussi Christopher Lasch et d&rsquo;autres), de l&rsquo;&laquo;&nbsp;&eacute;gotisation&nbsp;&raquo; des relations interpersonnelles et sociales. En fait, de nos jours et depuis la g&eacute;n&eacute;ralisation de l&rsquo;&eacute;thique ultralib&eacute;rale associ&eacute;e aux r&eacute;seaux sociaux, vous ne communiquez pas vraiment. Vous sombrez dans un simulacre en ayant l&rsquo;impression qu&rsquo;on va vous r&eacute;pondre en reconnaissant votre authenticit&eacute;. Quand on sait &agrave; quel point la valeur d&rsquo;authenticit&eacute; est typiquement associ&eacute;e au lib&eacute;ralisme, on comprend que les r&eacute;seaux ne sont qu&rsquo;un prolongement diff&eacute;rent des structures du march&eacute;. Au final, dans l&rsquo;id&eacute;ologie &eacute;gotiste contemporaine, vous d&eacute;veloppez plut&ocirc;t un <em>syndrome de narcissisme avanc&eacute;</em>. Votre d&eacute;cr&eacute;pitude &eacute;gotiste vous incite &agrave; ne penser &agrave; l&rsquo;autre que par le canal d&rsquo;un &laquo;&nbsp;altruisme &eacute;go&iuml;ste&nbsp;&raquo; qu&rsquo;avait tr&egrave;s bien d&eacute;fini il y a quelques ann&eacute;es, feu Serge Moscovoci dans un livre consacr&eacute; &agrave; la psychologie des relations &agrave; autrui<a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a>. Au final, les &laquo;&nbsp;gens&nbsp;&raquo; ne communiqueraient plus mais s&rsquo;exprimeraient, de fa&ccedil;on conformiste, en &eacute;mergeant dans des &laquo;&nbsp;tribus &eacute;go-gr&eacute;gaires&nbsp;&raquo; (Dufour), en tentant de rester des &laquo;&nbsp;&ecirc;tres non-inhumains&nbsp;&raquo; (Stiegler), tiraill&eacute;s entre des pulsions d&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;individuation&nbsp;&raquo; (ressembler &agrave; la norme de groupe en y &eacute;tant le plus conforme et exemplaire) et des tendances plus raisonn&eacute;es &agrave; l&rsquo;&nbsp;&laquo;&nbsp;individualisation&nbsp;&raquo; (construction de soi par un cheminement critique rationnel, &eacute;loign&eacute; des modes et des pr&ecirc;t-&agrave;-penser). Cette tendance conformiste (&eacute;gocentr&eacute;e) avait &eacute;t&eacute; &eacute;tudi&eacute;e il y a longtemps par Jean-Paul Codol, en psychologie sociale mais aussi en psychologie de l&rsquo;enfant (Jean Piaget). Il l&rsquo;avait nomm&eacute; &laquo;&nbsp;effet PIP (Primus Inter Pares)&nbsp;&raquo; ou &laquo;&nbsp;conformit&eacute; sup&eacute;rieure de soi&nbsp;&raquo;. Cette <em>critique de la raison &eacute;gotiste</em> est, de nos jours, r&eacute;alis&eacute;e au nom d&rsquo;une posture n&eacute;okantienne, en privil&eacute;giant l&rsquo;<em>Erkl&auml;rung, </em>tr&egrave;s fortement d&eacute;fendue par<em> le</em> maitre de K&ouml;nigsberg et ses h&eacute;ritiers contemporains (dont les philosophes pr&eacute;c&eacute;demment cit&eacute;s), modalit&eacute; rationaliste oppos&eacute;e &agrave; la pens&eacute; adh&eacute;sive des &laquo;&nbsp;communaut&eacute;s&nbsp;&raquo;. Assens adopte une posture interm&eacute;diaire, dans son ouvrage, en constatant &agrave; la fois les apports des logiques et conduites en r&eacute;seaux contemporaines, tout en d&eacute;plorant aussi, comme les critiques n&eacute;okantiens, l&rsquo;&eacute;mergence de tropismes communautaristes dans divers secteurs tant politiques, culturels, relationnels qu&rsquo;&eacute;conomiques. Rappelons, pour finir, que l&rsquo;auteur, professeur de management des r&eacute;seaux &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, est un expert de ce domaine et il le d&eacute;montre excellemment par cette contribution, malgr&eacute; quelques coquilles et inexactitudes (volont&eacute; de ne pas r&eacute;f&eacute;rencer toutes les sources des recherches cit&eacute;es) ici et l&agrave;. En guise de conclusion, il faut souligner &agrave; quel point l&rsquo;&eacute;tude des r&eacute;seaux est en vogue de nos jours sur le plan des sciences humaines. Certains historiens, comme Marie-Fran&ccedil;oise Baslez, Professeur d&rsquo;histoire des religions &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; Paris-Sorbonne, indiquent d&rsquo;ailleurs qu&rsquo;ils ont jou&eacute; un r&ocirc;le essentiel dans l&rsquo;&eacute;volution des espaces g&eacute;ostrat&eacute;giques et des croyances depuis plus de deux-mille ans. Baslez &eacute;voque, dans <em>Comment notre monde est devenu chr&eacute;tien</em>, publi&eacute; &agrave; Paris, chez CLD en 2008, que &laquo;&nbsp;<em>Paul fut en effet lui-m&ecirc;me un homme de r&eacute;seaux</em> [&hellip;]. <em>Ce sont, plus particuli&egrave;rement les r&eacute;seaux du patronage officiel romain qui l&rsquo;ont int&eacute;gr&eacute; v&eacute;ritablement dans l&rsquo;Empire, qui l&rsquo;ont pouss&eacute; &agrave; aller toujours plus en avant jusqu&rsquo;&agrave; Rome, le centre du monde, en lui donnant l&rsquo;intuition d&rsquo;un ordre mondial introduit par l&rsquo;Empire et celle d&rsquo;une communaut&eacute; religieuse destin&eacute;e &agrave; s&rsquo;&eacute;tendre aux dimensions de la terre habit&eacute;e</em> (p. 50-52). Nul doute qu&rsquo;avec les r&eacute;volutions technologiques &agrave; venir d&rsquo;autres profonds changements, qu&rsquo;on peut esp&eacute;rer toniques et fertiles, puissent &ecirc;tre envisag&eacute; mondialement comme localement dans les diverses soci&eacute;t&eacute;s contemporaines.</p> <p class="notebaspage" dir="ltr"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &nbsp;Moscovici Serge (&eacute;d.), <em>Psychologie des relations &agrave; autrui</em>, Paris, Nathan, 2000.</p>