<p>Traduire sans trahir : cet article présente le retour d'expérience d’utilisation pour un projet ouvert de traduction collaborative du logiciel de gestion distribué Git et de la plateforme associée Gitlab - service internet d'appropriation, de développement, d’intégration et d’assimilation de code ou de contenu textuel, un logiciel notamment utilisé pour le contrôle de versions. Depuis 2019, un groupe de chercheuses et chercheurs francophones a entrepris le projet de traduire collectivement en Français la documentation de l’ontologie formelle du Modèle Conceptuel de Référence CIDOC (CIDOC CRM) version 7.1.2, appelée à devenir la nouvelle norme ISO.<br />
La relation entre le groupe et la plateforme pour la traduction collaborative et collective est conçue comme une expérimentation en humanités numériques. Elle permet une recherche collaborative, reproductible et la fabrication d’outils réutilisables, le versioning de la traduction, la production de statistiques sur l'ensemble du projet et sa documentation au moyen de fonctionnalités telles que les issues, milestones, branches du projet et la documentation au sein du wiki notamment, mobilisant la syntaxe markdown. La mise en œuvre de la traduction asynchrone collaborative et de la révision synchrone collective est entièrement ouverte et documentée sur une plateforme publique Gitlab hébergée par la très grande infrastructure de recherche du domaine des Humanités Numériques (Digital Humanities, DH), HumaNum. Un des enjeux de ce projet collaboratif est le transfert de connaissances vers la communauté francophone du champ des DH d’une recherche et des méthodes associées menée principalement par une communauté anglophone. L'expérience collective apparaît pour les volontaires de la traduction comme un excellent moyen de parfaire leur compréhension des subtilités de l'ontologie en manipulant le texte dans les activités de traduction ou de révision. En effet, la barrière de la langue rend plus difficile l'appropriation d'outils conceptuels et de techniques d’implémentation tels les ontologies formelles. L’usage du CIDOC CRM en tant que standard d'ontologie formelle pour documenter les données issues du domaine du patrimoine culturel ou de la recherche se développe depuis plusieurs années, notamment en réponse aux préconisations FAIR, mais son adoption ou appropriation a été lente dans le processus de transformation du travail de collecte et d’ouverture des données. Plus avant, la mise en œuvre du projet permet de consolider une communauté d'utilisateurs et d’utilisatrices du CIDOC CRM et ouvre des opportunités de collaboration dépassant le projet de traduction lui-même.<br />
Le cadre des échanges au sein du groupe permet une analyse réflexive théorique récurrente de notre travail, à la fois du fait de la nature du contenu textuel à traduire (une ontologie formelle servant à décrire/modéliser le monde) et par la dynamique des questions posées pour consolider le processus de révision collective, notamment la cohérence et la justification des choix de traduction opérés. La médiation numérique de la relation ne peut - dans notre cas, s’affranchir de formes d’échanges directs entre les individus de champs disciplinaires ou de métiers très différents : cette mise en relation par la plateforme déborde de la dimension technique d’un dispositif numérique.<br />
Ce dernier a été choisi et est bâti collectivement et progressivement selon des finalités différenciées. De plus, la fonction productive de la relation à la plateforme permet d’affirmer les valeurs du groupe : appropriation libre, accès ouvert, intégration progressive et à des niveaux hétérogènes des contributeurs et contributrices, choix d’une version inclusive de la langue française etc.. Le concept de dispositif serait alors constitutif d’un objet écosophique au sens de (Guattari, 1996).<br />
Selon l’approche de (Gillespie, 2017), il s’agit dans cette proposition d’article de scruter l’usage de la métaphore plateforme tant dans sa profondeur (la genèse du travail caché produit par la relation médiatisée) que dans l’espace public apparent (la relation ou l’accès au dépôt git) issu de la mise en relation du groupe via “le Gitlab” de l’institution. Le dispositif est alors vu comme le siège de processus d’individuation (Combes, 1999) ou de concrétisation (l’éditorialisation HTML d’une version française du CIDOC CRM “en cours de traduction” par exemple) au moyen d’une « composition » (Nunes, 2011) au sein d’un ensemble informationnel (Simondon, 2005 (1957, 1964)) porteur de valeurs, en lien notamment avec des institutions et du bricolage informatique (Ferrarato, 2018) pour traduire la documentation d’une méthode de représentation formelle du monde, (de la culture et de la technique comme ensemble indissociable, le CIDOC CRM.</p>
<p>Combes, M. (1999). Simondon individu et collectivité : Pour une philosophie du transindividuel. Presses universitaires de France.<br />
Ferrarato, C. (2018). Philosophie du logiciel : Dialogue entre Simondon et un objet technique numérique. Collège Eötvös József ELTE.<br />
Guattari, F. (1996). Entretien avec Félix Guattari. Chimères, 28, 19-32.<br />
Gillespie, T. (2017, août 24). The Platform Metaphor, Revisited – Digital Society Blog. HIIG. https://www.hiig.de/en/the-platform-metaphor-revisited/<br />
Nunes, E. (2005). Préalables à une lecture « musicale » de Husserl. Filigrane, 1, 181‑199.<br />
Simondon, G. (2005). L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information. Millon.</p>
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