<p class="texte"><strong>DOSSIER : L&#39;AVENIR DE LA DEMOCRATIE</strong></p> <p class="texte"><em>Pierre de Senarclens est professeur honoraire &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Lausanne. Il a &eacute;t&eacute; directeur de la division des droits de l&rsquo;homme et de la paix &agrave; l&rsquo;UNESCO et vice-pr&eacute;sident de la Croix Rouge suisse. Il est l&rsquo;auteur de plusieurs ouvrages portant sur l&rsquo;histoire des id&eacute;es, sur l&rsquo;histoire et la sociologie des relations internationales contemporaines. Il a publi&eacute; r&eacute;cemment&nbsp;Les Illusions meurtri&egrave;res.&nbsp;Ethnonationalisme et fondamentalisme religieux&nbsp;en 2016 et Nations et nationalismes en 2018.</em></p> <p class="texte"><strong>SOMMAIRE</strong></p> <p><strong>1. Les d&eacute;rives de la souverainet&eacute; populaire</strong></p> <p><strong>2. vers une psychologie des foules</strong></p> <p><strong>3. L&rsquo;apport de la psychanalyse</strong></p> <p><strong>3.1. La foule, espace de r&eacute;gression</strong></p> <p><strong>3.2. L&rsquo;illusion de la toute-puissance</strong></p> <p><strong>3.3. Les foules idol&acirc;tres de l&rsquo;entre-deux-guerres</strong></p> <p><strong>4. D&eacute;clin et m&eacute;tamorphose des foules</strong></p> <p><strong>4.1. Les foules structur&eacute;es</strong></p> <p><strong>4.2. Les foules &eacute;ph&eacute;m&egrave;res</strong></p> <p><strong>Conclusions</strong></p> <p class="texte">&nbsp;</p> <p class="texte">La probl&eacute;matique des mouvements de foule, telle qu&rsquo;elle se manifeste aujourd&rsquo;hui dans l&rsquo;essor des partis populistes en Europe et aux &Eacute;tats-Unis ou de mani&egrave;re plus ou moins r&eacute;currente dans la vie politique des pays de l&rsquo;h&eacute;misph&egrave;re sud, redonne chaque fois une actualit&eacute; au vieux d&eacute;bat sur la nature, les avantages et les d&eacute;rives de la souverainet&eacute; populaire. Comment d&eacute;finir le peuple&nbsp;? Peut-on se contenter de sa repr&eacute;sentation&nbsp;parlementaire&nbsp;? Doit-on croire tous ceux qui descendent dans la rue en pr&eacute;tendant parler en son nom&nbsp;? Les masses invoqu&eacute;es par les marxistes incarnent elles vraiment la marche de l&rsquo;histoire&nbsp;? Ne seraient-elles pas au contraire des foules incultes et irrationnelles &agrave; l&rsquo;assaut des normes l&eacute;gales et morales qui prot&egrave;gent l&rsquo;ordre politique et les valeurs de civilit&eacute;&nbsp;? Les r&eacute;flexions sur ce th&egrave;me remontent aux origines de la d&eacute;mocratie et comprennent des d&eacute;bats sur le cadre institutionnel et les proc&eacute;dures garantissant au mieux la souverainet&eacute; du peuple.</p> <p class="texte">Une chose est certaine&nbsp;: la nature et la dynamique des foules sont incertaines. Depuis la R&eacute;volution fran&ccedil;aise, ces mouvements ont &eacute;t&eacute; associ&eacute;s aux meilleures conqu&ecirc;tes de la libert&eacute;, mais aussi &agrave; des p&eacute;riodes de grands d&eacute;sordres politiques qui &eacute;branl&egrave;rent ou d&eacute;truisirent les assises de la d&eacute;mocratie, en particulier en invalidant le r&ocirc;le de ses instances repr&eacute;sentatives. Les pires exc&egrave;s de la Terreur suivirent de peu la prise de la Bastille. Les grandes r&eacute;volutions du <span style="font-variant:small-caps;">xix</span><sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle ont mis en mouvement des foules en qu&ecirc;te de libert&eacute;, mais dont la violence fut souvent difficile &agrave; contenir. En ao&ucirc;t 1914, &agrave; Paris, &agrave; Berlin et &agrave; Saint-P&eacute;tersbourg l&rsquo;enthousiasme des masses &eacute;tait incontestable dans les premiers jours de la mobilisation. Dans les ann&eacute;es qui suivirent, les &Eacute;tats bellig&eacute;rants ont impos&eacute; &agrave; des millions d&rsquo;hommes et de femmes les sacrifices d&rsquo;une guerre atroce. Apr&egrave;s les trait&eacute;s de paix, les r&eacute;gimes totalitaires ont poursuivi l&rsquo;embrigadement des masses, avant de mettre une fois encore l&rsquo;Europe et le monde &agrave; feu et &agrave; sang. Les &Eacute;tats qui naquirent de la d&eacute;colonisation, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pr&eacute;tendirent incarner la volont&eacute; de peuples &eacute;pris de libert&eacute; et leurs dirigeants devinrent les h&eacute;ros d&rsquo;un culte quasiment religieux. Ils eurent du mal &agrave; consolider leur souverainet&eacute; et furent souvent le th&eacute;&acirc;tre d&rsquo;&eacute;meutes, de guerres civiles et de g&eacute;nocides dans lesquels des foules fanatis&eacute;es jou&egrave;rent un r&ocirc;le important.</p> <p class="texte">Historiens et sociologues sont en d&eacute;saccord sur l&rsquo;interpr&eacute;tation de ces ph&eacute;nom&egrave;nes politiques. Ces disputes ont une dimension id&eacute;ologique puisqu&rsquo;elles concernent la souverainet&eacute; du peuple et surtout les conditions de son exercice. Mais elles recouvrent aussi des divergences d&rsquo;interpr&eacute;tation de ces mouvements collectifs. Certains chercheurs conf&egrave;rent &agrave; ces foules un objectif l&eacute;gitime, coh&eacute;rent et pleinement intelligible par l&rsquo;analyse du discours et des conditions socio&eacute;conomiques, alors que d&rsquo;autres mettent en cause cette rationalit&eacute; ou tout au moins la temp&egrave;rent en insistant sur les dimensions &eacute;motionnelles, impr&eacute;visibles et le plus souvent violentes de ces rassemblements al&eacute;atoires. Ils mobilisent la psychosociologie pour appr&eacute;hender leur dynamique singuli&egrave;re, en acceptant surtout l&rsquo;apport de la rupture &eacute;pist&eacute;mologique dans les sciences sociales inh&eacute;rente au d&eacute;veloppement de la psychanalyse.</p> <h1 class="texte">1. Les d&eacute;rives de la souverainet&eacute; populaire</h1> <p class="texte">Les manifestations de rue et les foules impr&eacute;visibles, la f&eacute;brilit&eacute; et l&rsquo;incoh&eacute;rence de la volont&eacute; populaire n&rsquo;ont cess&eacute; d&rsquo;&ecirc;tre une source d&rsquo;inqui&eacute;tude pour les penseurs lib&eacute;raux, et encore davantage pour les conservateurs. Apr&egrave;s la R&eacute;volution fran&ccedil;aise et l&rsquo;Empire, les lib&eacute;raux insist&egrave;rent sur le fait que la doctrine de souverainet&eacute; populaire avait l&eacute;gitim&eacute; une concentration funeste du pouvoir &eacute;tatique et engendr&eacute; une violence collective aveugle et absurde. Ils cherch&egrave;rent &agrave; en donner une d&eacute;finition restrictive en montrant que la souverainet&eacute; devient une source de despotisme lorsqu&rsquo;elle est illimit&eacute;e. Constant avait en t&ecirc;te les foules de la R&eacute;volution fran&ccedil;aise lorsqu&rsquo;il critiquait la doctrine de la souverainet&eacute; du peuple. La majorit&eacute; peut &ecirc;tre &laquo;&nbsp;factieuse&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a></sup> La souverainet&eacute; doit &ecirc;tre encadr&eacute;e, afin qu&rsquo;elle n&rsquo;empi&egrave;te pas sur l&rsquo;ind&eacute;pendance et l&rsquo;existence individuelle. &laquo;&nbsp;L&rsquo;action qui se fait au nom de tous&nbsp;&raquo; nourrit le despotisme d&rsquo;un seul. Ce fut l&rsquo;erreur de Rousseau dont les id&eacute;es de contrat social invoqu&eacute;es pour l&eacute;gitimer la libert&eacute; ont engendr&eacute; la tyrannie.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn2" id="bodyftn2">2</a></sup></p> <p class="texte">Tocqueville &eacute;tait fascin&eacute; par la d&eacute;mocratie, dont l&rsquo;avanc&eacute;e lui semblait irr&eacute;pressible. Il s&rsquo;en inqui&eacute;tait, car il ne croyait pas &agrave; &laquo;&nbsp;l&rsquo;infaillibilit&eacute; des masses&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn3" id="bodyftn3">3</a></sup> Il pr&eacute;disait que l&rsquo;autorit&eacute; des opinions publiques se substituerait &agrave; celle des dogmes religieux et des &eacute;lites intellectuelles. Il ne cache pas dans ses <em>Souvenirs</em> l&rsquo;angoisse qu&rsquo;il &eacute;prouve au moment de la r&eacute;volution de 1848 en observant les mouvements de foule et la pr&eacute;tention des ouvriers de Paris de repr&eacute;senter le peuple fran&ccedil;ais. &laquo;&nbsp;La foule se r&eacute;unissait tous les jours dans les rues et sur les places&nbsp;; elle s&rsquo;y retrouvait sans direction comme les flots de l&rsquo;oc&eacute;an dans la houle&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn4" id="bodyftn4">4</a></sup> Et pourtant lors de l&rsquo;insurrection de juin, qui prend la forme d&rsquo;une v&eacute;ritable guerre civile, il ne dissimule pas son admiration pour ces insurg&eacute;s qui combattent &laquo;&nbsp;sans cri de guerre, sans chefs, sans drapeaux et pourtant avec un ensemble merveilleux et une exp&eacute;rience militaire qui &eacute;tonna les plus vieux officiers.&nbsp;&raquo; Il y voit un &laquo;&nbsp;combat de classe&nbsp;&raquo; (&hellip;) un effort brutal et aveugle, mais puissant des ouvriers pour &eacute;chapper aux n&eacute;cessit&eacute;s de leur condition qu&rsquo;on leur avait d&eacute;peinte comme une oppression ill&eacute;gitime et pour s&rsquo;ouvrir par le fer un chemin vers ce bien-&ecirc;tre imaginaire qu&rsquo;on leur avait montr&eacute; de loin comme un droit.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn5" id="bodyftn5">5</a></sup></p> <p class="texte">Le suffrage universel reconnu en France par la r&eacute;volution de 1848 fait le lit des forces conservatrices et de la d&eacute;magogie, avant d&rsquo;assurer l&rsquo;&eacute;lection de Louis-Napol&eacute;on Bonaparte, puis son coup d&rsquo;&Eacute;tat. On ne s&rsquo;en inqui&egrave;te pas seulement dans les rangs des penseurs lib&eacute;raux. Les masses laborieuses incarnent pour Marx l&rsquo;esp&eacute;rance d&rsquo;une histoire universelle et d&rsquo;une humanit&eacute; r&eacute;concili&eacute;e avec elle-m&ecirc;me. Et pourtant dans le <em>Manifeste du parti communiste,</em> il &eacute;voque le &laquo;&nbsp;Lumpenprol&eacute;tariat&nbsp;&raquo;<em>,</em> &laquo;&nbsp;ce produit passif de la pourriture des couches inf&eacute;rieures de la vieille soci&eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn6" id="bodyftn6">6</a></sup> et dans <em>Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte</em>, il caract&eacute;rise ce sous-prol&eacute;tariat comme une population interlope, totalement d&eacute;pourvue de conscience de classe et de projet historique. Il s&rsquo;en prend &eacute;galement aux paysans &laquo;&nbsp;parcellaires&nbsp;&raquo; qui ont soutenu Louis-Napol&eacute;on et son coup d&rsquo;&Eacute;tat. Il le d&eacute;signe comme le &laquo;&nbsp;chef&nbsp;&raquo; de ce &laquo;&nbsp;Lumpenprol&eacute;tariat&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ce rebut, ce d&eacute;chet, cette &eacute;cume de toutes les classes de la soci&eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo; (&hellip;) de gens sans foi ni loi &laquo;&nbsp;des vagabonds, des soldats licenci&eacute;s, des for&ccedil;ats sortis du bagne (..),&nbsp;des souteneurs, des tenanciers de maisons publiques (&hellip;) des mendiants (&hellip;) une masse confuse, d&eacute;compos&eacute;e, flottante&hellip;&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn7" id="bodyftn7">7</a></sup></p> <p class="texte">Vers la fin du <span style="font-variant:small-caps;">xix</span><sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, les progr&egrave;s de la d&eacute;mocratie inqui&egrave;tent les milieux conservateurs, d&rsquo;autant que ce r&eacute;gime est associ&eacute; &agrave; des transformations structurelles de grande ampleur qui favorisent l&rsquo;irruption des masses dans la vie politique. L&rsquo;industrialisation, le d&eacute;veloppement des communications et l&rsquo;urbanisation entra&icirc;nent la mont&eacute;e en puissance des partis politiques et des syndicats, alors que l&rsquo;essor de la presse a pour cons&eacute;quence d&rsquo;amplifier l&rsquo;importance des pol&eacute;miques et antagonismes sociaux. Les foules s&rsquo;imposent plus que jamais comme un acteur important de la vie politique. En 1870, elles envahissent la rue pour encourager l&rsquo;empereur &agrave; faire la guerre &agrave; la Prusse. L&rsquo;insurrection de la Commune apr&egrave;s la d&eacute;faite, avec ses exactions, ses otages, ses ex&eacute;cutions sommaires et ses combats de rue mobilise des foules en col&egrave;re, au m&ecirc;me titre que la semaine sanglante de mai 1871. Ces &eacute;v&eacute;nements ravivent au sein des &eacute;lites intellectuelles et des sph&egrave;res dirigeantes la crainte de masses incontr&ocirc;lables et la m&eacute;moire traumatique de la Terreur.</p> <p class="texte">Taine s&rsquo;affirme comme le meilleur repr&eacute;sentant de cette vision.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn8" id="bodyftn8">8</a></sup> C&rsquo;est &agrave; la suite de ces &eacute;v&eacute;nements qu&rsquo;il s&rsquo;engage dans les recherches qui aboutiront &agrave; son &oelig;uvre magistrale&nbsp;en quatre volumes consacr&eacute;s &agrave; la R&eacute;volution fran&ccedil;aise&nbsp;: <em>Aux origines de la France contemporaine</em> (1875-1893). D&rsquo;inspiration positiviste, il pr&eacute;tend faire une histoire scientifique, fond&eacute;e sur une &eacute;tude approfondie des sources. Et pourtant de la r&eacute;volution, il ne reste rien de respectable. Il y voit le surgissement d&rsquo;une &laquo;&nbsp;anarchie spontan&eacute;e&nbsp;&raquo; que les foules pl&eacute;b&eacute;iennes, le plus souvent d&eacute;lirantes, vont dominer de part en part. Rien n&rsquo;est pire &agrave; ses yeux que le pouvoir de la rue, celui d&rsquo;une &laquo;&nbsp;populace&nbsp;&raquo; qui s&rsquo;engouffre dans le chaos engendr&eacute; par l&rsquo;effondrement du gouvernement. C&rsquo;est le retour &agrave; l&rsquo;&eacute;tat de nature.</p> <h1 class="texte">2. vers une psychologie des foules</h1> <p class="texte">La foule avait &eacute;t&eacute; jusqu&rsquo;alors un th&egrave;me essentiellement litt&eacute;raire et une figure des discours politiques. Elle devient un objet d&rsquo;analyse qui se pr&eacute;tend guid&eacute; par une d&eacute;marche scientifique. Gabriel de Tarde, auteur de nombreux ouvrage de sociologie et de psychologie sociale, publie en 1893 un article dans la <em>Revue des deux Mondes</em> intitul&eacute; &laquo;&nbsp;les foules et les sectes criminelles&nbsp;&raquo; dans lequel il souligne la pu&eacute;rilit&eacute;, la l&acirc;chet&eacute; et la bestialit&eacute; de ces &laquo;&nbsp;multitudes&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn9" id="bodyftn9">9</a></sup> La foule est r&eacute;ceptive aux id&eacute;es qui circulent en son sein de mani&egrave;re contagieuse. Elle est d&rsquo;ordinaire sous l&rsquo;influence d&rsquo;un meneur qui exerce sur elle une emprise de nature quasiment hypnotique. Lorsqu&rsquo;elle est lanc&eacute;e la foule &laquo;&nbsp;se met, naturellement, &agrave; casser les vitres, &agrave; d&eacute;truire tout ce qu&rsquo;elle peut.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn10" id="bodyftn10">10</a></sup> Elle peut aussi assumer des actes h&eacute;ro&iuml;ques. &laquo;&nbsp;Une nation moderne, sous l&rsquo;action prolong&eacute;e des id&eacute;es &eacute;galitaires, tend &agrave; redevenir une grande foule complexe, plus ou moins dirig&eacute;e par des meneurs nationaux ou locaux.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn11" id="bodyftn11">11</a></sup> Scipio Sighele d&eacute;veloppe alors des id&eacute;es semblables en insistant sur le fait que les individus n&rsquo;ont pas les m&ecirc;mes r&eacute;actions dans les foules, en raison des ph&eacute;nom&egrave;nes de contagion et de suggestion<em> </em>qui sont<em> </em>&agrave; l&rsquo;&oelig;uvre en leur sein dans ces multitudes.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn12" id="bodyftn12">12</a></sup></p> <p class="texte">En 1895, dans sa <em>Psychologie des foules</em>, Le Bon reprend &agrave; son compte cette th&eacute;matique de la foule, aussi bien que les id&eacute;es d&eacute;velopp&eacute;es par G. de Tarde et&nbsp;s.&nbsp;Sighele, en proposant toutefois une perspective innovante sur les dimensions inconscientes de la vie politique. Cet ouvrage conna&icirc;tra un immense succ&egrave;s, avec de tr&egrave;s nombreuses &eacute;ditions et traductions. &laquo;&nbsp;L&rsquo;&acirc;ge o&ugrave; nous entrons sera v&eacute;ritablement l&rsquo;&acirc;ge des foules&nbsp;&raquo;, affirme-t-il. Des gens rassembl&eacute;s en masse, pr&eacute;cise-t-il, ne constituent pas n&eacute;cessairement une foule. Pour cela, ils doivent partager des repr&eacute;sentations ou des aspirations communes.</p> <p class="texte">Les individus en foule ont &laquo;&nbsp;une unit&eacute; mentale&nbsp;&raquo; &laquo;&nbsp;une &acirc;me collective&nbsp;&raquo;. Ils ont pour caract&eacute;ristiques d&rsquo;&ecirc;tre instables, &eacute;motifs, impr&eacute;visibles et violents. Ils assument des positions gr&eacute;gaires et irrationnelles, d&eacute;laissant leurs rep&egrave;res socioculturels habituels.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn13" id="bodyftn13">13</a></sup> Ils perdent toute capacit&eacute; d&rsquo;autonomie. Ils abandonnent leur personnalit&eacute; et orientent leurs sentiments et leurs pens&eacute;es dans un m&ecirc;me sens. Ils ne sont pas conscients des mobiles qui d&eacute;terminent leur engagement. &laquo;&nbsp;Par le fait seul qu&rsquo;il fait partie d&rsquo;une foule, l&rsquo;homme descend de plusieurs degr&eacute;s sur l&rsquo;&eacute;chelle de la civilisation.&nbsp;&raquo; Ils deviennent instinctifs et &laquo;&nbsp;barbares&nbsp;&raquo;. &laquo;&nbsp;C&rsquo;est ainsi que, parmi les plus f&eacute;roces Conventionnels se trouvaient d&rsquo;inoffensifs bourgeois, qui, dans les circonstances ordinaires, eussent &eacute;t&eacute; de pacifiques notaires ou de vertueux magistrats.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn14" id="bodyftn14">14</a></sup> Dans la foule, les individus &eacute;prouvent un sentiment de toute-puissance et d&rsquo;exaltation qui les autorisent &agrave; donner libre cours &agrave; leurs passions. Ils ob&eacute;issent &agrave; un ph&eacute;nom&egrave;ne de contagion mentale qui rel&egrave;ve de l&rsquo;hypnose. Ils sont perm&eacute;ables &agrave; toutes les formes de suggestion.</p> <p class="texte">Les foules sont donc irrationnelles&nbsp;et inconstantes, port&eacute;es &agrave; succomber aux violences les plus extr&ecirc;mes pour des id&eacute;aux nobles ou n&eacute;fastes. Elles sont cr&eacute;dules, influenc&eacute;es par des id&eacute;es et des sentiments d&rsquo;inspiration religieuse, emport&eacute;es par l&rsquo;imaginaire et les hallucinations collectives.&nbsp;Elles suivent des &laquo;&nbsp;meneurs&nbsp;&raquo;, des hommes d&rsquo;action qui se recrutent le plus souvent parmi les &laquo;&nbsp;n&eacute;vros&eacute;s&nbsp;&raquo;, des &laquo;&nbsp;rh&eacute;teurs subtils, ne poursuivant que leurs int&eacute;r&ecirc;ts personnels et cherchant &agrave; persuader les individus qui les composent en flattant leurs bas instincts.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn15" id="bodyftn15">15</a></sup> Elles profitent de l&rsquo;indiscipline et de la d&eacute;ch&eacute;ance de la culture. Au temps du suffrage universel et des id&eacute;es nouvelles &laquo;&nbsp;le droit divin des foules remplace le droit divin des rois.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn16" id="bodyftn16">16</a></sup> Les foules &laquo;&nbsp;agissent comme ces microbes qui activent la dissolution des corps d&eacute;bilit&eacute;s ou des cadavres.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn17" id="bodyftn17">17</a></sup> Pour toutes ces raisons, Le Bon croit pouvoir annoncer l&rsquo;&egrave;re des foules, des mouvements dont l&rsquo;influence politique est devenue irr&eacute;sistible et qui risquent d&rsquo;emporter la civilisation occidentale.</p> <h1 class="texte">3. L&rsquo;apport de la psychanalyse</h1> <p class="texte">C&rsquo;est peu apr&egrave;s la Premi&egrave;re guerre mondiale que Freud va reprendre cette r&eacute;flexion sur les mouvements de foule, mais d&eacute;j&agrave; en 1915, alors que les &Eacute;tats bellig&eacute;rants ont mobilis&eacute; des millions de soldats et que l&rsquo;espoir de la fin des hostilit&eacute;s se dissipe, il s&rsquo;interroge sur la vuln&eacute;rabilit&eacute; des institutions et des id&eacute;aux de civilisation dans un petit essai intitul&eacute; <em>Consid&eacute;rations actuelles sur la guerre et la mort.</em> La guerre devait &ecirc;tre courte, mais peu de mois apr&egrave;s son commencement il appara&icirc;t qu&rsquo;elle n&rsquo;a pas d&rsquo;issue et prend des aspects monstrueux.</p> <p class="texte">Freud a partag&eacute; l&rsquo;euphorie des foules au moment de la d&eacute;claration de la guerre. Son engagement a &eacute;t&eacute; d&rsquo;autant plus fort que ses trois fils &eacute;taient mobilis&eacute;s dans l&rsquo;arm&eacute;e et que la propagande ennemie, celle de la France surtout, s&rsquo;en prenait &agrave; la &laquo;&nbsp;barbarie&nbsp;&raquo; des puissances centrales, mettant en cause la culture allemande dans son ensemble, une attaque qui heurta son patriotisme. Il continuera d&rsquo;esp&eacute;rer en la victoire des puissances centrales, mais dut finalement se r&eacute;signer &agrave; leur d&eacute;faite. D&egrave;s la fin de l&rsquo;ann&eacute;e 1914, Freud &eacute;crit &agrave; Lou Andreas Salom&eacute;&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;humanit&eacute;, je n&rsquo;en doute pas se remettra m&ecirc;me de cette guerre, mais je suis certain que ni moi ni mes contemporains ne retrouverons un monde heureux. Tout est trop horrible.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn18" id="bodyftn18">18</a></sup> Le p&egrave;re de la psychanalyse est un h&eacute;ritier des Lumi&egrave;res profond&eacute;ment attach&eacute; aux valeurs de la culture europ&eacute;enne, aux id&eacute;aux de la raison, de l&rsquo;humanisme et de la libert&eacute;. Or la guerre est en passe d&rsquo;an&eacute;antir ces conqu&ecirc;tes. Les &Eacute;tats ont en effet aboli tous les principes de droit et d&rsquo;humanit&eacute; qui avaient &eacute;t&eacute; &eacute;difi&eacute;s pour assurer la vie en soci&eacute;t&eacute;. Ils autorisent et m&ecirc;me exigent un d&eacute;cha&icirc;nement de pulsions agressives. Freud en &eacute;prouve un grand d&eacute;senchantement. &laquo;&nbsp;Il semble que jamais encore un &eacute;v&eacute;nement n&rsquo;aura d&eacute;truit tant du pr&eacute;cieux bien commun de l&rsquo;humanit&eacute;, fourvoy&eacute; tant d&rsquo;esprits parmi les plus lucides, r&eacute;duit si bas ce qui est &eacute;lev&eacute;.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn19" id="bodyftn19">19</a></sup> Cette guerre s&rsquo;impose comme un ph&eacute;nom&egrave;ne de masse, mais elle d&eacute;montre surtout la fragilit&eacute; des digues prot&eacute;geant la civilisation, celles que les institutions et la morale avaient jusqu&rsquo;alors r&eacute;prim&eacute;es ou endigu&eacute;es&nbsp;: &laquo;&nbsp;Tout se passe (&hellip;) comme si l&rsquo;ensemble des acquis de la moralit&eacute; s&rsquo;effa&ccedil;aient d&egrave;s que l&rsquo;on rassemble une pluralit&eacute;, voire des millions d&rsquo;hommes, et que seules demeuraient les dispositions psychiques les plus primitives, les plus archa&iuml;ques et les plus grossi&egrave;res.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn20" id="bodyftn20">20</a></sup></p> <p class="texte">C&rsquo;est l&rsquo;occasion pour Freud de rappeler que l&rsquo;apprentissage de la vie en soci&eacute;t&eacute; est un processus laborieux et douloureux. Les lois et la justice des &Eacute;tats sont n&eacute;cessaires pour arbitrer les conflits d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts et de valeurs entre les individus, aussi bien que pour assurer la r&eacute;partition de leurs ressources&nbsp;mat&eacute;rielles. Les institutions sont essentielles au travail de symbolisation qui rend possible le maintien de l&rsquo;ordre social et les progr&egrave;s de la culture. &quot;La civilisation est un acquis du renoncement &agrave; la satisfaction des pulsions, et elle exige de chaque nouveau venu qu&rsquo;il accomplisse le m&ecirc;me renoncement.&nbsp;&raquo; Elle n&rsquo;a pu na&icirc;tre et se d&eacute;velopper que gr&acirc;ce &agrave; la renonciation &agrave; la satisfaction de certains besoins.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn21" id="bodyftn21">21</a></sup> Cet effort de &laquo;&nbsp;renoncement pulsionnel&nbsp;&raquo;&nbsp;implique un travail de sublimation des forces agressives et des d&eacute;sirs &eacute;rotiques. En r&eacute;alit&eacute;, toutes les constructions culturelles, en particulier les tabous, l&rsquo;&eacute;thique, la philosophie et le droit peuvent constituer des barri&egrave;res entravant ces instincts et ces pulsions.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn22" id="bodyftn22">22</a></sup> La religion est bien &eacute;videmment un aspect de la civilisation, au m&ecirc;me titre que la morale, puisqu&rsquo;elle cristallise les interdits les plus puissants de la culture, tout en canalisant les besoins et les d&eacute;sirs individuels. Lorsqu&rsquo;il n&rsquo;existe plus d&rsquo;autorit&eacute; politique ni de r&egrave;gles morales pour maintenir l&rsquo;ordre politique, l&rsquo;homme devient un &ecirc;tre asocial et cruel. La guerre ne d&eacute;montre pas seulement la force des instincts et des besoins pulsionnels individuels, mais aussi les d&eacute;faillances des m&eacute;canismes institutionnels n&eacute;cessaires au maintien de l&rsquo;ordre politique. Les &Eacute;tats bellig&eacute;rants n&rsquo;ont-ils pas autoris&eacute; et m&ecirc;me impos&eacute; la lib&eacute;ration des pulsions agressives&nbsp;? Or &laquo;&nbsp;quand la communaut&eacute; supprime le bl&acirc;me, cesse &eacute;galement la r&eacute;pression des app&eacute;tits mauvais, et les hommes commettent des actes de cruaut&eacute;, de perfidie, de trahison et de brutalit&eacute; dont la possibilit&eacute; e&ucirc;t &eacute;t&eacute; tenue pour inconciliable avec leur niveau de culture.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn23" id="bodyftn23">23</a></sup></p> <p class="texte">Il faut ajouter dans ce contexte que les institutions et les exigences normatives sont lourdes &agrave; supporter, puisqu&rsquo;elles imposent des barri&egrave;res aux instincts et aux exigences pulsionnelles des individus en les obligeant &agrave; les r&eacute;primer ou &agrave; les endiguer dans la poursuite d&rsquo;activit&eacute;s socialement tol&eacute;rables. C&rsquo;est le th&egrave;me qu&rsquo;il d&eacute;veloppera dans <em>Malaise dans la culture, </em>publi&eacute;<em> </em>en 1930. Il met &agrave; jour les conflits psychiques engendr&eacute;s par ces processus civilisateurs, le &laquo;&nbsp;malaise&nbsp;&raquo; engendr&eacute; par la r&eacute;pression des d&eacute;sirs. Les contraintes de civilisation impliquent en effet d&rsquo;importants sacrifices. Or les individus ressentent le poids des normes et des restrictions qu&rsquo;elle impose. Le ressentiment qu&rsquo;ils en &eacute;prouvent est d&rsquo;autant plus fort que les institutions et leurs r&egrave;gles sont in&eacute;quitables et qu&rsquo;elles ne permettent pas d&rsquo;assouvir leurs aspirations mat&eacute;rielles.</p> <h2 class="texte">3.1. La foule, espace de r&eacute;gression</h2> <p class="texte">En Europe centrale, la fin de la guerre prolonge une p&eacute;riode de grande instabilit&eacute; politique et sociale, marqu&eacute;e par l&rsquo;effondrement des monarchies en Allemagne et en Autriche Hongrie, par des gr&egrave;ves et des insurrections qui sont entretenues par un climat de mis&egrave;re, de famine et d&rsquo;&eacute;pid&eacute;mies. Freud r&eacute;dige alors un petit ouvrage intitul&eacute;&nbsp;<em>Psychologie collective et analyse du moi, </em>un essai<em> </em>dans lequel il<em> </em>approfondit la probl&eacute;matique des rapports entre l&rsquo;individu et la soci&eacute;t&eacute;, en soulignant que la psychologie individuelle est une psychologie sociale.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn24" id="bodyftn24">24</a></sup> Les individus sont en effet engag&eacute;s dans des processus de socialisation complexes, en partie al&eacute;atoires et changeants. Ils sont de ce fait expos&eacute;s &agrave; une grande vari&eacute;t&eacute; de mod&egrave;les d&rsquo;autorit&eacute; et &agrave; des choix d&rsquo;all&eacute;geance identitaire multiples. Les parents, eux-m&ecirc;mes tributaires d&rsquo;un h&eacute;ritage transg&eacute;n&eacute;rationnel, jouent un r&ocirc;le important &agrave; cet &eacute;gard.</p> <p class="texte">Freud reprend &agrave; son compte une bonne partie des consid&eacute;rations de Le Bon ou de William McDougall sur les foules. Il reconna&icirc;t qu&rsquo;elles ont &laquo;&nbsp;une conscience collective&nbsp;&raquo; et que la psychologie des individus se transforme en leur sein.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn25" id="bodyftn25">25</a></sup> Il reconna&icirc;t &eacute;galement qu&rsquo;elles sont impulsives, influen&ccedil;ables, d&eacute;pourvues de sens critique. Les foules se bercent d&rsquo;illusions. Elles poursuivent de grands id&eacute;aux, mais assument &eacute;galement la d&eacute;ch&eacute;ance d&rsquo;actions n&eacute;fastes et cruelles. Ces mouvements sont impr&eacute;visibles, car ils sont sous l&rsquo;emprise d&rsquo;une affectivit&eacute; indomptable. Freud partage avec Le Bon l&rsquo;angoisse de ces mouvements incoh&eacute;rents, irrationnels et violents, vou&eacute;s &agrave; emporter les digues d&rsquo;un ordre civilis&eacute;. Comme le rappelle Peter Gay, il n&rsquo;avait gu&egrave;re d&rsquo;affinit&eacute; pour &laquo;&nbsp;das bl&ouml;de Volk&nbsp;&raquo; la pl&egrave;be stupide<sup><a class="footnotecall" href="#ftn26" id="bodyftn26">26</a></sup> et sa m&eacute;fiance &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des masses transpara&icirc;t &eacute;galement dans <em>Malaise dans la culture</em>.</p> <p class="texte">Il ne se contente pas d&rsquo;expliquer le comportement des foules en se r&eacute;f&eacute;rant comme Le Bon et McDougall aux ph&eacute;nom&egrave;nes de contagion. Ces groupes &agrave; le suivre peuvent &ecirc;tre structur&eacute;s par des contraintes ext&eacute;rieures importantes, mais l&rsquo;essentiel de leur coh&eacute;sion est d&eacute;termin&eacute; par des attachements d&rsquo;ordre affectif. Il montre que &laquo;&nbsp;l&rsquo;essence d&rsquo;une foule consiste dans les liens libidineux qui la traversent de part en part&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn27" id="bodyftn27">27</a></sup>&nbsp;Dans les foules, les individus perdent leur assise identitaire. Leur affectivit&eacute; prend le dessus sur leur capacit&eacute; de discernement. Ils &eacute;prouvent un sentiment de toute-puissance. Ce processus r&eacute;gressif amenuise leurs moyens intellectuels, leur esprit de responsabilit&eacute;.</p> <p class="texte">Les foules sont plus ou moins organis&eacute;es et homog&egrave;nes. De mani&egrave;re surprenante, il associe &agrave; des foules des communaut&eacute;s hautement structur&eacute;es, telles que l&rsquo;&eacute;glise et l&rsquo;arm&eacute;e. Dans ces foules, les individus partagent la m&ecirc;me illusion&nbsp;: ils croient &ecirc;tre aim&eacute;s d&rsquo;un amour &eacute;gal par celui qui dirige la communaut&eacute;, le commandant en chef de l&rsquo;arm&eacute;e ou l&rsquo;autorit&eacute; spirituelle invisible du Christ dans l&rsquo;&eacute;glise. Ainsi, la coh&eacute;sion des arm&eacute;es ne tient pas seulement par la propagande, par la discipline, par la complexit&eacute; des hi&eacute;rarchies, par les raisons que les &Eacute;tats avancent pour l&eacute;gitimer leur engagement, elle est &eacute;galement maintenue par les illusions que mobilisent leurs dirigeants. Dans ces foules, les individus ont en effet tendance &agrave; r&eacute;gresser vers des positions infantiles &agrave; l&rsquo;&eacute;gard leur chef qui devient l&rsquo;objet de leur id&eacute;alisation. Lorsqu&rsquo;ils perdent leur illusion d&rsquo;&ecirc;tre aim&eacute;s et prot&eacute;g&eacute;s par leur chef leur ob&eacute;issance &agrave; son &eacute;gard prend fin. Les mouvements de panique en situation de guerre sont une expression de ce ph&eacute;nom&egrave;ne. Dans ces circonstances, la foule se d&eacute;sagr&egrave;ge, car les ordres du chef ne sont plus ob&eacute;is et chaque individu r&eacute;pond &agrave; la n&eacute;cessit&eacute; du sauve-qui-peut. Cette panique ne r&eacute;sulte pas n&eacute;cessairement d&rsquo;un danger de grande ampleur, mais traduit la d&eacute;composition des liens libidinaux qui unissaient la foule &agrave; son chef.</p> <p class="texte">Freud se r&eacute;f&egrave;re au d&eacute;veloppement psychologique de la petite enfance pour expliquer ce ph&eacute;nom&egrave;ne d&rsquo;id&eacute;alisation. Il recourt &agrave; la notion d&rsquo;&laquo;&nbsp;Hilflosigkeit&nbsp;&raquo;<em> </em>qui traduit la vuln&eacute;rabilit&eacute;, voire la d&eacute;tresse que le petit enfant a &eacute;prouv&eacute;e dans sa d&eacute;pendance &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de ses parents. Ainsi, les soldats ob&eacute;issent &agrave; leur commandement parce qu&rsquo;ils croient en sa protection et s&rsquo;identifient &agrave; ses id&eacute;aux. Leur ob&eacute;issance implique un remplacement des instances de conscience individuelle &mdash;&nbsp;ce que Freud appelle l&rsquo;id&eacute;al du moi&nbsp;&mdash;, par les id&eacute;aux de celui qui assume le commandement du groupe. Dans ces ph&eacute;nom&egrave;nes de r&eacute;gression communautaire, les instances de la conscience morale des individus sont affaiblies au profit d&rsquo;un &laquo;&nbsp;id&eacute;al du moi&nbsp;&raquo; grandiose, d&rsquo;essence narcissique, qui est celui propos&eacute; par le leader du groupe. Freud associe &eacute;galement cette d&eacute;pendance &agrave; celle qui s&rsquo;exprime dans l&rsquo;&eacute;tat amoureux, quand un individu &eacute;prouve des sentiments de fascination pour la personne aim&eacute;e.</p> <p class="texte">Les consid&eacute;rations de Freud sur les affects qui tiennent les foules ne sont pas dissociables de son analyse des ph&eacute;nom&egrave;nes de d&eacute;pendance religieuse. Confront&eacute;s aux forces de la nature et aux al&eacute;as de l&rsquo;existence, &agrave; des situations d&rsquo;ins&eacute;curit&eacute; sociale ou des exp&eacute;riences d&rsquo;anxi&eacute;t&eacute; et de frustration, les individus cherchent le secours d&rsquo;une instance tut&eacute;laire dou&eacute;e de pouvoirs magiques capable d&rsquo;apporter la s&eacute;curit&eacute; &agrave; laquelle ils aspirent. Ils projettent sur un Dieu tout-puissant, sur des chefs providentiels, ou sur des images mystiques de nature maternelle et apaisante, leurs besoins et d&eacute;sirs de protection. Les pratiques religieuses refl&egrave;tent la tentative des &ecirc;tres humains de se &laquo;&nbsp;prot&eacute;ger contre la souffrance par une reconfiguration d&eacute;lirante de la r&eacute;alit&eacute;&nbsp;&raquo;. Les id&eacute;ologies, &laquo;&nbsp;les religions de l&rsquo;humanit&eacute;&nbsp;&raquo;, assument la m&ecirc;me fonction.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn28" id="bodyftn28">28</a></sup> C&rsquo;est aussi la raison pour laquelle le culte de la personnalit&eacute; est une tendance lourde de la vie politique. L&rsquo;id&eacute;alisation est donc un facteur important des processus d&rsquo;int&eacute;gration sociale, puisqu&rsquo;elle influence la construction des identit&eacute;s individuelles et collectives.&nbsp;</p> <p class="texte">Dans la perspective de Freud, le chef id&eacute;alis&eacute; peut &ecirc;tre remplac&eacute; fantasmatiquement par l&rsquo;emprise d&rsquo;une id&eacute;e. La foule est alors unie par l&rsquo;adh&eacute;sion &agrave; un syst&egrave;me id&eacute;ologique, par des aspirations mystiques, religieuses ou politiques communes. Ainsi, cette notion ne renvoie plus seulement &agrave; des masses embrigad&eacute;es, celles qui marchent au pas dans les arm&eacute;es ou qui protestent dans la rue. Elle est &eacute;galement assimil&eacute;e par Freud &agrave; une communaut&eacute; imaginaire, puisqu&rsquo;elle rassemble des gens qui ne se connaissent pas, mais qui partagent les m&ecirc;mes h&eacute;ros, les m&ecirc;mes id&eacute;aux et surtout les m&ecirc;mes illusions. C&rsquo;est le cas des militants de partis, des confr&eacute;ries intellectuelles ou religieuses domin&eacute;es par la personnalit&eacute; d&rsquo;un ma&icirc;tre &agrave; penser ou d&rsquo;un gourou. Il existe aussi des foules &eacute;ph&eacute;m&egrave;res dont le cours est impr&eacute;visible, celles qui inondent la rue pour une manifestation de protestation, celles des r&eacute;unions politiques, celles de concerts au cours desquels les spectateurs s&rsquo;enthousiasment pour le chanteur qui devient leur idole.</p> <p class="texte">Freud n&rsquo;approfondit pas l&rsquo;analyse des liens entre le chef de la foule et les croyances qu&rsquo;il propage. Dans la Grande Guerre, la nation mobilisa des fantasmagories qui n&rsquo;&eacute;taient pas uniquement d&rsquo;essence paternelle. L&rsquo;emprise g&eacute;n&eacute;rale du nationalisme &eacute;tait alors d&rsquo;autant plus forte que cette id&eacute;ologie entretenait un fantasme de fusion communautaire d&rsquo;essence maternelle. Il est par ailleurs &eacute;tonnant que Freud ait associ&eacute; le Christ au p&egrave;re de la horde primitive alors que les croyants voient en lui le fils de Dieu et que les chr&eacute;tiens sont &laquo;&nbsp;fr&egrave;res en Christ&nbsp;&raquo;.</p> <h2 class="texte">3.2. L&rsquo;illusion de la toute-puissance</h2> <p class="texte">La probl&eacute;matique du narcissisme s&rsquo;impose dans cette r&eacute;flexion sur les foules. L<em>&rsquo;id&eacute;al du moi</em> est pour Freud &laquo;&nbsp;l&rsquo;h&eacute;ritier du narcissisme&nbsp;&raquo; &agrave; savoir d&rsquo;un stade du d&eacute;veloppement psychique au cours duquel l&rsquo;enfant est en symbiose avec la m&egrave;re. Il joue un r&ocirc;le d&eacute;cisif dans la dynamique de ces ph&eacute;nom&egrave;nes collectifs, dans l&rsquo;emprise des croyances religieuses et des id&eacute;ologies. En s&rsquo;identifiant &agrave; des figures et des id&eacute;aux exceptionnels, les membres de la foule assument des engagements id&eacute;ologiques ou moraux qui leur apportent des gratifications personnelles. Ils peuvent se comparer favorablement &agrave; ceux qui eux ne partagent pas leur identit&eacute; collective. Leurs id&eacute;aux ont donc une analogie avec le narcissisme individuel de la premi&egrave;re enfance. Ils en gardent la d&eacute;mesure, l&rsquo;irr&eacute;alit&eacute; et l&rsquo;omnipotence, un ph&eacute;nom&egrave;ne qui &eacute;claire le sentiment de toute-puissance qui saisit les individus dans la foule. Ainsi, les fid&egrave;les s&rsquo;inventent une sp&eacute;cificit&eacute;, une spiritualit&eacute; de haute valeur qui les valorisent. Les nationalistes mettent en avant leur dignit&eacute; individuelle et collective. La nation, l&rsquo;ethnie, la communaut&eacute; religieuse et d&rsquo;autres groupes id&eacute;ologiques sectaires offrent le r&eacute;confort et l&rsquo;assise narcissique de grands id&eacute;aux, d&rsquo;esp&eacute;rances protectrices. Ces illusions sont constitutives des identit&eacute;s collectives. Elles sont investies comme des aspirations pr&eacute;cieuses et non n&eacute;gociables, dont la d&eacute;fense suscite n&eacute;cessairement de l&rsquo;agressivit&eacute;.</p> <p class="texte">Le d&eacute;sir d&rsquo;unit&eacute;, que l&rsquo;on retrouve &agrave; des degr&eacute;s divers en toute communaut&eacute;, serait une nostalgie du sentiment de compl&eacute;tude inh&eacute;rent &agrave; la relation fusionnelle avec la m&egrave;re de la petite enfance. Or l&rsquo;harmonie suscit&eacute;e par cette pl&eacute;nitude est par essence &eacute;ph&eacute;m&egrave;re&nbsp;; elle est donc menac&eacute;e et c&rsquo;est la raison pour laquelle il n&rsquo;y a gu&egrave;re de place pour la tol&eacute;rance dans l&rsquo;univers narcissique. Une chose est certaine&nbsp;: les communaut&eacute;s se maintiennent en campant sur leurs fronti&egrave;res, en exag&eacute;rant leur sp&eacute;cificit&eacute; et cultivant leur agressivit&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des groupes &eacute;trangers. Elles pr&ecirc;tent aux minorit&eacute;s vivant au sein de leur &Eacute;tat des intentions subversives de l&rsquo;ordre &eacute;tabli. Elles en font des boucs &eacute;missaires de leurs difficult&eacute;s, projetant sur elles toutes sortes d&rsquo;attitudes et d&rsquo;intentions mal&eacute;fiques. Leur coh&eacute;sion tient &agrave; l&rsquo;hostilit&eacute; qu&rsquo;elles peuvent d&eacute;ployer &agrave; l&rsquo;encontre des gens qui lui sont &eacute;trangers. Cette r&eacute;alit&eacute; affective explique aussi les d&eacute;rapages de violence inh&eacute;rents &agrave; certains fanatismes communautaires, notamment les crimes que peuvent &ecirc;tre amen&eacute;s &agrave; commettre les individus embrigad&eacute;s dans ces groupes. La haine que les nationalistes ont d&eacute;ploy&eacute;e &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des &Eacute;tats &eacute;trangers et surtout des minorit&eacute;s int&eacute;rieures fut une expression de cette fantasmagorie. Les jacobins ont d&eacute;velopp&eacute; sous la Terreur une crainte parano&iuml;aque du complot int&eacute;rieur. Depuis la fin du <span style="font-variant:small-caps;">xix</span><sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, les nationalistes en France et en Allemagne attribu&egrave;rent aux juifs des intentions subversives et les rendirent responsables d&rsquo;intrigues mal&eacute;fiques. Ils avaient besoin de ces minorit&eacute;s pour conforter la valeur de leur identit&eacute; nationale. On constate le m&ecirc;me ph&eacute;nom&egrave;ne dans les partis politiques. En r&eacute;alit&eacute;, toute forme d&rsquo;int&eacute;gration politique comprend une exclusion, plus ou moins lourde et d&eacute;finitive, de ceux qui sont consid&eacute;r&eacute;s comme &eacute;trangers &agrave; la communaut&eacute;.</p> <p class="texte">Les foules n&rsquo;ont pas pour seule inclination la soumission passive aux d&eacute;tenteurs de l&rsquo;autorit&eacute;. Il est fr&eacute;quent qu&rsquo;elles se mettent en mouvement pour renverser les tyrans et les institutions qui se dressent contre leurs besoins et leurs d&eacute;sirs. Dans les &eacute;pisodes r&eacute;volutionnaires, elles rassemblent des gens qui combattent pour leur libert&eacute; et leur souverainet&eacute; collective. Cette r&eacute;volte r&eacute;pond &eacute;galement &agrave; un besoin de reconnaissance et d&rsquo;&eacute;mancipation que partagent &agrave; des degr&eacute;s divers tous les &ecirc;tres humains. En l&rsquo;associant &agrave; la r&eacute;volte &oelig;dipienne contre le p&egrave;re, Freud ne diminue pas la signification de cette aspiration &agrave; la dignit&eacute;. Il explique sa dimension collective en &eacute;voquant le mythe de la horde primitive qu&rsquo;il emprunte &agrave; Darwin, le r&eacute;cit d&rsquo;un temps originaire domin&eacute; par un p&egrave;re tout puissant qui accaparait &agrave; lui seul toutes les femmes en privant ses fils de toute libert&eacute;. Un jour ces derniers s&rsquo;unirent pour renverser et tuer ce tyran, avant de mettre en place les premi&egrave;res institutions interdisant cette violence paternelle. &laquo;&nbsp;De m&ecirc;me que l&rsquo;homme primitif survit virtuellement dans chaque individu, de m&ecirc;me toute foule humaine est capable de reconstituer la horde primitive.&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn29" id="bodyftn29">29</a></sup> Ainsi, la solidarit&eacute; des membres de la foule ne tient pas seulement &agrave; des rapports ambivalents &agrave; leur chef, mais &eacute;galement aux liens d&rsquo;identification mutuels qu&rsquo;ils &eacute;tablissent sur un mode fraternel. C&rsquo;est particuli&egrave;rement vrai dans les communaut&eacute;s religieuses. Au sein des arm&eacute;es, les soldats, qui portent le m&ecirc;me uniforme, d&eacute;veloppent &eacute;galement un esprit de camaraderie qui rel&egrave;ve de ces liens d&rsquo;identification fraternels.</p> <h2 class="texte">3.3. Les foules idol&acirc;tres de l&rsquo;entre-deux-guerres</h2> <p class="texte">Lorsqu&rsquo;il publia son essai sur la foule en 1921, Freud ne pouvait anticiper le ph&eacute;nom&egrave;ne de soumission idol&acirc;tre des masses &agrave; des dictateurs issus du peuple, tel qu&rsquo;il allait s&rsquo;&eacute;panouir en Europe les ann&eacute;es suivantes. Mussolini, Hitler, Staline et leurs &eacute;mules allaient bient&ocirc;t mobiliser les masses et assurer le culte de leur personnalit&eacute; falote par la contrainte et l&rsquo;excitation des &eacute;motions collectives. Ainsi, l&rsquo;adoration que les nationaux-socialistes vouent &agrave; leur F&uuml;hrer devint un ph&eacute;nom&egrave;ne politique &eacute;norme qui illustra pleinement les hypoth&egrave;ses freudiennes relatives &agrave; la r&eacute;gression des foules.</p> <p class="texte">La soumission des masses &agrave; la puissance magique des dirigeants totalitaires n&rsquo;a pas &eacute;chapp&eacute; aux observateurs et historiens de cette &eacute;poque. Apr&egrave;s la remilitarisation de la Rh&eacute;nanie, l&rsquo;&eacute;crivain Denis de Rougemont &eacute;crit dans ses carnets&nbsp;apr&egrave;s avoir particip&eacute; &agrave; un rassemblement &agrave; Nuremberg&nbsp;: &laquo;&nbsp;Je me croyais &agrave; un meeting de masse, &agrave; quelque manifestation politique. <em>Mais c&rsquo;est leur culte qu&rsquo;ils c&eacute;l&egrave;brent&nbsp;!</em>&nbsp;&raquo; De Rougemont a &eacute;galement l&rsquo;intuition des aspects &eacute;rotiques de la fascination exerc&eacute;e par Hitler sur les foules rassembl&eacute;es &agrave; Nuremberg pour l&rsquo;adorer&nbsp;: &laquo;&nbsp;(...) Je n&rsquo;oublierai plus ce &quot;cri&quot;, cette clameur instantan&eacute;e de quarante mille humains dress&eacute;s d&rsquo;un seul &eacute;lan. &quot;Une &egrave;re nouvelle commence ici&hellip;&quot; Non, ce n&rsquo;est pas de haine qu&rsquo;il s&rsquo;agit, mais d&rsquo;amour. J&rsquo;ai entendu le r&acirc;le d&rsquo;amour de l&rsquo;&acirc;me des masses, le sombre et puissant r&acirc;le d&rsquo;une nation poss&eacute;d&eacute;e par l&rsquo;Homme au sourire extasi&eacute;, lui le pur et le simple, l&rsquo;ami et le lib&eacute;rateur invincible&hellip;&nbsp;&raquo;<sup><a class="footnotecall" href="#ftn30" id="bodyftn30">30</a></sup> C&rsquo;est bien une relation amoureuse qui se noua entre Hitler et les foules du <span style="font-variant:small-caps;">iii</span><sup>e</sup> Reich, comme en t&eacute;moignent les extases collectives des mouvements de masse organis&eacute;s sous son &eacute;gide. Les dimensions id&eacute;ologiques du nazisme furent vraisemblablement moins importantes que les affects qu&rsquo;il mobilisa&nbsp;: le besoin de puissance, le culte de la nation et de l&rsquo;h&eacute;ro&iuml;sme, l&rsquo;identit&eacute; grandiose du peuple aryen, les sentiments d&rsquo;agressivit&eacute; &agrave; l&rsquo;encontre des autres nations, la haine des Juifs et d&rsquo;autres minorit&eacute;s. On peut aussi faire l&rsquo;hypoth&egrave;se que les foules en question n&rsquo;&eacute;taient pas tant ciment&eacute;es par l&rsquo;idol&acirc;trie d&rsquo;une figure paternelle incarn&eacute;e par le F&uuml;hrer que par une repr&eacute;sentation id&eacute;alis&eacute;e de la nation, une fantasmagorie d&rsquo;essence essentiellement maternelle.</p> <p class="texte">Ortega y Gasset publie en 1929 <em>La r&eacute;volte des masses</em>. Il d&eacute;nonce dans cet essai l&rsquo;irruption sur la sc&egrave;ne politique de gens m&eacute;diocres, violents, vulgaires, mat&eacute;rialistes, d&eacute;pourvus de perspective historique.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn31" id="bodyftn31">31</a></sup> L&rsquo;&eacute;crivain espagnol est un lib&eacute;ral, attach&eacute; &agrave; la d&eacute;fense de l&rsquo;Europe et de sa civilisation, mais sa vision aristocratique de la politique est entretenue par la crise des d&eacute;mocraties et la mont&eacute;e en puissance des r&eacute;gimes autoritaires. Les masses profitent de la d&eacute;mission des &eacute;lites et minent les institutions d&eacute;mocratiques.&nbsp;Karl Mannheim, r&eacute;fugi&eacute; en Angleterre, d&eacute;veloppe dans le m&ecirc;me temps une critique de la soci&eacute;t&eacute; de masse qui n&rsquo;est pas sans rappeler certaines analyses de Le Bon. La strat&eacute;gie d&rsquo;Hitler, explique-t-il, a bris&eacute; la r&eacute;sistance des individus en d&eacute;structurant la famille, les &eacute;glises et les partis politiques. Les communistes ont fait de m&ecirc;me. Or un individu sans un groupe est comme un &laquo;&nbsp;crabe sans sa coquille&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn32" id="bodyftn32">32</a></sup> Certains th&eacute;oriciens de l&rsquo;&Eacute;cole de Frankfort exil&eacute;s aux &Eacute;tats-Unis font alors des emprunts fragmentaires aux id&eacute;es de Freud sur les foules, mais sans abandonner leurs conceptions marxistes ou le versant id&eacute;aliste de leur philosophie d&rsquo;inspiration h&eacute;g&eacute;lienne. En 1939, Serge Tchakhotine publie <em>Le viol des foules par la propagande politique</em> dans lequel il mobilise une physiologie inspir&eacute;e par les travaux de Pavlov, m&ecirc;l&eacute;e d&rsquo;esp&eacute;rances socialistes, pour expliquer la capacit&eacute; d&rsquo;Hitler et de Mussolini d&rsquo;utiliser la violence psychique pour s&rsquo;emparer de l&rsquo;esprit des masses par la peur et la suggestion.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn33" id="bodyftn33">33</a></sup></p> <h1 class="texte">4. D&eacute;clin et m&eacute;tamorphose des foules</h1> <p class="texte">Apr&egrave;s la Seconde Guerre mondiale, les ph&eacute;nom&egrave;nes de r&eacute;gression affective que Freud avait mis &agrave; jour dans ses travaux, notamment dans <em>Psychologie collective et analyse du moi,</em> ont encourag&eacute; le d&eacute;veloppement de d&eacute;marches th&eacute;rapeutiques ayant pour cadre la dynamique des groupes restreints. Ces pratiques confortaient les hypoth&egrave;ses qu&rsquo;il avait formul&eacute;es sur les ph&eacute;nom&egrave;nes de r&eacute;gression, d&rsquo;id&eacute;alisation et d&rsquo;agressivit&eacute; en interpr&eacute;tant les mouvements de foule. En revanche, l&rsquo;&eacute;tude des grands groupes fut moins f&eacute;conde, car il s&rsquo;av&eacute;ra plus difficile de mettre &agrave; jour en leur sein l&rsquo;importance de ces variables &eacute;motionnelles, en les distinguant clairement des facteurs politiques et des contraintes structurelles traditionnelles, celles de la bureaucratie en particulier. La psychosociologie s&rsquo;orienta avant tout vers l&rsquo;analyse des ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;intol&eacute;rance, de discrimination, de racisme, de construction identitaire, de pr&eacute;jug&eacute;s et d&rsquo;agressivit&eacute;, le plus souvent dans une perspective d&rsquo;inspiration cognitiviste. En France, dans <em>L&rsquo;&acirc;ge de foules</em><span style="text-decoration:underline;">,</span> Serge Moscovici consacra n&eacute;anmoins une r&eacute;flexion importante aux travaux de Tarde, de Le Bon et de Freud, montrant l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t qu&rsquo;ils avaient pour l&rsquo;intelligence des ph&eacute;nom&egrave;nes collectifs contemporains.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn34" id="bodyftn34">34</a></sup></p> <h2 class="texte">4.1. Les foules structur&eacute;es</h2> <p class="texte">Les hypoth&egrave;ses de Freud relatives &agrave; la dynamique des mouvements de masse structur&eacute;s en &laquo;&nbsp;foules organis&eacute;es&nbsp;&raquo; ciment&eacute;es par des solidarit&eacute;s durables avaient &eacute;t&eacute; lanc&eacute;es au cours d&rsquo;une &eacute;poque encore marqu&eacute;e par les conceptions politiques et les hi&eacute;rarchies sociales de l&rsquo;Ancien R&eacute;gime, alors que les arm&eacute;es et les communaut&eacute;s religieuses avaient encore une grande autorit&eacute; politique et culturelle. Apr&egrave;s la Seconde Guerre mondiale, les pays occidentaux connurent des changements structurels de grande ampleur qui contribu&egrave;rent &agrave; la consolidation des r&eacute;gimes d&eacute;mocratiques, comme aux progr&egrave;s &eacute;conomiques et sociaux. Ils mirent en place des institutions solides guid&eacute;es par les id&eacute;aux des droits de l&rsquo;homme et de la justice sociale, consolidant ainsi le respect des normes juridiques et des proc&eacute;dures d&eacute;lib&eacute;ratives. Leurs &Eacute;tats furent confort&eacute;s par un r&eacute;seau important d&rsquo;organisations internationales et leurs administrations publiques s&rsquo;impos&egrave;rent comme des bureaucraties complexes, hi&eacute;rarchis&eacute;es, qui poursuivaient une grande diversit&eacute; d&rsquo;activit&eacute;s sectorielles. Ils &eacute;taient vou&eacute;s &agrave; la d&eacute;fense d&rsquo;objectifs de bien-&ecirc;tre, de consommation et de bonheur individuel. Ils offraient ainsi &agrave; leurs citoyens&nbsp;plus d&rsquo;ouverture que par le pass&eacute; pour r&eacute;aliser leur besoin de dignit&eacute; et assouvir leurs d&eacute;sirs, au niveau fantasmatique tout au moins, m&ecirc;me si des obstacles importants entravaient la poursuite de ces aspirations h&eacute;donistes.</p> <p class="texte">Dans ces circonstances, les grandes foules organis&eacute;es, telles que Freud les avait d&eacute;finies, perdirent de leur importance politique. Certes les partis et les syndicats continu&egrave;rent d&rsquo;investir la rue pour avancer leurs revendications et ces modalit&eacute;s d&rsquo;action guid&eacute;e par la personnalit&eacute; de leaders plus ou moins charismatiques sont rest&eacute;es partie int&eacute;grante de la vie d&eacute;mocratique. Cependant, le nationalisme, qui avait inspir&eacute; jusqu&rsquo;alors de grands mouvements de foule, perdit de son influence en Europe. La m&eacute;moire des guerres mondiales contribua &agrave; ce d&eacute;clin, au m&ecirc;me titre que les r&eacute;gimes de coop&eacute;ration transnationale, la lib&eacute;ralisation des &eacute;changes et l&rsquo;essor de la soci&eacute;t&eacute; de consommation. Il faut ajouter dans ce contexte que les individus b&eacute;n&eacute;fici&egrave;rent de processus de socialisation et des mod&egrave;les de r&eacute;f&eacute;rence identitaire plus ouverts que par le pass&eacute;, ce qui favorisa un certain pluralisme id&eacute;ologique moins favorable &agrave; l&rsquo;embrigadement des grands mouvements de foule. Ces &eacute;volutions n&rsquo;emp&ecirc;ch&egrave;rent pas les militants du parti communiste d&rsquo;investir une id&eacute;ologie &agrave; vocation totalitaire. Par ailleurs l&rsquo;importance des sectes religieuses et des groupes partisans ne diminua pas. Ainsi, Staline, Mao Tse Dong et d&rsquo;innombrables dirigeants du Tiers monde furent longtemps les objets privil&eacute;gi&eacute;s de la v&eacute;n&eacute;ration illusoire de nombreux intellectuels et militants politiques.</p> <p class="texte">&Agrave; partir des ann&eacute;es 1960, la t&eacute;l&eacute;vision s&rsquo;est en partie substitu&eacute;e &agrave; la rue comme espace imaginaire de rassemblement, d&rsquo;autant qu&rsquo;elle proposait une grande vari&eacute;t&eacute; d&rsquo;offres culturelles et m&ecirc;lait les d&eacute;bats politiques &agrave; la sph&egrave;re des loisirs. Par la suite, les nouveaux r&eacute;seaux sociaux, li&eacute;s au d&eacute;veloppement de l&rsquo;internet, ont encore &eacute;largi l&rsquo;&eacute;ventail des mobilisations sociales et des choix identitaires.</p> <p class="texte">Les mouvements de foule, tels qu&rsquo;ils avaient &eacute;t&eacute; conceptualis&eacute;s depuis la fin du <span style="font-variant:small-caps;">xix</span><sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle, eurent lieu principalement dans les pays qui acc&eacute;daient &agrave; l&rsquo;ind&eacute;pendance. Ils rassemblaient des masses qui port&eacute;es par la propagande et la contrainte politiques &agrave; id&eacute;aliser leurs nouveaux chefs d&rsquo;&Eacute;tat. Ces leaders - on pense &agrave; Nasser, S&eacute;kou Tour&eacute;, &agrave; N&rsquo;Nkrumah et &agrave; beaucoup d&rsquo;autres- &eacute;maillaient leurs discours de promesses de souverainet&eacute; nationale et cherchaient une l&eacute;gitimit&eacute; au sein d&rsquo;&eacute;normes attroupements urbains. Au temps de la R&eacute;volution culturelle en Chine, le &laquo;&nbsp;grand timonier&nbsp;&raquo; mobilisa des foules tr&eacute;pidantes qui furent enti&egrave;rement consacr&eacute;es &agrave; ses projets funestes de d&eacute;sint&eacute;gration sociale.</p> <h2 class="texte">4.2. Les foules &eacute;ph&eacute;m&egrave;res</h2> <p class="texte">La plupart des ph&eacute;nom&egrave;nes de foule ont aujourd&rsquo;hui pour caract&eacute;ristique d&rsquo;&ecirc;tre de nature passag&egrave;re. Elles sont r&eacute;unies par des liens superficiels, refl&eacute;tant entre les individus qui en font partie des attaches identitaires de type fraternel. Ces solidarit&eacute;s r&eacute;gressives sont fr&eacute;quentes dans les spectacles consacr&eacute;s &agrave; des vedettes de music-hall, quand le public reproduit de mani&egrave;re mim&eacute;tique et rythm&eacute;e les gestes et les refrains des artistes. Les rencontres sportives, celles du football surtout, attirent dans les stades et les rues des masses de supporters antagonistes dont les affrontements encouragent la violence. L&rsquo;exaltation des &eacute;quipes sportives est notamment l&rsquo;expression d&rsquo;un narcissisme collectif, puisque les supporters soutiennent leur &eacute;quipe par chauvinisme local, r&eacute;gional ou national. Ils se sentent rehauss&eacute;s par sa victoire &eacute;ventuelle et humili&eacute;s par sa d&eacute;faite. Ce hooliganisme a suscit&eacute; nombre de travaux qui montrent les enjeux identitaires de ces rassemblements.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn35" id="bodyftn35">35</a></sup> Les individus qui participent &agrave; ces foules proviennent d&rsquo;ordinaire de milieux d&eacute;favoris&eacute;s du point de vue socioculturel. Ils exhibent une virilit&eacute; agressive lib&eacute;r&eacute;e par la consommation d&rsquo;alcool.</p> <p class="texte">On assiste &agrave; des ph&eacute;nom&egrave;nes analogues dans les affrontements entre les gangs au sein de certaines banlieues d&eacute;favoris&eacute;es des grandes m&eacute;tropoles, au Royaume uni et en France notamment, o&ugrave; les jeunes, issus d&rsquo;ordinaire d&rsquo;une immigration relativement r&eacute;cente, envahissent sporadiquement la chauss&eacute;e pour protester de mani&egrave;re agressive contre l&rsquo;ordre social. Ils incendient des voitures, des bus et des &eacute;coles, tout en affrontant les forces polici&egrave;res. Ce fut notamment le cas en octobre 2005 &agrave; Paris et en d&rsquo;autres villes fran&ccedil;aises, lors d&rsquo;&eacute;meutes qui ont dur&eacute; environ deux semaines. Cette d&eacute;linquance urbaine, sans message politique consistant, sans v&eacute;ritable chef, est une expression contemporaine de foules &eacute;ph&eacute;m&egrave;res.</p> <p class="texte">Le mouvement des <em>gilets jaunes </em>est &eacute;galement d&eacute;pourvu de chefs durables, de structures partisanes &eacute;tablies et de revendications politiques articul&eacute;es et coh&eacute;rentes. Les r&eacute;seaux sociaux l&rsquo;ont appuy&eacute; entretenant la diffusion de propos haineux, de rumeurs et des fantasmagories de complots. Cette mobilisation a re&ccedil;u l&rsquo;appui d&rsquo;une partie non n&eacute;gligeable de la population fran&ccedil;aise, avant tout celle dont les salaires sont bas et qui de ce fait comprend bien la r&eacute;volte des protestataires. Les gens qui se mobilisent sont en col&egrave;re. Ils ont le sentiment et souffrent d&rsquo;&ecirc;tre humili&eacute;s par les classes dirigeantes. Ils jouissent d&rsquo;&ecirc;tre visibles et politiquement importants, de partager une r&eacute;volte contre les tenants du pouvoir, contre les &laquo;&nbsp;&eacute;lites&nbsp;&raquo;, et cela en invoquant des id&eacute;aux d&rsquo;&eacute;galit&eacute; et de justice, en inscrivant leur action dans la tradition et les mythes d&rsquo;anciennes &eacute;pop&eacute;es r&eacute;volutionnaires. Les ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;imitation excitent les &laquo;&nbsp;d&eacute;bordements&nbsp;&raquo; qu&rsquo;ils assument contre les symboles de la richesse mat&eacute;rielle, les devantures de magasins, les distributeurs d&rsquo;argents et les voitures de luxe. Ce faisant, ils peuvent &eacute;galement assouvir en foule leur agressivit&eacute; &agrave; l&rsquo;encontre des forces polici&egrave;res.</p> <p class="texte">En bien des pays de l&rsquo;h&eacute;misph&egrave;re Sud, des foules plus ou moins passag&egrave;res se sont mises en branle r&eacute;cemment contre le pouvoir de dirigeants tyranniques et corrompus qui pervertissent leur autorit&eacute; et leurs fonctions de r&eacute;gulation en les mettant au service de leur volont&eacute; de puissance et en d&eacute;tournant les richesses nationales au profit de leur entourage familial ou clanique. Ce fut le cas au moment des &laquo;&nbsp;printemps arabes&nbsp;&raquo; en Tunisie, en Syrie et en Libye et en &Eacute;gypte. Il faut lire Alaa El Aswany pour admirer l&rsquo;ordre qui r&eacute;gna sur la place Tahrir au d&eacute;but de l&rsquo;ann&eacute;e 2011 lorsqu&rsquo;une foule h&eacute;t&eacute;rog&egrave;ne se mobilisa contre le r&eacute;gime du pr&eacute;sident Sadate.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn36" id="bodyftn36">36</a></sup> Plus r&eacute;cemment, les foules alg&eacute;riennes ont &eacute;galement donn&eacute; un exemple de protestations dignes et n&eacute;cessaires.</p> <p class="texte">On doit aussi reconna&icirc;tre que les manifestations de foule dans ces &Eacute;tats sont loin d&rsquo;&ecirc;tre toujours inspir&eacute;es par la qu&ecirc;te de libert&eacute; et de justice sociale. Les plus significatives et les plus inqui&eacute;tantes d&rsquo;entre elles ont d&rsquo;ordinaire pour caract&eacute;ristiques des &eacute;meutes &agrave; composante ethnique ou clanique. Elles sont le fait d&rsquo;une grande diversit&eacute; de groupes, plus ou moins command&eacute;s. Il est fr&eacute;quent qu&rsquo;elles soient encourag&eacute;es par les pouvoirs publics, mais aussi par des mouvements politiques en rupture avec l&rsquo;ordre &eacute;tabli qui r&eacute;pandent des rumeurs visant les populations qu&rsquo;elles poursuivent de leur haine. Elles ressemblent en cela aux pogroms dont furent victimes les populations juives de mani&egrave;re r&eacute;currente en Russie, notamment &agrave; Kishinev (Bessarabie) en 1903 ou &agrave; Odessa en 1905, des violences qui eurent lieu avec la complicit&eacute; des pouvoirs publics. Elles ont &eacute;galement des analogies avec les &eacute;pisodes de lynchages des populations d&rsquo;origine africaine aux &Eacute;tats-Unis depuis la fin du <span style="font-variant:small-caps;">xix</span><sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle.</p> <p class="texte">Ces atrocit&eacute;s sont le fait de foules fanatis&eacute;es, entra&icirc;nant leurs membres &agrave; d&eacute;brider leurs pulsions agressives les plus primitives. Au terme d&rsquo;une longue &eacute;tude consacr&eacute;e aux &eacute;meutes ethniques, Donald Horowitz souligne les gratifications &eacute;motionnelles qu&rsquo;&eacute;prouvent les gens qui, avec l&rsquo;assentiment de leur groupe et de leurs dirigeants, participent &agrave; ces violences.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn37" id="bodyftn37">37</a></sup> Au Rwanda, &laquo;&nbsp;les bourreaux tuaient en bande&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn38" id="bodyftn38">38</a></sup> Ils tuaient des femmes et des enfants, les massacrant avec une cruaut&eacute; et un sadisme inou&iuml;, devant leurs plus proches parents, avant d&rsquo;exterminer ces derniers. Ces crimes &eacute;taient stimul&eacute;s par le fait qu&rsquo;ils s&rsquo;inscrivaient dans une action collective, &agrave; savoir dans un environnement social qui conf&eacute;rait &agrave; chacun des participants un sentiment de puissance et d&rsquo;impunit&eacute; favorable &agrave; la r&eacute;alisation de ce genre de violences criminelles.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn39" id="bodyftn39">39</a></sup> Un participant au g&eacute;nocide l&rsquo;exprime en termes simples&nbsp;: &laquo;&nbsp;Plus on tuait, plus la gourmandise nous encourageait &agrave; continuer. La gourmandise, si personne ne la punit, elle ne vous abandonne jamais. Elle se voyait dans nos yeux exorbit&eacute;s par les tueries&nbsp;&raquo;.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn40" id="bodyftn40">40</a></sup> La d&eacute;sint&eacute;gration des syst&egrave;mes de r&eacute;gulation est parfois si avanc&eacute;e et tellement &eacute;norme, que les liens de solidarit&eacute; les plus essentiels, y compris, ceux de l&rsquo;ethnicit&eacute; et de la religion, tendent &agrave; se d&eacute;liter, la violence n&rsquo;ayant d&rsquo;autre fondement que le partage des ressources par des proc&eacute;d&eacute;s criminels. Ces conditions sont propices &agrave; l&rsquo;engagement d&rsquo;individus qui ont le profil de petits ou de grands criminels. Au Darfour, Musa Hila, a dirig&eacute; les milices <em>Janjawiid</em>, qui ont commis des exactions du m&ecirc;me genre. Il eut le soutien sans faille du gouvernement soudanais, ses forces arm&eacute;es le laissant agir en toute impunit&eacute; et lui pr&ecirc;tant secours. En Sierra Leone, pendant la guerre civile, qui fera quelque 120000 morts, le dirigeant du Front r&eacute;volutionnaire uni, Foday Sankoh, un ancien caporal de l&rsquo;arm&eacute;e, joua un r&ocirc;le pr&eacute;pond&eacute;rant dans les atrocit&eacute;s commises &agrave; l&rsquo;encontre des populations civiles, en particulier des enfants qui &eacute;taient contraints de rejoindre ses unit&eacute;s, au risque d&rsquo;&ecirc;tre tu&eacute;s. Sous l&rsquo;emprise des bandes dans lesquelles ils &eacute;taient embrigad&eacute;s et parfois sous l&rsquo;influence de la drogue, ils commettaient des atrocit&eacute;s, parfois m&ecirc;me &agrave; l&rsquo;encontre de leur propre famille, torturant, mutilant et tuant leurs ennemis et les civils r&eacute;calcitrants.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn41" id="bodyftn41">41</a></sup></p> <p class="texte">Les gens qui forment ces foules haineuses s&rsquo;agrippent &agrave; des logiques confuses et leur comportement n&rsquo;a rien &agrave; voir avec la politique au sens traditionnel du terme. Ils assument un &laquo;&nbsp;pr&ecirc;t-&agrave;-porter id&eacute;ologique ou religieux&nbsp;&raquo; parce que ces repr&eacute;sentations d&rsquo;emprunt leur conf&egrave;rent un verni de justification. Ils se soumettent &agrave; des chefs qui autorisent toutes sortes de transgressions, celle du viol en particulier. Leur boussole morale s&rsquo;alt&egrave;re. Leurs sentiments de responsabilit&eacute; et leurs inhibitions se d&eacute;litent. Ils se d&eacute;lestent de leurs principes &eacute;ducatifs, de leurs valeurs coutumi&egrave;res et se laissent submerger par les d&eacute;bordements de leur agressivit&eacute;. Ils deviennent sectaires, manich&eacute;ens et fanatiques. Ils n&rsquo;ont plus une conscience claire de leurs limites.</p> <h1 class="texte">Conclusions</h1> <p class="texte">Les mouvements de foule sont un aspect de la vie politique, mais ils sont difficiles &agrave; interpr&eacute;ter, car leur raison d&rsquo;&ecirc;tre, les buts qu&rsquo;ils poursuivent et la nature de leur solidarit&eacute; sont &eacute;quivoques. A ce titre, ils inqui&egrave;tent, en particulier les d&eacute;fenseurs de l&rsquo;ordre social, plus largement les gens sensibles &agrave; la fragilit&eacute; des institutions politiques et des &eacute;chafaudages socioculturels. Historiquement, les foules ont accompagn&eacute; les mouvements r&eacute;volutionnaires en invoquant la libert&eacute;, l&rsquo;&eacute;galit&eacute; et la justice sociale. Elles ont contribu&eacute; &agrave; l&rsquo;av&egrave;nement de la d&eacute;mocratie, parfois &agrave; son instauration et &agrave; son d&eacute;veloppement. Mais on ne gouverne pas sans organisation, tout au moins pas longtemps, et les changements exig&eacute;s par les foules en col&egrave;re ne garantissent pas l&rsquo;instauration d&rsquo;institutions stables, ni les progr&egrave;s sociaux, surtout lorsque les forces de r&eacute;pression restent en embuscade. Ces mouvements, si n&eacute;cessaires et l&eacute;gitimes que puissent &ecirc;tre leurs revendications, peuvent en effet conduire &agrave; l&rsquo;anarchie et &agrave; la violence. Il arrive aussi que les croyances qui inspirent les foules et les leaders qui les mobilisent entretiennent des illusions n&eacute;fastes, en particulier celles du nationalisme, de l&rsquo;ethnicit&eacute;, du racisme ou du sectarisme religieux. Il n&rsquo;est pas rare non plus que les gouvernements contribuent au d&eacute;cha&icirc;nement des passions populaires, autorisant les individus embrigad&eacute;s en foule &agrave; d&eacute;cha&icirc;ner leur agressivit&eacute; et leur sadisme. Ce fut le cas des r&eacute;gimes totalitaires au <span style="font-variant:small-caps;">xx</span><sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle.</p> <p class="texte">Comme nous l&rsquo;avons rappel&eacute;, les mouvements de foule sont d&rsquo;autant plus incertains dans leurs cons&eacute;quences politiques qu&rsquo;ils ont une dynamique propre et qu&rsquo;ils ont une dimension onirique. Ils excitent les d&eacute;sirs et favorisent l&rsquo;&eacute;panouissement des passions. Les individus dans les foules sont anonymes et reproduisent des slogans. Ils passent &agrave; l&rsquo;acte, sans assumer de mani&egrave;re autonome des choix raisonn&eacute;s dans le pr&eacute;alable de r&eacute;flexions personnelles. Ils sont influen&ccedil;ables et se laissent manipuler par des agitateurs ou des chefs de bande plus ou moins organis&eacute;s. Ils assument des id&eacute;aux d&rsquo;emprunt quitte &agrave; jeter au rancart les valeurs culturelles et morales qu&rsquo;ils ont apprivois&eacute;es dans leur processus de socialisation. Ils sont port&eacute;s &agrave; d&eacute;border les proc&eacute;dures d&eacute;lib&eacute;ratives des institutions repr&eacute;sentatives, notamment des parlements, et, de mani&egrave;re plus g&eacute;n&eacute;rale, &agrave; refuser les controverses n&eacute;cessaires au processus de d&eacute;cision d&eacute;mocratique, ce qui a pour effet d&rsquo;affaiblir ou de miner les modes d&rsquo;&eacute;change fond&eacute;s sur des arguments rationnels. Ils sont enclins &agrave; renverser les barri&egrave;res normatives et les valeurs endiguant les pulsions individuelles et collectives, au risque de sombrer dans une violence irr&eacute;pressible. Leur ali&eacute;nation a donc pour sympt&ocirc;me l&rsquo;&eacute;branlement de leur ancrage identitaire et par cons&eacute;quent l&rsquo;affaiblissement de leur pleine capacit&eacute; de raisonner et de tenir leurs r&egrave;gles de conduite. Les foules seraient une m&eacute;taphore de &laquo;&nbsp;l&rsquo;animal social qui a rompu sa laisse&nbsp;&raquo; pour reprendre une formule de Moscovici.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn42" id="bodyftn42">42</a></sup> Ce fut le m&eacute;rite des psychosociologues de la fin du <span style="font-variant:small-caps;">xix</span><sup>e</sup>&nbsp;si&egrave;cle et surtout de Freud d&rsquo;expliquer cet aspect des dynamiques collectives.</p> <p class="texte">Il est d&egrave;s lors compr&eacute;hensible que les r&eacute;gimes d&eacute;mocratiques n&rsquo;aient cess&eacute; d&rsquo;entretenir des rapports conflictuels avec les foules. La d&eacute;mocratie a pour principe la participation de citoyens capables de raisonner de mani&egrave;re autonome, ayant le sens de leurs responsabilit&eacute;s civiques. Elle est fond&eacute;e sur le respect de normes juridiques et de proc&eacute;dures de prise de d&eacute;cision stables, coh&eacute;rentes et pr&eacute;visibles. Elle a pour assise institutionnelle des m&eacute;canismes d&rsquo;&eacute;quilibre des pouvoirs, mais aussi par des politiques publiques orient&eacute;es par le respect des droits de l&rsquo;homme et la qu&ecirc;te du bien commun.</p> <p class="texte">La r&eacute;alisation de ces conditions n&rsquo;est jamais accomplie. On en conna&icirc;t les raisons&nbsp;: les &ecirc;tres humains ont des syst&egrave;mes de valeurs et des int&eacute;r&ecirc;ts diff&eacute;rents, souvent m&ecirc;me antagonistes. Ils se jalousent et sont anim&eacute;s par des ambitions de puissance et de renomm&eacute;e. Ils n&rsquo;ont pas pleinement conscience de leurs motivations et de leurs aspirations. Leurs croyances sont charg&eacute;es de d&eacute;sirs difficiles &agrave; satisfaire et qui peuvent s&rsquo;av&eacute;rer n&eacute;fastes&nbsp;pour le maintien de l&rsquo;ordre politique. En fait, les raisonnements rationnels ne guident pas seuls les choix politiques des individus. Leurs positions politiques d&eacute;coulent souvent d&rsquo;affinit&eacute;s identitaires. Ils sont par exemple inspir&eacute;s par la personnalit&eacute; d&rsquo;un leader de parti ou se contentent de suivre les gens qui leur paraissent proches du point de vue socioculturel, sans prendre la peine d&rsquo;analyser la r&eacute;alit&eacute; des faits ou d&rsquo;&eacute;tudier les id&eacute;es cens&eacute;es inspirer leurs options, au risque m&ecirc;me de s&rsquo;engager contre leurs propres int&eacute;r&ecirc;ts.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn43" id="bodyftn43">43</a></sup> Leur adh&eacute;sion partisane a beaucoup d&rsquo;analogies avec les affects de groupe mis en &eacute;vidence dans les travaux de Freud sur les foules.</p> <p class="texte">En outre, suivant les consid&eacute;rations de Freud dans <em>Malaise dans la culture</em>, on peut admettre que les citoyens peinent &agrave; supporter durablement les contraintes normatives et r&eacute;glementaires qu&rsquo;ils assument pour le prix de leur libert&eacute; et de la justice sociale. Ils en &eacute;prouvent des frustrations et de la col&egrave;re. Les r&eacute;gimes d&eacute;mocratiques sont donc expos&eacute;s &agrave; la d&eacute;magogie et &agrave; l&rsquo;exacerbation des passions politiques, aux mouvements de haine sociale et d&rsquo;intol&eacute;rance contre les minorit&eacute;s. L&rsquo;av&egrave;nement des dictatures de type fasciste dans l&rsquo;entre-deux-guerres fut la r&eacute;sultante de cette faiblesse. La r&eacute;volte des populistes contre les institutions et les proc&eacute;dures d&eacute;mocratiques seraient &agrave; nouveau une manifestation de ce ph&eacute;nom&egrave;ne.</p> <p class="texte">Pour comprendre cette s&eacute;dition, il faut aussi rappeler que les conditions d&rsquo;exercice de la souverainet&eacute; d&eacute;mocratique se sont modifi&eacute;es avec l&rsquo;expansion plan&eacute;taire des &eacute;changes de biens et de services, avec la d&eacute;gradation de l&rsquo;environnement. La mondialisation a certes cr&eacute;&eacute; beaucoup de richesse, dont la plupart des pays pauvres ont profit&eacute;, en Asie surtout. Cependant, les mutations dans les syst&egrave;mes de production et de communication imposent des contraintes mat&eacute;rielles et psychologiques difficiles &agrave; supporter, puisqu&rsquo;elles aggravent la vuln&eacute;rabilit&eacute; d&rsquo;une partie de la population mondiale, y compris dans les pays d&eacute;velopp&eacute;s. Ces bouleversements &eacute;conomiques et sociaux imposent aux travailleurs de lourdes contraintes, notamment parce qu&rsquo;ils doivent &ecirc;tre bien form&eacute;s, mobiles, capables de s&rsquo;adapter aux transformations rapides des modes de production. Ils sont forc&eacute;s d&rsquo;assumer les d&eacute;fis et l&rsquo;ins&eacute;curit&eacute; d&rsquo;activit&eacute;s professionnelles changeantes, souvent faiblement r&eacute;tribu&eacute;es, soumises &agrave; la comp&eacute;tition internationale des entreprises transnationales et aux al&eacute;as d&rsquo;un ch&ocirc;mage temporaire ou durable. Les in&eacute;galit&eacute;s ont beaucoup augment&eacute; conf&eacute;rant des avantages socioculturels &eacute;normes &agrave; ceux qui profitent de la nouvelle &eacute;conomie.</p> <p class="texte">Dans le m&ecirc;me temps, les m&eacute;canismes de gouvernance sont inad&eacute;quats pour soutenir l&rsquo;interd&eacute;pendance grandissante des soci&eacute;t&eacute;s, pour faire face aux probl&egrave;mes &eacute;conomiques et politiques auxquelles elles sont confront&eacute;es et pour affronter la d&eacute;gradation de l&rsquo;environnement plan&eacute;taire. La s&eacute;curit&eacute; des &Eacute;tats aussi bien que le maintien et le d&eacute;veloppement de leurs syst&egrave;mes de protection sociale exigent des r&eacute;gimes de coop&eacute;ration multilat&eacute;rale. Ils n&rsquo;ont pas d&rsquo;autre choix que de n&eacute;gocier leur souverainet&eacute; dans les espaces de concertation et de d&eacute;cision o&ugrave; se disputent les grands enjeux de la s&eacute;curit&eacute; militaire, du commerce, de la finance, de la monnaie, des politiques de recherche et de l&rsquo;&eacute;ducation, de l&rsquo;environnement et du d&eacute;veloppement. Ils sont cens&eacute;s participer &agrave; des instances o&ugrave; se d&eacute;veloppe le droit international, &agrave; savoir un ensemble de normes et de proc&eacute;dures qui conf&egrave;rent des droits, mais imposent aussi des obligations. Or ces besoins de coop&eacute;ration &agrave; large spectre sont peu satisfaits, car la mondialisation est fort mal r&eacute;gul&eacute;e et son &eacute;volution reste soumise aux d&eacute;crets des grandes puissances. Il faut ajouter que les processus de d&eacute;cision sur le plan national et international sont influenc&eacute;s par l&rsquo;avis des hommes et des femmes de science, dont l&rsquo;expertise et les recommandations ne sont pas toujours compatibles avec les dynamiques incertaines de la souverainet&eacute; populaire.</p> <p class="texte">Les cons&eacute;quences de ces d&eacute;faillances institutionnelles et politiques affectent les r&eacute;gimes d&eacute;mocratiques et favorisent l&rsquo;essor des partis populistes. Leurs adh&eacute;rents reproduisent des slogans cens&eacute;s exprimer leur exasp&eacute;ration et leur violence. Ils protestent contre un ordre social qui a le double d&eacute;faut d&rsquo;&ecirc;tre lourd &agrave; supporter tout en frustrant leur besoin de dignit&eacute; et la pleine satisfaction de leurs d&eacute;sirs. Ils cultivent d&egrave;s lors une forme d&rsquo;encanaillement et brisent par leurs provocations les codes de civilit&eacute;, quitte &agrave; jeter au rancart les valeurs culturelles et morales qui sont au fondement de l&rsquo;ordre politique. Ils mobilisent ainsi des affects et assument des comportements qui ont beaucoup d&rsquo;analogies avec les passions d&eacute;brid&eacute;es, mais aussi avec les ph&eacute;nom&egrave;nes de d&eacute;pendance &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de leaders plus ou moins falots qui se manifestent dans les foules.</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> Benjamin Constant, <em>De la libert&eacute; chez les Modernes</em>, Paris, Livre de poche, 1980, p. 271</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn2" id="ftn2">2</a> Id. p. 272</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn3" id="ftn3">3</a> <em>De la D&eacute;mocratie en Am&eacute;rique</em>, tome 1, Paris, Gallimard, 1961, pp.16-18</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn4" id="ftn4">4</a> <em>Souvenirs</em>, Gallimard (Folio), Paris, 1999, p. 154</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn5" id="ftn5">5</a> Id. p. 182-3</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn6" id="ftn6">6</a> In Karl Marx et Friedrich Engels, <em>&OElig;uvres choisies,</em><span style="text-decoration:underline;"> </span>Moscou, Ed. du progr&egrave;s, p. 40</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn7" id="ftn7">7</a> Idem, p. 138</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn8" id="ftn8">8</a> Susanna Barrow, <em>Miroirs d&eacute;formants. R&eacute;flexion sur la foule en France &agrave; la fin du XIX</em><sup><em>e</em></sup><em> si&egrave;cle</em>, Aubier, 1990</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn9" id="ftn9">9</a> Gabriel de Tarde, in <em>L&rsquo;opinion et la foule</em>, Paris PUF, 1989, p139-184</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn10" id="ftn10">10</a> Id. p. 150</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn11" id="ftn11">11</a> Ibid. p. 146</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn12" id="ftn12">12</a> <em>La foule criminelle. Essai de psychologie collective</em>, Paris, F&eacute;lix Alcan, 1892</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn13" id="ftn13">13</a> <em>Psychologie des foules</em>, Paris, PUF 2013, p. 2</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn14" id="ftn14">14</a> <span lang="en" xml:lang="en">Id. p. 10</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn15" id="ftn15">15</a> <span lang="en" xml:lang="en">Id. p. 69-70</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn16" id="ftn16">16</a> <span lang="en" xml:lang="en">Ibid. p. 3</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn17" id="ftn17">17</a> Ibid. p. 4</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn18" id="ftn18">18</a> Cit&eacute; par Ernest Jones, <em>La vie et l&rsquo;&oelig;uvre de Freud</em>, tome 2. Paris, PUF, 1961, p. 188</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn19" id="ftn19">19</a> &laquo;&nbsp;Consid&eacute;ration actuelle sur la guerre et la mort&nbsp;&raquo;, in <em>Anthropologie de la guerre</em>, &eacute;dit&eacute; par Alain Badiou, Fayard, bilingues, 2010, p. 255</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn20" id="ftn20">20</a> Id. p, 285</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn21" id="ftn21">21</a> Ibid. p. 271</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn22" id="ftn22">22</a> <em>L&rsquo;avenir d&rsquo;une illusion</em>, Paris, PUF, 1995 p. 7</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn23" id="ftn23">23</a> <span lang="en" xml:lang="en">Id., p. 267</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn24" id="ftn24">24</a> <span lang="en" xml:lang="en">Paris, Payot, 1962</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn25" id="ftn25">25</a> <span lang="en" xml:lang="en">William McDougall, </span><em><span lang="en" xml:lang="en">The Goup Mind</span></em><span lang="en" xml:lang="en">, New York, Putman, 1920</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn26" id="ftn26">26</a> Peter Gay, <em>Freud, une vie</em>, Paris, Hachette, 1991, p. 465</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn27" id="ftn27">27</a> <em>Psychologie</em>, op. cit. p.44</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn28" id="ftn28">28</a> <em>Le malaise dans la culture</em>, Paris, Flammarion, 2010, p. 96</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn29" id="ftn29">29</a> <em>Psychologie collective</em>&hellip;op. cit. p. 85</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn30" id="ftn30">30</a> D. de Rougemont, <em>Journal d&rsquo;Allemagne</em>, Gallimard, 1938, pp. 48-51, cit&eacute; par P. de Senarclens, <em>Nations et nationalismes</em>, Paris, Sciences humaines, 2018, p. 338</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn31" id="ftn31">31</a> <span lang="en" xml:lang="en">Paris, Les Belles Lettres, 2010</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn32" id="ftn32">32</a> <span lang="en" xml:lang="en">Karl Manneheim, </span><em><span lang="en" xml:lang="en">Diagnosis of our time. Wartime Essays of a Sociologist</span></em><span lang="en" xml:lang="en">. Vol. 3, London Routledge, 1943, p. 95</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn33" id="ftn33">33</a> <span lang="en" xml:lang="en">Paris, Gallimard, 1939</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn34" id="ftn34">34</a> <span lang="en" xml:lang="en">Paris, Fayard, 1981</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn35" id="ftn35">35</a> <span lang="en" xml:lang="en">Eric Dunning et al, </span><em><span lang="en" xml:lang="en">The Roots of Football Hooliganism. An Historical and Sociological Study</span></em><span lang="en" xml:lang="en">, London, Routledge, 1988</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn36" id="ftn36">36</a> <em>Chronique de la R&eacute;volution &eacute;gyptienne</em>, Paris, Actes Sud, 2011</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn37" id="ftn37">37</a> <span lang="en" xml:lang="en">Donald Horowitz, </span><em><span lang="en" xml:lang="en">The Deadly Ethnic Riot</span></em><span lang="en" xml:lang="en">, Berkeley, Universtiy of California Press, 2001</span></p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn38" id="ftn38">38</a> Jean Hatzfeld, <em>Le Monde</em> du vendredi 4 avril 2014, p. 18</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn39" id="ftn39">39</a> R&eacute;gine Wainstrater, &laquo;&nbsp;Tuer sans haine&nbsp;? in Jacques Andr&eacute; et al. <em>Les territoires de la haine</em>, Paris, PUF, p. 110&nbsp;</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn40" id="ftn40">40</a> Jean Hatzfeld, <em>Une saison de machettes</em>, Paris, le Seuil, 2003, p. 58</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn41" id="ftn41">41</a> Pierre de Senarclens, <em>Les Illusions meurtri&egrave;res. Ethnonationalisme et fondamentalisme religieux</em>, Paris, L&rsquo;Harmattan, 2016, p. 153</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn42" id="ftn42">42</a> <em>L&rsquo;&acirc;ge des foules</em>, op. cit. p. 13</p> <p class="notesbaspage"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn43" id="ftn43">43</a> Voir &agrave; cet &eacute;gard l&rsquo;&eacute;tude de Christopher H. Achen &amp; Larry M. Bartels, <em>Democracy for Realits. </em><em><span lang="en" xml:lang="en">Why Elections do not produce responsive Governement</span></em><span lang="en" style="text-decoration:underline;" xml:lang="en">, </span><span lang="en" xml:lang="en">Princeton University Press, 2017</span></p>