Cet article s’inscrit dans un contexte de développement des plateformes dans le secteur du travail social (Gacoin, 2019), dont le modèle des Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation [SIAO] semble être un des précurseurs. Les SIAO, chargés depuis 2010 de réguler à l’échelle départementale les offres et demandes d’hébergement, ont vu progressivement leur champ d’action s’étendre jusqu’à devenir une figure centrale et incontournable au sein du secteur. Nous avançons l’hypothèse selon laquelle les SIAO sont à la fois reflet et vecteur de transformations profondes dans la gestion sociale de la « question SDF » (Damon, 2012), mais participent en même temps à la perpétuation de certaines tendances historiques du traitement social de la pauvreté (Paugam et Duvoux, 2013). Ainsi, nous tenterons de répondre à la question suivante : «De quelles ruptures et de quelles continuités l’avènement du modèle des SIAO est-il porteur dans la réponse sociale apportée à la question SDF ? »   Nous nous inscrirons dans une perspective constructiviste, dans l’objectif de dépasser l'opposition entre macro et micro-sociologie. Ceci, pour questionner les implications de l’avènement des SIAO aux échelles sociales (représentations sociales et politiques publiques), institutionnelles (fonctionnement des établissements et services du secteur de l’hébergement) et relationnelles (modalités d'accompagnement des publics). Plus particulièrement, nous nous appuierons sur deux brèves expériences immersives (observation participante) auprès d’équipes d’un SIAO urgence (2016) et d’un SIAO insertion d’Île de France (2017) et sur une expérience d’assistante sociale de huit années dans le secteur de l’hébergement/logement (participation observante, 2016-2022, Île de France). Si ces expériences ne peuvent prétendre à une quelconque représentativité, elles nous permettront de soulever un certain nombre de questionnements portés par l’essor de ce modèle. L’enjeu scientifique ici étant d’allier données issues d’évaluations menées aux échelles nationale/régionale/départementale (IGAS, 2012 et 2021 ; Geyer, 2002) avec nos observations de l’« action en train de se faire » (Félix et Tradif, 2010) et des « acteurs en situation » (Boltanski, 2009).   Après avoir rappelé les éléments contextuels ayant présidé à la création et à l’essor des SIAO, nous reviendrons sur éléments « communicationnels » et législatifs ayant impulsé leur développement, et plus particulièrement sur les questions d’ajustement entre offre et demande, d’équité de traitement ; et de consentement des publics. Pour chacune de ces dimensions, nous tenterons de mettre en exergue l’impact concret de ce nouveau modèle de régulation de la « question SDF » sur l’accompagnement des publics. Plus particulièrement, nous analyserons les représentations et pratiques des professionnels du secteur (membres du SIAO et professionnels des structures d’hébergement) et les « stratégies et tactiques » (De Certeau, 1990) qu’ils développent pour tenter de s’approprier ce dispositif, s’y adapter et/ou y résister. Enfin, pour chacun de ces aspects, nous nous attacherons à mettre en exergue les continuités du traitement social de la « question SDF » dont le SIAO est porteur.   Dans un premier temps, nous verrons en quoi ce mode d’organisation, développé dans un contexte de complexification du « système bureaucratico-assistanciel » (Damon, op. Cit.) de prise en charge, apparaît finalement porteur d’une forme de « déconnexion »/d’éloignement/distanciation à la fois physique, matériel (numérique), symbolique, relationnel et temporel avec les situations sociales des publics. Partant de ce constat, nous analyserons ce qui nous semble être une transformation profonde du rôle attribué au SIAO, à travers la figure des « écoutants 115 » : d’une logique de recherche de solutions (mise à l’abri) à une logique d’écoute, d’observatoire et de gestion de la pénurie des places disponibles (baromètre mensuel du 115, Samu Social de Paris). Dans le même temps, nous postulerons que les SIAO perpétuent un mode de traitement historique du problème du sans-abrisme : celui de l’invisibilisation des publics (ONPES, 2016).   Dans une seconde partie, nous reviendrons sur l’objectif affiché de garantir une équité de traitement des demandes, lequel semble s’inscrire dans un contexte de montée en puissance du « droits des usagers » (loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale, loi DALO<a class="sdfootnoteanc" href="#sdfootnote1sym" name="sdfootnote1anc">1</a> de 2007). Nous avancerons l’hypothèse selon laquelle le modèle du SIAO participe en fait à la dilution des responsabilités des acteurs, à l’opposé d’une garantie de mise en place effective des droits juridiques des publics. Nous reviendrons sur la question des critères de priorité, en nous intéressant aux logiques de priorisation portées par les professionnels du SIAO (urgence et insertion), mais également en questionnant la façon dont ceux-ci s’adaptent aux critères d’admission de certaines structures d’hébergement (IGAS, 2012, p.102). Nous soulignerons la perpétuation des logiques de triage des publics (Damon, OP. Cit., p.253) dont les SIAO sont porteurs.   Dans un troisième temps, nous questionnerons le « consentement » des publics à la gestion de leur demande par le SIAO, montrerons en quoi cette plateforme participe au « fichage contraint » des publics précarisés. Nous nous intéresserons aux pratiques des professionnels des structures d’hébergement pour tenter de « préserver » la confidentialité de certaines informations, ou, au contraire, « faire valoir » certains aspects de la situation des publics en fonction des critères de priorité des SIAO. Finalement, nous proposerons de considérer les SIAO comme une forme renouvelée de régulation de la pauvreté (Paugam et Duvoux, op. Cit) et de « gestion de la misère ». <div id="sdfootnote1"> <a class="sdfootnotesym" href="#sdfootnote1anc" name="sdfootnote1sym">1</a>Droit Au Logement Opposable </div>