<p>Résumé</p>
<h2><span dir="ltr" lang="fr">Historicité et réflexivité : une utilisation éthique des traces numériques.</span></h2>
<h3><span dir="ltr" lang="fr">Test de l'utilisation de ses propres traces par un internaute lors de sa navigation sur une base de documents juridiques.</span></h3>
<p><span dir="ltr" lang="fr">À l’heure où la justice prédictive ambitionne d’utiliser les algorithmes de l’IA pour faire prévaloir de nouvelles pratiques à partir de la masse des données extraites de la jurisprudence minorant de fait le rôle de l’institution juridique et de sa dialectique (Lassègue, J. & Garapon, A., 2018 ; Labiche, J., & Holzem, M., 2019), notre contribution empruntera un autre chemin.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Dans le prolongement des travaux de (Champin, P.-A., Mille, A., Prié, Y., 2013), qui ont initié une formalisation de la trace informatique n’ayant pas pour fonction d’assister, mais de faciliter l’interprétation d’un utilisateur, nous tentons de mettre en œuvre une formalisation qui aiderait à l’appropriation de connaissances pour un utilisateur par la visualisation de ses propres traces en cours de navigation dans des bases de documents juridiques. Cette démarche qui s’appuie sur la neuro-phénoménologie invite à porter une attention particulière au fait qu'objectiver, c'est travailler sur l'expérience vécue, singulière (Bitbol, M., 2014). Singularité que nous abordons sous l’égide du couplage sémiotique entre l’individu et la société reconnaissant alors le caractère culturellement situé de toute activité, en lien avec les travaux de phénoménologie sémiotique (Rosenthal, V., Visetti, Y.-M. 2010 ; Piotrowski, D. & Visetti, Y.-M. 2015 ; Holzem, M. & Labiche J., 2017b). </span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Il nous a alors semblé possible d’œuvrer à un système réflexif à base de traces permettant à un utilisateur, au long des « boucles sans fin » de ses interactions, d’enregistrer, puis de revoir et commenter, tout ou partie de ses propres traces. La particularité de cette approche sera d’envisager la trace comme présentification du passé, en faisant l’hypothèse qu’une conscience réflexive peut être profitable à l’utilisateur (Holzem, M. & Labiche, J., 2017a). L’interprétation a posteriori de son propre comportement par l’utilisateur, grâce à la possibilité de se re-voir agir, est pensée comme un décentrement sur un autre soi-même (Ricœur, P., 1990).</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Notre travail sur l’agir utilisateur lors d’une navigation dans une base de documents munie d’outils de traçage, nous amène à analyser l'ensemble des parcours effectués sur le corpus par un panel d'utilisateurs hétérogènes mais identifiés. Dans le but d’historiser les traces d'usage nous proposons plusieurs caractéristiques à observer pour lesquelles une double dimension temporelle est primordiale. Cela consiste à appréhender la trace, datée dans la durée de la pratique en cours, mais également comme empreinte sémiotique qui se déploie dans le temps long de l’appropriation de connaissances. De ce point de vue la philologie bénéficie à l’ère des corpus numériques de la multiplication des possibilités d’allers et retours vers les textes. Cela nous a conduit à appareiller une plateforme numérique dédiée au droit des transports d’un système de collecte automatique de traces : documents lus et ordre d’accès aux contenus, mais également durée d’une session, temps passé sur chaque document. Une nouvelle version en cours de développement donnera à l’utilisateur la possibilité de visionner à la demande le « film » de ses actions.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">L’article se proposera d’analyser et d’interpréter l’incidence d’un système de traces numériques quant à l’aide à l’appropriation de connaissances à partir des données issues d’une campagne de tests effectués en mars 2021 sur un panel différenciés d’étudiants. Nous avons conçu des tests comparatifs entre les usages de deux versions de la plateforme, l’une permettant l’accès aux traces pour l’utilisateur et l’autre non et entre navigation d’experts et non experts du droit. Nous détaillerons alors la formalisation du système de traces datées : interrogations de la base, sélection des documents proposés, annotation éventuelle de passages sélectionnés dans les documents. Nous avons ainsi accès aux évènements qui ponctuent le « parcours interprétatif » (Tanguy, L. & Tlivitis, T., 1999 ; Rastier, F., 2003) de l’utilisateur lui permettant s’il le souhaite de re-visualiser sa session de travail. Utilisateur qui devient ainsi le créateur autonome de la boucle d’interactions en comprenant sa propre démarche en cours pour l’infléchir ou la prolonger. </span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">En œuvrant à la conception d’un système prenant en compte les traces informatiques laissées volontairement par un sujet interprétant un corpus de textes qu’il a lui-même constitué en étant réellement le maître de ses interactions avec la machine, nous cherchons à obvier à l’appauvrissement conséquent des approches technologisantes de la cognition humaine. Pour mettre les technologies numériques au service d’une appropriation de connaissances, nous avons questionné notre rapport aux objets techniques (Simondon, G., 1958) en rappelant que les réalisations de la technique doivent s’apprécier par leur capacité à servir et non à conduire et que la technique ne peut être son propre télos (Cassirer, E., 1930). Il faut alors que l’agir technique devienne suffisamment intelligible pour permettre à l’utilisateur de s’affranchir de son inféodation et devienne « le chef d’orchestre » qui conduit les outils informatiques en interprétant récursivement chaque élément de leurs retours.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Notre projet est mû par une éthique de la responsabilité, car nous soutenons qu’aucune machine ne peut appendre, ni décider à notre place et que toute connaissance est action au sein d’un couplage structural entre un sujet et l’environnement qu’il constitue en même temps qu’il est constitué par lui.</span></p>
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<p><span dir="ltr" lang="fr"><b>Bibliographie</b></span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Bitbol, M. (2014). <em>La conscience a-t-elle une origine ? Des neurosciences à la pleine conscience : une nouvelle approche de l’esprit</em>. Paris : Flammarion.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Cassirer, E. (1930). <em>Form und Technik</em>. In Kestenberg Leo (éd.) Kunst und Technik, Berlin : Wegweiser Verlag, 15-61. Texte publié en français In Cassirer, E. (1995). <em>Écrits sur l'ar</em>t. Paris : Editions du Cerf, (coll. Passages). </span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Champin, P.-A., Mille, A., Prié, Y. (2013). Vers des traces numériques comme objets informatiques de premier niveau : une approche par les traces modélisées. <em>Intellectica</em>, n°59, 171-204. </span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Holzem, M. & Labiche, J. (2017a). <em>Dessillement numérique : énaction, interprétation, connaissances</em>. Bruxelles : PIE Peter Lang (Gramm-R n°37).</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Holzem, M. & Labiche, J. (2017b) Questionnement sur le couplage énactif comme dualité sémiotique, <em>Intellectica</em>, 68, 225-254.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Labiche, J. & Holzem, M. (2019) De quelle justice le digital est-il le ressort ? <em>Texto! Textes et cultures,</em> vol. XXIV, n°2, 2019. Repéré à :</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr"><a href="http://www.revue-texto.net/docannexe/file/4227/texto_labiche_et_holzem_justice_digitale_.pdf">http://www.revue-texto.net/docannexe/file/4227/texto_labiche_et_holzem_justice_digitale_.pdf</a>.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Lassègue, J. & Garapon, A. (2018). <em>Justice Digitale : révolution graphique et rupture anthropologique</em>. Paris : Puf.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Piotrowski, D. & Visetti, Y.-M. (2015). Expression diacritique et sémiogénèse. <em>Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy</em>, vol 3, n°1, 63-112.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Rastier, F. De la signification au sens. Pour une sémiotique sans ontologie. <em>Texto !, </em>juin sept. 2003. Repéré à :</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr"><a href="http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Semiotique-ontologie.html">http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Semiotique-ontologie.html</a></span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Ricoeur, P. (1990). <em>Soi-même comme un autre</em>, Paris, Seuil, coll. Essais.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Rosenthal, V. & Visetti, Y.-M. (2010). Expression et sémiose – pour une phénoménologie sémiotique. <em>Rue Descartes</em>, 70, numéro spécial sur les Usages de Merleau-Ponty, coordonné par Sebbah, F. & Piqué, N., 26-63.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Simondon, G. (1958). <em>Du mode d'existence des objets techniques</em>, Paris : Aubier.</span></p>
<p><span dir="ltr" lang="fr">Tanguy, L. & Thlivitis, T. (1999). Parcours interprétatifs (inter)textuels : vers une assistance informatique, <em>Cahiers de praxématique</em> 33|1999 : Sémantique de l’intertexte, 185-215</span></p>