<p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><b>Introduction</b></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Il est admis que la trace repose sur un jeu entre logistique et s&eacute;miotique (Jeanneret, 2011). Son pouvoir r&eacute;side habituellement dans sa capacit&eacute; &agrave; articuler la mat&eacute;rialit&eacute; d&rsquo;une inscription &agrave; une forme socialement partageable. Il s&rsquo;agit en effet d&rsquo;une part d&rsquo;une marque, d&rsquo;une alt&eacute;ration de mati&egrave;re qui n&rsquo;est pas faite au hasard dans la mesure o&ugrave; elle est causalement li&eacute;e &agrave; un &eacute;v&eacute;nement selon la th&eacute;orie peircienne de l&rsquo;indice, comme la fum&eacute;e est li&eacute;e au feu ou l&rsquo;empreinte du pas &agrave; l&rsquo;animal qui est pass&eacute; (Peirce, 1978). Et d&rsquo;autre part la trace s&rsquo;inscrit souvent &eacute;galement dans l&rsquo;ordre du symbolique en ce sens qu&rsquo;elle appelle l&rsquo;interpr&eacute;tation (Ginzburg, 1989)&nbsp;: quelqu&rsquo;un, &agrave; un moment, cherche &agrave; faire de la trace un indice, comme le chasseur dans les bois ou le psychanalyste qui traque les lapsus. La trace est donc pr&eacute;sent&eacute;e comme une relation &laquo;&nbsp;entre le plan matériel de l&rsquo;inscription et le plan interprétatif de l&rsquo;explication.&nbsp;&raquo; (Jeanneret, 2011, p.47) Elle est &agrave; la fois mat&eacute;rielle, logistique et symbolique, herm&eacute;neutique.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Bien entendu, ce caract&egrave;re biface de la trace est, jusqu&rsquo;&agrave; un certain point, &eacute;galement valable, en reprenant la th&eacute;orie peircienne, pour le symbole ou l&rsquo;ic&ocirc;ne. Un symbole en effet doit bien &ecirc;tre inscrit quelque part pour exister&nbsp;; et pour &ecirc;tre compris, il d&eacute;pend d&rsquo;un ensemble de conventions. La colombe, symbole de la paix par exemple, comprend une dimension mat&eacute;rielle et une dimension culturelle. Il en va de m&ecirc;me de l&rsquo;ic&ocirc;ne qui mime le r&eacute;el&nbsp;: le peintre qui dessine une colombe, recopiant celle qu&rsquo;il a en face de lui, op&egrave;re une inscription sur un support, qui peut &ecirc;tre comprise par quiconque la regarde et y reconna&icirc;t l&rsquo;oiseau. Mais contrairement &agrave; la trace, ni l&rsquo;ic&ocirc;ne, ni le symbole ne sont li&eacute;s physiquement &agrave; l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement qu&rsquo;ils repr&eacute;sentent. La trace quant &agrave; elle renvoie au fait qu&rsquo;un &eacute;v&eacute;nement a eu lieu et a marqu&eacute; un support, ou pour le dire avec Barthes (1980), elle renvoie &agrave; un &laquo;&nbsp;&ccedil;a a &eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo;. Un geste interpr&eacute;tatif peut donc consister &agrave; voir dans la trace, un indice, &agrave; en faire la preuve d&rsquo;un &laquo;&nbsp;&ccedil;a a &eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo;, mais j&rsquo;aimerais ici proposer de la consid&eacute;rer dans sa pure conception logistique, comme alt&eacute;ration de mati&egrave;re qui n&rsquo;est pas faite au hasard et laisser sa part s&eacute;miotique un temps de c&ocirc;t&eacute;.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Cette mani&egrave;re de comprendre la trace comme inscription mat&eacute;rielle n&rsquo;est pas neuve. Elle rejoint les travaux de Louise Merzeau (2008, 2009a, 2009b, 2013) &ndash; et des m&eacute;diologues plus largement qui s&rsquo;int&eacute;ressent au pouvoir d&rsquo;enregistrement et de diss&eacute;mination des m&eacute;dias. C&rsquo;est bien la logistique de la circulation qui y est consid&eacute;r&eacute;e, certes au prix d&rsquo;une occultation d&eacute;politisante du social (Granjon, 2020) et du s&eacute;miotique (Jeanneret, 2011). Cette conception logistique de la trace &ndash; en particulier num&eacute;rique &ndash; permet cependant de clarifier les diff&eacute;rences entre traces et donn&eacute;es, elle permet &eacute;galement d&rsquo;am&eacute;nager une place &agrave; cet objet technique qu&rsquo;est l&rsquo;ordinateur dans le processus de production de connaissances, et par l&agrave; de r&eacute;pondre &agrave; certaines critiques formul&eacute;es par les sciences humaines et sociales (SHS) &agrave; l&rsquo;encontre des m&eacute;thodes digitales. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Dans un premier temps, je vais approfondir cette conception logistique de la trace et montrer en quoi elle est particuli&egrave;rement pertinente pour appr&eacute;hender la trace num&eacute;rique &ndash; qui diff&egrave;re de la donn&eacute;e num&eacute;rique. Dans un deuxi&egrave;me temps, je pr&eacute;senterai certaines des critiques majeures faites &agrave; l&rsquo;encontre des travaux qui cherchent &agrave; produire de la connaissance &agrave; partir de la collecte et du traitement de donn&eacute;es num&eacute;riques. Enfin, je montrerai en quoi il peut &ecirc;tre int&eacute;ressant de travailler avec les traces num&eacute;riques sans en faire tout de suite des donn&eacute;es, de se laisser troubler (Haraway, 2016) par elles, cultivant par l&agrave; une forme d&rsquo;artisanat haute technologie (Ghitalla, 2014). Je montrerai, &agrave; l&rsquo;aide d&rsquo;un cas concret, que cette &eacute;tape de trouble aupr&egrave;s de la trace num&eacute;rique est importante pour ne pas oublier la technique, ici l&rsquo;ordinateur, dans le processus de construction des connaissances.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><b>Une conception logistique de la trace </b></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">La trace, dans sa compr&eacute;hension logistique, qui est celle retenue &agrave; partir de maintenant, est donc une alt&eacute;ration de mati&egrave;re, une mat&eacute;rialit&eacute; affect&eacute;e par une action. C&rsquo;est une marque li&eacute;e &agrave; un &eacute;v&eacute;nement, caus&eacute;e par lui, qui atteste donc de la singularit&eacute; d&rsquo;un &laquo;&nbsp;&ccedil;a a &eacute;t&eacute;&nbsp;&raquo;. Barthes explique &agrave; ce propos que, affect&eacute; par la perte de sa m&egrave;re, il se retrouva foudroy&eacute; en regardant la <i>Photo du Jardin d&rsquo;Hiver </i>: non pas parce qu&rsquo;il y aurait reconnu sa mère, mais parce qu&rsquo;il l&rsquo;y a retrouvée. Dans la photographie, écrit-il, &laquo; je ne puis jamais nier que la chose a été là. &raquo; (1980 ; cit&eacute; par Merzeau, 2009b, p. 138) La trace atteste donc de la singularit&eacute; d&rsquo;une pr&eacute;sence qui a &eacute;t&eacute;. Mais presque imm&eacute;diatement, elle est aussi une marque abandonn&eacute;e, dont l&rsquo;une des caract&eacute;ristiques principales est la <i>d&eacute;liaison</i>. La trace en effet est d&rsquo;embl&eacute;e rupture avec son contexte de production.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Cette d&eacute;liaison et cette d&eacute;contextualisation constitutives de la trace sont fid&egrave;les &agrave; la pens&eacute;e de Derrida. Pour lui, tout acte de communication &ndash; toute écriture &ndash; excède par définition son contexte, aussi bien du côté de l&rsquo;émetteur de la trace que de son destinataire. Du côté du destinataire d&rsquo;abord, la notion de contexte n&rsquo;a pas de sens puisque toute écriture signe l&rsquo;absence du destinataire. &laquo; On écrit pour communiquer quelque chose à des absents. &raquo; (Derrida, 1971, p. 372) Des absents qui le sont radicalement. &laquo; Un signe écrit s&#39;avance en l&#39;absence du destinataire. Comment qualifier cette absence ? On pourra dire qu&#39;au moment où j&#39;écris, le destinataire peut être absent de mon champ de perception présente. Mais cette absence n&#39;est- elle pas seulement une présence lointaine, retardée ou, sous une forme ou sous une autre, idéalisée dans sa représentation ? (...) Il faut, si vous voulez, que ma &laquo;&nbsp;communication écrite &raquo; reste lisible malgré la disparition absolue de tout destinataire. &raquo; (Derrida, 1971, p. 373-374) Toute trace, pour être ce qu&rsquo;elle est, doit fonctionner &laquo; en l&rsquo;absence radicale de tout destinataire empiriquement déterminé en général. &raquo; </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Quant à l&rsquo;émetteur, il n&rsquo;est pas moins absent &laquo; à la marque qu&rsquo;il abandonne, qui se coupe de lui et continue de produire ses effets au-delà de sa présence et de l&rsquo;actualité présente de son vouloir- dire, voire au-delà de sa vie même, cette absence qui appartient pourtant à la structure de toute écriture &ndash; et, j&rsquo;ajouterai plus loin, de tout langage en général &raquo; (Derrida, 1971, p.376) Il y a donc une <i>dérive essentielle </i>de la trace, &laquo; qui se trouve coupée de toute responsabilité absolue, de la conscience comme autorité de dernière instance &raquo;. C&rsquo;est-à-dire que la trace est une marque abandonnée, qui excède ce qu&rsquo;a pu vouloir dire son émetteur et qui mène une vie autonome, qui pourra continuer à fonctionner &ndash; être comprise &ndash; au-delà de son contexte de production ; qui pourra travailler d&rsquo;autres situations et être interprétée ailleurs, autrement &ndash; différemment. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Pour Derrida, la trace fonctionne en l&rsquo;absence de l&rsquo;&eacute;metteur, qui est radicalement non-pr&eacute;sent, non-pr&eacute;sent &agrave; un quelconque vouloir-dire dans la mesure o&ugrave;, pour le philosophe, tout acte de communication convoque une h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; de signes et de gestes qui, pour fonctionner, doivent &ecirc;tre reconnus, c&#39;est-&agrave;-dire rapport&eacute;s &agrave; des conventions, &agrave; des formes institu&eacute;es. Ces signes donc ont une autonomie, ils exposent des significations et des intentions d&eacute;j&agrave; &eacute;tablies, qui &laquo; ne sont pas exclusivement les n&ocirc;tres &raquo; (Cooren, 2013, p. 68), qui n&rsquo;appartiennent pas en propre &agrave; l&rsquo;&eacute;nonciateur. Et c&rsquo;est &agrave; cette absence de l&rsquo;&eacute;nonciateur que renvoie le concept de trace &ndash; ainsi qu&rsquo;&agrave; celle du destinataire &ndash; d&eacute;construisant par l&agrave; toute la familiarit&eacute; du carcan conceptuel de la subjectivit&eacute;, de l&rsquo;interaction, de l&rsquo;identit&eacute;, de la pr&eacute;sence &agrave; soi et aux autres. La trace est une inscription, une alt&eacute;ration de mati&egrave;re&nbsp;qui n&rsquo;est pas du tout l&rsquo;expression de l&rsquo;intention d&rsquo;un quelconque sujet mais qui s&rsquo;autonomise pour fonctionner comme une &laquo; unit&eacute; discr&egrave;te de sens &raquo; (Merzeau, 2008, p. 155). La trace est essentiellement d&eacute;rive, marque abandonn&eacute;e qui peut être insérée dans des chaînes de significations qui ne sont pas celles de son &laquo; contexte &raquo; de production. De ce point de vue, la trace excède toujours et par définition son contexte, à jamais absent. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><b>Une conception logistique de la trace num&eacute;rique</b></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Cette compr&eacute;hension logistique de la trace, qui est aussi une d&eacute;construction de la m&eacute;taphysique de la pr&eacute;sence et de la subjectivit&eacute;, est particuli&egrave;rement ad&eacute;quate pour appr&eacute;hender la trace num&eacute;rique &ndash; cela pour une raison &agrave; la fois factuelle et plus m&eacute;taphysique. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Factuellement d&rsquo;abord, il y a <i>trace numérique </i>dans la mesure où toute action dans un environnement informatisé est aussi une interaction avec des machines computationnelles. Toute action volontaire comme écrire un <i>tweet</i>, naviguer sur le web ou préparer un diaporama se fait sur un support numérique et avec des outils numériques, elle est médiée par un système technique, &laquo; par l&rsquo;interposition d&rsquo;un programme informatique &raquo; (Bouchardon, 2014). Elle passe par un codage qui en rend certains aspects manipulables. Autrement dit, les activités dont la forme est socialement partageable (poster un commentaire, partager une photographie, enregistrer un son, etc.) se doublent &laquo; toujours d&rsquo;un code traductible en données calculables &raquo; (Jeanneret, 2011, p.68). Ainsi, les activités en ligne g&eacute;n&egrave;rent des traces numériques, car &laquo; l&rsquo;informatique exige que les objets et les actes passent par l&rsquo;inscription pour exister &raquo; (Jeanneret, 2011, p. 68). </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Ces traces num&eacute;riques endossent les propri&eacute;t&eacute;s du num&eacute;rique. Pour les mettre au mieux en &eacute;vidence, un passage m&ecirc;me bref par l&rsquo;histoire de l&rsquo;informatique est bienvenu. Comme l&rsquo;a largement d&eacute;crit Bruno Bachimont (1999, 2000, 2004, 2010), l&rsquo;informatique est le fruit de deux étapes fondamentales&nbsp;: la cybernétique et le formalisme hilbertien. La cybernétique a permis de comprendre les systèmes physiques en termes d&rsquo;information et d&rsquo;autorégulation plutôt que simplement en termes de transformation d&rsquo;énergie. Le formalisme scelle quant &agrave; lui la possibilité de raisonner non pas à partir du contenu des symboles mais à partir de leur forme, ce sont les premiers pas de l&rsquo;informatique. &Agrave; partir du moment, en effet, où le raisonnement a pu être arithmétisé et ramené à de la pure manipulation de symboles vides de sens, alors il a pu &ecirc;tre mécanisé&nbsp;: d&rsquo;abord de mani&egrave;re abstraite avec la machine de Turing universelle (1936) puis concr&egrave;tement avec l&rsquo;ordinateur (Von Neumann, 1945) &laquo; cette machine concrète réalisant dans l&rsquo;effectivité physique le principe abstrait de la calculabilité turingienne &raquo; (Bachimont, 1999, p.4) Finalement, ce que certains appellent la &laquo; révolution numérique &raquo; ne repose sur rien d&rsquo;autre que sur ce principe de manipulation de symboles vides de sens dans le cadre d&rsquo;opérations syntaxiques où seule la forme compte et qui peuvent être exécutées mécaniquement. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">&Agrave; partir de cette histoire, on peut comprendre quatre propri&eacute;t&eacute;s fondamentales du num&eacute;rique &ndash; mises en &eacute;vidence dans les travaux de Bruno Bachimont &ndash; que l&rsquo;on retrouve dans les traces num&eacute;riques&nbsp;: d&eacute;s&eacute;mantisation, manipulabilit&eacute;, discr&eacute;tisation et authot&eacute;ticit&eacute;. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">D&rsquo;abord, tout signe informatique &laquo; n&rsquo;existe pas en vue de sa signification mais en vue de sa manipulation &raquo; (Bachimont, 2004, p. 101), d&rsquo;où une &laquo; ascèse du signe &raquo;, une expulsion de la signification. Le signe informatique n&rsquo;est donc pas le signe de la sémiotique puisqu&rsquo;on y a &laquo;&nbsp;suspendu le processus d&rsquo;interprétation sémiotique [...] Le signe ininterprété de l&rsquo;informatique s&rsquo;oppose au signifiant de la sémiotique.&raquo; (Bachimont, 2012). <i>Stricto sensu</i>, la trace numérique ne représente donc rien, il y a rupture sémantique, mais elle se prête au calcul et à la manipulation combinatoire. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Cette asignifiance essentielle est solidaire de la seconde propriété : la manipulabilité. En effet, ce n&rsquo;est qu&rsquo;à partir du moment où l&rsquo;on ne tient compte que de la forme indépendamment du sens que l&rsquo;on peut traiter les symboles &ndash; les traces &ndash; dans le cadre d&rsquo;un calcul formel. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Si manipulabilité et asignifiance vont de pair, elles ne peuvent être séparées d&rsquo;une troisième propriété du numérique : la discrétisation. On ne peut &laquo; désolidariser le calcul du discret : il n&rsquo;y a de calcul que sur du discret, et du discret que pour du calcul &raquo; (Bachimont, 2004, p. 102). On ne peut en effet calculer que sur des unités discrètes et ces unités discrètes ne prennent de valeur que dans leur combinatoire, c&rsquo;est-à-dire par calcul. Le signe informatique asignifiant est une valeur relationnelle, non pas dans un réseau de significations, &laquo; mais dans un réseau d&rsquo;unités discrètes &raquo;. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Après l&rsquo;asignifiance, la manipulabilité et la discrétisation, l&rsquo;on peut mettre en évidence la quatrième propriété du numérique, à savoir son authotéticité. Le signe informatique ne renvoyant à rien d&rsquo;autre que lui-même &ndash; puisque, ne comptant que pour sa forme, il ne représente rien &ndash; il est autothétique, c&rsquo;est-à-dire qu&rsquo;il ne pose rien d&rsquo;autre que lui-même (Bachimont,&nbsp; 2004, 2012). &laquo; Si le symbole informatique sortait de l&rsquo;autothétique pour acquérir une signification, un sens, une intentionnalité, les lois auxquelles il serait soumis en tant que signe ne permettraient pas de concevoir une machine physique dont la description au niveau informationnel prendrait la forme d&rsquo;un algorithme. &raquo; (Bachimont, 1999, p.6)</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">La trace numérique est donc l&rsquo;inscription répondant aux impératifs techniques des machines computationnelles<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span lang="FR-CH" style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;,sans-serif">[1]</span></span></span></span></a> qui double les activités humaines inscrites dans l&rsquo;échange symbolique et social dès lors que celles-ci ont lieu dans des environnements numériques. Elle échappe toujours au moins en partie à l&rsquo;intentionnalité de l&rsquo;agent et au contexte de sa production car elle est asignifiante, manipulable, calculable et intrins&egrave;quement d&eacute;liable. La num&eacute;risation radicalise le caract&egrave;re logistique de la trace, elle en pr&eacute;cipite l&rsquo;autonomisation en en radicalisant le principe. Son caract&egrave;re calculable et manipulable permet de la d&eacute;contextualiser, de l&rsquo;arracher au contexte &eacute;nonciatif et de l&rsquo;ins&eacute;rer dans de nouvelles cha&icirc;nes de calcul et de significations. La trace, dans sa compr&eacute;hension logistique, est ainsi particuli&egrave;rement appropri&eacute;e pour saisir les sp&eacute;cificit&eacute;s de la trace num&eacute;rique, cela en raison des propri&eacute;t&eacute;s du num&eacute;rique. Mais la trace, dans sa compr&eacute;hension logistique, permet &eacute;galement et en raison du geste d&eacute;constructionniste qui l&rsquo;habite, d&rsquo;am&eacute;nager conceptuellement, m&eacute;taphysiquement, la possibilit&eacute; d&rsquo;un accueil&nbsp;: celui de la machine computationnelle dans la composition du monde commun et dans le processus de production de connaissance. Or la question de cet accueil, et plus largement du statut de la technique dans le processus de construction des connaissances, est centrale pour interroger les r&eacute;sultats de recherche produits &agrave; l&rsquo;aide de m&eacute;thodes digitales. Voyons d&rsquo;abord dans quelle mesure le concept de trace d&eacute;fendu ici am&eacute;nage une place &agrave; cet objet technique qu&rsquo;est la machine computationnelle, avant de passer aux consid&eacute;rations plus directement &eacute;pist&eacute;mologiques sur les m&eacute;thodes digitales et leurs r&eacute;sultats. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><b>Une conception logistique de la trace num&eacute;rique comme disposition aux interactions avec des machines computationnelles</b></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">La conception logistique de la trace num&eacute;rique comme inscription profond&eacute;ment d&eacute;liable h&eacute;berge un geste de d&eacute;construction de la m&eacute;taphysique de la pr&eacute;sence et de la subjectivit&eacute; qui ouvre sur la possibilit&eacute; d&rsquo;un accueil&nbsp;: celui de la machine computationnelle dans la composition du monde commun. &Eacute;noncer cela revient &agrave; articuler le travail philosophique &agrave; des consid&eacute;rations empiriques. J&rsquo;ai t&acirc;ch&eacute; ici de montrer en quoi les sp&eacute;cificit&eacute;s de la trace, comprise au sens de Derrida (travail philosophique), se retrouvaient pr&eacute;cipit&eacute;es par les propri&eacute;t&eacute;s du num&eacute;rique (consid&eacute;rations empiriques). J&rsquo;aimerais &agrave; pr&eacute;sent mettre en &eacute;vidence comment la trace, toujours dans sa compr&eacute;hension derridienne, en d&eacute;construisant l&rsquo;identit&eacute; comme pr&eacute;sence &agrave; soi ouvre sur l&rsquo;acceptation du surgissement de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; au c&oelig;ur m&ecirc;me de l&rsquo;identit&eacute;, telle qu&rsquo;elle a pu &ecirc;tre pens&eacute;e par Jean-Luc Nancy. Accepter philosophiquement ce geste de d&eacute;construction du sujet, comme exposition &agrave; l&rsquo;&eacute;tranget&eacute; de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, am&egrave;ne &ndash; telle est ma proposition &ndash; &agrave; une posture de recherche int&eacute;ressante lorsque l&rsquo;on travaille avec des m&eacute;thodes digitales et que j&rsquo;appellerais volontiers, apr&egrave;s Franck Ghitalla (2014), un &laquo;&nbsp;artisanat haute technologie&nbsp;&raquo; et que je d&eacute;velopperai dans le dernier chapitre de cet article. Mais d&rsquo;abord, il faut pr&eacute;senter en quoi le geste de d&eacute;construction embarqu&eacute; dans le concept logistique de trace num&eacute;rique d&eacute;bouche sur une pens&eacute;e de la communaut&eacute; qui peut tr&egrave;s bien accueillir le non-humain computationnel.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy sont tous les deux des penseurs de la d&eacute;construction. Il n&rsquo;est pas possible ici d&rsquo;entrer dans un commentaire pr&eacute;cis de leurs textes, mais il est int&eacute;ressant de noter que l&rsquo;on trouve chez ces auteurs de la d&eacute;construction de l&rsquo;identit&eacute; et de la subjectivit&eacute; une pens&eacute;e particuli&egrave;rement radicale de la communaut&eacute; qui permet d&rsquo;am&eacute;nager une place au non-humain dans la composition du monde commun. C&rsquo;est peut-&ecirc;tre dans <i>L&rsquo;intrus</i> (Nancy, 2000), que cette id&eacute;e appara&icirc;t dans sa forme la plus ais&eacute;ment saisissable. Dans ce livre, Nancy revient sur son exp&eacute;rience de malade ayant eu &agrave; recevoir une greffe du c&oelig;ur. Le propos philosophique y est passionnant&nbsp;: pour vivre, le corps doit h&eacute;berger en lui le c&oelig;ur d&rsquo;un autre, une alt&eacute;rit&eacute;, une greffe qui est rejet&eacute;e comme du non-propre et dont sa vie pourtant d&eacute;pend. Il faut donc abaisser l&rsquo;immunit&eacute; du corps pour que le greffon ne soit pas rejet&eacute;, on abaisse donc les barri&egrave;res de l&rsquo;identit&eacute;, ce qui fait sortir au grand jour les bact&eacute;ries et virus (comme le zona) que le corps h&eacute;berge et qui le co-constituent. <i>L&rsquo;intrus</i> traite de front la question de l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute; qui toujours d&eacute;j&agrave; fissure l&rsquo;identit&eacute;. C&rsquo;est l&rsquo;autre-que-soi qui permet au &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; de continuer &agrave; vivre. Le corps, &eacute;crit Michela Marzano (2005), &laquo;&nbsp;devient le lieu d&rsquo;une rupture existentielle et fait basculer &laquo;&nbsp;je&nbsp;&raquo; dans un autre univers, celui d&rsquo;une identit&eacute; en pleine recomposition.&nbsp;&raquo;</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">C&rsquo;est donc le retrait identitaire, l&rsquo;effacement subjectif comme disposition au partage, qui nous m&egrave;ne au seuil d&rsquo;une pens&eacute;e de la communaut&eacute; &ndash; qui peut tr&egrave;s bien accueillir le non-humain. La d&eacute;construction du sujet et de l&rsquo;identit&eacute; est une d&eacute;sabsolutisation qui cr&eacute;e la possibilit&eacute; du rapport, du rapport &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, tout en inscrivant l&rsquo;inach&egrave;vement au c&oelig;ur de la condition humaine. &Agrave; partir du moment, en effet, o&ugrave; le sujet n&rsquo;est plus pos&eacute; comme un absolu qui se suffit &agrave; lui-m&ecirc;me, il devient &ndash; en tant qu&rsquo;inachev&eacute; &ndash; capable de l&rsquo;en-rapport, de l&rsquo;&ecirc;tre-avec d&rsquo;autres, des autres qui le d&eacute;finissent en tant qu&rsquo;&ecirc;tre ouvert, inachev&eacute;, expos&eacute;. &laquo; Par l&agrave;, c&#39;est <i>l&#39;&ecirc;tre &laquo; </i>lui-m&ecirc;me &raquo; qui en vient &agrave; se d&eacute;finir comme rapport, comme non-absoluit&eacute;, et si on veut &mdash; c&#39;est en tout cas ce que j&#39;essaie de dire &mdash; <i>comme </i>communaut&eacute;. &raquo;&nbsp; (2004, p. 21-22) &Agrave; partir du moment o&ugrave; l&rsquo;on accepte de d&eacute;construire l&rsquo;identit&eacute;, la pr&eacute;sence &agrave; soi du sujet, l&rsquo;on ouvre sur la possibilit&eacute; d&rsquo;un &ecirc;tre-avec, d&rsquo;une recomposition de l&rsquo;&ecirc;tre comme rapport avec d&rsquo;autres (que Nancy appelle <i>&ecirc;tre singulier pluriel</i> 1996). &Agrave; partir du moment o&ugrave; l&rsquo;&ecirc;tre n&rsquo;est plus une belle totalit&eacute;, close en elle-m&ecirc;me, il n&rsquo;est plus auto-suffisant, il est disposition au rapport &ndash; c&rsquo;est-&agrave;-dire relation &ndash; comme ouverture &agrave; son dehors. C&rsquo;est ainsi qu&rsquo;il faut comprendre l&rsquo;&ecirc;tre comme ex-tase, comme exposition &agrave; l&rsquo;en-dehors de soi. Si l&rsquo;absolu est clos dans son auto-suffisance, l&rsquo;inachev&eacute; tout entier relationnel est ouverture &agrave; ce qui &ndash; dans le geste m&ecirc;me de la disposition &ndash; se construit comme dehors. Car en effet, il n&rsquo;y a pas de dehors qui soit toujours d&eacute;j&agrave; l&agrave;. Le dehors est constitu&eacute; par le mouvement de d&eacute;subjectivation qui expose la singularit&eacute; comme ouverture, comme disposition aux rapports. De fa&ccedil;on presque paradoxale, il n&rsquo;y a de dehors que parce que l&rsquo;&ecirc;tre s&rsquo;ouvre. Le dehors n&rsquo;est pas ce contre quoi l&rsquo;&ecirc;tre est ferm&eacute;, c&rsquo;est ce avec quoi il communique. Et qui le constitue.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">La base th&eacute;orique qui sous-tend la conception logistique de la trace num&eacute;rique, comme d&eacute;construction du sujet et de l&rsquo;identit&eacute;, s&rsquo;articule donc bien &agrave; une compr&eacute;hension de l&rsquo;&ecirc;tre comme rapport &agrave; l&rsquo;alt&eacute;rit&eacute;, de la subjectivit&eacute; recompos&eacute;e dans sa relation avec l&rsquo;autre, un autre qui &ndash; ici &ndash; peut prendre la forme de cet objet technique qu&rsquo;est l&rsquo;ordinateur. Concr&egrave;tement, cette base philosophique a des cons&eacute;quences sur la mani&egrave;re de comprendre la trace num&eacute;rique et de travailler avec elle.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">En effet, lorsque nous communiquons dans un espace numérique, l&rsquo;acte d&rsquo;énonciation autant que l&rsquo;énoncé se trouvent démembrés en unités discrètes dont la consistance syntaxique est assurée par des actants logiciels qui ont également la charge de spécifier à quelles articulations et opérations algorithmiques elles se prêtent. Nos clics et partages, commentaires, navigations, mails, <i>bookmarks </i>ou <i>retweets</i>, etc. génèrent des traces qui se signalent par leur <i>déliaison</i>. Dès leur production, elles &laquo; sont agrégées à d&rsquo;autres données, stockées dans des réservoirs distants, disséminées dans quantité de sites &raquo; (Merzeau, 2013, p. 124) excédant ainsi largement leur contexte de production et menant leur vie dans une certaine autonomie relativement à la présence singulière à l&rsquo;origine de l&rsquo;énonciation. Ainsi démembré en traces volatiles et autonomes, l&rsquo;énoncé se retrouve délié de son auteur dont l&rsquo;intentionnalité est (au moins en partie) disséminée. La plupart des plateformes web, notamment lorsqu&rsquo;elles disposent d&rsquo;une API permettant le partage de l&rsquo;accès aux données entre différentes applications, profitent &ndash; tout en la radicalisant &ndash; de la volatilité des traces si spécifique au code numérique. Manipulabilité, asignifiance, calculabilité permettent en effet d&rsquo;offrir les traces à leur profonde décontextualisation et &agrave; diverses r&eacute;appropriations. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Si certains ont pu y voir une des effets expropriants (Merzeau) ou le d&eacute;ploiement n&eacute;faste d&rsquo;une gouvernementalit&eacute; algorithmique (Rouvroy &amp; Berns, 2013), il s&rsquo;agit avant tout &ndash; avec la production de ces traces num&eacute;riques &ndash; d&rsquo;un &ecirc;tre-avec l&rsquo;ordinateur. En effet, toute action dans un environnement informatisé est aussi une interaction avec des machines computationnelles, qui implique des traces num&eacute;riques car &ldquo;l&rsquo;informatique exige que les objets et les actes passent par l&rsquo;inscription pour exister&rdquo; (Jeanneret, 2011, p. 68). Ou, pour le dire avec les mots qui cadrent ce num&eacute;ro d&rsquo;<i>Intelligibilit&eacute; du num&eacute;rique</i>, &laquo;&nbsp;les traces peuvent être considérées à la fois comme une condition et un résultat de la numérisation de notre environnement et de nos milieux socio- techniques : les outils numériques nous amènent à produire à foison des traces dont on se saisit comme données.&nbsp;&raquo; La trace num&eacute;rique, comme inscription d&eacute;liable, est donc &agrave; la fois la condition et le r&eacute;sultat d&rsquo;activit&eacute;s qui ont lieu dans un monde o&ugrave; nous <i>sommes-avec</i> des ordinateurs. Autrement dit, la compr&eacute;hension logistique de la trace &ndash; h&eacute;rit&eacute;e en partie de Derrida &ndash; implique l&rsquo;acceptation d&rsquo;une d&eacute;construction de la subjectivit&eacute; humaine comme exposition &agrave; un dehors, &agrave; une alt&eacute;rit&eacute; qui ici prend la forme d&rsquo;ordinateurs avec lesquels nous faisons communaut&eacute;. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Ces ordinateurs ont leurs exigences et leur &eacute;chelle. Les traces num&eacute;riques sont imperceptibles pour les humains. Elles peuvent certes être textualisées, c&rsquo;est-à-dire mise en signes &ndash; par exemple sous la forme d&rsquo;une écriture binaire faite de 0 et de 1, sous celle d&rsquo;un tableau Excel structurant une base de données ou encore indirectement comme organisation particulière d&rsquo;une page web. Mais sans m&eacute;diatisation, elles sont inaccessibles simplement parce que l&rsquo;<i>anthropos </i>ne dispose pas de l&rsquo;appareil perceptif adéquat pour faire la différence entre 0 et 5 volts, différence de potentiel pourtant parfaitement significative pour la machine puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit du binaire structurant la façon dont elle stocke et traite les données. Mais elles sont aussi inaccessibles à l&rsquo;humain parce que l&rsquo;activité électrique d&rsquo;inscription se déroule à une échelle spatio-temporelle sur laquelle il n&rsquo;a pas prise. En effet et à titre informatif, avec un processeur contemporain, une instruction s&rsquo;effectue en un dimilliardième de seconde et ce dans un espace de moins de 100mm2. Il s&rsquo;agit donc bien d&rsquo;ordres de grandeur non appréhendables &ndash; sans médiatisation &ndash; par les humains. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">On comprend d&egrave;s lors que les traces num&eacute;riques sont &agrave; la fois condition et r&eacute;sultat d&rsquo;interactions avec des machines computationnelles. Et il est important de noter que ces traces numériques <i>doublent </i>l&rsquo;activité dans des environnements informatisés. Nous sommes dans une logique de supplément, non de translation &ndash; cette dernière véhiculant une conception naturalisante de la trace numérique, comme c&rsquo;est le cas dans certains discours qui accompagnent parfois le <i>big data </i>ou les <i>digital humanities</i>, laissant supposer qu&rsquo;il suffirait de déployer un gigantesque dispositif de collecte de traces pour parvenir à produire des &laquo; <i>représentations vraiment représentatives </i>&raquo; (Jeanneret, 2011, p. 65) du réel. Les traces numériques s&rsquo;inscrivent dans une logique de supplément et il faut insister sur les couches textuelles médiatrices nécessaires à la collecte et la mise en signes et en donn&eacute;es de ces traces. Il est n&eacute;cessaire d&rsquo;insister sur cette dimension sous peine de pr&ecirc;ter le flanc &agrave; toute une s&eacute;rie de critiques &agrave; l&rsquo;&eacute;gard des m&eacute;thodes digitales. Je vais maintenant pr&eacute;senter bri&egrave;vement ces critiques principales avant de montrer en quoi elles me paraissent s&rsquo;adresser &agrave; la mise en donn&eacute;es des traces num&eacute;riques &ndash; voire &agrave; la confusion entre donn&eacute;es et traces num&eacute;riques &ndash; mais qu&rsquo;il est possible d&rsquo;y &eacute;chapper en partie, non seulement en soignant bien le travail de mise en donn&eacute;e de la trace (et donc de ne pas imm&eacute;diatement prendre la trace pour de la donn&eacute;e), mais aussi en acceptant de travailler avec la trace elle-m&ecirc;me, comprise comme trace, dans tout ce que la d&eacute;marche peut avoir de troublant.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><b>Mettre en donn&eacute;es la trace num&eacute;rique&nbsp;? </b></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">De nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS) ont critiqué la mise en donnée de la trace numérique. Contrairement à la trace (&ldquo;Un like n&rsquo;a pas besoin de théorie&rdquo; (Boullier, 2015)), la donnée porte déjà en elle toute une série d&rsquo;hypothèses et d&rsquo;interprétations, elle n&rsquo;est jamais neutre et embarque toujours des décisions en amont de sa collecte ou de sa production : quels sont les attributs ou les variables que l&rsquo;on considère comme intéressants, lesquels peuvent être ignorés, etc. Latour (1993) affirme même que plutôt que de parler de &ldquo;données&rdquo;, on devrait parler d&rsquo; &ldquo;obtenues&rdquo;. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Parmi les critiques qui visent la mise en données en SHS des traces numériques, on trouve le reproche d&rsquo;un biais quantitativiste, scientiste et néo-positiviste (Rebillard, 2011), où le calcul automatisé couplé à l&rsquo;héritage en SHS de théorisations qui viennent des sciences du vivant et des sciences exactes (la &ldquo;nouvelle science des réseaux&rdquo;) se retrouvent au coeur de recherches qui finissent par dénier la composante humaine et sociale des phénomènes. D&rsquo;autres critiques visent la qualité des données issues des traces numériques : les indicateurs sont superficiels (Rebillard, 2011), ces données sont limitées et biaisées même si elles sont présentées comme très nombreuses (&ldquo;bigger isn&rsquo;t better&rdquo; (boyd &amp; Crawford, 2012)), elles sont souvent réduites à ce qui peut rentrer dans un modèle mathématique (boyd &amp; Crawford, 2012), elles ne débouchent que sur des analyses qui aplatissent les phénomènes (Rieder, 2007), elles proviennent de plateformes qui les ont générées pour des buts marketing et qui se retrouvent détournées à des fins scientifiques (c&rsquo;est le <i>repurposing</i> de Rogers, 2010) menant soit à &ldquo;un déficit plus général de problématisation en amont de la recherche&rdquo; (Rebillard, 2011), soit à la pré-construction par les plateformes numériques des questions de recherche (boyd &amp; Crawford, 2012). </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Conscients des problèmes méthodologiques et épistémologiques que posent la mise en données des traces numériques, les chercheurs en SHS ne sont toutefois pas dans une posture réactionnaire. Ils essaient au contraire de faire preuve d&rsquo;ouverture, moyennant le déploiement de précautions méthodologiques conséquentes, et formulent des propositions. Certains estiment que les données issues des traces numériques ne sont pas incompatibles avec des approches qualitatives : Paul Gerbaudo (2016) applique par exemple une herméneutique de la donnée, Josiane Jouët et Coralie Le Caroff (2013) déploient une forme d&rsquo;ethnographie en ligne. D&rsquo;autres chercheurs, selon des degrés variables militent en faveur d&rsquo;une articulation entre approches quantitatives et qualitatives en SHS (Rebillard, 2011 ; Venturini, 2012). Certains chercheurs, enfin, estiment que le travail à partir de traces numériques constituées en données permettent la construction de nouveaux objets de recherche. Boullier (2015) estime ainsi que les traces numériques, qui ne sont pas des données structurées socio-démographiquement significatives, peuvent donner lieu à une nouvelle sociologie, une sociologie des vibrations : &ldquo;c&rsquo;est une autre strate du social qui affleure grâce à ces dispositifs de traçabilité à haute fréquence.&rdquo; (Boullier, 2015) Boyd et Crawford (2012) estiment quant à elles, après Latour, qu&rsquo;en changeant les instruments, c&rsquo;est toute la théorie du social qui change également. La disponibilité des <i>big data</i> (ou, pour le dire avec les termes d&eacute;finis dans cet article, la disponibilit&eacute; des traces numériques, exploitées comme données en SHS), débouchent selon elles sur l&rsquo;analyse de deux types de réseaux sociaux particuliers : les réseaux articulés et les réseaux comportementaux - qui ne doivent pas être confondus avec les réseaux personnels, par ailleurs bien connus de la sociologie. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Les chercheurs en SHS qui s&rsquo;emparent des probl&eacute;matiques &eacute;pist&eacute;mologiques et m&eacute;thodologiques li&eacute;es au d&eacute;ploiement des m&eacute;thodes digitales, qu&rsquo;ils critiquent les biais quantitativistes ou proposent un renouvellement des questions de recherche, s&rsquo;int&eacute;ressent &agrave; la mise en donn&eacute;es des traces num&eacute;riques. Des donn&eacute;es dont le processus de mise en donn&eacute;es doit &ecirc;tre critiqu&eacute; ou des donn&eacute;es qui ouvrent sur de nouvelles analyses, mais il s&rsquo;agit toujours bien de donn&eacute;es &ndash; et non pas de traces num&eacute;riques, au sens logistique d&eacute;fini ici, comme alt&eacute;ration de mati&egrave;re, asignifiantes et manipulables. Or j&rsquo;aimerais ici proposer une mani&egrave;re de travailler non pas avec de la donn&eacute;e num&eacute;rique, mais avec de la trace. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une invitation &agrave; la patience, &agrave; la capacit&eacute; &agrave; se laisser troubler par la disposition aux interactions avec les machines computationnelles (dont nous avons vu combien elle est inh&eacute;rente &agrave; une conception logistique de la trace), qui d&eacute;bouche sur une posture de recherche que Franck Ghitalla (2014) qualifiait &laquo;&nbsp;d&rsquo;artisanale&nbsp;&raquo; tout en &eacute;tant &eacute;quip&eacute;e technologiquement et qui peut mener au design d&rsquo;outils num&eacute;riques dont je donnerai un exemple ici.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><b>L&rsquo;artisanat haute technologie&nbsp;: pour une culture technique de la trace num&eacute;rique</b></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Avant le processus de mise en donn&eacute;e de la trace num&eacute;rique, il est possible de travailler avec la trace elle-m&ecirc;me. La trace num&eacute;rique asignifiante et manipulable, qui ne contient aucune hypoth&egrave;se et qui traduit simplement la pr&eacute;sence de machines computationnelles, qui ont besoin d&rsquo;inscriptions pour fonctionner et calculer. Travailler avec les traces num&eacute;riques <i>en tant que traces</i> appelle autant que suscite le d&eacute;veloppement d&rsquo;une culture technique, plus qu&rsquo;une forme d&rsquo;expertise scientifique. Une culture technique de l&rsquo;informatique au sens o&ugrave; il s&rsquo;agit de comprendre comment fonctionne un ordinateur, de saisir ce qu&rsquo;il exige pour fonctionner, de composer avec cela et d&rsquo;essayer d&rsquo;apprendre de cet &ecirc;tre technique. Cette mani&egrave;re de travailler implique des t&acirc;tonnements, elle rel&egrave;ve d&rsquo;une forme d&rsquo;artisanat, de fabrication au sens que Tim Ingold donne &agrave; ce mot. Pour fabriquer un panier &eacute;crit-il &laquo;&nbsp;l&rsquo;on doit plier et entrelacer des fibres qui peuvent opposer une r&eacute;sistance consid&eacute;rable [&hellip;] En r&eacute;sum&eacute;, la forme du panier r&eacute;sulte d&rsquo;un jeu de forces provenant &agrave; la fois de l&rsquo;int&eacute;rieur et de l&rsquo;ext&eacute;rieur du mat&eacute;riau dont il est constitu&eacute; [&hellip;] le tisserand est impliqu&eacute; dans un dialogue r&eacute;ciproque et assez muscl&eacute; avec le mat&eacute;riau.&nbsp;&raquo; (2013, p. 280) La forme r&eacute;elle et concr&egrave;te du panier ne vient pas de l&rsquo;esprit du tisserand, de ses id&eacute;es. &laquo;&nbsp;Elle appara&icirc;t plut&ocirc;t &agrave; travers le d&eacute;ploiement progressif de ce champ de forces qui se met en place suite &agrave; l&rsquo;interaction active et sensuelle de l&rsquo;artisan et du mat&eacute;riau.&nbsp;&raquo; (2013, p. 281)</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Lorsqu&rsquo;un chercheur travaille avec des traces num&eacute;riques, qui ne sont pas encore mises en donn&eacute;es, il est engag&eacute; dans un travail artisanal o&ugrave; il interagit avec son mat&eacute;riau, qui lui propose son propre champ de forces. Afin de donner un peu de corps &agrave; ces propos, j&rsquo;aimerais &agrave; pr&eacute;sent donner une illustration concr&egrave;te d&rsquo;un tel travail avec de la trace en m&rsquo;arr&ecirc;tant sur un exemple. Un exemple qui implique des graphes. Il consiste en un outil de collecte de donn&eacute;es appel&eacute; <i>Aleph Search Clear</i>, d&eacute;velopp&eacute; dans le cadre d&rsquo;un projet de recherche intitul&eacute; DRONES (dispositif d&rsquo;observation des nouveaux &eacute;cosyst&egrave;mes sociaux) et financ&eacute; par l&rsquo;AID (agence de l&rsquo;innovation de d&eacute;fense), qui r&eacute;unit des chercheurs en SHS ainsi que des PME sp&eacute;cialis&eacute;es dans la collecte et la repr&eacute;sentation de donn&eacute;es sous forme de graphe. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Aleph Search Clear est un outil de veille qui permet &agrave; chacun de constituer un champ de recherche de sources personnalis&eacute;. Il permet de cartographier un environnement informationnel, de le construire progressivement et inclut un moteur de recherche au sein de cet environnement informationnel. Concr&egrave;tement, l&rsquo;utilisateur entre l&rsquo;URL d&rsquo;un domaine qui l&rsquo;int&eacute;resse dans une barre de recherche comme dans la capture d&rsquo;&eacute;cran ci-dessous (fig. 1).</span></span></p> <p align="center" style="text-align:center"><img height="602" src="https://www.numerev.com/img/ck_732_17_image-20210914085834-1.png" width="1265" /></p> <p align="center" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><i><span lang="FR-CH" style="font-size:10.0pt">Fig.1 Capture d&rsquo;&eacute;cran de l&rsquo;interface d&rsquo;Aleph Search Clear pr&eacute;sentant la barre de recherche.</span></i></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Une fois l&rsquo;URL entr&eacute;, l&rsquo;utilisateur peut activer les <i>crawlers</i> (des robots charg&eacute;s d&rsquo;explorer le web) afin qu&rsquo;ils aillent identifier tous les liens sortants et entrants du domaine en question. Leurs trouvailles sont repr&eacute;sent&eacute;es sous forme de graphe, comme dans la capture d&rsquo;&eacute;cran ci-dessous (fig. 2) L&rsquo;URL source est au centre du graphe, qui ressemble &agrave; un pissenlit.</span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p align="center" style="text-align:center"><img height="570" src="https://www.numerev.com/img/ck_732_17_image-20210914085834-2.png" width="1244" /></p> <p align="center" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><i><span lang="FR-CH" style="font-size:10.0pt">Fig. 2. Capture d&rsquo;&eacute;cran de l&rsquo;interface d&rsquo;Aleph Search Clear, pr&eacute;sentant sous forme de graphe les premiers domaines collect&eacute;s par les crawlers.</span></i></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Rapidement, le graphe peut prendre de l&rsquo;ampleur. Les <i>crawlers</i> peuvent en effet collecter de nombreux domaines, avec un degr&eacute; de profondeur variable et qui est en partie &eacute;tabli par l&rsquo;utilisateur. C&rsquo;est ce que nous pouvons voir dans la capture d&rsquo;&eacute;cran ci-dessous (fig. 3).</span></span></p> <p align="center" style="text-align:center">&nbsp;</p> <p align="center" style="text-align:center"><img height="590" src="https://www.numerev.com/img/ck_732_17_image-20210914085834-3.png" width="570" /></p> <p align="center" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><i><span lang="FR-CH" style="font-size:10.0pt">Fig. 3. Capture d&rsquo;&eacute;cran de l&rsquo;interface d&rsquo;Aleph Search Clear pr&eacute;sentant les domaines collect&eacute;s par les crawlers, apr&egrave;s les avoir laiss&eacute;s travailler quelques minutes.</span></i></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">La spatialisation des objets (n&oelig;uds et liens) dans Search Clear suit une logique de sobri&eacute;t&eacute;, au sens o&ugrave; le seul crit&egrave;re qui la guide est la lisibilit&eacute;. L&rsquo;algorithme (qui est un algorithme d&rsquo;int&eacute;gration de Verlet) r&eacute;partit les objets dans l&rsquo;espace de mani&egrave;re &agrave; &eacute;viter qu&rsquo;ils ne se chevauchent, nous ne sommes pas du tout ici dans une logique de fouille o&ugrave; il est int&eacute;ressant d&rsquo;appliquer diverses mani&egrave;res de spatialiser. D&rsquo;autre part, l&rsquo;utilisateur peut colorer &agrave; la main les n&oelig;uds en rose, bleu, vert ou jaune pour en proposer une premi&egrave;re qualification selon ses propres crit&egrave;res, mais le mode par d&eacute;faut est le noir.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Si l&rsquo;outil est toujours en cours d&rsquo;am&eacute;lioration, il est d&eacute;j&agrave; int&eacute;ressant car il permet de saisir la mani&egrave;re dont le web est organis&eacute; (ici, le <i>clear</i> et le <i>deep</i> web mais l&rsquo;outil existe &eacute;galement pour le darkweb). C&rsquo;est bien l&rsquo;organisation &laquo;&nbsp;souterraine&nbsp;&raquo; qui est donn&eacute;e &agrave; voir, celle qui fait &laquo;&nbsp;sens&nbsp;&raquo; pour une machine computationnelle, et non pas l&rsquo;organisation signifiante des pages web, qu&rsquo;Emmanuel Souchier et Yves Jeanneret appellent les &laquo;&nbsp;&eacute;crits d&rsquo;&eacute;cran&nbsp;&raquo; (1999). C&rsquo;est bien une mani&egrave;re de rendre visibles certaines traces num&eacute;riques, ici la fa&ccedil;on dont des domaines sont reli&eacute;s entre eux, sans que cela ne soit forc&eacute;ment textualis&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire sans que cela ne traduise par un signe &agrave; l&rsquo;&eacute;cran. En revanche, ces liens entre domaines laissent des traces car en informatique l&rsquo;inscription est n&eacute;cessaire pour &ecirc;tre trait&eacute;e. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Certains n&oelig;uds du graphe semblent int&eacute;ressants en raison de leur place dans le r&eacute;seau, par exemple ceux qui sont en position de pont (Granovetter, 1973) et connectent plusieurs <i>clusters</i>. Sans savoir de quel domaine il s&rsquo;agit, le chercheur peut d&eacute;cider d&rsquo;activer les n&oelig;uds qui lui paraissent importants. Ainsi, les <i>crawlers</i> vont travailler sur le n&oelig;ud fraichement activ&eacute; et faire &eacute;merger les domaines qui lui sont li&eacute;s. Durant cette phase du travail, le chercheur est en position d&rsquo;exploration. Il ne sait pas &agrave; quoi renvoient les n&oelig;uds, il lance les <i>crawlers</i> qui parfois font remonter de nouveaux domaines, parfois pas. Il t&acirc;tonne, il essaie, il tisse (Ingold) un graphe et son mat&eacute;riau lui propose tout un champ de forces avec lequel il compose. DJ Patil, un grand <i>data scientist</i>, a parl&eacute; de &laquo;&nbsp;data jujitsu&nbsp;&raquo; pour faire r&eacute;f&eacute;rence &agrave; la posture d&rsquo;humilit&eacute; du chercheur engag&eacute; dans un travail avec un set de donn&eacute;es. Il en va de m&ecirc;me pour le travail avec la trace num&eacute;rique&nbsp;: il appelle une humilit&eacute;, une asc&egrave;se, une souplesse, un d&eacute;centrement, aussi.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">L&rsquo;humilit&eacute; est essentielle, elle passe par une asc&egrave;se m&eacute;thodologique qui consiste &agrave; ne pas formuler d&rsquo;hypoth&egrave;ses pour se laisser surprendre par le jeu de traces num&eacute;riques. Il faut &eacute;galement une forme de souplesse pour explorer le graphe en fonction des nouvelles trouvailles des <i>crawlers</i>. La capacit&eacute; &agrave; se d&eacute;centrer est &eacute;galement tr&egrave;s importante car lorsqu&rsquo;on travaille avec de la trace num&eacute;rique, on travaille avec un mat&eacute;riau qui appartient plus au monde des machines computationnelles qu&rsquo;&agrave; celui des humains. On apprend &agrave; essayer de saisir les ph&eacute;nom&egrave;nes de la mani&egrave;re dont ils existent pour des machines, dans un monde constitu&eacute; de traces asignifiantes. Nous ne sommes plus des chercheurs ayant une expertise scientifique, qui constituent des corpus de donn&eacute;es. Nous devenons des chercheurs engag&eacute;s sur un terrain probl&eacute;matique o&ugrave; il faut travailler avec le trouble &ndash; pour d&eacute;tourner une expression de Donna Haraway (2016) &ndash; c&rsquo;est-&agrave;-dire accepter d&rsquo;&eacute;voluer dans un monde &eacute;trange o&ugrave; l&rsquo;on est pris dans des relations avec des &ecirc;tres computationnels qui ne valorisent pas les m&ecirc;mes choses que nous, ne voient pas les m&ecirc;mes choses que nous et dont nous pouvons apprendre. Ce travail avec la trace num&eacute;rique, qui n&rsquo;est pas la donn&eacute;e num&eacute;rique, a tendance &agrave; troubler les chercheurs en SHS, qui font valoir &laquo;&nbsp;l&rsquo;indispensable &quot;contr&ocirc;le qualitatif&quot; de &quot;l&rsquo;expert&quot; dans la constitution d&rsquo;un &quot;corpus&quot;, le nécessaire &quot;travail critique&quot; qui doit accompagner la conception d&#39;outils ou de process ou, encore, la démarche critique qui doit présider à la mesure de &quot;l&#39;exhaustivité&quot; et la &quot;pertinence&quot; des données de départ.&nbsp;&raquo; (Ghitalla, 2012)</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Le travail avec la trace num&eacute;rique rel&egrave;ve plus d&rsquo;une culture technique que d&rsquo;une expertise scientifique et c&rsquo;est d&rsquo;ailleurs sans doute en partie ce qui le rend si troublant voire ind&eacute;sirable en tant que tel, comme l&rsquo;&eacute;crivait Franck Ghitalla (2012) &laquo;&nbsp;Je le vois bien, presque tous les jours : la culture des data et l&#39;ingénierie qui l&#39;accompagne ne semblent acceptables que si l&#39;on y voit (seulement) l&#39;auxiliaire transparent des &laquo; sciences &raquo; (ou de &quot;LA&quot; science) où le sociologue, comme le philosophe ou le chercheur en sciences de l&#39;information retrouvent inchangés leurs objets de prédilection, et leurs prérogatives &quot;d&#39;experts&quot;.&nbsp;&raquo; Travailler avec des traces num&eacute;riques en tant que traces implique d&rsquo;accepter de d&eacute;construire en partie le statut d&rsquo;expert du chercheur, qui devient un artisan, qui t&acirc;tonne et explore un monde o&ugrave; les &eacute;l&eacute;ments ne font pas sens uniquement pour lui. C&rsquo;est &eacute;galement cette posture asc&eacute;tique et qui am&eacute;nage de la place aux machines computationnelles que l&rsquo;on retrouve lorsque l&rsquo;on travaille avec des logiciels comme le bien connu Gephi, qui permet de visualiser et analyser des r&eacute;seaux. Si l&rsquo;on aura pu critiquer la &laquo;&nbsp;pr&eacute;tention cartographique&nbsp;&raquo; (Jeanneret, 2013) des graphes produits avec Gephi, alerter sur les effets de fascination qu&rsquo;ils peuvent cr&eacute;er en alimentant le mythe d&rsquo;une science automatis&eacute;e, force est de constater que produire un graphe &agrave; partir d&rsquo;un set de traces num&eacute;riques n&rsquo;est jamais un processus &eacute;vident ni m&ecirc;me parfaitement ma&icirc;tris&eacute;. L&agrave; aussi, l&rsquo;on proc&egrave;de de mani&egrave;re artisanale. Il faut nettoyer la base de donn&eacute;es, appliquer des filtres et des calculs qui ne donnent aucuns r&eacute;sultats, en essayer d&rsquo;autres, jusqu&rsquo;&agrave; commencer &agrave; apercevoir des lignes se dessiner, une lisibilit&eacute; appara&icirc;tre. Il ne s&rsquo;agit pas de science, mais d&rsquo;ing&eacute;nierie, d&rsquo;artisanat, de technique, de composition avec un champ de forces propos&eacute; par le mat&eacute;riau. Ce n&rsquo;est qu&rsquo;apr&egrave;s coup que des hypoth&egrave;ses peuvent &ecirc;tre formul&eacute;es, les expertises convoqu&eacute;es et les traces mises en donn&eacute;es. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Dans le cas d&rsquo;Aleph Search Clear, une fois que l&rsquo;on a tiss&eacute; un graphe avec les <i>crawlers</i> qui nous para&icirc;t suffisamment dense et clos, l&rsquo;on peut activer certaines informations li&eacute;es aux domaines, &agrave; commencer par leur nom. La petite icone &laquo;&nbsp;i&nbsp;&raquo; sur la droite de l&rsquo;&eacute;cran permet d&rsquo;afficher les noms de domaines et de pr&eacute;visualiser la page en question, comme le montrent les deux captures d&rsquo;&eacute;cran ci-dessous (Fig.4 et Fig.5)</span></span></p> <p><img height="711" src="https://www.numerev.com/img/ck_732_17_image-20210914085834-4.png" width="1380" /></p> <p align="center" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-size:10.0pt">Fig. 4. Capture d&rsquo;&eacute;cran de l&rsquo;interface Aleph Search Clear montrant que l&rsquo;on peut afficher les noms de domaine associ&eacute;s aux n&oelig;uds.</span></span></span></p> <p>&nbsp;</p> <p><img height="632" src="https://www.numerev.com/img/ck_732_17_image-20210914085834-5.png" width="1356" /></p> <p align="center" style="text-align:center"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><span lang="FR-CH" style="font-size:10.0pt">Fig. 5. Capture d&rsquo;&eacute;cran de l&rsquo;interface Aleph Search Clear motrant que l&rsquo;on peut pr&eacute;visualiser la page web associ&eacute;e au n&oelig;ud.</span></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Lorsque l&rsquo;on affiche les noms de domaine et les pages web associ&eacute;s aux n&oelig;uds, nous pouvons apprendre et comprendre comment un r&eacute;seau est organis&eacute; non seulement au niveau du web et des traces num&eacute;riques mais aussi au niveau plus qualitatif des signes et des contenus. Dans le cas pr&eacute;sent&eacute; ici, il a &eacute;t&eacute; possible de cartographier le r&eacute;seau des domaines fran&ccedil;ais de la droite racialiste, antis&eacute;mite, homophobe et violente &ndash; en grande partie censur&eacute;e. Des &eacute;l&eacute;ments int&eacute;ressants sortent, en particulier lorsque l&rsquo;on envoie les <i>crawlers</i> dans certains niveaux de profondeurs. On rep&egrave;re ainsi non seulement les sites webs li&eacute;s entre eux mais &eacute;galement les r&eacute;seaux sociaux utilis&eacute;s qui laissent des traces via des plugins et qui ne sont aucun des biens connus Facebook, Twitter, Instagram, etc. On peut noter des liens entre ces acteurs fran&ccedil;ais et des chercheurs en anthropo-g&eacute;n&eacute;alogie, des blogs de d&eacute;sinformation li&eacute;s au covid, des pages grand public portant sur la g&eacute;n&eacute;tique des c&eacute;l&eacute;brit&eacute;s ou encore des m&eacute;dias am&eacute;ricains. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Travailler avec des traces num&eacute;riques, avant d&rsquo;en faire des donn&eacute;es ou de les rendre signifiantes, permet d&rsquo;&eacute;largir notre champ de vision en co-construisant avec des robots un r&eacute;seau de domaines qui ne sont pas n&eacute;cessairement accessibles aux seuls clics et yeux humains. Le chercheur peut d&eacute;cider d&rsquo;activer ou non certains n&oelig;uds afin que les <i>crawlers</i> explorent leurs &eacute;cosyst&egrave;mes et ce qui guide cette d&eacute;cision n&rsquo;est en rien une quelconque expertise ou hypoth&egrave;se puisque le chercheur ne sait pas de quoi il est question. Ce qui guide cette d&eacute;cision repose sur les trouvailles des <i>crawlers</i> et la position des n&oelig;uds dans le r&eacute;seau. Et c&rsquo;est pr&eacute;cis&eacute;ment cette posture asc&eacute;tique o&ugrave; le chercheur d&eacute;construit son statut d&rsquo;expert, cette posture artisanale dans laquelle le chercheur compose avec des objets techniques, qui rend le travail si fructueux. Elle permet une exploration augment&eacute;e d&rsquo;un rapport computationnel au monde et d&eacute;lest&eacute;e des hypoth&egrave;ses qui pr&eacute;construisent les trouvailles qu&rsquo;il est possible de faire. Ici, travailler avec des graphes et des <i>crawlers</i> permet d&rsquo;explorer le monde du num&eacute;rique et de ses traces. C&rsquo;est une d&eacute;marche tr&egrave;s diff&eacute;rente de celle qui passerait par des signes, par exemple sous forme de mots-cl&eacute;s &agrave; entrer pour constituer une base de donn&eacute;es ou requ&ecirc;ter le web index&eacute;. DJ Patil (2012) expliquait qu&rsquo;il existe les choses que l&rsquo;on sait savoir (&laquo;&nbsp;there are known knowns; there are things we know we know&nbsp;&raquo;), les choses que l&rsquo;on sait ne pas savoir (&laquo;&nbsp;the known unknowns&nbsp;&raquo;) et les choses qu&rsquo;on ne sait pas ne pas savoir (&laquo;&nbsp;the unknown unknowns&nbsp;&raquo;). Dans une d&eacute;marche scientifique, l&rsquo;on cherche souvent &agrave; produire des donn&eacute;es pour apprendre &agrave; savoir ce qu&rsquo;on sait ne pas savoir. La d&eacute;marche artisanale haute technologie propos&eacute;e ici consiste plut&ocirc;t &agrave; chercher ce qu&rsquo;on ne sait pas ne pas savoir. C&rsquo;est en ce sens qu&rsquo;elle est t&acirc;tonnante et qu&rsquo;elle se satisfait tr&egrave;s bien d&rsquo;un travail avec des traces num&eacute;riques qui ne sont pas encore des donn&eacute;es.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Cette posture artisanale et technologique, qui consiste &agrave; travailler avec le trouble, n&rsquo;est pas facile &agrave; tenir. Elle implique&nbsp;de d&eacute;construire le statut d&rsquo;expert du chercheur et d&rsquo;accepter, comme le font les ing&eacute;nieurs, de travailler avec des machines qui ont leurs propres exigences, leurs propres mani&egrave;res d&rsquo;exister, leurs propres mondes et dont nous pouvons apprendre. Elle implique, <i>in fine</i>, d&rsquo;accepter de travailler avec des traces &ndash; qui, conceptuellement depuis Derrida, permettent de d&eacute;construire la pr&eacute;sence &agrave; soi du sujet et de nous mener au seuil d&rsquo;une pens&eacute;e radicale de la communaut&eacute; qui permet d&rsquo;accueillir l&rsquo;&ecirc;tre non-humain computationnel. Elle implique d&rsquo;accepter de travailler avec des traces num&eacute;riques qui ne sont pas (encore&nbsp;?) des donn&eacute;es scientifiques et qui am&eacute;nagent une place aux machines computationnelles dans la composition du monde commun et dans le processus de production de connaissances.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif"><b>Bibliographie</b></span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Bachimont, B. (2010). <i>Le sens de la technique. Le numérique et le calcul</i>. Paris&nbsp;: Les Belles Lettres. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Bachimont, B. (2004). Arts et Sciences du numérique: ingénierie des connaissances et critique de la raison computationnelle (Mémoire d&rsquo;Habilitation à diriger les Recherches). UTC, Compiègne. En ligne sur : http://www.utc.fr/~bachimon/Livresettheses_attachments/HabilitationBB.pdf </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Bachimont, B. (2000). L&rsquo;intelligence artificielle comme écriture dynamique : de la raison graphique à la raison computationnelle. In<i> </i>J. Petitot &amp; P. Fabbri&nbsp;: (éds.), <i>Au nom du sens</i>. Paris&nbsp;: Grasset. En ligne sur : http://www.utc.fr/~bachimon/Publications_attachments/BachimontCerisy1996.pdf </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Bachimont, B. (1999). De l&rsquo;hypertexte à l&rsquo;hypotexte : les parcours de la mémoire documentaire. <i>In </i>C. Lenay &amp; V. Havelange (dir.), <i>Mémoire de la technique et techniques de la mémoire</i>. Toulouse&nbsp;: Érès, 195-225. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Barthes R. (1980). <i>La chambre claire</i>. <i>Note sur la photographie</i>. Paris&nbsp;: Seuil. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Bouchardon S. (2014). L&rsquo;écriture numérique: objet de recherche et objet d&rsquo;enseignement. <i>Cahiers de la SFSIC</i>, 225-235.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Boullier, D. (2015). Les sciences sociales face aux traces du big data : Société, opinion ou vibrations ?. <i>Revue française de science politique</i>, 5(5-6), 805-828. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Boyd, d. and Crawford, K. (2012). Critical Questions for Big Data: Provocations for a Cultural, Technological, and Scholarly Phenomenon. <i>Information, Communication, &amp; Society</i>, 15:5, 662-679. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Collomb C. &amp; Goyet S. (2019). Meeting the machine halfway. In : Sanna Karkulehto, Aino-Kaisa Koistinen, Essi Varis (dir.) <i>Reconfiguring Human, Nonhuman and Posthuman in Literature and Culture</i>. New York : Routledge.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Cooren, F. (2013). <i>Mani&egrave;res de faire parler. Interaction et ventriloquie</i><i>.</i> Lormont&nbsp;: Le Bord de l&#39;eau.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Derrida, J. (1971). Signature, événement, contexte. <i>Communication au Congrès international des Sociétés de philosophie de langue française</i>, Montréal. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Gerbaudo, P. (2016). From Data Analytics to Data Hermeneutics. Online Political Discussions, Digital Methods and the Continuing Relevance of Interpretive Approaches. <i>Digital Culture and Society</i>, Vol. 2, Issue 2. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Ghitalla, F. (2014). Data Intelligence, un projet d&rsquo;atelier. L&rsquo;atelier cartographie [blog de recherche]. En ligne sur : https://ateliercartographie.wordpress.com/2014/12/07/data-intelligence-un-projet-datelier/ </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Ghitalla, F. (2012). Converser avec les données numériques. <i>L&rsquo;atelier de cartographie </i>[<i>blog de recherche</i>]. En ligne sur : https://ateliercartographie.files.wordpress.com/2011/04/postdatav2.pdf </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Ginzburg, C. (1989). <i>Mythes, emblèmes, traces</i>. Paris&nbsp;: Flammarion. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Granjon, F. (2020). Pour une critique des approches &ldquo;m&eacute;dia-techniques&rdquo;. Th&eacute;orie-&Eacute;cologie-Arch&eacute;ologie des m&eacute;dias, m&eacute;diologie et question de la technique. In : Alexander Neumann (dir.), <i>D&eacute;sint&eacute;grer Heidegger</i>. Paris&nbsp;: Presses des Mines. Disponible sur&nbsp;: fabiengranjon.eu/publications/articles-chapitres.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Granovetter, M. (1973). The Strength of Weak Ties. <i>American Journal of Sociology</i>, 78/6, 1360-1380. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Haraway, D. (2016). <i>Staying with the Trouble. Making Kin in the Chthulucene</i>. Duke : Duke University Press. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Jeanneret, Y. (2013). Les chim&egrave;res cartographiques sur l&rsquo;Internet&nbsp;: Panoplie repr&eacute;sentationnelle de la &laquo;&nbsp;tra&ccedil;abilit&eacute;&nbsp;&raquo; sociale. In Galinon-Melenec, B., &amp; Zlitni, S. (Eds.), <i>Traces num&eacute;riques&nbsp;: De la production &agrave; l&rsquo;interpr&eacute;tation.</i> CNRS &Eacute;ditions, 235-267.</span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Jeanneret, Y. (2011). Complexité de la notion de trace. De la traque au tracé<i>. </i>In<i>&nbsp;</i>:<i> </i>B. Galinon-Mélénec (dir.), <i>L&rsquo;homme trace</i>. Paris&nbsp;: CNRS Editions. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Jeanneret, Y. &amp; Souchier, E. (1999). Pour une poétique de &laquo; l&rsquo;écrit d&rsquo;écran &raquo;. <i>Xoana</i>, n&deg;6, 97-107. </span></span></p> <p><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:&quot;Calibri&quot;, sans-serif">Jou&euml;t, J. &amp; Le Caroff, C. (2013). L&rsquo;observation ethnographique en ligne. In : C. Barats, <i>Manuel d&rsquo;analyse du web en Sciences Humaines et Sociales</i>. 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