Notre proposition naît de la rencontre entre deux travaux de recherche.  D’un côté, des recherches portant sur la généricité et la génération des plateformes développées dans le cadre du projet ANR Collabora<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" style="color:#954f72; text-decoration:underline" title="">[1]</a>. Ce projet, lancé en avril 2019, vise à étudier les plateformes contributives culturelles en tant que dispositifs de médiation documentaire permettant la production de connaissances liées à des objets culturels en lien avec des institutions. Ces travaux se concentrent sur l’observation et l’analyse de Content Management Systems (CMS) avec un haut degré de généricité, adaptables à un grand nombre d’usages et visent une approche opérationnelle de l’étude de ces plateformes.  L’étude du phénomène de plateformisation dans le domaine culturel montre que celui-ci s’effectue selon différentes modalités, et en particulier à travers une montée en généricité de certaines fonctions, à la fois de manière interne mais également de manière transverse aux outils (Payeur, Chupin, 2020). Une recomposition s’opère et certaines fonctions sont ré-exploitées par d’autres plateformes ou permettent la ré-génération et l’évolution interne de la plateforme. La notion de généricité s’entend ici au sens d’abstraction (générique/particulier) mais également au sens d’invariant (pattern) ou au sens de réexploitable (liée à la génération des plateformes). Ces recherches s’intéressent à la manière dont les plateformes génèrent et structurent la participation dans un registre ouvert englobant travail amateur et professionnel avec pour enjeu la production de connaissances nouvelles à partir de contenus existants. De l’autre côté, un travail de thèse au sein de ce même projet, portant plus spécifiquement sur un corpus d’une cinquantaine de plateformes de critique culturelle sur le web, questionne la définition et l’évolution du genre web de la critique culturelle. Ce genre, qui dérive du phénomène de numérisation des pratiques, se manifeste sous plusieurs formes et compte déjà une évolution dans le temps : blogs individuels (Jeanne-Perrier, 2006), blogs collectifs, forums de discussions, bibliothèques 2.0, moteurs de recommandation ou dispositifs contributifs (Severo, Thuillas, 2020) qui semblent en être la déclinaison la plus récente. L’analyse menée s’appuie à la fois sur des travaux théoriques concernant l’écriture numérique : le groupe de sémiologie des écrits d’écran et la notion d’architexte (Davallon et al., 2003) et les travaux de Bruno Bachimont sur intelligibilité et rhétorique de la raison computationnelle notamment (Bachimont, 2000) ; et sur des théories génériques (Maingueneau, 2013 et Genette et al., 1986). À travers une approche info-communicationnelle et rhétorique permettant la décomposition des dispositifs dans leur architecture et dans leurs formations discursives spécifiques, leurs formes d’expression et d’intelligibilité (avec un focus particulier sur la figure de la liste et les opérations de listage), il s’agit de répondre à des questions sur la capacitation et le développement d’une littéracie des acteurs qui « écrivent » ces plateformes. Les deux réflexions se rejoignent sur la caractérisation du genre des plateformes web, sur une approche de l’architexte du point de vue de l’écriture et sur l’analyse des processus de génération, d’évolution et de standardisation des formes d’écriture numérique dans un contexte contributif. Nous visons à aborder les questions de la littéracie et de la rhétorique à partir d’une analyse des architextes à un double niveau de l’écriture numérique des plateformes observées : l’écriture d’interaction avec le logiciel à partir d’un architexte pré-structuré et l’écriture du code au niveau de la conception des CMS à partir d’un langage formaté. Nous analysons à la fois les pratiques discursives liées aux différentes formes présentées dans les outils eux-mêmes, que nous essayons de caractériser, et les pratiques liées aux caractéristiques capacitantes des outils utilisés pour construire les plateformes, et générer des outils nouveaux. Nous esquissons les contours d’un lecteur-contributeur-designer, qui développerait à la fois des pratiques relevant de l’amateur professionnel ou pro-am (Leadbeater et Miller, 2004) et des pratiques qui relèvent du rôle du concepteur, rendues possibles par le niveau de généricité des outils mobilisés et leur intégration avec d’autres dispositifs existants dans une « unité de devenir » (Simondon, 1958, p. 20).  En ce sens, notre travail se présente comme une contribution à la question sur la littéracie en milieu numérique et voudrait s’insérer dans l’axe qui questionne les rhétoriques des contenus numériques ou les formes des actions discursives mobilisées via le numérique. Il s’agit d’interroger les dynamiques de généricisation (un mouvement de soustraction de toute particularité, d’épuration, de mobilisation d’un prototype auquel pourraient se référer certaines déclinaisons particulières) et de généralisation (un mouvement d’élargissement, d’extension d’une forme à d’autres emplois que ceux d’origine) de ces formes et de leurs agencements et les faire travailler dans un souci génératif, d’approche opérationnelle de l’écriture. Analyser le numérique via l’écriture signifie interroger le phénomène en cours de transposition de la majorité de nos pratiques sociales et culturelles dans un environnement numérique et en forme écrite, ici dans le cas spécifique des activités d’appréciation, de prescription et de hiérarchisation des biens culturels, en problématisant le niveau d’acculturation et de maitrise des supports et des médias d’écriture (littéracie). Cela signifie également, via l’analyse des processus de formation et de circulation des formes spécifiques ainsi que leurs composition et fonctionnement à l’intérieur d’un genre déterminé, mener une approche opérationnelle (Crozat et al., 2011) de conception consciente d’un modèle de plateforme générative, efficace et adaptable encourageant la production contributive des contenus et l’innovation. Nous concevons notre travail à partir d’un corpus établi de plateformes contributives de critique culturelle sur le web en diverses phases. Une première phase concerne l’observation des CMS et le repérage des formes au sein du corpus distinguant les niveaux de l’architecture (disposition des onglets), des formes rhétoriques simples et des formes rhétoriques composées. Cette phase s’appuie sur les travaux de thèse en cours et sur les résultats de différents projets tutorés menés avec les étudiants du Master 2 DEFI à l’Université Paris Nanterre depuis 2018, participant à l’observation des plateformes du point de vue de leur génération et au repérage des formes de l’écriture numérique. L’observation combine les approches synchronique et diachronique de manière interne aux plateformes, en prenant en compte leur évolution au fil du temps et de manière transversale selon une approche transplateformes qui en interroge les recompositions et les possibilités d’importation et d’exportation (blocs de code exportables). Une deuxième phase aborde la question du design et de la mise en place de préconisations pour la constitution de prototypes génériques pour les plateformes contributives culturelles, et plus particulièrement les plateformes permettant une critique culturelle, qui prennent en compte les nouvelles formes d’action discursives de l’usager. Un retour théorique réflexif, finalement, concerne la contribution au développement d’une littéracie numérique, de l’opérabilité du concept de genre ainsi que sur la définition d’un genre (dans le cas spécifique sur la définition du genre du discours critique et son évolution dans le milieu numérique contemporain) et les perspectives de conception d’une plateforme multithématique sur la base de cette définition générique.   Éléments de bibliographie : Bachimont, B. (2000). "L'intelligence artificielle comme écriture dynamique : de la raison graphique à la raison computationnelle" In J. Petitot & P. Fabbri (Eds.), Au nom du sens (p. 290-319), Grasset. Candel E., Jeanne-Perrier V., Souchier E. (2012). « Petites formes, grands desseins. D’une grammaire des énoncés éditoriaux à la standardisation des écritures », in: « L’économie des écritures sur le web », dir. Jean Davallon, Hermès-Lavoisier, p. 165-201. Crozat, S., Bachimont, B., Cailleau, I., Bouchardon, S. & Gaillard, L. (2011). « Éléments pour une théorie opérationnelle de l'écriture numérique », <a href="https://www.cairn.info/revue-document-numerique.htm" style="color:#954f72; text-decoration:underline">Document numérique</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-document-numerique-2011-3.htm" style="color:#954f72; text-decoration:underline">2011/3 (Vol. 14)</a>, p. 9-33. Davallon, J., Despret-Lonnet, M., Jeanneret, Y., Le Marec, J., Souchier, E. (2003). Lire, écrire, récrire : Objets, signes et pratiques des médias informatisés. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2003 (généré le 02 février 2021). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782842461621. DOI : <a href="https://doi.org/10.4000/books.bibpompidou.394" style="color:#954f72; text-decoration:underline">https://doi.org/10.4000/books.bibpompidou.394</a>. Genette, G. et al. (1986), Théorie des genres, Paris, Seuil, Points Littérature, 181. Jeanne-Perrier, V. (2006). « Des outils d'écriture aux pouvoirs exorbitants ? ». Réseaux, vol. no 137, no. 3. Leadbeater, C. Millet, P. (2004). The Pro-Am Revolution: How Enthousiasts are changing our Economy and Society, Londres, Demos.  Maingueneau, D. (2013). « Chapitre 4 - Genres de discours et web : existe-t-il des genres web ? », in: Manuel d’analyse du web en Sciences Humaines et Sociales, dir. Barats Christine. Armand Colin, pp. 74-98.  Payeur, C., Chupin, L. (2020). « Génération et généricité des plateformes de valorisation participative du patrimoine numérisé », in actes du colloque « La fabrique de la participation culturelle. Plateformes numériques et enjeux démocratiques », dir. Marta Severo, 4ème trimestre 2020. Severo, M., Thuillas, O. (2020). « Plates-formes collaboratives : la nouvelle ère de la participation culturelle ? », NectArt, n. 11, p. 120-130. Simondon, G. (1958). Du mode d’existence des objets techniques, Aubier Philosophie, 1989 (1re éd. 1958). Zittrain, J. (2008). Generativity: The Future of the Internet-And How to Stop It, Yale University Press. <div style="text-align:start; text-indent:0px; -webkit-text-stroke-width:0px">   <hr align="left" size="1" width="33%" /> <div id="ftn1"> <a href="applewebdata://D4BD8E5E-ABB2-4E93-9863-773D55643077#_ftnref1" name="_ftn1" style="color:#954f72; text-decoration:underline" title="">[1]</a> Site Internet du projet disponible à l’adresse suivante : <a href="https://anr-collabora.parisnanterre.fr/" style="color:#954f72; text-decoration:underline">https://anr-collabora.parisnanterre.fr/</a> (consultée le 4 mars 2022). </div> </div>