<p style="border: none; text-align: center;">J&eacute;suitophonie</p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify">Alain Deniau</p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La r&eacute;p&eacute;tition de l&#39;hostilit&eacute; grandissante &agrave; l&#39;&eacute;gard des J&eacute;suites est, me semble-il, exemplaire d&#39;un processus d&#39;exclusion sociale. Les J&eacute;suites pensaient que leur appartenance &agrave; l&#39;&Eacute;glise valait toutes les autres appartenances sociales, or une rivalit&eacute; politique nait au Portugal, &agrave; propos des &quot;r&eacute;ductions&quot; indiennes, en 1757. Le marquis de Bompal obtient du pape Cl&eacute;ment XIV un <i>Bref d&#39;abolition,</i> le 21 juillet 1773. Il est une mise &agrave; mort de la Compagnie. Ce geste sacrificiel, voulu par quatre souverains &quot;tr&egrave;s chr&eacute;tiens&quot;, fait des J&eacute;suites des proscrits, des individus d&eacute;pourvus de cette appartenance qui les portait et les faisait exister. Un certain nombre d&#39;entre eux se suicident ce qui indique la d&eacute;sesp&eacute;rance o&ugrave; cet acte les jette. Accueillis par Fr&eacute;d&eacute;ric II de Prusse et Catherine II de Russie, ils quittent la France, l&#39;Espagne, le Portugal et le royaume de Naples.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Malgr&eacute; la r&eacute;int&eacute;gration de 1814, la contestation virulente de leur identit&eacute; et de leur appartenance est toujours tr&egrave;s vive, puisqu&#39;en 1843 Michelet et Quinet publient un pamphlet<i> Les J&eacute;suites</i><a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><sup><sup><span style="border:none; font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></sup></a> dont la seconde des huit &eacute;ditions sera &eacute;puis&eacute;e en deux jours ! La fragilit&eacute; de leur position tient aussi &agrave; la nature du lien entre les J&eacute;suites eux-m&ecirc;mes. A leurs yeux, l&#39;appartenance &agrave; la Compagnie de J&eacute;sus pr&eacute;domine sur tous les liens sociaux jusqu&#39;&agrave; cr&eacute;er une identit&eacute; sp&eacute;cifique. Elle est soutenue par l&#39;usage exclusif du latin dans leur vie scolaire, eccl&eacute;siale et personnelle, par l&#39;ob&eacute;issance absolue &agrave; un <i>sup&eacute;rieur-g&eacute;n&eacute;ra</i>l &eacute;lu, donc &agrave; une hi&eacute;rarchie autonome qui n&#39;est pas celle de l&#39;&eacute;v&ecirc;que qui r&eacute;git l&#39;&Eacute;glise depuis la chute de l&#39;Empire romain, par une vie active ind&eacute;pendante, relevant de la parole supervis&eacute;e par le seul r&eacute;f&eacute;rent provincial. L&#39;ensemble de ces traits identitaires d&eacute;finit une appartenance qui est en elle-m&ecirc;me une autre n&eacute;gation de l&#39;ordre eccl&eacute;sial et donc de l&#39;ordre social. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Plut&ocirc;t que de s&#39;interroger sur les traits de ces diff&eacute;rences qui organisent une identit&eacute; et une appartenance qu&#39;il refuse, Michelet construit son pamphlet &agrave; partir d&#39;une opposition entre les mille j&eacute;suites pr&eacute;sents en France et les quarante mille pr&ecirc;tres du clerg&eacute; s&eacute;culier. &quot;Ils ont enlev&eacute; sans difficult&eacute; nos trente ou quarante mille pr&ecirc;tres, leur ont fait perdre la terre, et les m&egrave;nent Dieu sait o&ugrave; ! &quot; (p.3) Le mot &quot;perdre la terre&quot; est tr&egrave;s fort. &quot;Perdre la terre&quot;, c&#39;est aussi perdre pied, aller en errance. Il reprend ici les valeurs qu&#39;il attribue au clerg&eacute; de France, le gallicanisme et son enracinement local dans une paroisse, pour les opposer &agrave; l&#39;absence de localisation des J&eacute;suites, &agrave; leurs migrations internationales. &quot;Le j&eacute;suite vit en Europe, hier &agrave; Fribourg, demain &agrave; Paris;&quot; (p.6)</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Pour lui, l&#39;emprise des J&eacute;suites est comme comme une dictature de l&#39;esprit qui tue l&#39;&acirc;me. &quot;Changement pire que la mort m&ecirc;me... La mort ne tue que le corps; mais l&#39;&acirc;me tu&eacute;e, que reste-t-il?&quot; &eacute;crit-il p.2.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Les arguments de Michelet sont tous n&eacute;s d&#39;une vision fix&eacute;e sur l&#39;origine romaine et m&eacute;di&eacute;vale de la civilisation fran&ccedil;aise. Son premier argument se fonde sur le gallicanisme. L&#39;identit&eacute; fran&ccedil;aise est une identit&eacute; collective fond&eacute;e sur un ordre social mill&eacute;naire alors que les J&eacute;suites, ordre r&eacute;cent, ob&eacute;issent absolument &agrave; un sup&eacute;rieur-g&eacute;n&eacute;ral, &eacute;lu &agrave; vie. On voit ici l&#39;arri&egrave;re-plan d&#39;un refus politique de ce nous pourrions nommer la modernit&eacute;. Ce g&eacute;n&eacute;ral qui convoque des assembl&eacute;es, congr&eacute;gations g&eacute;n&eacute;rales et provinciales, exerce une gouvernance aux antipodes de la tradition l&eacute;gitimiste royaliste.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Michelet ne peut accepter un ordre religieux qui ne soit ni monastique ni en communaut&eacute;s telles que celle des dominicains, ni dispers&eacute; dans le si&egrave;cle tel le clerg&eacute; dioc&egrave;sain. Le fonctionnement individuel et/ou en micro-communaut&eacute;s sans fortes contraintes, en compagnonnage, sans autre lien que l&#39;ob&eacute;issance aux voeux et &agrave; une hi&eacute;rarchie de supervision </span></span><span lang="IT" style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">distante</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">, pr&eacute;figure des groupes sociaux qui, parce qu&#39;ils reposent sur la motivation personnelle, n&#39;imposent plus l&#39;absolu de la r&egrave;gle. Cette forme de lien social est ouverte au changement. L&#39;engagement peut &ecirc;tre refond&eacute; par le mouvement spontan&eacute; du groupe vivant. Un changement dans un collectif religieux, Michelet ne l&#39;envisage que par une crise li&eacute;e &agrave; l&#39;oubli de la R&egrave;gle fondatrice. L&#39;action et le d&eacute;sir d&#39;un saint, g&eacute;nial refondateur, seul peut sauver la communaut&eacute; en perdition.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Un troisi&egrave;me argument ne peut se comprendre que par l&#39;&eacute;volution des sciences humaines au XX<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle, la sociologie et en particulier la psychanalyse. Michelet reproche aux J&eacute;suites de ne pas respecter l&#39;absolu du secret de la confession en constatant qu&#39;ils en parlent entre eux. C&#39;est toute la fonction de la parole qui est questionn&eacute;e. La modernit&eacute; des textes d&#39;Ignace qui en sont &agrave; la fois la force, par l&#39;anticipation inconsciente du devenir d&#39;un groupe social d&#39;influence, et la fragilit&eacute; par l&#39;impossibilit&eacute; de rendre compte de son pouvoir, m&eacute;rite l&#39;approfondissement de la question</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Il y a une similitude avec l&#39;insertion de la psychanalyse dans la soci&eacute;t&eacute; &quot;qui doit s&#39;ouvrir sans cesse &agrave; toutes les formes de pr&eacute;sence au monde moderne&quot; dans une impulsion r&eacute;p&eacute;t&eacute;e, selon la formule du&nbsp; sup&eacute;rieur-g&eacute;n&eacute;ral Pedro Arrupe donnant l&#39;orientation de la Compagnie au XX<sup>&egrave;me</sup> si&egrave;cle. Pierre Antoine Fabre pr&eacute;cise dans son article sur Arrrupe que &quot;ce qui est au fond de nos consciences&quot; et que fait venir cette impulsion, c&#39;est, en effet le &quot;fond&quot; de ce qui demande &agrave; &ecirc;tre, ce qui n&#39;est pas encore, ce qui est devant nous.&quot;<a href="#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><sup><sup><span style="border:none; font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></sup></a> C&#39;est sous la plume de Fabre une belle d&eacute;finition du d&eacute;sir selon Lacan et de l&#39;exigence que l&#39;on peut attendre de la psychanalyse. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&#39;invention de la Compagnie de J&eacute;sus est marqu&eacute;e par son origine m&eacute;di&eacute;vale dans le d&eacute;clin des valeurs de la chevalerie, comme Cervant&egrave;s le montre dans son <i>Don</i></span></span><i><span lang="NL" style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> Quichotte</span></span></i><i><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">.</span></span></i><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""> Dans la souffrance physique d&#39;Ignace de Loyola, victime d&#39;une grave blessure de guerre, surgit une inspiration mystique qui l&egrave;ve les refoulements et les interdits sociaux. Ainsi se fait le lien, dans le corps, entre le soma et le psychique, en assumant ce que Lacan nommera la refente du sujet, la <i>Spaltung</i>.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Quand une crise morale d&eacute;construisant son identit&eacute; traverse la soci&eacute;t&eacute;, un retour sur soi par un questionnement vers un id&eacute;al r&eacute;parateur se produit toujours. Cet id&eacute;al social nouveau, r&eacute;formateur, r&eacute;volutionnaire, voire mystique, va porter le n&eacute;cessaire changement social. La question de l&#39;identit&eacute; des individus et de leur appartenance &agrave; la soci&eacute;t&eacute; bless&eacute;e s&#39;exprime alors sous de multiples aspects. Ainsi, apr&egrave;s le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, l&#39;imm&eacute;diat apr&egrave;s-guerre a suscit&eacute; un tel mouvement dont la f&eacute;condit&eacute; s&#39;est d&eacute;multipli&eacute;e dans tous les champs sociaux, puis, dans les ann&eacute;</span></span><span lang="PT" style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">es 50</span></span><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">, dans l&#39;expansion de la psychanalyse et, vingt ans plus tard, dans la crise de valeurs dite de 68. Ainsi, les psychiatres de ces ann&eacute;es-l&agrave; retrouvaient-ils l&#39;horreur des camps dans les h&ocirc;pitaux psychiatriques, lieux de concentrations et d&#39;enfermement des patients. Ce regard critique a gagn&eacute; les lieux de formation des J&eacute;suites, en particulier autour de Lyon. L&#39;identit&eacute; j&eacute;suite et ses liens d&#39;appartenance en ont &eacute;t&eacute; transform&eacute;s. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Michelet et Quinet, au d&eacute;but du XIX<sup>&egrave;me</sup>, apr&egrave;s le traumatisme de la chute de la monarchie absolue, ont critiqu&eacute; les J&eacute;suites par des arguments dont la dimension d&eacute;su&egrave;te, nationaliste et conservatrice fait ressortir, par contraste, la modernit&eacute; de leur pens&eacute;e et de leur organisation institutionnelle. Modernit&eacute; dans la dimension internationale de la prise de d&eacute;cision, modernit&eacute; par la confiance dans l&#39;effet de perlaboration collective de la parole, modernit&eacute; par la confiance dans la d&eacute;marche individuelle pour s&#39;engager dans l&#39;acte.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Ces professeurs du Coll&egrave;ge de France d&eacute;crivent la Soci&eacute;t&eacute; de J&eacute;sus comme une franc-ma&ccedil;onnerie complotiste qui aurait la vis&eacute;e d&#39;&eacute;tablir une soci&eacute;t&eacute; de terreur. On croit entendre une description de ce que sera le Komintern, avec ses actions secr&egrave;tes, dont le pouvoir reposera sur la d&eacute;lation, la perte des liens affectifs et la directivit&eacute; du plaisir de cr&eacute;ation artistique. Ces deux auteurs prennent, surtout Michelet, ce qui est pr&eacute;sent&eacute; dans les &eacute;crits fondateurs au pied de la lettre. Ainsi ils pensent que la fortune de la Compagnie vient d&#39;actes de s&eacute;duction aupr&egrave;s des grandes aristocrates veuves ou de l&#39;exploitation des Indiens Guaranis. Ils ne s&#39;interrogent nullement sur l&#39;&eacute;conomie nouvelle qui est mise en oeuvre, dans les Missions du Paraguay par exemple, ni sur la fonction sociale des coll&egrave;ges qui forment la bourgeoisie et la petite noblesse, moteur du changement social.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La j&eacute;suitophobie est ainsi un ph&eacute;nom&egrave;ne historique et social r&eacute;current. Il convient donc de le comprendre sur deux plans : quelle est la nature du lien qui soude les J&eacute;suites en un collectif &agrave; partir de d&eacute;marches individuelles ?&nbsp; Pourquoi le collectif qui en r&eacute;sulte est per&ccedil;u comme pers&eacute;cuteur par la soci&eacute;t&eacute; o&ugrave; il vise &agrave; s&#39;ins&eacute;rer ? Une puissance myst&eacute;rieuse, fruit de l&#39;ignorance et de l&#39;incapacit&eacute; &agrave; s&#39;extraire des enjeux politiques, est attribu&eacute;e aux J&eacute;suites. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Le monde ancien, o&ugrave; ils prennent place et dont ils s&#39;&eacute;cartent, se revendique en continuit&eacute; avec les valeurs qui se sont &eacute;tablies avec la chute de l&#39;Empire romain. Le pouvoir de C&eacute;sar a &eacute;t&eacute; transmis aux &eacute;v&ecirc;ques. Le socle de l&#39;insertion sociale passe par la langue locale et commune. La Compagnie de J&eacute;sus s&#39;en diff&eacute;rencie en se voulant universelle et unie par le latin utilis&eacute; comme langue quotidienne. Elle repr&eacute;sente une ouverture dans une soci&eacute;t&eacute; prise dans une tension sociale entre la construction de l&#39;&Eacute;tat monarchique autoritaire et l&#39;aspiration &agrave; une plus grande libert&eacute;, port&eacute;e par le mouvement philosophique. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La cr&eacute;ation des Coll&egrave;ges s&#39;est faite peu &agrave; peu, presque malgr&eacute; le voeu initial des fondateurs, car elle r&eacute;pondait &agrave; un immense besoin social, jusqu&#39;&agrave; devenir une identit&eacute;, le j&eacute;suite-enseignant. N&eacute;anmoins, malgr&eacute; cette pr&eacute;&eacute;minence, la haine &agrave; l&#39;&eacute;gard des j&eacute;suites a pouss&eacute; les pouvoirs royaux &agrave; exiger leur interdiction ou leur expulsion. Leur v&oelig;u d&#39;ob&eacute;issance au sup&eacute;rieur-g&eacute;n&eacute;ral, leur &quot;g&eacute;n&eacute;ral &quot; &eacute;lu &agrave; vie, les pla&ccedil;ait d&#39;embl&eacute;e hors de la communaut&eacute; paroissiale et dioc&eacute;saine, si ch&egrave;re &agrave; Michelet, o&ugrave; tous les chr&eacute;tiens s&#39;enracinent. Alors que, &agrave; la m&ecirc;me p&eacute;riode, se cr&eacute;ent des &Eacute;tats nationaux monarchiques, les J&eacute;suites s&#39;affirment d&#39;embl&eacute;e supranationaux et ob&eacute;issant &agrave; un pouvoir &eacute;lectif, centralis&eacute; mondialement.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Pourquoi tant de haine ? Malgr&eacute; cette action enseignante qui r&eacute;pondait a une profonde aspiration sociale, les pouvoirs politiques royaux ont exig&eacute; de la papaut&eacute; la fermeture des coll&egrave;ges. Certains &Eacute;tats, la Russie de Catherine II ainsi que la Prusse de Fr&eacute;d&eacute;ric II, l&#39;ont refus&eacute;e. Il y a donc sous-jacent un autre processus qui a provoqu&eacute; ce conflit autodestructeur pour les &Eacute;tats catholiques. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La m&eacute;connaissance dont fait preuve Michelet, bien plus que Quinet d&#39;ailleurs, masque un refus radical de penser autrement la soci&eacute;t&eacute; et son &eacute;volution. Est-ce pr&eacute;cis&eacute;ment parce qu&#39;ils d&eacute;c&egrave;lent dans l&#39;organisation des J&eacute;suites et dans leur mode d&#39;&ecirc;tre au monde un espace politique moderne, qu&#39;ils projettent sur celle-ci des fantasmes parano&iuml;aques qui seront les caract&eacute;ristiques des soci&eacute;t&eacute;s totalitaires ?</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La soci&eacute;t&eacute; qui rejette les J&eacute;suites rejette en m&ecirc;me temps la reconnaissance de la dette sociale de la fonction de formation et d&#39;instruction li&eacute;e &agrave; l&#39;implantation de coll&egrave;ges sur tout le territoire de la France.<a href="#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><sup><sup><span style="border:none; font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></sup></a> On peut remarquer que tous les philosophes des Lumi&egrave;res et de l&#39;Encyclop&eacute;die ont &eacute;t&eacute; form&eacute;s dans leurs Coll&egrave;ges. Cette explication politique est insuffisante pour expliquer l&#39;acharnement &agrave; r&eacute;duire au silence les J&eacute;suites. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Il faut faire appel &agrave; des m&eacute;canismes psychologiques puissants, sous- jacents et communs aux diff&eacute;rentes communaut&eacute;s qui ont mis en oeuvre ce d&eacute;sir d&#39;expulsion et de silence. Michelet dans son livre-pamphlet exprime clairement son d&eacute;pit et son incompr&eacute;hension du mode d&#39;&ecirc;tre des J&eacute;suites. Pour lui, un ordre religieux doit &ecirc;tre conforme &agrave; ce que l&#39;enfant a connu dans l&#39;&eacute;tablissement de ses liens sociaux infantiles, avec ses parents certes, mais aussi dans son adolescence, dans la proximit&eacute; paroissiale. Or, les J&eacute;suites se sont constitu&eacute; d&#39;embl&eacute;e dans un arrachement &agrave; leur vie sociale, dans un espace interm&eacute;diaire entre vie asc&eacute;tique et vie mystique, ce qui leur fait perdre la familiarit&eacute; avec le milieu social. En cons&eacute;quence, ce milieu s&#39;il se reconnait dans les Coll&egrave;ges, ne peut plus s&#39;identifier dans la dispersion mondiale, dans l&#39;ultra-montanisme des J&eacute;suites La r&eacute;v&eacute;lation de cette distance avec le milieu d&#39;origine est per&ccedil;ue comme une tromperie, un leurre incompr&eacute;hensible. Les J&eacute;suites n&#39;ont plus l&#39;appartenance de la proximit&eacute;. Ils n&#39;appartiennent plus &agrave; la m&ecirc;me identit&eacute; locale.&nbsp; </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Dans cette distance psychique et sociale, viennent, pour combler la perte d&#39;identification, au sens freudien, donc la source des identit&eacute;s engendr&eacute;e, des fantasmes de s&eacute;duction, de secret, de complot. D&egrave;s lors, des fantasmes archa&iuml;ques de puissance, de manipulation et de machiav&eacute;lisme secrets sont pr&ecirc;t&eacute;s aux J&eacute;suites alors que c&#39;est pr&eacute;cis&eacute;ment cette position d&eacute;cal&eacute;e et ext&eacute;rieure qui leur donne un autre regard. Ce qui est insupportable pour ceux qui se per&ccedil;oivent examin&eacute;s, vus depuis un point qui &eacute;chappe &agrave; leur entendement. On comprend ainsi que deux lectures&nbsp; de l&#39;Histoire de la Compagnie se sont form&eacute;es. L&#39;une est nomm&eacute;e la&quot;l&eacute;gende noire&quot;, l&#39;autre apolog&eacute;tique est nomm&eacute;e la&quot;l&eacute;gende dor&eacute;e&quot;. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Il est int&eacute;ressant de comprendre comment un tel mouvement de masse se constitue, se r&eacute;pand et se perp&eacute;tue. La seconde &quot;l&eacute;gende&quot; repose sur une id&eacute;alisation alors que la premi&egrave;re fait venir la haine. Comme tous les sentiments n&eacute;gatifs, la haine se fonde, puis s&#39;appuie sur l&#39;angoisse d&#39;un vide. Se constitue alors sur le vide, insupportable pour le psychisme, un discours de croyances. Ce vide est venu d&#39;un refus de recevoir la diff&eacute;rence qu&#39;apportaient les J&eacute;suites. Ils deviennent un mythe pour la culture de leur temps. De participer aux courants qui traversent l&#39;&Eacute;glise, (R&eacute;forme, Contre-R&eacute;forme et m&ecirc;me R&eacute;forme catholique) le corps des J&eacute;suites multiplie les contradictions internes qui vont peser sur sa suppression en 1773 et sa restauration en 1814.</span></span></span></span></span><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black">&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; </span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">On voit, avec le texte de Michelet, la fonction de l&#39;ignorance qui met l&#39;autre, celui qui aurait d&ucirc; &ecirc;tre un proche, &agrave; la place d&#39;un &eacute;tranger. Le familier devenu &eacute;tranger produit l&#39;inqui&eacute;tant d&#39;un traitre. C&#39;est une forme collective de l&#39;<i>Unheimlich</i>, l&#39;inqui&egrave;tante &eacute;tranget&eacute;, que d&eacute;crit Freud. Le <i>devenu-&eacute;tranger</i> doit &ecirc;tre expuls&eacute; de l&#39;appartenance commune. Il existe, en allemand, un terme, celui d&#39;<i>Enfremdung</i>, pour d&eacute;crire ce divorce soudain, cette mise &agrave; distance radicale d&#39;un autre. Ce qui est d&eacute;crit chez Freud comme un sentiment individuel devient ici un m&eacute;canisme collectif que l&#39;on peut &eacute;tendre &agrave; l&#39;origine du racisme, de l&#39;antis&eacute;mitisme en particulier. Une rumeur sociale se constitue sur de telles bases psychologiques dans la brutalit&eacute; soudaine d&#39;un d&eacute;samour qui pousse &agrave; la violence.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&#39;hostilit&eacute; aux J&eacute;suites, sous la forme d&#39;une j&eacute;suitophobie &agrave; l&#39;&eacute;gard de l&#39;Ancienne Compagnie, reposait sur une identit&eacute; des J&eacute;suites mal rep&eacute;r&eacute;e par les pouvoirs royaux et la population. Qui sont-ils demandent Michelet et Quinet ? Sont-ils un ordre religieux ou, comme les pr&ecirc;tres des dioc&egrave;ses, soumis aux &eacute;v&ecirc;ques ? Quelle est leur appartenance ? Sont-ils de France ou du monde, c&#39;est &agrave; dire de nulle part ? L&#39;incompr&eacute;hension de cette singularit&eacute; laisse la place &agrave; l&#39;hostilit&eacute; pers&eacute;cutante. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">C&#39;est le m&ecirc;me processus que celui du racisme &agrave; l&#39;&eacute;gard des Juifs ou des Francs-ma&ccedil;ons. L&#39;ignorance de qui sont ceux qui sont l&#39;objet de leur hostilit&eacute; virulente est n&eacute;cessaire aux pol&eacute;mistes pour s&#39;exacerber. La trame de la pol&eacute;mique hostile de Michelet repose la construction d&#39;une repr&eacute;sentation id&eacute;ologique de l&#39;Histoire de la France qui a besoin d&#39;un repoussoir. Les J&eacute;suites sont d&eacute;crits d&#39;une mani&egrave;re tellement sommaire et simpliste qu&#39;on doit s&#39;interroger sur le but de la d&eacute;marche de Michelet. Est-ce pour faire valoir sa vision de l&#39;Histoire de la France ? Est-ce pour lutter contre un changement social qui serait hors de son cadre conceptuel ? Est-ce pour jeter la suspicion sur les francs-ma&ccedil;ons qui seraient vis&eacute;s au-del&agrave; des J&eacute;suites ? Michelet ne parle-t-il pas aussi des juifs, eux aussi errants et objet d&#39;un rejet ?</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">La &quot;l&eacute;gende noire&quot; ne trouve plus d&#39;&eacute;cho aujourd&#39;hui, preuve aussi que les modes d&#39;&ecirc;tre des J&eacute;suites sont devenus ceux de la soci&eacute;t&eacute; et ceux qu&#39;anticipaient des J&eacute;suites tels que Fran&ccedil;ois Roustang, dans son texte sur <i>Le Troisi&egrave;me Homme, </i>Odile Jacob, 2019 et Louis Beirnaert dans son livre majeur <i>Aux fronti&egrave;res de l&#39;acte analytique, </i>Seuil, 1987. Ils y &eacute;tablissent une sorte de convergence entre la d&eacute;marche psychanalytique individuelle, le jugement &eacute;thique personnel, n&eacute; du discernement, et l&#39;intuition ignacienne fond&eacute;e sur l&#39;enjeu de la parole. Ces convergences sont en accord avec l&#39;&eacute;volution intellectuelle de la soci&eacute;t&eacute; contemporaine, contrairement &agrave; l&#39;orientation politique conservatrice et r&eacute;actionnaire de la Compagnie avant la Seconde Guerre mondiale.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Cette convergence indique pourquoi d&#39;aussi nombreux et d&#39;aussi influents j&eacute;suites ont rejoint l&#39;&Eacute;cole freudienne de Paris, d&egrave;s sa cr&eacute;ation en 1964. Le premier, Louis Beirnaert, n&eacute; en 1906, est entr&eacute; &agrave; 17 ans dans la Compagnie de J&eacute;sus. Devenu provincial, il sera consult&eacute; r&eacute;guli&egrave;rement par Lacan. Fran&ccedil;ois Roustang, qui dirigeait alors la revue j&eacute;suite de r&eacute;flexion th&eacute;orique et th&eacute;ologique <i>Christus </i>le rejoint<i>. </i>Comme eux<i>,</i> plusieurs autres j&eacute;suites<i> </i>sont devenus psychanalystes &agrave; la diff&eacute;rence de Michel de Certeau, co-fondateur de l&#39;&Eacute;cole freudienne de Paris, qui n&#39;en a pas fait son m&eacute;tier.</span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Ils sont r&eacute;unis par leur r&eacute;flexion sur les <i>Exercices spirituels </i>d&#39;Ignace de Loyola et leur exp&eacute;rience du transfert. Entre ces j&eacute;suites pour la plupart form&eacute;s &agrave; Lyon, il y a en effet une prise de conscience commune, gr&acirc;ce &agrave; l&#39;ouverture &agrave; la recherche historique des &eacute;crits originaires de la fondation de la Compagnie de J&eacute;sus. C&#39;est pour eux un r&eacute;v&eacute;lateur. Ils peuvent d&eacute;sormais lire et &eacute;tudier les textes, soit dict&eacute;s par leur fondateur, soit ceux de sa main. Beirnaert, dans son ouvrage de 1964<a href="#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><sup><sup><span style="border:none; font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">[4]</span></span></span></sup></sup></a>, &eacute;tablit ainsi un parall&eacute;lisme entre la tradition j&eacute;suite et la transmission analytique &agrave; partir des premiers &eacute;crits de Freud. (Dosse, p.319 )<a href="#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><sup><sup><span style="border:none; font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">[5]</span></span></span></sup></sup></a></span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">L&#39;appellation, &quot;Nouvelle Compagnie&quot;, caract&eacute;rise cette refondation dont l&#39;objectif, selon Fran&ccedil;ois Roustang et Michel de Certeau, est de &quot;partir des probl&egrave;mes tels qu&#39;ils se posent &agrave; leurs contemporains pour en conduire l&#39;analyse jusqu&#39;&agrave; la signification spirituelle qu&#39;il est possible de leur donner.&quot;<a href="#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><sup><sup><span style="border:none; font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times=""><span style="color:black">[6]</span></span></span></sup></sup></a></span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Au cours des cinq si&egrave;cles depuis sa cr&eacute;ation, la Compagnie de J&eacute;sus a sans cesse &eacute;t&eacute; interpell&eacute;e sur son identit&eacute; qui ne se r&eacute;f&egrave;re &agrave; aucun mod&egrave;le dont elle revendiquerait la continuit&eacute;. C&#39;est sur ce point d&#39;apparente fragilit&eacute; que ses adversaires ont pu obtenir des pouvoirs royaux et pontificaux son expulsion de leurs territoires et sa dissolution. Mais c&#39;est aussi sa force qui lui a permis de rena&icirc;tre &agrave; partir de l&#39;identit&eacute; individuelle qui est inscrite dans l&#39;appartenance &agrave; cette collectivit&eacute; bien particuli&egrave;re. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">D&egrave;s sa fondation, elle se revendiquait comme un compagnonnage et non pas un groupe soumis &agrave; la clot&ucirc;re d&#39;une r&egrave;gle. Chaque compagnon adh&egrave;re &agrave; la Soci&eacute;t&eacute; de J&eacute;sus sur un mode qu&#39;il adapte aux exigences de sa d&eacute;marche de vie. Cet autre point h&eacute;risse le pouvoir eccl&eacute;siastique qui lui a port&eacute; d&egrave;s l&#39;origine ses critiques jusqu&#39;&agrave; la survenue de crises r&eacute;p&eacute;t&eacute;es entre le pape et le pr&eacute;pos&eacute; g&eacute;n&eacute;ral des J&eacute;suites, nomm&eacute; le &quot;pape noir&quot;. En effet, m&ecirc;me dans l&#39;habit qui autrefois &eacute;tait une simple soutane noire, (actuellement jusqu&#39;&agrave; l&#39;absence de port d&#39;une soutane), les J&eacute;suites ne montrent pas leur appartenance, qui est ainsi un acte intime. L&#39;acte est alors de ne pas induire une identit&eacute; dans la pr&eacute;sence &agrave; l&#39;autre par un uniforme et par un signe d&#39;appartenance identitaire. </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Une telle distance <i>a contrario</i> construit le fantasme d&#39;une soci&eacute;t&eacute; occulte, d&#39;une sorte de franc-ma&ccedil;onnerie &agrave; qui, sur un mode infantile, est pr&ecirc;t&eacute;e la toute-puissance donn&eacute;e &agrave; la m&egrave;re. Ignace de Loyola a &eacute;t&eacute; form&eacute; &agrave; l&#39;uniformisation militaire. Il construit la Compagnie dans un effort intellectuel constant pour qu&#39;elle soit l&#39;oppos&eacute; d&#39;une arm&eacute;e, collectif qui fait appel &agrave;&nbsp; une identit&eacute; commune et &agrave; une appartenance partag&eacute;e. Ces traits n&#39;ont pas &eacute;t&eacute; effac&eacute;s de la Compagnie, mais ils sont comme refoul&eacute;s. Ils agissent comme un discours latent qui tient en &eacute;cart identit&eacute; collective et appartenance partag&eacute;e qui sont int&eacute;rioris&eacute;es au profit d&#39;une apparence publique individuelle. Paradoxe d&#39;une arm&eacute;e singuli&egrave;re non collective, constitu&eacute;e de <i>membra disjecta.</i>&nbsp; </span></span></span></span></span></p> <p class="CorpsA" style="border:none; text-align:justify"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><span style="font-size:12.0pt"><span new="" roman="" style="font-family:" times="">Cette articulation entre l&#39;identit&eacute; collective et l&#39;appartenance v&eacute;cue sur un plan individuel pourrait aussi d&eacute;finir une utopie. La Compagnie de J&eacute;sus est-elle un utopie qui ouvre le chemin de ce que pourrait &ecirc;tre toute communaut&eacute; de citoyens engag&eacute;s dans la <i>vie,</i> qui est &agrave; la fois sociale et individuelle? Fran&ccedil;ois Roustang le pense, semble-t-il.</span></span></span></span></span></p> <div>&nbsp; <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <p class="MsoFootnoteText" style="border:none"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><sup><span style="font-size:13.0pt"><sup><span style="border:none; font-size:13.0pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></span></sup></a> Michelet et Quinet, Des J&eacute;suites, deuxi&egrave;me &eacute;dition,Comptoir des imprimeurs-unis, Paris 1843</span></span></span></p> </div> <div id="ftn2"> <p class="MsoFootnoteText" style="border:none"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><a href="#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><sup><span style="font-size:14.0pt"><sup><span style="border:none; font-size:14.0pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></span></sup></a> Article Arrupe Pedro, Les J&eacute;suites Histoire et dictionnaire, Coll.Bouquins, p.467</span></span></span></p> </div> <div id="ftn3"> <p class="MsoFootnoteText" style="border:none"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><a href="#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><sup><span style="font-size:14.0pt"><sup><span style="border:none; font-size:14.0pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></span></sup></a> En 1710, la Compagnie dirige&nbsp; 517 coll&egrave;ges et en 1749&nbsp; plus de 600 en Europe, in <i>Les J&eacute;suites</i>,p.573, coll.Bouquins. &quot; On en compte actuellement&nbsp; 22 en France,18 en Belgique&quot; p.580.</span></span></span></p> </div> <div id="ftn4"> <p class="MsoFootnoteText" style="border:none"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><a href="#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><sup><span style="font-size:14.0pt"><sup><span style="border:none; font-size:14.0pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black">[4]</span></span></span></sup></span></sup></a> Beirnaert Louis,<i>Exp&eacute;rience chr&eacute;tienne et Psychologie, 1964 et 1966 (2&egrave;me &eacute;dit.) L&#39;Epi.</i></span></span></span></p> </div> <div id="ftn5"> <p class="MsoFootnoteText" style="border:none"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><a href="#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><sup><span style="font-size:14.0pt"><sup><span style="border:none; font-size:14.0pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black">[5]</span></span></span></sup></span></sup></a> Dosse,Fran&ccedil;ois, <i>Michel de Certeau Le marcheur bless&eacute;</i>, La D&eacute;couverte, 2002</span></span></span></p> </div> <div id="ftn6"> <p class="MsoFootnoteText" style="border:none"><span style="font-size:11pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black"><a href="#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><sup><span style="font-size:14.0pt"><sup><span style="border:none; font-size:14.0pt"><span helvetica="" neue="" style="font-family:"><span style="color:black">[6]</span></span></span></sup></span></sup></a> Antoine Fabre et Benoist Pierre, Les J&eacute;suites, Histoireet Dictionnaire, collection Bouquins, p.408</span></span></span></p> </div> </div>