<p class="texte">Claire Zalc, directrice de recherche au CNRS, est une sp&eacute;cialiste de l&rsquo;antis&eacute;mitisme au XX<sup>e</sup> si&egrave;cle. Elle nous offre avec ce num&eacute;ro un dossier tr&egrave;s dense sur la difficult&eacute; de l&rsquo;utilisation des sources permettant la compr&eacute;hension du g&eacute;nocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Le pari est plus que r&eacute;ussi&nbsp;: ce num&eacute;ro est passionnant d&rsquo;un bout &agrave; l&rsquo;autre, malgr&eacute; un sujet sensible, &agrave; la fois sur le plan des affects et sur son contenu. Pour ce faire, elle a fait appel aux plus grands sp&eacute;cialistes du domaine.</p> <p class="texte">Le dossier est divis&eacute; en trois parties&nbsp;: outre les articles introductif (Claire Zalc, &laquo;&nbsp;Passages de t&eacute;moins&nbsp;&raquo;) et conclusif (Ivan Ermakoff, &laquo;&nbsp;La microhistoire au prisme de l&rsquo;exception&nbsp;&raquo;) et une s&eacute;rie de comptes-rendus de livres sur le jud&eacute;ocide, nous trouvons &laquo;&nbsp;Au-del&agrave; de l&rsquo;archive&nbsp;&raquo; (Tal Bruttmann, Christoph Kretzm&uuml;ller et Stefan H&ouml;rdler, &laquo;&nbsp;L &ldquo;Album d&rsquo;Auschwitz&rdquo;, entre objet et source d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo;&nbsp;; Judith Lyon-Caen, &laquo;&nbsp;&ldquo;le chant, lui, s&rsquo;&eacute;chappera&nbsp;&raquo;&nbsp;: pour une histoire des sources litt&eacute;raires de l&rsquo;histoire de la Shoah&nbsp;&raquo;&nbsp;; Irina Tcherneva, &laquo;&nbsp;Historiciser les images sovi&eacute;tiques de la Shoah (Estonie, Lituanie, 1944-1998&nbsp;&raquo;&nbsp;; Audrey Kichelewski, &laquo;&nbsp;Un monde disparu avec ses archives&nbsp;? Les Enfants de Lublin, une soci&eacute;t&eacute; de juifs originaires de Pologne&nbsp;&raquo;)&nbsp;; &laquo;&nbsp;du c&ocirc;t&eacute; de l&rsquo;ego&nbsp;&raquo; (Barabara Engelking &laquo;&nbsp;Des r&ecirc;ves comme source pour l&rsquo;histoire de l&rsquo;Holocauste,&nbsp;&raquo;&nbsp;; Nicolas Mariot, &laquo;&nbsp;Contourner Birkenau (automne 1942)&nbsp;: une relecture du journal du m&eacute;decin SS Johann Paul Kremer &agrave; Auschwitz&nbsp;&raquo;&nbsp;; Nicolas Patin, &laquo;&nbsp;Les &eacute;crits intimes des responsables nazis&nbsp;: une r&eacute;flexion sur les sources&nbsp;&raquo;) et &laquo;&nbsp;Dits et non-dits&nbsp;&raquo; (Laurent Joly, &laquo;&nbsp;Que savait-on du sort des juifs d&eacute;port&eacute;s au de la police fran&ccedil;aise&nbsp;? R&eacute;flexions autour du &ldquo;rapport Sadosky&rdquo; (Berlin-Paris, 20 juillet 1942&nbsp;&raquo;&nbsp;; Elissa Mail&auml;nder, &laquo;&nbsp;des m&eacute;moires contradictoires&nbsp;: histoire et r&eacute;cits d&rsquo;une pendaison au camp de Majdanek, 1943&nbsp;&raquo;&nbsp;; Antoine Burgard, &laquo;&nbsp;retranscrire la violence et le traumatisme&nbsp;: mises en r&eacute;cit administrative de la pers&eacute;cution dans l&rsquo;imm&eacute;diate apr&egrave;s-Shoah&nbsp;&raquo;&nbsp;; Marie-B&eacute;n&eacute;dicte Vincent, &laquo;&nbsp;Le contentieux des anciens policiers nazis dans la FRA des ann&eacute;es 1950&nbsp;: une source pour l&rsquo;histoire des criminels nazis&nbsp;&raquo;). &Agrave; cela, il faut ajouter plusieurs articles hors dossier, mais qui entrent parfaitement dans la probl&eacute;matique, tels ceux de la rubrique &laquo;&nbsp;Archives&nbsp;&raquo; (Diane F. Afoumado, &laquo;&nbsp;La collection de l&rsquo;International Tracing Service&nbsp;&raquo;&nbsp;; Constance P&acirc;ris de Bollardi&egrave;re &laquo;&nbsp;Les historiens face aux t&eacute;moignages des rescap&eacute;s de la Shoah&nbsp;&raquo;&nbsp;; Laurent Schram &laquo;&nbsp;Les sources inexplor&eacute;es de la caserne Dossin&nbsp;&raquo;) et ceux de la rubrique &laquo;&nbsp;Images, lettres et sons&nbsp;&raquo; (Simon Perego, &laquo;&nbsp;Les enfants du 209, rue Sain-Maur&nbsp;&raquo;&nbsp;; Lucie Cazes, &laquo;&nbsp;Ceux qui restent&nbsp;&raquo;&nbsp;; Ethel Albert, &laquo;&nbsp;Disparitions des t&eacute;moins et surgissement des sources&nbsp;&raquo;).</p> <p class="texte">D&egrave;s le premier abord, une chose nous a g&ecirc;n&eacute; dans ce dosser&nbsp;: le terme &laquo;&nbsp;shoah&nbsp;&raquo; est syst&eacute;matique dans les titres des articles&nbsp;; il est m&ecirc;me pr&eacute;sent dans celui du dossier de ce num&eacute;ro sp&eacute;cial de <em>Vingti&egrave;me Si&egrave;cle</em>. Cependant, son utilisation, bien que nous la comprenions ais&eacute;ment, nous g&ecirc;ne car il renvoie &agrave; une dimension religieuse par sa signification (&laquo;&nbsp;la Catastrophe&nbsp;&raquo;). Il n&rsquo;y a eu aucun dessein religieux dans l&rsquo;extermination des juifs d&rsquo;Europe. Si cela &eacute;tait le cas, son &eacute;tude serait impossible, car incompr&eacute;hensible. Claude Lanzmann, lorsqu&rsquo;il a impos&eacute; l&rsquo;usage de ce terme, n&rsquo;h&eacute;sitait pas &agrave; dire que la volont&eacute; de comprendre cette extermination &eacute;tait d&rsquo;une &laquo;&nbsp;absolue obsc&eacute;nit&eacute;&nbsp;&raquo;. Pourtant, il est n&eacute;cessaire de comprendre pourquoi une partie de la population europ&eacute;enne a &eacute;t&eacute; d&eacute;cim&eacute;e d&rsquo;une mani&egrave;re quasi-industrielle&nbsp;; de comprendre pourquoi des militants extr&eacute;mistes ont d&eacute;cid&eacute; de faire de cette population un bouc &eacute;missaire&nbsp;; de comprendre pourquoi cela a pu se faire&hellip; Paradoxalement &agrave; l&rsquo;usage de ce terme dans les titres, les auteurs nous donnent des explications.</p> <p class="texte">Une fois cela dit, ce num&eacute;ro est capital d&rsquo;un point de vue scientifique. Il montre combien il est difficile les sources (&eacute;crites, orales et visuelles) lorsqu&rsquo;elles concernent le jud&eacute;ocide de la Seconde Guerre mondiale. En premier lieu, il y a leur fiabilit&eacute;&nbsp;: les t&eacute;moignages varient&nbsp;; les anciens nazis &eacute;dulcorent leurs m&eacute;moires ou les codent&nbsp;; les sources visuelles doivent &ecirc;tre contextualis&eacute;es&hellip; Si ce travail est n&eacute;cessaire pour une recherche historique rigoureuse, il est dans le cas pr&eacute;sent encore plus n&eacute;cessaire, dans la mesure o&ugrave; les militants n&eacute;gationnistes se trouvent en embuscade pour les d&eacute;l&eacute;gitimer. En effet, ces derniers utilisent les faiblesses intrins&egrave;ques des sources, comme la variation des t&eacute;moignages sur un fait (par exemple une pendaison, la fum&eacute;e ou les odeurs sortant des chemin&eacute;es des camps de concentration et d&rsquo;extermination, mises syst&eacute;matiquement en avant par les n&eacute;gationnistes) pour les sur-interpr&eacute;ter ou les m&eacute;sinterpr&eacute;ter dans le but, affich&eacute;, de les d&eacute;l&eacute;gitimer. Ainsi, pour ces falsificateurs de la m&eacute;moire, les t&eacute;moins et les survivants Juifs des camps ne seraient que des affabulateurs cherchant &agrave; imposer de &laquo;&nbsp;faux souvenirs&nbsp;&raquo;. De fait, ils se pr&eacute;sentent comme &eacute;tant les &laquo;&nbsp;vrais historiens&nbsp;&raquo; (bien qu&rsquo;il n&rsquo;y en ait aucun chez eux), faisant un travail &laquo;&nbsp;hypercriticique&nbsp;&raquo;, contrairement aux &laquo;&nbsp;exterminationnistes&nbsp;&raquo;, comprendre les historiens, qui acceptent les faits sans les discuter. N&rsquo;oublions pas qu&rsquo;un &eacute;diteur n&eacute;gationniste porte le nom d&rsquo;<em>Akribeia</em>, un mot grec ancien signifiant &laquo;&nbsp;exactitude&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;soin scrupuleux&nbsp;&raquo;. Il est donc capital d&rsquo;encadrer rigoureusement les sources.</p> <p class="texte">Ce num&eacute;ro de <em>Vingti&egrave;me si&egrave;cle</em> est donc une pi&egrave;ce capitale dans l&rsquo;historicisation et la contextualisation des sources de l&rsquo;extermination des populations juives d&rsquo;Europe, d&rsquo;autant que les t&eacute;moins, aujourd&rsquo;hui tr&egrave;s &acirc;g&eacute;s ne seront plus l&agrave; pour l&rsquo;expliquer aux jeunes g&eacute;n&eacute;rations. Plusieurs articles (Audrey Kichelewski, &laquo;&nbsp;Un monde disparu avec ses archives&nbsp;? Les Enfants de Lublin, une soci&eacute;t&eacute; de juifs originaires de Pologne&nbsp;&raquo;&nbsp;; Antoine Burgard, &laquo;&nbsp;retranscrire la violence et le traumatisme&nbsp;: mises en r&eacute;cit administrative de la pers&eacute;cution dans l&rsquo;imm&eacute;diate apr&egrave;s-Shoah&nbsp;&raquo;&nbsp;; Diane F. Afoumado, &laquo;&nbsp;La collection de l&rsquo;International Tracing Service&nbsp;&raquo;&nbsp;; Constance P&acirc;ris de Bollardi&egrave;re &laquo;&nbsp;Les historiens face aux t&eacute;moignages des rescap&eacute;s de la Shoah&nbsp;&raquo;) mettent en avant l&rsquo;absolue n&eacute;cessit&eacute; de collecter et d&rsquo;organiser scientifiquement les derniers t&eacute;moignages avant qu&rsquo;ils ne disparaissent avec les d&eacute;c&egrave;s de ceux qui les ont v&eacute;cus.</p> <p class="texte">Nous n&rsquo;avons qu&rsquo;une critique, mais elle est majeure&nbsp;: il est dommage qu&rsquo;un num&eacute;ro de cette qualit&eacute; et de cette importance maltraite certains textes, enfin un texte. En effet, l&rsquo;article de Tal Bruttmann, Christoph Kretzm&uuml;ller et Stefan H&ouml;rdler, &laquo;&nbsp;L&rsquo;&ldquo;Album d&rsquo;Auschwitz&rdquo;, entre objet et source d&rsquo;histoire&nbsp;&raquo; a vu ses photographies d&eacute;plac&eacute;es dans le corps du texte. Elles n&rsquo;&eacute;taient pas l&agrave; pour illustrer l&rsquo;article, mais comme sources. Comme il est impensable de voir une citation d&eacute;plac&eacute;e et mise n&rsquo;importe o&ugrave;, il est tout simplement impensable qu&rsquo;on ait pu en faire autant avec des sources photographique&hellip; Cela est d&rsquo;autant dommageable que l&rsquo;article portait sur la contextualisation de cet album dont tout le monde conna&icirc;t les clich&eacute;s.</p>