<p class="texte">Le livre de Nathalie Rheims nous int&eacute;resse car elle d&eacute;crit avec son talent d&rsquo;&eacute;crivaine la douleur d&rsquo;existence d&rsquo;une pathologie h&eacute;r&eacute;ditaire. Une maladie a tu&eacute; toutes les femmes de sa famille. Pour refuser cette repr&eacute;sentation qui lui fait horreur, elle s&rsquo;est invent&eacute; une autre origine et donc une autre lign&eacute;e f&eacute;minine.</p> <p class="texte">Mais son d&eacute;ni radical &eacute;t&eacute; lev&eacute; dramatiquement quand, en insuffisance r&eacute;nale aigu&euml;, elle a sombr&eacute; brutalement dans un coma ur&eacute;mique. Elle est alors rest&eacute;e six semaines en r&eacute;animation, puis un mois en soins intensifs. Dans l&rsquo;apr&egrave;s-coup, Nathalie Rheims revit par l&rsquo;&eacute;criture l&rsquo;inqui&eacute;tante &eacute;tranget&eacute; qui s&rsquo;est empar&eacute;e d&rsquo;elle. D&eacute;pendante des machines qui la font vivre, elle les &eacute;prouve comme de gros insectes qui la d&eacute;vorent, la terrifient en transformant les sensations internes de son corps. Elle ressent intens&eacute;ment, comme une glaciation interne, les variations de temp&eacute;rature du sang qui entre et sort de son corps. La perte des rep&egrave;res spatiaux et temporels lui fait vivre dans une angoisse intense les jours et les nuits. Dracula la menace.</p> <p class="texte">Son talent d&rsquo;&eacute;crivaine est de r&eacute;ussir &agrave; revivre et &agrave; communiquer ces moments d&rsquo;angoisse intense que les hospitalis&eacute;s, apr&egrave;s avoir quitt&eacute; la r&eacute;animation, cherchent &agrave; oublier pour se consacrer au plaisir d&rsquo;un corps qui retrouve ses limites, ses rythmes, ses esp&eacute;rances.</p> <p class="texte">Quand elle accepte son destin de malade, comme sa m&egrave;re, sa grand-m&egrave;re, sa grand-tante, elle peut &eacute;crire sur sa vie de dialys&eacute;e trois fois par semaine. Elle rage d&rsquo;&ecirc;tre astreinte &agrave; cette contrainte vitale pour ne se sentir vivre que quelques heures par semaine. Elles deviennent l&rsquo;unique moment de plaisir d&rsquo;une vie lib&eacute;r&eacute;e de la machine et de son effet &eacute;puisant. Le reste du temps, elle est livr&eacute;e &agrave; la machine, prise dans la m&eacute;moire des femmes qui l&rsquo;on pr&eacute;c&eacute;d&eacute;e dans l&rsquo;in&eacute;luctable.</p> <p class="texte">Ecrire ce livre est pour elle un hommage &agrave; sa m&egrave;re dont elle n&rsquo;avait pas d&eacute;sign&eacute; la souffrance dans un roman pr&eacute;c&eacute;dent, ce qui montre &agrave; quel point le d&eacute;ni forgeait son existence. Le livre est un hommage &agrave; son sauveur qui l&rsquo;a sortie de l&rsquo;apocalypse, amant &laquo;&nbsp;donneur-vivant&nbsp;&raquo; d&rsquo;un rein et une esp&eacute;rance offerte &agrave; tous les dialys&eacute;s en attente de la g&eacute;n&eacute;rosit&eacute; d&rsquo;un tel don.</p> <p class="texte">Nathalie Rheims fait entendre par l&rsquo;effort de cr&eacute;ation d&rsquo;une &eacute;criture vers l&rsquo;indicible la transformation psychique qu&rsquo;apporte le fait d&rsquo;avoir &eacute;t&eacute; par la maladie aux portes de l&rsquo;enfer et sur le fil du rasoir de la vie. Elle en a &eacute;t&eacute; transform&eacute;e dans sa vision de l&rsquo;existence et dans ses sensations corporelles. La mort n&rsquo;est plus une horreur puisqu&rsquo;elle est comme enceinte d&rsquo;une part de l&rsquo;autre qui accompagnera sa d&eacute;pouille. Ce livre, &eacute;loge des prouesses techniques de la m&eacute;decine montre, aussi que la m&eacute;decine est en impasse si elle ne se porte pas vers l&rsquo;&eacute;ducation sanitaire pour lever la n&eacute;gation d&rsquo;une maladie. Il dit aussi que, au-del&agrave; des machines, il y a la chaleur et la g&eacute;n&eacute;rosit&eacute; des soignants qui repr&eacute;sentent la vie aux portes de la mort.</p> <p class="texte">Ce livre est un r&eacute;cit intens&eacute;ment subjectif, &agrave; la diff&eacute;rence du roman passionnant lui aussi de Maylis de Kerangal, <em>R&eacute;parer les vivants,</em> a la distance objective une enqu&ecirc;te. Il est plus pr&egrave;s, par sa dimension autobiographique, de <em>L&rsquo;intrus</em>, r&eacute;cit du philosophe Jean Luc Nancy, qui interroge les effets subjectifs et les perspectives ontologiques de &laquo;&nbsp;sa&nbsp;&raquo; greffe du c&oelig;ur.</p> <p class="texte">Ces livres d&eacute;signent un nouvel espace d&rsquo;&eacute;criture et de r&eacute;flexion. La restauration de la sant&eacute; n&rsquo;est plus l&rsquo;affaire exclusive des sp&eacute;cialistes. Elle devient aussi celle des patients qu&rsquo;ils soient ces nouveaux &laquo;&nbsp;patients experts&nbsp;&raquo; ou ceux qui font connaitre leur exp&eacute;rience de la m&eacute;decine des confins de la vie et de la mort.</p>