<p class="texte"><strong>DOSSIER : POLITIQUE DE SANTE</strong></p> <p class="texte">&shy;</p> <p class="texte"><em>Alain Deniau, psychiatre honoraire des H&ocirc;pitaux, ancien chef de service, il est l&rsquo;auteur de Vacillement de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, psychoses et soci&eacute;t&eacute; aux &eacute;ditions L&rsquo;Harmattan (2011), co-auteur de Psychanalyses, gourous et chamans en Inde&nbsp;: premi&egrave;re journ&eacute;e franco-indienne de psychiatrie-psychoth&eacute;rapie-psychanalyse (2007) qui interroge l&rsquo;impact des croyances, des mythes, de la tradition sur la sant&eacute; et la maladie mentale questionne les approches scientifiques occidentales centr&eacute;es sur l&rsquo;individu isol&eacute; de la communaut&eacute; et Quand la psychanalyse oriente la psychiatrie (2005).</em></p> <p><strong>SOMMAIRE</strong></p> <p><strong>Introduction</strong></p> <p><strong>1. Quelques principes pour un autre syst&egrave;me de sant&eacute;</strong></p> <p><strong>2. Instituer du temps pour &eacute;couter</strong></p> <p><strong>3. Un changement majeur dans les besoins de sant&eacute;</strong></p> <p><strong>4. Les Communaut&eacute;s Professionnelles Territoriales de Sant&eacute;</strong></p> <p><strong>5. A quelles r&eacute;sistances, la mise en &oelig;uvre des CPTS se heurtent-elles&nbsp;?</strong></p> <p><strong>6. Le devenir des h&ocirc;pitaux de proximit&eacute;</strong></p> <p class="texte">&nbsp;</p> <h1 class="texte">Introduction</h1> <p class="texte">On dit que notre syst&egrave;me de sant&eacute; est dans une impasse. C&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment parce qu&rsquo;il est excellent qu&rsquo;il peut si difficilement &eacute;voluer car il est con&ccedil;u pour une autre finalit&eacute; que la m&eacute;decine quotidienne. C&rsquo;est comme utiliser une voiture de luxe puissante et performante pour les petits trajets quotidiens. Le syst&egrave;me de sant&eacute; hospitalier, centr&eacute; sur les CHU, r&eacute;pond &agrave; la haute technicit&eacute;, &agrave; la transmission du savoir m&eacute;dical, &agrave; la recherche, mais ne satisfait plus les besoins simples et de proximit&eacute; des m&eacute;decins de ville et de la population.</p> <p class="texte">Le journal <em>Le Monde</em> a publi&eacute; le 12 septembre 2019 une tribune de Laurent Vercoustre, praticien hospitalier, obst&eacute;tricien, qui montre bien que deux courants s&rsquo;affrontent dans la transformation des h&ocirc;pitaux &agrave; l&rsquo;occasion de la crise actuelle des Urgences et au-del&agrave; de celle des H&ocirc;pitaux. Soit on les refonde au profit de la m&eacute;decine ambulatoire, soit il s&rsquo;agit d&rsquo;un colmatage par une augmentation simple des effectifs. Il &eacute;crit en effet&nbsp;: &laquo;&nbsp;La crise des urgences repr&eacute;sente le point de fixation d&rsquo;une maladie qui affecte l&rsquo;ensemble de notre syst&egrave;me de sant&eacute;. Cette maladie c&rsquo;est l&rsquo;hospitalocentrisme, dont on peut dater la naissance aux ordonnances Debr&eacute; en 1958 <em>[du nom du professeur Robert Debr&eacute;, initiateur de la r&eacute;forme portant cr&eacute;ation des centres hospitaliers universitaires)</em>. Le vieux monde, c&rsquo;est ce syst&egrave;me hospitalocentr&eacute;. Le nouveau, c&rsquo;est un syst&egrave;me centr&eacute; sur la m&eacute;decine ambulatoire. Nous sommes au milieu du gu&eacute;, nous souffrons.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte">De nombreux sympt&ocirc;mes montrent que ce dispositif extr&ecirc;mement pyramidal doit &ecirc;tre modifi&eacute; et compl&eacute;t&eacute;&nbsp;: les gr&egrave;ves successives des soignants sont l&rsquo;expression du surmenage du personnel, l&rsquo;encombrement des services d&rsquo;urgence par la &laquo;&nbsp;bobologie&nbsp;&raquo; cr&eacute;e une incompr&eacute;hension entre la population et les acteurs du soin. Les plaintes sur l&rsquo;&eacute;loignement des CHU, l&rsquo;indisponibilit&eacute; des m&eacute;decins, et particuli&egrave;rement des sp&eacute;cialistes, les fermetures des petits h&ocirc;pitaux sont l&rsquo;expression de ce malaise qui s&rsquo;&eacute;tend.</p> <p class="texte">Il faut donc mettre en place la n&eacute;cessaire r&eacute;forme du syst&egrave;me de sant&eacute; et en m&ecirc;me temps satisfaire les besoins imm&eacute;diats, en particulier en personnel. Mais on doit aussi viser &agrave; diminuer les pressions multiples qui s&rsquo;exercent sur la porte d&rsquo;entr&eacute;e du dispositif hospitalier&nbsp;: p&eacute;nurie de lits d&rsquo;aval d&eacute;di&eacute;s, trop grande facilit&eacute; de recours aux &laquo;&nbsp;Urgences&nbsp;&raquo; sans filtre pr&eacute;alable, m&eacute;lange des urgences vitales et des demandes de facilit&eacute;, induction et id&eacute;alisation par les m&eacute;diats de l&rsquo;illusion d&rsquo;une toute puissance m&eacute;dicale. Le risque en conduisant une r&eacute;forme de fond simultan&eacute;ment &agrave; une satisfaction des &laquo;&nbsp;besoins imm&eacute;diats&nbsp;&raquo; est de cumuler les difficult&eacute;s et de perdre de vue les objectifs &agrave; plus long terme.</p> <h1 class="texte">1. Quelques principes pour un autre syst&egrave;me de sant&eacute;</h1> <p class="texte">L&rsquo;exigence de chacun dans les moments les plus cruciaux de sa vie est de souhaiter que le dispositif de Sant&eacute; offre l<strong>a meilleure technicit&eacute; </strong>possible. Dans notre &eacute;poque marqu&eacute;e par le progr&egrave;s technique, cette premi&egrave;re demande est celle de moyens mat&eacute;riels et de professionnels bien form&eacute;s. Comme pour chaque m&eacute;decin individuellement, il n&rsquo;y a pas collectivement d&rsquo;obligation de r&eacute;sultat mais obligation de moyens pour obtenir le meilleur r&eacute;sultat possible.</p> <p class="texte">Cette exigence, potentiellement illimit&eacute;e, se heurte &agrave; un principe de r&eacute;alit&eacute; qui la limite sous plusieurs aspects&nbsp;: l<strong>a disponibilit&eacute; et la comp&eacute;tence des soignants. Pour quel le co&ucirc;t</strong>&nbsp;? Quel prix fait dire non&nbsp;?</p> <p class="texte">Une autre exigence, li&eacute;e au principe d&rsquo;&eacute;galit&eacute; dans son expression citoyenne, sociale et humaine est la <strong>proximit&eacute; </strong>du lieu o&ugrave; doit &ecirc;tre satisfaite la demande. Cette proximit&eacute; n&rsquo;est pas qu&rsquo;une question de temps et d&rsquo;accessibilit&eacute;, elle est aussi la garantie et la condition d&rsquo;une <strong>continuit&eacute; relationnelle </strong>entre les acteurs du soin et la famille. Par l&rsquo;int&eacute;gration de l&rsquo;acte de soin dans le milieu social, la proximit&eacute; offre la possibilit&eacute; d&rsquo;une meilleure pr&eacute;vention. Elle est particuli&egrave;rement importante pour la prise en charge des personnes &acirc;g&eacute;es et pour les maladies chroniques. Ainsi, on peut &eacute;viter l&rsquo;aggravation des troubles et innover dans l&rsquo;insertion sociale. Des exemples ponctuels d&eacute;montrent que les personnes &acirc;g&eacute;es b&eacute;n&eacute;ficient pleinement de la proximit&eacute; de vie dans des &eacute;tablissements mixtes avec des &eacute;tudiants ou m&ecirc;me des enfants.</p> <p class="texte">Partant de ces principes organisateurs, il s&rsquo;agit de donner les moyens d&rsquo;unifier le corps qui souffre et non de participer ou de provoquer son &eacute;clatement et sa fragmentation dans des offres de sp&eacute;cialit&eacute;s insuffisamment reli&eacute;es entre elles.</p> <p class="texte">Il est donc n&eacute;cessaire de concevoir un syst&egrave;me de soins qui sache centrer la prise en charge sur un niveau permettant une circulation horizontale et non pas marqu&eacute; par la convergence vers les h&ocirc;pitaux tels que les CHU et les CHR (Centre Hospitalier R&eacute;gional), c&rsquo;est &agrave; dire fond&eacute;s exclusivement sur la technicit&eacute; requise par les sp&eacute;cialit&eacute;s m&eacute;dicales ou chirurgicales. Un tel dispositif de proximit&eacute; en liaison avec ces H&ocirc;pitaux serait alors port&eacute; par des personnels polyvalents d&eacute;centralis&eacute;s qui apportent leur disponibilit&eacute;, tels que les <em>infirmiers en pratique avanc&eacute;e.</em> Ce lieu devient le support de la &laquo;&nbsp;<em>t&eacute;l&eacute;sant&eacute;&nbsp;</em>&raquo; (t&eacute;l&eacute;m&eacute;decine et t&eacute;l&eacute;soins) qui est la garantie de la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la comp&eacute;tence technique des sp&eacute;cialistes. Les habitudes des patients de recourir, au prix d&rsquo;un transport sp&eacute;cialis&eacute;, au centre de r&eacute;f&eacute;rence lui-m&ecirc;me, se modifieront peu &agrave; peu. On peut penser que ce dispositif horizontal et de proximit&eacute; se substituera au dispositif actuel, centr&eacute; sur l&rsquo;hypertechnicit&eacute;.</p> <h1 class="texte">2. Instituer du temps pour &eacute;couter</h1> <p class="texte">A tous les niveaux de l&rsquo;actuel dispositif de soins, les soignants font part de leur souffrance &agrave; effectuer un travail que pourtant ils aiment, souvent passionn&eacute;ment. Port&eacute; par l&rsquo;exigence d&rsquo;une implication personnelle o&ugrave; se conjuguent la pr&eacute;sence &agrave; l&rsquo;autre, la comp&eacute;tence technique et la solidarit&eacute; mutuelle, chaque soignant &eacute;prouve le besoin d&rsquo;&ecirc;tre entendu. Il est donc n&eacute;cessaire qu&rsquo;il puisse parler de sa relation &agrave; un patient particulier, aux patients en g&eacute;n&eacute;ral et aux autres soignants. Le mode de prise en charge m&eacute;dicale tend vers la fragmentation de la relation et donc la dispersion, entre les diff&eacute;rents soignants, du corps du patient et de l&rsquo;&eacute;coute de sa souffrance. C&rsquo;est particuli&egrave;rement &eacute;vident dans les parcours de soins des malades chroniques et des personnes &acirc;g&eacute;es. Il est donc essentiel de redonner vie &agrave; l&rsquo;implication personnelle de chaque soignant. La construction d&rsquo;une &eacute;coute de la parole des soignants a pour effet, en retour, d&rsquo;unifier le corps souffrant du patient. En dehors peut-&ecirc;tre, de certaines pathologies bien sp&eacute;cifiques, telles que les maladies orphelines ou h&eacute;r&eacute;ditaires, toutes les pathologies ont une composante psychosomatique, voire somato-psychique, qui doit &ecirc;tre entendue ce qui n&eacute;cessite la stabilit&eacute; relationnelle et la circulation de la parole, conditions de cette &laquo;&nbsp;entente&nbsp;&raquo;.</p> <p class="texte">Le <em>burn out</em> des soignants est le reflet du silence cr&eacute;&eacute; par l&rsquo;absence de modalit&eacute;s pour se faire entendre. Les soignants sont &laquo;&nbsp;travaill&eacute;s&nbsp;&raquo;, travers&eacute;s par les situations qu&rsquo;ils rencontrent, situations qui ne peuvent pas ne pas produire un effet dans leur vie personnelle jusqu&rsquo;&agrave; la souffrance intime. La parole structur&eacute;e autour d&rsquo;un &eacute;coutant, pendant un temps, construit et limit&eacute; mais pr&eacute;vu, est une n&eacute;cessit&eacute; de pr&eacute;vention de la souffrance des soignants.</p> <p class="texte">La souffrance des soignants est le sympt&ocirc;me social de ce que deviennent les urgences et le fonctionnement de l&rsquo;h&ocirc;pital. L&rsquo;incoh&eacute;rence et l&rsquo;insatisfaction li&eacute;e au financement &agrave; l&rsquo;activit&eacute; (T2A), la coupure entre la m&eacute;decine de ville et l&rsquo;h&ocirc;pital, source de ruptures dans le parcours de soin, et surtout une transformation progressive de la population fran&ccedil;aise participent de ce malaise.</p> <h1 class="texte">3. Un changement majeur dans les besoins de sant&eacute;</h1> <p class="texte">Le Conseil Economique, Social et Environnemental, dans un avis du 11 juin 2019, indique que la pr&eacute;valence des maladies chroniques est en hausse constante en France. Cette pr&eacute;valence en hausse est <em>&laquo;&nbsp;le signe d&rsquo;une transition &eacute;pid&eacute;miologique en cours et donc d&rsquo;un changement majeur dans les</em> <em>besoins de sant&eacute; des populations qui impose une transformation d&rsquo;ampleur du syst&egrave;me de soins&nbsp;&raquo;.</em></p> <p class="texte">Le CESE indique aussi, dans son avis, que le syst&egrave;me fran&ccedil;ais de sant&eacute; pr&eacute;sente <em>&laquo;&nbsp;des handicaps&nbsp;li&eacute;s &agrave; son histoire qui freinent, sans la rendre impossible, la mise en place d&rsquo;une politique de pr&eacute;vention et de prise en charge des maladies chroniques&nbsp;&raquo;</em>. Il pointe ici la tare d&rsquo;origine du syst&egrave;me sanitaire qui est une assurance et d&eacute;laisse la pr&eacute;vention, &agrave; la diff&eacute;rence par exemple du NSH anglais. Il prolonge son avis en remarquant que notre syst&egrave;me de soins est construit autour de l&rsquo;h&ocirc;pital et des sp&eacute;cialit&eacute;s m&eacute;dicales pour des malades en phase aigu&euml; avec d&rsquo;importants cloisonnements entre la m&eacute;decine de ville et les &eacute;tablissements hospitaliers, entre le m&eacute;dical et le social. Ce qui contribue <em>&laquo;&nbsp;&agrave; la complexification des parcours, trop souvent devenus une juxtaposition de prestations m&eacute;dicales voire une succession de s&eacute;quences de soin.&nbsp;&raquo;</em></p> <p class="texte">Sur le plan &eacute;conomique, les d&eacute;penses de sant&eacute; r&eacute;alis&eacute;es au titre des ALD augmentent plus rapidement que les autres d&eacute;penses de sant&eacute; (de 3,8&nbsp;% par an en moyenne entre 2011 &agrave; 2016, contre 2,7&nbsp;% pour l&rsquo;ensemble des d&eacute;penses de soins), ajoute le CESE, qui pr&eacute;cise que les d&eacute;penses de sant&eacute; des personnes en ALD sont en moyenne 7 fois plus &eacute;lev&eacute;es que celles des autres assur&eacute;s. Le CESE estime que le premier d&eacute;fi est celui de <em>&laquo;&nbsp;la coordination qui doit aller bien au-del&agrave; du seul &eacute;change d&rsquo;informations&nbsp;&raquo;</em>.Enfin les logiques de coordination et de parcours, li&eacute;es &agrave; la mont&eacute;e en puissance des maladies chroniques se heurtent aux difficult&eacute;s actuelles du syst&egrave;me de sant&eacute;. La volont&eacute; affich&eacute;e de faire de la m&eacute;decine de ville &agrave; la fois <em>&laquo;&nbsp;le point d&rsquo;entr&eacute;e du patient ou de la patiente dans un processus de prise en charge globale&nbsp;&raquo;</em> et<em> &laquo;&nbsp;le point pivot de la coordination&nbsp;&raquo; </em>ne se concr&eacute;tise pas toujours suffisamment car le g&eacute;n&eacute;raliste n&rsquo;a pas le temps de coordonner.</p> <p class="texte">La d&eacute;mographie m&eacute;dicale d&eacute;favorable contribue, dans des proportions diff&eacute;rentes selon les territoires, <em>&laquo;&nbsp;&agrave; la r&eacute;duction du temps m&eacute;dical disponible de la m&eacute;decine de ville. Trop souvent, le m&eacute;decin g&eacute;n&eacute;raliste n&rsquo;a ni le temps, ni la comp&eacute;tence administrativo-technique, ni les moyens, ni la r&eacute;mun&eacute;ration pour g&eacute;rer et concevoir une v&eacute;ritable coordination.&nbsp;&raquo; </em>En outre, les EHPAD re&ccedil;oivent une population de plus en plus nombreuse, de plus en plus &acirc;g&eacute;e et de plus en plus d&eacute;pendante, ajoute le CESE. Ils n&rsquo;ont pas la capacit&eacute; de r&eacute;pondre aux besoins m&eacute;dicaux de leurs r&eacute;sidents. Si bien que <em>&laquo;&nbsp;les h&ocirc;pitaux (et notamment leurs services d&rsquo;urgence) sont devenus une voie de recours utilis&eacute;e &agrave; l&rsquo;exc&egrave;s&nbsp;&raquo;.</em></p> <p class="texte">A l&rsquo;&eacute;vidence, le syst&egrave;me sanitaire fran&ccedil;ais exige une r&eacute;forme profonde. Deux lois, &eacute;manant de deux ministres successifs, tentent d&rsquo;y r&eacute;pondre&nbsp;: la loi de 2016, port&eacute;e par Mme Marisol Touraine, dite de &laquo;&nbsp;Loi de Modernisation de notre syst&egrave;me de sant&eacute;&nbsp;&raquo; et la loi &laquo;&nbsp;Ma Sant&eacute; 2022&nbsp;&raquo; port&eacute;e par Mme Agn&egrave;s Buzyn.</p> <h1 class="texte">4. Les Communaut&eacute;s Professionnelles Territoriales de Sant&eacute;</h1> <p class="texte">La Loi du 26 janvier 2016 propose de rompre avec la verticalit&eacute; de l&rsquo;hospitalocentrisme&nbsp;en instituant un r&eacute;seau de soins et de pr&eacute;vention par des <em>Communaut&eacute;s Professionnelles Territoriales de Sant&eacute;</em> (CPTS)&nbsp;: Maisons pluridisciplinaires avec infirmi&egrave;res de soin et de permanence, kin&eacute;s, assistantes sociales, imagerie de base et m&eacute;decin (s). Les CPTS deviendraient alors le point central o&ugrave; sont dirig&eacute;es les urgences non vitales et c&rsquo;est depuis leur appr&eacute;ciation clinique par le m&eacute;decin, &eacute;ventuellement aid&eacute; par la t&eacute;l&eacute;sant&eacute;, que le transfert aux urgences hospitali&egrave;res pourrait &ecirc;tre d&eacute;cid&eacute;. Il faut se souvenir que dans le mod&egrave;le danois, qui semble inspirer ces lois, le patient ne peut avoir l&rsquo;initiative de consulter directement par les Urgences. Seul un m&eacute;decin peut le d&eacute;cider et adresser.</p> <p class="texte">Mais, dans le texte de 2016, la dimension interprofessionnelle reste en retrait. Seule est cr&eacute;&eacute; la notion de &laquo;&nbsp;<em>fonction infirmi&egrave;re avanc&eacute;e&nbsp;</em>&raquo; qui peut d&eacute;finir la dimension pivot de l&rsquo;infirmi&egrave;re responsable de la permanence&nbsp;: le m&eacute;decin comme r&eacute;f&eacute;rent et l&rsquo;infirmi&egrave;re &laquo;&nbsp;avanc&eacute;e&nbsp;&raquo; au premier plan sont le socle des futurs CPTS. Une nouvelle fonction infirmi&egrave;re se dessinerait&nbsp;: infirmi&egrave;re d&rsquo;accueil, d&rsquo;&eacute;coute, d&rsquo;orientation. Elle pourra effectuer les premiers soins aux adultes et aux enfants, articulera la coordination vers les autres membres de la communaut&eacute; soignante. Cette fonction est nomm&eacute;e &laquo;&nbsp;avanc&eacute;e&nbsp;&raquo;. Elle s&rsquo;inscrit dans une reconnaissance assez large des comp&eacute;tences acquises par la profession infirmi&egrave;re. M&ecirc;me si ce dispositif est cr&eacute;&eacute; par une loi, il semble que peu de personnes s&rsquo;en soient saisi pour faire entendre son aspect novateur et sa dimension d&rsquo;alternative &agrave; la crise de l&rsquo;hospitalocentrisme. A lire les courriels des Blogs, il appara&icirc;t que de nombreux m&eacute;decins s&rsquo;opposent &agrave; tout changement.</p> <p class="texte">La charge qui p&egrave;serait sur ces infirmi&egrave;res exige qu&rsquo;elles soient soutenues par des p&eacute;diatres puisque ces CPTS sont situ&eacute;s en amont de la PMI, mais aussi par des g&eacute;n&eacute;ralistes qui sont leurs r&eacute;f&eacute;rents naturels. Comme pour les r&eacute;gulateurs des SAMU, il est n&eacute;cessaire qu&rsquo;elles soient &laquo;&nbsp;pilot&eacute;es&nbsp;&raquo; &agrave; l&rsquo;int&eacute;rieur m&ecirc;me de leur collectif, par des r&eacute;f&eacute;rents et qu&rsquo;il y ait des temps institutionnels de concertation. La dimension d&rsquo;&eacute;coute individuelle et collective des CPTS implique la r&eacute;f&eacute;rence &agrave; un analyste, en particulier pour construire un cadre de travail qui, parce qu&rsquo;il est tr&egrave;s proche et porteur d&rsquo;actions multiples, peut envahir la vie personnelle et sociale de <em>l&rsquo;infirmi&egrave;re avanc&eacute;e</em>. La r&eacute;f&eacute;rence &agrave; des coll&egrave;gues plus exp&eacute;riment&eacute;s et le recours &agrave; la <em>t&eacute;l&eacute;sant&eacute;</em> doivent transformer ce cadre pionnier de travail. Ceux qui s&rsquo;y sont d&eacute;j&agrave; engag&eacute;s confirment la dimension enseignante et le grand int&eacute;r&ecirc;t du travail pluridisciplinaire, dimensions qui rendent attractif de cr&eacute;er ce nouveau collectif professionnel et d&rsquo;y participer.</p> <h1 class="texte">5. A quelles r&eacute;sistances, la mise en &oelig;uvre des CPTS se heurtent-elles&nbsp;?</h1> <p class="texte">La loi Touraine de Janvier 2016 s&rsquo;est donc heurt&eacute;e &agrave; de tr&egrave;s nombreuses r&eacute;sistances qui ont largement compromis son application. Elles se sont en particulier focalis&eacute;es sur la question du tiers payant. On peut voir dans l&rsquo;apr&egrave;s-coup que la c&eacute;cit&eacute; politique des s&eacute;nateurs &agrave; percevoir que de nombreux patients qui ne peuvent payer leur &laquo;&nbsp;reste &agrave; charge&nbsp;&raquo; se sont retrouv&eacute;s dans la revendication de pauvret&eacute; des &laquo;&nbsp;Gilets jaunes&nbsp;&raquo;, de ceux qui ne&nbsp;&raquo;&nbsp;peuvent joindre les deux bouts&nbsp;&raquo;. (On estime que 9 millions de personnes sont pauvres en France en 2019.) Les 170 articles suppl&eacute;mentaires de la loi introduits par les s&eacute;nateurs expriment pleinement l&rsquo;id&eacute;ologie m&eacute;dicale dans son refus d&rsquo;invention d&rsquo;une structure novatrice, dans l&rsquo;excessive confiance dans la capacit&eacute; constructive des professions lib&eacute;rales et dans la d&eacute;fiance &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de l&rsquo;administration de la Sant&eacute;.</p> <p class="texte">La loi <em>Ma Sant&eacute; 2022</em> du 24 juillet 2019 port&eacute;e par Agn&egrave;s Buzyn contourne ces difficult&eacute;s en proposant que les professions concern&eacute;es soient elles-m&ecirc;mes &agrave; l&rsquo;initiative des regroupements professionnels en les incitant et en les accompagnant. Il semble que, gr&acirc;ce &agrave; la cr&eacute;ation de la profession &laquo;&nbsp;<em>assistants m&eacute;dicaux&nbsp;</em>&raquo; et &agrave; des aides financi&egrave;res directes pour ceux qui ne veulent plus d&rsquo;un travail dans l&rsquo;isolement professionnel, la mutation des mentalit&eacute;s soit en train de s&rsquo;engager. Avant 2016, une certaine diversit&eacute; de regroupements possibles existait d&eacute;j&agrave;&nbsp;: Centres de sant&eacute; polyvalents, Plateformes Territoriales de Sant&eacute;. Par reconversion, d&egrave;s 2016, on d&eacute;nombrait d&eacute;j&agrave; une centaine de CPTS. Pour 2020, il semble qu&rsquo;il y en aurait un millier. L&rsquo;attractivit&eacute; parait r&eacute;elle. La cr&eacute;ation de 4&nbsp;000 postes d&rsquo;<em>assistants m&eacute;dicaux,</em> la reconnaissance d&rsquo;<em>infirmiers en pratique avanc&eacute;e,</em> de dotations sp&eacute;cifiques permettent de construire un r&eacute;seau de soins efficace.</p> <p class="texte">La difficult&eacute; de r&eacute;pondre aux <em>demandes de soins non programm&eacute;es</em> (urgences), les ratages des <em>parcours de soin</em> du patient mal coordonn&eacute;s (d&eacute;faut de fluidit&eacute;) co&ucirc;tent cher et aggravent les pathologies des personnes &acirc;g&eacute;es et les pathologies chroniques qui affectent des patients de plus en plus nombreux. Le besoin de formation permanente pluridisciplinaire, la r&eacute;duction de l&rsquo;isolement des praticiens, qui contribue &agrave; la formation des d&eacute;serts m&eacute;dicaux, trouvent une r&eacute;ponse dans cette incitation aux regroupements professionnels.</p> <p class="texte">La mutation sera lente car, &agrave; la diff&eacute;rence de la d&eacute;marche de la pr&eacute;c&eacute;dente ministre, Mme Marisol Touraine, Mme Agn&egrave;s Buzyn a choisi que la mise en place des CPTS soit faite par l&rsquo;initiative des professionnels lib&eacute;raux locaux avec l&rsquo;appui des Agences R&eacute;gionales de Sant&eacute; et en concertation avec les h&ocirc;pitaux pour la t&eacute;l&eacute;sant&eacute;. Les incitations financi&egrave;res sous forme de bonus auront sans doute leurs pendants, ult&eacute;rieurement, en malus pour ceux qui resteraient &agrave; l&rsquo;&eacute;cart, ce qui suscitera certainement des toll&eacute;s et agira comme des &eacute;tendards de refus et des repoussoirs&hellip;</p> <h1 class="texte">6. Le devenir des h&ocirc;pitaux de proximit&eacute;</h1> <p class="texte">Ces petits h&ocirc;pitaux centr&eacute;s sur la g&eacute;riatrie et le m&eacute;dico-social sont depuis plusieurs ann&eacute;es un enjeu politique La Direction G&eacute;n&eacute;rale &agrave; l&rsquo;Offre des Soins s&rsquo;en pr&eacute;occupe depuis la suppression des H&ocirc;pitaux Locaux en 2012.<sup><a class="footnotecall" href="#ftn1" id="bodyftn1">1</a></sup> Leur fermeture, qui est pourtant parfois n&eacute;cessaire soul&egrave;ve &agrave; chaque fois des vives manifestations. Ils sont un enjeu politique d&rsquo;&ecirc;tre souvent le principal employeur et un embl&egrave;me d&rsquo;identit&eacute; pour la ville. Toutefois, il faut avouer qu&rsquo;ils fonctionnent principalement avec un fonds de client&egrave;le captive qui a l&rsquo;obligation de s&rsquo;y rendre. Il faut aussi accepter de reconnaitre que les m&eacute;decins qui y travaillent ne peuvent pas tout effectuer. Ce qui explique que les actes de maternit&eacute; ou de chirurgie leur soient devenus impossibles &agrave; pratiquer. Le risque de ratage technique est trop &eacute;lev&eacute;. Ces petits h&ocirc;pitaux sont au nombre d&rsquo;environ 600. Il leur faut &eacute;tablir une reconversion vers les soins m&eacute;dicaux de proximit&eacute; et donc une articulation &eacute;troite avec les nouveaux CPTS. Il faut aussi en diminuer le nombre pour mettre l&rsquo;accent sur la prise en charge ambulatoire, en particulier celle des nombreuses pathologies chroniques, telles que le diab&egrave;te, tout en assurant une compl&eacute;mentarit&eacute; avec les h&ocirc;pitaux plus sp&eacute;cialis&eacute;s. Une liste de 243 h&ocirc;pitaux a &eacute;t&eacute; dress&eacute;e pour devenir ces h&ocirc;pitaux de proximit&eacute; enrichis de moyens techniques pour la m&eacute;decine et la t&eacute;l&eacute;sant&eacute;. Leur niveau sera ainsi augment&eacute;.</p> <p class="texte">C&rsquo;est ce que d&eacute;crit Claude Evin en avril 2019 dans son Blog&nbsp;: &laquo;&nbsp;Il est indispensable de d&eacute;velopper (et cela peut compenser localement, en termes de ressources humaines, la fermeture de certains plateaux techniques) des &eacute;tablissements de sant&eacute; communautaires assurant une ligne d&rsquo;hospitalisation de premier recours, au service des m&eacute;decins de ville, bien int&eacute;gr&eacute;s dans leur environnement, principalement ax&eacute;s sur la m&eacute;decine polyvalente et la fili&egrave;re g&eacute;riatrique (court s&eacute;jour, SSR, USLD, EHPAD, &eacute;quipes mobiles&hellip;), pouvant servir de point d&rsquo;appui &agrave; la r&eacute;gulation des soins non programm&eacute;s et des urgences, avec le cas &eacute;ch&eacute;ant un plateau d&rsquo;imagerie de proximit&eacute; et de biologie de routine, et pouvant comporter, en fonction des sp&eacute;cificit&eacute;s territoriales, un centre de suivi de grossesse de proximit&eacute;.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte">Les fonctions &eacute;num&eacute;r&eacute;es par Claude Evin d&eacute;finissent un programme coh&eacute;rent qui peut pr&eacute;venir en amont les effets n&eacute;gatifs de la convergence hospitalocentr&eacute;e des &laquo;&nbsp;soins non programm&eacute;s&nbsp;&raquo;. Il d&eacute;finit ainsi trois niveaux&nbsp;: l&rsquo;action individuelle des praticiens lib&eacute;raux, la proximit&eacute; d&rsquo;un regroupement pluridisciplinaire dans un CTPS avec l&rsquo;articulation autour d&rsquo;un h&ocirc;pital de proximit&eacute; et l&rsquo;h&ocirc;pital de r&eacute;f&eacute;rence, CHR ou CHU, reli&eacute; au niveau pr&eacute;c&eacute;dent pour le t&eacute;l&eacute;soin et la t&eacute;l&eacute;m&eacute;decine.</p> <p class="texte">La mise en &oelig;uvre de ce programme de r&eacute;forme de la sant&eacute; s&rsquo;est instruite des difficult&eacute;s de celui de 2016. Il attend que les professionnels concern&eacute;s expriment leur d&eacute;sir de regroupement. Pour cette raison le cadre juridique et financier (Loi 1901 ou Centre de Sant&eacute;&nbsp;?) n&rsquo;est pas d&eacute;fini ce qui laisse la place &agrave; des innovations, mais en m&ecirc;me temps cette absence de cadre freine la r&eacute;alisation et permet aux r&eacute;sistances au changement de mieux s&rsquo;y opposer. Il faut constater que ce programme coh&eacute;rent r&eacute;ussit. Plus de mille CPTS sont en cours de formation.</p> <p class="texte">Les deux lois sont finalement compl&eacute;mentaires gr&acirc;ce &agrave; la cr&eacute;ation des <em>CPTS </em>et &agrave; la d&eacute;finition des <em>infirmiers de pratique avanc&eacute;e</em> pour la premi&egrave;re et la cr&eacute;ation de 4&nbsp;000 <em>assistants m&eacute;dicaux</em>, la mise en place de la<em> &laquo;&nbsp;t&eacute;l&eacute;sant&eacute;&nbsp;&raquo; </em>ainsi que la transformation des h&ocirc;pitaux locaux en <em>h&ocirc;pitaux m&eacute;dicaux de proximit&eacute;</em>, en lien et en appuis des CPTS. Un nouveau paysage se dessine qui ouvre une issue &agrave; la crise des Centres Hospitaliers et des urgences et offre une alternative pour r&eacute;duire les &laquo;&nbsp;d&eacute;serts m&eacute;dicaux&nbsp;&raquo;, mais il y a urgence &agrave; r&eacute;aliser ce programme. Le temps joue contre lui. C&rsquo;est ce que remarque l&rsquo;&eacute;conomiste de la sant&eacute; Brigitte Dormont dans une interview dans <em>Lib&eacute;ration</em> du 14 novembre 2019&nbsp;: &laquo;&nbsp;Agn&egrave;s Buzyn tente de jouer la montre et attend le d&eacute;ploiement du plan &laquo;&nbsp;Ma sant&eacute; 2022&nbsp;&raquo; annonc&eacute; il y a un an, qui pr&eacute;voit d&rsquo;am&eacute;liorer la coordination des m&eacute;decins de ville pour soulager l&rsquo;h&ocirc;pital. Mais ce plan, s&rsquo;il fonctionne, mettra des ann&eacute;es &agrave; produire ses effets&nbsp;! C&rsquo;est d&eacute;raisonnable. Le gouvernement doit prendre la mesure de la crise &agrave; l&rsquo;h&ocirc;pital public.&nbsp;&raquo;</p> <p class="texte"><a class="FootnoteSymbol" href="#bodyftn1" id="ftn1">1</a> &laquo;&nbsp;Le renforcement de l&rsquo;offre de premier recours et de proximit&eacute; est une priorit&eacute; pour la DGOS, inscrite fortement dans son programme de travail depuis 2012, tant sur son versant que sur son versant hospitalier. C&rsquo;est en effet dans la proximit&eacute; que se gagneront les principaux d&eacute;fis qui se posent &agrave; nous&nbsp;: garantir pour tous l&rsquo;&eacute;quit&eacute; d&rsquo;acc&egrave;s &agrave; des soins de qualit&eacute; sur tous les territoires et r&eacute;ussir &agrave; construire des prises en charge fluides et efficaces pour nos patients de plus en plus souvent atteints de pathologies chroniques et de plus en plus vuln&eacute;rables, par leur &acirc;ge, leur maladie, leur isolement ou leur situation sociale. Nous devons concevoir les h&ocirc;pitaux de proximit&eacute; comme un pivot de l&rsquo;offre de soins sur les territoires. Au travers de leurs missions, ils sont un point de rencontre entre les soins de ville et les soins hospitaliers, le premier et le second recours, le sanitaire et le m&eacute;dico-social. Au c&oelig;ur des prises en charge de proximit&eacute; et des parcours de soin, ils ont &eacute;galement vocation &agrave; jouer un r&ocirc;le dans leur environnement. Ils sont, et le seront davantage demain, un lieu d&rsquo;int&eacute;gration, un support d&rsquo;innovations organisationnelles construites entre professionnels de sant&eacute; quels que soient le m&eacute;tier ou le mode d&rsquo;exercice.&nbsp;&raquo; Document de la DGOS, sur le WEB.</p>