<ol> <li> <p align="left"><span style="line-height:100%"><font style="font-size:16pt"><font size="4"><b>Introduction</b></font></font></span></p> </li> <li> <p class="intellnum---corps-de-texte">Cet article esquisse une analyse d&rsquo;un projet ouvert de traduction collaborative mobilisant le &ldquo;geste simondonien&rdquo; (Dodier, 1995 p. 9). Ce projet (Doc fr CIDOC CRM&middot;GitLab,&nbsp;2023) utilise le logiciel de gestion de version distribu&eacute;e Git et l&rsquo;environnement associ&eacute; GitLab. Depuis 2019, un groupe de chercheuses et chercheurs francophones a entrepris le projet de traduire collectivement en fran&ccedil;ais l&rsquo;ontologie formelle du Mod&egrave;le Conceptuel de R&eacute;f&eacute;rence du Comit&eacute; International de DOCumentation de l&rsquo;ICOM (CIDOC CRM) version 7.1.2 (Bekiari, 2022), version choisie pour le renouvellement de la certification ISO 21127 (Croft et al., 2011). Le standard de documentation du CIDOC CRM permet l&rsquo;int&eacute;gration et l&#39;interop&eacute;rabilit&eacute; des donn&eacute;es dans les champs du patrimoine culturel et des sciences humaines et sociales (LeBoeuf, 2013). Les donn&eacute;es produites dans le domaine du patrimoine culturel sont h&eacute;t&eacute;rog&egrave;nes et dispers&eacute;es au sein de bases de donn&eacute;es ou de plateformes de mus&eacute;es, biblioth&egrave;ques, archives ou laboratoires de recherche. Les d&eacute;finitions et la structure du mod&egrave;le ontologique permettent de d&eacute;crire les concepts et les relations implicites pour l&#39;exploration de ces ensembles de donn&eacute;es au sein du web s&eacute;mantique.</p> </li> <li> <p class="intellnum---corps-de-texte">Au sein de la communaut&eacute; scientifique fran&ccedil;aise, le champ des humanit&eacute;s num&eacute;riques &eacute;merge avec le manifeste de 2010 (Dacos, 2010). Avant cela, des pr&eacute;curseurs interrogent la place de l&rsquo;ordinateur dans les champs disciplinaires, par exemple les m&eacute;di&eacute;vistes (Bourlet &amp; al, 1979) ou au sein de la sociologie de l&rsquo;innovation (Gavillet, 2010) ou encore les m&eacute;diologues au d&eacute;but des ann&eacute;es 1990 (Debray R&eacute;gis, 2001). En 2017, les sciences de l&rsquo;information et de la communication d&eacute;passent le champ des humanit&eacute;s num&eacute;riques (<i>digital humanities</i>) et se positionnent vis-&agrave;-vis des &eacute;tudes num&eacute;riques (<i>digital studies</i>) (Paquiens&eacute;guy, 2017). Ce n&rsquo;est pas un hasard si les termes sont d&eacute;sormais en anglais, en effet, la discipline des humanit&eacute;s num&eacute;riques conna&icirc;t une nette pr&eacute;dominance anglophone. Par cons&eacute;quent, les institutions et les chercheur&sdot;ses travaillant dans cette langue sont surrepr&eacute;sent&eacute;&sdot;es par rapport aux autres communaut&eacute;s. L&rsquo;enjeu de la traduction du CIDOC CRM est de permettre aux chercheur&sdot;ses de travailler dans leur langue maternelle. Les abstractions conceptuelles devenant plus accessibles, l&rsquo;appropriation de la m&eacute;thode de mod&eacute;lisation est facilit&eacute;e pour la communaut&eacute; francophone.</p> </li> <li> <p class="intellnum---corps-de-texte">Le groupe de traduction se constitue &agrave; la suite de DONIPAT, DONn&eacute;es Interop&eacute;rables sur le PATrimoine, une &eacute;cole th&eacute;matique du CNRS organis&eacute;e en 2019 par le consortium Huma-Num M&eacute;moires des Arch&eacute;ologues et des Sites Arch&eacute;ologiques (MASA). Dans le cadre de cette &eacute;cole, le CIDOC CRM est abord&eacute; par le biais de questions de transformation et de diffusion des donn&eacute;es. Le jeu CIDOC CRM (Guillem, Bruseker, 2017) et des m&eacute;thodes d&rsquo;alignement sont utilis&eacute;es avec les outils 3M (Marketakis et al., 2017) et Ontop (Calvanese et al., 2016), suite &agrave; quoi des participant&sdot;es ont souhait&eacute; approfondir ces questions. Le groupe de traduction se cr&eacute;e alors de mani&egrave;re informelle dans le but de traduire en fran&ccedil;ais le CIDOC CRM. L&rsquo;objectif est de favoriser la coop&eacute;ration autour des technologies du web s&eacute;mantique et des ontologies formelles. Un enjeu sous-jacent commun &agrave; la r&eacute;alisation de ce double objectif se dessine : il s&rsquo;agit de faciliter l&rsquo;appropriation du CIDOC CRM dans la communaut&eacute; scientifique en sciences humaines et sociales (SHS). D&egrave;s le d&eacute;but, le r&ocirc;le du projet de traduction collaborative s&rsquo;av&egrave;re central dans les processus d&#39;apprentissage et la diffusion de la pratique du CIDOC CRM. Au sein du collectif de traduction, on trouve des chercheur&sdot;ses individuel&sdot;les qui collaborent &agrave; des mises en &oelig;uvre de l&rsquo;ontologie formelle CIDOC CRM, tant par la mod&eacute;lisation formelle de probl&eacute;matiques donn&eacute;es que dans son impl&eacute;mentation technique en lien avec des travaux de recherche de diverses disciplines. Cette appropriation multilingue d&rsquo;un standard international va dans le sens de l&rsquo;&eacute;volution de la norme IFLA LRM/FRBR (Riva, 2017) adopt&eacute;e par la Biblioth&egrave;que nationale de France (BnF).</p> </li> <li> <p class="intellnum---corps-de-texte">Cet effort de traduction vers le fran&ccedil;ais n&rsquo;est pas le premier&nbsp;: en effet, deux d&eacute;marches similaires ont &eacute;t&eacute; entreprises en 2006 et 2014 (Croft, 2007 et Szabados et al., 2012). Ces initiatives &eacute;taient, comme celle qui nous occupe aujourd&rsquo;hui, corr&eacute;l&eacute;es dans le temps avec un processus de certification ISO, ou sa r&eacute;vision. La traduction de 2006 concernait la version 4.0 du CIDOC CRM associ&eacute;e &agrave; la norme ISO 21127:2006 tandis que la traduction de 2014 concernait la version 5.0.4 associ&eacute;e &agrave; la norme ISO 21127:2014. Ces traductions ne sont pas librement accessibles. Comme tout document ISO, leur acc&egrave;s est payant.</p> </li> <li> <p class="intellnum---corps-de-texte">Or le CIDOC CRM est continuellement mis &agrave; jour par un <i>Special Interest Group</i> (CIDOC CRM SIG) dont les proc&eacute;dures se font en anglais. Celui-ci se r&eacute;unit plusieurs fois par an et contribue &agrave; faire &eacute;voluer l&rsquo;ontologie formelle en fonction des usages et la r&eacute;solution, par consensus, de questions &eacute;pist&eacute;mologiques. &Agrave; ce jour, l&rsquo;usage du CIDOC CRM n&eacute;cessite donc de naviguer entre une documentation obsol&egrave;te en fran&ccedil;ais et une version en anglais r&eacute;guli&egrave;rement mise &agrave; jour, ce qui est source d&rsquo;erreurs et/ou de m&eacute;susages. Le choix de traduire &agrave; nouveau la documentation CIDOC CRM est aussi li&eacute; au nouveau processus r&eacute;glementaire de certification ISO de la version anglaise qui fera autorit&eacute;. Ce souhait de stabilisation du mod&egrave;le conceptuel de base motive l&#39;investissement en temps et en travail du collectif d&rsquo;individus impliqu&eacute;s et de leurs institutions.</p> </li> <li> <p class="intellnum---corps-de-texte">La complexit&eacute; du texte &agrave; traduire, les diff&eacute;rentes cultures professionnelles et scientifiques des membres du collectif et la diversit&eacute; de pratiques du CIDOC CRM augmentent a priori la difficult&eacute; d&rsquo;obtenir un consensus autour d&rsquo;une traduction propos&eacute;e. C&rsquo;est pourquoi la concomitance entre l&rsquo;invention de m&eacute;thodes d&rsquo;organisation, de processus de d&eacute;cision et la mise en place de l&rsquo;environnement GitLab permet de co-construire la plateforme et de la faire &eacute;voluer de mani&egrave;re continue. La diversit&eacute; des langues francophones (de France, de Belgique, du Luxembourg ou du Canada) et leurs pratiques actuelles (par exemple, la neutralisation du genre) peuvent &eacute;galement accro&icirc;tre la complexit&eacute; des choix pour la validation par consensus de la traduction collective en fran&ccedil;ais.</p> </li> <li> <p class="intellnum---corps-de-texte">Expliciter les donn&eacute;es lors d&rsquo;un mapping avec le CIDOC CRM a un effet performatif. Ce faisant, les chercheur&sdot;ses sont d&rsquo;autant plus critiques sur la mani&egrave;re dont les donn&eacute;es sont produites. Traduire l&#39;ontologie formelle du CIDOC CRM permet aussi de remettre dans l&rsquo;espace critique des choses qui semblent acquises. Plus g&eacute;n&eacute;ralement, il s&rsquo;agit pour la communaut&eacute; fran&ccedil;aise d&rsquo;appr&eacute;hender la normativit&eacute; (Simondon, 2012, p.310) de la technique de mod&eacute;lisation port&eacute;e par la philosophie du CIDOC CRM. Les concepteurs du CIDOC l&rsquo;ont qualifi&eacute; d&rsquo;ontologie &ldquo;formelle&rdquo; en adoptant la position de (Guarino, 1998) qui d&eacute;finit ce type d&rsquo;ontologie comme, d&rsquo;une part, une sp&eacute;cification d&#39;un ensemble de concepts nomm&eacute;s utilis&eacute;s pour d&eacute;crire et approcher un fragment du r&eacute;el, ainsi que, d&rsquo;autre part, une th&eacute;orie logique du premier ordre qui restreint la signification pr&eacute;vue des concepts nomm&eacute;s. Les questions &eacute;thiques et pratiques entra&icirc;nent des ajustements du mod&egrave;le de base du CIDOC CRM. Le mod&egrave;le se d&eacute;ploie avec des extensions th&eacute;matiques qui couvrent des champs sp&eacute;cifiques de la recherche en SHS, comme CIDOC CRMarchaeo pour l&rsquo;excavation, CRMsci pour l&rsquo;observation scientifique ou CRMdig pour la provenance des m&eacute;tadonn&eacute;es.</p> </li> <li> <p class="intellnum---corps-de-texte">La relation entre les membres du collectif de traduction et l&rsquo;environnement GitLab d&rsquo;Huma-Num est envisag&eacute;e comme une exp&eacute;rimentation en humanit&eacute;s num&eacute;riques. Celle-ci conduit &agrave; consid&eacute;rer a priori le terme de dispositif num&eacute;rique comme une plateforme, au sens de l&rsquo;approche critique de la m&eacute;taphore de la plateforme (Gillespie, 2017)&nbsp;: lieu d&rsquo;un travail habituellement cach&eacute;, la plateforme peut se voir assigner la t&acirc;che d&rsquo;h&eacute;berger le travail r&eacute;el qui ne peut pas &ecirc;tre effac&eacute;, voire de le prot&eacute;ger. Dans ce contexte, la dynamique collaborative du processus de traduction contribue &agrave; construire une culture et des techniques communes qui d&eacute;passent le cadre socio-technique de production de la traduction. Cette r&eacute;flexion est nourrie par le contenu textuel &agrave; traduire, puisqu&rsquo;il s&rsquo;agit de la documentation d&rsquo;une ontologie formelle servant &agrave; d&eacute;crire le monde. L&rsquo;analyse fine des relations productives &agrave; et par la plateforme de travail tient compte d&rsquo;une forme de solidarit&eacute; technique entre l&rsquo;humain et la machine, de la formation d&rsquo;un ensemble technique (Dodier, 1995, p.13) ou informationnel (Barth&eacute;l&eacute;my, 2015, p.4), susceptible de r&eacute;aliser la traduction. Ce cadre d&rsquo;&eacute;changes au sein du groupe g&eacute;n&egrave;re une auto-analyse th&eacute;orique continue&nbsp;: le projet donne l&rsquo;opportunit&eacute; d&rsquo;une acculturation avec des concepts philosophiques de Simondon en lien avec une pratique du num&eacute;rique, mais aussi, en retour, il cr&eacute;e un espace de dialogue sur l&rsquo;&eacute;volution et la formalisation de nouvelles pratiques professionnelles associ&eacute;es &agrave; une num&eacute;risation du monde de la recherche. Ces concepts, dans la continuit&eacute; du geste simondonien, articulent la r&eacute;alit&eacute; de cette production avec d&rsquo;autres dispositifs&nbsp;: celui associ&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle du CIDOC CRM SIG qui d&eacute;termine la gouvernance des traductions, celui d&rsquo;un r&eacute;seau de diff&eacute;rents espaces francophones de la recherche et du patrimoine culturel qui diffuse ou utilise la traduction en fran&ccedil;ais.</p> </li> </ol>