<p>Nous nous proposons d’étudier la manière dont le mouvement Ordre Nouveau (1969-1973) a utilisé et fait face au terme « fascisme ». Fer de lance du néofascisme français, ce mouvement adepte des actions violentes donna pourtant naissance au Front National en 1972.</p>
<p>Cette étude se place dans le sillage du renouveau de l’histoire politique, en intégrant l’approche linguistique. Lever l’illusion d’une relation qui serait naturelle entre signifiant et signifié permet de donner à la langue employée par l’extrême droite toute une épaisseur, celle-ci apparaissant à bien des égards comme singulière. Les termes employés dessinent un positionnement politique, une idéologie, une culture politique au sens large mais aussi « ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer »(M.Foucault).</p>
<p>C’est particulièrement vrai pour le cas du « fascisme ». Renvoyant à un pan du passé de l’extrême droite, le terme est également le symbole et le moteur de sa disqualification politique après 1945. Doté d’une importante plasticité et polysémie, il s’est prêté à des usages éminemment polémiques – sa délimitation dans l’espace académique même ayant été l’objet de controverses et polémiques. Les violences ayant amené à la dissolution du prédécesseur d’Ordre Nouveau, Occident, en 1968, ont largement été qualifiées ainsi.</p>
<p>Comment un mouvement politique pénétré de culture politique fasciste et d’une pratique violente, mais aspirant à s’embourgeoiser et participer aux élections, parvient-il à manier le terme de « fascisme »? Pour y répondre, l’étude se structurera en trois parties.</p>
<p>Ordre Nouveau dut se positionner face aux qualifications et accusations de « fascisme ». Sa stratégie est de comprendre le terme comme étant vidé de tout sens historique. C’est le mot du « Système » que l’on dit combattre. Pour cela, toute une « langue de bois » est employée qui sera analysée à travers ses différentes formes. Par le truchement d’un comparatisme historique hasardeux, le terme est même renvoyé à l’adversaire en utilisant son propre langage. Sa gestion de l’accusation révèle la nature oscillante d’Ordre Nouveau. Le but est alors de rallier les masses conservatrices, ce que les accusations ou les auto-revendications de fascisme pourraient effrayer, sans pour autant rejeter tout le « fascisme ».</p>
<p>Face à lui, Ordre Nouveau a tenté d’imposer le mot de « nationalisme ». De Drieu la Rochelle à Brasillach en passant par le PPF, c’est tout un pan du passé fasciste qui est subsumé sous cette appellation. Synonyme d'anticonformisme, de révolution et de jeunesse, il devait permettre de conserver l’image de marque d’Ordre Nouveau, celle de la « radicalité». Nous verrons par quels biais les cadres ont tenté de diffuser ce terme ainsi redéfini.</p>
<p>Il faut composer avec nombre de militants pour qui le « fascisme », loin d’être un épouvantail, relève de la culture politique (un panthéon, une esthétique…). Et cela sans oublier les « anciens » présents pour qui « fascisme » renvoie à leur jeunesse militante. La gestion de ce passé révèle les difficultés et hésitations d’Ordre Nouveau. D’un côté, le « fascisme » synonyme de « folklorisme » est dénoncé par des cadres désireux de disposer de professionnels prêts à mener la révolution. Pourtant, de l’autre, on joue largement la carte de la provocation, que ce soit pour s’autoreprésenter avec le fameux « roi noir » fasciste du GUD, branche étudiante d’Ordre Nouveau, ou encore pour faire parler de soi dans les médias par le biais d’affiches faisant appel aux références historiques fascistes.</p>
<p>Pour mener à bien cette étude, nous nous appuierons à la fois sur des sources externes (journaux) mais aussi des entretiens ainsi que des sources internes (bulletins internes, courriers de consignes aux militants, etc.), pour certaines inédites, tels des rapports de sections d’Ordre Nouveau.</p>