<p>L&rsquo;interdisciplinarit&eacute; est &agrave; la mode. Pourtant, il en est comme de l&rsquo;apparition des esprits selon La Rochefoucauld&nbsp;: beaucoup en parlent mais peu de gens en ont vus. C&rsquo;est sans doute qu&rsquo;on associe &agrave; l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; des lieux qui ne sont pas les siens et des objectifs qui ne lui appartiennent pas. Contrairement &agrave; ce que le terme m&ecirc;me pourrait laisser entendre, l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; ne peut consister &agrave; trouver un lieu nouveau improbable entre les disciplines, s&rsquo;&eacute;cartant des disciplines qu&rsquo;elle devrait d&eacute;passer, ni se r&eacute;duire &agrave; un dialogue poli entre elles ou de circonstances pour obtenir des cr&eacute;dits ou une acceptabilit&eacute; soci&eacute;tale discutable. Pos&eacute;e en ces termes, l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; est impossible, inutile voire sophistique.</p> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Nous voulons d&eacute;fendre dans cet article une conception de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; fond&eacute;e sur la disciplinarit&eacute;&nbsp;: l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;, c&rsquo;est une discipline qui r&eacute;ussit, c&rsquo;est une discipline au travail, car elle se d&eacute;passe sans cesse pour penser des objets nouveaux et forger des concepts in&eacute;dits. Le travail de la discipline au contact d&rsquo;autres approches n&rsquo;est pas d&rsquo;oublier ce qu&rsquo;elle est pour devenir un autre improbable pour un ailleurs incertain, mais de se reconfigurer et de se penser sous l&rsquo;effet des apports issus d&rsquo;autres disciplines qui lui demandent non pas de devenir autre chose mais de penser autrement.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;interdisciplinarit&eacute; est donc le mode d&rsquo;existence d&rsquo;une discipline qui se porte bien. Toutes n&rsquo;y sont pas expos&eacute;es de la m&ecirc;me mani&egrave;re, en fonction du programme scientifique qui les anime. Cependant, elles y sont toutes amen&eacute;es et peuvent s&rsquo;y confronter avec une bonne humeur &eacute;pist&eacute;mologique sans craindre de perdre son identit&eacute; ni ses fondamentaux. Le repli disciplinaire n&rsquo;est que le gage d&rsquo;une discipline en voie de disparition, remplac&eacute;e par des probl&eacute;matiques dont elle n&rsquo;a pas voulu se saisir.</p> <p style="text-align: justify;">Il n&rsquo;y a donc pas lieu d&rsquo;opposer disciplines et interdisciplinarit&eacute;. Ce sont plut&ocirc;t des modalit&eacute;s du travail scientifique &agrave; mener en leur sein, alliant des r&eacute;gimes plus disciplinaires pour les unes, plus interdisciplinaires pour les autres. Pour donner une consistance &agrave; ces propos, nous aurons besoin de revenir que ce que nous appelons &quot;disciplines&quot;, &quot;sciences&quot;, de nous doter d&rsquo;un vocabulaire de travail, pour comprendre le fonctionnement du savoir et en d&eacute;terminer les modalit&eacute;s dont l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; sera une d&eacute;clinaison. Quelques exemples tir&eacute;s de l&rsquo;histoire des sciences ou de l&rsquo;actualit&eacute; scientifique illustreront ces propositions.</p> <h2 style="text-align: justify;">Sciences et disciplines&nbsp;: quelques d&eacute;finitions de travail</h2> <p style="text-align: justify;">Il est &eacute;videmment assez difficile et ambitieux de vouloir d&eacute;finir ce que l&rsquo;on veut appeler une discipline et en quoi elle est scientifique. M&ecirc;me si une d&eacute;finition pr&eacute;cise et exacte de ce que la science est ou doit &ecirc;tre para&icirc;t hors de port&eacute;e, il nous faut cependant avoir une d&eacute;finition de travail pour pr&eacute;ciser avec quelle acception aborder les notions de science et de discipline.</p> <p style="text-align: justify;">Dans cet esprit, nous retiendrons une caract&eacute;risation non normative de ce que la science est, sans chercher &agrave; avoir une d&eacute;marcation entre ce qui correspond &agrave; la science et ce qui n&rsquo;en est pas. Notre caract&eacute;risation, volontairement large, cernera davantage une recherche de rationalit&eacute; en entendant par l&agrave; toute recherche permettant d&rsquo;adosser un discours &agrave; des ph&eacute;nom&egrave;nes. Autrement dit, rel&egrave;ve d&rsquo;une d&eacute;marche rationnelle la volont&eacute; de rendre raison au niveau du discours de ce qui arrive sur un plan ph&eacute;nom&eacute;nal, la signification des termes du langage apportant une compr&eacute;hension &agrave; ce qui est observ&eacute; et constat&eacute;. Autrement dit, les ph&eacute;nom&egrave;nes doivent gagner une intelligibilit&eacute; par le langage, et ce dernier une signification et une fondation par les ph&eacute;nom&egrave;nes.</p> <p style="text-align: justify;">Mais comment &eacute;tablir un lien entre le registre du discours et celui des ph&eacute;nom&egrave;nes&nbsp;? Il faut qu&rsquo;il y ait une quelconque syst&eacute;maticit&eacute; o&ugrave; les relations au sein du langage aient une correspondance au sein des ph&eacute;nom&egrave;nes, renvoyant ainsi &agrave; des relations entre ces derniers. Cette correspondance doit &ecirc;tre r&eacute;gl&eacute;e, ob&eacute;ir &agrave; des principes pour que les propri&eacute;t&eacute;s des r&egrave;gles entre termes se retrouvent d&eacute;clin&eacute;es en propri&eacute;t&eacute;s des relations entre ph&eacute;nom&egrave;nes. On aurait ainsi un rapport d&rsquo;expression, au sens leibnizien (Plaud, 2014), entre le langage et un monde de ph&eacute;nom&egrave;nes.</p> <p style="text-align: justify;">On dira ainsi qu&rsquo;une science, comme d&eacute;marche rationnelle, consiste &agrave; &eacute;tablir une correspondance entre des relations au sein d&rsquo;un langage et celles entre les ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;un monde donn&eacute;. Mais sans doute n&rsquo;est-ce pas encore suffisant&nbsp;: on ne parle pas de n&rsquo;importe quel type de termes, ni de n&rsquo;importe quel type de ph&eacute;nom&egrave;nes. Le discours scientifique portera sur des termes dont les signifi&eacute;s sont norm&eacute;s, c&rsquo;est-&agrave;-dire renvoient &agrave; des concepts (Rastier, 1987). De m&ecirc;me, les ph&eacute;nom&egrave;nes doivent appartenir &agrave; certain registre de l&rsquo;exp&eacute;rience humaine qui peut les observer ou les produire. Les ph&eacute;nom&egrave;nes qu&#39;une science consid&egrave;re sont associ&eacute;s &agrave; une mani&egrave;re particuli&egrave;re de les convoquer (une exp&eacute;rience, un mode d&#39;observation, etc.). La science sera donc l&rsquo;articulation entre un point de vue normatif transformant les termes d&rsquo;un langage en signifi&eacute;s norm&eacute;s et un r&eacute;pertoire de ph&eacute;nom&egrave;nes d&eacute;fini par une mani&egrave;re particuli&egrave;re de les convoquer. Norme rationnelle associ&eacute;e aux termes et convocation r&eacute;gl&eacute;e impos&eacute;e aux ph&eacute;nom&egrave;nes seraient donc les deux facettes d&#39;une d&eacute;marche dite scientifique.</p> <p style="text-align: justify;">Une telle caract&eacute;risation reste encore tr&egrave;s large et laisse ouverte, sans vouloir la trancher, la question de savoir si toutes les entreprises r&eacute;pondant &agrave; cette caract&eacute;risation sont &agrave; proprement parler des sciences ou non. Ce qui est important pour nous ici, c&rsquo;est que ceux qui tiennent ces discours articul&eacute;s aux ph&eacute;nom&egrave;nes pensent gagner en intelligibilit&eacute; et en compr&eacute;hension sur le monde qui les entoure.</p> <h3 style="text-align: justify;">Sciences formelles et sciences ph&eacute;nom&egrave;nologiques</h3> <p style="text-align: justify;">Comprendre la science comme l&rsquo;articulation d&rsquo;un langage norm&eacute; avec un monde de ph&eacute;nom&egrave;nes convoqu&eacute;s laisse ind&eacute;termin&eacute;e la mani&egrave;re de d&eacute;finir le langage retenu et le point de vue sur le monde. Sans entrer dans les d&eacute;tails des diff&eacute;rentes entreprises scientifiques possibles, une premi&egrave;re distinction massive oppose les entreprises retenant pour le langage scientifique la langue naturelle qu&rsquo;il faudra sp&eacute;cialiser et normer pour que les signifi&eacute;s linguistiques puissent r&eacute;pondre aux canons de pr&eacute;cision n&eacute;cessaires pour en faire des concepts, &agrave; celle se dotant d&rsquo;un langage artificiel, en g&eacute;n&eacute;ral formel, pour codifier les relations entre les termes sous la forme d&rsquo;un calcul, symbolique ou num&eacute;rique. Ces derni&egrave;res approches retiennent l&rsquo;idiome logico-math&eacute;matique permettant de coder les ph&eacute;nom&egrave;nes et de traduire les relations entre eux par des calculs ou des r&egrave;gles formelles de r&eacute;&eacute;criture.</p> <p style="text-align: justify;">De m&ecirc;me, on pourra &eacute;galement opposer les ph&eacute;nom&egrave;nes appartenant &agrave; l&rsquo;observation qualitative humaine, f&ucirc;t-elle syst&eacute;matique, &agrave; ceux qui sont obtenus &agrave; travers une exp&eacute;rimentation qui les provoque et les enregistre. Dans le premier cas, il faut se faire l&rsquo;&eacute;cho du monde qui vient &agrave; sa rencontre, dans le second on construit un cadre exp&eacute;rimental o&ugrave; les ph&eacute;nom&egrave;nes sont convoqu&eacute;s et surviennent (Heidegger, 1962). Dans le premier cas, on rationalise le monde tel qu&#39;il se pr&eacute;sente et qu&#39;on le rencontre. Dans le second, on construit un nouveau monde &agrave; travers des exp&eacute;rimentations donnant &agrave; voir et conna&icirc;tre ce qui ne se pr&eacute;sente pas dans l&#39;exp&eacute;rience quotidienne.</p> <p style="text-align: justify;">On a donc, pour articuler langages et ph&eacute;nom&egrave;nes, deux distinctions fondamentales. Pour le langage, entre l&#39;idiome formel et la langue naturelle. Pour les ph&eacute;nom&egrave;nes, entre ceux qui sont observ&eacute;s ou provoqu&eacute;s dans la quotidiennet&eacute; et ceux qui sont invent&eacute;s et produits hors de la quotidiennet&eacute;, cette derni&egrave;re les rendant inobservables la plupart du temps ; il faut l&#39;enceinte du laboratoire pour les isoler, les produire et les analyser.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;exp&eacute;rience de la quotidiennet&eacute; fait appel &agrave; une ph&eacute;nom&eacute;nologie de la chose reposant sur la globalit&eacute; de la perception et de l&#39;exp&eacute;rience humaines, l&rsquo;interpr&eacute;tation devant exploiter toutes les ressources du corps percevant et interpr&eacute;tant. L&rsquo;exp&eacute;rimentation d&eacute;l&egrave;gue &agrave; la mesure et &agrave; l&rsquo;instrument le dialogue avec le monde, l&rsquo;humain n&rsquo;ayant plus qu&rsquo;&agrave; avoir une exp&eacute;rience intellectuelle des r&eacute;sultats obtenus. D&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, l&rsquo;exp&eacute;rience humaine globale, de l&rsquo;autre des pratiques et techniques intellectuelles pour exploiter les r&eacute;sultats d&rsquo;une exp&eacute;rimentation. Dans l&rsquo;exp&eacute;rience, l&rsquo;humain est le sujet de l&rsquo;exp&eacute;rience, dans l&rsquo;exp&eacute;rimentation c&rsquo;est l&rsquo;instrument.</p> <p style="text-align: justify;">Ces points de vue sont g&eacute;n&eacute;ralement irr&eacute;conciliables. Les connaissances scientifiques exprim&eacute;es dans l&rsquo;idiome logico-math&eacute;matiques ainsi que les connaissances que nous appelons ph&eacute;nom&eacute;nologiques, &agrave; savoir celles qui s&rsquo;expriment en langue naturelle, sont irr&eacute;ductibles les unes aux autres (Bachimont, 1996).</p> <h3 style="text-align: justify;">Unit&eacute; du monde et des choses, multiplicit&eacute; des domaines et des objets</h3> <p style="text-align: justify;">Mais ces oppositions ne doivent pas faire oublier que l&#39;humain se livrant &agrave; ces pratiques scientifiques et rationnelles est tout d&#39;abord un humain plong&eacute; dans un monde qui le pr&eacute;c&egrave;de et l&#39;exc&egrave;de, et qu&#39;il rencontre dans son exp&eacute;rience de vie &agrave; travers ses pratiques et h&eacute;ritages culturels.</p> <p style="text-align: justify;">Ce d&eacute;j&agrave;-l&agrave;, cette pr&eacute;c&eacute;dence et pr&eacute;s&eacute;ance du r&eacute;el &agrave; l&#39;humain qui y est plong&eacute;, nous la qualifions par les notions de&nbsp;<em>monde</em>&nbsp;o&ugrave; l&rsquo;humain fait&nbsp;<em>l&rsquo;exp&eacute;rience</em>&nbsp;de&nbsp;<em>choses</em>&nbsp;qu&rsquo;il rencontre au sein de ce monde. Il reconna&icirc;t et qualifie ces choses l&#39;aide de&nbsp;<em>langues naturelles</em>&nbsp;lui permettant de jeter un voile de significations sur les ph&eacute;nom&egrave;nes survenant dans sa vie quotidienne. Cette exp&eacute;rience est unique mais multiple : c&#39;est la m&ecirc;me personne qui vit des exp&eacute;riences diff&eacute;rentes, ne les reliant pas forc&eacute;ment. De m&ecirc;me, la langue naturelle permet, par ses ambigu&iuml;t&eacute;s et d&eacute;finitions vagues, de relier toutes les facettes de ces exp&eacute;riences entre elles et de les vivre via ces significations qui n&#39;ont pas besoin d&#39;&ecirc;tre pr&eacute;cises.</p> <p style="text-align: justify;">Mais c&#39;est &agrave; partir de cette immersion dans un monde d&eacute;j&agrave;-l&agrave;, se r&eacute;v&eacute;lant &agrave; travers l&#39;exp&eacute;rience qu&#39;il structure, signifiant via des langues qui le qualifient, que les diff&eacute;rentes sciences peuvent se constituer.</p> <p style="text-align: justify;">Les sciences se d&eacute;finiront un&nbsp;<em>domaine</em>&nbsp;de l&#39;exp&eacute;rience pour proposer des normalisations des choses dont on fait l&#39;exp&eacute;rience et des termes qui permettent de les qualifier. La science consid&egrave;re des&nbsp;<em>objets</em>, qui sont des choses norm&eacute;es par un mode particulier de convocation, et des&nbsp;<em>concepts</em>, qui sont des signifi&eacute;s norm&eacute;s. L&#39;arrimage de concepts &agrave; un objet constitue une&nbsp;<em>th&eacute;orie</em>.</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;humain, plong&eacute; dans un monde d&eacute;j&agrave;-l&agrave;, rencontre des choses qu&rsquo;il partage avec d&rsquo;autres, selon d&rsquo;autres points de vue. Il y a donc toujours un horizon partag&eacute;, la pr&eacute;supposition d&rsquo;un monde commun. C&rsquo;est la raison pour laquelle les domaines d&rsquo;exp&eacute;riences, les discours norm&eacute;s, les th&eacute;ories conceptualis&eacute;es restent irr&eacute;ductibles les uns aux autres, mais traductibles et interpr&eacute;tables entre eux. Mais cette unit&eacute; de l&rsquo;horizon n&rsquo;implique pas qu&rsquo;il y ait une th&eacute;orisation unique et une science unique. La diversit&eacute; scientifique est la r&eacute;ponse herm&eacute;neutique &agrave; l&rsquo;unit&eacute; de l&rsquo;horizon mondain partag&eacute; du simple fait que nous sommes humains (Gadamer, 1960).</p> <p style="text-align: justify;">Enfin, il ne faut pas cependant conclure qu&#39;il n&#39;y pas de connaissances ni de savoir dans l&#39;exp&eacute;rience quotidienne du monde. Il n&#39;est pas n&eacute;cessaire d&#39;attendre la science, les sciences, pour qu&#39;il y ait du sens, de la raison et de l&#39;intelligibilit&eacute;. Immanentes &agrave; l&#39;exp&eacute;rience du monde sont les pratiques sociales et les techniques, &agrave; savoir les dispositifs permettant de r&eacute;p&eacute;ter et conditionner un processus et son r&eacute;sultat. Il y un une histoire des pratiques et des techniques d&egrave;s lors qu&#39;il y a humanit&eacute;, l&#39;humain n&#39;&eacute;tant humain que lorsqu&#39;il y a m&eacute;moire transmise, m&eacute;moire sociale ou m&eacute;moire technique (Leroi-Gourhan, 1964, 1967).</p> <h3 style="text-align: justify;">Pr&eacute;cisions terminologiques</h3> <p style="text-align: justify;">Muni de cette caract&eacute;risation de la science et des deux principales d&eacute;clinaisons que nous avons d&eacute;gag&eacute;es, on peut envisager de la prolonger en se donnant une terminologie fixant les concepts dont nous aurons besoin pour d&eacute;finir les disciplines et l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">En affirmant que la science est l&rsquo;articulation de relations linguistiques (formelles ou propres aux langues naturelles) aux relations entre les ph&eacute;nom&egrave;nes, on sugg&egrave;re que la science est le redoublement linguistique de l&rsquo;exp&eacute;rience monde&nbsp;: c&rsquo;est la r&eacute;flexivit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue par le concept, qui permet d&egrave;s lors de prendre conscience de l&rsquo;exp&eacute;rience comme telle et de l&rsquo;&eacute;tudier.</p> <h4 style="text-align: justify;">Monde et r&eacute;el</h4> <p style="text-align: justify;">Comment se situent les ph&eacute;nom&egrave;nes et l&rsquo;exp&eacute;rience du monde &agrave; travers laquelle ils apparaissent&nbsp;? Il nous semble utile de distinguer le r&eacute;el du monde. Le r&eacute;el est un principe n&eacute;gatif et transcendant&nbsp;: c&rsquo;est ce qui nous entoure, le fonds d&rsquo;o&ugrave; apparaissent les choses,&nbsp;les ph&eacute;nom&egrave;nes si on en croit l&rsquo;&eacute;tymologie. Les ph&eacute;nom&egrave;nes s&rsquo;organisent et constituent un monde, qui est une coh&eacute;rence et une unit&eacute; dans l&rsquo;exp&eacute;rience humaine. C&rsquo;est, pour reprendre des exemples classiques, l&rsquo;exp&eacute;rience que nous avons du vivant, ou du mouvement, ou de l&rsquo;&eacute;nergie. Le monde est donc ce qui se d&eacute;tache du r&eacute;el, ce qui se montre et se d&eacute;voile. Les ph&eacute;nom&egrave;nes expriment le r&eacute;el, et nous reconstruisons un monde &agrave; partir d&rsquo;eux. Mais le monde n&rsquo;est pas le r&eacute;el, mais l&rsquo;exp&eacute;rience que nous en avons. Une question sera notamment de pouvoir reconduire l&rsquo;exp&eacute;rience au-del&agrave; du monde que nous avons construit pour retourner au r&eacute;el sous-jacent&nbsp;: le travail de recherche artistique et cr&eacute;ative peut &ecirc;tre ici compris comme la recherche du r&eacute;el au del&agrave; du monde des ph&eacute;nom&egrave;nes tel qu&rsquo;il est construit dans l&rsquo;unit&eacute; d&rsquo;une exp&eacute;rience humaine et qu&rsquo;il est stabilis&eacute; en conventions, normes et r&eacute;p&eacute;titions. Le monde est le monde des ph&eacute;nom&egrave;nes r&eacute;gl&eacute;s dont il faut chercher la compr&eacute;hension&nbsp;: c&rsquo;est la recherche d&rsquo;un ordre qu&rsquo;on sait &ecirc;tre pr&eacute;sent. Le r&eacute;el est ce qui est sous-jacent &agrave; cet ordre, ce qui peut ne pas y r&eacute;pondre, ce qui peut receler d&rsquo;autres ordres encore cach&eacute;s et &agrave; d&eacute;masquer avant de les d&eacute;couvrir.</p> <p style="text-align: justify;">De m&ecirc;me, face &agrave; l&rsquo;unit&eacute; d&rsquo;un monde donn&eacute;e par une exp&eacute;rience humaine configur&eacute;e et stabilis&eacute;e, le langage de la science se d&eacute;finit par un idiome et par des principes permettant de sp&eacute;cifier le type de r&egrave;gles et de constructions discursives consid&eacute;r&eacute;es comme conforme &agrave; l&rsquo;id&eacute;al de scientificit&eacute; recherch&eacute;. Certains langages devront donner lieu &agrave; des preuves, en particulier formelles&nbsp;: ce sont les langages math&eacute;matiques utilis&eacute;s dans les sciences o&ugrave; les v&eacute;rit&eacute;s sur les ph&eacute;nom&egrave;nes sont pos&eacute;es &agrave; travers des d&eacute;monstrations au sein du langage d&rsquo;une part et d&rsquo;une confrontation exp&eacute;rimentale avec les ph&eacute;nom&egrave;nes d&rsquo;autre part. D&rsquo;autres langages mobiliseront d&rsquo;autres articulations discursives&nbsp;: le r&eacute;cit en histoire par exemple, ou l&rsquo;argument (l&rsquo;enthym&egrave;me d&rsquo;Aristote, qui ne fait pas preuve formelle mais qui donne des raisons plausibles (Aristote, 2007), comme en droit, en philosophie, et de mani&egrave;re g&eacute;n&eacute;rale dans les sciences sociales. Preuve, argument, r&eacute;cit sont les trois modes discursifs de la d&eacute;monstration scientifique. Ces modes prescrivent le point de vue normatif permettant de construire les concepts rendant compte des objets th&eacute;oris&eacute;s.</p> <h4 style="text-align: justify;">Disciplines ph&eacute;nom&eacute;nologiques et formalis&eacute;es</h4> <p style="text-align: justify;">La science se d&eacute;cline en disciplines. Une&nbsp;<em>discipline</em>&nbsp;sera cette r&eacute;flexivit&eacute; associ&eacute;e &agrave; un certain type d&rsquo;exp&eacute;riences v&eacute;cues, on parlera alors d&rsquo;une&nbsp;<em>discipline ph&eacute;nom&eacute;nologique</em>, ou associ&eacute;e &agrave; un syst&egrave;me d&rsquo;exp&eacute;rimentations et de mesures, on parlera alors de&nbsp;<em>disciplines formalis&eacute;es</em>. Les disciplines ph&eacute;nom&eacute;nologiques sont celles qui s&rsquo;appuient sur les langues naturelles pour rendre compte de l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue par les humains, reposant sur ces derni&egrave;res pour exhiber la complexit&eacute; herm&eacute;neutique de la relation avec le monde v&eacute;cu, ou encore l&rsquo;observation de&nbsp;ph&eacute;nom&egrave;nes naturels selon des codes relevant de la langue naturelle. Les disciplines formalis&eacute;es d&eacute;l&egrave;guent &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rimentation la confrontation au r&eacute;el&nbsp;: elles n&rsquo;ont pas de monde peupl&eacute; de choses que l&rsquo;on rencontre dans la quotidiennet&eacute;, mais un syst&egrave;me de l&rsquo;exp&eacute;rimentation construit pour d&eacute;gager des objets corr&eacute;lats des concepts sous-jacents &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rimentation.</p> <p style="text-align: justify;">La discipline ph&eacute;nom&eacute;nologique se d&eacute;finit par les&nbsp;<em>choses</em>&nbsp;qu&rsquo;elle &eacute;tudie, les&nbsp;<em>objets</em>&nbsp;qu&rsquo;elle y reconna&icirc;t et les&nbsp;<em>concepts</em>&nbsp;qu&rsquo;elle en tire. Les concepts scientifiques &eacute;labor&eacute;s par une discipline ph&eacute;nom&eacute;nologique constituent les th&eacute;ories que la discipline propose pour rendre compte des objets. Une th&eacute;orie serait donc le couplage d&rsquo;un objet et d&rsquo;un concept. La discipline formalis&eacute;e se d&eacute;finit non par les choses qu&rsquo;elles rencontrent mais par les moyens instrument&eacute;s dont elle se dote. Elle r&eacute;sulte de la co-construction entre ses concepts et ses instruments, ces derniers n&rsquo;&eacute;tant pas autre chose que des th&eacute;ories mat&eacute;rialis&eacute;es et constituant une &laquo;&nbsp;ph&eacute;nom&eacute;no-technique&nbsp;&raquo; au sens o&ugrave; les ph&eacute;nom&egrave;nes ne sont que le corr&eacute;lat des instruments permettant de les observer (Bachelard, 1934). L&rsquo;objet de la discipline formalis&eacute;e est ce qui est donn&eacute; par la normalisation des choses &eacute;tudi&eacute;es d&eacute;coulant de l&rsquo;instrumentation et de l&rsquo;exp&eacute;rimentation&nbsp;; l&rsquo;objet de la discipline ph&eacute;nom&eacute;nologique d&eacute;coule des choses normalis&eacute;es selon les principes d&rsquo;observation (par exemple les sciences naturelles reposant sur l&rsquo;observation) ou d&rsquo;interpr&eacute;tation (les sciences s&rsquo;inscrivant dans le cercle herm&eacute;neutique, l&rsquo;observ&eacute;, se sachant observ&eacute;, adaptant son comportement) qu&rsquo;on met en &oelig;uvre.</p> <p style="text-align: justify;">Tant les disciplines ph&eacute;nom&eacute;nologiques que formalis&eacute;es rencontrent un monde, qu&rsquo;on pourra appeler aussi&nbsp;<em>domaine</em>, et constituent un langage norm&eacute;, c&rsquo;est-&agrave;-dire un langage normalis&eacute; depuis un point de vue discursif de d&eacute;monstration ou d&rsquo;argumentation (preuve, argument, r&eacute;cit).</p> <h4 style="text-align: justify;">Choses et objets</h4> <p style="text-align: justify;">Les choses sont les choses concr&egrave;tes qui n&rsquo;appartiennent &agrave; aucune science et th&eacute;orie particuli&egrave;re mais au monde concret et effectif. Les choses sont ce avec quoi on se confronte dans la r&eacute;alit&eacute;&nbsp;: elles constituent la positivit&eacute; du r&eacute;el qui r&eacute;siste &agrave; ce qu&rsquo;on en dit et en fait. C&rsquo;est au niveau des choses que les &laquo;&nbsp;faits sont t&ecirc;tus&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">Les objets sont la traduction des choses dans le langage norm&eacute; de la science. Ce sont des entit&eacute;s id&eacute;ales et construites&nbsp;: ce ne sont pas celles que l&rsquo;on rencontre dans l&rsquo;exp&eacute;rience, ce sont celles que nous tirons de l&rsquo;exp&eacute;rience. L&rsquo;objet est le corr&eacute;lat d&rsquo;un concept scientifique, un signifi&eacute; norm&eacute;, qui le d&eacute;finit et en donne le contenu. L&rsquo;objet n&#39;appartient pas au monde des ph&eacute;nom&egrave;nes, mais &agrave; un monde id&eacute;alis&eacute; car reformul&eacute; par la discipline, tandis que la chose, sise au sein du monde des ph&eacute;nom&egrave;nes, n&rsquo;appartient pas au monde de la th&eacute;orie et lui reste ext&eacute;rieure. Elle demeure si la th&eacute;orie tombe, tandis que l&rsquo;objet sombre avec la th&eacute;orie. Ainsi la chaleur serait une chose &agrave; &eacute;tudier, tandis que le phlogistique est un objet scientifique qui a disparu avec la th&eacute;orie qui l&rsquo;avait enfant&eacute;. Objet et concept sont donc les deux facettes d&rsquo;une m&ecirc;me pi&egrave;ce&nbsp;: l&rsquo;objet appartient au monde id&eacute;alis&eacute; revu par la th&eacute;orie, le concept au langage norm&eacute; constituant la discipline.</p> <table align="center" border="1" cellspacing="0"> <colgroup> <col /> <col /> <col /> <col /> <col /> </colgroup> <tbody> <tr> <td> <p><strong>Niveau d&rsquo;intelligibilit&eacute;</strong></p> </td> <td> <p><strong>Ce qui est rencontr&eacute;</strong></p> </td> <td> <p><strong>Type de coh&eacute;rence</strong></p> </td> <td> <p><strong>Rapport &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience</strong></p> </td> <td> <p><strong>Type d&rsquo;intelligibilit&eacute;</strong></p> </td> </tr> <tr> <td> <p>R&eacute;el</p> </td> <td> <p>Rupture de l&rsquo;exp&eacute;rience&nbsp;:&nbsp;<em>Choc</em></p> </td> <td> <p>Remise en cause de l&rsquo;exp&eacute;rience</p> </td> <td> <p><em>Fonds</em>&nbsp;: ce qui est cach&eacute;, en r&eacute;serve</p> </td> <td> <p>Puissance de d&eacute;sajustement</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Monde</p> </td> <td> <p>Familiarit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience&nbsp;:&nbsp;<em>Chose</em></p> </td> <td> <p>Globalit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience</p> </td> <td> <p><em>Horizon</em>&nbsp;permettant la comparaison,</p> </td> <td> <p>Ajustement entre les mots et les choses</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Domaine</p> </td> <td> <p>Conceptualisation de l&rsquo;exp&eacute;rience&nbsp;:&nbsp;<em>Objet</em></p> </td> <td> <p>Unit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience&nbsp;</p> </td> <td> <p><em>Th&eacute;orie</em>&nbsp;: Syst&egrave;me</p> </td> <td> <p>Arrimage entre objets et concepts</p> </td> </tr> </tbody> </table> <h4>&nbsp;</h4> <h4 style="text-align: justify;">Les Id&eacute;es, les choses, le r&eacute;el et le pensable</h4> <p style="text-align: justify;">Enfin on peut remarquer qu&rsquo;il existe des concepts partag&eacute;s entre plusieurs th&eacute;ories, qui ne sont propres &agrave; aucune et qui trouvent au sein de chacune d&rsquo;elle une caract&eacute;risation th&eacute;orique. Par exemple, la notion d&rsquo;infini est partag&eacute;e entre la physique, les math&eacute;matiques, la th&eacute;ologie, la philosophie et d&rsquo;autres disciplines encore. Au sein de chacune d&rsquo;elle, on peut trouver un th&eacute;orie de l&rsquo;infini&nbsp;: parfois l&rsquo;une d&rsquo;elle sert &agrave; pr&eacute;ciser la th&eacute;orie de l&rsquo;infini d&rsquo;une autre discipline et &eacute;tablit avec elle des liens analogiques. Ces concepts transdisciplinaires au sens o&ugrave; ils sont partag&eacute;s par plusieurs sans &ecirc;tre propres &agrave; aucune, nous les appelons&nbsp;<em>Id&eacute;e</em>. Les Id&eacute;es constituent un horizon conceptuel dont chaque discipline veut se rapprocher sans jamais ni l&rsquo;&eacute;puiser ni l&rsquo;int&eacute;grer. Les Id&eacute;es se traduisent parfois au sein m&ecirc;me des disciplines sous la forme de&nbsp;<em>principes</em>&nbsp;: les principes ont un r&ocirc;le r&eacute;gulateur permettant de rendre la d&eacute;duction formelle et th&eacute;orique possible, comme Kant l&#39;a soulign&eacute; pour la m&eacute;canique de son &eacute;poque dans sa troisi&egrave;me critique et les premiers principes de la m&eacute;taphysique de la nature. Ce sera par exemple le principe du moindre action, ou le principe du plus court chemin (Kant, 1990).</p> <p style="text-align: justify;">Ces concepts, ces Id&eacute;es, se tirent d&rsquo;un fonds ou horizon propre &agrave; la dynamique de la pens&eacute;e&nbsp;: il s&rsquo;agit du fait qu&rsquo;il est toujours possible de penser autrement, de reconfigurer ou de reconsid&eacute;rer une Id&eacute;e. Si le r&eacute;el est le fonds dont se d&eacute;tachent les choses, le pensable comme dynamique de la pens&eacute;e est le fonds dont se d&eacute;tachent les Id&eacute;es et qui en constituent des p&ocirc;les de r&eacute;f&eacute;rence, de m&ecirc;me que les choses constituent les p&ocirc;les de coh&eacute;rence pour l&rsquo;exp&eacute;rience ordinaire.</p> <p style="text-align: justify;">Le R&eacute;el et le Pensable sont deux &eacute;l&eacute;ments ext&eacute;rieurs &agrave; la discipline. Ce sont deux principes n&eacute;gatifs qui imposent de penser autrement&nbsp;: puissances de d&eacute;sajustement au sein de la coh&eacute;rence de l&rsquo;exp&eacute;rience et des th&eacute;ories, le r&eacute;el et le pensable constituent des r&eacute;serves in&eacute;puisables &agrave; partir desquelles d&eacute;construire ce qui a &eacute;t&eacute; pos&eacute; pour le repenser. Si la chose se d&eacute;tache du r&eacute;el, elle reste cette puissance capable de remettre en cause l&rsquo;objet qu&rsquo;on en tire et le concept qui la formalise. De m&ecirc;me, l&rsquo;Id&eacute;e se d&eacute;tache du pensable pour constituer un horizon no&eacute;tique, un concept qualifiant non pas ce que l&rsquo;on comprend mais ce qui &eacute;chappe&nbsp;: c&rsquo;est une n&eacute;gativit&eacute; qui se refuse, qui reste irr&eacute;ductible. C&rsquo;est la raison pour laquelle chose et Id&eacute;e sont &eacute;tonnamment stables&nbsp;: elles ne vivent pas ce que vivent les th&eacute;ories, l&rsquo;espace d&rsquo;un paradigme, mais s&rsquo;inscrivent dans la longue dur&eacute;e des mentalit&eacute;s, des conceptions du monde, des m&eacute;taphysiques associ&eacute;es, se d&eacute;tachant des fonds n&eacute;gatifs que sont le r&eacute;el, comme choc de l&rsquo;exp&eacute;rience, et le pensable comme puissance de penser autrement. Dans cette perspective, on comprend pourquoi l&rsquo;art est souvent pr&eacute;sent&eacute; comme la capacit&eacute; de r&eacute;v&eacute;ler le r&eacute;el, et la philosophie la puissance de penser autrement. C&rsquo;est que ces deux postures, compl&eacute;mentaires, interrogent les stabilit&eacute;s constitu&eacute;es depuis les n&eacute;gativit&eacute;s dont elles se sont d&eacute;tach&eacute;es&nbsp;: les choses de l&rsquo;exp&eacute;rience, les Id&eacute;es de la pens&eacute;e, et les sciences qui les th&eacute;orisent pour mieux les articuler.</p> <p style="text-align: justify;">Enfin, l&rsquo;enjeu des th&eacute;ories et des disciplines qui les &eacute;laborent est de se donner les moyens de construire une compr&eacute;hension du monde, une intelligence de ce dernier. L&rsquo;enjeu est l&rsquo;intelligibilit&eacute;, o&ugrave; le monde appara&icirc;t, enfin, compr&eacute;hensible et on peut en rendre raison, en donner les raisons. L&rsquo;intelligibilit&eacute; est par cons&eacute;quent le fait de pouvoir r&eacute;pondre aux &eacute;v&eacute;nements du monde compris comme autant de questions appelant des r&eacute;ponses. Les r&eacute;ponses peuvent varier et &ecirc;tre plus ou moins convaincantes selon le point de vue s&rsquo;o&ugrave; on se place, mais le principe de ces r&eacute;ponses est d&rsquo;&ecirc;tre un discours, c&rsquo;est-&agrave;-dire un argument, une preuve ou un r&eacute;cit (cf. supra).</p> <p><img alt="" height="281" src="https://www.numerev.com/img/ck_90_8_image-20200313104614-1.png" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" width="530" /></p> <p style="text-align: justify;">Th&eacute;ories, choses et Id&eacute;es sont alors des niveaux d&rsquo;intelligibilit&eacute; compl&eacute;mentaire&nbsp;: la th&eacute;orie est la compr&eacute;hension au sein des disciplines, apportant la compr&eacute;hension d&rsquo;une chose ou d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne. L&rsquo;Id&eacute;e est l&rsquo;intelligibilit&eacute; au del&agrave; des sciences, constitu&eacute;es par ces derni&egrave;res. La chose est la familiarit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience. Alors que la th&eacute;orie r&eacute;pond &agrave; la question de savoir, au sein d&rsquo;une discipline donn&eacute;e, quelle compr&eacute;hension avoir d&rsquo;un ph&eacute;nom&egrave;ne, l&rsquo;Id&eacute;e permet d&rsquo;interroger le sens des sciences quant aux concepts qui les pr&eacute;c&eacute;dent et les transcendent tandis que les choses questionnent la coh&eacute;rence des objets qui tentent d&rsquo;en rendre compte. Ainsi la th&eacute;orie r&eacute;pondra &agrave; la question de l&rsquo;infini par la th&eacute;orie des ensembles en math&eacute;matiques, l&rsquo;infini comme id&eacute;e sera ce qui permet de comprendre en quoi l&rsquo;infini des math&eacute;matiques a quelque chose &agrave; voir avec l&rsquo;infini d&rsquo;une part, et avec d&rsquo;autres th&eacute;ories de l&rsquo;infini, par exemple en physique, d&rsquo;autre part. De m&ecirc;me, la chose comme la chaleur sera l&rsquo;horizon commun permettant d&rsquo;articuler la th&eacute;orie thermodynamique et la m&eacute;canique statistique, mais aussi la physiologie de la chaleur.</p> <p style="text-align: justify;">Le sch&eacute;ma suivant ainsi que le glossaire r&eacute;sument ces diff&eacute;rentes propositions terminologiques&nbsp;:</p> <p><img alt="" height="435" src="https://www.numerev.com/img/ck_90_8_image-20200313104706-2.png" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" width="606" /></p> <p>&nbsp;</p> <table align="center" border="1" cellspacing="0"> <colgroup> <col /> <col /> </colgroup> <tbody> <tr> <td> <p>Chose</p> </td> <td> <p>El&eacute;ment du monde des ph&eacute;nom&egrave;nes se donnant &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience. Elle s&#39;inscrit dans une pratique.</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Objet</p> </td> <td> <p>Reconstruction d&rsquo;une chose par une th&eacute;orie au sein d&rsquo;une discipline ; l&rsquo;objet est la chose id&eacute;alis&eacute;e gr&acirc;ce &agrave; un concept de la th&eacute;orie. L&rsquo;objet est le corr&eacute;lat dans le monde du concept th&eacute;orique. L&#39;objet se confronte &eacute;galement au r&eacute;el sous-jacent &agrave; la chose, id&eacute;alisant la chose de la pratique (l&#39;objet &laquo; r&eacute;volution &raquo; en histoire ou sciences politiques) ou la d&eacute;laissant et l&#39;ignorant, devenant le corr&eacute;lat d&#39;un concept n&#39;ayant pas d&#39;&eacute;quivalent dans l&#39;exp&eacute;rience ordinaire (l&#39;objet &laquo; &eacute;lectron &raquo; en physique par exemple). L&#39;objet id&eacute;alise une pratique ou un complexe d&#39;exp&eacute;rimentations.</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Domaine</p> </td> <td> <p>Unit&eacute; de th&eacute;orisation d&#39;une pratique ou d&#39;un ensemble coh&eacute;rent d&#39;exp&eacute;rimentations formelles (exp&eacute;riences physiques, probl&egrave;mes math&eacute;matiques, etc.), se caract&eacute;risant par un p&eacute;rim&egrave;tre des choses que l&rsquo;on y rencontre et le type d&rsquo;exp&eacute;rience qu&rsquo;on en a : exp&eacute;riences th&eacute;orisant une chose de la pratique ordinaire ou exp&eacute;rimentations formalis&eacute;es d&eacute;gageant des objets sans correspondants dans le monde ordinaire.</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Monde</p> </td> <td> <p>Globalisation des diff&eacute;rents domaines de l&rsquo;exp&eacute;rience humaine. Il se donne sous forme de pratiques, d&#39;&eacute;vidences constitu&eacute;es de &laquo; d&eacute;j&agrave;-l&agrave; &raquo; comme la langue, les pratiques sociales ou techniques. Il se transcende via l&#39;art qui l&#39;interroge pour rencontrer d&#39;autres mondes exprimant un r&eacute;el sous-jacent encore inexplor&eacute;, ou via la m&eacute;taphysique qui globalise et approfondit les concepts de la vie ordinaire. Le r&eacute;el d&eacute;construit le monde par le choc de l&rsquo;exp&eacute;rience qui d&eacute;voile d&rsquo;autre chose, et la philosophie d&eacute;construit sa coh&eacute;rence conceptuelle en permettant de penser autrement. Art et philosophie sont deux transcendances s&rsquo;imposant &eacute;galement &agrave; la pratique ordinaire et aux sciences, formalis&eacute;es et ph&eacute;nom&eacute;nologiques. Ces derni&egrave;res peuvent ainsi retrouver le monde ordinaire via ces transcendances qu&rsquo;elles partagent avec lui (Art &ndash; science, science &ndash; philosophie).</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Pensable</p> </td> <td> <p>Le pensable comme dynamique de la pens&eacute;e est le fonds dont se d&eacute;tachent les Id&eacute;es et qui en constituent des p&ocirc;les de r&eacute;f&eacute;rence, de m&ecirc;me que les choses constituent les p&ocirc;les de coh&eacute;rence pour l&rsquo;exp&eacute;rience ordinaire.</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>R&eacute;el</p> </td> <td> <p>La r&eacute;alit&eacute; telle qu&rsquo;elle est sous-jacente aux diff&eacute;rents mondes qui unifient nos exp&eacute;riences v&eacute;cues en syst&egrave;mes de choses et d&rsquo;exp&eacute;riences. Le r&eacute;el s&rsquo;exprime &agrave; travers les choses du monde et les objets disciplinaires qui le th&eacute;orisent, et se manifeste dans sa capacit&eacute; de r&eacute;sister et de mettre en &eacute;chec nos attendus &agrave; son endroit&nbsp;: c&rsquo;est le pouvoir de dire non. Le r&eacute;el renvoie au choc de l&rsquo;exp&eacute;rience, ce qui exc&egrave;de par principe l&rsquo;attente et l&rsquo;anticipation, qu&#39;elle soit ordinaire (d&#39;o&ugrave; la d&eacute;marche esth&eacute;tique) ou scientifique (d&#39;o&ugrave; la d&eacute;marche m&eacute;taphysique ou &eacute;pist&eacute;mologique).</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Concept</p> </td> <td> <p>Signifi&eacute; norm&eacute; dans le cadre du langage soutenant l&rsquo;activit&eacute; scientifique. Le concept est le dual dans le langage de l&rsquo;objet qui th&eacute;orise la chose ou un complexe d&#39;exp&eacute;rimentations.</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Langage scientifique</p> </td> <td> <p>Langage mobilisant des termes dont les signifi&eacute;s sont norm&eacute;s et se d&eacute;clinant selon des modalit&eacute;s discursives d&eacute;terminant ce qui vaut pour compr&eacute;hension et d&eacute;monstration des conclusions pos&eacute;es. 3 types de modalit&eacute;s discursives sont habituellement mobilis&eacute;es&nbsp;: la preuve formelle, l&rsquo;argument juridique ou rh&eacute;torique, le r&eacute;cit. La normalisation des signifi&eacute;s en concepts peut reposer sur des contraintes math&eacute;matiques (&eacute;quations op&eacute;rationnalisant le concept), logiques (propri&eacute;t&eacute;s n&eacute;cessaires et suffisantes), s&eacute;miotiques ou rh&eacute;toriques (propri&eacute;t&eacute;s typiques).</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Id&eacute;e</p> </td> <td> <p>Les id&eacute;es sont des concepts qui n&rsquo;appartiennent &agrave; aucune discipline ou th&eacute;orie en particulier. Ce sont des horizons permettant de rapprocher diff&eacute;rents concepts th&eacute;oriques et d&rsquo;&eacute;tablir des analogies entre eux. Les id&eacute;es sont des concepts m&eacute;taphysiques qui interrogent les sciences dans leurs objets et leurs m&eacute;thodes. Aucun concept th&eacute;orique ne peut &eacute;puiser le sens d&rsquo;un concept qui constitue un principe n&eacute;gatif d&rsquo;inach&egrave;vement et d&rsquo;incompl&eacute;tude. L&rsquo;id&eacute;e, c&rsquo;est qui &eacute;chappe malgr&eacute; les efforts de rationalisation et de compr&eacute;hension.</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Th&eacute;orie</p> </td> <td> <p>Une th&eacute;orie est un point de vue normatif construit sur une chose ou un complexe d&#39;exp&eacute;rimentations dont elle fait un objet scientifique gr&acirc;ce &agrave; un concept qui permet de le penser et d&rsquo;en d&eacute;terminer le contenu et les lois de comportement.</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Discipline</p> </td> <td> <p>Science qui s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; un monde de ph&eacute;nom&egrave;nes dont elle fait la th&eacute;orie. Elle repose sur un langage dont les signifiants poss&egrave;dent un signifi&eacute; norm&eacute; selon le point de vue des principes de scientificit&eacute; qui sont &agrave; la base de cette discipline. Elle se traduit par diverses th&eacute;ories qui partagent les concepts de la discipline et portent sur ses objets.</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Principe</p> </td> <td> <p>Un principe est le point de vue normatif adopt&eacute; dans une discipline pour sp&eacute;cifier le langage qui permettra d&rsquo;exprimer les lois scientifiques et de s&rsquo;articuler aux ph&eacute;nom&egrave;nes du monde consid&eacute;r&eacute; par la discipline. Ce point de vue normatif contraint les modalit&eacute;s discursives de d&eacute;monstration scientifique et les modalit&eacute;s s&eacute;miotiques de signification des concepts.</p> </td> </tr> </tbody> </table> <h3>&nbsp;</h3> <h3 style="text-align: justify;">L&rsquo;harmonie et l&rsquo;inou&iuml;</h3> <p style="text-align: justify;">La conclusion de toutes ces propositions est que le r&eacute;el n&rsquo;est pas rationnel, mais le fonds &agrave; partir duquel construire et proposer des conceptions rationnelles, des mondes plus ou moins norm&eacute;s et structur&eacute;s par des th&eacute;ories et disciplines. Le monde rend compte du r&eacute;el, s&rsquo;y confronte et y achoppe. La structuration du monde est donc une recherche perp&eacute;tuelle et constante d&rsquo;ajustement qui doit rechercher tant sa mise en &eacute;chec que sa confirmation.</p> <p style="text-align: justify;">Les deux modalit&eacute;s de cette recherche sont&nbsp;<em>l&rsquo;harmonie</em>&nbsp;et&nbsp;<em>l&rsquo;inou&iuml;</em>. En effet, le monde con&ccedil;u par la th&eacute;orie poursuit sa qu&ecirc;te de confirmation et d&rsquo;infirmation et, &agrave; chaque succ&egrave;s rencontr&eacute;, l&rsquo;intelligibilit&eacute; du r&eacute;el s&rsquo;accroit pour couvrir le r&eacute;el d&rsquo;un voile d&rsquo;harmonie, o&ugrave; le monde n&rsquo;est plus tant une explication et description qu&rsquo;un point de vue esth&eacute;tique qui se forge et qui permet d&rsquo;aborder les faits nouveaux et le d&eacute;voilement progressif du r&eacute;el comme un plaisir d&rsquo;assister un ordre coh&eacute;rent. Les scientifiques sont souvent friands d&rsquo;une telle image d&rsquo;harmonie (par exemple&nbsp;<em>La m&eacute;lodie secr&egrave;te&nbsp;: et l&rsquo;homme cr&eacute;a l&rsquo;univers</em>&nbsp;de Trinh Wuan Thuan (2000), ou&nbsp;<em>L&rsquo;harmonie secr&egrave;te de l&rsquo;univers</em>&nbsp;de Jean-Philippe Uzan (2017)). Mais le contexte d&rsquo;&eacute;chec et de crise des disciplines conduit &agrave; aborder le r&eacute;el pour y voir et y entendre des nouveaut&eacute;s inattendues, inou&iuml;es jusqu&rsquo;alors. Quand le r&eacute;el perce &agrave; travers le voile mondain, rompant l&rsquo;harmonie pour donner &agrave; entendre ce qui appara&icirc;t initialement comme une dissonance, la science recherche &agrave; r&eacute;ajuster l&rsquo;harmonie r&eacute;gnante ou au contraire &agrave; laisser la place &agrave; de nouvelles conceptions harmoniques rendant compte de ces inou&iuml;s.</p> <p style="text-align: justify;">Mais quand la confrontation n&rsquo;est pas seulement la rencontre entre le r&eacute;el et un monde structur&eacute; par l&rsquo;exp&eacute;rimentation scientifique et sa normalisation th&eacute;orique, mais consiste plut&ocirc;t dans la confrontation du r&eacute;el et du monde de l&rsquo;exp&eacute;rience v&eacute;cue et ressentie, on retrouve la place de l&rsquo;art dont on insiste souvent, avec raison, sur sa proximit&eacute; &agrave; la science. L&rsquo;art est une recherche, celle du r&eacute;el qui doit appara&icirc;tre &agrave; travers le monde, et parfois malgr&eacute; lui, puisque le r&eacute;el dispara&icirc;t au profit du monde, quotidien ou th&eacute;orique d&egrave;s lors qu&rsquo;il est mis en parole et soumis &agrave; une coh&eacute;rence discursive. En prolongeant les principes d&rsquo;une harmonie d&eacute;j&agrave; acquise mais non pleinement r&eacute;v&eacute;l&eacute;e, l&rsquo;art explore les possibilit&eacute;s du dicible ou du monde de l&rsquo;exp&eacute;rience pour rendre compte des recoins et tr&eacute;fonds du r&eacute;el encore inexplor&eacute;s et encore voil&eacute;s par le monde. Mais aussi l&rsquo;art recherche de nouveaux mondes, de nouvelles harmonies, de nouveaux registres de signifiance du r&eacute;el pour lesquels sont &agrave; inventer leur contrepartie s&eacute;miotique dans un langage encore &agrave; concevoir. Comme l&rsquo;exemple de la musique le sugg&egrave;re, il y a autant la place pour cultiver les lois de l&rsquo;harmonie d&rsquo;une registre d&eacute;j&agrave; &eacute;tabli et rep&eacute;r&eacute; (&agrave; l&rsquo;instar de ce que l&rsquo;on appelle plus ou moins vaguement la musique classique), et que pour rechercher les moyens et les modalit&eacute;s de nouvelles expressivit&eacute;s sonores, ce qu&rsquo;on a jamais entendu permettant de rendre compte d&rsquo;exp&eacute;riences qu&rsquo;on avait encore jamais imagin&eacute;es. De m&ecirc;me, la science cultivant l&rsquo;approfondissement de son paradigme pour en explorer les possibilit&eacute;s harmoniques renverrait &agrave; la science normale de Kuhn, et la recherche ou la rencontre de rupture et de nouveaux paradigmes correspondrait aux crises scientifiques (Kuhn, 1983).</p> <p>&nbsp;</p> <table align="center" border="1" cellspacing="0"> <colgroup> <col /> <col /> <col /> </colgroup> <tbody> <tr> <td> <p>&nbsp;</p> </td> <td> <p>Monde quotidien</p> </td> <td> <p>Monde th&eacute;orique</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Harmonie</p> </td> <td> <p>Recherche esth&eacute;tique au sein d&rsquo;un art install&eacute;&nbsp;: combinaisons in&eacute;dites de signifiants dans des r&eacute;pertoires d&eacute;j&agrave; constitu&eacute;s</p> </td> <td> <p>Science normale</p> </td> </tr> <tr> <td> <p>Inou&iuml;</p> </td> <td> <p>Recherche esth&eacute;tique en rupture&nbsp;: nouveaux registres de signifiants pour de nouveaux signifi&eacute;s</p> </td> <td> <p>Crise scientifique</p> </td> </tr> </tbody> </table> <p>&nbsp;</p> <p style="text-align: justify;">Ainsi l&rsquo;harmonie est-elle la figure de l&rsquo;ajustement et l&rsquo;inou&iuml; celle du d&eacute;sajustement dans cette recherche toujours manqu&eacute;e et toujours reconduite du r&eacute;el &laquo;&nbsp;derri&egrave;re&nbsp;&raquo; le monde, ce dernier engendrant de mani&egrave;re constitutive son incompl&eacute;tude. Une th&eacute;orie constitu&eacute;e et vivante, un art en exercice, portent en eux-m&ecirc;mes leur inach&egrave;vement et la n&eacute;cessit&eacute; de poursuivre la recherche et mener la qu&ecirc;te. Leur cl&ocirc;ture signifie leur d&eacute;passement et leur mort comme exercice de l&rsquo;esprit, et ils se figent alors en corps de pratiques et techniques re&ccedil;us et consacr&eacute;s, en concepts et id&eacute;es fig&eacute;s et stables. Ces arts et ces sciences deviennent alors des dogmes qui arraisonnent la pens&eacute;e ou des mus&eacute;es qui se visitent.</p> <h3 style="text-align: justify;">Sciences, techniques, pratiques</h3> <p style="text-align: justify;">Comme nous l&#39;avons soulign&eacute; ci-dessus, le monde de l&#39;exp&eacute;rience ordinaire, celui structurant le quotidien, est celui o&ugrave; se construit la technique et le social, &agrave; savoir les r&egrave;gles, usages, dispositifs permettant de conditionner le comportement, anticiper un devenir, obtenir un r&eacute;sultat. Que ce soit des r&egrave;gles d&#39;interaction sociale (politesse, relations matrimoniales, etc.), ou des r&egrave;gles de manipulation d&#39;outils, le quotidien est tiss&eacute; de r&egrave;gles permettant la r&eacute;p&eacute;tabilit&eacute; et l&#39;anticipation. La technique comme telle reste immanente &agrave; la pratique dont elle est une rationalit&eacute; intrins&egrave;que. Elle peut d&eacute;gager sa propre r&eacute;flexivit&eacute; et s&#39;ouvrir sur la r&eacute;flexion propres aux disciplines scientifiques. La chose de la technique devient alors objet scientifique. De m&ecirc;me, l&#39;objet scientifique peut &agrave; son tour trouver des d&eacute;clinaisons sociales et techniques, et devenir chose de la pratique. On retrouve ainsi la diff&eacute;rence classique entre la science, la technique, et la techno-science, cette derni&egrave;re visant &agrave; faire des choses des objets et des objets des choses. D&#39;o&ugrave; la frustration des scientifiques qui recherchent selon leur tradition disciplinaire la pure r&eacute;flexivit&eacute; et la confrontation au r&eacute;el, ind&eacute;pendamment de l&#39;efficacit&eacute; pratique et de la traduction en dispositifs de r&eacute;p&eacute;tition.</p> <h2 style="text-align: justify;">Positions classiques mais dilemme insoluble</h2> <p style="text-align: justify;">Comment penser l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; dans ces conditions&nbsp;? Les positions classiques en &eacute;pist&eacute;mologie permettent de distinguer les approches qui se constituent &agrave; partir des choses et mondes &eacute;tudi&eacute;s, ou bien &agrave; partir des langages norm&eacute;s utilis&eacute;s. Cependant, dans les deux cas, il est difficile de concevoir une interdisciplinarit&eacute;.</p> <h3 style="text-align: justify;">Les approches par l&rsquo;objet</h3> <p style="text-align: justify;">Selon ces approches, la discipline se construit &agrave; partir des choses qu&rsquo;elle se donne comme terrain d&rsquo;&eacute;tude. Le langage adapt&eacute;, les concepts &eacute;labor&eacute;s en son sein, sont donc propres &agrave; chaque discipline et d&eacute;coulent de la particularit&eacute; des ph&eacute;nom&egrave;nes &eacute;tudi&eacute;s. Si l&rsquo;objet est le vivant, ou le mouvement, on n&rsquo;aura pas les m&ecirc;mes approches. La science aristot&eacute;licienne (Crubellier &amp; Pellegrin, 2002) illustre cette conception en recommandant de poser le monde ph&eacute;nom&eacute;nal &agrave; &eacute;tudier, les choses dont on veut faire la th&eacute;orie avant d&rsquo;&eacute;laborer cette derni&egrave;re. La difficult&eacute; inh&eacute;rente &agrave; cette conception des sciences est qu&rsquo;elle r&eacute;plique l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; que les choses &eacute;tudi&eacute;es peuvent avoir entre elles&nbsp;: les sciences &eacute;tudiant des choses diff&eacute;rentes seront incommensurables et h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes.</p> <h3 style="text-align: justify;">Les approches par le langage</h3> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;autre approche para&icirc;t plus f&eacute;conde pour penser l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;. En effet elle consiste &agrave; privil&eacute;gier un type de langage donn&eacute; comme &eacute;tant le gage de la scientificit&eacute; &agrave; construire. Ce langage est, depuis la r&eacute;volution scientifique de la modernit&eacute;, celui des math&eacute;matiques. On conna&icirc;t l&rsquo;affirmation de Galil&eacute;e ([1980], 1623) selon laquelle le monde est &eacute;crit en caract&egrave;res math&eacute;matiques, qui est donc le langage idoine pour l&rsquo;&eacute;tudier et le comprendre&nbsp;:</p> <blockquote> <p style="text-align: justify;">&laquo;&nbsp;La philosophie est &eacute;crite dans ce tr&egrave;s grand livre qui se tient constamment ouvert devant tous les yeux (je veux dire l&rsquo;univers), mais elle ne peut se saisir si l&rsquo;on ne se saisit point de la langue et si l&rsquo;on ignore les caract&egrave;res dans lesquels elle est &eacute;crite. Cette philosophie est &eacute;crite en langue math&eacute;matique, et ses caract&egrave;res sont des triangles, des cercles et autres figures g&eacute;om&eacute;triques, sans le moyen desquels il est impossible de saisir humainement quelque parole ; sans eux, on errera vainement dans un labyrinthe obscur.&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">Cette affirmation deviendra de fait la posture commune des sciences de la nature. En r&eacute;fl&eacute;chissant &agrave; la nature des connaissances scientifiques de son temps, en particulier &agrave; la science newtonienne, Kant ([1990], 1786) ne dira pas autre chose&nbsp;: une science n&rsquo;est telle qu&rsquo;autant qu&rsquo;elle est math&eacute;matis&eacute;e&nbsp;; &laquo;&nbsp;or, je soutiens que dans toute th&eacute;orie particuli&egrave;re de la nature, il n&rsquo;y aura de science proprement dite qu&rsquo;autant qu&rsquo;il s&rsquo;y trouve de math&eacute;matique&nbsp;&raquo;.</p> <p style="text-align: justify;">Il ne sera donc possible de construire une science qu&#39;&agrave; la seule condition de math&eacute;matiser les ph&eacute;nom&egrave;nes &eacute;tudi&eacute;s et de les consid&eacute;rer &agrave; l&rsquo;aune de leur formalisation. Toute science, comme la chimie ou la psychologie empirique pour reprendre les exemples donn&eacute;s par Kant, ne sera alors qu&rsquo;une description plus ou moins raisonn&eacute;e de ses objets, mais non une science&nbsp;: &laquo;&nbsp;Cette psychologie [empirique] ne pourra donc jamais &ecirc;tre autre chose qu&rsquo;une th&eacute;orie naturelle historique du sens interne et comme telle aussi syst&eacute;matique que possible, c&rsquo;est-&agrave;-dire une description naturelle de l&rsquo;&acirc;me, mais non une science de l&rsquo;&acirc;me, pas m&ecirc;me une th&eacute;orie psychologique exp&eacute;rimentale.&nbsp;&raquo; (<em>Ibid.</em>)</p> <p style="text-align: justify;">Par cons&eacute;quent, l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; deviendra une cons&eacute;quence de la progressive math&eacute;matisation des disciplines qui trouveront dans cet idiome l&rsquo;homog&eacute;n&eacute;it&eacute; n&eacute;cessaire pour rendre leurs objets commensurables et comparables. L&rsquo;interdisciplinarit&eacute; co&iuml;ncide avec l&rsquo;horizon d&rsquo;une&nbsp;<em>mathesis universalis</em>&nbsp;o&ugrave; toute la diversit&eacute; empirique des sciences est d&eacute;pass&eacute;e par l&rsquo;unification via leur formalisme et leur langage. On aurait alors une science unique dont l&rsquo;unit&eacute; tiendrait &agrave; sa math&eacute;matisation, les disciplines devenant autant de provinces applicatives de ce langage. Mais cette unit&eacute; repose sur la r&eacute;duction des ph&eacute;nom&egrave;nes &agrave; une description de nature math&eacute;matique. L&rsquo;&eacute;largissement de l&rsquo;horizon scientifique se traduit par une r&eacute;duction de la vari&eacute;t&eacute; des objets d&rsquo;&eacute;tude que l&rsquo;on peut consid&eacute;rer&nbsp;: si toute science n&rsquo;est science qu&rsquo;autant qu&rsquo;elle est math&eacute;matique, un objet d&rsquo;&eacute;tude ne devient scientifique qu&rsquo;autant qu&rsquo;il est math&eacute;matisable. Si cette math&eacute;matisation para&icirc;t &ecirc;tre une violence faite &agrave; l&rsquo;objet et renvoie &agrave; une r&eacute;duction arbitraire et artificielle, c&rsquo;est que le r&eacute;sidu, ce qui r&eacute;siste &agrave; la formalisation math&eacute;matique, n&rsquo;est pas d&rsquo;ordre &eacute;pist&eacute;mique et ne renvoie &agrave; des connaissances, des choses qu&rsquo;il faudrait savoir et que la math&eacute;matisation conduirait &agrave; ignorer. Cette posture a &eacute;t&eacute; assum&eacute;e avec une remarquable clart&eacute; par les philosophes du Cercle de Vienne&nbsp;: on peut lire par exemple chez Schlick (1985) que&nbsp;les mots de la langue n&rsquo;expriment que des relations formelles et rien d&rsquo;autres&nbsp;; ce qu&rsquo;on peut leur associer par ailleurs n&rsquo;est en rien de l&rsquo;ordre de la connaissance&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;Car le sens de ces mots, utilis&eacute;s par le po&egrave;te ou par le psychologue, ne peut en toutes circonstances &ecirc;tre donn&eacute; et expliqu&eacute; qu&#39;en le r&eacute;duisant aux relations formelles entre les objets. Le mot &laquo;&nbsp;vert&nbsp;&raquo; n&#39;est en rien plus riche (au contraire, il est m&ecirc;me plus pauvre) que le concept de fr&eacute;quence des oscillations lumineuses par lequel le physicien l&#39;a remplac&eacute;. Le mot &laquo;&nbsp;vert&nbsp;&raquo; n&#39;exprime pas r&eacute;ellement ce qui est v&eacute;cu lorsqu&#39;on regarde une prairie verte, le mot n&#39;a aucune affinit&eacute; de contenu avec le v&eacute;cu du vert ; il n&#39;exprime qu&#39;une relation formelle selon laquelle tous les objets que nous nommons verts sont reli&eacute;s les uns aux autres.&nbsp;&raquo;</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">On retrouve la m&ecirc;me conception chez un autre illustre tenant du Cercle, &agrave; savoir Rudolf Carnap&nbsp;; avec sa pr&eacute;cision et clart&eacute; habituelles, il insiste bien que ce que la langue naturelle para&icirc;t contenir en exc&egrave;s par rapport &agrave; ce que les formalisations et math&eacute;matisations en retiennent ne sont pas des connaissances, il n&rsquo;y a pas de r&eacute;sidu&nbsp;:</p> <blockquote> <p>&laquo;&nbsp;Deux langages diff&eacute;rents, un langage psychique et un langage physique, sont &agrave; notre disposition, et nous affirmons qu&#39;ils expriment le m&ecirc;me contenu th&eacute;orique. On objectera que &laquo;&nbsp;A se r&eacute;jouit&nbsp;&raquo; exprime tout de m&ecirc;me quelque chose de plus que l&#39;&eacute;nonc&eacute; physique correspondant. Et c&#39;est effectivement exact. Le langage psychique n&#39;a, en effet, sur le langage physique pas seulement l&#39;avantage d&#39;une simplicit&eacute; consid&eacute;rablement plus grande, il exprime plus de choses. Mais ce plus n&#39;est pas un plus en contenu th&eacute;orique ; ce qui est exprim&eacute; par l&agrave;, ce sont uniquement de repr&eacute;sentations concomitantes.&nbsp;&raquo; (Scheinproblem in der Philosophie. Das Fremdpsychische und der Realismusstreit, cit&eacute; in Bouveresse, 1987, p. 371)</p> </blockquote> <p style="text-align: justify;">On con&ccedil;oit donc l&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;un monde unique, unifi&eacute; gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;unit&eacute; d&rsquo;un langage de r&eacute;f&eacute;rence pour l&rsquo;&eacute;laboration des connaissances et donc de la science. La science est unique, et son langage repose sur les math&eacute;matiques.</p> <p style="text-align: justify;">Au terme de ces deux approches, il appara&icirc;t de mani&egrave;re un peu d&eacute;primante que l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; est soit impossible, soit inutile. Impossible si les sciences refl&egrave;tent dans leur diversit&eacute; des objets incommensurables entre eux. Elles dialogueront avec leurs objets, mais pas entre elles. Inutile car la science unifi&eacute;e par les math&eacute;matiques n&rsquo;a pas besoin d&rsquo;interdisciplinarit&eacute;, mais de coh&eacute;rence et coh&eacute;sion entre ses diff&eacute;rentes parties.</p> <h2 style="text-align: justify;">Une &eacute;pist&eacute;mologie pour d&eacute;passer le dilemme</h2> <p style="text-align: justify;">Il y a pourtant une place entre l&rsquo;impossibilit&eacute; et l&rsquo;inutilit&eacute; pour l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;. Mais pour trouver les voies m&eacute;dianes qui pourraient m&eacute;nager des approches interdisciplinaires, il convient d&rsquo;&eacute;largir le champ de possibles &eacute;pist&eacute;mologiques en ne consid&eacute;rant pas seulement la nature des sciences par leur objet et leur langage.</p> <p style="text-align: justify;">Le mod&egrave;le que nous proposons reprend les principes expos&eacute;s en premi&egrave;re section. Chaque discipline se construit par les objets qu&rsquo;elle se donne et le langage dont elle se dote. Elle d&eacute;finit ainsi son espace de travail. Cet espace est d&eacute;bord&eacute; comme nous l&rsquo;avons dit par deux transcendances qui lui &eacute;chappent et qui constituent les horizons de son d&eacute;passement et de son &eacute;volution&nbsp;:</p> <ul style="text-align: justify;"> <li> <p>la transcendance de la chose concr&egrave;te, qui renvoie la discipline au choc de l&rsquo;exp&eacute;rience. Outre que la chose peut r&eacute;sister aux propositions th&eacute;oriques, elle peut aussi &ecirc;tre l&rsquo;horizon, alors partag&eacute;, avec d&rsquo;autres disciplines. La chose concr&egrave;te partag&eacute;e est un lieu de confrontation entre disciplines qui doivent sortir de l&rsquo;entre soi th&eacute;orique.</p> </li> <li> <p>La transcendance de l&rsquo;id&eacute;e, qui renvoie la discipline aux concepts m&eacute;taphysiques des principes &agrave; penser mais dont aucune th&eacute;orie ne peut rendre ad&eacute;quatement compte. De m&ecirc;me que la chose est partag&eacute;e par plusieurs disciplines, l&rsquo;Id&eacute;e est l&rsquo;horizon possible de plusieurs disciplines qui peuvent se rencontrer dans cette recherche et confrontation &agrave; cet horizon.</p> </li> </ul> <p style="text-align: justify;">Il y aurait donc trois niveaux sur lesquels l&rsquo;activit&eacute; scientifique se d&eacute;clinerait&nbsp;:</p> <ul style="text-align: justify;"> <li> <p><img alt="" height="145" src="https://www.numerev.com/img/ck_90_8_image-20200313105822-3.png" style="margin-top: 10px; margin-bottom: 10px; margin-left: 10px; float: right;" width="290" />le fonctionnement immanent &agrave; la discipline, qui suit son programme de recherche en &eacute;laborant ses objets th&eacute;oriques, raffinant son langage, et proposant la th&eacute;orie des choses et ph&eacute;nom&egrave;nes dont elle s&rsquo;est empar&eacute;e.</p> </li> <li> <p>Une double transcendance</p> <ul> <li> <p>La confrontation au concret et au choc de l&rsquo;exp&eacute;rience&nbsp;;</p> </li> <li> <p>La confrontation &agrave; l&rsquo;id&eacute;e et &agrave; l&rsquo;horizon des principes.</p> </li> </ul> </li> </ul> <p style="text-align: justify;">Ces trois niveaux permettent d&rsquo;envisager 3 mani&egrave;res d&rsquo;aborder l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;. Selon la premi&egrave;re, l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; consiste dans le dialogue de disciplines dans le cadre leur fonctionnement immanent&nbsp;: l&rsquo;entre soi est ici perturb&eacute; par la n&eacute;cessit&eacute; pour une discipline de reformuler les probl&egrave;mes, objets, concepts &eacute;labor&eacute;s par d&rsquo;autres disciplines pour rester dans son propre entre soi. Ce n&rsquo;est pas un conservatisme mal plac&eacute;, mais le fonctionnement propre de toute discipline au travail&nbsp;: il lui faut penser de nouveaux concepts, traduire des concepts venus d&rsquo;ailleurs, pour rester dans sa propre scientificit&eacute; qui ob&eacute;it aux canons pr&eacute;cis qui l&rsquo;ont constitu&eacute;e. Le concept clef est donc ici la traduction, o&ugrave; la langue et les objets exprim&eacute;s des autres disciplines doivent recevoir leur expression au sein m&ecirc;me de la discipline au travail.</p> <p style="text-align: justify;">La seconde modalit&eacute; interdisciplinaire passe par une confrontation commune au r&eacute;el par le partage d&rsquo;un monde commun de ph&eacute;nom&egrave;ne o&ugrave; chaque discipline prend sa partie. Comment chaque discipline peut-elle faire pour expliquer les ph&eacute;nom&egrave;nes en prenant en compte ce qu&rsquo;en disent les autres&nbsp;?</p> <p style="text-align: justify;">Enfin, la troisi&egrave;me modalit&eacute; consiste dans l&rsquo;approfondissement &eacute;pist&eacute;mologique des concepts structurants d&rsquo;une discipline pour les renvoyant aux id&eacute;es dont ils sont des propositions th&eacute;oriques. Mais l&rsquo;approfondissement &eacute;pist&eacute;mologique conduit &agrave; rencontrer les disciplines partageant les m&ecirc;mes horizons et donc interrogations.</p> <p style="text-align: justify;">De ce point de vue, une discipline doit forc&eacute;ment se faire interdisciplinaire pour accomplir son travail&nbsp;: la traduction des concepts pour &eacute;largir son champ op&eacute;ratoire et son fonctionnement th&eacute;orique, l&rsquo;approfondissement de ses concepts pour objectiver ses fondements, la confrontation &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience des choses et pas seulement &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rimentation de ses objets o&ugrave; la rencontre du monde des choses am&egrave;ne &agrave; rencontrer les autres disciplines, au del&agrave; de ses objets et de leurs concepts, mais au criterium des choses que l&rsquo;on partage.</p> <h3 style="text-align: justify;">M&eacute;diation par la chose</h3> <p style="text-align: justify;">La chose est ce qui est donn&eacute; par l&rsquo;exp&eacute;rience dans le cadre d&rsquo;un rapport au monde r&eacute;gl&eacute; par la quotidiennet&eacute;. Autrement dit, c&rsquo;est la chose de notre monde ordinaire&nbsp;: la voiture, la maison, le travail, le r&eacute;seau social, etc. Les choses sont pos&eacute;es dans un monde et peuvent &ecirc;tre rencontr&eacute;es par plusieurs individus dans leur exp&eacute;rience quotidienne. Mais elles peuvent &ecirc;tre aussi &ecirc;tre prises comme&nbsp;<em>objet</em>&nbsp;d&rsquo;une investigation scientifique, la chose devenant alors l&rsquo;horizon d&rsquo;o&ugrave; se d&eacute;gagent les objets &agrave; travers les concepts d&rsquo;une discipline qui s&rsquo;int&eacute;resse &agrave; la chose comme probl&egrave;me.</p> <p style="text-align: justify;">De ce fait, une m&ecirc;me chose peut devenir des objets diff&eacute;rents pour plusieurs disciplines. Elles concourent &agrave; une compr&eacute;hension multiple de la chose selon des modalit&eacute;s plus ou moins abouties ou exigeantes. Par d&eacute;faut, on retrouvera la figure de la pluridisciplinarit&eacute; o&ugrave; les diff&eacute;rentes disciplines juxtaposent leur objet et leur propre r&eacute;gime d&rsquo;exp&eacute;rimentation, sans chercher &agrave; &eacute;tablir la coh&eacute;rence entre elles ni &agrave; s&eacute;dimenter et int&eacute;grer les diff&eacute;rents savoir ainsi constitu&eacute;s. Si la voiture est la chose envisag&eacute;e, elle deviendra l&rsquo;objet d&rsquo;&eacute;tude de l&rsquo;automaticien qui veut &eacute;tablir les conditions de possibilit&eacute;s d&rsquo;un v&eacute;hicule autonome, ou pour l&rsquo;urbaniste qui &eacute;tudie comment la circulation am&egrave;ne &agrave; reconfigurer l&rsquo;espace urbain, ou encore le climatologue qui s&rsquo;int&eacute;resse au d&eacute;gagement de particules fines.</p> <p style="text-align: justify;">Cependant, la pluridisciplinarit&eacute; peut se d&eacute;passer par une conception syst&eacute;mique o&ugrave; ces diff&eacute;rents savoirs sont mis en r&eacute;sonance pour constituer un savoir int&eacute;gr&eacute; et global de la chose, au-del&agrave; des objets. Il est rare que cette conception syst&eacute;mique constitue par elle-m&ecirc;me une compr&eacute;hension scientifique &agrave; l&rsquo;&eacute;gal des disciplines qui se sont int&eacute;ress&eacute;es &agrave; la chose pour en faire leur objet d&rsquo;&eacute;tude. En effet, les modalit&eacute;s par lesquelles les diff&eacute;rentes contributions peuvent s&rsquo;int&eacute;grer doivent mobiliser &agrave; la fois une dimension herm&eacute;neutique o&ugrave; les objets des uns et des autres s&rsquo;interpr&egrave;tent les uns les autres, retrouvant alors l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; telle que nous allons la d&eacute;finir plus bas, et une dimension conceptuelle o&ugrave; la chose est reformul&eacute;e et saisie par de nouveaux concepts structurant l&rsquo;&eacute;tude syst&eacute;mique. On retrouve alors la transdisciplinarit&eacute; expos&eacute;e ci-dessous.</p> <h3 style="text-align: justify;">M&eacute;diation par l&rsquo;Id&eacute;e</h3> <p style="text-align: justify;">Dans la m&eacute;diation par l&rsquo;id&eacute;e, il s&rsquo;agit d&rsquo;interroger les concepts fondamentaux d&rsquo;une discipline pour d&eacute;voiler ou remettre sur le devant de la sc&egrave;ne les hypoth&egrave;ses associ&eacute;es, la vision du monde impliqu&eacute;e, les sch&eacute;mas de raisonnement mobilis&eacute;s. Or, ces concepts fondamentaux &eacute;tant partag&eacute;s avec d&rsquo;autres disciplines, le retour &agrave; ce niveau d&rsquo;interrogation permet d&rsquo;ouvrir un espace de confrontation, dialogue, discussion entre ces disciplines selon les hypoth&egrave;ses qu&rsquo;elles ont formul&eacute;es. Des conceptions du temps, de l&rsquo;espace ou de la mobilit&eacute; par exemple, seront mobilis&eacute;s implicitement par les diff&eacute;rentes &eacute;tudes portant sur la voiture. S&rsquo;interroger sur les &eacute;volutions de cette derni&egrave;re demande de comprendre le rapport de la voiture &agrave; l&rsquo;habitat (espace dans lequel on se situe, on se sent prot&eacute;g&eacute;, libre, etc.), &agrave; l&rsquo;espace (espace dans lequel on se d&eacute;place avec la voiture, reconfigurant les notions de temps et distance), et &eacute;videmment au temps. Ces concepts sont partag&eacute;s par l&rsquo;anthropologue, le sociologue, l&rsquo;ing&eacute;nieur, l&rsquo;expert en s&eacute;curit&eacute;, l&rsquo;urbaniste, etc. Chacun en a sa d&eacute;finition, mais comprend sans peine qu&rsquo;au-del&agrave; des n&eacute;cessaires clivages disciplinaires permettant la s&eacute;paration du travail et la construction d&rsquo;un syst&egrave;me de concepts, chaque d&eacute;finition a quelque chose &agrave; avoir avec les d&eacute;finitions que les autres disciplines donnent de ces notions. D&egrave;s lors qu&rsquo;on parle des concepts fondamentaux, un terrain commun &eacute;merge.</p> <p style="text-align: justify;">Mais ce terrain implique qu&rsquo;on quitte la zone confortable de l&rsquo;exercice normal (Kuhn, 1983) de la discipline. On revient sur des questions qui n&rsquo;ont jamais &eacute;t&eacute; totalement tranch&eacute;es, car elles ne peuvent l&rsquo;&ecirc;tre, sur des controverses internes et &eacute;videmment externes &agrave; la discipline. Cette mise en danger des concepts et des scientifiques rend le travail interdisciplinaire de la m&eacute;diation par l&rsquo;id&eacute;e particuli&egrave;rement d&eacute;licat et r&eacute;serv&eacute; &agrave; des scientifiques s&ucirc;rs de leurs concepts mais incertains de leur g&eacute;n&eacute;ralit&eacute; et validit&eacute;, suffisamment cultiv&eacute;s pour envisager la compr&eacute;hension que d&rsquo;autres traditions disciplinaires peuvent avoir de la m&ecirc;me notion.</p> <p style="text-align: justify;">Le travail impliqu&eacute; avec cette mise en tension des fondamentaux peut concerner des disciplines voisines comme apparemment fort &eacute;loign&eacute;es. Si l&rsquo;infini est un concept traditionnellement partag&eacute; par les philosophes et les math&eacute;maticiens, on peut avoir des confrontations entre sous-disciplines s&rsquo;opposant sur des approches oppos&eacute;es des concepts fondamentaux&nbsp;: par exemple, les intuitionnistes et les formalistes ont propos&eacute;es des approches math&eacute;matiques diff&eacute;rentes sur la base d&rsquo;hypoth&egrave;ses diff&eacute;rentes voire oppos&eacute;es &agrave; propos de l&rsquo;infini (Largeault, 1993 ; Salanskis &amp; Sinaceur, 1992).</p> <p style="text-align: justify;">Cette confrontation peut donner lieu &agrave; des cr&eacute;ations conceptuelles in&eacute;dites, conduisant &agrave; une transdisciplinarit&eacute; au sens o&ugrave; les disciplines sont d&eacute;pass&eacute;es (sans &ecirc;tre annul&eacute;es ni effac&eacute;es) au profit d&rsquo;une nouvelle discipline articul&eacute;e autour d&rsquo;un concept fondateur. Ce dernier conduit &agrave; reformuler des concepts fondamentaux anciens en un nouveau concept ouvrant un espace d&rsquo;&eacute;tude, d&rsquo;interpr&eacute;tation et de compr&eacute;hension nouveau. C&rsquo;est ce que par exemple la cybern&eacute;tique a r&eacute;alis&eacute; au mettant au centre de son int&eacute;r&ecirc;t scientifique la notion de contr&ocirc;le, s&rsquo;appliquant tant aux syst&egrave;mes vivants qu&rsquo;artificiels. Rencontre in&eacute;dite transgressant la limite entre le vivant et le technique, ces derniers n&rsquo;&eacute;tant l&rsquo;un pour l&rsquo;autre que des m&eacute;taphores pratiques et suggestives, la cybern&eacute;tique a ouvert la voie &agrave; des mod&eacute;lisations in&eacute;dites des organismes et des machines (Triclot, 2008).</p> <h3 style="text-align: justify;">M&eacute;diation par la th&eacute;orie</h3> <p style="text-align: justify;">La m&eacute;diation par la th&eacute;orie est la posture de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; la plus immanente &agrave; son fonctionnement normal et &agrave; sa pratique quotidienne. Il s&rsquo;agit en effet, sans sortir des principes et concepts install&eacute;s, de les &eacute;tendre et de les adapter pour rendre compte des concepts et objets &eacute;labor&eacute;s ailleurs. Cette interdisciplinarit&eacute; ne se situe donc pas entre les disciplines, mais au sein et au milieu de chacune d&rsquo;elles d&egrave;s lors que, pour garder sa coh&eacute;rence, son unit&eacute;, elle se reconfigure et repense ses concepts et objets.</p> <p style="text-align: justify;">La question est de savoir comment une discipline, comme perturbation, peut provoquer le travail interdisciplinaire dans une autre. A quelle injonction faut-il r&eacute;pondre pour qu&rsquo;il y ait un tel travail&nbsp;? Une discipline se constituant &agrave; partir de ses concepts et objets, c&rsquo;est &agrave; partir de ces derniers qu&rsquo;il faut consid&eacute;rer cette modalit&eacute; de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;.</p> <p style="text-align: justify;">Une th&eacute;orie se dote de concepts dont les objets sont les corr&eacute;lats pour rendre compte de choses. Comme on l&rsquo;a &eacute;voqu&eacute; plus haut, la th&eacute;orie substitue &agrave; l&rsquo;exp&eacute;rience du quotidien rencontrant les choses au sein d&rsquo;un monde l&rsquo;exp&eacute;rimentation r&eacute;gl&eacute;e constituant des objets dont l&rsquo;objectivit&eacute; est mesur&eacute;e et assur&eacute;e par ces exp&eacute;rimentations.</p> <p style="text-align: justify;">D&egrave;s lors qu&rsquo;on envisage la confrontation entre disciplines, c&rsquo;est donc d&rsquo;objet &agrave; objet, d&rsquo;exp&eacute;rimentation &agrave; exp&eacute;rimentation. Autrement dit, cette interdisciplinarit&eacute; fait l&rsquo;&eacute;conomie du monde et l&rsquo;impasse sur les fondements. Elle discute plut&ocirc;t en quoi les conditions de l&rsquo;exp&eacute;rimentation r&eacute;gl&eacute;e d&rsquo;une discipline peuvent se d&eacute;cliner dans une autre. Par cons&eacute;quent, le dialogue s&rsquo;&eacute;tablit n&eacute;cessairement entre disciplines proches. Cette proximit&eacute; fait parfois sourire quand on apprend par exemple que des anglicistes abordent l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; avec des am&eacute;ricanistes &agrave; propos des &eacute;tudes anglaises. Vu de l&rsquo;ext&eacute;rieur, il semble qu&rsquo;il s&rsquo;agit d&rsquo;un unique travail disciplinaire. Pourtant, la diff&eacute;rence des aires culturelles, historiques, linguistiques implique une v&eacute;ritable n&eacute;gociation entre les concepts des uns et des autres.</p> <p style="text-align: justify;">Cette interdisciplinarit&eacute; est donc particuli&egrave;rement exigeante sans &ecirc;tre spectaculaire. Elle confronte deux disciplines dans leur r&eacute;gime normal en leur demandant d&rsquo;examiner les conditions par lesquelles elles peuvent envisager les apports d&rsquo;une autre. Les difficult&eacute;s rencontr&eacute;es peuvent conduire &agrave; une m&eacute;diation au-del&agrave; des th&eacute;ories normales, par un retour &agrave; la chose envisag&eacute;e ou par la reconsid&eacute;rations des concepts fondamentaux mobilis&eacute;s.</p> <p style="text-align: justify;">Dans cette cat&eacute;gorie on pourra trouver l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; construite par Herbert Simon (1957, 1969), protagoniste &eacute;minent de l&rsquo;intelligence artificielle et prix Nobel d&rsquo;&eacute;conomie, qui, par son concept de rationalit&eacute; limit&eacute;e, introduit une mani&egrave;re de conduire l&rsquo;exploration algorithmique et d&rsquo;envisager la rationalit&eacute; des agents &eacute;conomiques.</p> <h2 style="text-align: justify;">Quelques figures de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;</h2> <p style="text-align: justify;">On a pu &eacute;voquer quelques exemples illustrant les diff&eacute;rentes figures de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;. Pour conclure, nous aimerions &eacute;voquer des figures illustrant la difficult&eacute; de n&eacute;gocier et r&eacute;ussir l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; dans les diff&eacute;rentes modalit&eacute;s pr&eacute;sent&eacute;es dans cet article.</p> <p style="text-align: justify;">Comme nous l&rsquo;avons plusieurs fois sugg&eacute;r&eacute;, la cybern&eacute;tique est l&rsquo;exemple r&eacute;ussi d&rsquo;une convergence entre plusieurs disciplines pour en &eacute;laborer une nouvelle, &agrave; l&rsquo;intersection de leurs champs respectifs. En effet, la cybern&eacute;tique (Dupuy, 1994) est n&eacute;e des conf&eacute;rences Macy (du nom de m&eacute;c&egrave;ne ayant permis la tenue de ces conf&eacute;rences, la&nbsp;<em>Fondation Josiah Macy Jr</em>) qui rassemblaient un ar&eacute;opage de scientifiques &eacute;minents issus de disciplines fort diverses&nbsp;: les math&eacute;matiques appliqu&eacute;es, la biologie, la neurophysiologie, la sociologie, la psychanalyse, etc. Le th&egrave;me &eacute;tait de comprendre la causalit&eacute; circulaire dans les syst&egrave;mes vivants et artificiels. La premi&egrave;re s&rsquo;est tenue en mai 1942&nbsp;&agrave; New-York sur l&#39;inhibition dans le syst&egrave;me nerveux, sous les auspices d&#39;une fondation m&eacute;dicale philanthropique. S&#39;y trouvaient Arturo Rosenblueth, Warren McCulloch, Frank Fremont-Smith (directeur m&eacute;dical), Lawrence Frank (philosophe social et administrateur de la fondation), Lawrence Kubie (psychanalyste), Gregory Bateson et Margaret Mead (anthropologues).</p> <p style="text-align: justify;">En 1945, se tient la rencontre &agrave; Princeton (Von Neumann travaillait &agrave; l&#39;IAS) entre Wiener, Von Neumann, Pitts, Goldstine (projet ENIAC). Wiener conclut que&nbsp;<q>l&#39;engineering et la neurologie ne font qu&#39;un</q>, et qu&#39;il devait &ecirc;tre soutenu par un&nbsp;<q>programme de recherche permanent</q>. Wiener voulait que le M.I.T. soit le centre de ce programme. Le refus de Von Neumann de bouger de Princeton an&eacute;antit ce projet : seules les conf&eacute;rences MACY purent constituer le centre g&eacute;ographique et culturel de la future cybern&eacute;tique.</p> <p style="text-align: justify;">En 1945-46, la fondation MACY charge McCulloch d&#39;organiser un cycle de conf&eacute;rences, tous les 6 mois, r&eacute;unissant un groupe de 20 chercheurs au plus, membres officiels du groupe, avec 5 invit&eacute;s au plus. Le ton se doit d&#39;&ecirc;tre informel. Les diff&eacute;rentes conf&eacute;rences se tiennent effectivement dans les ann&eacute;es suivantes&nbsp;:</p> <ul style="text-align: justify;"> <li> <p>mars 1946&nbsp;: premi&egrave;re conf&eacute;rence :&nbsp;<em>Feedbacks Mechanisms and Circular Causal Systems in Biological and Social Systems.</em></p> </li> <li> <p>Automne 1946&nbsp;: deux conf&eacute;rences MACY, l&#39;une organis&eacute;e par Bateson en marge du cycle McCulloch pour faire dialoguer sciences sociales et Wiener et Von Neumann, l&#39;autre par McCulloch sur les&nbsp;<em>Teleogical Systems</em>. Un premier expos&eacute; de Wiener fixe la terminologie.</p> </li> <li> <p>1947&nbsp;: troisi&egrave;me conf&eacute;rence MACY. Wiener forge le nom de &laquo;&nbsp;Cybern&eacute;tique&nbsp;&raquo;.</p> </li> <li> <p>1948&nbsp;: deux derni&egrave;res conf&eacute;rences du premier cycle, intitul&eacute;es&nbsp;<em>Circular Causal and Feedback Mechanisms in Biological and Social Systems</em>. Eut lieu &eacute;galement le&nbsp;<em>Hixon Symposium</em>&nbsp;o&ugrave; les cybern&eacute;ticiens sont expos&eacute;s &agrave; la critique des biologistes, en particulier Paul Weiss (embryog&eacute;n&egrave;se).</p> </li> <li> <p>1949&nbsp;: Heinz von Foerster, physicien, d&eacute;barque d&#39;Autriche. Invit&eacute; &agrave; la 6e conf&eacute;rence, premi&egrave;re du second cycle, secr&eacute;taire des conf&eacute;rences pour am&eacute;liorer son anglais (!), il fait adopter le titre de&nbsp;<em>Cybernetics</em>&nbsp;pour les conf&eacute;rences, qui gardent comme sous titre&nbsp;<em>Circular Causal and Feedback Mechanisms in Biological and Social Systems.</em></p> </li> <li> <p>1949-1953&nbsp;: cinq derni&egrave;res conf&eacute;rences MACY, les seules dont les actes sont publi&eacute;es. D&egrave;s 1951 (la huiti&egrave;me), Wiener et Von Neumann ne sont plus l&agrave;. En 1952, McCulloch rejoint Pitts au M.I.T. Mais Wiener rompt alors avec le groupe.</p> </li> </ul> <p style="text-align: justify;">C&#39;est la fin de la premi&egrave;re Cybern&eacute;tique. Mais pas du mouvement qui, outre une seconde cybern&eacute;tique, allait conna&icirc;tre un succ&egrave;s non d&eacute;menti depuis lors en permettant la cr&eacute;ation de disciplines nouvelles comme l&rsquo;automatique et de courants &agrave; la vie longue comme l&rsquo;intelligence artificielle. L&rsquo;id&eacute;e d&rsquo;avoir une th&eacute;orie du contr&ocirc;le des syst&egrave;mes pouvant s&rsquo;appliquer tant aux syst&egrave;mes biologiques qu&rsquo;aux syst&egrave;mes artificiels (Segal, 2004) a permis de constituer un champ disciplinaire nouveau, autonome avec ses propres arcanes scientifiques (journaux, revues, congr&egrave;s, recrutements) et p&eacute;dagogiques (formations, cursus professionnels, etc.). La cybern&eacute;tique est une r&eacute;ussite &agrave; la fois de la transdisciplinarit&eacute;, en convoquant &agrave; nouveau les concepts fondamentaux (r&eacute;troaction, cl&ocirc;ture op&eacute;rationnelle, t&eacute;l&eacute;ologie, etc.) de la compr&eacute;hension des syst&egrave;mes, et de la pluridisciplinarit&eacute; en partageant l&rsquo;&eacute;tude de choses communes offrant le terrain &agrave; la n&eacute;cessaire confrontation entre les concepts.</p> <p style="text-align: justify;">D&rsquo;autres tentatives n&rsquo;ont pas pu aboutir &agrave; de telles dynamiques. Par exemple, la science des syst&egrave;mes n&rsquo;a pas r&eacute;ussi &agrave; se constituer comme une discipline autonome. Elle reste un type d&rsquo;approche, de questionnement et une posture &eacute;pist&eacute;mologique. Mais elle s&rsquo;inscrit dans les m&eacute;diations par les id&eacute;es et par les choses, donnant lieu &agrave; des recherches entre les disciplines, mais qui doivent pour perdurer &ecirc;tre reprises et assum&eacute;es par les disciplines, dans l&rsquo;entre-discipline que nous avons d&eacute;crite.</p> <h2 style="text-align: justify;">Conclusion</h2> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;interdisciplinarit&eacute; est donc une dynamique entre disciplines qui conna&icirc;t trois figures fondamentales. Tout d&rsquo;abord, la pluridisciplinarit&eacute; o&ugrave; les disciplines se rencontre en partageant les choses d&rsquo;un monde commun, d&rsquo;exp&eacute;riences communes qui se distribuent en exp&eacute;rimentations disciplinaires diverses. Ensuite, la transdisciplinarit&eacute;, qui consiste &agrave; convoquer les concepts fondamentaux dont chaque discipline donne une d&eacute;clinaison particuli&egrave;re mais qui poss&egrave;de un air de famille. Enfin, l&rsquo;entre-discipline, qui correspond &agrave; l&rsquo;int&eacute;gration dans un r&eacute;gime normal des approches d&rsquo;une autre discipline, en traduisant les objets et exp&eacute;rimentations des unes dans les autres.</p> <p style="text-align: justify;">A travers ces trois d&eacute;clinaisons, on constate que ce sont trois figures somme toute assez banales du travail scientifique. L&rsquo;interdisciplinarit&eacute; est donc une pratique disciplinaire habituelle qu&rsquo;on doit rencontrer dans toute discipline r&eacute;ellement au travail, qui explore ses horizons &eacute;pist&eacute;mologiques (m&eacute;diation par les id&eacute;es), ses confrontations au monde des choses (m&eacute;diation par la chose) et se mesure aux approches des disciplines partageant un corps th&eacute;orique commun (m&eacute;diation par la th&eacute;orie).</p> <p style="text-align: justify;">L&rsquo;interdisciplinarit&eacute; est donc le signe d&rsquo;une discipline en bonne sant&eacute;, qui accepte &agrave; la fois le risque qu&rsquo;elle pr&eacute;sente mais en accueille l&rsquo;opportunit&eacute; et int&egrave;gre ses r&eacute;sultats. Il ne s&rsquo;agit donc pas d&rsquo;opposer une posture dite classique, souvent dans un sens p&eacute;joratif, correspondant au travail disciplinaire, &agrave; une pr&eacute;tendue modernit&eacute; pens&eacute;e sous le signe de l&rsquo;interdisciplinarit&eacute;, la science ne faisant r&eacute;ellement que dans les marges. Car cette figure d&rsquo;&Eacute;pinal ignore que l&rsquo;interdisciplinarit&eacute; peut travailler au c&oelig;ur m&ecirc;me d&rsquo;une discipline, d&egrave;s l&rsquo;instant qu&rsquo;elle inspecte ses fondamentaux et envisage ses horizons. La rencontre avec les autres est souvent la marque d&rsquo;une rencontre r&eacute;ussie avec soi-m&ecirc;me, l&rsquo;&eacute;pist&eacute;mologie n&rsquo;&eacute;tant pas si diff&eacute;rente ici de la sagesse s&eacute;culaire.</p> <h2 style="text-align: justify;">Bibliographie</h2> <p style="text-align: justify;">Aristote, (2007).&nbsp;<em>Rh&eacute;torique</em>&nbsp;(P. Chiron, Trans.). Paris : Garnier-Flammarion.</p> <p style="text-align: justify;">Bachelard, G. (1934).&nbsp;<em>Le nouvel esprit scientifique</em>. Paris : Presses universitaires de France.</p> <p style="text-align: justify;">Bachimont, B. (1996).&nbsp;<em>Herm&eacute;neutique mat&eacute;rielle et Art&eacute;facture : des machines qui pensent aux machines qui donnent &agrave; penser ; Critique du formalisme en intelligence artificielle</em>&nbsp;(Th&egrave;se de doctorat d&#39;&eacute;pist&eacute;mologie, Ecole Polytechnique).</p> <p style="text-align: justify;">Bouveresse, J. (1987).&nbsp;<em>Le mythe de l&#39;int&eacute;riorit&eacute; : Exp&eacute;rience, signification et langage priv&eacute; chez Wittgenstein</em>. Paris&nbsp;: Minuit.</p> <p style="text-align: justify;">Crubellier, M. &amp; Pellegrin, P. (2002).&nbsp;<em>Aristote Le philosophe et les savoirs</em>. Paris : &Eacute;ditions du Seuil.</p> <p style="text-align: justify;">Dupuy, J.-P. (1994).&nbsp;<em>Aux origines des sciences cognitives</em>. Paris : Editions La D&eacute;couverte.</p> <p style="text-align: justify;">Gadamer, H.-G. (1960).&nbsp;<em>V&eacute;rit&eacute; et m&eacute;thode</em>. Paris&nbsp;: Le Seuil.</p> <p style="text-align: justify;">Galileo Galilei (1980).&nbsp;<em>L&#39;Essayeur</em>&nbsp;(Ch. Chauvir&eacute;, trad.). Paris : Les Belles-Lettres. (Ouvrage original publi&eacute; en 1623 sous le titre&nbsp;<em>Il Saggiatore</em>).</p> <p style="text-align: justify;">Heidegger, M. (1962).&nbsp;<em>Chemins qui ne m&egrave;nent nulle part</em>. Paris : Gallimard.</p> <p style="text-align: justify;">Kant, E. (1984).&nbsp;<em>Critique de la Facult&eacute; de Juger</em>&nbsp;(A. Philonenko, trad.). Paris : Librairie Philosophique Jean Vrin. (Ouvrage original publi&eacute; en 1790 sous le titre&nbsp;<em>Kritik der Urteilkraft</em>).</p> <p style="text-align: justify;">Kant, E. (1990).&nbsp;<em>Premiers Principes m&eacute;taphysique de la science de la nature</em>&nbsp;(J. Gibelin, trad.). Paris : Librairie Philosophique Jean Vrin. (Ouvrage original publi&eacute; en 1786).</p> <p style="text-align: justify;">Kuhn, T. (1983).&nbsp;<em>La structure des r&eacute;volutions scientifiques</em>. Paris : Flammarion.</p> <p style="text-align: justify;">Largeault, J. (1993).&nbsp;<em>Intuition et intuitionisme</em>. Paris : Vrin.</p> <p style="text-align: justify;">Leroi-Gourhan, A. (1964).&nbsp;<em>Le geste et la parole</em>&nbsp;(Vol. t. 1 : &quot;Technique et Langage&quot;). Paris : Albin Michel.</p> <p style="text-align: justify;">Leroi-Gourhan, A. (1967).&nbsp;<em>Le geste et la parole</em>&nbsp;(Vol. t. 2 : &quot;La m&eacute;moire et les rythmes&quot;). Paris : Albin Michel.</p> <p style="text-align: justify;">Newell, A., &amp; Simon, H. A. (1981). Computer Science as Empirical inquiry: Symbols and Search. In: Haugeland, J. (Ed.),&nbsp;<em>Mind Design</em>, Cambridge, The MIT Press, 35-66.</p> <p style="text-align: justify;">Perelman, C. (2000).&nbsp;<em>L&#39;empire rh&eacute;torique : rh&eacute;torique et argumentation</em>. Paris : Vrin.</p> <p style="text-align: justify;">Rastier, F. (1987).&nbsp;<em>S&eacute;mantique Interpr&eacute;tative</em>. Paris : PUF.</p> <p style="text-align: justify;">Salanskis, J.-M. &amp; Sinaceur, H. (Eds.) (1992).&nbsp;<em>Le labyrinthe du continu</em>. Paris : Springer-Verlag.</p> <p style="text-align: justify;">Schlick, M., (1985). Le v&eacute;cu, la connaissance, la m&eacute;taphysique. In : Soulez, A. (ed),&nbsp;<em>Le manifeste du Cercle de Vienne et autres &eacute;crits</em>. Paris : PUF, 183-197.</p> <p style="text-align: justify;">Segal, J. (2004). Du comportement des avions ennemis aux mod&eacute;lisations de la connaissance : la notion scientifique et technique d&rsquo;information.&nbsp;<em>Intellectica</em>, 2004/2, n&deg; 39, 55-77.</p> <p style="text-align: justify;">Simon, H. A. (1957).&nbsp;<em>Models of man&nbsp;: social and rational&nbsp;: mathematical essays on rational human behavior in a social setting</em>, New-York: Wiley.</p> <p style="text-align: justify;">Simon, H. A. (1969).&nbsp;<em>The Sciences of the Artificial</em>. Cambridge : The MIT Press.</p> <p style="text-align: justify;">Triclot, M., (2008).&nbsp;<em>Le moment cybern&eacute;tique, la constitution de la notion d&rsquo;information</em>. Seyssel&nbsp;: Champ Vallon.</p> <p style="text-align: justify;">Uzan, J.-P. (2017).&nbsp;<em>L&#39;Harmonie secr&egrave;te de l&#39;Univers</em>. Paris : La ville br&ucirc;le.</p> <p style="text-align: justify;">Xuan-Thuan, T. (2000).&nbsp;<em>Le chaos et l&#39;harmonie : La fabrication du R&eacute;el</em>. Paris : Folio.</p> <p>&nbsp;</p> <div style="clear: both; float: none; display: block; visibility: hidden; width: 0px; font-size: 0px; line-height: 0;">&nbsp;</div> <p>&nbsp;</p> <p>&nbsp;</p>