<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Notre contribution propose d’interroger la compétence instrumentale de la littératie numérique, c’est-à-dire les aspects pratiques, pour des personnes en situation d’analphabétisme ou d’illettrisme. Plus précisément, nous nous intéressons à la capacité à effectuer le lien entre la souris et l’écran et à se repérer entre les différentes interfaces hypertextuelles, compétences sans lesquelles la littéracie numérique ne peut exister. Nous étudions notamment les spécificités de la lecture pluri-directionnelle spécifique au numérique : le regard doit se porter tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt en haut de l’écran, tantôt en bas, et requiert de la part de l’utilisateur la maîtrise de différents gestes pour avoir accès à tout l’écran : déplacement du curseur de la souris, utilisation des barres de défilement et des liens hypertextes <i>a priori</i> invisibles (Gandon, 2020 : 79). La lecture, avant l’écriture, est reconfigurée avec les nouveaux usages numériques. </span></span></span></span></span></p>
<p class="gplnormal" style="text-align:justify; text-indent:14.2pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Nous nous situons donc en amont des questions sur la culture écrite de l’alphabétisé. Si l’on considère que le numérique est devenu notre « nouveau milieu d’écriture et de lecture », « pour penser et agir », il est indispensable de s’interroger en premier lieu sur l’acquisition des compétences instrumentales permettant à tous, démocratiquement, d’y accéder, et réduire la « fracture d’usage et de conceptualisation, liée à la fracture sociale » (Castello, 2020).</span></span></span></p>
<p class="gplnormal" style="text-align:justify; text-indent:14.2pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman", serif"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Au-delà de la littératie, nous pensons que les difficultés d’un public non scolarisé soulèvent des enjeux cognitifs liés à différentes aptitudes ou compétences : des compétences visuo-spatiales, des compétences de motricité fine, la capacité à aller vers l’abstraction et à gérer la surcharge cognitive engendrée par la lecture hypertextuelle. Notre proposition souhaite donc explorer ces différentes enjeux cognitifs mais propose également des pistes pédagogiques : quelles solutions concrètes les formateurs et médiateurs peuvent-ils mettre en œuvre sur le terrain ? </span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"> </p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Notre méthodologie de recherche s’appuie sur des données d’observations empiriques récoltées via un questionnaire en ligne auprès de formateurs et accompagnants animant des activités et ateliers numériques pour un public peu ou pas scolarisé et parvenant difficilement à s’approprier l’outil « ordinateur » pour la recherche d’emploi et les démarches administratives dématérialisées. Il s’agit donc plus précisément d’une étude sur l’utilisation du numérique de personnes en situation d’alphabétisation ou d’illettrisme, public adulte ou jeune adulte, éloigné de l’emploi et non qualifié professionnellement. </span></span></span></span></span></p>
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<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Le cadre théorique sur lequel nous nous appuyons dans cet article puise dans différents champs disciplinaires comme la didactique de l’écrit et la psychologie, notamment la psychologie cognitive ainsi que la psychomotricité.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Selon Auvray & Fuchs (2007 : 25), « l’utilisation d’un nouvel outil transforme les modes de couplage entre l’homme et son environnement, tant sur le plan de l’action que de la sensation ; et par là même, il donne naissance à des modes de perception et d’action nouveaux ». Le maniement de la souris (ou pad) est la base de toutes les actions sur Internet ou traitement de texte. Mais il requiert une double action : une action de lecture qui passe par le regard : « où dois-je cliquer pour accéder à ce que je veux lire », et qui s’accompagne d’une « mise en jeu corporelle » (<span style="background:white"><span style="color:#323232">Besombes</span></span><span style="background:white"><span style="color:#323232"> <i>et al.</i>, 2016 : 49) : « quel geste de la main, du bras, de l’index dois-je effectuer pour que le curseur se positionne ici ».</span></span></span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="background:white"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif"><span style="color:#323232">La première étape du processus semble donc être le traitement visuo-spacial, fonction mentale complexe « impliquée dans la distinction, par la vue, de la position relative des objets dans l'environnement ou par rapport à soi »</span></span></span></span><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif"> (Benois & Jover, 2006 : 1). Cette fonction essentielle « repose sur un contrôle oculo-moteur élaboré ainsi que des capacités visuoattentionnelles et spatiales » (<i>Ibid.</i>). Elle est essentielle pour repérer des objets et les saisir. On peut penser que ce processus entre en jeu dans la lecture hypertextuelle et le lien souris / écran, action au cours de laquelle nous perdons en immédiateté visuelle. « Lorsque nous nous servons d’un ordinateur, nous manipulons la souris, mais le lieu à partir duquel nous modifions le milieu, notre point d’action, est le curseur sur l’écran de l’ordinateur » (Auvray et Fuchs, 2007 : 26).</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">À la suite du traitement visuo-spatial, nous nous intéressons aux capacités de motricité fine mises en jeu dans l’utilisation de la souris et du clic. « Lorsque nous nous saisissons d’un outil, ce dernier devient une extension de notre corps propre » (Auvray et Fuchs, 2007 : 26). L’utilisation de la souris et du clavier requiert en effet une habileté motrice fine car notre main, à travers la souris, peut agir dans le virtuel. Naviguer sur Internet nécessite donc d’avoir conscience de ce niveau d’abstraction mais également d’effectuer avec subtilité un geste physique (par exemple pour sélectionner un mot ou pour descendre la barre de défilement). Or, nous avons constaté de manière empirique des difficultés de perception et donc d’action du corps propre (par exemple de la main et de l’index) qui entravent l’appropriation du nouveau dispositif technique chez des personnes peu ou pas scolarisées.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">On peut supposer que des personnes en situation d’analphabétisme ou d’illettrisme vont éprouver les mêmes difficultés face aux compétences de motricité fine que celles vécues pour appréhender l’outil scripteur. Certains enseignants de cycle 1 (école maternelle) utilisent d’ailleurs l’ordinateur pour développer l’apprentissage de la motricité fine chez leurs élèves<a href="#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:12.0pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">[1]</span></span></span></span></span></a>.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Nous interrogeons également la question de la surcharge cognitive (Tricot, 2007) en jeu dans la littératie numérique. La non-linéarité des supports numériques et notamment d’Internet représente un « surcoût cognitif » (Tricot, 2007 : 63) accru par la vitesse de traitement que nécessite la lecture numérique. La lecture hypertextuelle déstabilise le lecteur peu aguerri (Gandon, 2020 : 79) et le met « dans un état où il ne sait plus où aller, ni d’où il vient, ni comment y retourner, et surtout, il ne parvient pas à comprendre les contenus qu’il est en train de traiter » (Tricot, 2007 : 64), imposant une difficulté supplémentaire aux utilisateurs non (ou peu) scolarisés. Enfin, nous soulevons la question de l’entrée dans l’abstraction (Barth, 2001), en lien avec la scolarisation et son intérêt dans le cadre de la littératie numérique. </span></span></span></span></span></p>
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<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Dans l’article sont développés les premiers constats et observations empiriques recueillis par le biais du questionnaire complétés par les formateurs et accompagnants. Sont notamment mis en avant l’impossibilité à effectuer le lien visuo-spatial entre le mouvement de la souris et le mouvement du curseur sur l’écran ; des mouvements de curseur désordonnés à l'écran (manifestation d'une difficulté de repérage dans les différentes interfaces possiblement en superposition lorsque différentes fenêtres sont ouvertes) ; une surcharge de signes ou surcharge cognitive ; un sentiment négatif face à l’outil numérique matérialisé par des crispations de la main (Besombes et al., 2016 : 50) ou main moite, laissant supposer qu’appréhender cet outil génère de l’anxiété autant qu’il modifie la perception et l’action. Pour certaines personnes, l’utilisation de l’outil scripteur sur papier est encore une nouveauté. Nous tenterons de voir si cela peut être un avantage ou un inconvénient dans l’acquisition de la maîtrise de la littératie numérique.</span></span></span></span></span></p>
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<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Dans la dernière partie de cet article, nous proposons des pistes de réponses pédagogiques concrètes utiles sur le terrain pour les formateurs, médiateurs et accompagnateurs qui interviennent dans des ateliers ou formations numériques.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:11px"><i><span style="font-size:8.0pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Pour faciliter la lecture de ce texte, le masculin générique se réfère aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Au pluriel, en l'absence de marque de genre, la référence est aussi bien du féminin que du masculin.</span></span></span></i></p>
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<p style="margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><b><u><span style="font-size:14.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Bibliographie indicative</span></span></u></b></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Auvray Malika, Fuchs Philippe. Perception, immersion et interactions sensorimotrice en environnement</span></span> <span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">virtuel. <i>In</i>: Intellectica. Revue de l'Association pour la Recherche Cognitive, n°45, 2007/1. Virtuel et Cognition. pp. 23-35</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Benois, C. & Jover, M. (2006). Dysfonctionnement visuo-spatial chez l’enfant : cadrenosographique, dépistage et rééducation. In Entretiens de Bichat : Entretiens de psychomotricité (Expansion Scientifique Française, p. 69-81).</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Besombes, N., Lech, A. & Collard, L. (2016). Corps et motricité dans la pratique du jeu vidéo. Corps, 14, 49-57. </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Barth, B-M., (1987 ; éd. 2001). L’apprentissage de l’abstraction. RETZ. </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Castello, E. (2020). Littératie numérique et Web social en contexte associatif, <i>Distances et médiations des savoirs</i> [Online], 32 | 2020. </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Gandon, É. (2020). Usages du numérique et illectronisme : nouvelles tâches pour le lecteur-scripteur, nouveaux enjeux d’apprentissage. <i>Glottopol</i> [Online], 33 | 2020.</span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin-bottom:11px"><span style="font-size:11pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><span style="font-size:12.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Tricot, A. (2007). Apprentissages et documents numériques. Belin. Paris.</span></span></span></span></span></p>
<hr align="left" size="1" width="33%" />
<div id="ftn1">
<p class="MsoFootnoteText"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:Calibri, sans-serif"><a href="#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span class="MsoFootnoteReference" style="vertical-align:super"><span style="font-size:10.0pt"><span style="line-height:107%"><span style="font-family:"Calibri",sans-serif">[1]</span></span></span></span></span></a> <span style="font-size:8.0pt"><span style="font-family:"Calibri Light",sans-serif">Document publié sur le site de l’académie de Nancy-Metz</span></span></span></span></p>
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