<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:12pt"><span style="background:white"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">Comment la psychologie politique peut-elle ne pas &eacute;tudier le pouvoir des langues dans la structuration des identit&eacute;s et des conflits politiques qui divisent les Etats ? Comment peut-elle passer outre l&#39;influence de la langue maternelle qui fabrique la premi&egrave;re communaut&eacute; d&#39;appartenance et des liens affectifs majeurs dans les relations familiales et amicales, entre ceux avec lesquels le dialogue est imm&eacute;diat, et les autres, ceux avec lesquels il faudra franchir l&#39;obstacle de l&#39;apprentissage d&#39;une autre langue ?</span></span></span></span></p> <p class="meta" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="background:white"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">Comment surtout faire fi de ces &eacute;v&eacute;nements r&eacute;cents&nbsp;? Il faut lire l&rsquo;excellent article d&rsquo;<a href="https://www.cairn.info/publications-de-Hisham-Aidi--673690.htm"><span style="color:black"><span style="text-decoration:none"><span style="text-underline:none">Hisham Aidi</span></span></span></a>&nbsp;: <i>les blessures ouvertes&nbsp;du Rif</i> dans la revue&nbsp;<a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes.htm"><span style="color:black"><span style="text-decoration:none"><span style="text-underline:none">Multitudes</span></span></span></a> 2017/3, n&deg;68. Celui-ci rappelle l&rsquo;histoire des berb&egrave;res r&eacute;sistants aux Espagnols mis en d&eacute;route le 22 juillet 1921 dans cette bataille d&rsquo;Annoual m&eacute;morable. Premi&egrave;re victoire historique contre les colons. Mais s&rsquo;ensuivit la r&eacute;pression coloniale et les massacres des villages en 1925 et 1926, dont l&rsquo;usage du gaz moutarde ou Yp&eacute;rit achet&eacute; aux Allemands pour exterminer les villageois du Rif. Faits &eacute;tablis par des historiens &agrave; l&rsquo;instar de Sebastian Balfour et Angel Vinas, toujours non-reconnu par les Espagnols. Hassan II poursuivit l&rsquo;humiliation des berb&egrave;res pendant plusieurs d&eacute;cennies. Mais la persistance de la r&eacute;sistance politique et culturelle conduit le Royaume &agrave; consacrer le tamazight comme langue officielle de l&rsquo;Etat en 2011 avant la loi de 2019 qui officialise son usage au Parlement et dans les institutions dont l&rsquo;&eacute;ducation apr&egrave;s des troubles majeurs en 2016 et 2017. Or, cette langue emporte avec elle un mode de vie et des traditions d&eacute;cri&eacute;es par les arabes et des imans averses aux tatouages par exemple. Que, d&egrave;s l&rsquo;origine, la r&eacute;volte initiale ait un caract&egrave;re politique lorsque Abdelkrim el-Khattabi unifie les tribus berb&egrave;res, tr&egrave;s certainement. Mais le creuset de cette unit&eacute; n&rsquo;est-il pas l&rsquo;unit&eacute; linguistique, le fait d&rsquo;appartenir &agrave; une communaut&eacute; qui relie des villages dans la langue et ce qu&rsquo;elle charrie des m&oelig;urs locales&nbsp;?</span></span></span></span></p> <p class="meta" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="background:white"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">Et que se joue-t-il en Ukraine aujourd&rsquo;hui m&ecirc;me&nbsp;? Un brillant article de Faustine Vincent dans le Monde du 16 f&eacute;vrier 2021 intitul&eacute; <i>Histoire de l&rsquo;Ukraine&nbsp;: la bataille des langues</i>, explique bien la situation linguistique et les enjeux politiques sous-jacents. La journaliste pr&eacute;cise&nbsp;: &laquo;&nbsp;<i>Cela fait plus de trente ans que c&rsquo;est la seule langue officielle de cette ancienne r&eacute;publique sovi&eacute;tique, et pourtant, aujourd&rsquo;hui encore, c&rsquo;est le russe qui domine la sph&egrave;re publique dans les grandes villes. Au restaurant, il arrive de trouver un menu en russe et en anglais, mais pas en ukrainien. Dans les magasins, il n&rsquo;est pas rare de voir un client et un vendeur &eacute;changer chacun dans une langue diff&eacute;rente, sans que cela pose probl&egrave;me &ndash; presque toute la population est bilingue</i>.&nbsp;&raquo; Les s&eacute;paratistes n&rsquo;ont-ils pas pr&eacute;text&eacute; de leur libert&eacute; de parler le russe maternel&nbsp;? L&rsquo;Etat ukrainien n&rsquo;a-t-il pas adopt&eacute; une loi vot&eacute;e en&nbsp;2019 sous l&rsquo;ancien pr&eacute;sident Petro Porochenko sur l&rsquo;instauration du seul ukrainien dans la vie publique&nbsp;? Les contrevenants ne sont-ils pas passibles d&rsquo;une amende de 150 &agrave; 200 &euro;&nbsp;? La guerre n&rsquo;a-t-elle pas &eacute;t&eacute; d&rsquo;abord celle de la langue comme symbole de l&rsquo;unit&eacute; nationale et d&rsquo;une identit&eacute; &agrave; construire contre une autre langue&nbsp;? Signalons que les lois de la R&eacute;publique socialiste Sovi&eacute;tique pr&eacute;voyaient le bilinguisme a minima : ukrainien et russe. Cette loi sur les langues de 1989 pr&eacute;cisait en son article 18 que&nbsp;l&rsquo;ukrainien &eacute;tait la langue officielle mais dans les districts russophones, la langue accept&eacute;e par la population pouvait l&rsquo;&ecirc;tre aussi ainsi que celles des minorit&eacute;s hongroises ou roumaines. Il est donc ind&eacute;niable que la volont&eacute; d&rsquo;unit&eacute; linguistique a constitu&eacute; une r&eacute;gression des libert&eacute;s relativement &agrave; la loi de 1989. En effet, la loi sur la citoyennet&eacute; de 2005 oblige bien les citoyens &agrave; ma&icirc;triser l&rsquo;ukrainien (Article 9). L&rsquo;ukrainisation nationaliste est en marche avec son corollaire de d&eacute;russification et de lutte contre les minorit&eacute;s. Un des revirements les plus significatif porte sur la langue de l&rsquo;&eacute;ducation. L&rsquo;ukrainien est devenu obligatoire et la seule langue administrative, les fonctionnaires contrevenants s&rsquo;exposent &agrave; environ 400 &euro; d&rsquo;amende. La promotion du multilinguisme fait aussi courir un risque d&rsquo;emprisonnement. N&rsquo;oublions pas la r&eacute;alit&eacute; de certaines r&eacute;gions&nbsp;: la Transcarpathie de langue hongroise, l&rsquo;Oblast de Tchernivsti de langue roumaine ou la minorit&eacute; des Tatars de Crim&eacute;e soutenu par les Turques.</span></span></span></span></p> <p class="meta" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="background:white"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">Que la langue soit un jouet dans les mains des puissances politiques comme peut l&rsquo;&ecirc;tre la religion, sans doute. Mais elle est aussi la vie quotidienne des locuteurs dont ces qu&eacute;b&eacute;cois qui ont combattu la domination de l&rsquo;anglais en obligeant au respect de la langue fran&ccedil;aise dans les administrations f&eacute;d&eacute;rales sur le sol de la province&nbsp;? S&rsquo;oppose alors les arguments d&rsquo;efficacit&eacute; et d&rsquo;unit&eacute; politique d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; pour r&eacute;primer les langues minoritaires vue d&rsquo;un Etat, toutefois&nbsp;majoritaires sur leur sol localement ;&nbsp;et les arguments de libert&eacute; et d&rsquo;identit&eacute; culturelle, voire politique de l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute; pour combattre la langue de domination d&rsquo;un Etat sur des territoires aux marches de son influence. M&ecirc;me l&rsquo;Union Europ&eacute;enne navigue entre son soutien aux langues r&eacute;gionales et la r&eacute;alit&eacute; des Etats, d&eacute;niant ses cons&eacute;quences politiques de la libert&eacute; linguistique puis politique chez les Catalans par exemple. Et cette m&ecirc;me Union Europ&eacute;enne parle l&rsquo;anglais dans les couloirs de Bruxelles alors qu&rsquo;aucune nation ne pratique l&rsquo;anglais, pas m&ecirc;me l&rsquo;Irlande o&ugrave; le ga&eacute;lique irlandais est bien la langue officielle et l&rsquo;anglais, langue secondaire, d&eacute;notant peut-&ecirc;tre un tropisme atlantiste des &eacute;lites europ&eacute;ennes contre l&rsquo;&eacute;vidence des langues en usage&nbsp;partout en Europe. </span></span></span></span></p> <p class="meta" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="background:white"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">La libert&eacute; de pratiquer sa langue maternelle est-elle un acquis des soci&eacute;t&eacute;s libres ou&nbsp;serait-elle en certaines circonstances un crime politique&nbsp;? Les berb&egrave;res, les catalans mais aussi les russophones d&#39;Ukraine ont-il cette &eacute;gale libert&eacute; du respect&nbsp;de&nbsp;cette&nbsp;r&eacute;alit&eacute; intime ? Il convient de&nbsp;mieux appr&eacute;hender entre linguistes, historiens, politistes,&nbsp;psychologues et sociologues ces r&eacute;alit&eacute;s linguistiques qui sont souvent au centre de d&eacute;bats politiques o&ugrave; la violence est malheureusement assez souvent au rendez-vous de l&#39;incommunication.</span></span></span></span></p> <p class="meta" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="background:white"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">Pierre-Antoine Pontoizeau &nbsp;&nbsp;&nbsp;</span></span></span></span></p>