<p class="texte">Faire un compte-rendu d&rsquo;un ouvrage &eacute;crit par un coll&egrave;gue et surtout un ami, avec lequel j&rsquo;ai publi&eacute; plusieurs articles, chapitres et livres n&rsquo;est pas ais&eacute;&nbsp;: on risque d&rsquo;&ecirc;tre accus&eacute; de partialit&eacute;&hellip; Pourtant, &ccedil;a ne sera pas le cas, bien que je sois dithyrambique dans le pr&eacute;sent compte-rendu.</p> <p class="texte">Nicolas Lebourg nous offre, avec cet ouvrage, une &eacute;tude passionnante &agrave; la fois tr&egrave;s &eacute;rudite et tr&egrave;s agr&eacute;able &agrave; lire sur l&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;existence depuis la fin de la Seconde guerre mondiale d&rsquo;Internationales n&eacute;ofascistes, la plus connue &eacute;tant la tentative de Malm&ouml; en Su&egrave;de, en 1952. S&rsquo;il a bien exist&eacute; des tentatives de cr&eacute;ation de structures internationales (Le Nouvel Ordre Europ&eacute;en, la World Union of National-Socialists&nbsp;&ndash; WUNS ou Union mondiale des nationaux-socialistes), l&rsquo;auteur montre tr&egrave;s bien que celles-ci se r&eacute;sument &agrave;&nbsp;: 1/quelques dizaines de personnes, rarement une centaine&nbsp;; 2/compos&eacute;es de &laquo;&nbsp;lunatic fringes&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire de marginaux et d&rsquo;excentriques, tels Matt Koehl ou Gary Lauck, &laquo;&nbsp;f&uuml;hrer&nbsp;&raquo; du NSDAP-AO (parti national-socialiste des travailleurs allemands en exil), qui reprit la coupe de coiffure et la moustache d&rsquo;Hitler et fut parodi&eacute; en 1980 dans le film <em>Blues Brothers</em>. Et de fait, ces militants auraient fait de tr&egrave;s mauvais nazis, bien qu&rsquo;il y ait parmi eux, de vrais anciens nazis (pensons aux anciens SS Marc Augier &ndash;&nbsp;connu apr&egrave;s guerre sous le pseudonyme de Saint-Loup&nbsp;&ndash;, Robert Dun &ndash;&nbsp;pseudonyme de Maurice Martin&nbsp;&ndash;, d&rsquo;Yves Jeanne ou d&rsquo;anciens SS autrichiens comme Wilhelm Landig devenu dans les ann&eacute;es 1970 un auteur de science fiction raciste). En effet, l&rsquo;ouvrage de Nicolas Lebourg met en &eacute;vidence &agrave; la fois les personnalit&eacute;s des principaux protagonistes, relevant de l&rsquo;&eacute;gotisme, et leur aspect amateuriste, sans parler de leur aspect h&eacute;t&eacute;rodoxe&nbsp;: beaucoup d&rsquo;entre eux sont des adeptes d&rsquo;une forme de n&eacute;opaganisme nazi, largement invent&eacute; apr&egrave;s-guerre par certains anciens SS, comme Saint-Loup et Landig, largement cit&eacute;s dans l&rsquo;ouvrage. Cependant, ce sont surtout les Chilien Miguel Serrano et fran&ccedil;aise Savitri Devi (la derni&egrave;re &eacute;tant membre de la WUNS).</p> <p class="texte">Une partie de l&rsquo;ouvrage s&rsquo;int&eacute;resse d&rsquo;ailleurs &agrave; diff&eacute;rentes biographies (Binet, Saint-Loup, Yockey) montrant les points communs et les diff&eacute;rences des uns et des autres. &Agrave; l&rsquo;exception du Belge Jean-Fran&ccedil;ois Thiriart, tr&egrave;s bien ins&eacute;r&eacute; dans la soci&eacute;t&eacute; &ndash;&nbsp;il &eacute;tait un opticien r&eacute;put&eacute; de Bruxelles poss&eacute;dant deux commerces&nbsp;&ndash;, de Saint-Loup journaliste et &eacute;crivain &agrave; succ&egrave;s &ndash;&nbsp;il faillit obtenir le prix Goncourt en 1953 avec <em>La Nuit commence au Cap Horn</em>&nbsp;&ndash;, et Miguel Serrano qui fut diplomate, on doit reconna&icirc;tre que nous avons affaire &agrave; des personnes qui vivent en marge de la soci&eacute;t&eacute;.</p> <p class="texte">L&rsquo;auteur nous explique &eacute;galement que l&rsquo;id&eacute;ologie nazie a mut&eacute; d&egrave;s les ann&eacute;es 1950&nbsp;: ces milieux ne cherchent plus &agrave; d&eacute;fendre la seule composante &laquo;&nbsp;nordique&nbsp;&raquo; de la population europ&eacute;enne, comme le firent les nazis et la Ligue Nordique dans les ann&eacute;es 1960, mais, au contraire, &agrave; d&eacute;fendre la race blanche de &laquo;&nbsp;Santiago du Chili &agrave; Johannesburg&nbsp;&raquo; pour reprendre le titre de l&rsquo;un des chapitres. L&rsquo;une des figures importantes de cette mutation fut l&rsquo;Am&eacute;ricain Francis Parker Yockey d&egrave;s la fin des ann&eacute;es 1940. Il n&rsquo;eut de cesse jusqu&rsquo;&agrave; sa mort en 1960 de promouvoir un nationalisme europ&eacute;en, rejetant &agrave; la fois l&rsquo;URSS et les &Eacute;tats-Unis. Une autre figure est l&rsquo;&eacute;crivain Saint-Loup, venu, comme Binet (il fut trotskiste durant les ann&eacute;es 1930), de la gauche. En effet, Saint-Loup, sous son vrai nom, fut un proche de Leo Lagrange durant le Front populaire&hellip; Apr&egrave;s son retour d&rsquo;exil, Saint-Loup/Marc Augier ne cessa de faire la promotion d&rsquo;une SS pa&iuml;enne et pan-europ&eacute;enne. Il s&rsquo;engagea parall&egrave;lement dans la d&eacute;fense des r&eacute;gimes racistes africains (Rhod&eacute;sie du Sud de Ian Smith et la R&eacute;publique Sud Africaine). Ce tournant occidentaliste et supr&eacute;maciste blanc a &eacute;t&eacute; suivi par la frange la plus radicale de l&rsquo;extr&ecirc;me droite fran&ccedil;aise. &Agrave; sa mort, il fut d&rsquo;ailleurs c&eacute;l&eacute;br&eacute; comme un passeur id&eacute;ologique transmettant la &laquo;&nbsp;foi pa&iuml;enne&nbsp;&raquo; de la SS &agrave; de nouvelles g&eacute;n&eacute;rations de militants.</p> <p class="texte">Cette &eacute;volution est surement la part &agrave; la fois la plus solide et la plus dangereuse de l&rsquo;id&eacute;ologie de ces milieux&nbsp;: en se greffant sur les discours supr&eacute;macistes blancs et nativistes am&eacute;ricains, elle a donn&eacute; naissance &agrave; l&rsquo;id&eacute;ologie identitaire, dont les pr&eacute;misses sont &agrave; chercher d&egrave;s les ann&eacute;es 1950 dans le Nouvel Ordre Europ&eacute;en fond&eacute; par le Suisse Gaston-Armand Amaudruz et le fran&ccedil;ais Ren&eacute; Binet. Une id&eacute;ologie qu&rsquo;on retrouvera en France dans les ann&eacute;es 1960 dans le groupuscule Europe-Action cr&eacute;&eacute; par Dominique Venner, puis &agrave; la suite de sa disparition, dans la Nouvelle Droite, fond&eacute;e en 1968 par une partie des anciens d&rsquo;Europe-Action.</p> <p class="texte">Comme Saint-Loup, l&rsquo;&eacute;crivain et journaliste Jean Mabire, membre d&rsquo;Europe-Action puis de la Nouvelle Droite, eut un r&ocirc;le de passeur. D&eacute;fendant un r&eacute;gionalisme ethniste et un nationalisme europ&eacute;en, il fit l&rsquo;&eacute;loge de la SS dans plusieurs ouvrages &agrave; grand succ&egrave;s, publi&eacute;s chez des &eacute;diteurs comme Fayard ou Albin Michel. Il publia &eacute;galement un ouvrage id&eacute;ologique proche du nazisme, <em>Thul&eacute;, le soleil retrouv&eacute; des Hyperbor&eacute;ens</em>. S&rsquo;il fut une grande r&eacute;f&eacute;rence, transmettant une foi pa&iuml;enne nordiciste, jusqu&rsquo;au milieu des ann&eacute;es 1990, il est aujourd&rsquo;hui bien oubli&eacute; des derni&egrave;res g&eacute;n&eacute;rations identitaires qui lui doivent pourtant beaucoup id&eacute;ologiquement.</p> <p class="texte">Cette &eacute;volution est importante pour comprendre l&rsquo;apparition de l&rsquo;id&eacute;ologie identitaire&nbsp;: elle recycle, euph&eacute;mise et hybride les discours nazis avec d&rsquo;autres r&eacute;f&eacute;rences, notamment de gauche (Claude L&eacute;vi-Strauss ou Robert Jaulin), voire retourne aux doctrines originelles, pr&eacute;nazies donc, du supr&eacute;macisme nordique &eacute;tatsuniens, r&eacute;&eacute;ditant et discutant les id&eacute;ologues pionniers comme Lothrop Stoddard ou Madison Grant, ce dernier &eacute;tant d&rsquo;ailleurs tr&egrave;s rapidement traduit par son disciples fran&ccedil;ais Georges Vacher de Lapouge, qui en pr&eacute;fa&ccedil;a la traduction.</p> <p class="texte">Ce point est d&rsquo;ailleurs capital&nbsp;: cette petite centaine d&rsquo;individus, parfois marginaux, ont r&eacute;ussi &agrave; r&eacute;orienter en vingt ans le discours nazi, qui est historiquement un nationalisme pangermaniste et antis&eacute;mite, vers une id&eacute;ologie mondiale, toujours antis&eacute;mite &ndash; et n&eacute;gationniste &ndash; promouvant la d&eacute;fense de la race blanche, c&rsquo;est-&agrave;-dire la d&eacute;fense d&rsquo;une civilisation europ&eacute;enne, du &laquo;&nbsp;grand remplacement&nbsp;&raquo; d&ucirc; &agrave; l&rsquo;immigration des &laquo;&nbsp;peuples de couleur&nbsp;&raquo; pour reprendre le titre d&rsquo;un livre de Stoddard. En effet, ces diff&eacute;rents id&eacute;ologues insistent &agrave; partir des ann&eacute;es 1960 sur l&rsquo;origine europ&eacute;enne de la &laquo;&nbsp;civilisation blanche&nbsp;&raquo;. Un point qui a &eacute;t&eacute; mis en avant par le terroriste de Christchurch, Tarrant. Si le livre montre que les principaux acteurs sont des marginaux et parfois des personnages lunaires, il ne faut oublier que cette id&eacute;ologie tue et a tu&eacute; plusieurs fois depuis 2016&hellip;</p> <p class="texte">Il s&rsquo;agit donc d&rsquo;un ouvrage plus que recommand&eacute; qui renouvelle l&rsquo;approche du n&eacute;onazisme et pour se faire se fonde sur des archives in&eacute;dites, fran&ccedil;aises et am&eacute;ricaines. Je n&rsquo;aurai que deux reproches &agrave; faire, non pas &agrave; l&rsquo;auteur, parce que ce n&rsquo;est pas l&rsquo;auteur qui d&eacute;cide sur ces points, mais &agrave; l&rsquo;&eacute;diteur&nbsp;: il aurait &eacute;t&eacute; judicieux de mettre les notes en bas de pages (ce n&rsquo;est pas franchement pratique de jongler pour retrouver des r&eacute;f&eacute;rences) et de mettre un index en fin d&rsquo;ouvrage, au vu des nombreuses r&eacute;f&eacute;rences de personnes.</p>