<h1 class="PreformattedText" style="text-align: center;"><strong>Identit&eacute;s bris&eacute;es</strong></h1> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify">Jean-Marc Ghitti est docteur en philosophie. Il enseigne en Haute-Loire. Il pr&eacute;side l&#39;association Pr&eacute;sence Philosophique au Puy. il est l&#39;auteur d&#39;essais et de romans dont r&eacute;cemment<em> :&nbsp;</em><i>Passage et pr&eacute;sence de Simone Weil. &Eacute;tat des lieux,</i>&nbsp;Paris, Kim&eacute;, 2021 et&nbsp;<i>Avec et par del&agrave; l&#39;&eacute;cologie&nbsp;: la Camargue</i>, Paris, Kim&eacute;, 2023.</p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify">&nbsp;</p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">L&rsquo;identit&eacute; est une notion pi&eacute;g&eacute;e. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, elle renvoie &agrave; la singularit&eacute; de chaque existence, &agrave; sa marque propre, &agrave; son style&nbsp;; d&rsquo;un autre c&ocirc;t&eacute;, elle renvoie &agrave; des cat&eacute;gories g&eacute;n&eacute;rales, &agrave; des entit&eacute;s collectives d&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;individu se d&eacute;finirait &agrave; y appartenir ou pas. La politique n&rsquo;existe, comme rapports de force et exercice des pouvoirs, que pour autant que les individus se d&eacute;finissent par leurs appartenances. Elle se nourrit de la confusion entre l&rsquo;identit&eacute; et l&rsquo;appartenance et elle n&rsquo;accorde pas de valeur particuli&egrave;re aux identit&eacute;s singuli&egrave;res, &agrave; la personnalit&eacute; des personnes. Elle individualise par le jeu des appartenances.</span></span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">Mais si la politique r&eacute;ussit toujours &agrave; le faire, si l&rsquo;identit&eacute; par appartenance des individus l&rsquo;emporte le plus souvent sur l&rsquo;identit&eacute; singuli&egrave;re, c&rsquo;est qu&rsquo;elle peut s&rsquo;appuyer sur des ressorts psychiques profonds et m&ecirc;me archa&iuml;ques en l&rsquo;&ecirc;tre humain. La psychologie politique, ou plut&ocirc;t la psychanalyse politique peut les &eacute;clairer.</span></span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Certains objectent r&eacute;guli&egrave;rement &agrave; la psychanalyse politique, telle que nous allons tenter de l&rsquo;illustrer ici, la fronti&egrave;re qu&rsquo;ils &eacute;rigent entre psychologie individuelle et psychologie collective. Or d&egrave;s le d&eacute;but de la psychanalyse, Freud r&eacute;fute cette fronti&egrave;re comme n&rsquo;ayant aucun sens&nbsp;: &laquo;&nbsp;la psychologie individuelle, note-t-il, est aussi, d&rsquo;embl&eacute;e et simultan&eacute;ment, une psychologie sociale&nbsp;&raquo;.<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="position:relative"><span style="top:0pt"><span style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="position:relative"><span style="top:0pt"><span style="vertical-align:super"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[1]</span></span></span></span></span></span></span></span></a> S&rsquo;agissant d&rsquo;aborder la question fondamentale de l&rsquo;appartenance de l&rsquo;individu &agrave; des groupes et du sentiment d&rsquo;identit&eacute; qu&rsquo;il en retire, on se perdrait dans des g&eacute;n&eacute;ralit&eacute;s sociopolitiques, o&ugrave; se m&ecirc;lent toujours l&rsquo;analyse et l&rsquo;opinion, la description et l&rsquo;axiologie, si l&rsquo;on ne prenait soin d&rsquo;arrimer cette question aux d&eacute;couvertes de la psychanalyse. Ces d&eacute;couvertes, pour &ecirc;tre aujourd&rsquo;hui contest&eacute;es par des id&eacute;ologies de toute sorte, n&rsquo;en sont pas moins le corps th&eacute;orique &agrave; partir duquel l&rsquo;on peut le mieux juger du sens de ces id&eacute;ologies. L&rsquo;appartenance telle qu&rsquo;elle s&rsquo;exprime dans les nationalismes, dans les corporatismes, dans l&rsquo;id&eacute;ologie de l&rsquo;entreprise ou dans le wokisme, ne peut s&rsquo;&eacute;clairer que si l&rsquo;on en revient &agrave; la structure psychique archa&iuml;que de l&rsquo;&ecirc;tre humain. Elle n&rsquo;est ni d&rsquo;ordre naturel (une sorte d&rsquo;instinct gr&eacute;gaire), ni de formation contextuelle (comme le suppose trop souvent le sociologue). Il convient de supposer, comme l&rsquo;indique encore Freud, &laquo;&nbsp;que la pulsion sociale puisse &ecirc;tre non originaire et non d&eacute;composable, et que les d&eacute;buts de sa formation puissent &ecirc;tre trouv&eacute;s dans un cercle plus &eacute;troit, comme par exemple celui de la famille&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est &agrave; partir de ces suppositions que le psychanalyste autrichien en vient &agrave; &eacute;claircir le narcissisme comme socle psychique originaire du sentiment identitaire et des logiques d&rsquo;appartenance. Sans &ecirc;tre le seul &agrave; poursuivre cette recherche capitale, Jacques Lacan y apporte une contribution importante en &eacute;tudiant le stade du miroir.</span></span></span></span></p> <p align="center" class="PreformattedText" style="text-align:center"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">*</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Lorsqu&rsquo;il vient au monde, l&rsquo;&ecirc;tre humain n&rsquo;est pas viable. Il a besoin d&rsquo;&ecirc;tre secouru par d&rsquo;autres et entre ainsi dans un r&eacute;seau de relations dont il ne sortira qu&rsquo;&agrave; sa mort. Il n&rsquo;est d&rsquo;existence humaine qu&rsquo;en lien. Le secours que chacune re&ccedil;oit s&rsquo;accompagne d&rsquo;un accueil dans des structures sociales dans lesquelles elle d&eacute;couvrira plus tard qu&rsquo;elle y est&nbsp;: elle d&eacute;couvrira qu&rsquo;elle s&rsquo;est mise en son insu en situation d&rsquo;y appartenir et qu&rsquo;il ne pouvait en &ecirc;tre autrement.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La famille est l&rsquo;appartenance la plus &eacute;vidente puisqu&rsquo;elle se compose des pr&eacute;sences les plus proches. Mais il y a loin de la famille telle que nous la d&eacute;finissons &agrave; ce que le nouveau-n&eacute; peut en vivre durant les premiers mois de son existence. A en croire les psychanalystes, l&rsquo;entourage s&rsquo;offre d&rsquo;abord comme un ensemble d&rsquo;organes qui portent secours et procurent jouissance. C&rsquo;est ainsi que se tisse l&rsquo;attachement, qui est l&rsquo;origine de l&rsquo;appartenance. L&rsquo;attachement se vit indissociablement comme une n&eacute;cessit&eacute; et un plaisir. Ces organes n&eacute;cessaires sont d&rsquo;abord ceux de la m&egrave;re&nbsp;: le sein, les mains, les bras, le sourire, etc. De sorte que la famille se constituent de la m&egrave;re et de ceux qui sont autour d&rsquo;elle. Le maternage, c&rsquo;est-&agrave;-dire l&rsquo;ensemble des organes dont l&rsquo;&ecirc;tre humain a besoin pour vivre, est la premi&egrave;re dimension de l&rsquo;appartenance. L&rsquo;&ecirc;tre humain appartient &agrave; qui pourvoie &agrave; ses besoins.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Un peu plus tard, l&rsquo;enfant entendant qu&rsquo;on l&rsquo;appelle, d&eacute;couvre en ce nom qui le d&eacute;signe, une autre forme d&rsquo;appartenance et il lui faudra encore du temps pour d&eacute;couvrir que ce nom lui conf&egrave;re l&rsquo;identit&eacute; qui le suivra toute sa vie&nbsp;: un patronyme qui le relie &agrave; des anc&ecirc;tres et un pr&eacute;nom qui lui donne une place au sein de l&rsquo;ensemble.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Mais, avant l&rsquo;identification par le nom, des psychiatres ont soutenu que l&rsquo;image venait pr&eacute;parer l&rsquo;identit&eacute;. En effet, la question de l&rsquo;identit&eacute; ne peut &ecirc;tre pos&eacute;e avec quelque pertinence qu&rsquo;en faisant retour au socle archa&iuml;que du narcissisme primaire. L&rsquo;une des marques les plus pr&eacute;coces et les plus fortes de la psychanalyse lacanienne porte, justement, sur la constitution de l&rsquo;identit&eacute;. Lacan en a dessin&eacute; le cadre th&eacute;orique, d&egrave;s 1936, avec le fameux stade du miroir. Entre 6 et 18 mois, lorsqu&rsquo;il se trouve devant un miroir, le petit enfant vit une exp&eacute;rience fondatrice de son vie imaginaire&nbsp;: la premi&egrave;re rencontre avec l&rsquo;image de soi.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Les organes de secours, l&rsquo;image et le nom&nbsp;: on tiendrait l&agrave; les trois attaches qui obligent l&rsquo;&ecirc;tre humain, d&egrave;s sa naissance, &agrave; appartenir aux siens et &agrave; en tirer une identit&eacute;. Pr&eacute;matur&eacute; comme il na&icirc;t, il ne peut aller vers la forme viable de son existence qu&rsquo;en s&rsquo;inscrivant dans des structures &eacute;conomiques, imaginaires et symboliques. L&rsquo;appartenance et l&rsquo;identit&eacute; sont comme le prix &agrave; payer pour qu&rsquo;une vie possible soit pleinement accueillie dans l&rsquo;humanit&eacute; r&eacute;elle. Ce prix n&rsquo;est rien d&rsquo;autre qu&rsquo;une ali&eacute;nation originaire dans la mesure o&ugrave; ce sont des autres que l&rsquo;&ecirc;tre humain re&ccedil;oit secours, mod&egrave;le et langage.&nbsp; L&rsquo;ali&eacute;nation originaire, &agrave; la fois subie et aim&eacute;e, est inh&eacute;rente &agrave; toute r&eacute;alisation de soi.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Elle est le socle psychique sur quoi l&rsquo;existence ult&eacute;rieure de la personne va se d&eacute;velopper socialement. L&rsquo;organisation sociale des structures &eacute;conomiques, imaginaires et symboliques, donne du pouvoir &agrave; ceux qui l&rsquo;assurent car le grand nombre a besoin d&rsquo;appartenance et d&rsquo;identit&eacute;. La politique est l&rsquo;appropriation par quelques-uns de ce pouvoir qui tient en sa d&eacute;pendance des sujets incomplets et inachev&eacute;s. La famille, en effet, n&rsquo;est pas une r&eacute;ponse suffisante &agrave; l&rsquo;incompl&eacute;tude de la vie individu&eacute;e, comme d&egrave;s l&rsquo;Antiquit&eacute; l&rsquo;a tr&egrave;s bien exprim&eacute; Aristote. Elle pallie l&rsquo;immaturit&eacute; de l&rsquo;enfant &agrave; condition d&rsquo;appartenir elle-m&ecirc;me &agrave; des organisations plus larges, et qui ne cessent aujourd&rsquo;hui de l&rsquo;&ecirc;tre davantage.&nbsp; </span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Lorsque la terre &eacute;tait la principale puissance nourrici&egrave;re, elle &eacute;tait ador&eacute;e comme une D&eacute;esse-M&egrave;re. Chaque famille devait &ecirc;tre int&eacute;gr&eacute;e &agrave; une communaut&eacute; agraire. Depuis lors, les structures &eacute;conomiques se sont beaucoup diff&eacute;renci&eacute;es, jusqu&rsquo;&agrave; l&rsquo;&Eacute;tat que nous connaissons aujourd&rsquo;hui&nbsp;: c&rsquo;est lui qui assure les syst&egrave;mes de solidarit&eacute;, et c&rsquo;est pourquoi on l&rsquo;a nomm&eacute; Etat-Providence. Si les hommes d&rsquo;aujourd&rsquo;hui &eacute;prouvent une certaine angoisse devant l&rsquo;&eacute;conomie mondialis&eacute;e qui semble dissoudre toutes les appartenances, il ne faut pas oublier que c&rsquo;est encore au niveau national que s&rsquo;organise la solidarit&eacute;, et qu&rsquo;il est donc vital, surtout pour les personnes en difficult&eacute;, de revendiquer une appartenance dont d&eacute;coule un certain nombre de droits. Toutefois, si l&rsquo;on raisonne sur le cas de la France, depuis le tournant des ann&eacute;es 90, ce principe d&rsquo;appartenance s&rsquo;est assoupli&nbsp;: si les droits sociaux ont longtemps &eacute;t&eacute; conditionn&eacute;s &agrave; l&rsquo;appartenance nationale, ils ne le sont d&eacute;sormais qu&rsquo;&agrave; la condition juridique de la validit&eacute; des droits de s&eacute;jour. Ces droits &eacute;tant octroy&eacute;s par l&rsquo;administration, il en r&eacute;sulte qu&rsquo;une appartenance &eacute;largie demeurent la condition pour &ecirc;tre secouru. L&rsquo;&Eacute;tat est alors investi d&rsquo;une valeur maternante, dans la mesure o&ugrave; il est le gardien des organes de secours. L&rsquo;appartenance &agrave; une communaut&eacute; de droits est revendiqu&eacute;e parce qu&rsquo;elle est gage de protection, de s&eacute;curit&eacute; et de secours.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Toutefois, cette appartenance juridique &agrave; une m&ecirc;me soci&eacute;t&eacute; qui conf&egrave;re des droits, et notamment des droits &agrave; l&rsquo;aide, ne suffit pas pour assurer la satisfaction imaginaire et l&rsquo;identit&eacute; &agrave; quoi les individus aspirent. Durant les p&eacute;riodes de croissance &eacute;conomique forte, les gouvernements pensent pouvoir esquiver les besoins imaginaires. L&rsquo;extension des droits sociaux &agrave; quoi l&rsquo;on a assist&eacute; durant les Trente Glorieuses, a permis de rejeter &agrave; l&rsquo;arri&egrave;re-plan les questions identitaires. Aujourd&rsquo;hui, elles reviennent au-devant de la sc&egrave;ne politique, et d&rsquo;autant plus que ceux qui les soul&egrave;vent ont moins de capital &eacute;conomique. Les p&eacute;riodes d&rsquo;enrichissement favorisent l&rsquo;individualisme et, &agrave; l&rsquo;inverse, les p&eacute;riodes de crise relancent les identit&eacute;s collectives en tant qu&rsquo;elles compensent par un imaginaire collectif le sentiment d&rsquo;&ecirc;tre domin&eacute; &eacute;conomiquement.&nbsp; </span></span></span></span></p> <p align="center" class="PreformattedText" style="text-align:center"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">*</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Pour mieux &eacute;claircir les fonctions de l&rsquo;imaginaire identitaire, il faut revenir &agrave; la question de l&rsquo;imago. De ce que Lacan en dit, il appara&icirc;t que l&rsquo;image s&rsquo;exp&eacute;rimente d&rsquo;abord comme image de soi. Toute image ult&eacute;rieure, de quoi qu&rsquo;elle soit, porte le fant&ocirc;me de soi, par persistance de l&rsquo;image archa&iuml;que. La psychanalyse pose que les identifications ult&eacute;rieures &agrave; quelqu&rsquo;un d&rsquo;autre ou &agrave; un groupe d&rsquo;appartenance ne sont rendues possibles que parce qu&rsquo;elles ont &eacute;t&eacute; anticip&eacute;es par la reconnaissance de soi-m&ecirc;me dans le miroir. Et c&rsquo;est toujours un retour &agrave; ce soi-m&ecirc;me en image que cherche toute identit&eacute; collective. Appartenir &agrave; un groupe est v&eacute;cu comme la mani&egrave;re la plus simple d&rsquo;&ecirc;tre soi-m&ecirc;me. L&rsquo;identitaire sera d&rsquo;autant plus revendiqu&eacute; que le narcissisme primaire auquel il renvoie sera plus actif. C&rsquo;est pourquoi l&rsquo;adolescence, qui est l&rsquo;&acirc;ge o&ugrave; le narcissisme secondaire r&eacute;active celui de la petite enfance, se caract&eacute;rise par des ph&eacute;nom&egrave;nes de groupe et de bande. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs autour de ces bandes qu&rsquo;apparaissent r&eacute;guli&egrave;rement des violences dont on parle dans les faits divers, mais le ph&eacute;nom&egrave;ne d&eacute;passe largement ces manifestations d&eacute;lictuelles. Le sport, et sp&eacute;cialement le football, offre la possibilit&eacute; aux jeunes supporters de s&rsquo;organiser sous la banni&egrave;re d&rsquo;une &eacute;quipe qui repr&eacute;sente une ville. Pour les supporters, le sport est un peu plus qu&rsquo;un jeu et ne se limite pas &agrave; ce qui se passe sur le terrain&nbsp;: on y retrouve les caract&egrave;res des vieux nationalismes, soit autour des villes, soit m&ecirc;me autour des &eacute;quipes nationales. Ces manifestations para-politiques ou infra-politiques ont sans doute une fonction cathartique, mais constituent aussi une survivance et m&ecirc;me un maintien des affrontements nationaux, quoique d&eacute;tourn&eacute;es en jeux inoffensifs (m&ecirc;me s&rsquo;il y a parfois des d&eacute;bordements violents).</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Lorsque ce besoin d&rsquo;appartenance perdure dans des &acirc;ges plus avanc&eacute;s et qu&rsquo;il prend une expression clairement politique, on peut se demander s&rsquo;il n&rsquo;emp&ecirc;che pas une &eacute;volution psychique orient&eacute;e vers l&rsquo;ouverture. La persistance de ce narcissisme encombre la relation &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. La revendication identitaire s&rsquo;accompagne parfois d&rsquo;aspirations s&eacute;paratistes, comme on le voit dans certaines communaut&eacute;s confessionnelles, voire sexuelles. Sur l&rsquo;exemple embl&eacute;matique de l&rsquo;homosexualit&eacute;, on peut observer comment l&rsquo;on est pass&eacute; d&rsquo;une appartenance subie &agrave; une appartenance revendiqu&eacute;e. En effet, c&rsquo;est par l&rsquo;interdit et l&rsquo;exclusion que les homosexuels d&rsquo;un temps r&eacute;volu se sont sentis appartenir &agrave; une cat&eacute;gorie &agrave; part, &laquo;&nbsp;maudite&nbsp;&raquo;, victime d&rsquo;un rejet qui, &agrave; la seule consid&eacute;ration du mode de sexualit&eacute;, rejaillissait sur tous les aspects de l&rsquo;existence, notamment sur la vie professionnelle et civique. Mais, tandis que certains se sont engag&eacute;s dans le mouvement d&rsquo;assimilation et d&rsquo;&eacute;galit&eacute; juridique quelle que soit l&rsquo;orientation sexuelle, d&rsquo;autres ont pr&eacute;f&eacute;r&eacute; promouvoir une culture gay, transformant ainsi une mise &agrave; l&rsquo;&eacute;cart impos&eacute;e par la soci&eacute;t&eacute; en une diff&eacute;rence culturelle voulue comme style et identit&eacute; propre. On retrouverait le m&ecirc;me retournement du stigmate en style dans d&rsquo;autres ex-minorit&eacute;s qui, au moment d&rsquo;une possible assimilation, r&eacute;clament une reconnaissance de leur diff&eacute;rence. Avec, toutefois, un renversement axiologique du mauvais au bon, une transmutation de la valeur.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Il y a en l&rsquo;&ecirc;tre humain une tendance &agrave; retourner le trait stigmatisant en trait identitaire. Cette tendance, qu&rsquo;on peut observer politiquement, on peut l&rsquo;&eacute;clairer psychologiquement comme tendance narcissique &agrave; s&rsquo;aimer tel qu&rsquo;on a &eacute;t&eacute; d&eacute;sign&eacute; par l&rsquo;autre. La culture identitaire est rarement une auto-d&eacute;finition de l&rsquo;identit&eacute; mais souvent une reprise de l&rsquo;identit&eacute; construite par les autres. C&rsquo;est pourquoi l&rsquo;on peut dire que l&rsquo;identit&eacute; est une ali&eacute;nation. Mais cette ali&eacute;nation est tout le contraire d&rsquo;une ouverture &agrave; l&rsquo;autre. Au contraire, il faut envisager que la multiplication des revendications identitaires pourrait &ecirc;tre le sympt&ocirc;me d&rsquo;une diminution du sens de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. La question de l&rsquo;autre tient &agrave; savoir comment on le pose. Est-il l&rsquo;autre de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; ou l&rsquo;autre de l&rsquo;ali&eacute;nation&nbsp;? Dans l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, l&rsquo;autre est la possibilit&eacute; d&rsquo;une relation et le partenaire d&rsquo;un d&eacute;bat&nbsp;; dans l&rsquo;ali&eacute;nation, l&rsquo;autre est le ma&icirc;tre invisible en qui le sujet se d&eacute;bat. La culture identitaire semble relever plut&ocirc;t de l&rsquo;ali&eacute;nation.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Propre &agrave; un &acirc;ge de transition, l&rsquo;adolescence, la d&eacute;finition de l&rsquo;identit&eacute; par l&rsquo;appartenance, lorsqu&rsquo;elle se p&eacute;rennise, maintient le sujet dans une transition qui n&rsquo;en finit jamais, une transition impossible entre l&rsquo;ali&eacute;nation de l&rsquo;enfance &agrave; la relation &agrave; l&rsquo;autre en tant qu&rsquo;autre. Le pi&egrave;ge du narcissisme emp&ecirc;che alors de se satisfaire de l&rsquo;ali&eacute;nation et emp&ecirc;che tout autant d&rsquo;avoir acc&egrave;s &agrave; la relation. C&rsquo;est ce d&eacute;chirement qui rend path&eacute;tique la culture identitaire&nbsp;: des individus qui tentent en vain de sortir de leur ali&eacute;nation en s&rsquo;y enfermant toujours davantage parce qu&rsquo;ils ne parviennent pas &agrave; se poser en dehors de la mani&egrave;re dont les autres les ont d&eacute;sign&eacute;s.</span></span></span></span></p> <p align="center" class="PreformattedText" style="text-align:center"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; *&nbsp; </span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La deuxi&egrave;me chose &agrave; consid&eacute;rer dans la description lacanienne du narcissisme primaire, c&rsquo;est le bien que fait l&rsquo;image de soi, et ensuite toute image. Le psychanalyste parle de jubilation. Celle-ci apporte une satisfaction libidinale. L&rsquo;image devient objet d&rsquo;amour. Cette jubilation, on la retrouve dans les manifestations identitaires sous la forme d&rsquo;un enthousiasme, d&rsquo;une joie &agrave; &ecirc;tre ensemble, ou du moins avec ses semblables, en prenant soin d&rsquo;exclure les diff&eacute;rends. C&rsquo;est ce que Freud avait bien rep&eacute;r&eacute; comme &laquo;&nbsp;l&rsquo;exaltation de l&rsquo;affectivit&eacute; suscit&eacute;e en chaque individu&nbsp;&raquo;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="position:relative"><span style="top:0pt"><span style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="position:relative"><span style="top:0pt"><span style="vertical-align:super"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">[2]</span></span></span></span></span></span></span></span></a> pris dans une foule. Et celle-ci s&rsquo;accompagne d&rsquo;un abaissement de la r&eacute;flexion&nbsp;: &laquo;&nbsp;son affectivit&eacute; est extraordinairement exalt&eacute;e, son rendement intellectuel est notablement limit&eacute;&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></p> <p class="PreformattedText" style="text-align:justify"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" mono="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&rsquo;imaginaire est certes n&eacute;cessaire, il apporte des consolations. Toutefois, &ecirc;tre amoureux d&rsquo;une image ne peut &ecirc;tre que compensatoire. L&rsquo;imaginaire, &agrave; savoir la complaisance aux images, n&rsquo;apporte que des solutions imaginaires, &agrave; savoir illusoires. Et la psychanalyse pointe deux &eacute;cueils, qui tous deux sont &agrave; virtualit&eacute; parano&iuml;aques.</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Le premier &eacute;cueil est l&rsquo;effet d&rsquo;ali&eacute;nation produit par l&rsquo;image sp&eacute;culaire. Celle-ci est une forme statufi&eacute;e de soi-m&ecirc;me. Le moi enferm&eacute; dans son identit&eacute; close, dans le statut national ou sexuel ou racial qu&rsquo;il se donne, n&rsquo;aime en v&eacute;rit&eacute; que sa propre statue. La statue est la repr&eacute;sentation officialis&eacute;e d&rsquo;une personne. La pierre dans laquelle on la sculpte a la froideur fig&eacute;e des tombeaux&nbsp;; du sujet vivant, elle est l&rsquo;image s&eacute;pulcrale. Elle est le monument de l&rsquo;identit&eacute; o&ugrave; la vie se perd quand elle veut se couler dans le concept qu&rsquo;elle d&eacute;fend&nbsp;: le Fran&ccedil;ais, la Femme, le Noir, l&rsquo;Homosexuel, etc. Par un tour de passe-passe, l&rsquo;individu qui voulait incarner le concept finit par conceptualiser sa propre chair, &agrave; la rendre dure comme la pierre. Tel est le P&egrave;re dans le commandeur&nbsp;; telle est la Femme dans l&rsquo;ic&ocirc;ne f&eacute;ministe&nbsp;; tel est le Fran&ccedil;ais dans le soldat inconnu. Les identifications posent &agrave; l&rsquo;ext&eacute;rieur de soi la vie du sujet. Lorsque l&rsquo;image sp&eacute;culaire de soi revient ensuite dans les r&ecirc;ves et les fantasmes, elle prend la forme d&rsquo;un double inqui&eacute;tant, dont on n&rsquo;arrive pas &agrave; se d&eacute;barrasser. La relation &agrave; l&rsquo;image est r&eacute;guli&egrave;rement teint&eacute;e d&rsquo;agressivit&eacute;, de haine.</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Et l&agrave; r&eacute;side le second &eacute;cueil pour qui s&rsquo;enferme dans son imaginaire identitaire. Une relation avec une image n&rsquo;est pas une v&eacute;ritable relation, elle fait l&rsquo;&eacute;conomie de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. Mais l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; y revient sur le mode, que nous voudrions dire, par oxymore, de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; endog&egrave;ne. La relation au semblable, entre ceux qui partage la m&ecirc;me appartenance, est une relation en miroir. Elle est certes rassurante puisqu&rsquo;elle exclut l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; en tant qu&rsquo;elle peut mettre en danger. Mais une alt&eacute;rit&eacute; endog&egrave;ne au narcissisme vient y semer le trouble et l&rsquo;inqui&eacute;tude. Elle prend la forme du double. Le double d&eacute;veloppe l&rsquo;image de soi dans le miroir mais, s&rsquo;il peut le faire sur le mode protecteur (l&rsquo;ange gardien), il peut aussi le faire sur le mode agressif de la rivalit&eacute;. Il est au c&oelig;ur de l&rsquo;ambivalence affective sur laquelle a insist&eacute; Freud.&nbsp; Le double est une figure identitaire, il est l&rsquo;identit&eacute; qui se divise et se retourne sur elle-m&ecirc;me. Il prend la forme du rival&nbsp;: celui qui pourrait &ecirc;tre &agrave; ma place et qui y pr&eacute;tend.&nbsp; </span></span></span></span></p> <p align="center" class="Standard" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">*</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">C&rsquo;est parce que la relation au double comporte des virtualit&eacute;s de haine et de dissension interne que l&rsquo;appartenance ne se cristallise vraiment qu&rsquo;en se fixant sur un id&eacute;al commun. Freud construit la psychanalyse sur l&rsquo;id&eacute;e que cet id&eacute;al commun n&rsquo;est que secondairement une id&eacute;ologie&nbsp;: il est principalement quelqu&rsquo;un qui la repr&eacute;sente, un meneur, un chef. Tel est le destin social du narcissisme primaire&nbsp;: il produit un moi aim&eacute;, un id&eacute;al du moi qui finit par &ecirc;tre d&eacute;pos&eacute; sur un repr&eacute;sentant du groupe, en raison de la structure de horde qui continue &agrave; hanter toutes les appartenances sociales selon Freud. Il n&rsquo;y a d&rsquo;identit&eacute; qu&rsquo;&agrave; s&rsquo;identifier &agrave; un mod&egrave;le. C&rsquo;est bien le risque de toute id&eacute;ologie identitaire&nbsp;: elle finit par produire des groupes soumis. Rien ne le montre mieux que le nationalisme.</span></span></span></span></p> <p align="center" class="Standard" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">*</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Toutefois, une nation ne peut-elle se construire autrement qu&rsquo;en une commune soumission &agrave; un repr&eacute;sentant de la nation&nbsp;? Dans son cours de 1976 au Coll&egrave;ge de France, Foucault insiste sur les discours g&eacute;n&eacute;alogiques, sur les r&eacute;cits et les l&eacute;gendes dans la constitution des identit&eacute;s nationales. Le sentiment d&rsquo;appartenir &agrave; une nation ne peut-il pas &ecirc;tre l&rsquo;effet de l&rsquo;adh&eacute;sion &agrave; un r&eacute;cit, au lieu d&rsquo;&ecirc;tre l&rsquo;all&eacute;geance &agrave; un chef&nbsp;? Le philosophe commence &agrave; r&eacute;pondre par la n&eacute;gative car le r&eacute;cit est &laquo;&nbsp;le savoir d&rsquo;un greffier o&ugrave; le roi ne peut rencontrer que la louange de son absolutisme&nbsp;&raquo;. Ce n&rsquo;est pas le grand r&eacute;cit qui donne le pouvoir&nbsp;: le pouvoir est un fait, et le grand r&eacute;cit national se construit apr&egrave;s-coup, pour l&eacute;gitimer le pouvoir en place. L&rsquo;histoire des chroniqueurs et des historiographes royaux n&rsquo;est qu&rsquo;un mode d&rsquo;all&eacute;geance &agrave; une personne. C&rsquo;est pourquoi les analyses de Foucault ne contredisent pas, du moins dans un premier temps, la th&egrave;se freudienne de la primaut&eacute; du chef de horde. L&rsquo;histoire officielle que les r&eacute;gimes font &eacute;crire &agrave; leurs historiens n&rsquo;est que la production secondaire et consciente de la structure psychique inconsciente des nations. L&rsquo;identit&eacute; nationale sous laquelle les individus inscrivent leur appartenance (&laquo;&nbsp;&ecirc;tre fran&ccedil;ais&nbsp;&raquo;) n&rsquo;est pas une production de l&rsquo;histoire. L&rsquo;histoire est assez riche et diverse pour produire tout un tas de r&eacute;cits contradictoires et rivaux. Ce qui fait identit&eacute; nationale pour la droite ne produit le m&ecirc;me r&eacute;cit que celui produit par ce qui fait l&rsquo;identit&eacute; nationale pour la gauche. L&rsquo;identit&eacute; fran&ccedil;aise des catholiques n&rsquo;est pas l&rsquo;identit&eacute; fran&ccedil;aise des protestants. L&rsquo;identit&eacute; fran&ccedil;aise du Midi inclut les massacres de B&eacute;ziers que l&rsquo;identit&eacute; fran&ccedil;aise parisienne passe sous silence. On pourrait multiplier les exemples. L&rsquo;identit&eacute; nationale n&rsquo;est pas une production de l&rsquo;histoire&nbsp;: elle est une production du pouvoir politique en place. Elle est li&eacute;e aux figures politiques mises en valeur. On appartient en choisissant ses chefs. L&rsquo;appartenance se d&eacute;finit dans une logique de camp. L&rsquo;identit&eacute; n&rsquo;est que l&rsquo;amour d&rsquo;un chef, elle est un affect de horde.</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Pourtant, le propos principal de Foucault est de mettre en &eacute;vidence une autre histoire, qu&rsquo;il appelle une contre-histoire. Elle est un r&eacute;cit qui d&eacute;nonce le pouvoir en place, parce qu&rsquo;il est le r&eacute;sultat d&rsquo;une imposture, d&rsquo;une tra&icirc;trise. Il y aurait une nation qui se l&egrave;ve contre son repr&eacute;sentant suppos&eacute;, qui le conteste, qui appelle &agrave; lutter contre lui, &agrave; le destituer. Foucault rep&egrave;re l&rsquo;apparition d&rsquo;une histoire nationale contre le pouvoir en place dans la r&eacute;volte nobiliaire sous l&rsquo;Ancien R&eacute;gime. Mais cette histoire sera reprise souvent par la suite&nbsp;: d&rsquo;abord lorsque la nation va s&rsquo;opposer au roi &agrave; la R&eacute;volution fran&ccedil;aise, puis lorsque les prol&eacute;taires, dans le discours marxiste, vont s&rsquo;opposer &agrave; l&rsquo;&eacute;lite bourgeoise qui accapare la richesse nationale, puis lorsque les colonis&eacute;s vont se dresser contre les colonisateurs au nom de leur propre histoire.</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Est-ce que ces histoires de contestation ne t&eacute;moignent pas qu&rsquo;un r&eacute;cit peut suffire, &agrave; lui seul, &agrave; acqu&eacute;rir une identit&eacute; autrement que par l&rsquo;identification &agrave; un chef&nbsp;? Est-ce qu&rsquo;elles ne montrent pas qu&rsquo;on peut appartenir &agrave; une nation sans faire all&eacute;geance &agrave; son repr&eacute;sentant&nbsp;? Rien n&rsquo;est moins s&ucirc;r. Car les classes n&rsquo;entrent en r&eacute;volte que sous la conduite d&rsquo;un meneur. Les partis contestataires se rassemblent derri&egrave;re un chef de parti. Les r&eacute;volutions communistes, entendues comme soul&egrave;vement des classes prol&eacute;tariennes, ont &eacute;t&eacute; dirig&eacute;es par des leaders. La d&eacute;colonisation s&rsquo;est le plus souvent op&eacute;r&eacute;e derri&egrave;re un guide. C&rsquo;est la limite des th&egrave;ses d&eacute;velopp&eacute;es par Foucault&nbsp;: un discours ne suffit pas &agrave; renverser un pouvoir. Il n&rsquo;est rien d&rsquo;autre qu&rsquo;une belle histoire tant que ne se l&egrave;ve pas, en face du chef, un contre-chef, un chef rival qui peut entra&icirc;ner derri&egrave;re lui les masses. La structure inconsciente de la horde, loin d&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;mentie par les renversements de r&eacute;gime, se trouve au contraire confirm&eacute;e et confort&eacute;e par ces grands tournants de l&rsquo;histoire.</span></span></span></span></p> <p align="center" class="Standard" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">*</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">On pourra se demander, bien s&ucirc;r, si cette dynamique sociale primitive n&rsquo;est pas att&eacute;nu&eacute;e, voire remplac&eacute;e, par une autre dans les pays plus civilis&eacute;s, au moins pour les individus les plus conscients, les plus cultiv&eacute;s. Pour repr&eacute;senter ce type d&rsquo;individu, nous ne pourrions mieux choisir que Paul Val&eacute;ry. Il s&rsquo;agit, en effet, d&rsquo;un esprit sup&eacute;rieur, tr&egrave;s ind&eacute;pendant, et qui a l&rsquo;avantage pour nous d&rsquo;avoir r&eacute;fl&eacute;chi sur l&rsquo;identit&eacute; nationale.</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Dans son texte de 1927 intitul&eacute;<i> Images de la France</i>, Val&eacute;ry ne fait que reprendre bien des id&eacute;es sur la diversit&eacute; fran&ccedil;aise provenant des travaux de l&rsquo;&eacute;cole g&eacute;ographique de Vidal de la Blache. Cette sensibilit&eacute; vidalienne aux r&eacute;gions, aux pays, on la retrouve alors largement chez beaucoup, et notamment chez les &eacute;crivains et les artistes, dans leurs &oelig;uvres. Elle a suscit&eacute; de puissantes r&eacute;actions, en France, au nom de l&rsquo;unit&eacute; nationale. Val&eacute;ry participe curieusement &agrave; cette r&eacute;action en insistant sur le r&ocirc;le de Paris dans l&rsquo;unification du pays.&nbsp; D&egrave;s 1927, il note&nbsp;: &laquo;&nbsp;l&rsquo;action certaine, visible et constante de Paris est de compenser par une concentration jalouse et intense les grandes diff&eacute;rences r&eacute;gionales et individuelles de la France&nbsp;&raquo;. Dix ans plus tard, dans une pr&eacute;face intitul&eacute;e <i>Pr&eacute;sence de Paris,</i> il revient avec insistance sur le r&ocirc;le de la ville t&ecirc;te, de la capitale dans la construction de l&rsquo;identit&eacute; nationale&nbsp;: &laquo;&nbsp;c&rsquo;est ici que notre nation, la plus compos&eacute;e d&rsquo;Europe, a &eacute;t&eacute; fondue et refondue &agrave; la flamme des esprits les plus vifs et les plus oppos&eacute;s, et comme par la chaleur de leurs combinaisons&nbsp;&raquo;.</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Il nous a paru int&eacute;ressant de convoquer ici l&rsquo;&eacute;volution de ce M&eacute;diterran&eacute;en qui fait all&eacute;geance au centralisme politique et culture fran&ccedil;ais parce que cette &eacute;volution engage bien plus que lui et qu&rsquo;elle a une signification psychique &eacute;vidente. Elle montre comment, dans les cat&eacute;gories sup&eacute;rieures de la soci&eacute;t&eacute;, l&rsquo;all&eacute;geance &agrave; un chef, en soi trop pulsionnelle, est remplac&eacute;e par l&rsquo;hommage sublim&eacute; qu&rsquo;on doit rendre &agrave; la capitale et aux institutions de l&eacute;gitimation qui y trouvent leur si&egrave;ge. Ses institutions que sont, par exemple, les grandes Acad&eacute;mies ou le Coll&egrave;ge de France (puisque Val&eacute;ry a &eacute;t&eacute; &agrave; la fois acad&eacute;micien et professeur au Coll&egrave;ge) sont de cr&eacute;ation royale et leur concentration m&ecirc;me t&eacute;moigne encore d&rsquo;une origine de cour. De sorte que Paris, que Val&eacute;ry d&eacute;signe comme &laquo;&nbsp;la t&ecirc;te r&eacute;elle de la France&nbsp;&raquo;, est v&eacute;ritablement la ville-chef, la ville du chef&nbsp;: la ville de tous les pouvoirs o&ugrave; aujourd&rsquo;hui encore l&rsquo;on n&rsquo;imagine pas que le chef de l&rsquo;&Eacute;tat puisse ne pas y r&eacute;sider. Si civilis&eacute;e que soit la France, et surtout chez ses plus brillants &eacute;crivains, philosophes, artistes et savants, elle est encore structur&eacute;e, au plus profond de son inconscient national, au moins aux yeux de la psychanalyse, selon le mod&egrave;le de la horde primitive&nbsp;: n&rsquo;acc&egrave;dent &agrave; la reconnaissance nationale, quel que soit le domaine dans lequel ils travaillent, que ceux qui tiennent leur identit&eacute; de s&rsquo;identifier si ce n&rsquo;est directement au chef, du moins &agrave; ce qui en &eacute;mane directement, au plus pr&egrave;s, dans sa cour imm&eacute;diate. L&rsquo;appartenance nationale des meilleurs exige le passage par la Capitale, comme all&eacute;geance au centralisme fran&ccedil;ais. Voil&agrave;, s&rsquo;il en est, une th&egrave;se de psychanalyse politique.</span></span></span></span></p> <p align="center" class="Standard" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">*</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Nous ne dirons rien ici de l&rsquo;identit&eacute; singuli&egrave;re et des modalit&eacute;s qui la g&eacute;n&egrave;re. Notre propos s&rsquo;est limit&eacute; &agrave; cerner les soubassements psychiques de l&rsquo;identit&eacute; par appartenance, la seule qui importe &agrave; la vie politique. Ces soubassements, nous les avons trouv&eacute;s dans la d&eacute;r&eacute;liction d&rsquo;un nouveau-n&eacute;, dans sa naissance pr&eacute;matur&eacute;e, et dans la mani&egrave;re dont, &agrave; partir de l&agrave;, il va se construire sur de la d&eacute;pendance &eacute;conomique et sur des images de soi.</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&rsquo;appartenance identitaire r&eacute;pond aux besoins narcissiques qui perdurent au-del&agrave; de l&rsquo;enfance. Plus ces besoins seront forts, plus la politique pourra s&rsquo;appuyer sur eux pour construire des jeux de pouvoir, pour entra&icirc;ner des masses, pour gouverner des populations. L&rsquo;organisation collective derri&egrave;re des chefs, qui sont aussi de repr&eacute;sentants, &eacute;lus ou pas, sert d&rsquo;appui &agrave; tous les r&eacute;gimes, quels qu&rsquo;ils soient. M&ecirc;me si cette logique de horde est souvent sublim&eacute;e dans des id&eacute;ologies ou des dispositifs administratifs et g&eacute;ographiques, elle perdure, du moins aux yeux de la psychanalyse freudienne. L&rsquo;appartenance identitaire est inh&eacute;rente &agrave; la vie politique et sur elle se d&eacute;veloppe tous les m&eacute;canismes de la repr&eacute;sentation.</span></span></span></span></p> <p class="Standard" style="text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><span style="font-size:14.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Toutefois, d&egrave;s lors qu&rsquo;on se place sur le plan de l&rsquo;humanisation des sujets, de leur accomplissement en tant que personne, l&rsquo;appartenance identitaire achoppe sur la reconnaissance de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;. Cette reconnaissance de l&rsquo;autre est d&eacute;j&agrave; le probl&egrave;me et le drame pr&eacute;cocement v&eacute;cu par tout &ecirc;tre humain, au stade du narcissisme primaire&nbsp;: elle est souvent mise en &eacute;chec et l&rsquo;enfant, en cherchant l&rsquo;autre, se cogne contre le miroir qui ne lui renvoie que l&rsquo;image de lui-m&ecirc;me. La vie politique et l&rsquo;exercice des pouvoirs s&rsquo;accommodent fort bien d&rsquo;un narcissisme continu&eacute; car c&rsquo;est sur lui que se greffent les appartenances et les projections de l&rsquo;id&eacute;al du moi sur des repr&eacute;sentants qui gouvernent. Mais, justement, contrairement &agrave; un lieu commun de philosophie, l&rsquo;homme n&rsquo;est pas un animal politique. Ou, en tout cas, il ne s&rsquo;accomplit pas enti&egrave;rement dans la vie politique. La vie politique se construit sur l&rsquo;inach&egrave;vement de l&rsquo;homme, sur ses immaturit&eacute;s, sur son incompl&eacute;tude. L&rsquo;homme spirituellement accompli est un &ecirc;tre de transcendance. La transcendance est cette possibilit&eacute; de l&rsquo;existence qui fait effraction dans le narcissisme, qui ouvre &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; et qui, de ce fait, alt&egrave;re les appartenances. Dans cette recherche de l&rsquo;humain en soi-m&ecirc;me, chaque existence ne trouve dans la politique que des obstacles. L&rsquo;identit&eacute; d&rsquo;un &ecirc;tre humain accompli n&rsquo;est pas du tout d&rsquo;appartenir, et encore moins d&rsquo;&ecirc;tre repr&eacute;sent&eacute;. Elle n&rsquo;est m&ecirc;me pas de demeurer identique &agrave; son image. Qu&rsquo;importe &agrave; un sujet vivant de se d&eacute;finir et de limiter sa vie &agrave; une identit&eacute;&nbsp;! Vivre, c&rsquo;est exister dans des d&eacute;bris d&rsquo;identit&eacute;.</span></span></span></span></p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p class="Footnote" style="text-indent:-16.95pt; margin-left:23px"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="position:relative"><span style="top:0pt"><span style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="position:relative"><span style="top:0pt"><span style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:">[1]</span></span></span></span></span></span></span></span></a> Sigmund Freud, <i>Psychologie des masses et analyse du moi</i>, Introduction, 1921.</span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p class="Footnote" style="text-indent:-16.95pt; margin-left:23px"><span style="font-size:10pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="position:relative"><span style="top:0pt"><span style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="position:relative"><span style="top:0pt"><span style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span liberation="" serif="" style="font-family:">[2]</span></span></span></span></span></span></span></span></a> Sigmund Freud, <i>Psychologie des foules et analyse du moi, </i>III et IV, 1921.</span></span></p> </div> </div>